THONART : Souricette et la pétarade à vents (2019)

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Il était une petite fois, une petite souris qui souriait tout le temps : sur les photos, elle souriait ; dans son landau, elle souriait déjà ; sur les bancs de l’école, elle souriait ; sur les chemins, elle souriait (même si elle avait un peu peur dans l’ombre des arbres sombres). Et, en découpant ses petits légumes en petits cubes jolis, elle souriait. Et, en trottant crânement dans les rues de son Village, elle souriait. Et, quand elle s’écrasait le petit orteil sur le pied du lit, et bien, elle souriait aussi (mais un peu moins). Tout le monde trouvait cela chouette, une souris qui sourit, tellement chouette qu’on l’avait baptisée Souricette, ce qui, à vrai dire, n’avait rien à voir mais traduisait bien le fait que Souricette, on l’aimait bien, elle.

Parce que, un peu comme dans les contes, la mère de Souricette était une loutre des rivières. Pourtant, on l’appelait Loutre-Mère. Les gens du Village se sentaient un peu mal à l’aise avec elle : beaucoup admiraient sa créativité, son entrain et son courage ; ils saluaient sa culture et ses broderies, goûtaient ses gâteaux et, quand ils y étaient invités, se promenaient dans son jardin, parmi ses fleurs.

Mais d’autres, aussi, la trouvaient – comment dire ? – un peu bizarre, justement. C’est vrai : une loutre bien léchée, c’est bien. Mais ils trouvaient un peu spéciale cette dame-loutre qui, sans prévenir, pouvait plonger dans le plus sombre remous de la rivière et resurgir plus tard, beaucoup plus tard, sur l’autre rive, une fois en souriant au soleil de l’après-midi et une autre fois en se faufilant à l’abri des racines, toute grondante et soufflante… souffrante, peut-être. Pour les gens du Village qui la croisaient, il était difficile de savoir quel sourire employer, faute de pouvoir s’y préparer. En plus, cette mère de famille bien huilée (ça, ils ne le comprenaient pas non plus) ne pétait jamais, au grand jamais ! Ce qui n’était pas le cas de Souricette.

Chanson :

Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…

Rivière oblige : le père de Souricette, lui, était un castor et, comme tous les castors de la région, il s’entraînait au ping-pong tous les weekends. Il fallait le voir sauter derrière les tables, la queue dressée pour smasher ou, le plus souvent, faire des balles bien tournantes qui trompaient la vigilance de ses adversaires. Seulement, c’étaient là ses seules heures de gloire : le reste du temps, il s’affairait à ses petites affaires et on avait bien du mal à savoir où il traînait, quand on le cherchait. Voilà bien un bricoleur qui bricolait des bricoles : vous ai-je dit qu’il aimait aussi les broccoli ?

Père Castor était comme les autres castors : avec l’âge, ses blagues devenaient de plus en plus prévisibles et ponctuaient lourdement tous les repas familiaux. Reste que Souricette lui souriait aussi – bonne fille qu’elle était – et que, plus d’une fois, son paternel avait taillé l’effigie de sa jolie petite souris souriante dans une souche, derrière le verger. Mais où se cachait-il donc quand les chasseurs sont venus, avec leurs fusils dressés ?

Chanson :

De la naissance à la mort,
Personne n’a vraiment tort,
Mais on a tous dans le cœur,
Un castor prompt à avoir peur.

La belle enfant n’était pas seule et la famille était rassemblée, quand les chasseurs l’ont trouvée. De Père Castor, point, ou alors caché dans un coin. En haut, la Loutre-Mère était déjà couchée et, en bas, les autres enfants jouaient près de la cendrée. Souricette avait un frère, un blaireau sévère à la vue courte. Dans le Village, on l’appelait : le P’tit-Père Sévère. Il avait la patte lourde et l’odeur musquée.

Quand le canon du fusil a défoncé la porte de la maison, Souricette ne souriait plus et c’est à l’ombre de P’tit-Père Sévère qu’elle a dû son salut, fuyant se cacher dans le placard des Balais Oubliés de Cendrillon, avant qu’il ne la rejoigne pour s’y terrer à son côté.

Les minutes ont succédé aux minutes et les deux enfermés n’osaient bouger d’un poil. Combien d’heures ont-ils passé, à transpirer dans leurs odeurs mélangées, combien d’heures avant qu’ils ne réalisent que les chasseurs avaient renoncé, en se bouchant le nez. Souricette les avait bien vu partir, le danger était écarté mais… on ne sait jamais. C’est quand elle s’est retournée vers P’tit Père et qu’elle a vu ses yeux qui brillaient dans le noir et la fixaient avec autorité que la petite souris n’a pas sourit et que, vite, elle est partie.

Chanson :

A chaque blaireau que tu croises,
Regarde la face rayée et décide :
Les striures de lumière masquent-elles son ombre,
L’ombre de ses rayures rongent-elles sa lumière ?

Le drame était passé et Souricette avait grandi. Elle était devenue belle et bien tournée. Tant et si belle qu’un paon qui passait au Village la remarqua et demanda fissa sa main à son papa. Rantantan le Paon (puisque c’est comme cela qu’il se faisait appeler) habitait la Ville et Père-Castor n’hésita qu’un petit peu : il commençait seulement à réfléchir aux conséquences de sa décision (que Loutre-Mère avait déjà prise, d’ailleurs) que Souricette était déjà arrimée au cou du volatile et que les enfants du Village faisaient déjà une farandole autour des deux amoureux. La parade s’éloignait ainsi sur la route et la silhouette des deux amants se détachait sur un coucher de soleil que Rantantan avait souvent auparavant emprunté à un copain.

Mais, avec les années (quelques années seulement), les plumes se sont mises à tomber et la parade égayait de moins en moins souvent la souris jolie. Accrochée au cou du volatile, elle se pavana d’abord un peu vainement, laissant loin derrière elle le souvenir de la Nuit des Chasseurs. Reste que d’autres souris faisaient également tourner le cou du paradant volatile et que l’arrière de son plumage était bien moins coloré que le bleu de sa face. Alors, Souricette continua à sourire un peu mais, des paillettes, elle fit vite son deuil, qu’elle fêta avec ses amis les écureuils.

Chanson :

Méfie-toi de la splendeur du paon,
Dont la face te tourne la tête.
Elle sera bien vite passée
Et l’autre face sert à péter.

Souricette marchait dans les bois, quelque temps plus tard, un peu perdue dans ses lendemains de la veille, lorsque qu’apparut Rabouh le Hibou. Ses plumes étaient fort ternes mais le volatile savait chanter la Nuit et tourner la tête d’un tour, comme d’un détour. Quelle magie était-ce donc là : un Janus rotatif doublé d’un musicien du Crépuscule ? Haut perché, l’animal était moins festif que le paon mais combien plus exaltant. “Une petite souris et un vieil oiseau, s’aimaient d’un amour ivre, mais comment survivre, quand on est là-haut ?” Les hiboux mangent les souris ; les souris fuient les hiboux : Souricette le savait bien, qui a entrepris d’amadouer l’oiseau doué. A peine plus grosse qu’une de ses pelotes de réjection, elle allait balayer ses déjections et nourrir de sa vie l’existence du seigneur de nuit qui, malgré son aile blessée, bougonnait avec bagout.

