THONART : Festival Home Records à la Cité Miroir (avec quatremille.be, 2017)

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[QUATREMILLE.BE, 24 mai 2017] – Welcome to Liège Cité Miroir, the current time is 18:59 and the temperature is 28°. Please notice you may not turn on cellular devices. Please keep your seatbelt fastened until the artist arrives at the gate. Check the Company website or see an agent for information on what is happening next. Thank you for listening to Home Records artists and we hope to see you again soon!

Alors, on disait qu’on était une bande de jeunes détendus et sympathiques et qu’on faisait un groupe qui éditait de la musique et qui faisait que nos amis, ils soient contents (et ma tante Alberte aussi) et qu’on parlait aux jeunes gens et qu’on leur disait la vérité sur le monde de la musique avec de la poésie branquignole à tous les étages et qu’on appelait d’abord le groupe qui éditait de la musique « Parrhèsia », comme en Grec, parce que ça sonne bien et que ‘parésie’ ça veut dire le ‘parler-vrai qui peut être risqué’, et qu’ensuite on changeait d’avis et qu’on s’appelait « Home Records » parce que ça faisait plus international…

Dommage pour la parésie. C’est pourtant le Graal (du chroniqueur) que d’arriver à raison garder et se tenir sur le fil du dire-vrai, au-delà de deux vertiges trop faciles : je lâche les chiens (message : j’ai détesté) ou sortez la pommade (message : j’ai adoré). Comment faire autrement alors que d’expliquer le pourquoi j’ai (pas) aimé ? On y va, on essaie…

Pauvre Chris de Pauw (guitare solo). Déjà qu’il arrive en retard, le voilà qui doit passer après une séries d’intros bizarrement mises en scène : d’abord, un speech face au public du boss de Home Records qui attaque avec un « Qu’est-ce que je vous dirais bien ? » qui en dit long sur le fait qu’il considère son public comme captif (une erreur, probablement : il s’agissait plus d’un public acquis à la Cité Miroir et désireux de découvrir ce qu’il proposait, que d’afficionados de son label) ; ensuite, long texte lyrique dit en anglais par une voix-off pas authentiquement anglaise, suivi de la traduction (toujours en voix-off) qui dit toute l’indigence et la suffisance de l’intro, avec quelques pataquès en prime. De Pauw et les 9 artistes qui l’ont suivi se sont clairement désolidarisé de ces intros bilingues : les uns ont joué l’ironie en singeant une attente un peu ridicule, les autres, la parodie (excellent accompagnement moqueur au piano de Johan Dupont). Etaient-ils au courant ? Et la voix-off a-t-elle vraiment parlé de « décloisonner les miches » ?

N’empêche : de Pauw prend sa guitare et la magie s’installe immédiatement. Le son est chaud et charme. Le moment partagé se crée et, un peu paresseusement, on se prépare au mélodieux, presque au familial puis, non, la guitare de Chris de Pauw repart dans une autre direction et, forcés de plein gré, on suit l’énergie proposée, on goûte la poésie qui s’égrène et on se perd avec délice dans les méandres du jeu de l’artiste. Des noms de grands de la guitare remontent à la mémoire, par l’attaque, le phrasé ou la sonorité. Quelquefois, la fluidité est mise à mal par des phrases interrompues on ne sait trop pourquoi, comme dans un duo émouvant pour lequel l’autre guitariste ne serait pas venu. Mais De Pauw est un grand essayeur de sonorités et, en musicien accompli, il change d’instrument (avec e.a. une Levin de 1955 au son charmant et un ukulélé), comme de technique, avec une aisance impressionnante. Plaisir et partage…

Rebelote avec les voix-off puis, un choc à l’estomac : Auster Loo (le frère de Walter ? Bon, je sors…). Plus précisément : Lydie Thonnard (flûtes, voix) et Simon Leleux (percussions : darbouka, etc.). De la classe inclassable : c’est Steve Reich qui revient de vacances en Tunisie, c’est Ian Anderson sous influence à Tombouctou, c’est Eric Dolphy qui fait doum-tak-ferk (pas ga-bu-zo-meu, ça, c’est les Shadoks). C’est surtout un mariage (d)étonnant entre rythmes ethniques et phrasés minimalistes qui réalise ce qui, justement, est miraculeux dans la musique minimaliste : avec un dispositif qui répète une phrase puis l’infléchit légèrement à chaque itération, on crée une émotion rare et directe. Pour y arriver : une technique maîtrisée (« chapeau l’artiste » quand Lydie Thonnard double la flûte avec la voix), un respect mutuel dans l’espace sonore occupé par chacun et puis, malgré l’attitude d’abord sévère de la flûtiste, un instinct musical « qui part de plus bas », là où ça se passe. A deux, un trio (flûte, voix et percus) beau et captivant, à écouter en live…

