Plusieurs d’entre vous ont gentiment insisté sur l’intérêt de regrouper (et de réécrire pour les harmoniser) différents articles publiés dans wallonica.org sur le thème de l’expérience opposée aux idéalismes, sur la vanité, l’existentialisme, sur le risque d’essentialiser à outrance, sur la mort du dieu, la complexité personnelle, les infox, Montaigne, Paul Diel, le Body Building, Nietzsche ou Ernst Cassirer. Bref, sur ‘comment lutter contre les biais cognitifs et l’aliénation qui nous empêchent de penser la vie sainement et librement‘.
Autant de thèmes de travail qui gagneraient, disiez-vous, à figurer au cœur d’un essai qui les relierait et modéliserait leur agencement avec force exemples et explications. Qu’il en soit ainsi : essayons l’essai !
wallonica.org oblige : l’essai sera composé en ligne et relié aux autres contenus de l’encyclopédie wallonica par des hyperliens internes à notre blog (on verra plus tard pour une édition papier). Petite exception à nos règles éditoriales : pour chacune des pages de l’essai, nous allons réactiver le module des commentaires. Vous aurez donc la possibilité de participer à la rédaction du texte, soit par vos remarques bienveillantes, soit par les pistes et les références que vous voudrez bien partager. Nous publierons les commentaires les plus constructifs, nous en ferons le meilleur usage et nous ne manquerons pas de vous faire figurer en bonne place dans les remerciements. Merci déjà !
N.B. Le texte ci-dessous est destiné à la publication (avis aux éditeurs…) mais est encore en construction. Il vous est donc livré dans son état d’avancement actuel, pour débats et commentaires.
Infos éditoriales
Titre complet
Être à sa place.
Manuel de survie des vivants dans un monde idéalisé
Épigraphe
Quand je danse, je danse ; et quand je dors, je dors. Et quand je me promène seul dans un beau jardin, si mes pensées se sont occupées d’autre chose pendant quelque temps, je les ramène à la promenade, au jardin, à la douceur de cette solitude, et à moi. La Nature nous a prouvé son affection maternelle en s’arrangeant pour que les actions auxquelles nos besoins nous contraignent nous soient aussi une source de plaisir. Et elle nous y convie, non seulement par la raison, mais aussi par le désir. C’est donc une mauvaise chose que d’enfreindre ses règles.
Montaigne, Essais, III, 13, De l’expérience (1588)
J’avais manqué de lest pour garder les pieds sur terre, l’éternel problème du fantôme ordinaire. Je constituais moi-même le problème, car à notre époque chacun s’efforce de poser les questions les plus graves, et j’étais devenu expert en la matière.
Jim Harrison, Retour en terre (2007)
A part of the texture of the fabric of society is shared hallucinations which we label reality. Our collusive madness is what we denominate sanity as equally as we nominate insanity. [Traduction]
Ronald D. Laing, The Politics of Experience : an Essay on Alienation (1967)
Hiersein ist herrlich [Traduction]
Rilke, Elégie de Duino n°7 (1922)
L’auteur
Éditeur en ligne, webmestre, blogueur, formateur et traducteur, Patrick THONART est né en 1961 et vit à Liège (BE). Fort d’un curriculum vitae rocambolesque, qui l’a mené du Benelux à l’Afrique sub-saharienne, en passant par Singapour et le Québec, il a principalement été actif dans la traduction, les ressources humaines, la gestion de l’information et la formation, en milieu académique comme en entreprise.
Parallèlement à ses projets professionnels, il a lancé dès 2000 une encyclopédie en ligne, avec des confrères québécois. En Belgique, cette initiative est devenue le blog encyclo wallon wallonica.org, dont il est l’éditeur responsable.
D’origine manouche selon les légendes familiales, il a toujours été sensible aux pièges des discours péremptoires et des certitudes. De sang hollandais par ailleurs, il a également apprécié l’approche pragmatique de l’existence chez des penseurs aussi différents que Lao-Tseu, Épicure, Montaigne, Spinoza, Nietzsche, Paul Diel ou Edgar Morin. Après avoir transposé sa formation en Psychologie de la Motivation dans sa pratique quotidienne de formateur-animateur, tant auprès de détenus condamnés à perpétuité qu’auprès d’étudiants dans l’enseignement supérieur, il s’efforce dans ce premier livre d’accompagner le travail individuel que requiert une Grande Santé, libre de pré-jugés…
Pourquoi écrire ce livre ?
“J’ai toujours écrit pour le compte des autres, a fortiori comme traducteur. Quand on traduit, la beauté du geste, le savoir-faire, n’est pas dans le sens du texte (çà, c’est la responsabilité de l’auteur) mais dans le passage sans encombres, d’un monde culturel source (celui de l’auteur) vers un monde culturel cible (celui du lecteur). Cela vaut pour un poème ou un roman, comme pour des conclusions d’avocat ou le mode d’emploi d’un tracteur agricole.
Parallèlement, je travaille depuis toujours sur l’aliénation, sur cet ensemble de dispositifs personnels, sociaux ou techniques par l’intermédiaire desquels nous évoluons de plus en plus dans “Le monde du spectacle” que dénonçait Debord. Cette appropriation médiate (Dufresne) des phénomènes qui nous entourent est source de tous nos maux, à tout le moins de tous nos dérapages. Cultiver un être-au-monde plus immédiat me semble une approche saine de la vie moderne, susceptible de créer plus de satisfaction et, partant, de limiter nos frustrations qui, il faut le reconnaître, sont les sources principales de la violence du monde actuel.
Ecrire ce livre, pour moi, c’était donc mettre le savoir-faire du traducteur au service de ce propos et, qui plus est, prendre le temps d’écrire utile.”

Dédicace
À ma femme, par qui je respire…
Pourquoi lire ce livre ?
Parce que nous sommes des êtres humains et que nous devons sans cesse nous adapter aux phénomènes du monde qui nous entoure (ou qui se manifestent en nous), nous délibérons constamment en notre for intérieur, pour décider au mieux des actions qui nous permettront de survivre et… d’aimer ça.
La chose n’est pas aisée et, pour décider librement, il nous faut faire la part des choses entre nos sensations qui se bousculent, les manies qui nous aliènent et les dogmes qui prétendent connaître la Vie mieux que nous.
Comment assimiler sainement toutes ces informations et prendre les décisions adaptées qui font effectivement de notre quotidien une source de Joie ? Comment reconstituer, au cœur de nous, cette Puissance de vivre qui est la nôtre et que, faute d’avoir Raison gardé, nous avons laissé s’étioler, s’écouler vers l’extérieur.
Pour bien aligner nos sensations, nos affects et nos discours, peut-être faut-il d’abord apprendre à les identifier clairement et les distinguer les uns des autres. Vient ensuite le choix qui s’impose à chaque décision : vais-je me conformer à un modèle ou vivre le vertige de l’expérience ?
Devant ce dilemme, la tentation reste forte de s’étourdir d’idées, au point de se vider de sa substance sincère, de devenir “l’homme creux” que déplorait T.S. Eliot. Alors qu’à l’inverse, exister pleinement serait synonyme d’une plus grande liberté, une fois vaporisés les discours aveuglants, une fois détricotées nos stratégies intimes et, enfin, une fois réappropriée notre réalité physique ?
Car, finalement, comme Montaigne l’a dit, qui connaissait la Vie : “Notre bel et grand chef-d’œuvre, c’est vivre à propos.” Comment mieux dire que l’important, c’est de faire le nécessaire pour se sentir à sa place ?
Pour ce faire, la philosophie est-elle nécessaire ? Tout d’abord, c’est Vladimir Jankelevitch qui répond avec finesse : “On peut vivre sans philosophie. Mais pas si bien.” Il précise par ailleurs que “philosopher, c’est se comporter vis-à-vis de l’univers comme si rien n’allait de soi.” Il importe dès lors de ne pas se méprendre sur ce qu’est l’activité philosophique elle-même : pendant largement plus de deux millénaires, les hommes et les femmes ont pratiqué une philosophie spéculative, où il s’agissait souvent de définir l’Être plus que d’accompagner la Vie. Le moment est peut-être venu de tenter une nouvelle approche, à rebours, par laquelle la philosophie se fait opérative et où toute pensée n’est là que pour susciter un exercice de pensée, orienté vers l’expérience.
Qui plus est, le grand basculement kantique effectué par les Lumières a fait glisser le centre de gravité de la méditation philosophique, de la définition de l’Être (le dieu, la nature, les idées essentielles et toutes ces sortes de choses…) vers l’exploration de l’être-au-monde tel qu’on est capable de le percevoir, en un mot, vers l’expérience. “Penser sa vie, vivre sa pensée” fait désormais partie des devises de l’Honnête Homme.
Enfin, “l’invention” de l’inconscient à la fin du XIXe a bouclé la boucle : nous voici avec un panaché fait de sagesse, de psyché et d’expérience. Parlera-t-on bientôt de psychosophie opérative ?
Un dessin de l’illustrateur français Jean-Jacques Grandville, Le jongleur de mondes (1844), offre, bien involontairement, un modèle qu’on va exploiter ici. Le jongleur, pris comme prototype de l’Honnête Homme est tenu à trois travaux pour atteindre la Satisfaction (rien que trois : il s’en tire mieux qu’Hercule !) : tout d’abord, il doit maintenir son équilibre personnel ; ensuite, il doit jongler en permanence avec les mondes qu’il sélectionne librement ; enfin, il doit trouver la Joie dans son activité quotidienne, la jonglerie même.
C’est pourquoi ce livre se veut un précis de survie pragmatique dans une culture où trop de prêt-à-penser empêche de penser. Il se veut un manuel pour tous ceux qui estiment que voir clair dans le monde, c’est, d’abord et avant tout, voir clair en soi.
Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas d’un livre de développement personnel au sens commercial du terme : pas de vérités numérotées, de recettes universelles ou d’auto-thérapies prêtes-à-l’emploi. On trouvera plutôt dans ces pages l’opportunité d’un travail, des textes à méditer et l’occasion de “pétrir sa pâte” (d’une autre manière peut-être), avec la réserve posée par Camus : “Je parle ici, bien entendu, des hommes disposés à se mettre d’accord avec eux-mêmes.“
Et, probablement s’exposera-t-on un moment à cette Histoire d’âme évoquée par Christiane Singer pour qui, quand “un puits se fore en vous“, avant que n’affleure l’eau claire, il faut s’attendre “à la montée des boues.“
On verra aussi combien la “Grande Santé” n’est pas un état statique mais un exercice de soi, une activité satisfaisante au quotidien. Partant, chacun des sept chapitres aborde une facette de notre délibération intérieure, à identifier et à intégrer dans un mieux-vivre, dans une activité vitale où l’on se sent à sa place, immunisé contre le syndrome de l’imposteur. Ce sont autant d’exercices de pensée qui permettront au lecteur éclairé d’inviter à sa table des sensations, des affects et des idées, des monstres comme des bons génies, et, en toute quiétude, de lancer le débat… intérieur.
Bienvenue dans un monde libre où le sens critique s’exerce d’abord… sur soi-même.
Comment ce livre est-il construit ?
(Synopsis chapitre 01) LA SATISFACTION
où il est établi que le sentiment d’être à sa place procède d’activités satisfaisantes plutôt que d’un état de bonheur ou de jouissance statique
Être à sa place semble être l’aspiration fondamentale qui conditionne notre joie de vivre. Ressentir dans son corps, dans sa psyché et dans sa vision du monde que les choses tombent juste est source de satisfaction et diminue la souffrance. La recherche active de cette adéquation entre notre vie intérieure et les phénomènes du monde extérieur pourrait-elle être le “sens de la Vie” (dixit Paul Diel) ?
Le problème est que, pour déterminer si nous sommes réellement à notre place (Montaigne : si nous vivons à propos) et nous sentir légitimes là où nous sommes, nous sommes juge et partie :
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- pour identifier cette “place” ;
- pour évaluer si nous y sommes effectivement, sincèrement (Spinoza : avoir une idée vraie).
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Comment nous débarrasser des œillères qui altèrent notre jugement dans ce cas ? Comment ne pas prétendre que notre monde individuel, nos vérités personnelles, sont la Vie elle-même ? Comment faire le départ entre les désirs francs, univoques, et les besoins créés artificiellement ? Comment remonter à la racine de nos insatisfactions et retracer un chemin vers la Satisfaction et la Joie de vivre ?
(Synopsis chapitre 02) LE CORPS ET L’ESPRIT
où il est proposé d’identifier le cerveau comme acteur à part entière de notre délibération intérieure, sans désespérer de notre libre-arbitre
Obnubilé par la nécessité de nous maintenir en vie, notre cerveau est le seul intermédiaire concret avec notre milieu. Sans chaque fois nous en faire rapport, il régente notre être-au-monde (Heidegger), en mode multi-fonctionnel : sensation, rétention, réaction… Sans répondre à toutes les interrogations sur ce qu’est effectivement la conscience, les récentes découvertes des neurosciences ont à tout le moins établi le rôle central de notre cerveau (ou de nos cerveaux) dans la perception de ce que nous sommes… à nous-même ; en d’autres termes, la conscience de soi. Comment alors répondre à ces questions : quand mon cerveau a-t-il le sentiment que mon corps est à sa place ? Est-il influençable ? A-t-il toujours raison ? Comment des techniques comme l’hypnose peuvent-elles modifier les affects que je relie à mes réalités ?
Ancienne star de la recherche de l’équilibre vital, la conscience, prise comme entité autonome, est donc mise à mal par les neurosciences et s’avérerait moins libre que la tradition le voudrait. De conscience, nous n’aurions qu’un artefact généré par le cerveau qui, pour notre bien, rassemble un faisceau d’informations éparses et nous donne l’impression d’être un individu historique. Reste que nous vivons cet “hologramme” de nous-mêmes comme le siège de notre délibération : nous y pensons continuellement notre existence, parmi les autres comme face à nous-mêmes, et, dans notre théâtre personnel, nous nous vivons comme les héros d’un mythe qui serait notre vie : quand ma conscience me renvoie-t-elle le sentiment que ma personne est à sa place ? A-t-elle toujours raison ?
(Synopsis chapitre 03) LES FORMES SYMBOLIQUES
où il est suggéré de faire de l’ensemble des discours et des fabulations humaines de simples objets de pensée et de s’y intéresser avec discernement
Nous sommes une espèce fabulatrice (Nancy Huston) et l’Homme est un créateur de formes symboliques (Ernst Cassirer). A chacun sa vision du monde, choisie parmi les discours qui nous sont proposés en continu -bon gré, mal gré- par les autres, par notre culture, notre histoire familiale mais aussi via nos autofictions : ma vision personnelle me renvoie-t-elle l’idée que je suis en adéquation avec ma vérité intime et que celle-ci est saine ? A-t-elle raison ? Quels seraient les biais qui faussent ma pensée, que je voudrais libre ?
Le questionnement est lourd et implique un travail critique permanent. Pourquoi croire ce que nous pensons ? L’existence d’une pensée ne prouve pas son bien-fondé et ne doit pas systématiquement déboucher sur l’action. Il nous revient de lutter contre un moralisme qui condamnerait nos pensées indécentes ou inacceptables alors que nous ne les avons pas concrétisées (j’ai dit “woke” ? Comme c’est bizarre…), car c’est justement s’humaniser que de pouvoir examiner individuellement chaque discours tenu par “la majorité des gens”, chaque proposition idéologique ou chaque pensée personnelle comme un monde à part entière (qui a sa logique interne) et de choisir d’y adhérer ou non.
Même après avoir visionné le film d’Hitchcock (ou lu Psychose, le roman de Robert Bloch), je peux parfaitement vivre dans un motel lugubre où ma mère est morte, y héberger des blondes trentenaires, de préférence pendant les nuits d’orage, et envisager de les assassiner sous leur douche, au couteau de cuisine : si, contrairement à Norman Bates, je ne passe pas à l’acte, je suis plus humain d’avoir pleinement ressenti des idées monstrueuses et de ne pas les avoir concrétisées, grâce à l’exercice de ma Raison…
(Synopsis chapitre 04) LA LANGUE
où il est étudié combien la nature du langage utilisé pour dénoter les réalités de nos mondes individuels conditionne notre appropriation de ceux-ci
Pour chacun des trois niveaux de notre ego (la physiologie, la psychologie et les idées), quel est le langage le plus pertinent ? Comment l’identification du langage employé pour délibérer “dans ma tête” me permet-elle de dépister les éventuels dérapages (ex. quand je tiens un discours moral pour justifier un afflux hormonal…) ? Me permet-elle de débusquer ce qui me motive réellement dans mes décisions ?
(Synopsis chapitre 05) LES INFORMATIONS
où il est démontré que la quantité des informations disponibles n’est pas une fatalité et combien une sélection pertinente peut-être fondée sur des critères de satisfaction
“D’entre tous les faits qui caractérisent cette période passionnante et inquiétante, je retiens que les vingt premières années du XXIe siècle ont instauré une dérégulation massive d’un marché cognitif que l’on peut également appeler le marché des idées. Celle-ci se laisse appréhender, d’une part, par la masse cyclopéenne et inédite dans l’histoire de l’humanité des informations disponibles et, d’autre part, par le fait que chacun peut verser sa propre représentation du monde dans cet océan. Cette situation a affaibli le rôle des gate keepers traditionnels (journalistes, experts académiques… tout personne considérée comme légitime socialement à participer au débat public) qui exerçaient une fonction de régulation sur ce marché. Ce fait sociologique majeur a toutes sortes de conséquences mais la plus évidente est que l’on assiste à une concurrence généralisée de tous les modèles intellectuels (des plus frustes au plus sophistiqués) qui prétendent décrire le monde.” (Bronner, 2021).