Était-ce de la dévotion face au sombre artiste ? Était-ce jouir à son tour de la lumière de gloires anciennes ? Était-ce la mère ou l’amante qui, tous les matins, faisait entrer le soleil dans leur tanière ? Toujours est-il Souricette y a travaillé plus qu’à son tour et, comme on s’en doute, y a pété généreusement de jour comme de nuit. Jusqu’à ce moment funeste où une odeur lui est montée au nez, qui n’était plus la sienne. D’habitude, les odeurs familières lui montaient directement aux narines et elles étaient rassurantes pour la souris. Mais, cette fois, si l’odeur était connue, elle restait difficile à reconnaître. Sauf si…

Comme un coup de tonnerre, le souvenir de la Nuit des Chasseurs lui est revenu et son cœur lui est remonté jusqu’au bord de la gorge. Était-ce une senteur du vieil hibou ou l’odeur musquée de son frère P’tit Père ? Rôdait-il au pied de l’arbre ? Mais que voulait donc dire cette madeleine de proute ?

Qu’à cela ne tienne ; ni une, ni deux ; courage, fuyons : voilà notre Souricette à nouveau sur les chemins, alertée par une odeur dont elle ne peut que taire l’horreur.

Chanson :

Si la nuit, le hibou règne au faîte
Et fait des tours avec sa tête,
Garde-toi bien d’y grimper,
Tu pourrais y perdre pied.

C’est alors, qu’en chemin, elle rencontre l’ours Biguebaire, souriant et aimable, quoiqu’un peu tracassé par une drôle de machine qu’il vient de fabriquer de ses grosses pattes, là-bas au bord de la clairière fleurie.

C’est une pétarade à vents“, lui explique-t-il, “le vent du Soir entre par ici et fait un bruit de proute en ressortant par là. L’avantage, c’est que cela ne sent pas mauvais, puisque c’est l’air des fleurs de la clairière. Ecoute, je vais le faire tourner.” Tout à son affaire, Biguebaire s’empare de la manivelle, tourne trois fois puis, dans l’excitation de cette première démonstration, lâche lui-même un vaste et généreux pet d’ours, le genre de flatulence qui vous dénude un bois de sapin !

L’ours un peu marri de l’inconvenance, s’excuse et dit gentiment à Souricette : “C’est toujours comme ça pour nous, les souris, on pète“. “Mais tu n’es pas une souris“, répliqua Souricette, “puisque tu es un Ours“. “Je sais, je sais, tu es gentille de me le dire“, soupira Biguebaire, “je l’ai toujours su mais, tu vois, tu vois, je n’osais pas le vivre“.

Moi, je suis une souris, pas toi“, insista Souricette. A ces mots, Biguebaire tourna la tête et la regarda trèèès intensément : chacun de ses deux yeux était sooombre comme le fond de sa caverne… Un instant, elle eut peur qu’il ne la dévorât. Mais Biguebaire sourit alors et lui souffla doucement, posant son gros museau sur les lèvres petites de la souris : “Non, toi, tu es une Princesse“. Il l’embrassa longuement et, toujours ensemble, ils pétèrent heureux à jamais… plus un jour.

Chanson :

Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : révisé | mode d’édition : rédaction, partage, édition et iconographie | auteur et voix du podcast : Patrick Thonart | crédits illustrations : en en-tête, ©  Bénédicte Wesel; © DR.


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THONART : Tite-Belette et sa pelisse (2019)

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Il était une fois très spéciale, un jour de fête au Royaume : Petit-Roi et Petite-Reine allaient présenter leur nouvel enfant aux amis de la famille, réunis dans la grande salle pour festoyer et danser et rire et boire à la santé du nouveau-né et, il faut bien l’avouer, ensuite s’endormir sur les bancs disposés ça et là.

A la table d’honneur, les parents trônaient aux côtés des trois frères et sœurs pour qui des réjouissances identiques avaient été organisées, en son temps. Personne ne pouvait encore imaginer combien cette fête-ci resterait – à raison – dans toutes les mémoires…

Le sens pratique de Petite-Reine avait permis de trouver la juste place pour chacun des convives, en tenant compte des alliances et des détestations qui faisaient le tissu des deux lignées. C’est ainsi qu’elle avait bien veillé à asseoir deux des trois marraines du bébé à chacune des extrémités de la grande table, à distance égale du petit berceau qui trônait au milieu de la salle : Glinda la bonne fée et Aughra la bonne sorcière se détestaient cordialement et personne n’aurait osé s’asseoir entre elles, de peur d’être changé en porcelet au cours d’une de leurs disputes.

La chaise de la troisième marraine, Dame Jehanne, était vide : après avoir honorablement festoyé, elle avait rejoint les cuisines pour accompagner la préparation du gâteau de roses, servi avec les vœux des marraines, comme le voulait la tradition chez ces gens-là.

Près de la grande fenêtre qui donnait sur la Ville, froufroutait Glinda, la marraine-bonne-fée du bébé, toute en bijoux et en dentelles rose pâle. Par un enchantement dont elle avait le secret, les voiles et les rubans de sa tenue voletaient en permanence autour de sa robe scintillante et ce n’est pas sans une certaine jalousie que les autres dames de la tablée évoquaient sa carrière passée.

A l’autre bout de la tablée, tapie derrière une colonne, Aughra, la marraine-bonne-sorcière de l’enfant, se tenait à l’écart de la lumière trop vive des torches : elle n’avait pas peur de l’ombre (souvent, on l’appelait pour entendre les dernières vérités des mourants) et elle n’avait pas peur de la nuit (elle connaissait toutes les étoiles). Elle avait fait plus modestement carrière mais son mauvais caractère l’avait protégée de l’avant-scène.

Un changement de musique appela soudain chacun à faire attention. En se frottant les mains, Petit-Roi se leva et fit le tour de la table, renversant maladroitement au passage une statuette de l’ancêtre Commandeur que Petite-Reine voulait offrir à sa fille, comme elle l’avait fait avec ses autres rejetons.

Il s’éclaircit la voix et annonça à l’assemblée que l’enfant nouveau-né s’appellerait Tite-Belette, ‘Tite” parce qu’elle se sentirait toujours trop petite mais “Belette” parce qu’elle saurait toujours se faufiler. Petite-Reine se leva et, de sa place, ajouta qu’ils en avaient également décidé ainsi parce que Tite-Belette aurait le poils soyeux sur la tête et sur les jambes. Telle était l’annonce des parents.

Glinda se leva alors – sans y être invitée d’ailleurs – et annonça qu’elle ferait deux cadeaux à sa nouvelle filleule. Pour le premier, elle s’approcha du berceau. Tout le monde retenait son souffle quand elle toucha un des rubans volants de sa robe avec sa baguette magique, l’enroula et le posa sur la tête du bébé. Elle se redressa et déclara à l’envi que si les parents voulait un enfant poilu, les poils de sa tête, alors, seraient toujours une fête ! Et à l’instant même, les rubans de sa tenue s’assagirent en des nœuds fort élégants alors que premiers cheveux de la petite, désormais enchantés, adoptèrent une position festive qu’ils ne quittèrent plus jamais.

L’humeur était au beau fixe et on resservit du vin à tous lorsque Glinda fit lentement apparaître son deuxième cadeau, flottant au-dessus du berceau dans un halo de lumière. “Oooh !” s’écria toute l’assemblée, “la pelisse de Leodwin, on la pensait disparue.” L’objet de lumière était magnifique : une pelisse légère comme du fil d’araignée, entièrement recouverte d’yeux ouverts sur une face, capuchon compris.