Bernard L’Hoir, après un long texte bilingue en voix-off (l’aurais-je déjà évoqué ?), s’installe ensuite au piano, avec un comparse à la guitare. Le programme annonce une « musique inclassable » et un « voyage qui commence ». Soit. Un complément d’info évoque les studios de Peter Gabriel. Soit. On est prêts pour L’invitation au voyage… qui ne vient pas. Plusieurs mélodies agréables (je crois qu’on doit dire post-moderne ou, en Flamand, PoMo quand un artiste se refuse à faire de la musique savante et qu’il mélange les genres) mais un peu confuses, sans envol. Comme si Bernard L’Hoir se refusait certaines audaces malgré ses postures inspirées. Peut-être est-ce par respect pour la personnalité plus puissante de son partenaire, Juan Carlos Mellado ? Celui-ci prend en charge l’originalité avec un son très présent, une articulation limpide et une pétillance des attaques qui rendent vie à la mélodie du piano. Peut-être pas un bon jour…

J’aime Tondo. C’est le seul album que j’ai acheté. L’heure n’est plus aux Malicorne, RUM, Tri Yann et autres vielleux des seventies : Tondo, c’est trois larrons qui touchent les instruments traditionnels (vielle à roue électro-acoustique pour Gilles Chabenat, guitare pour Maarten Decombel, cornemuse et clarinettes pour Fred Pouget) et dépassent le Folk traditionnel pour décoiffer bien au-delà. D’abord, comme dans un conte de fée, une progression régulière de la mélodie, répétitive, inexorable mais sans violence, puis changement de ton et montée jusqu’aux solos qui font du bien. Impressionnant, généreux et cohérent. Tout l’espace, vaste, de la Cité Miroir était enchanté. De la belle ouvrage…

Un conseil : si vous voulez électriser les foules, ne criez jamais Vive la Révolution, en fin de journée, sur une plage déserte du Pas-de-Calais. Le pari était difficile pour Lara Leliane : pendant toute la première partie du festival, il faisait jour dans l’Espace Rosa Parks et les artistes, dos à un fond de scène noir qui évitait le contre-jour, ne pouvaient pas profiter d’un éclairage entièrement maîtrisé, vu la magnifique baie vitrée de la Cité Miroir. Pari difficile, donc, malgré le style de la chanteuse, ses possibilités vocales alla youtube et sa volonté toute en fraîcheur de délivrer un message généreux. Pari difficile aussi, de faire comme si le public était prêt à se faire haranguer en Anglais (encore ?) : une mère émeut-elle son enfant si elle ne parle pas sa langue… maternelle ? Et pourtant, et pourtant, tant de potentiel ! Pari non tenu…

Pause ; tout le monde, ou presque, va se rafraîchir : on en a encore jusqu’à passé minuit, si je compte bien !

Part two. Deuxième partie. La salle se déplume un peu. Dommage, car un des moments forts de la soirée, c’est maintenant. Clarinet Factory attaque son premier morceau et c’est tout de suite du grand son, de l’immédiat. La piscine est une cathédrale, envoûtée par ce quatuor tchèque qui, une fois encore, la joue minimaliste… mais pas que. On pense aux formidables saxophones flamands de BL!NDMAN mais version clarinettes et en troquant Bach contre Glass. Et le tourbillon continue, du cohérent, du partagé, du crossover créatif, des tuttis qui ouvrent le cœur. Que du plaisir ! Pourquoi chanter alors ? Par tradition ? Le problème n’est pas tant la voix, que la différence d’approche entre une gentillette ballade amoureuse, chantée sur la place du village, et le fascinant portail sonore que l’ensemble arrive à construire pour nous (avec des faiblesses, pardonnées d’avance, liées à des solos pas toujours nécessaires). Mélanger les genres est une chose, ne pas choisir son style en est une autre. Beaucoup de belles émotions néanmoins…