Tout est dit ou presque : trop d’infos tue l’info et trop d’infos non validées noient l’esprit critique, qui ne sait où donner de la tête. La pratique d’une rigoureuse hygiène de l’information nous revient individuellement et elle porte tant sur la quantité que sur la qualité. Nos limites mentales sont bien réelles, qui nous empêcheraient de traiter avec justesse les phénomènes qui se présentent à nous : chacun de ces phénomènes est une pépite pour notre pensée, pour peu que les données qui le dénotent soient réduites à la portion congrue. On ne peut bien jongler avec toutes les balles de la Société du spectacle (et Guy Debord d’applaudir…).
(Synopsis chapitre 06) SAPERE AUDE vs. AMOR FATI
où la différence est faite entre modéliser et essentialiser, de même qu’entre chercher la conformité et vivre le vertige de l’expérience
Quand nous essayons d’évaluer si nous sommes à notre place dans notre vie, le piège est de plutôt vérifier si nous sommes conformes à des modèles préétablis, prétendument essentiels. Comment être conscient de notre tendance (utile par ailleurs) à modéliser le monde et à nous conformer à des représentations qui ne tombent peut-être pas juste avec notre réalité ? Comment, à l’inverse, nous tenir prêts et aimer ce qui nous arrive (ce que l’on appelle communément : la Vie) ? Devons-nous être existentialistes ? Comment être adapté a priori à l’expérience de notre existence réelle ? Amor fati…
(Synopsis chapitre 07) LE LIVRE DE LA JONGLE
où le modèle du Jongleur de mondes est expliqué en détail et son travail décliné en trois exercices salutaires
Le travail préconisé sert d’entraînement à une vie puissante et dynamique, une Grande Santé nietzschéenne. En élucidant nos motivations, en identifiant nos biais de pensée, nous pouvons nous approprier -aux trois niveaux de notre délibération (cerveau, psyché, idées)- une vision moins truquée de notre monde, des mondes de chacun de nos frères humains et veiller à nous construire un sentiment d’être à notre place, sans œillères. En d’autres termes : puissants, libres et… satisfaits !

Comme évoqué plus haut, au modèle camusien du Mythe de Sisyphe, on préférera la représentation du Jongleur de mondes de Grandville : à lui comme à nous, les exercices imposés sont au nombre de trois, hors desquels point de salut. D’où la pratique quotidienne des bons jongleurs que nous sommes :
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- EXERCICE n°1. Pour pouvoir jongler, le jongleur doit maintenir son équilibre personnel. Si, à Hercule, on a imposé le nettoyage des écuries d’Augias, il nous revient également chaque jour de nettoyer les scories de nos états nerveux, les biais qui déforment notre vision personnelle et les diktats qui prétendent nous précéder dans notre pensée. Rassurer notre cerveau sur notre pérennité, neutraliser nos affects trop aliénants, évoluer dans une vision du monde pertinente et apaisante : autant d’alignements qui nous rapprochent d’une existence menée à propos et qui nous rendent capables d’accepter avec satisfaction ce qui nous arrive. Notre équilibre est à ce prix.
- EXERCICE n°2. Pour jongler utilement, le jongleur doit sélectionner en permanence les mondes qu’il va faire tourner dans ses mains (c’est une question de quantité et de qualité : pourquoi penser médiocre ?), il doit les reformuler dans des termes qu’il peut appréhender et s’approprier chacune de leurs logiques internes comme des opportunités de pensée, pas comme des faits établis. Ce n’est rien d’autre que raison garder devant la complexité et le multiple. L’utilité de notre pensée est à ce prix.
- EXERCICE n°3. Enfin, pour trouver la satisfaction, le jongleur devra la goûter dans la jonglerie même, dans l’exercice pragmatique de son humanité plutôt que dans la conformité à un idéal, dans son expérience quotidienne plutôt que dans des aspirations sublimes, dans la pratique de sa puissance plutôt que dans la quête de la reconnaissance. La Joie de vivre est à ce prix.
Camus lève le doigt, au fond de la classe, près du radiateur : “Je l’avais bien dit : il faut imaginer Sisyphe heureux.“

01 – La satisfaction,
où il est établi que le sentiment d’être à sa place procède d’activités satisfaisantes plutôt que d’un état de bonheur ou de jouissance statique
1.1. Des écailles sur les yeux
Longtemps, je me suis douché de bonheur. Parfois, à peine mon plaisir éteint, mes yeux s’activaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : “Je suis heureux.” Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher un nouveau plaisir m’agitait ; je voulais quitter ce manque que je savais avoir toujours dans le cœur et vivre déjà mon demain ; je n’avais pas cessé, en ruminant, de me faire des réflexions sur ce que je pourrais vivre, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait mon envie : une piscine, une voiture rapide, la rivalité entre deux nations. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon agitation ; elle choquait ma raison et pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que ma vie n’était plus éclairée. Puis elle commençait à me devenir moins intelligible, comme, après la métempsycose, les pensées d’une existence antérieure ; aussi le sujet de mon envie se détachait-il de moi et j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une clarté, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, mais comme une chose vraiment vivante…
Qu’on ne s’y trompe pas : cette lecture est un pastiche fait-maison et ne constitue pas un incipit apocryphe de A la recherche du temps perdu ou un texte récemment exhumé que le divin Marcel aurait laissé sur des paperoles inédites. Reste que, le cas échéant, Proust s’y serait essayé à décrire un malaise que chacun d’entre nous connaît fort bien quand, tiraillé entre des envies débridées et le besoin d’apaisement, le cœur ne se sent pas vraiment… à sa place.
Être à sa place semble être l’aspiration fondamentale qui conditionne la Joie de vivre : ressentir dans son corps, dans sa psyché et dans sa vision du monde que les choses tombent juste apparaît comme une source de satisfaction et, qui plus est, diminue la souffrance de vivre.
La recherche active de cette adéquation entre notre vie intérieure et les phénomènes du monde extérieur serait-elle précisément ce que nous appelons le “sens de la Vie” ? Et, partant, la Vie serait-elle une activité plutôt qu’un état ?
Le problème est que, pour déterminer si nous sommes réellement à cette place (Montaigne dirait : pour déterminer si nous “vivons à propos“) et nous sentir légitimes là où nous sommes actifs (méfions-nous du Syndrome de l’imposteur), nous sommes “juges et parties” : “juge et partie” pour identifier cette place parmi tous les phénomènes qui constituent notre monde personnel ; tout comme “juge et partie” pour évaluer si nous y sommes effectivement, sincèrement (Spinoza parle de l’idée vraie que chacun peut en avoir : selon lui, hors de toute analyse intellectuelle, nous sommes capables de ressentir spontanément ce qui nous est “juste”).
Un certain Adam l’a appris à ses dépens : il était préoccupé par sa capacité à distinguer le bien du mal (en clair : distinguer a priori ce qui nous fait du bien de ce qui nous fait du tort) et, aveuglé par le désir impérieux de savoir, il a brûlé les étapes, estimant qu’il ne se sentirait “à sa place” qu’une fois cette sagesse atteinte (en clair, lorsqu’il serait le dieu, pas moins). Or, force est de constater que cette faculté d’être divinement sage n’est pas donnée a priori (au paradis, le maître des lieux lui a fait vertement savoir) : elle résulte d’un travail sur soi, un travail d’éclaircissement de ce que chacun peut percevoir du monde et de ses phénomènes. La capacité de voir clair et juste se construit “à la sueur de son front.“
Comment dès lors se débarrasser des œillères qui limitent notre vision, des “écailles sur les yeux” qui altèrent notre jugement, ces fictions collectives ou ces exaltations personnelles que nous comparons généreusement avec nos intuitions ? Et, partant, comment ne pas confondre notre monde individuel, ce mélange de nos vérités individuelles et d’injonctions collectives, avec la Vie même ?
Dans l’extrait proposé, le (faux) narrateur confesse d’entrée de jeu combien il s’est longtemps douché de bonheur mais que, à peine son plaisir éteint, ses yeux s’activaient si vite qu’il n’avait pas le temps de se dire “je suis heureux”. On dirait du Proust tellement c’est beau… et pertinent !
En effet, dans ce nouveau siècle, nous nageons tous ensemble dans un grand “spectacle” annoncé dès les années soixante du siècle dernier par Guy Debord :
C’est le principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société par des choses suprasensibles bien que sensibles, qui s’accomplit absolument dans le spectacle, où le mode sensible se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait reconnaître comme le sensible par excellence.
Guy Debord, La Société du Spectacle (thèse 36, 1967)
Le style de Debord est daté, soit, mais on ne peut que saluer la clairvoyance de sa prédiction (devenue le refrain de son mouvement “situationniste” alors que finissaient les “Trente glorieuses”, de 1946 à 1975) : La Société du spectacle annonce ce moment où la production économique a réussi à envahir tout l’espace social et à donner à chaque chose une dimension marchande. Elle impose ainsi à l’individu une existence illusoire (au milieu d’un Spectacle permanent, qui devient le cadre de référence de chacun) dont l’horizon se résume à celui de son rôle de consommateur. Nous y sommes : fini le prolétariat, bonjour le “consomtariat” décrit par Alexander Bard et Jan Söderqvist en 2008.
Exercice pratique : descendez à pied “en ville” et essayez d’atteindre votre librairie indépendante favorite sans lire un seul texte commercial parmi ceux qui croisent votre regard sur le trajet…
Dès lors, comment l’homme de la rue, au fil de ses “ruminations” (marcher est un mode de pensée efficace, on le sait ; marcher parmi les affiches publicitaires semble mener à des pensées bien moins exaltantes, procédant du “je ne suis pas à ma place puisque je désire tout cela et que je ne l’ai pas” ; d’où ruminations, c’est-à-dire ‘pensées à vide’… et avides), comment pourrait-il donc éviter de s’identifier avec les objets du Spectacle et de “se sentir lui-même ce dont parle son envie“. En clair, comment monsieur-tout-le-monde pourrait-il ne pas rêver de “se doucher de bonheur”, à la vue de tous ces corps d’hommes et de femmes divinisés par des logiciels de retouche, jusque dans les vitrines des plus obscures pharmacies ? Comment madame-tout-le-monde pourrait-elle renoncer à la profusion et l’abondance, quand les marques et les magasins les plus éthiques pratiquent un marketing aussi agressif que les pires vendeurs de voitures électriques ? Comment leurs ados-tout-le-monde, l’échine ployée en permanence vers une prothèse sociale de quelques pouces de diagonale, pourraient-ils revenir à la réalité des autres humains quand, sur leurs petits écrans, les vociférateurs d’influence les flattent et les gavent de solutions binaires à des problèmes existentiels pourtant si complexes ?
Anecdote : J’étais nu dans les douches d’un club de gym (donc, sans signe extérieur de mon éventuel métier), lorsque deux autres hommes en pleine discussion à mes côtés se sont interrompus et tournés vers moi, un des deux me demandant : “Qu’en pensez-vous, Docteur ?”. Je leur ai précisé que j’étais linguiste et que je ne connaissais la chose médicale qu’à travers mes traductions, ce qui a mis un terme à la scène. La même semaine, je me présente au comptoir de l’officine de ma pharmacienne qui était occupée dans son arrière-boutique. Après quelques minutes, je l’entends demander à son assistante qui me servait une commande de “ne pas oublier la ristourne du Docteur”. Et moi de préciser à nouveau qu’il y a méprise sur le métier. Et elle de venir à l’avant de sa boutique pour m’expliquer qu’elle me connaissait bien, qu’elle était désolée et qu’elle m’avait confondu avec un médecin qu’elle connaissait bien également… dans une série télévisée !
J’aurais donc pu (probablement) bénéficier d’un secret médical et (certainement) d’une bonne ristourne, simplement parce que mes interlocuteurs allaient chercher leurs références… dans le Spectacle.
Si un monde comme celui-là pouvait fonctionner, ça se saurait. Si vous et moi étions spontanément capables de toujours garder les pieds sur terre (de rester dans le sensible, dirait Debord ; dans l’à-propos, dirait Montaigne) face à cette permanente pluie d’images séduisantes (le supra-sensible qui se fait passer pour le sensible : le Spectacle), ça se saurait aussi. Si on se sentait, sans effort, à notre place dans un espace de vie où le commerce imbibe chacune de nos activités, où le cadre de nos références a coulissé vers le virtuel, la question ne se poserait pas de savoir comment faire pour mener une existence apaisée.
Peut-être, alors, qu’un effort est bel et bien nécessaire et que, comme le suggère le mythe d’Adam, nous devons travailler (sur nous) pour gagner en humanité et en quiétude, notre pain quotidien. C’est, on le verra, tout le propos de ce livre : quels sont les efforts utiles pour devenir plus humain parmi les humains et connaître la satisfaction de vivre ?
Exercice pratique : regardez un film américain récent et devinez quelles communautés raciales, sociales ou sexuelles sont représentées par souci du politiquement correct mais sans respecter la réalité historique…
Un premier effort tout simple pourrait déjà être d’entendre (ou de lire) des Anciens comme Épicure, un philosophe dont la mauvaise santé lui a fait connaître la juste mesure de la douleur et de la mort (douleur et mort, celles-là même que le Spectacle évite, que ce soit en les théâtralisant dans des “séries” ou en les masquant avec autant de cynisme que le nôtre, quand nous gommons nos anciens, parqués dans des maisons de retraite).
Au IVe siècle avant JC, Épicure écrit ses célèbres Lettres (dont la Lettre à Ménécée) où il décrit son quadruple remède pour bien vivre. Son tetra-pharmakon tient en quelques mots :
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- tu ne dois pas avoir peur des dieux (car ils ont autre chose à faire que de s’occuper de ta petite personne, explique-t-il) ;
- tu ne dois pas avoir peur de la mort (car, une fois mort, comment pourrais-tu savoir que tu es mort ?) ;
- tu ne dois pas avoir peur de la douleur (car la douleur anticipée est souvent plus aiguë que la douleur réellement ressentie) ;
- tu ne dois pas penser que le plaisir peut être infini (et ce sera par la mesure dans tes désirs que tu pourras les voir satisfaits).
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Qu’à notre époque, on ne doive plus craindre les dieux de l’Olympe semble une évidence. Pourtant, quand on traduit en termes contemporains ce que ces dieux pouvaient signifier au quotidien pour le Grec moyen, on réalise qu’il n’est pas si facile de s’affranchir des catéchismes moraux qui, aujourd’hui encore, peuvent influencer nos décisions de tous les jours.
Qu’elles soient héritées des dieux antiques, de leurs avatars contemporains ou énoncées par un quelconque Commandeur puritain, pointant d’un doigt vengeur les défauts de Don Giovanni, les “valeurs” de Platon (le vrai, le bien, le beau…) sont encore brandies comme les repères fondamentaux de nos comportements. Quand il ne s’agit pas de préceptes moraux plus intrusifs encore, dictés par les intégristes de tout poil qui confondent croyances individuelles et règles de vie sociale.
Nous nous efforcerons de montrer plus loin combien, acceptées comme telles, ces valeurs et ces préceptes sont une limitation de notre liberté de pensée même si, une fois éprouvées par l’expérience, elles s’avèrent également des fabulations collectives confortables, un discours utile, intéressant à passer au crible de notre sens critique.
Deuxième préoccupation du tétrapharmakon, la peur de la mort est un problème d’une autre trempe mais dont on a peut-être fait trop grand cas. C’est en tout cas la conviction du généticien et essayiste Axel Kahn, mort du cancer en 2021 [Source] :
Je suis d’une totale impavidité par rapport à la mort, elle m’indiffère totalement. Elle n’existe pas. Ce qui existe, c’est la vie qui s’interrompt. La mort en tant que telle, pour un agnostique comme moi, ce n’est pas plus que la fin de la vie. C’est un non-phénomène, un non-événement.
Pour Kahn, la mort, c’est simplement “le rideau qui tombe” : l’image est puissante quand chacun pense à sa propre mort. Elle est aussi apaisante : pourquoi se faire du tort en anticipant une sensation que l’on ne pourra pas ressentir. D’aucuns pourraient d’ailleurs suspecter, derrière cette peur de la mort, l’appel à un discours standardisé qui masquerait une autre vérité : la peur de ne pas avoir le temps de réaliser toute la grandeur sublime que chacun se promet d’atteindre… avant sa mort.