Tous se tournèrent alors vers Jehanne car c’était elle qui était chargée de la vraie mémoire de la famille. Elle expliqua aux plus jeunes, non sans avoir d’abord lampé un bon coup de vin épais, que la pelisse était magique et puissante et que son premier propriétaire, le roi elfe Leodwin, la portait toujours en son palais, afin de voir tout ce qui pouvait se tramer à son endroit, comme à la bataille où les mille yeux de la pelisse lui permettaient de ne jamais être surpris… jusqu’au jour où un Orc, plus rusé que les autres, compris la source de l’invincibilité du roi et jeta une poudre maléfique sur trois des mille yeux. Il frappa à trois reprises, transperçant ces yeux, la pelisse et le corps du roi au cœur, à l’épaule et au front. Le roi fut enterré au milieu du champ de bataille et tous pensaient la pelisse volée par l’Orc assassin.

Mais elle était là, au vu de tous, flottant au-dessus du berceau innocent d’où les cheveux du bébé commençaient à dépasser ! Ceux qui connaissaient la légende pouvaient d’ailleurs remarquer les trois yeux fermés et cousus, là où le sauvage avait frappé le roi (qui n’était pas petit, celui-là).

Glinda était droite et ne riait plus, sa robe brillante avait maintenant la lumière de l’orage et personne ne bougea quand elle prononça son vœu :

A chacune de tes peurs, la pelisse du Roi te couvrira,
A l’entour, par ses yeux, tout et toujours tu verras,
Le jour, ta curiosité te comblera,
Mais, quand le soir tombera,
Les trois yeux blessés tu oublieras…

La fée se rassit à sa place, comme épuisée par son incantation et la fête semblait atteindre un point mort lorsqu’un grognement fit tourner toutes les têtes dans la même direction. Aughra s’était levée, la colère rentrée faisait friser ses sourcils bien fournis mais personne ne doutait que son vœu adoucirait la lourde destinée annoncée par celui de Glinda (que personne n’avait très bien compris, d’ailleurs). Elle leva la petite baguette de coudrier qu’elle tenait fermement dans sa main gauche et la pointa vers le berceau :

Que ta beauté sauvage raconte ta terrienne puissance,
Que dans le doute tu apprennes à les chevaucher,
Car ceux qui t’aime devineront ta naissance,
Et les autres voudront te la reprocher…

L’assistance restait la lippe pendante : certes, le vœu était beau, bien tourné et, normalement, bénéfique pour l’enfant mais… la pelisse ? Tout le monde chuchotait : “Et la pelisse ?“, “Aughra ne fait rien pour la pelisse ?“, “Elle pourrait quand même alléger le sort de l’autre clinquante donzelle…

Aughra souriait dans sa moustache (qu’elle ne rasait jamais) : elle ne crachait pas sur un petit suspense quand elle voulait jeter des sorts. Elle se leva, reprit sa baguette et la pointa, vers la pelisse cette fois. Un flux presque transparent de lianes et de fleurs en sortit qui atteignit la pelisse en lévitation, l’entoura puis s’évanouit dans les airs, laissant l’objet magique flotter au-dessus du bébé. Si les plus jeunes étaient charmés par la beauté du geste, les plus anciens avaient remarqué que les trois yeux crevés avaient été réparés et retournés au revers. Alors, Aughra, toute en sourire :

Ce que la sauvagerie mauvaise a détruit
La sauvagerie joyeuse a réparé.
En hiver comme en été,
Du manteau, choisis le bon côté !

Personne n’avait compris grand’chose mais tous étaient soulagés car venait le tour de Jehanne… et du gâteau. La bonne marraine n’était ni fée ni sorcière : elle ne pouvait offrir que sa bonté à l’enfant. Ce qu’elle fit :

Quand tu auras besoin de moi,
A tes côtés, je serai là,
Mais toujours pour être aidée
Il faut accepter de demander.

Les années passèrent et le temps des royaumes fut bientôt révolu. Du palais de Petit-Roi et de Petite-Reine ne restait que le souvenir ; les frères et sœurs de Tite-Belette vivaient leurs vies dans d’autres terres. Tite-Belette avait été une belle enfant (le sortilège des cheveux n’avait trouvé aucun contre-sortilège, malgré les efforts de Petite-Reine) et elle devenait un joli petit bout de femme quand le jour arriva où, dans le respect des consignes de Glinda, Petite-Reine remit la pelisse magique à sa fille. Elle le fit, sans un mot d’explication.

Tite-Belette enfila le vêtement à l’apparence quand même fort surprenante : près d’un millier d’yeux qui vous regardent tant que vous ne les avez pas posés sur votre dos, ça intimide. Et puis, ces trois yeux au revers : un dans la capuche, un au sommet de la manche et un sous l’omoplate, ça intimide aussi, pire, ça chatouille les pudeurs.

Qu’à cela ne tienne, l’enfant avait revêtu sa pelisse et, désormais, était condamnée à voir et voir encore. Dans la campagne, voir beaucoup voire tout était une bénédiction, de la poésie à chaque pas, dans chaque creux de branche, dans tous les bourgeons d’arbres, le long des tiges de toutes les fleurs, au fil des plumes de tous les oiseaux : elle se nourrissait de ce qu’elle voyait. Chaque promenade était un pas de plus dans la Grande Confiance.

Or, un jour, ses pas la menèrent à la Ville et, si la Nature de sa campagne ne faisait rien pour être regardée, la Ville, elle, regorgeait d’images faites pour être vues. Tite-Belette se sentait toute petite, toute perdue devant cette abondance. Sans arrêt, les 997 yeux de sa pelisse lui ramenaient des images du monde qui l’entourait, des gens qui lui parlaient, des livres qu’ils écrivaient, des messages qu’ils postaient… elle ne savait plus que penser ni même qui elle était encore. La Grande Confiance s’est mise à fondre et à couler dans la sueur de son cou. Certes les gens étaient ravis qu’elle les regarde autant mais ils partageaient avec elles des mondes qui n’étaient pas le sien, nulle part où elle puisse grandir et laisser fleurir sa vraie personne.

C’est alors qu’elle se souvint du vœu de sa tante Jehanne, qu’on lui avait rapporté. Elle pris son bâton de marche et marcha jusqu’à la vieille qui, comme promis, l’accueillit dans ses bras et la consola. Elle ne lui dit pas grand chose, une fois les retrouvailles consommées. Elle lui rappela simplement le conseil d’Aughra : “Du manteau, choisis le bon côté !” Tite-Belette avait oublié les trois regards tournés vers sa tête, son épaule et son coeur.

Dame Jehanne attendait ce moment depuis la naissance de sa filleule : elle posa lentement son tricot sur le buffet, à côté de l’âtre et se retourna vers la petite. Doucement, elle retira la pelisse magique des épaules de l’enfant devenue femme, la retourna et la reposa sur le dos et la tête de Tite-Belette.

Un moment, celle-ci ressentit une grande obscurité l’entourer et elle eut peur. Puis, un à un, les trois yeux enfin tournés vers le monde s’ouvrirent et Tite-Belette vit désormais la vie à travers son cœur, sa tête et ses bras devenus forts. Est-il besoin de dire qu’elle ouvrit la porte en remerciant sa marraine et qu’elle partit à cheval dans un grand rire nocturne.

Le conte n’en parle pas mais, à la veillée, Dame Jehanne raconte souvent les visites régulières de Tite-Belette qui vient lui raconter comment un œil de plus s’est ouvert… sur elle-même.

Patrick Thonart


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THONART : Le doux conte de Jolie-Femme et du Hérisson de cœur (2019)

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© 2016 Bénédicte Wesel

Il était une fois une jolie femme qui était jolie et qui était une femme. Pour une fois, il n’y avait pas de “on” qui avait décidé de l’appeler Jolie-Femme (comme c’est la coutume dans les contes…) : c’est elle qui en avait décidé ainsi. Bref, une femme, jolie, un caractère.