1 plus 1 égale 3 ? C’est probablement le pari que voulaient tenir le chanteur Osman Martin et le Quatuor MP4. De la bossa, du chorinho et de la samba, un chanteur animateur qui tient son public (et qui sait le rattraper quand il n’a pas le sens du rythme), de beaux passages, des percus ‘qui le font’. C’est vrai. Mais où est la valeur ajoutée de l’accouplement avec le quatuor quand les attaques des cordes ne soulignent pas les temps forts, quand leurs couleurs ne font pas danser ? Tout le monde n’est pas le Kronos Quartet et ce n’est pas nécessaire. Reste qu’ici, c’est la fête qui a primé et les sourires étaient nombreux et enthousiastes. 1 plus 1 égalait 2 mais qui s’en plaindra ? Sympathique…

Si vous n’aviez jamais vu un gars qui fait un solo plus free que free… sur une vielle à roue, c’était le moment : Valentin Clastrier (et son acolyte, le clarinettiste Steven Kamperman), c’est le Jean-Luc Ponty de la vielle ! On n’avait pas prévenu le public (qui commençait à fatiguer à l’approche de minuit) et c’est dommage : beaucoup avaient quitté la salle quand la bombe sans retardement a explosé. Clastrier n’est pas un jeunet, c’est un peu le tonton de la vielle à roue d’aujourd’hui. Avant de l’entendre, personne ne pensait que ses Fabuloseries n’auraient rien à voir avec farfadets et Bigoudaines. La surprise a été totale et irrésistible : sous les doigts de Clastrier, la vielle n’est pas un instrument folk (le traditionnel continuo pour chanteur de village) et, à côté de ses flamboyances, les solos les plus explosés de Jimi Hendrix ressemblent à des bluettes. Une musique décalée, d’un accès pas toujours aisé mais qui vaut l’attention qu’elle requiert de nous. Un duo qui marche ensemble, en chœur ou en contrepoint. Une découverte authentique…

Et un Schmitt pour le 12, un ! Samson Schmitt, c’est un guitariste Schmitt de la tribu des Schmitt de-chez-Schmitt-d’en-face : pas vraiment des manchots quand il s’agit de jazz manouche. Et, quand il descend en ville pour rejoindre deux petits Liégeois – le (vraiment) formidable Johan Dupont au piano et le non moins remarquable Joachim Iannello au violon – ça déménage bien. Avec beaucoup de respect pour ses juniors, Samson Schmitt laisse Johan Dupont se tailler la part du lion et, il faut l’avouer, personne ne s’en plaint (la balance son était clairement en sa faveur : pots-de-vin ?). Doublure douée, Joachim Iannello apporte une très belle contribution aux côtés de Schmitt, sans retomber dans les poncifs du genre manouche, ce qui est une performance. Un moment grand et d’une qualité qui se démarque sur le reste de la soirée. A revivre encore et encore…

Le festival-marathon va prendre fin, plusieurs ont déjà repris la route et la nuit s’avance mais, heureusement, le soleil a rendez-vous avec la lune. Non, le dernier artiste n’était Charles Trenet pour ses tantièmes adieux à la scène mais bien Alain Frey, le bien nommé. Sa fraîcheur est en plus servie par deux complices et non des moindres : Samson Schmitt qui reste en scène avec sa guitare et l’étonnant Laurent Meunier aux saxes. Les références pleuvent quand on écoute le trio : quel est ce cocktail cressonné fait de Trenet, SanSeverino, Lapointe, Brassens et d’autres zazous dont le nom n’est pas resté ? Frey a la nostalgie rieuse, il joue le swing d’antan avec l’audace d’aujourd’hui, gère un scat qui ne rougirait pas devant le hi-de-ho de Cab Calloway et monte dans les aigus sans un faux-pas. Que du bonheur, que du sourire. Ceux qui sont restés ne le regrettent pas…

Clôture du festival Home Records. Plus de voix-off. Les célébrités liégeoises (oxymore ?) ont rejoint la salle pour être vues à la sortie, chacun retourne dans ses pénates en les saluant, les plus résistants prennent un petit dernier, après un festival qui ne devrait pas l’être, le dernier….

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, rédaction et iconographie | sources : quatremille.be | rédacteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © La Cité Miroir.


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