Il serait un peu bizarre de prôner “l’expérience d’abord” quand la question porte sur la mort. Mais c’est peut-être sur ce mur intérieur que l’on pourra accrocher un premier miroir et tester la liberté de notre pensée : “quand je joue avec l’idée de mort, est-ce que je pense à la mienne, à ma disparition effective, est-ce que j’en fais un réel objet de pensée ou est-ce que je promène (en geignant, peut-être) dans la galerie de portraits d’un musée qui serait dédié par d’autres au memento mori [traduction] ? Quelles sont les représentations de ma mort sur lesquelles je peux compter ?“
Quant à la douleur, le propos peut être identique, à la différence que l’expérience de la douleur est possible et que certains arrivent à la partager, fut-ce par leurs hurlements. Accouchements, tours de reins, arthrose, migraines, membres coupés, piqûres antiseptiques dans une plaie ouverte, tortures physiques ou gueule de bois : il y a plus de cinquante nuances dans les messages du type “tu as mal” que le cerveau peut nous envoyer. Épicure avait-il anticipé que ce même message de douleur était distinct du traumatisme qui le provoque ? Savait-il qu’il est alors possible d’intervenir pour les dissocier, comme c’est le cas dans les anesthésies par hypnose médicale ? On peut en douter, d’autant que son propos portait sur le mal qu’on se fait par anticipation de la douleur. Il la connaissait, cette douleur, et la tradition veut qu’il l’ait apprivoisée à force de la prendre comme elle venait, dans sa vérité nue et factuelle, non pas dans une anticipation angoissée de combien ça va faire mal ! (Souvenez-vous de la première prise de sang de votre enfant…)
L’anticipation est également sur le banc des accusés quand il s’agit de plaisirs. Le quatrième remède invite à ne pas fantasmer un plaisir qui ne s’éteindrait jamais, qui soit infini. Techniquement, il s’agit de ne pas anticiper la satisfaction d’un désir, en imaginant que ce même désir pourrait s’enfler indéfiniment et quand même trouver son apaisement.
Le comportement compulsif de Dom Juan illustre bien ceci. Quelles que soient les motivations politiques et sociales que lui prêtent les metteurs en scène de théâtre ou d’opéra, Dom Juan voit son désir allumé par le moindre jupon qui passe (il se dépeint d’ailleurs comme une victime de la sollicitation extérieure) et immédiatement assouvi par la seule conquête ; après quoi, il n’est d’autre possibilité que de conquérir à nouveau :
Quoi ? Tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire, par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, […] Mais lorsqu’on en est maître une fois, il n’y a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses…
Molière, Dom Juan ou le Festin de pierre (I, 2)
Or, il n’y a pas d’autres mondes qui permettraient d’autres conquêtes amoureuses ad libitum (ad nauseam ?). Si l’univers est infini, s’il existe au-delà de notre entendement, et si, par là même, il offre virtuellement au personnage de Tirso de Molina (qui a inspiré Molière) un terrain de chasse à la mesure de sa démesure, l’homme Dom Juan ne peut qu’imaginer un carnet de bal sans fin : il ne pourra jamais expérimenter toutes les amours qu’il se promet (mille corps et mille cœurs n’y suffiraient pas !). Quel que soit l’élégant discours par lequel ce Grand Frigide justifie que la chasse reste ouverte (pour lui, du moins), c’est avec sa finitude qu’il doit apprendre à composer.
Face à sa tirade triomphante, il ne s’agit pas de brandir une quelconque justification morale (homme ou femme, chasse qui veut) mais plutôt de dénoncer un dispositif intime que nous ne connaissons que trop bien, lorsque, à peine notre désir éteint, nos yeux s’activent si vite que nous n’avons pas le temps de nous dire : “je suis heureux.”
Contre cette course en avant, Épicure prône la mesure en toutes choses, plus précisément, il invite à investir dans un désir (en d’autres termes, à consacrer de l’énergie à son assouvissement) uniquement si la promesse de satisfaction de ce même désir est raisonnable. Des siècles plus tard, Paul Diel reprendra la même proposition, nous le verrons.
Exercice pratique : regardez votre gsm dans le blanc des yeux et posez-vous sincèrement la question de savoir si vous serez plus heureux avec le nouveau modèle proposé sur l’affiche de 20 m², là, devant vous…
Que retenir de cette saine promenade apéritive ? Proust, Montaigne, Spinoza, Debord, Bard & Söderqvist, Épicure, Molière, Axel Kahn : les rencontres ont été nombreuses avec des penseurs qui ont, bien avant nous, exploré le terrain miné du bonheur, dont on dira désormais qu’il doit céder la place à un objectif plus crédible, car plus à notre portée : la satisfaction.
C’est bien vite dit ! Nous vivons en effet dans un monde dont la complexité dépasse notre entendement : s’y additionnent nos légendes personnelles, nos sensations et les discours ambiants, ceux qui expliquent comme ceux qui nous aveuglent. Même nus, isolés au milieu d’une clairière, sans connexion à l’Internet, sans poste radio et sans voisins qui écoutent très fort le Journal parlé sur leur télévision, nous ne pouvons exiger de notre pauvre entendement qu’il conçoive la totalité de ce qui est (l’Être des philosophes). Trop de diversités, trop d’ambiguïtés, trop d’exceptions (à première vue), trop de beaucoup, trop de multiple : nos facultés conceptuelles sont limitées.
Qui plus est : notre savoir, fût-il assez encyclopédique (ce qui est toujours bien utile), notre capacité à connaître est a priori limitée aux faits que nous pouvons appréhender par nos sens (cfr. 2.1. Les cerveaux). Ces phénomènes constituent notre monde effectif. Nous l’explorerons plus loin : notre belle humanité est manifestement constituée d’une chaîne de mondes individuels qui n’épuise pas la totalité de l’Être.
Ceci expliquant cela, voilà peut-être pourquoi nous sommes devenus L’Espèce fabulatrice dont parle Nancy Huston (et que Ernst Cassirer a exploré plus scientifiquement) : faute de pouvoir tout penser, nous fabulons des légendes et des explications (entre autres, scientifiques) qui sont autant de précipités de l’Univers où nous vivons et dont les lois nous régissent. C’est à ce prix que nous arrivons à rassembler suffisamment de “réalités” pour orienter nos actions au quotidien, pour nous expliquer à nous-mêmes notre comportement et, quelquefois, le justifier (ce qui n’est pas la même chose). Et pourtant, reste le doute…
Même avec ces représentations partielles – que nous devons conjuguer avec nos fictions personnelles et mâtiner de nos sursauts hormonaux – nous arrivons encore à nous tromper et nous constatons autour de nous l’existence de faits destructeurs que certains regroupent sous l’appellation contrôlée “le mal” ; nous arrivons encore à poser des actes dont nous sentons qu’ils ne sont pas “justes”, qu’ils ne nous satisfont pas (nous qui voudrions être sublimes et ne pas fauter). Et, autour de nous, nous voyons combien la vexation et la colère nourrissent une violence qui nous éloigne l’un de l’autre (nous qui voudrions un monde harmonieux et des voisins sympas).
Constater que les autres (l’Enfer de Sartre) ont également des “écailles sur les yeux” constitue une bien maigre consolation quand on réalise combien notre propre délibération intérieure reste biaisée et combien notre pensée reste captive de modèles dont nous n’osons pas douter. C’est justement l’objet de ce livre de passer en revue, d’une part, les différentes batteries “d’écailles” qui nous aliènent le regard et, d’autre part, les propositions que certains penseurs ont avancées pour nous aider à faire de chacune de nos pensées un… objet de pensée.
1.2. Le chant des sirènes
Dans mon île
Ah comme on est bien
Dans mon île
On n’fait jamais rienOn se dore au soleil qui nous caresse
Et l’on paresse sans songer à demainDans mon île
Ah comme il fait doux
Bien tranquille
Près de ma doudouSous les grands cocotiers qui se balancent
En silence, nous rêvons de nousDans mon île
Un parfum d’amour
Se faufile
Dès la fin du jourElle accourt me tendant ses bras dociles
Douce et fragile dans ses plus beaux atoursSes yeux brillent
Et ses cheveux bruns
S’éparpillent
Sur le sable finEt nous jouons au jeu d’Adam et Ève
Jeu facile
Qu’ils nous ont apprisCar mon île c’est le paradis
Est-il utopie plus partagée, fantasme plus souvent évoqué ou idée qui ait rencontré plus de succès que le concept de Paradis perdu ?
Là où Baudelaire a “vécu dans les voluptés calmes, / Au milieu de l’azur, des vagues, des splendeurs / Et des esclaves nus, tout imprégnés d’odeurs, / Qui me rafraîchissaient le front avec des palmes, / Et dont l’unique soin était d’approfondir / Le secret douloureux qui me faisait languir” (Les fleurs du mal, 1857).
Là où, selon Milton, “loin de ces fleuves, un lent et silencieux courant, le Léthé, fleuve d’oubli, déroule son labyrinthe humide. Qui boit de son eau oublie sur−le−champ son premier état et son existence, oublie à la fois la joie et la douleur, le plaisir et la peine” (Le Paradis perdu, 1667).
Là où, selon le mythe biblique, l’homme pouvait “manger tous les fruits du jardin” et où “L’homme et sa femme étaient tous les deux nus, et ils n’en avaient pas honte” mais où le dieu dictait clairement notre humaine condition : “tu ne mangeras pas le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en mangeras, tu mourras, c’est certain” (Genèse, 2, 16-25).
Là où, selon Henri Salvador, “On n’fait jamais rien / On se dore au soleil qui nous caresse / Et l’on paresse sans songer à demain…“
Quel est donc le fondement du succès universel du “Paradis perdu” ? Qu’est-ce qui caractérise ce territoire où la Vie est toujours conjuguée au présent seulement, auquel tant aspirent malgré le “secret douloureux” de Baudelaire et “l’oubli” dont parle l’aveugle Milton ? Pourquoi, au Paradis, cette menace du dieu immobile envers l’Homme premier qui agit ? Meurt-il physiquement, ce premier penseur, ou perd-il simplement son badge d’accès au Paradis ? Et pourquoi, dans la droite ligne de la Chute, cette condamnation à “gagner son pain à la sueur de son front“, condamnation grâce à laquelle naît… l’Humanité ?
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1.3. Les loyautés tordues
Comme nous sommes compliqués, ou plutôt, non, comme nous sommes simples une fois les multiples accidents de notre quotidien passés au crible de modèles de base comme la Loi d’harmonie de Paul Diel ou le Mythe d’Icare. Ceci, en n’oubliant pas que ces modèles n’ont de “loi” que le nom : ils ne sont que des opportunités de former notre pensée, au même titre qu’un vélo d’appartement nous permet de faire des exercices de cardio…
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[moi sublime, icare et prométhée, dévoiement de la loi d’harmonie, vanité et loyauté, fausse motivation – La satisfaction – La “Corderie Malaise”… alla Simenon – aliénation – assainir l’introspection morbide – ne pas croire tout ce que l’on pense, c’est une chose, mais peut-on penser contre-nature ? oui, les représentations des phénomènes peuvent être faussées… | “Le bonheur ne s’obtient pas par la poursuite consciente du bonheur ; il est généralement le sous-produit d’autres activités. Ce “paradoxe hédoniste” peut être généralisé pour s’étendre à notre vie entière dans le temps.” in Les portes de la perception de Aldous Huxley | la raison est d’abord une punition > adam | la raison est une impuissance > lao-tseu | idem avec les autres salopards, pourquoi salopards ? parce que questionné le dogme et réussi à offrir/proposer un autre cheminement… | Malgré la promesse de soulagement, l’aliénation est une contraction, un resserrement, une crispation aveuglante qui empêche la Vie d’apporter la régulation et le souffle qui rendent la souffrance supportable. | Donc, si l’on suit Paul Diel dans son travail sur la motivation, l’insatisfaction serait le parfum pas toujours subtil qui nous permet d’entrevoir que l’image que nous avons de nous-mêmes ne correspond pas à notre activité effective. Cet écart, il le baptise “la vanité”, dans le sens de “ce qui est vain” : le pauvre homme était viennois (ce qui est peu original quand on fait de la psychologie des profondeurs) et c’est avec une rigueur toute germanique qu’il est passé de “vain” (équivalent de “chimérique”, “illusoire”) à “vanité” pour désigner la qualité de ce qui est vain, oubliant en cela l’usage plus fréquent de “vanité”, mot assimilé à “orgueil”. Nous aurions préféré “aliénation”.]

02 – Le corps et l’esprit
où il est proposé d’identifier le.s cerveau.x comme acteur.s à part entière de notre délibération intérieure, sans désespérer de notre libre-arbitre
2.1. Le cheval qui se rêve en jockey
Je suis tombée par hasard sur un merveilleux livre de Marius von Senden, intitulé Espace et Vision [1960]. Quand les chirurgiens occidentaux découvrirent comment opérer la cataracte sans danger, ils parcoururent l’Europe et l’Amérique, opérant des douzaines d’hommes et de femmes de tous âges que la cataracte avait rendus aveugles depuis leur naissance. Von Senden rassembla les comptes rendus de semblables interventions ; les récits en sont fascinants. Beaucoup de médecins avaient analysé la perception sensorielle et la perception de l’espace qu’avaient leurs patients avant et après l’opération. De l’avis de von Senden, la grande majorité des malades des deux sexes, sans distinction d’âge, n’avaient pas la moindre idée de l’espace. Formes, distances, dimensions, étaient autant de syllabes dépourvues de contenu. Tel patient “n’avait aucune idée de la profondeur, confondant cette notion avec celle de rotondité.” Avant son opération, un médecin donnait à tel autre patient un cube et une sphère ; ce dernier touchait chacun des objets avec sa langue, ou en suivait les contours avec ses doigts, et le nommait correctement. Après l’opération, le médecin montrait les mêmes objets, sans laisser le patient les toucher ; il n’avait plus alors la moindre idée de ce qu’il voyait. Un autre malade nommait la limonade “carré” parce que ça lui piquait la langue comme une forme carrée lui piquait les doigts lorsqu’il la touchait. D’une autre patiente, à la suite de l’opération, le médecin écrit : “Je n’ai trouvé chez elle aucun sens des dimensions, par exemple, pas même dans les limites étroites de ce dont elle aurait pu faire le tour grâce au sens du toucher. Ainsi, lorsque je lui demandai : “Montre-moi, elle est grosse comme quoi, ta maman ?”, loin d’écarter les bras, elle se contenta de placer ses deux index à quelques centimètres l’un de l’autre.” D’autres médecins rapportèrent les déclarations des patients eux-mêmes, à propos d’effets similaires. “Parlant de la pièce dans laquelle il se trouvait… il savait que ce n’était qu’une partie de la maison ; cependant, il était incapable de concevoir que la maison tout entière pût paraître plus grande” ; “Les aveugles de naissance n’ont aucune réelle notion de la hauteur ou de la distance. Une maison située à un kilomètre d’ici est considérée comme toute proche, mais requérant pour s’y rendre un grand nombre de pas… L’ascenseur qui le monte ou le descend à toute vitesse ne lui donne pas plus le sens de la distance verticale que le train ne lui donne la notion de la distance horizontale.”
Pour celui qui vient d’acquérir le sens de la vue, la vision est une pure sensation qui ne s’encombre pas de signification. “La jeune fille passa par cette expérience que nous vivons tous pour l’oublier aussitôt, celle du moment de notre naissance. Elle voyait, certes, mais cela ne signifiait pas plus, pour elle, qu’une grande quantité de taches lumineuses de qualités différentes.” Et ceci encore : “Je demandai au patient ce qu’il distinguait ; il me répondit qu’il voyait un vaste champ lumineux où tout lui paraissait terne, confus et mouvant. Il ne parvenait pas à distinguer des objets.” Tel autre malade ne voyait “qu’une confusion de formes et de couleurs.” “Lorsqu’une jeune fille qui venait de recouvrer la vue regarda pour la première fois des photographies et des tableaux, elle demanda : “Pourquoi mettent-ils toutes ces marques sombres, partout ? – Il ne s’agit pas de marques sombres” , lui expliqua sa mère, “ce sont les ombres. C’est en partie grâce à elles que l’œil sait que les choses ont une forme. S’il n’y avait pas d’ombres, beaucoup de choses auraient l’air d’être plates”. “C’est bien ça, c’est bien comme ça que je vois les choses”, répondit Joan. “Tout a l’air plat avec des taches sombres”.”
Mais le plus révélateur, c’est certainement la conception de l’espace qu’ont les patients. Celui-ci, à en croire son médecin, “exerçait son sens de la vue de bien étrange façon ; ainsi, il retire l’une de ses bottes, la lance assez loin devant lui, puis tente de jauger la distance à laquelle elle se trouve ; il fait quelques pas vers la botte et essaie de la saisir; s’apercevant qu’il n’arrive pas à l’atteindre, il avance d’un ou deux pas et tâtonne dans sa direction jusqu’à ce qu’enfin il l’attrape.” “Mais même à ce stade, après avoir fait l’expérience de la vue pendant trois semaines, poursuit von Senden, l’espace, tel qu’il le conçoit, se limite à son espace visuel, c’est-à-dire aux taches colorées qui se trouvent borner sa vision. Il n’a pas encore la notion qu’un objet plus grand (une chaise) peut en masquer un autre plus petit (un chien), ou que ce dernier peut très bien être encore là, alors qu’on ne peut pas le voir directement.”