Or, qu’on ne s’y méprenne pas, cette volonté forte -et la fréquence des geais du Petit-Bois qui se fichaient le bec dans les troncs de sapin en la regardant passer- ne la protégeait pas du vent sourd de la Folle-Inquiète.

La Folle-Inquiète, c’était une légende qu’on hésitait à raconter dans la Forêt, tant elle mettait mal à l’aise. Elle parlait de terribles choses, de mères qui mangeaient leur enfant puis qui le recrachaient dans des trous noirs, de pères aux mille-mains et aux yeux qui roulent quand les filles sont belles, d’abandons violents, de crachats gluants, de morve verdâtre, de proutes fétides et… d’une vieille folle qui avait voulu se sacrifier pour sauver toutes les jeunes filles qui viendraient après elle.

Elle avait épousé un père indigne, un Ogre lubrique, veuf de plusieurs de ses filles, un grand gars avec une barbe bleue et une drôle de clef sanglante qui pendait à sa ceinture. La légende voulait que la vieille folle (qui était alors une fort accorte beauté) lui eût proposé de sacrifier à sa voracité, en préparant un ragoût délicieux, mitonné à base de ses propres mains… confites. Ceci, à condition qu’il se change en cerf et ne touche plus qu’à ses propres chèvres pour peu qu’elles aient enfanté une fois au moins.

L’Ogre, intrigué, accepta et dévora les mains de sa belle avec appétit. Il recracha ensuite les petites phalanges coincées entre ses dents puis se leva de table en rotant d’importance et partit dans la Forêt où, fidèle à son serment, il se changea en cerf (à dix cors, je vous prie) et, invaincu pendant autant d’automnes qu’il y a de pommes sur les pins, il réserva ses saillies aux biches de son cheptel.

Confiante dans le succès de son stratagème, la désormais vieille folle se mit à la peinture et, handicap oblige, fit chaque année du porte-à-porte pour vendre des cartes de soutien aux “peintres de la bouche et du pied”.

C’est alors que, un jour où elle vendait ses jolies cartes dans le village voisin, elle entendit un cri de jeune femme qui ne laissait aucun doute sur ce qui se passait et qu’elle vit un cerf bondir hors de la grange d’où venaient les gémissements de la femme, avec une clef sanglante arrimée à son cou. Le cerf disparu, la vieille folle dût se résigner : son sacrifice avait été inutile, les ogres ont cette faculté extraordinaire de rester des ogres, même avec des cornes.

La raison de la vieille n’y survécut pas : elle fuit dans les bois voisins et ne reparut jamais. Sauf que… Sauf que chaque nuit d’automne, quand le brame a raclé les gorges, on raconte qu’elle souffle dans un cor, du fond de sa grotte, espérant avertir les jeunes femmes du danger, si elles croisaient un cerf avec une clef rouge au collet. Depuis, on l’appelle la Folle-Inquiète et la tradition veut que, l’Automne venu, les vierges du village posent une bougie sur le revers de leur fenêtre ouverte, afin que le souffle du cor de la Folle-Inquiète l’éteigne avant potron-minet.

Jolie-Femme avait entendu raconter la légende fort souvent déjà mais, ce matin, elle avait réellement senti le souffle de la Folle-Inquiète, alors qu’elle marchait confiante, sur une sente du bois qu’elle connaissait bien pourtant. Peu après, du fond des buissons, avait flûté une chanson qui avait posé la glace sur ses tempes. Dans son ventre, elle sentait le vide de la peur…

C’est le brame, c’est l’aurore,
C’est le temps du dix-cors,
Venez, venez danser mes filles,
L’Ogre attend, dressé dans la charmille…

Malgré ses jambes, gelées par une inquiétude plus vieille que son plus vieux souvenir, malgré son cœur qui battait la crainte de ce qu’elle ne pouvait imaginer, Jolie-Femme arriva à s’encourir, loin de la voix profonde qui rampait dans les buissons, loin du souffle de la Folle-Inquiète qui réveillait tout ce qui, souvent, noircissait ses Nuits.

Elle arriva au bord d’une petite rivière où s’affairait un Castor, battant l’eau d’une queue en table d’harmonie. L’animal fébrile était gris de travail mais l’endroit était beau et la maison du rongeur bien accueillante. Visant Jolie-Femme qui s’approchait, il lui déclara tout de go : “Je te connais bien, fillette, et les geais m’ont dit ta beauté : ils m’ont beaucoup raconté. Ils n’ont pas menti et, si tu veux, tu peux vivre à mes côtés pendant un an et un jour. Ce sera le terme de notre amour.” Jolie-Femme était fatiguée et avait encore peur de l’étrange mélopée ; elle n’était pas bégueule et elle accepta la protection de l’ingénieux ingénieur, spécialiste du rondin.

Les mois passèrent et un drôle d’enfant leur vint, qui mélangeait dans sa belle tournure les caractéristiques de ses deux parents, pourtant si différents. Les mois passèrent encore, au grand dam du castor qui avait occupé toute la rive disponible et devait maintenant s’affairer à l’intérieur de ses propres passages et de ses propres tunnels. L’espace commençait à manquer et Jolie-Femme souffrait un peu du dos, obligée qu’elle était de rester courbée dans ce qu’elle voulait voir comme sa propre maison.

Un jour qu’elle était sortie dans la Forêt pour soulager ses courbatures, elle arriva près d’un vieux chêne au pied duquel elle s’assit et… s’endormit. Jolie-Femme était toujours très belle mais il faut dire qu’elle dormait la bouche ouverte (des oiseaux m’ont aussi dit qu’elle ronflait de belle manière), ce qui fit l’affaire d’un Hérisson qui, ni une ni deux, grimpa sur sa poitrine, plongea dans sa gorge et descendit prendre la place de son cœur.

Éveillée par l’indélicatesse du hérisson, elle sentit d’abord les piqûres de ses piquants, à un endroit situé derrière ses poumons : son cœur usurpé. La douleur fit vite place à une étrange chaleur, comme si une fleur s’ouvrait au Soleil, à l’intérieur d’elle.

Que se passait-il ? Combien de temps avait-elle dormi ? Pourquoi sentait-elle la chaleur du hérisson coquin dans chaque partie de son corps joli ? Comment une boule de piquants (pas trop piquant quand même) avait-elle pu la réveiller de son sommeil étrange, au pied du Chêne si vieux ?

C’est alors qu’elle vit l’Ours qui chantait dans la clairière…

Patrick Thonart


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THONART : Le Chêne fait bois amer à celles dont la Mère boit (2014)

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KOLLWITZ Käthe, Die Mutter (1921-22) © MoMA

Il était une Renarde
Bien joliment tournée,
Et je l’dis, ça m’regarde,
Par un grand Ours aimée.

Pendant qu’les autres se fardent,
Notre rouquine zélée,
Près des ânes monte la garde,
Et balaie les allées.

C’est comme ça d’puis toujours,
Faut jamais qu’elle se laisse,
Même dans ses grands amours,
Par le cœur, prendre en laisse.

Pourtant son cœur tout roux,
Cloîtré chez le Héron,
Battait bien comme un fou,
Au creux de son giron.

Tout en haut d’une tour,
Elle s’était emmurée,
Elle disait “par amour”
A sa mère, l’Araignée.

Pas à sa première bière,
Un beau jour l’arachnide,
Sortit de sous une pierre,
Comme en rêve sordide ;

A sa fille, la Mère octopattes
Révéla son secret rouge,
Celui des sociopathes
Qui, emmurés, trop bougent.

Elle lui hurla les silences,
Et lui murmura les cris,
Et, perdue dans sa transe,
Provoqua son mépris.

Aux créneaux du château,
L’enfant vivait orpheline,
Mais au creux de son dos,
Blessait toujours l’épine.

Pas de Roi magnifique,
Pour alléger son fardeau :
La Marâtre maléfique,
Lui tenait lame dans le dos.

A quel sein se vouer ?
Les siens étaient si beaux.
A quelle main se nouer ?
La Belle ne savait trop.

Penchée dessus le Puits,
Elle briquait la margelle,
Mirant, au fond, la Nuit
Et la Lune, montant vers elle.

Dans la Lumière blanchâtre,
Elle pouvait se noyer,
Mais un reflet d’albâtre
D’en finir l’a empêché.

La Lune n’est pas tout.
Elle est la confidente.
Mais quand chante le hibou,
Il se peut bien qu’elle mente.

A quoi bon s’abîmer,
Dans le reflet de soi,
On reste déraciné,
Tant qu’on refuse la Joie.

Demain, à la brume,
Nous irons, ma Rousse,
A l’heure qui s’allume,
Revoir le blé qui pousse.

fable préparée par Patrick Thonart


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THONART : Cendrillon et le Diable (2017)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Cendrillon, la belle souillon, s’assit
Et le Diable lui dit :
“Imagines-tu que, près de toi, toujours
Je rôde en Amour ?
Qu’à chaque pas que tu fais,
J’en fais un aussi ?
Ne crains-tu qu’un jour,
Secrètement miellée d’envie
Dans mes bras, tu souries ?
Ah ! Que de dangers tu cours,
À tourner le cul à l’amour ! “.

A ces mots de cœur,
La Seulette pris peur
De voir partir le Fourchu
Qui, de si belle humeur,
Lui parlait de son cul.
Ah donc, elle s’était menti :
Le Diable était gentil…

Patrick Thonart

  • L’illustration de l’article provient du film de Kenneth Branagh, Cendrillon (2015) © Disney

Du même auteur…

THONART : Mère-Courage et les Grands-Vents (2015)

Temps de lecture : 2 minutes >
DOTREMONT Christian, Écriture en forme de roue et roue en forme d’écriture (1979)

Il était une fois une liane au passé dodu,
Elle avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus :
La marâtre araignée, au sécateur, l’avait blessée
Et de ses bourgeons, désormais…
Elle faisait un bonsaï.

C’était pour elle un problème de taille.

La belle enroulée était de formes bien roulée
Et, sur les troncs haut montés, elle n’eut cesse de grimper,
Mais la nuit restait noire et froid le point du jour.
Las, si de l’enfance elle passa aux rudeurs de l’amour,
Ce n’est pas dans des histoires de fesses
Qu’on quitte ses nattes et ses tresses.

Plus tard, elle porta la vie, pleine et riante,
Comme un défi à la Géante,
A la Gorgone et ses serpents,
A la Mère… monstre sans dents.
Et la liane si fluide et ses si roulés drageons,
Partirent s’attacher au plus lointain des troncs.

L’heure était belle, l’heure était calme,
Elle rafraîchissait leur front avec des palmes.
C’était loin, c’était beau, c’était le voyage,
Et du fantôme de la Goule, elle ne voyait plus la rage.
Mais, elle le savait, la rage était sienne
Et des glaces naissantes, elle se voulut la Reine.

Et les Grands-Vents se sont levés,
Et les humeurs furent retournées,
Et le grand tronc fut démoellé,
Et la tribu fut dispersée :
La liane, seule, dure de sa rage,
Se fit appeler la Mère-Courage.

Rampante sans tronc, elle se dressait
Quand l’entrechat la déroulait.
Chacun sa Mère, la Danse en est.
Printemps sans fruit, elle cuisinait
Sous le regard des chats gourmets.
Chacun sa Mère, la Cuisine le sait.

Car Mère-Courage était donneuse,
Mais, sous les ans, poussait fibreuse,
Et, dans son ventre de chaud plaisir,
Séchait le miel, à se tarir.
Or… au creux des lèvres, vivait un bois,
Malgré le vent, malgré le froid.

Espoir de vie, stupeur de Foi,
Quand le Printemps dépend d’un doigt.
Douceur des sens, révolution
Face aux faux monstres du cabanon.
C’est donc l’orgasme, ce sont les spasmes
Qui jettent lumière sur les fantasmes.

C’est l’arrogance du Gai Sourire,
Et c’est la Joie malgré le pire,
La belle sueur au point du jour.

Lunaire Pardon, vrai pour toujours,
Un souffle fondant sur la Flamme,
En quatre mots : “Mère, tu es Femme !”
Enfin…

Un cri puissant qui tue les Vents,
C’est la rivière née du dedans.
C’est la clairière pour la Forêt,
C’est le clairon du vrai Après.

Et la Liane s’est déliée…


Plus de littérature…

THONART : Il était plusieurs fois… (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

Il était plusieurs fois
Un Ours aux mille doigts
Qui de sa Belle
Caressait le Printemps

Il était une dernière fois
Une Renarde aux abois
Partagée entre son cœur et…
Ce qu’il y avait dedans

La Belle n’était pas peureuse
Et savait tracer son chemin
La Belle avait été heureuse
Mais ne savait ouvrir demain

Les deux s’étaient aimés
Et ils s’aimaient encore
Mais une page a tourné
Et a montré la Mort

C’était un jour froid sans oiseaux
Enlacés au bord de la clairière
Les amants s’étonnaient du mystère
D’une paix qui sentait le caveau

Lors d’une sente surgit la blême Araignée
Dont les fils entrenoués et bien ternes
Traînaient un cube blanc, aux arêtes aiguisées
Qu’elle posa sur une souche, devant la caverne

Qui pouvait croire qu’un si petit animal
Dans le cœur de la Rousse sèmerait le Mal
Et qu’à l’Être aimé tous les mots adressés
D’un carré blanc seraient désormais frappés

L’Ours enrageait de voir que chez sa Belle
Chaque attention se traduisait en censure
Et que les paroles qu’il attendait d’Elle
De sa tristesse augmentait la présure

Pourtant, les yeux de Dame Goupil savaient raconter
Le souvenir vif de leurs peaux ajustées
Et la confiance et la tendresse cent fois répétées
Et les doigts sur la table furtivement noués

Mais chaque mouvement de ses lèvres ourlées
Du carré blanc maudit était durement barré
S’en était à se demander
Si le Héron, son mari, s’en voyait aussi gratifié

Peau blanche et cheveux rouge, la Renarde peinait,
Se débattait, râlait et, dans tous les sens, se raidissait
Venant ici, partant par là, elle disait blanc, elle disait noir
Et la trame de tous ses contraires disait bien son désespoir

Penaud de l’abandon, l’Ours griffait les murs de sa caverne
Triste Printemps où les branches d’arbre sont toutes en berne :
Il ne savait si elle courait pour s’éloigner de leur amour
Ou si, un jour, de la clairière, elle aurait bouclé le tour…

conte préparé par Patrick Thonart


Du même auteur…

THONART : L’ours, la renarde et le héron (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

Ayant boité tout l’été,
L’Ours se trouva fort dépourvu,
Quand la Renarde lui apparut.

Rousse de poil et
Rose de muqueuse,
Princesse Goupil n’était pas gueuse.