En général, ceux qui viennent d’acquérir le sens de la vue voient le monde comme un éblouissement de taches colorées. La sensation des couleurs leur procure du plaisir, et ils apprennent très vite à les nommer, mais tout ce que voir exige en plus est d’un accès difficile et source de bien des tourments. Peu de temps après son opération, le patient se heurte en général à l’une de ces taches de couleur et constate qu’elles sont solides, puisqu’elles offrent une résistance, comme les objets qu’il peut toucher. Lorsqu’il se déplace, il est également frappé – ou susceptible de l’être, s’il y prête attention – par le fait qu’il doit continuellement passer entre les couleurs qu’il perçoit, qu’il lui est tout à fait possible de dépasser un objet visuel, et qu’une partie de cet objet disparaît alors progressivement de sa vue ; et qu’en dépit de cela, il a beau faire des tours et des détours – entrer dans la pièce par la porte, par exemple, ou bien revenir vers cette porte – il a toujours en face de lui un espace visuel. Ainsi, il en vient progressivement à réaliser qu’il existe aussi un espace derrière lui, espace qu’il ne peut pas voir.”
L’effort mental qu’impliquent de tels raisonnements se révèle accablant pour certains patients. Ils se sentent oppressés lorsqu’ils réalisent, si toutefois ils y parviennent, la prodigieuse dimension d’un monde qu’ils avaient jusque-là imaginé, de façon touchante, comme quelque chose de facile à maîtriser. Ils se sentent oppressés à l’idée qu’ils n’ont pas cessé d’être visibles pour les autres, et ce de manière peut-être peu séduisante, à leur insu, et sans leur consentement. Un nombre consternant d’entre eux refusent de faire usage de leur vision retrouvée et continuent de passer la langue sur les objets, tombant dans l’apathie et le désespoir. “Cet enfant est capable de voir, mais ne veut pas faire usage de ses yeux. Il faut insister, pour l’amener avec beaucoup de mal à regarder les objets de son environnement ; mais au-delà d’une trentaine de centimètres, c’est peine perdue que de le pousser à l’effort nécessaire.” Au sujet d’une jeune femme de vingt et un ans, le médecin raconte : “Le malheureux père qui avait conçu tant d’espoir de cette opération, écrivait que sa fille ferme soigneusement les yeux, chaque fois qu’elle désire se déplacer dans la maison, particulièrement quand elle arrive à un escalier, et qu’elle n’est jamais aussi heureuse et paisible que lorsque, abaissant les paupières, elle retombe dans son état antérieur de cécité absolue. Un garçon de quinze ans qui se trouvait également être amoureux d’une jeune fille de l’institution pour aveugles, finit par vendre la mèche : “Non, ah ça non, je ne peux plus supporter ça ; je veux qu’on me ramène à l’institution. Si les choses ne changent pas, je m’arrache les yeux.”
Certains apprennent effectivement à voir, les plus jeunes en particulier. Mais c’est toute leur vie qui est changée. Un médecin commente “la perte rapide et complète de cette merveilleuse et surprenante sérénité qui caractérise ceux qui n’ont encore jamais vu.” Un aveugle qui apprend à voir est saisi de honte en songeant à ses anciennes habitudes. Il s’habille bien, soigne sa personne, et essaie de faire bonne impression. Lorsqu’il était aveugle, il était indifférent aux objets, sauf s’ils étaient comestibles ; dorénavant, “s’opère un filtrage des valeurs… ses pensées et ses désirs se trouvent fortement sollicités, ce qui a pour conséquence qu’un petit nombre de patients cèdent à la dissimulation, à l’envie, deviennent voleurs, tricheurs.”
En revanche, de nombreuses personnes qui viennent de recouvrer la vue parlent du monde en termes positifs, et nous apprennent combien notre propre vision est terne. Pour tel patient, une main humaine, qu’il ne sait pas reconnaître pour ce qu’elle est, devient quelque chose de brillant avec des trous. Un jeune garçon à qui l’on montre une grappe de raisin, s’exclame, “C’est noir, c’est bleu, et ça brille… Ça n’est pas lisse, il y a des bosses et des creux.” Une petite fille visite un jardin. “Elle est extrêmement étonnée, et l’on a bien du mal à la persuader de répondre ; elle s’arrête, muette, devant l’arbre, et ne peut le nommer qu’après l’avoir tenu avec ses mains, et ce qu’elle dit, c’est “l’arbre avec toutes les lumières dedans”.” Certains sont ravis de ce sens qu’ils viennent d’acquérir et s’abandonnent à l’univers visuel. À propos d’une patiente, juste après qu’on lui eut retiré ses pansements, son médecin écrit : “La première chose qui ait attiré son attention, ce sont ses propres mains ; elle les a regardées très attentivement, les a fait aller et venir à plusieurs reprises devant ses yeux, puis elle a replié et allongé ses doigts, et elle a paru tout à fait étonnée du spectacle.” Une jeune fille brûlait de dire à son amie aveugle que “les hommes ne ressemblent vraiment pas du tout à des arbres”, et elle n’en revenait pas de découvrir que chacune des personnes qui lui rendait visite avait un visage absolument différent des autres. Enfin, une jeune femme de vingt-deux ans fut éblouie de découvrir le monde aussi brillant, et elle garda les yeux fermés pendant deux semaines. Lorsqu’au bout de ce temps-là elle les ouvrit de nouveau, elle ne reconnut aucun objet, mais dès lors, plus elle promenait son regard sur tout ce qui l’entourait, plus on lisait sur ses traits cette expression de satisfaction et d’étonnement qui envahissait son visage ; elle ne cessait de s’exclamer: “Oh, mon Dieu ! Quelle beauté !”
Annie Dillard, Pèlerinage à Tinker Creek (1974)
Fascinant. Fascinant et vertigineux. L’étude des handicaps et des traumatismes, dans un premier temps, puis les neurosciences aujourd’hui bousculent notre vision de nous-même et déjà le sol se dérobe sous nos pieds dès que se pose la question du libre-arbitre. Mais que se passe-t-il donc ?
Depuis des siècles, nous participons d’une culture de la vitrine : notre pensée est organisée au départ des objets conceptuels que nos prédécesseurs ont identifiés, désignés, classés et rangés sur des petits socles individuels qui portent leur nom, dans les grandes vitrines de nos civilisations occidentales. Imaginez la visite : le buste de Platon, la bibliothèque de Montaigne, la croix de Jésus, la loupe de Spinoza, la moustache hitlérienne de Heidegger, le bistrot de Sartre et de Beauvoir, le foie de Prométhée, le ballon de foot de Paul Diel ou la carcasse de la voiture de Camus et, sur les murs, de grands dioramas expliquant le protestantisme, le kantisme, le freudisme, le néo-freudisme, le post-freudisme, la relativité générale, la psychologie de la motivation ou la résilience…
Chaque génération s’est fait un plaisir de réformer la muséographie de ces vitrines de références et, selon les modes et les écoles, a enterré dans les réserves certains des objets qui fondaient les délibérations de la génération précédente, a braqué l’éclairage sur d’autres et n’a pas manqué de déterrer des objets anciens (ou exotiques) qui ont trouvé place au centre de la vitrine, entraînant chaque fois de multiples changements de cartels et d’étiquettes. C’est ainsi que tel philosophe peut se réclamer de Platon, d’Aristote, ou s’insurger contre Descartes, clamer son respect pour Gassendi ou honnir Nietzsche. Pascal avait Montaigne en horreur et le faisait bien savoir. On peut difficilement lire le Mythe de Sisyphe sans faire un lien entre le même Nietzsche et Camus. Et ce genre de volonté compulsive de créer une généalogie intellectuelle atteint des sommets de drôlerie quand le psychologue qui vous reçoit pour la première fois vous précise avant toute chose qu’il n’est “pas freudien mais jungien”, avec le même empressement que s’il devait vous confirmer qu’il n’avait pas de morpions !
Revisiter le discours des penseurs qui nous ont précédés (de nos parents ?) n’est en soi pas un crime, quand il ne s’agit pas de justifier par la généalogie une nouvelle vérité qui aura l’arrogance de se vouloir définitive (jusqu’à la suivante). Bien au contraire, aborder le discours structuré d’un autre penseur (nous sommes tous des penseurs !) est la meilleure alternative à l’expérience directe, à condition de faire de chacun de ces discours explorés un objet de pensée.
Quel que soit le propos qui y est tenu, l’oeuvre étudiée sera enrichissante, non pas par son contenu intrinsèque, mais par l’expérience de pensée qu’elle aura suscité chez nous. C’est ainsi que, par exemple, à rebours des puritanismes imbéciles qui alourdissent notre époque (toutes les époques), chacun devrait pouvoir lire un ouvrage à la gloire du nazisme pour ressentir, par expérience de pensée, le dégoût naturel de l’Honnête Homme face à une doctrine nauséabonde. Par l’exercice de sa pensée, le lecteur sait alors qu’il n’adhère pas au nazisme, non par conformisme, parce que c’est interdit par la morale ou simplement malvenu dans son milieu, mais par expérience sincère de pensée. C’est bien cela que Camus appelle de ses vœux, dans sa défense de l’homme qui sait :
On ne mérite nullement un privilège sur terre et dans le ciel lorsqu’on a mené sa chère petite douceur de mouton jusqu’à la perfection : on n’en continue pas moins à être au meilleur des cas un cher petit mouton ridicule avec des cornes et rien de plus – en admettant même que l’on ne crève pas de vanité et que l’on ne provoque pas de scandale par ses attitudes de juges.
Camus, Le Mythe de Sisyphe
C’est bien aussi comme cela que Nietzsche concevait que le surhomme (c’est-à-dire chacun d’entre nous, avec un surcroît d’âme, nous y reviendrons), que le surhomme donc évoluait Par-delà le Bien et le Mal : non pas par conformisme bovin mais par la réelle appropriation de ce qui est juste au regard de la Vie.
La censure est un sport médiéval…
Fin de la parenthèse. L’énergie de nos théoriciens et de leurs épigones se consumait donc en grande partie dans l’identification et la désignation des choses qui étaient, des concepts, des idées manipulées comme des objets (a) stables et (b) distincts les uns des autres : l’âme, la conscience, l’Être, le Néant, Dieu, les dieux, la faute, le libre-arbitre, le Bien, le Mal, le Beau, le Vrai, le Juste… et une kyrielle d’autres concepts que des générations de théoriciens et de penseurs se sont jetés à la tête, comme des tomates avariées après un mauvais concert.
Et les neuroscientifiques de s’esbaudir et de réagir dans des termes qui pourraient se traduire par “il y a peu de chance que vous croisiez une idée au détour d’un chemin ou que vous perdiez quelques grammes lorsque une âme quitte votre corps : ces choses dont vous parlez ne sont pas des objets mais des fonctions, des activités dont la conscience que vous en avez est générée conjointement par différentes zones de vos cerveaux.“
La journaliste scientifique Annaka Harris, dans son livre Une brève introduction à la conscience (2021), en donne un exemple parlant :
Lorsque nous parlons de conscience, nous faisons généralement référence à un moi qui est le sujet de tout ce que nous vivons – tout ce dont nous sommes conscients semble arriver à ou autour de ce moi. Nous vivons une expérience qui nous paraît unifiée, nous avons l’impression que les événements se déroulent devant nous de façon intégrée. Cependant, […] ceci est en partie dû aux processus d’intégration qui créent l’illusion d’une synchronisation parfaite entre les manifestations physiques et l’expérience consciente que nous en faisons dans le moment présent. L’intégration participe également à solidifier dans le temps et l’espace d’autres percepts, comme la couleur, la forme ou la texture d’un objet ; tous sont traités par le cerveau séparément puis fusionnés avant d’arriver dans notre conscience comme un tout. Les processus d’intégration peuvent néanmoins être interrompus sous l’effet de maladies neurologiques ou de blessures. La personne souffrante se retrouve alors dans un monde déroutant où les perceptions visuelles et sonores ne sont plus synchronisées (agnosie disjonctive), ou dans un monde où seules les parties d’objets familiers sont perceptibles, et non plus les objets en tant que tels (agnosie visuelle).
Imaginez ce que serait votre expérience en l’absence d’intégration – si, en jouant du piano par exemple, vous voyiez d’abord votre doigt frapper le clavier, avant d’entendre la note et de finalement sentir la touche s’enfoncer. Imaginez encore que le processus d’intégration soit altéré et que vous vous mettiez à courir avant d’entendre les aboiements d’un chien féroce. En l’absence d’intégration, vous pourriez même ne pas du tout vous percevoir comme un individu.
Votre conscience ressemblerait davantage à un flux d’expériences en un point donné de l’espace, ce qui serait bien plus proche de la vérité. Est-il possible d’être simplement conscient d’événements, d’actions, de sentiments, de pensées et de sons nous parvenant dans un flux de conscience ?
Une telle expérience n’est pas inhabituelle dans la pratique de la méditation et de nombreuses personnes, dont je fais partie, peuvent en témoigner. Le moi que nous semblons habiter la plupart du temps (si ce n’est tout le temps), c’est-à-dire un centre localisé, stable et solide de la conscience, est une illusion qui peut être court-circuitée sans modifier de quelque autre façon que ce soit l’expérience que nous faisons du monde.
Convenons que désormais la locution ‘notre cerveau’ dénote l’ensemble des ‘cerveau.x’ que contient notre corps. Notre cerveau traite donc séparément les dossiers (a) Je touche le clavier (toucher), (b) J’ai lu la note (vue) et (c) J’entends le piano (ouïe) : les trois phénomènes sont entrés dans mon organisme par des couloirs différents et ont été traités par des guichets distincts. Parallèlement, différentes zones dudit cerveau ont activé conjointement la fonction Je suis conscient de mon expérience musicale et me donnent l’impression d’avoir exécuté un acte ‘historique’ (non pas d’importance historique mais historique parce qu’il fait partie de l’histoire de ma vie et qu’il sera désormais le souvenir d’une expérience vécue).
La conclusion serait alors que ma conscience n’est qu’un artefact généré par mon cerveau, une fonctionnalité de mon organisme qui vise à ce que je me conçoive comme un individu distinct et, partant, à ce que je mette en oeuvre les stratégies qui permettront ma survie. N’oublions pas que ma pérennité est la mission première de ce cerveau qui est le mien.
Les temps changent. A la vision ancienne (et statique) de notre conscience individuelle, une instance libre d’arbitrer entre les différents bibelots théoriques disposés dans la vitrine évoquée plus haut, se substituerait la vision dynamique du ‘cheval qui court en rêvant qu’il a un jockey‘. Dans cette métaphore, notre organisme est notre vrai “je”, seul habilité à percevoir les phénomènes extérieurs (et intérieurs, via l’intéroception) et à provoquer nos réponses à ceux-ci. C’est le cheval qui court. Formidablement, ce cheval se crée l’illusion d’avoir un jockey sur le dos (notre vrai “moi”), qui le driverait à coups d’étrier… fantômes, puisque de vrai jockey il n’y a point ! Notre conscience (le jockey) est donc la créature du cheval et elle interagit avec lui. Faute d’exister physiquement, elle serait donc une simple fonctionnalité du corps.
Dès lors, si nous suivons les chercheurs en neurosciences, nous ne parlerons plus de la conscience comme d’un objet distinct (exit Jiminy Cricket !) mais bien de la ‘fonction conscience‘ : s’il n’est pas possible de lui attribuer une existence physique (un chirurgien ne pourrait pas “extraire” la conscience de nos viscères), les zones du cerveau qui la génèrent sont en passe d’être pleinement identifiées. Un peu comme la faim, dont pourtant personne ne pense à faire un objet physique : la fonction ‘j’ai faim‘ s’active quand nous avons l’estomac vide, au travers d’un signal physiologique généré par certaines zones cervicales et qui invite notre organisme à ouvrir la porte du frigo.
Pour filer la métaphore jusqu’au bout, il reste des questions : qu’est-ce qui anime ce cheval ? Comment connaît-il la bonne direction, quand il court hors de l’hippodrome ? Voilà en fait deux questions qui appellent une seule et même réponse : l’âme.
“Quoi ! je viens de lire plus de cinquante pages de ce bouquin pour que l’auteur me resserve un vieux machin, avec des relents spiritualistes, tout droit sorti des vitrines qu’il venait d’enterrer pour de bon ? C’est quoi ce gourou ?” Et le lecteur impatient de refermer cet ouvrage… un peu trop tôt.
Voyez : cela fait des siècles, voire des millénaires, que les penseurs utilisent le concept-fétiche ‘âme’ pour représenter la dimension essentielle de chaque individu, ce qui apparaît avec lui, le conseille tout au long de sa vie et disparaît (ou non) à son dernier souffle ; ce qui est unique en lui, sera stocké à sa mort dans les placards d’un Purgatoire intermédiaire et, toujours aux dires de certains croyants, permettra de le dénombrer lors du Jugement dernier, de lui rendre son enveloppe charnelle, afin de la réjouir ou de la rôtir éternellement. Les non-croyants qui ont tourné le dos à l’éternité, pour hilares qu’ils soient devant la scène grandiose du dernier jour avant toujours lorsque celle-ci est prise littéralement, les mécréants donc, restent assez gênés aux entournures lorsqu’il s’agit de désigner ce qui anime l’homme et la femme dans leur expérience de la vie.
Peut-être s’agit-il simplement de réinterpréter le bibelot ‘âme’ de la vitrine traditionnelle, en lui appliquant le même traitement que celui qu’induisent les conclusions des neuroscientifiques : l’âme n’est pas un objet distinct mais un fonctionnement, mieux encore, une pulsion.