Belle et menue,
Elle jouait encore au cerceau,
Qu’un grand oiseau la sortit du ruisseau.

Évadée de son terrier,
La belle garçonne n’était pas roulure,
Elle savait goûter une fière allure.

Messire Héron n’en manquait guère.
Lors, quand d’un castel il hérita,
La belle poilue lui emboîta le pas.

A poils et à plumes,
Longtemps, les nuits furent de fête,
Jusqu’à ce que le chœur des grenouilles lui tournèrent la tête.

Sa tête à lui, mais à elle pas,
Dame Renart n’a que faire des batraciens,
Qui, face au grand Butor, s’agitent comme des chiens.

Alors que lui, dans sa superbe,
Piétant noblement dans l’herbe,
Se délectait de chaque croâ, comme il se doit.

On connaît l’échine des renardes,
Qui, devant l’adversité,
Le museau savent baisser, sans s’abaisser.

Mais ces femelles ont le cœur rude
(elles, toutes, si faussement prudes)
Et le malheur elles savent tourner, en un heur qui leur sied.

Lors donc, la Belle vécut,
De Longues-Pattes gérant les écus,
Par là gagnant sa paix, au beau milieu des échassiers.

Face à ce clinquant contrat,
Où la rousse ne perdait pas,
Cupidon, déçu, ne sut que faire et délaissa la belle fermière.

Le héron même le sait,
Il n’est pas de chantante rivière,
Qui d’eau n’ait besoin et qui, sèche, ne livre plus rien.

Il en va ainsi de l’amour qui,
Faute d’être bien arrosé,
Quand s’éteint la fête des corps, s’en vient à sentir la mort.

Or, un jour que la Renarde se promenait,
Aux côtés d’une grenouille qui sans tête coassait,
Elle avisa un Ours bourru qui de vrai amour ne voulait plus.

Le plantigrade était en rade mais,
Perclus de peines de cœur,
Martin n’en voulait pas moins chanter les fleurs.

La roussette en l’entendant,
Ne put qu’avec lui partager le chant,
Et de l’amour sentant l’odeur, elle sentit s’ouvrir le cœur.

Hola, hola, fit la Fée bleue,
Tout ceci n’est qu’histoire de queues,
Et de l’amour où la vie danse, ce n’est ici que l’apparence.

La belle Renarde a son caractère,
Et d’une magique marraine n’a que faire,
Ce qu’elle veut vraiment savoir, c’est là où la mène son devoir.

Pas son devoir de religieuse,
Pas les doctrines de la marieuse,
Mais son devoir envers la vie, celui aussi qu’elle souhaite pour sa fille.

Alors, elle dit à l’Ours d’attendre,
Avec force caresses et baisers tendres :
Un jour, bientôt, elle saura et, peut-être, elle le voudra.

Et voilà Noël pour le Martin,,
Mi-joyeux, mi-chagrin,
Qui ne sait rien de ce que sera demain.

Et voilà Noël pour les châtelains,
Mi-ennuyeux, mi-assassin,
Où la Renarde ne sent plus rien.

La fête est triste, sans âtre au cœur,
Mais l’Ours vivra, il chantera,
Et la belle, rose de rosée, ne pourra que l’entendre l’aimer.

fable préparée par Patrick Thonart

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THONART : L’ours et la renarde se regardaient (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

L’Ours et la Renarde se regardaient
Et de leurs yeux se caressaient
Une Lune farouche les avait mariés
Et de Tous les Débuts, une graine avait germé

Patrick THONART


Plus du même…

THONART : La belle histoire de Petite-Fille et du Cœur de Hérisson (2011)

Temps de lecture : 9 minutes >

Il était une fois une petite fille qui était petite et qui était une fille.

Comme une petite fille, elle avait de belles boucles qui coulaient de chaque côté de son visage et des petits trous de nez tout ronds. Comme une fille petite, elle était toute menue et n’avait pas des boutons comme les garçons (beurk !).

Comme une fille, elle était courageuse le jour et un peu peureuse la nuit. Comme une petite, elle voulait faire la Grande sans vraiment savoir comment.

Elle avait l’air d’une petite fille, l’odeur d’une petite fille et si on l’avait mangée, elle aurait eu le goût d’une petite fille.

Aussi l’appela-t-on… “Petite-Fille”.

Or, il se fit que Petite-Fille et les siens emménagèrent dans une chaumière avec une belle cheminée, au coin d’un bois si beau et mystérieux que, le jour, Petite-Fille voulait y jouer, et si profond que, la nuit, elle avait peur d’y entrer.

Voilà qu’un jour, qui devenait un soir, Petite-Fille jouait au drone américain qui bombardait l’Irak. Elle ramassait des pommes de pin et les jetait en l’air… en avançant vers le Grand Sentier, à l’orée du bois.

Ce chemin encombré, Petite-Fille l’avait toujours vécu comme une invitation : peut-être menait-il à une vraie clairière au creux du bois…

Était-ce exprès que le jeu attirait Petite-Fille vers le Sentier ou était-ce Petite-Fille qui profitait du jeu pour explorer le Mystère ?

Elle avait déjà dépassé les deux bosquets de noisetiers qui en gardaient l’entrée. Elle se dirigeait maintenant vers le Vieil Arbre, au pied duquel un drôle de tas de feuilles et de branches débordait sur le chemin.

A mesure qu’elle avançait, ce dernier se faisait sentier plus sombre, les taillis formant une arche trop étroite, même pour Petite-Fille, qui se prit les cheveux dans les branches fines d’un chêne torturé.

Baissant la tête pour se protéger, elle vit son propre visage dans une flaque d’eau, à ses pieds. Dans le reflet, sa tête était couronnée de cheveux captifs dans les doigts de l’arbre. Elle se fit peur elle-même ; elle s’assit et pleura en frissonnant.

Ce faisant, Petite-Fille n’avait pas réalisé qu’elle était en fait assise sur le tas de branches, au pied du Vieil Arbre. A travers ses larmes, elle ne comprit pas immédiatement d’où venait une berceuse rauque que l’arbre lui soufflait dans les oreilles.

Accablée d’angoisse, elle ne sentit pas tout de suite ses petits bras et ses petites jambes s’engourdir peu à peu et, bientôt, elle dormit profondément, affalée sur le tas de feuilles et de branches entremêlées.

Une à une, les dernières pommes de pin lui tombèrent des mains…

Une fois éteints les pleurs de Petite-Fille, le calme fut vite de retour dans la Forêt et chacun reprit les tâches qui lui revenaient : le Vent caressait les branches les plus hautes, celles qui voyaient la lumière, et les Insectes continuaient dans l’ombre à ronger une à une les feuilles tombées au pied des Grands Troncs.

Sous le corps inerte de Petite-Fille, qui ronflait doucement, les feuilles se mirent à bouger en craquant, laissant le passage à un gros hérisson… aux yeux rouges.

L’animal n’était pas habile mais il n’hésita pas à grimper de ses fines griffes sur la poitrine d’oiseau de l’enfant, pour atteindre le bord de la bouche entr’ouverte.

Il renifla l’haleine de Petite Fille en éclairant l’intérieur de la bouche avec ses yeux luisants et, d’un seul coup, plongea dans la gorge offerte, s’enfonçant jusqu’au cœur de la malheureuse endormie.

Arrivé près du petit organe palpitant, il le dévora et pris sa place, paf, sans autre forme de procès !

Du coup, l’enfant se réveilla avec une drôle de boule dans la poitrine, pour se trouver nez à nez avec… un castor.