Nos ancêtres se sont si longtemps efforcés de trouver un concept qui couvre, d’une part, ce besoin universel d’adhésion à la Vie, cet appel vers la Grande Santé, cette présence du dieu en nous, et, d’autre part, la multiplicité des manières dont chacun le traduisait dans ses actes. Quoi de plus évident alors que de parler d’âme ? L’âme peut être bonne, damnée, pure, sœur, en peine ou chevillée au corps. Si elle est un objet, elle peut monter au Ciel, sombrer en Enfer, être vendue au Diable, avoir la mort en elle ou être fendue… et, qui plus est, elle peut peser 21 grammes. Les Anciens ont sauté sur l’aubaine : l’âme serait un objet interne à l’humain, recelant la conscience intime de l’ordre des choses (appelé Dieu, Nature ou Vie) et dont les autres êtres vivants seraient dépourvus.
Une fois le choix du terme fait, il n’est pas anodin. Souvenez-vous : si la légende du second concile de Macon (VIe) a eu la vie dure à travers les siècles (concile pendant lequel la question de l’âme des femmes aurait été débattue : “les femmes ont-elles une âme ?”), la controverse de Valladolid (XVIe) posait dix siècles plus tard la même question à propos des Indiens. L’âme : en avoir ou non ? La créer individuellement ou l’hériter d’une instance supérieure ? La voir disparaître avec nous ou la sentir monter vers les cieux à notre mort ? La sentir dans notre cœur ou l’identifier avec un petit génie privé, un dibbuk ou un cricket en haut-de-forme ? Les enjeux sont multiples et ont vite fait l’objet de débats souvent houleux qui ont occupé théologiens et philosophes, d’Aristote aux penseurs d’aujourd’hui, en passant par les ‘refourbisseurs d’âmes’, dont les ouvrages sont alignés dans le rayon “Développement personnel” de votre librairie indépendante.
Ce n’est pas fuir ces problématiques que de revisiter un concept familier, l’âme, et lui donner une nouvelle attribution qui se veut éclairante et permet de mieux comprendre la confusion dans laquelle nos ancêtres se sont empêtrés et où ils se sont perdus en pirouettes intellectuelles ou théologiques.
Posons que l’âme est la fonction qui évalue en continu la qualité du lien intime entre moi et la Vie, en d’autres termes : ce qui évalue si je suis à ma place (vous souvenez du titre du bouquin ?). Ce lien est-il droit et sans tension, je me sens à ma place, satisfait, et je ne dois pas agir. Ce lien est-il distendu, tordu ou de travers, je ressens de l’insatisfaction et je dois réagir (le ‘comment’ n’est pas fourni avec cette fonction, qui se réduit à une alerte vitale en cas de disharmonie, le ‘pourquoi il faut agir’).
Cette proposition de définition est-elle la vérité ? C’est sans importance : si le modèle décrit permet à chacun de mieux concevoir son fonctionnement, d’en faire un objet de pensée qui lui permettre de “retrouver sa place”, il propose une vérité qui marche, qui est opérationnelle. Une vérité, donc.
Dans des termes un peu différents, dans son Traité de la réforme de l’entendement, Spinoza avait déjà évoqué la notion d’une ‘idée vraie‘, celle que l’on porte en nous et à laquelle on peut accéder en enlevant les pelures d’oignons qui nous aveuglent l’âme : volonté de succès, de richesse de reconnaissance… Paul Diel, au XXe siècle, parle d’un ‘élan vital‘ plus ou moins fort pour qualifier cette force d’âme qui nous pousse à nous harmoniser avec notre environnement, ce lien qui, s’il est tordu ou distendu, va générer la ‘culpabilité essentielle‘ : le désir d’agir pour rétablir l’ordre des choses et se retrouver “à sa place”.
Mais enfin, quel est l’intérêt, me demanderez-vous, de remettre le couvert avec un concept vieux comme Mathusalem, déjà discuté par Aristote pendant l’Antiquité grecque ?
L’intérêt en est d’abord écologique : le recyclage est toujours une bonne chose et, dans ce cas, l’idée de l’âme a déjà tellement fait l’objet de commentaires, de compositions lyriques, de diktats religieux ou de rituels collectifs que le seul fait de l’évoquer appelle déjà chez chacun, sans effort aucun, une foultitude d’associations d’idées. Il ne reste plus ensuite qu’à canaliser l’attention de celui ou celle qui désire s’en emparer vers le sens que nous donnons dans ce modèle : ***
[fonctionnalité langage | fonctionnalité symbolique ? | désir premier : lien à la vie > échelle de valeur – 2.3. Le recâblage – 2.4. La sauvagerie | Les idées appuient sur la gâchette, mais l’instinct charge le pistolet. Don Marquis
2.5. Le libre-arbitre – interagir avec le monde, physiologie, cerveau, neurosciences, me pérenniser] – Obnubilé par la nécessité de nous maintenir en vie, notre cerveau est le seul intermédiaire concret avec notre milieu. Sans chaque fois nous en faire rapport, il régente notre être-au-monde (Heidegger). Les récentes découvertes des neurosciences mettent d’ailleurs en évidence le rôle central de notre cerveau, quand nous voulons répondre à ces questions : quand mon cerveau a-t-il le sentiment que mon corps est à sa place ? A-t-il toujours raison ? Flanqué de nos cinq (ou six) systèmes sensoriels, équipé des organes et des dispositifs qui nous permettent d’agir sur le monde, notre cerveau est la seule et unique passerelle dont nous disposions pour accéder aux phénomènes, extérieurs comme intérieurs, par lesquels la Vie se manifeste à nous. Les développements récents des neurosciences décoiffent d’ailleurs beaucoup de nos certitudes et d’aucuns placent aujourd’hui notre système neurologique au cœur même de phénomènes attribués jusqu’ici à notre raison ou à nos passions. Identifier la contribution de nos influx nerveux -ou des hormones qui les traduisent à travers tout notre corps- devient aujourd’hui impératif, pour qui veut comprendre pourquoi raison garder est désormais un sport extrême. planche – Cerveau ou cerveaux ? – Cerveau d’aujourd’hui et tradition – Ne pas confondre : cerveau et animalité ? – Le mystère se passe de commentaires – utilisation de l’hypnose pour recâbler le cerveau…
Pour le garçon, le vrai monde c’était un espace de liberté calme et ouvert, avant qu’il apprenne à l’appeler prévisible et reconnaissable. Pour lui, c’était oublier écoles, règles, distractions et être capable de se concentrer, d’apprendre et de voir. Dire qu’il l’aimait, c’était alors un mot qui le dépassait, mais il finit par en éprouver la sensation. C’était ouvrir les yeux sur un petit matin brumeux d’été pour voir le soleil comme une tache orange pâle au-dessus de la dentelure des arbres et avoir le goût d’une pluie imminente dans la bouche, sentir l’odeur du Camp Coffee, des cordes, de la poudre et des chevaux. C’était sentir la terre sous son dos quand il dormait et cette chaleureuse promesse humide qui s’élevait de tout. C’était sentir tes poils se hérisser lentement à l’arrière de ton cou quand un ours se trouvait à quelques mètres dans les bois et avoir un nœud dans la gorge quand un aigle fusait soudain d’un arbre. C’était aussi la sensation de l’eau qui jaillit d’une source de montagne. Aspergée sur ton visage comme un éclair glacé. Le vieil homme lui avait fait découvrir tout cela.
[WAGAMESE 2014]
Cependant, il existait en ce monde un tas de choses dont le sens échappait à Nakata. Aussi cessa-t-il de penser. Tout ce qu’il pouvait gagner à trop réfléchir, avec un cerveau comme le sien, c’était une migraine. Il finit de boire son thé, referma soigneusement la bouteille Thermos et la rangea dans son sac.
MURAKAMI Haruki, Kafka sur le rivage (2003)
ajuster ses affects, psyché, psychologie, me positionner] – A la recherche d’un équilibre, nous pensons continuellement notre existence, parmi les autres comme face à nous-mêmes, et, dans notre théâtre personnel, nous nous vivons comme les héros d’un mythe qui serait notre vie : quand ma conscience me renvoie-t-elle le sentiment que ma personne est à sa place ? A-t-elle toujours raison ? C’est la vedette incontestée de la pensée humaine depuis des millénaires : la conscience, l’âme, le soi, l’ego qui oscille entre la matière grouillante et l’esprit structurant, entre Hera et Zeus, entre les désordres de la chair et la pureté des Idées, entre les pulsions tectoniques du Ça et les impératifs du Surmoi, entre Enfer et Ciel, entre Vanité triomphante et brûlures de la Culpabilité… Cette brave conscience de soi a été trop longtemps au centre des débats spirituels comme philosophiques. Les temps changent et, après les quelques coups de boutoir assénés par la philosophie contemporaine (exit la conscience autonome, enter l’être-au-monde, le Dasein), les neurosciences -encore- proposent un nouveau modèle : la conscience de soi n’est pas l’expression de notre individualité, elle serait un artefact, une sorte d’hologramme, fabriqué par nos circuits cérébraux pour nous donner l’illusion de notre personnalité individuelle et, partant, nous inviter à rester en vie. En bref, notre cerveau nous dit : “si, si, tu es une personne qui réfléchit, qui a une psyché compliquée et, donc, tu dois bien faire attention à toi…”]

03 – Les formes symboliques
où il est suggéré de faire de l’ensemble des discours et des fabulations humaines de simples objets de pensée et de s’y intéresser avec discernement
3.1. Fabulons, c’est fabuleux !
[ …] aussi loin que l’on remonte dans le temps, aussi profond que l’on s’enfonce dans la jungle ou le désert, on ne trouve aucune trace d’un groupement humain ayant vécu ou vivant dans la seule “réalité”, la constatant et la commentant, sans (se) raconter d’histoire à son sujet.
[…] La science nous montre que, derrière les faits, il y a non une raison mais une cause. Cela change tout.
[…] La science ne produit pas de Sens, seulement des corrélations, indépendantes de nous. Or nous restons fragiles et le monde reste menaçant. Aucune découverte scientifique ne peut nous rendre immortels, ni même éliminer de notre existence conflits et douleurs.
On ne s’exclame plus, quand survient une éclipse de la Lune : La fin du monde approche ! Mais l’explication rationnelle de l’éclipse de la Lune – ou des maladies, ou de la foudre, etc. – n’entame en rien notre besoin de chercher et de trouver du Sens dans notre vie.
De nos jours encore, bien sûr, les religions remplissent très largement cette fonction. Mais, en plus de ces grands récits traditionnels pourvoyeurs de Sens, l’on assiste depuis deux siècles à une prolifération sans précédent de récits profanes, véhiculés par toutes sortes de médias (romans, pièces de théâtre, cinéma, télévision, jeux vidéo, Internet. .. ).
Du coup, chaque individu du monde moderne (qui n’est pas le monde entier) a sa petite tête à soi, avec ses propres associations, sa propre manière de combiner les fictions pour se tenir compagnie.
Nancy Huston, L’espèce fabulatrice (2008)
Quels que soient les jeux de mots et les acrobaties de la logique, comprendre c’est avant tout unifier. Le désir profond de l’esprit même dans ses démarches les plus évoluées rejoint le sentiment inconscient de l’homme devant son univers : il est exigence de familiarité, appétit de clarté. Comprendre le monde pour un homme, c’est le réduire à l’humain, le marquer de son sceau. L’univers du chat n’est pas l’univers du fourmilier. Le truisme “Toute pensée est anthropomorphique” n’a pas d’autre sens. De même l’esprit qui cherche à comprendre la réalité ne peut s’estimer satisfait que s’il la réduit en termes de pensée. Si l’homme reconnaissait que l’univers lui aussi peut aimer et souffrir, il serait réconcilié. Si la pensée découvrait dans les miroirs changeants des phénomènes, des relations éternelles qui les puissent résumer et se résumer elles-mêmes en un principe unique, on pourrait parler d’un bonheur de l’esprit dont le mythe des bienheureux ne serait qu’une ridicule contrefaçon. Cette nostalgie d’unité, cet appétit d’absolu illustre le mouvement essentiel du drame humain.
Albert Camus, Le mythe de Sisyphe (1942)
Lorsque l’âme souhaite connaître quelque chose, elle projette devant elle une image et la pénètre.
Maître Eckhart (XIIIe)
Un savoir n’est pas seulement une information, mais la transformation de celui qui sait par ce qu’il apprend.
Bernard Stiegler
Le choc avait été grand et, face à ses pairs, Galilée a dû sentir le malaise qu’il avait créé en montrant que c’était le soleil qui était au centre de notre système planétaire et non la terre : finie la possibilité d’une Création faite pour l’Homme sur sa planète qui aurait trôné au centre du monde connu. Dès 1616, un pape romain a d’ailleurs veillé à bien interdire les travaux de l’astronome polonais.
3.2. Fictions personnelles et discours collectifs

Prenons le discours sur la ‘famille’. Nos amis anthropologues vont nous expliquer, chacun selon son école, que l’idée de famille est un ciment social sans lequel notre vivre-ensemble serait impossible de manière organisée. Sont-ils marxistes ou apparentés qu’ils vont détailler avec force exemples toutes les manières dont la famille est un vecteur qui permet la transmission du pouvoir de classe et son nécessaire respect ; sont-ils croyants qu’ils vont donner au patriarche (ou à la matriarche, dans certaines variantes) le rôle d’avatar de la divinité au sein de la cellule familiale, avatar dont le rôle est la transmission des valeurs héritées d’en-haut ; vivent-ils dans les milieux de la haute-bourgeoisie, où la famille est le fondement de la survie économique, qu’ils vont donner les meilleures motivations à la collocation de Camille Claudel ou à l’envoi du Frère Machin dans une communauté de Pères Blancs au Congo ; sont-ils assis à côté d’un divan en toussotant qu’ils vont vous annoncer des envies illicites envers votre chère maman et des pulsions meurtrières envers votre cher papa ; aiment-ils l’exotisme qu’ils vont montrer la richesse des familles éclatées au sein de communautés tribales, où l’entraide et le sens de la collectivité primeront dans l’éducation des petits…
Enfin, ont-ils été victimes de harcèlement moral ou d’abus sexuel qu’ils vont, à l’inverse, pointer du doigt le milieu fermé de la cellule familiale et combattre urbi et orbi le régime d’impunité parentale, soi-disant garant de la cohésion d’un microcosme qui, pourtant, devrait être plus ouvert sur la société extérieure et ses règles de vivre-ensemble.
Les variations sont multiples, toujours fondées, toujours documentées, toujours enrichies d’anecdotes ou assorties de mises en garde. Or, si tout le monde a raison, personne n’a raison… dans le cas où l’on aime les vérités qui s’excluent mutuellement. La raison rayonne peut-être ailleurs. Il est bien entendu intéressant de passer en revue les différentes lectures de ce modèle de la famille, de ce conglomérat de personnes liées par un contrat que l’on voudrait signé dans le sang et les gènes – ce qui est loin d’être le cas – et de faire de chaque configuration un objet de réflexion : “tiens, c’est vrai, comment vivrais-je (ai-je vécu) ce modèle-là ?” “Quelle est mon expérience de la chose et, avant tout, quels actes ai-je posés pour me positionner face à ce scénario, qu’il s’assimile à une ridicule pièce de boulevard ou à un final horrifique de Grand Guignol ?“
Nous ne sommes pas en train de tenir une réunion des Alcooliques Anonymes mais je serais curieux d’entendre les témoignages de tous ceux qui ont hésité à divorcer sous prétexte qu’ils allaient priver leurs enfants de la réunion familiale au pied du sapin de Noël. Si la famille était un modèle de bonheur, ça se saurait. Faisons le test :
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- citez-moi une seule famille dans votre entourage qui représente à vos yeux ET dans la réalité de chacun de ses membres un exemple de bonheur collectif sans ombre (un modèle pour vous, donc) ;
- faites le compte de vos amies et de vos amis qui, nonobstant toute l’affection qu’il/elle peuvent avoir pour d’autres membres de leur parentèle, ont quand même été victimes de harcèlement moral ou d’abus sexuel dans le cercle familial.
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N’êtes vous pas sincèrement incapable de donner un nom en réponse à la première question et n’êtes-vous pas, au mieux, dans les nombres à deux chiffres pour répondre à la seconde ? “C’est à désespérer de la famille“, me direz-vous, avant de sauter par la fenêtre. Ici encore, raison garder, c’est mieux regarder.
Notre vieux réflexe platonicien – se conformer à l’Idée – qui monte en épingle le concept de famille dans toutes ses représentations (et avec toutes les contraintes apparentées : c’est le cas de le dire) est peut-être la source de nos maux intimes dans ce domaine. Si la famille est une valeur, gravée dans le marbre quelque part sur l’Olympe, c’est démériter que de ne pas s’y conformer, de ne pas adopter ses rituels ou d’affirmer son individualité face à la cohésion du groupe. Et la tribu de regarder sombrement le vilain petit canard, et le Commandeur de pointer un doigt vengeur vers l’arrogant libertaire, et la Matriarche de jeter l’opprobre sur l’infante souillée, en crachant dans le feu au-dessus duquel cuit la soupe de toute la maisonnée… L’imagier est riche pour ceux qui veulent se faire souffrir… en imagination.
Si l’on choisit l’option “j’enlève-les-écailles-de-mes-yeux-et-je-regarde-avant-de-réfléchir-en-ruminant”, le modèle familial peut être vécu d’une toute autre manière, moins contraignante, moins aveuglante. Les préjugés, les dogmes, les modèles, c’est Cassirer qui insiste, ont ceci de toxique qu’ils ont la fâcheuse tendance à se muer en pensées totalitaires : quoi de plus occultant qu’une idée fixe, a fortiori quand votre entourage considère – comme vous, peut-être – qu’il s’agit d’une vérité.
Dans notre exemple : dans un échange familial, personne ne voudrait détruire l’imagerie du sapin de Noël, si elle est au service d’une satisfaction partagée entre, d’une part, celui ou celle qui évoque l’image d’une table généreuse, d’une dinde fumante (sorry, les véganes), d’enfants réunis autour d’un ancêtre qui raconte des contes, et, d’autre part, celui ou celle à qui l’autre adresse la représentation, dans le seul but de partager un chaud sentiment d’appartenance.
Autre chose serait le rappel vindicatif de l’obligation d’organiser Noël à la bonne date, avec les bons invités, sans les mauvais invités (dont le petit ami mal coiffé de la petite dernière), avec le menu traditionnel, avec un plan de table figé depuis des générations et – cerise sur la bûche – avec la messe de minuit ânonnée par un prêtre germanophone ; hors de quoi, point de salut, hors de quoi, le déshonneur, la trahison des Nouveaux, l’irrespect envers les Anciens, hors de quoi, le divorce imminent, l’accident cardiaque de la grand’mère frustrée de sa fête tribale et les enfants drogués, addictifs et perpétuellement avec des cheveux gras, par manque de sens familial…
Or, à l’inverse, la famille pourrait être conçue, plus simplement, comme un excellent camp d’entrainement pour la vie, la première épreuve, le premier rite de passage dont la seule finalité (dans une mise en scène très élaborée, certes) est de tester concrètement notre capacité à survivre ensuite dans un monde pas nécessairement très folichon : violence dans les rapports humains, exclusion entre communautés, problèmes identitaires, harcèlements moraux et sexuels, mensonges et trahison des proches, vanités triomphantes et désespoirs théâtraux, manipulation et emprise… autant de composantes de la vie avec l’Autre dont la famille n’est que le catalogue de poche. Que celui qui n’a aucun exemple de ce qui précède dans sa propre tribu me jette la première pierre !
Et puis, comment pourrait-il en être autrement ? Pour une famille de quinze personnes, vous mettez dans le même aquarium pendant cinquante ans au moins : un père déficient, une mère agressive, un tonton peloteur, un frère boutonneux, une sœur hystérique, un cousin pervers, un autre cousin facho, une cousine anorexique, une grand’mère collabo, un grand’père amateur de petites filles, un autre tonton (le militaire) violent avec sa femme, sans parler des différentes “pièces rapportées”… à quoi s’ajoutent vos propres frustrations, les passages difficiles entre vos différents âges, vos complexes, votre problème de couple et votre acné. Bonjour, le potage ! Après ça, on s’étonnera que la vente d’armes soit fortement réglementée (du moins dans les pays civilisés).
Moralité : quand il s’agit de la famille, l’important c’est d’y survivre.
Dès lors, pour ceux qui se sont promis de devenir des humains et de vivre dignement avec d’autres humains, comme avec soi-même, il importe de pratiquer une pensée libérée, salvatrice, face au dogme familial. Qui plus est, les fictions et les dogmes qui nous servent d’œillères, dans ce cas comme dans d’autres, ne sont pas toujours le fait de “la société” ou de notre entourage : nous sommes assez grands pour générer des autofictions, des discours qui justifient nos imperfections ou qui perpétuent des scénarios de défense au-delà du nécessaire.
Face à l’exercice imposé de la vie familiale, le travail se fait donc en trois temps : d’abord, identifier les modèles auxquels on accorde crédit dans sa délibération, ensuite, les tester comme n’importe quel autre objet de pensée (qui me propose le modèle ? quels exemples crédibles dans mon entourage ? à qui profite le crime ? quel est le coût pour moi, en termes d’intégrité, si je respecte ce modèle ? quel est le coût réel pour moi si je ne respecte pas ce modèle ? est-ce une question qui vaut vraiment toute cette réflexion… ?) et, enfin, vivre effectivement la famille (en y adhérant en personne ou en s’éloignant physiquement) dans la dignité et la raison.
Mais, me direz-vous, la formule ‘dans la dignité et la raison’ n’est-elle pas la petite sœur du ‘Sapin de Noël’ : un discours, dans la lignée des pires apophtegmes, qui sonne bien et auquel tout le monde adhère par complaisance, sans vraiment y réfléchir ?
Bien au contraire, vous répondrai-je : le ‘travail de raison’ qui veut que chacun regarde d’abord la représentation de la famille et s’interroge sobrement sur les motivations qui sous-tendent la mythologie de sa tribu personnelle. Ce travail n’est pas léger et il exige une introspection assainie : les ‘écailles’ à retirer des yeux dans ce cas sont peut-être les mieux serties.
Quelles que soient les conclusions de ce premier nettoyage de Printemps, le ‘travail de dignité’ qui s’impose ensuite, veut que chacun vive l’expérience de la cellule familiale avec la nécessaire assertivité. Levez la main droite et dites : “de servitudes, je n’accepterai que celles qui me procurent une réelle satisfaction, celles dont l’expérience se traduit en moi par la Joie d’être plus proche de la Vie, parmi les humains en général, au-delà du cercle familial.” Bref, le contraire de la gueule de bois qui suit souvent la veillée de Noël.
3.3. Etudes de cas
Cas n°01 : Les fillettes du monstre
[L’Ogre et de monsieur Lambert Lepouce > il, puisqu’il ne croyait plus aux contes de fées, il ne remarqua pas que son nom avait une double initiale, comme Brigitte Bardot, et que ça lui avait porté bonheur…]
Cas n°02 : Le monstre primal
3.4. Les modèles/vérités
3.5. La pensée libre
[imaginer le monde, idées, discours, vérités, dogmes – A chacun sa vision du monde, choisie parmi les discours qui nous sont proposés en continu -bon gré, mal gré- par les autres, par notre culture, notre histoire familiale et nos autofictions : ma vision personnelle me renvoie-t-elle l’idée que je suis en adéquation avec ma vérité intime et que celle-ci est saine ? A-t-elle raison ?]
C’est le philosophe Ernst Cassirer qui a consacré ses recherches à notre formidable faculté de créer des formes symboliques : le Bien, le Mal, Dieu, le Beau, le Vrai, le Juste, le Grand Architecte, le Carré de l’hypoténuse, Du-beau-du-bon-Dubonnet, la Théorie des cordes, Demain j’enlève le bas, Le Chinois est petit et fourbe, This parrot is dead, la Force tranquille, Superman, le Grand remplacement, Je ne sais pas chanter… Autant de discours qui ne relèvent ni de notre physiologie, ni de notre psychologie ; autant de convictions, de systèmes de pensée, de vérités qui prêtent au débat, faute de pouvoir constituer une explication exclusive et finale du monde qui nous entoure. S’il y en avait une, ça se saurait, insiste par ailleurs Edgard Morin…
Mais Cassirer ne s’est pas arrêté à un émerveillement bien naturel face à une faculté si généreusement et équitablement distribuée à l’ensemble des êtres humains. Il a également averti ses lecteurs d’un danger inhérent à cette faculté : la forme symbolique, l’idée, le discours, a la fâcheuse tendance à être totalitaire. En d’autres termes, chacun d’entre nous, lorsqu’il découvre une vérité qui lui convient (ce que l’on appelle une vérité, donc) s’efforce de l’étendre à la totalité de sa compréhension du monde, voire à l’imposer à son entourage. Que celui qui n’a jamais élevé un adolescent…
[Comment identifier les dogmes et les discours qui entravent notre liberté de penser ? Comment rendre à chacune de nos idées sa juste place, celle d’une “opportunité de pensée” ? Comment ne pas les travestir en vérités auxquelles se conformer ? Quelle drôle d’idée (types de formes symboliques) | L’idée totalitaire : Le bien et le mal ne sont que la matière dont est faite la beauté, c’est à dire ce que nous aimons sans raison, sans profit, sans nécessité. Tolstoï]

04 – La langue
où il est étudié combien la nature du langage utilisé pour dénoter les réalités de nos mondes individuels traduit notre appropriation de ceux-ci
[Les langues du corps / Le récit mythique / Le discours logique / La langue comme indice / Traduire pour soi]
[discours, hormones, dénoter – Pour chacun des trois niveaux de notre ego (la physiologie, la psychologie et les idées), quel est le langage le plus pertinent ? Comment l’identification du langage employé pour délibérer “dans ma tête” me permet-elle de dépister les éventuels dérapages (ex. quand je tiens un discours moral pour justifier un afflux hormonal…) ? Me permet-elle de débusquer ce qui me motive réellement dans mes décisions ? Comment des techniques comme l’hypnose peuvent-elles affecter les formulations par lesquelles je dénote mes réalités ? | dégradation du mental de Granny : les formules continuent malgré la perte de sens… | La parole est rare : RECITER : complaisance, conformité, verbale et non-verbale ; | EXPRIMER : coopération (Sennett), expérience, verbale > curseur sur raison vs. Émotions/passions]

05 – Les informations
où il est démontré que la quantité des informations disponibles n’est pas une fatalité et combien une sélection pertinente peut-être fondée sur des critères de satisfaction
5.1. L’abondance
D’entre tous les faits qui caractérisent cette période passionnante et inquiétante, je retiens que les vingt premières années du XXIe siècle ont instauré une dérégulation massive d’un marché cognitif que l’on peut également appeler le marché des idées. Celle-ci se laisse appréhender, d’une part, par la masse cyclopéenne et inédite dans l’histoire de l’humanité des informations disponibles et, d’autre part, par le fait que chacun peut verser sa propre représentation du monde dans cet océan. Cette situation a affaibli le rôle des gate keepers traditionnels (journalistes, experts académiques… toute personne considérée comme légitime socialement à participer au débat public) qui exerçaient une fonction de régulation sur ce marché. Ce fait sociologique majeur a toutes sortes de conséquences mais la plus évidente est que l’on assiste à une concurrence généralisée de tous les modèles intellectuels (des plus frustes au plus sophistiqués) qui prétendent décrire le monde. Aujourd’hui, quelqu’un qui détient un compte sur un réseau social peut directement apporter la contradiction, sur la question des vaccins par exemple, à un professeur de l’Académie nationale de médecine. Le premier peut même se targuer d’une audience plus nombreuse que le second.
BRONNER Gérald, Apocalypse cognitive (2021)
Car si les objets de contemplation mentale peuvent se multiplier et s’inscrire dans une concurrence effrénée, ce n’est pas seulement en raison des nouvelles conditions technologiques qui prévalent sur le marché de l’information, c’est aussi parce que la disponibilité de nos cerveaux est plus grande. Ces objets de contemplation n’ont d’autre raison d’être que de capter notre attention. Qu’ils proposent des théories sur le sens du monde, une doctrine morale, un programme politique ou même une fiction, ils ne peuvent survivre que si nous leur accordons une partie de notre temps de cerveau. Il se trouve, et c’est là un autre aspect significatif de l’histoire en train de se faire, que ce temps de cerveau disponible n’a jamais été aussi important.
La situation inédite dont nous sommes les témoins est donc celle de la rencontre de notre cerveau ancestral avec la concurrence généralisée des objets de contemplation mentale, associée à une libération inconnue jusqu’alors du temps de cerveau disponible.
BRONNER Gérald, id.
Pas de chance, nous vivons aujourd’hui dans la Société de l’Information, selon son titre officiel, et dans la Société du Spectacle annoncée par Guy Debord, quand on y regarde de plus près. Pour y voir clair, il va donc nous falloir lutter sur trois fronts : les informations disponibles dans les médias, qui sont trop nombreuses ; les injonctions portées par les différents dogmes, qui sont insidieuses et portées par une société dont le néo-puritanisme n’aime pas les pensées éclairées ; les auto-fictions qui nous servent d’armures (lire à ce propos, le conte charmant mais un peu simpliste de Robert Fisher : Le chevalier à l’armure rouillée*) et que nous mettons en place, en bons chantres de nous-mêmes, pour nous positionner parmi nos pareils.
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L’abondance d’information n’est pas mère de vérité. Qu’on ne cherche pas ici des réponses finales ou des vérités universelles. L’apport de chacun ne peut dépasser ce qu’Emmanuel Levinas considérait comme la seule fonction de l’intellectuel : aider à poser la bonne question. Reste que le travail de chacun, une fois la bonne question sur la table, est chose difficile entre toutes : comment pouvons-nous travailler à lui donner une réponse satisfaisante, avec la prolifération “d’écailles pour nos yeux” dans laquelle nous baignons chaque jour ?
5.2. La qualité
5.3. Les biais cognitifs
5.4. Le kit de survie
5.5. L’hygiène informationnelle
Une citation, ce sont des mots alignés que chacun peut changer en paroles…
Un exemple : avez-vous remarqué l’immédiate séduction qu’exerce sur nos réseaux sociaux la moindre sentence bien mise en page, le plus banal des proverbes affiché sur la photo d’un penseur connu (et ce, même si le proverbe n’est pas de lui ou n’est qu’approximativement cité). Au même titre, les maximes-bateau qui décorent les sachets de thé du matin, voire les sapiences imprimées au revers des feuillets de calendriers à la Petit Farceur n’ont-ils vraiment aucune influence sur notre réflexion intime ?
Que dire des formules ressassées par les communicateurs de nos politiques, les intellos-vedettes du petit écran, les beaufs de nos Café du Commerce ou les agités de communautés minorisées : “nous vivons la Mort des idées“, “nous entrons dans l’Ère du Verseau“, “c’est le Déclin de l’Occident“, “pas d’avenir sans Développement personnel“, “le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas” (Malraux*), “nous plongeons dans un désastre écologique“, “l’Histoire, c’est fini”, “l’Humanité, c’est fini“, “l’anthropocène, c’est fini“, “c’est la Lutte finale…“
Le sociologue Gérald Bronner (cfr. Lectures) explique bien le phénomène dans son Apocalypse cognitive (2021), où il ajoute (sans citer de source néanmoins) que 90 % de l’information disponible aujourd’hui a été générée pendant les deux dernières années. Outre le vertige suscité par ce genre de constat quantitatif, nous pouvons intuitivement réaliser combien ce flux incroyable de données est propre à véhiculer ces idées préconçues, ces certitudes collectives, ces diktats et ces injonctions qui sont légion aujourd’hui, qui nous influencent et qui empêchent chacun de penser sa vie librement, au mieux de sa réalisation saine.
Loin de moi l’idée de hurler avec les loups (même si, en l’espèce, ils ont bien raison) et de crier ici au mensonge, aux contre-vérités, à l’infox ou à l’erreur, car ce n’est pas le contenu de ces sapiences, quelquefois fort respectables, qu’il convient de critiquer. C’est l’utilisation que nous en faisons, consciemment ou non, quand l’heure est venue de la réflexion personnelle : qui peut affirmer, la main sur le cœur, qu’au grand jamais ces petites phrases n’ont affecté sa délibération ?
La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous paraît évident. La propagande, au contraire, nous enseigne à accepter pour évident ce dont il serait raisonnable de douter.
HUXLEY Aldous, Brave New World (1932)
Si l’invitation d’Huxley à ne pas accepter pour évident “ce dont il serait raisonnable de douter” s’applique initialement à la propagande, elle pourrait aussi justement s’appliquer aux vérités avec lesquelles nous nous rassurons collectivement, alors que le doute s’imposerait.
C’est pourquoi nous partirons de trois de ces mini-diktats: ils nous ont bercés pendant des siècles comme des évidences mais ils s’avèrent, dans un monde moderne à reconstruire, trois clefs sans portes.
Toute pensée n’est jamais qu’un exercice de la Pensée
Pourquoi des clefs sans porte ? Simplement, parce que ces clefs n’ouvrent aucune porte vers un mieux et que ces préceptes sont pour beaucoup rapidement utilisés comme prémisses à toute réflexion personnelle, comme postulats qui ne seront pas questionnés alors que, comme toute autre vérité, ils ne sont que des objets cognitifs, utiles certes, mais seulement utiles à plus d’exercices de pensée. Ils ne constituent pas a priori des bases raisonnables pour fonder une réflexion individuelle. Il nous revient dès lors de ne pas confondre les dogmes prêts-à-penser avec la “matière à raisonner”. Posologie : à ne s’approprier qu’après mûre réflexion ! Il en va ainsi des trois clefs sans porte que je veux évoquer ici : des principes qui, pris pour argent comptant, induisent en fait un biais cognitif dans notre délibération intérieure :
Il est important de pouvoir identifier ou reconnaître les biais cognitifs, car certains d’entre eux ont des répercussions sociales néfastes. “Les débats de société actuels sur les théories conspirationnistes autour de la COVID-19, sur la crédibilité de la science et sur le racisme ou les violences sexuelles ne sont pas étrangers à l’influence des biais cognitifs concernant notre façon d’appréhender et d’interpréter ces enjeux”, note Cloé Gratton.
Un biais cognitif appelé l’effet de répétition est particulièrement pernicieux. “Des études ont montré que des affirmations ou des énoncés, même faux, finissaient par emporter l’adhésion de plusieurs personnes à force d’être répétés», rappelle la doctorante. Le président américain Donald Trump est ainsi parvenu à influencer les comportements de millions d’Américains en répétant ad nauseam des choses erronées, comme le fait que les élections présidentielles de novembre dernier avaient été truquées.