L’animal lui demanda si tout allait bien. Petite-Fille sursauta : parler avec un castor, c’est déjà pas courant, mais répondre à une question de castor, ça ne devait pas être très normal non plus.

Toujours affairé, le castor s’était, quant à lui, gentiment interrompu lorsqu’il avait visé une petite fille dormant sur un mauvais tas de bois (et le castor s’y connaissait) avec une drôle de lumière à l’endroit du cœur.

Pratique, il s’inquiétait de savoir si la jeune fille était toujours comme ça -auquel cas il passerait son chemin et reprendrait son travail- ou si la luminosité étrange qui baignait la poitrine de Petite-Fille n’était pas naturelle -auquel cas il passerait également son chemin, incompétent qu’il était en matière de sorcellerie. Simplement, le castor était d’un naturel poli.

Mais Petite-Fille ne l’entendait pas comme ça. “Les castors, avait expliqué sa Mère, sont des modèles pour nous : ils construisent des barrages, vivent cachés dans des galeries et savent toujours s’échapper par des tunnels secrets lorsqu’ils sont menacés”.

L’enfant, qui n’était pas née de la dernière pluie, rassura le castor et lui proposa ses services. Accepterait-il de lui montrer quelques-uns de ses secrets pour se protéger, auquel cas Petite-Fille deviendrait son esclave pendant un an et un jour ?

Pendant que le castor, surpris, réfléchissait à la proposition, Petite-Fille dû s’assoir à nouveau, tant sa poitrine lui brûlait, comme si des picots perçaient le revers de ses poumons. Était-elle malade ? Allait-elle mourir ? Le castor accepta vite l’arrangement, voyant l’effet que l’idée de le servir avait sur la petite.

Aussi, pendant un an et un jour, Petite-Fille aida-t-elle le castor, étudiant en cachette ses tunnels, ses barrages, ses remparts et ses barrières. Elle s’accoutuma aussi à l’animal, lui découvrant une bonhomie qu’elle ne lui supposait pas. Pourquoi tant de précautions si le castor n’avait pas d’ennemi ? A la question, le castor répondait invariablement, sa pipe en bouche : “je travaille tous les jours depuis que je travaille tous les jours. C’est comme ça. On me respecte ; ma vie n’est pas dangereuse. Seule l’eau peut pourrir mes réserves et mes barrages la retiennent suffisamment. Seul le gel peut bloquer mes accès, aussi ma maison en compte-t-elle beaucoup, mais pas trop. Pour le reste, la noyade ne me fait pas peur, je sais nager.”

Au terme de leur accord, le castor libéra Petite-Fille et elle reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui, elle avait beaucoup appris et la douleur dans sa poitrine avait diminué chaque jour jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La route était longue depuis la rivière et Petite-Fille fut vite lasse de marcher à la nuit tombée, sans voir où elle mettait les pieds. Alors elle s’appuya contre un arbre et se mit à pleurer de fatigue et d’angoisse.

On le sait, le Vieil Arbre a des frères répandus dans toute la Forêt et c’est un de ceux-ci qui chanta à nouveau la berceuse rauque. Bientôt, l’enfant fut profondément endormie…

Elle dormit tant et fort qu’elle ne sentit pas des serres s’agripper à sa cuisse et un bec de rapace se frotter contre sa veste de peau, à hauteur de son foie. Était-elle en danger ?

L’oiseau qui avait abordé l’enfant était un des Rois de la Nuit. Mais il n’était pas bien méchant et, content qu’il était d’une visite impromptue sur son territoire, il lâcha un petit pet sonore qui eut tôt fait de réveiller Petite-Fille : prout.

Petite-Fille se frotta les yeux puis réalisa qu’elle n’était pas seule. Arrimé sur sa cuisse, un Grand-Duc regardait alternativement la lueur rouge à l’endroit de son cœur et la lumière bleue de la Pleine Lune.

“Bonjour, tenta-t-elle, peux-tu te bouger un peu, s’il te plaît ? Tes serres commencent à percer ma jupe et j’ai peur d’avoir mal, la nuit.”

Elle trouvait important d’être très polie avec l’oiseau car sa mère lui avait expliqué : “les hiboux sont très savants, ils connaissent des millions de choses différentes, tellement que, quelquefois, ils perdent les plumes de la tête”.

Bien élevé, le hibou se posa sur une branche basse et la salua du chef (Petite-Fille put alors voir combien celui-ci devait être savant, tant son crâne était pelé).

Rusant comme une enfant qu’elle était, Petite-Fille fit au grand oiseau la même proposition qu’au castor, avec au cœur la même douleur qui renaissait : survivrait-elle cette fois ? Son cœur lui crèverait-il les poumons avant qu’elle n’ait fini d’étudier tout et le reste, au service du Grand-Duc ?

Le hibou accepta vite la proposition, inquiet du rougeoiement qui augmentait dans le torse de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant étudia-t-elle auprès du grand oiseau, s’étonnant du peu de livres et de grimoires qu’elle déterra de sous les crottes et les pelotes de déjection qui jonchaient son arbre. Où cachait-il toute sa science, s’il était si savant ? A la question, le Grand-Duc répondait invariablement, en tournant la tête à 180 degrés : “j’étudie tous les jours le Soleil et la Lune, depuis qu’il éclaire mes jours, depuis qu’elle éclaire mes nuits. Je ne sais pas combien d’arbres il y a dans la Forêt mais je sais reconnaître les Frères du Vieux Chêne qui t’ont endormie. C’est comme ça. Ils me respectent ; ma vie n’est pas dangereuse. Pour le reste, le ciel ne me fait pas peur, je sais voler.”

Au terme du contrat, l’oiseau accompagna Petite-Fille qui reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui à la lueur de la Lune, elle avait beaucoup appris et la lumière sur sa poitrine avait pâli jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La petite connaissait la Nuit maintenant et elle ne se laissa plus piéger par les Frères du Vieil Arbre. Ce n’était pas le cas d’un ours énorme qu’elle vit dormir sur une pierre, aux abords d’une clairière, au pied d’un grand arbre torturé. La berceuse rauque assommait aussi les vieux mâles plantigrades, lui sembla-t-il.

Forte de son expérience (deux ans et deux jours, maintenant), elle s’approcha doucement de l’énorme masse velue, guettant tout soubresaut des grandes pattes aux griffes rentrées par le sommeil. Elle remarqua aussi des cicatrices sur son flanc et la douceur des coussinets sur lesquels la bête avait l’habitude de déambuler dans la Forêt. Sa mère lui avait expliqué : “l’ours en rut est fort de ses grandes pattes, puissant dans l’étreinte et, des cris de son printemps, il réveille toute la Forêt”.

Bizarrement, l’envie de refaire sa proposition à l’animal endormi éveilla sa douleur et c’est la poitrine rougeoyante, mais sans peur, qu’elle éveilla l’ours en lui chuchotant à l’oreille qu’elle le servirait un an et un jour, hibernation comprise, s’il lui confiait le secret de sa vigueur.

Éveillé d’un œil, l’ours accepta, un peu ébloui par le feu qu’il voyait couver dans la poitrine fraîche de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant marcha-t-elle aux côtés du grand velu : à chaque fois surprise de sa douceur quand il lui parlait, un peu comme à ses oursons, et à chaque fois étonnée de sa force quand il devait lever un arbre qui gênait l’entrée de sa caverne. D’où tirait-il toute sa force, s’il était si vigoureux ? Pas de sa colère, il n’en avait pas. De son sommeil, peut-être (l’ours faisait beaucoup la sieste) ? A la question, le plantigrade répondait invariablement, en léchant du miel : “je porte des troncs tous les jours, quand je ne dors pas. C’est facile quand on sait comment il faut se mettre pour les soulever : c’est pas les muscles, c’est la manière. C’est comme ça. Et les arbres, ils me respectent ; ma vie n’est pas difficile. Pour le reste, la terre ne me fait pas peur, je sais creuser.”

Le terme échu, Petite-Fille repartit, après l’avoir bien remercié : à marcher près de lui, dans l’odeur forte de son pelage, elle avait beaucoup appris et les picotements de son cœur s’étaient tus jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

Petite-Fille se hâta sur la trace que l’ours lui avait indiquée. Elle trottinait toute en joie, plus mûre de ces trois ans et trois jours passé dans la Forêt. La promenade avait été suffisamment riche en rencontres et il fallait rentrer maintenant.

Mais le chemin était long et, épuisée par toutes ces émotions, elle ne prit garde et s’endormit au pied du Vieil Arbre qui attendait son retour, tout près de sa maison. La berceuse rauque flottait autour d’elle et devint un brouillard fin qui l’enveloppa complètement.

Que se passait-il ? La lueur sur son torse perdait de la vigueur. Petite-Fille se sentait tellement soulagée, tout en rêvant à ses trois Mentors. Le Castor, le Grand-Duc et l’Ours, qui regardaient sa poitrine en souriant. Elle sentit comme un petit animal qui quittait son corps sans forcer et puis, pfuuuit, plus rien.

Au réveil, elle sursauta : le Vieil Arbre était au-dessus d’elle mais il restait immobile et avait ouvert ses branches et laissait maintenant passer la lumière du Soleil.

Petite-Fille posa la main sur le sol, à côté d’elle, et elle sentit que quelque chose bougeait. Vérification faite, un petit hérisson la regardait, couché sur le dos et lui offrant la douceur de son pelage. Elle lui fit une petite caresse puis se leva, pressée de retrouver les siens.

Quand Petite-Fille sortit du bois, elle sentit le soleil sur ses hanches. Elle se retourna une dernière fois vers le Sentier puis repris la direction de chez elle. Maman allait s’inquiéter…

La maison était là mais… que s’était-il passé ? Plusieurs tuiles manquaient sur l’annexe, le bardage était couvert de lichen par endroits et, dans le potager, les herbes étaient hautes. Où était Maman ? Pourquoi ces rideaux tirés et ce chien attaché, qu’elle ne connaissait pas. “Maman, cria-t-elle, Maman, où es-tu ?”.

Petite-Fille courut tout autour de la demeure, en quête d’une ouverture ou d’un regard de sa Mère, qui écarterait les tentures pour la reconnaître. Ses belles jambes se griffaient aux chardons mais elle n’en avait cure. “Maman”, cria-t-elle encore.

C’est alors que la porte d’entrée grinça et s’entrouvrit. Une vieille femme sortit, se glissant le long du mur. Rassurée par le sourire de la jeune femme qui la regardait, elle s’avança vers le fauteuil et l’invita à s’assoir près d’elle, sous la véranda : “viens, Petite Femme, dit la vieille en clignant ses yeux de Mère, tu es enfin revenue”.

Alors, Petite Femme n’y tint plus, elle pressa le visage de sa mère contre sa poitrine ronde et bientôt son corsage fut mouillé de leurs bonnes larmes partagées. Émue comme l’enfant qui cherche toujours les bras de la Mère, Petite Femme raconta longuement son aventure et expliqua à sa Mère que même les hérissons avaient un cœur grand comme ça. Et qu’ils ne piquaient pas si souvent !

Les soirées furent longues à se dire tout ce qui n’avait pas encore été dit et ce n’était qu’à la dernière braise que chacune montait dormir.

Le mois suivant, un gentil couvreur aux beaux bras musclés et au cœur généreux vint réparer les tuiles tombées. Ce fut l’amour au premier regard chez les deux femmes. Petite Femme sortit la première de sa réserve et épousa le garçon six mois plus tard. La Mère les bénit, débordant déjà de tendresse pour ses futurs petits-enfants. Elle leur raconterait l’histoire du hérisson.

Toute la maisonnée fut désormais bien en vie et le potager donna à nouveau de beaux potirons qui, minuit venu, se changeaient en… potirons.

KONIEC (prononcer [konièts])

Un conte préparé par Patrick Thonart (2011)

  • L’illustration est © Spencer Byles

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THONART : Il était une fois une Méchante Reine… malgré elle (2011)

Temps de lecture : 2 minutes >

Il était une fois,
Une Méchante Reine…
Malgré elle.

Elle ne sentait jamais sous les aisselles
Et, trop fière de sa vertu,
Elle ne sortait jamais les poubelles.

Le vernis sombre qui lui laquait le cœur
Masquait, le jour, ses plus belles humeurs.
Il éclatait chaque soir en cristaux blessants
Qui, très lentement, lui pourrissait le sang.

Pourtant, elle avait été charmante
Et, plus jeune, sans doute fraîche et ardente.

Mais aujourd’hui, ses petits la disaient Folcoche,
Tant ils pensaient dans leurs blessures
Qu’à chaque morsure de la Vipère,
Ils perdaient un peu plus de leur Mère.

Comme il se doit, elle avait marié,
Avant que sa bonté fut avariée,
Un Roi déchu au barbu collier.
L’histoire ne dit s’il était bon
Mais, reclus dans ses quartiers,
L’homme sans bras, au Salon, ne paraissait pas.

Ils avaient dû connaître l’amour,
Et la tendresse au point du jour.
Ils avaient dû connaître la sueur,
Qui, du sexe, est la trace du bonheur.
Ils s’étaient même reproduits
(Personne ne dit s’ils ont joui).

Or, un soir que grondait l’orage,
La sauvagerie s’est invitée,
Comme un nègre riant,
Au travers de l’oreiller.

Quelques mois plus tard passés,
Fleur de Lotus leur en est née.

A l’aube surprise, elle naquit belle et bien tournée,
Comme une femme déjà formée.
Le sein haut et la fesse négresse.
Elle était fine et sans bassesse.

Mais, si la Belle de ses atouts était déjà bien mûre,
La Reine ne lui laissa que de l’enfant la stature.

Dans l’étang où trop elle se mirait, sans âge, elle se lamentait :
Contre le pouvoir de Mère, elle ne pouvait aller,
Qui, dans le jardin sans délice, voulait l’enfermer.

A quoi bon se battre quand on est bonne fille ?
Elle fit donc sa guenille, du tissu de sa maladie,
Et, au monde déçu, son vrai sourire elle ne montra plus.

Les années passèrent, sans autres joies que délétères.
Et, si, dans beaucoup de contes, elle avait joué,
Ceux-là n’étaient pas de fée.

Pourtant, dans son cœur nébuleux, vivait encore le feu,
De cette nuit sabbatique où luisait la braise d’Afrique.
Elle le sentait, sans oser le dire.
Elle le masquait, craignant le pire.
Elle ne savait que faire de ce Printemps,
Elle qui ne croyait plus aux mots du dedans.

Alors, comme un pantin trop maquillé,
Fleur de Lotus s’est approchée,
Des nénuphars où elle est née.
Au bord de l’eau, profonde et sans mémoire
-où dans ses rêves noirs elle devait plonger-
Elle s’est soudain mise à danser…

Et le menuet trop pathétique dont la Reine ordonnait la musique,
D’un tourne-cuisse s’est mué, en un ballet sauvage, timide mais gai,
Et il l’a regardée.

Patrick Thonart


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