Un autre biais, dit d’essentialisme, est associé à des préjugés envers les membres de groupes sociaux, tels que les Noirs, les Autochtones ou les homosexuels, dont les caractéristiques sont perçues comme immuables, prédisposant à des comportements négatifs qui peuvent engendrer de la discrimination. “Selon ce bais, il est normal, par exemple, que les Autochtones et les Noirs soient sur-représentés dans l’univers carcéral puisqu’ils seraient violents par nature”, relève la doctorante.
Très répandu, le biais de confirmation consiste à privilégier les informations qui confortent nos opinions, croyances ou valeurs et à ignorer ou à discréditer celles qui les contredisent. “Beaucoup de gens ne lisent dans les journaux que les textes des chroniqueurs dont ils partagent la vision du monde, indique Cloé Gratton. Sur les réseaux sociaux, des individus ont tendance à préférer les échanges avec des personnes qui s’intéressent aux mêmes sujets qu’eux et qui partagent des opinions proches des leurs.”
C’est ainsi que se forment les chambres d’écho, ces communautés virtuelles où la voix de chacun fait essentiellement écho à celles des autres membres. Fonctionnant comme des caisses de résonance d’une même conception du monde, ces chambres d’écho favorisent la polarisation des esprits, voire leur radicalisation, plutôt qu’une meilleure compréhension des points de vue divergents.
d’après Claude GAUVREAU (UQaM.CA)
En ce sens, les trois clefs sans porte suivantes pourraient bien passer pour des biais cognitifs “essentialistes”, à savoir :
-
-
- la Vérité existe quelque part ;
- la Morale est une déclinaison pratique de cette Vérité dans notre vie quotidienne ;
- le Sens de la Vie se définit comme la quête du bonheur, la recherche d’un état extatique, en harmonie avec cette Vérité.
-
il n’y a pas d’essence, ni de dénotation efficace de la réalité ; Si une Vérité universelle avait été disponible, ça se saurait : nous vivrions dans un monde partagé par tous, où la morale serait une évidence pour tous et où toute déviance serait immédiatement auto-détruite par chacun. Nous connaîtrions l’Atlantide mythique de Platon et pas celui, plus cruel (mais tellement plus sensuel), de Pierre Benoit*.
-
- il n’y a pas de prescrit ;
- il n’y a pas d’extase immobile.
[Bien faire la différence : les officiels sont forts de leur statut (ex. fac de médecine sur la question des vaccins) mais monsieur-tout-le-monde n’est pas toujours au café-du-commerce : les lanceurs d’alerte, les photographes du Printemps arabe, ceux qui dénoncent de manière fondée le mainstream sans être complotistes… En même temps, les autorisés peuvent lancer des canulars comme le brillant reportage infox sur la fin de la Belgique à la RTBF !]

06 – Sapere aude vs. Amor fati
où la différence est faite entre modéliser et essentialiser, de même qu’entre chercher la conformité et vivre le vertige de l’expérience
6.1. L’âme des Lumières
Les lumières sont ce qui fait sortir l’homme de la minorité qu’il doit s’imputer à lui-même. La minorité consiste dans l’incapacité où il est de se servir de son intelligence sans être dirigé par autrui. Il doit s’imputer à lui-même cette minorité, quand elle n’a pas pour cause le manque d’intelligence, mais l’absence de la résolution et du courage nécessaires pour user de son esprit sans être guidé par un autre. Sapere aude, aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! voilà donc la devise des Lumières.
La paresse et la lâcheté sont les causes qui font qu’une si grande partie des hommes, après avoir été depuis longtemps affranchis par la nature de toute direction étrangère (naturaliter majorennes), restent volontiers mineurs toute leur vie, et qu’il est si facile aux autres de s’ériger en tuteurs. Il est si commode d’être mineur ! J’ai un livre qui a de l’esprit pour moi, un directeur qui a de la conscience pour moi, un médecin qui juge pour moi du régime qui me convient, etc. ; pourquoi me donnerais-je de la peine ? Je n’ai pas besoin de penser, pourvu que je puisse payer ; d’autres se chargeront pour moi de cette ennuyeuse occupation. Que la plus grande partie des hommes (et avec eux le beau sexe tout entier) tiennent pour difficile, même pour très dangereux, le passage de la minorité à la majorité ; c’est à quoi visent avant tout ces tuteurs qui se sont chargés avec tant de bonté de la haute surveillance de leurs semblables. […]
Il est donc difficile pour chaque individu en particulier de travailler à sortir de la minorité qui lui est presque devenue une seconde nature. Il en est même arrivé à l’aimer, et provisoirement il est tout à fait incapable de se servir de sa propre intelligence, parce qu’on ne lui permet jamais d’en faire l’essai.
Kant : Qu’est-ce que les Lumières ? (1784)
“On n’a plus vingt ans.” Combien d’entre nous, qui n’avons plus vingt ans pour beaucoup, n’ont pas entendu cette formule rituelle, dans la bouche de celle-là qui se lève péniblement de son fauteuil, de celui-là qui n’arrive pas à lire la posologie de son nouveau médicament (“C’est incroyable : ils impriment de plus en plus petit“) ou de cet autre qui regarde un jeune couple s’embrasser à pleine bouche et commande un nouvel Orval pour faire passer son temps, à lui. Étrangement, on entend moins souvent des post-ados prendre la peine de claironner la formule inverse : “On a vingt ans !“
Constater son âge et, dans les meilleurs cas, savourer la maturité qui accompagne les années alignées au compteur, n’est pas toujours une pensée nostalgique et le regard que les plus âgés portent sur l’arrogante jeunesse n’est pas toujours envieux. Pas toujours. Alors, c’est quoi “avoir vingt ans“, au-delà de la seule vitalité qui triomphe dans chaque geste ?
“Gagner en maturité, c’est apprendre à composer avec sa finitude“, disait le sage (dont on a oublié le nom). Là réside peut-être l’attribut principal de la jeunesse, quand elle est encore immature : se vivre comme un être infini, sans échéances ni limites, et confondre une tempête d’hormones avec la joie d’être en vie. Et c’est probablement à cela que se reconnaît la maturité de ceux qui se sentent “à leur place” : dans cette capacité de vivre juste, avec les moyens limités, avec un sentiment de finitude qui n’est pas source de désespoir. Nos aînés disaient, en souriant mais un peu amers : “Quand on est jeune, on a beaucoup de dents mais peu de noisettes. Quand on est vieux, on a beaucoup de noisettes mais plus de dents.” Mais les années n’y font rien, comme Kant le soulève : il s’agit ici d’une posture mentale.
Ce serait d’ailleurs un message d’espoir pour les têtes grisonnantes d’affirmer que cette impression de ne pas avoir de limites, de pouvoir dépenser ses ressources sans compter, est une preuve de jeunesse, là où elle n’est que symptôme d’immaturité et de pauvreté d’âme. Dans un registre comparable, Épicure lui-même insistait sur la nécessité d’ordonner ses désirs car notre capacité à jouir n’est pas infinie.
Ici, dans la formule “pauvreté d’âme”, on entendra “âme” au sens que nous lui avons donné : cet ombilic vital qui génère l’intuition de ce qui est ou non satisfaisant pour nous, en d’autres termes “adapté ou non à notre pérennité biologique.” Certaines traditions philosophiques invitent à ouvrir notre troisième œil : “celui qui est ouvert quand les deux autres sont fermés“. L’image (c’est le cas de le dire) est magnifique, qui nous invite à ne pas oublier la dimension essentielle que cet œil percevrait, perché au mitan de notre front, visant au-delà de l’accidentel qui fait le quotidien des deux autres yeux, les yeux physiologiques attachés à la perception des seuls phénomènes extérieurs. Parallèlement, réduire l’âme à un deuxième ombilic procède de la même invitation : une fois sectionné l’ombilic physiologique qui nous reliait à la mère biologique et garantissait une formidable sécurité fœtale, il nous revient de retrouver le lien avec ce “deuxième nombril”, celui qui nous relie à la mère primale, plus communément appelée… la Vie. Nous y reviendrons.
Mais pourquoi cette insistance sur la faible maturité de celui ou celle qui se dépense sans compter ? Justement, parce que négliger sa propre finitude et créer ce sentiment de ne pas être à sa place (“Ah ! Si j’avais encore 20 ans, vous verriez…“), c’est oublier que chacun d’entre nous n’a que 100 % d’attention à consacrer à sa vie et que l’attention (la gestion de notre énergie vitale ou l’élan vital ou le désir ou la délibération intime ou quelque autre nom que l’on donne au fonctionnement de notre conscience), ce capital d’attention n’est pas illimité. Dès lors, le disperser sur l’autel des idées et passer son temps à viser la conformité à celles-ci, comme nous l’avons déjà exploré plus haut, c’est consommer à tort les jetons qui, autrement, seraient disponibles pour s’approprier l’expérience, vivre pleinement l’activité et se remodeler en fonction de ce que nous avons vécu effectivement des phénomènes.

[traiter de la Raison du XVIIIe différente de la science, de la technique ou de la technique / La Raison fait de chaque pensée un objet de pensée / Allégorie de la pensée libre, elle n’est pas le contraire de la fantaisie mais, compagne de route du second degré, elle s’oppose à la recherche aveugle de conformité, à la servitude volontaire]
6.2. SAPERE AUDE : un Ours dans le salon
L’intellect voudrait que la vie ne soit qu’une énigme, alors qu’elle est un mystère. On peut résoudre une énigme, la vaincre et ne laisser qu’une rassurante lumière, là où étaient des ombres. On ne peut qu’explorer un mystère, sans espérer l’abolir. Explorons donc.
GOUGAUD Henri, Le rire de la grenouille (2008)
L’assimilation entre Raison et logique garde la vie dure et le cuir épais. Ce n’est peut-être pas innocent. Comme nous l’avons évoqué en explorant les avantages liés aux auto-fictions, avoir une explication logique à son mal-être semble constituer une solution à tous les problèmes de ceux et celles qui ne sentent pas à leur place. Or, quand l’explication logique a fait surface, fut-ce au terme de longues années de thérapie, d’analyse, d’hypnose, de séjours chamaniques sur les flancs de l’Everest ou de lecture compulsive de livres sur le développement personnel, beaucoup y voient plus clair mais n’ont pas gagné la Joie de vivre à laquelle ils aspiraient. Que manque-t-il encore à leur volonté, souvent sincère, de s’entendre avec eux-mêmes ?
Henri Gougaud, en bon bonimenteur qu’il est, n’arrête pas de le raconter dans ses différents contes à l’ancienne et il éclaire même son propos dans son Le rire de la grenouille : petit traité de philosophie artisanale (2008). Voilà bien un auteur qui marche à nos côtés : quand on lit chaque mot de la citation ci-dessus, le jour se fait sur la vanité de l’explication, en matière de Grande Santé. Vaincre l’énigme d’un mal-être par une honnête explication logique, élucider l’enchaînement des causes et des effets qui ont mené à cette aliénation qui nous donne le mal de mer au quotidien, nous coupe la respiration dans les ascenseurs ou lance une dissociation mentale : cette démarche est honorable et semble constituer un ticket incontournable pour le mieux-être. Soit. Autre chose est l’apaisement attendu, dont on réalise qu’il fait peu de cas de l’explication en question : une fois éteints les lampions de la fête (“Ça y est, avec mon psy, on a pisté l’épisode traumatique de ma petite enfance qui m’empêche de manger des tartes au riz devant la photo de mon père !“), notre deuxième nombril, notre lien essentiel au mystère de la Vie, notre âme donc, fait peu de cas de l’explication, en ceci qu’elle ne constitue pas une justification. Au-delà de cette limite, votre explication n’est plus valable.
Et Gougaud d’insister : “On ne peut qu’explorer un mystère, sans espérer l’abolir.” Traduction : mettre à jour les causes logiques d’une situation, c’est bien, s’approprier les traumas de toute nature et continuer à marcher devant soi, forts de l’expérience vécue, c’est mieux. Que l’on parle de théâtre grec ou de catharsis freudienne, élucider est une chose (expliquer, mettre au jour les éléments explicatifs) mais sublimer semblerait plus efficace. Se vivre comme le terme d’un historique logique, dont on serait le seul bénéficiaire, reste souvent handicapant pour vivre tout court. Par contre, si réussir à s’approprier plaies et cicatrices pour adhérer au mystère de la Vie sans lui demander des comptes est un vaste programme, il semble être la condition pour trouver l’apaisement, pour trouver sa place.
Ce poème d’amour ne dit pas autre chose :
Quelque part dans la forêt,
Un ours se lèche une plaie,
Il s’est légèrement blessé le flanc,
Sur un chemin qu’il connaissait pourtant.Adossé au rocher, il sourit.
C’est au retour de l’amour,
Que, les yeux plein de son miel, à elle,
Il a laissé la branche marquer son aisselle,
Pour toujours…
Un autre poème raconte, à rebours, la souffrance quand elle continue d’aveugler la victime du trauma :
C’est la nuit, c’est le marbre,
L’homme gît près de son arbre,
Un sang poisseux voile ses yeux.
Du passage de la Géante,
Lui reste une plaie béante.
La main du cœur
Est arrachée…
Oser savoir est donc une audace nécessaire, salvatrice mais pas suffisante. Quelle alternative proposer, dès lors, au terme expliquer ? Apprivoiser, peut-être…
***
[Sapere aude – L’américain JIM HARRISON dans Retour à la terre (2007) : Un politicien local, qui refusait que l’enseignement des langues étrangères soit inscrit dans le budget d’une école, a déclaré : “Si l’anglais a suffi à Jésus-Christ, il devrait suffire à nos gosses.” > médiocrité > La folie de Nietzsche…] [Amor fati / Vérité, ô ma prison… / Conforme, tu seras / Le vertige, tu auras]
[conformité, sapere aude, Kant, dogme, mise en conformité, libre arbitre] – Quand nous essayons d’évaluer si nous sommes à notre place dans notre vie, le piège est, en fait, de plutôt vérifier si nous sommes conformes à des modèles préétablis, prétendument essentiels. Comment être conscient de ma tendance (utile par ailleurs) à modéliser le monde et à me conformer à des représentations qui ne tombent peut-être pas juste avec ma réalité ?
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud, Sensation (1870)
[amor fati, Nietzsche, samouraï, Montaigne] – Comment, à l’inverse, nous tenir prêts et aimer ce qui nous arrive (ce que l’on appelle communément la Vie) ? Devons-nous être existentialistes ? Comment être adapté a priori à l’expérience de mon existence réelle ? | J’ai fait un rêve : nos ancêtres oubliaient pour un instant des mots comme travail, famille, patrie… et pensaient à la guerre en termes de chairs brûlées, de solitude et de peur. Quelle drôle d’idée, me direz-vous, mais la guerre n’est-elle pas la pire faute de goût ? | performance vs. expérience]

07 – Le Livre de la Jongle
où le modèle du Jongleur de mondes est expliqué en détail et son travail décliné en trois exercices salutaires
7.0. Lectures commentées
How dull it is to pause, to make an end,
To rust unburnish’d, not to shine in use!
As tho’ to breathe were life!
Alfred Tennyson, Ulysses
7.1. Chaos par l’absurde
7.2. Pouvoir jongler
Ah ! si les bourreaux mérovingiens avaient su à leur époque quelle fortune allait connaître le nom de leur instrument de torture, le tripalium, ou, plus précisément, le nom de l’endroit où ils dressaient ces trois pieux croisés sur lesquels ils fixaient leur supplicié, suscitant l’horreur (voulue didactique) dans les yeux des petits et des grands, au point que l’Eglise précisa, au terme du Concile d’Auxerre (590) : “Il ne convient ni au prêtre, ni au diacre de se tenir auprès du trepalium, où on est torturé pour une affaire.” L’étymologie populaire fait feu de tout bois et, aujourd’hui encore, sociologues et partenaires sociaux s’accordent pour faire remonter les origines du mot “travail” au latin vulgaire “trepalium.” Et d’évoquer la douleur et la souffrance associée au travail par une étymologie qui semblerait bien… erronée.
Un exemple de plus qui nous montre combien une idée, un discours n’est pas vrai simplement parce qu’il nous fait plaisir ou qu’il conforte notre raisonnement.
Voire qu’il en constitue une poutre de soutien, car voilà bien une des hypothèses étymologiques les plus probables, comme l’explique Michel Forestier dans son article sur le sujet : “Emile Littré et Michel Bréal, deux linguistes du XIX° siècle, proposaient un autre éthymon, le latin trabs qui, au sens propre, signifie poutre et dans des sens figurés : arbre élevé, navire, toit, machine de guerre, massue, etc., bref des choses qui utilisent ou renvoient à la forme d’une poutre. Comme trabs a donné entraver, l’idée de contrainte y est bien présente mais sans la violence du tripalium. Cette étymologie pourrait également expliquer la dénomination de travail donné aux instruments de contention des chevaux.“
Si la notion de contrainte liée au travail est bien renforcée par l’analyse du bon vieux Littré, cette option -qui laisse de côté la souffrance, au profit de l’effort- nous convient parfaitement, en ceci que l’on définira ici le travail comme un “ensemble d’activités coordonnées visant à produire quelque chose d’utile“, en laissant de côté les sens voisins, liés au burn-out, à l’exercice d’une force en physique, aux accouchements ou aux craquements nocturnes des meubles en bois. Le “quelque chose d’utile” étant en l’espèce la sensation d’être à sa place. What else ?
Nous voilà donc passés des trois pieux de torture à trois travaux, au prix desquels nous pouvons nous entraîner à trouver l’assise nécessaire à une saine jonglerie : comment jongler sans stabilité ? Et, ne nous plaignons pas, Héraclès s’était vu assigner 12 travaux (et non des moindres) là où nous allons nous concentrer sur :
-
-
- le travail symbolique ;
- le travail critique et
- le travail vital.
-
7.2.1. Le travail symbolique
***
7.2.2. Le travail critique
***
7.2.3. Le travail vital
***
[7.3. Jongler utile | 7.4. La Joie de jongler | 7.5. Jongler demain… | [dynamique, puissance, lucidité | Le travail préconisé sert d’entraînement à une vie puissante et dynamique, une Grande Santé nietzschéenne. En élucidant nos motivations, nous pouvons nous approprier -aux trois niveaux de notre délibération (cerveau, psyché, idées)- une vision moins truquée de notre monde, des mondes de chacun de nos frères humains et veiller à nous construire un sentiment d’être à notre place, sans œillères. En d’autres termes : puissants, libres et… satisfaits ! | Ici pas de type de profils essentialisés comme dans le développement personnel > on n’est pas le lascif, le dynamique, le bleu, le carré, le Maître des lieux ou Godzilla, on se mesure (ou pas) au degré d’adhésion à sa propre vie et la trame de lecture diélienne ne sert qu’à dépister le hors-piste : j’adhère à mon expérience de vie, activement et avec satisfaction ou je ressens un malaise que je suis amené à décrypter pour retrouver ma joie de vivre… | Pas de profil mais un modèle symbolique, le jongleur. Symbole ou métaphore | Chapelet 3.0, une méthode d’initiation à rebours ; Chapelet vs. Catéchisme, Komboloï | Un sens critique à deux faces, Un bon conducteur… | Notre bel et grand chef-d’œuvre, c’est vivre à propos. Montaigne, De l’expérience (Essais, III, 13)]
Notes
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- Laing – En français (traduction Patrick Thonart) : “Une partie de la texture de nos sociétés est tissée d’hallucinations collectives, que nous appelons “réalité”. C’est cette folie complice est ce que nous baptisons “santé mentale” avec la même assurance que nous pointons du doigt son contraire, baptisé “aliénation”.“
- Rilke -En français : “Il est merveilleux d’être ici” (traduction de Jean-Pierre Lefebvre in Œuvres poétiques et théâtrales, Paris : Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997). Traduction alternative de Patrick Thonart : “Il est merveilleux d’être là.“
- Proust – Le texte original est le suivant : “Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : « Je m’endors. » Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière ; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n’était plus allumé. Puis elle commençait à me devenir inintelligible, comme après la métempsycose les pensées d’une existence antérieure ; le sujet du livre se détachait de moi, j’étais libre de m’y appliquer ou non ; aussitôt je recouvrais la vue et j’étais bien étonné de trouver autour de moi une obscurité, douce et reposante pour mes yeux, mais peut-être plus encore pour mon esprit, à qui elle apparaissait comme une chose sans cause, incompréhensible, comme une chose vraiment obscure. Je me demandais quelle heure il pouvait être ; j’entendais le sifflement des trains qui, plus ou moins éloigné, comme le chant d’un oiseau dans une forêt, relevant les distances, me décrivait l’étendue de la campagne déserte où le voyageur se hâte vers la station prochaine ; et le petit chemin qu’il suit va être gravé dans son souvenir par l’excitation qu’il doit à des lieux nouveaux, à des actes inaccoutumés, à la causerie récente et aux adieux sous la lampe étrangère qui le suivent encore dans le silence de la nuit, à la douceur prochaine du retour.” [MARCEL-PROUST.COM]
- Syndrome de l’imposteur :
- Interview d’Axel Kahn du 23 juin 2021 pour La grande librairie de François Busnel. [Retour]
- Memento Mori en français : Souviens-toi que tu vas mourir. Dans la Rome antique, la formule était répétée à l’oreille des généraux victorieux pendant la cérémonie de leur triomphe. [Retour]
Ressources
Bibliographie raisonnée
Cette bibliographie raisonnée permettra à chacun de prolonger sa lecture par d’autres lectures enrichissantes, ici classées par disciplines ou catégories de wallonica.org.
Artefacts – Littérature
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- ATWOOD Margaret, La servante écarlate (1985, Robert Laffont, Pavillons Poche, 2021)
code [ATWOD01] - AUSTER Paul, Mr Vertigo (1994, Actes Sud, Babel, 2019)
code [AUSTR01] - BENOIT Pierre, L’Atlantide (1919, Librairie Générale Française, 1973)
code [PBNOI01] - DILLARD Annie, Pèlerinage à Tinker Creek (1974, Christian Bourgois, 2022)
code [DILRD01] - FISHER Robert, Le chevalier à l’armure rouillée (1987, Ambre, 2010)
code [FISHR01] - HARRISON Jim, De Marquette à Vera Cruz (10-18, 2004)
code [HRSON01] - HARRISON Jim, Retour en terre (10-18, 2009)
code [HRSON02] - MURAKAMI Haruki, Kafka sur le rivage (10-18, 2003)
code [MURKM01] - PROUST Marcel, A la recherche du temps perdu – 1. Du côté de chez Swann – Première partie : Combray (1913, Gallimard, 2022)
code [PROUS01] - RILKE Rainer Maria, Elégies de Duino (1912-1922, Allia, 2022)
code [RILKE01] - SIMENON Georges, Pédigrée (1948, Gallimard, 1998)
code [SMNON01] - SINGER Christiane, Histoire d’âme (Albin Michel, 2001)
code [SINGR01] - WAGAMESE Richard, Les étoiles s’éteignent à l’aube (Zoé, 2016)
code [WAGAM01]
- ATWOOD Margaret, La servante écarlate (1985, Robert Laffont, Pavillons Poche, 2021)
Discours – Neurosciences
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- DAMASIO Antonio, Le sentiment même de soi : corps, émotions, conscience (Odile Jacob, 1999)
- DAMASIO Antonio, Sentir et savoir : une nouvelle théorie de la conscience (Odile Jacob, 2021)
- HARRIS Annaka, Une brève introduction à la conscience (Quanto, 2021)
Discours – Philosophie
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- BAKEWELL Sarah, Comment vivre ? Une vie de Montaigne en une question et vingt tentatives de réponse (Albin Michel, 2013)
- COCCIA Emanuele, La vie sensible (Payot & Rivages, 2010)
- EPICURE, Lettres et maximes (trad. Marcel Conche, PUF, 2009)
- FLEURY Cynthia & FENOGLIO Antoine, Ce qui ne peut être volé. Charte du Verstohlen (Gallimard, 2022)
- HUSTON Nancy, L’espèce fabulatrice (Actes Sud, 2008)
- HUXLEY Aldous, Les portes de la perception (10-18, 1954)
- KANT Immanuel, Qu’est-ce que les lumières ? (Was ist Aufklärung ?, Flammarion, 2020)
- MONTAIGNE Michel Eyquem de-, Essais (Gallimard, Quarto, 2009)
- NEIMAN Susan, Eloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise (Premier Parallèle, 2021)
- PENA-RUIZ Henri, Grandes légendes de la pensée (Flammarion, 2005)
- REVEL Jean-François, Pourquoi des philosophes (Jean-Jacques Pauvert, 1957)
- SPINOZA Baruch, Traité de la réforme de l’entendement (1677, Flammarion, 2003)
Discours – Psychologie
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- BOON Suzette et al., Gérer la dissociation d’origine traumatique ; exercices pratiques pour patients et thérapeutes (De Boeck, 2017)
- DIEL Paul, Psychologie de la motivation (PUF, 1947)
code [DIEL-01] - VANEIGEM Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Gallimard, 1967)
- VARTZBED Éric, Quelques considérations cliniques sur la folie de Nietzsche (in Psychothérapies, 2005/1, Vol. 25, p. 21-27)
Discours – Sociologie
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- BARD Alexander & SÖDERQVIST Jan, Les Netocrates (Leo Scheer, 2008)
- BRONNER Gérald, L’apocalypse cognitive (PUF, 2021)
- DEBORD Guy, La société du spectacle (Buchet-Chastel, 1967)
- SENNETT Richard, Ensemble. Pour une éthique de la coopération (Albin Michel, 2014)
- VANEIGEM Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (Gallimard, 1967)
Dispositifs – Systèmes
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- HORTON R., L’anishinaabemowin : la langue ojibwée (L’Encyclopédie canadienne, 2017)
wallonica.org
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- THONART Patrick, monstre (wallonica.org, 2017)
- THONART Patrick, vanité (wallonica.org, 2017)
- THONART Patrick, Universaux : des mouvements primaires pour mieux lire les rêves ? (wallonica, 2020)
- THONART Patrick, Dieu est mort : c’est vrai, je l’ai vu sur les réseaux sociaux… (wallonica, 2020)
- THONART Patrick, L’existence précède l’essence… et lycée de Versailles (wallonica, 2020)
- THONART Patrick, Développez votre complexité personnelle grâce à wallonica.org (wallonica, 2020)
- THONART Patrick, Doktor Frankenstein et le body-building… (wallonica, 2021)
- THONART Patrick, Suis-je une infox ? (wallonica, 2022)
Glossaire
Ce glossaire détaillé reprendra les différents termes employés, qu’ils soient originaux ou utilisés dans des ouvrages cités en référence.
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- Accusation : chez Paul Diel, …
- culpabilité
- komboloï
- motivation
- sentimentalité
- vanité
- wallonica.org
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Médiathèque raisonnée
On trouvera ici une liste commentée des images, tableaux, photos, films, sites ou événements marquants, susceptibles d’illustrer le propos (hyperliens).
Artefacts – Arts visuels
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- GAUGUIN Paul, Vision après le sermon (Edimbourg, 1888)
- DORE Gustave, Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l’Enfer (Bourg-en-Bresse, 1861)
Galerie des portraits (parce que c’était eux, parce que c’était moi…)
Pour compléter les ressources, une liste commentée recense les penseurs évoqués dans le livre. La notice permet d’identifier pourquoi l’auteur a été cité ou analysé et dans quelle mesure il a inspiré le propos tenu, sans impliquer une lecture de ses Œuvres complètes…
D’abord, les sept mercenaires, classés par chronologie de leur naissance, quelle que soit leur époque d’influence…
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- Laô Tseu
- Épicure
- Michel de Montaigne
- Baruch Spinoza
- Friedrich Nietzsche
- Ernst Cassirer
- Paul Diel
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Et puis, quelques autres :
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- HUSTON Nancy
- KANT Immanuel
- LEVINAS Emmanuel
- ONFRAY Michel
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[Rawètes
Version livre-outil (description) – La structure. C’est un kit de survie qui vous était annoncé et c’est une boîte à outils didactique que vous avez en main. Pour chacun des sept thèmes de travail, le dispositif est identique : La fiche pédagogique : chaque fiche pédagogique offre la même structure : brève description du sujet exploré, intérêt de le travailler, objectifs des exercices, méthode employée, mots-clefs, pistes pour ceux qui veulent approfondir le thème. Dans le cadre d’animations de groupe ou d’accompagnement personnel (coaching), l’accord sur la fiche pédagogique est un prérequis à toute activité. | Le conte : Voltaire ou La Fontaine*** | L’essai : dans un manuel qui dénonce le diktat des idées et des dogmes qui nous inhibent au quotidien, il est impératif de commencer par fixer le vocabulaire conceptuel sur lequel la méthode va s’appuyer. Exemples variés et citations de penseurs éclairants émargent l’exposé et chacun devrait, après lecture, y trouver matière à entreprendre les exercices personnels en toute connaissance de cause. | La galerie : pour ceux d’entre nous qui voient avant de comprendre et qui comprennent mieux quand ils ont vu, une galerie d’illustrations, de schémas et de reproductions d’œuvres issues des arts visuels devrait assurer la transmission “non-verbale” des notions et des questions qui fondent le texte. Merci les illustrateurs ! | L’anthologie : la fiction est souvent la meilleure école de Vie : nous ne pouvons tout expérimenter nous-même et il nous arrive d’être distraits quand se présentent à nous des phénomènes qui en disent long sur notre existence. Merci les créateurs ! | Les exercices de développement personnel : sujet polémique s’il en est : pour les uns, farce grotesque ; pour les autres, bouée de sauvetage, le développement personnel est devenu une industrie juteuse pour les éditeurs, les donneurs de leçon, les coaches d’un week-end et les chamanes de salon. Notre époque d’apparences où la représentation prime sur la réalité à vivre (notre Monde du spectacle, dirait Debord), n’ose plus parler ouvertement de philosophie, de saine introspection ou de bon sens : ce n’est pas assez vendeur. Le développement personnel n’est-il pas devenu un rayon à part entière dans toutes les grandes librairies ? Je compatis d’ailleurs au désarroi des libraires qui doivent décider de la tête de gondole où ils devront exposer ce livre. Développement personnel, Philosophie, Esotérisme, Psychologie, Sciences humaines ou Matériel scolaire, puisqu’aussi bien, il propose des exercices pratiques à faire au terme de chaque chapitre ?]
Remerciements
Je tiens à remercier ma femme dont le cœur immense reste le plus magnifique pré fleuri où j’ai pu pique-niquer au soleil quand la rédaction de ce livre me laissait sans force. Ses qualités de relectrice acerbe n’ont eu d’égal que sa capacité d’encouragement.
Mes filles m’ont également été d’un grand secours : ce livre résulte d’un long processus de maturation qui, des années durant, m’a habité et quelquefois aveuglé. Ici encore, c’est leur cœur et leur patience qui ont gagné.
Mes remerciements vont également aux amis et aux proches qui ont relu, corrigé mes différentes copies et, par ailleurs, au fil de nos conversations, augmenté le volume de ce livre, qui ne pouvait que donner suite à leurs commentaires généreux. Merci donc à Renaud Erpicum, Alain Felgenhauer, Jean Leforgeur, Carine Nardellotto, Thibault Sabbe et à tout ceux que j’oublie ici (mais je les aime quand même).
Merci enfin à Philippe Vienne, tout aussi inénarrable qu’indéfectible encyclopédiste bénévole, sans qui notre blog encyclopédique wallonica.org serait beaucoup moins que ce qu’il est devenu…
4ème de couverture
Vivre libre, hors du confort des préjugés et des idées reçues, est-ce perdre le sens de la vie ou le trouver enfin ? Renoncer aux dogmes et aux clichés, est-ce se rapprocher de la Grande Santé et se préparer des lendemains qui chantent réellement ? Doit-on avoir peur d’avancer dans l’existence sans la sécurité d’être comme tout le monde ?
Ce petit guide explore de nouvelles manières de s’affranchir sans violence du on a toujours fait comme ça. L’ouvrir, c’est déjà un vertige, c’est goûter l’audace de se rendre plus libre, dans un monde qui ne le souhaite pas, dans un environnement commercial globalisé qui nous veut identiques, standardisés et sans originalité.
Apprendre en faisant : c’est le principe de ce livre-outil qui veut susciter un travail sur soi simple et gratifiant. Chacun y trouvera autant d’occasions de “réviser sa copie” qu’il y a d’exercices de pensée, de citations, de fictions, d’illustrations ou d’exercices, tous centrés sur un objectif unique : vous faire sentir le vent d’une liberté légitime… au quotidien.
Patrick Thonart est né à Ixelles (BE) en 1961. Il vit et travaille aujourd’hui à Liège d’où il publie de nombreux articles et traductions, principalement dans le blog encyclopédique wallonica.org, qu’il anime depuis plus de vingt ans déjà. Ses différents projets l’ont mené en Asie, aux Amériques et en Afrique sub-saharienne mais, comme un certain Montaigne, il préfère que la mort le trouve chez lui, “plantant mes choux, mais nonchalant d’elle, et encore plus de mon jardin imparfait.” Ce guide est son premier livre chez [éditeur].
Avertissement
Le présent manuel est souvent conseillé comme traitement des symptômes liés à l’eczéma, la dépression et la bronchite chronique. Notez bien qu’il ne peut jamais remplacer l’avis de votre médecin traitant : n’en faites pas un usage prolongé sans consulter le spécialiste le plus pertinent pour votre pathologie.
[INFOS QUALITE] statut : en construction | mode d’édition : rédaction et documentation | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Edvard MUNCH, Le soleil (1911) © Université d’Oslo ; © DR.
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- THONART : Pauvre B… (comme Berlioz)
- THONART : Tolkien or the Fictitious Compiler (ULiège, 1984) – 02 – The Lord of the Rings as more than a Romance
- THONART : textes
- THONART : Tu es ma rive
- BLAKE : textes
- THONART : L’œil de l’Homme est dans le lac…
- THONART : La belle histoire de Petite-Fille et du Cœur de Hérisson (2011)
- Dieu est mort : c’est vrai, je l’ai vu sur les réseaux sociaux…
- THONART : Les armoires alignées (2014)