Mary OLIVER (1935-2019) est une poétesse américaine. Elle est l’auteure d’une trentaine de recueils inédits en français. Son œuvre, qui s’inspire beaucoup de la nature, lui a valu une grande notoriété aux États-Unis. [BOOKS.FR]
The Summer Day
Who made the world?
Who made the swan, and the black bear?
Who made the grasshopper?
This grasshopper, I mean—
the one who has flung herself out of the grass,
the one who is eating sugar out of my hand,
who is moving her jaws back and forth instead of up and down—
who is gazing around with her enormous and complicated eyes.
Now she lifts her pale forearms and thoroughly washes her face.
Now she snaps her wings open, and floats away.
I don’t know exactly what a prayer is.
I do know how to pay attention, how to fall down
into the grass, how to kneel down in the grass,
how to be idle and blessed, how to stroll through the fields,
which is what I have been doing all day.
Tell me, what else should I have done?
Doesn’t everything die at last, and too soon?
Tell me, what is it you plan to do
with your one wild and precious life?
Mary Oliver, New and Selected Poems (1992)
Jour d’été
Qui a créé le monde ?
Qui a créé le cygne, et l’ours noir ?
Qui a créé la sauterelle ?
Je veux dire – cette sauterelle-là,
celle qui a surgi de ces herbes-là,
celle qui croque du sucre au creux de ma main,
elle dont les mandibules vont d’avant en arrière, pas de haut en bas,
elle qui regarde autour d’elle avec ses yeux énormes et très compliqués.
La voilà qui lève ses pâles pattes avant et se nettoie consciencieusement la face.
La voilà qui ouvre ses ailes et s’envole en flottant dans l’air.
Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière.
Je ne sais pas comment faire attention, comment rouler
dans l’herbe, comment tomber à genoux dans l’herbe,
comment flâner et me sentir bénie, me promener dans les champs ;
je ne sais pas alors que je l’ai fait le jour durant.
Dites-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre ?
Est-ce que tout ne meurt pas un jour, toujours trop tôt ?
Dites-moi, vous, que voulez-vous faire
de votre vie sauvage, qui est unique et si précieuse ?
Spring
Somewhere a black bear has just risen from sleep and is staring down the mountain. All night in the brisk and shallow restlessness of early spring I think of her, her four black fists flicking the gravel, her tongue like a red fire touching the grass, the cold water. There is only one question: how to love this world. I think of her rising like a black and leafy ledge to sharpen her claws against the silence of the trees. Whatever else my life is with its poems and its music and its glass cities, it is also this dazzling darkness coming down the mountain, breathing and tasting; all day I think of her— her white teeth, her wordlessness, her perfect love.
Mary Oliver, House of Light (1984)
Printemps
Quelque part, une ourse noire vient de se réveiller et regarde vers la vallée. La nuit durant, dans le frémissement et l’agitation du printemps naissant, je pense à elle, à ses quatre poings foulant le gravier, à sa langue rouge comme le feu qui frôle l’herbe et l’eau fraîche. Il n’y a qu’une question : comment aimer ce monde. Je pense à elle qui se dresse comme une corniche noire de feuilles et qui carde de ses griffes le silence des arbres. Quelle que soit ma vie par ailleurs, avec ses poèmes et sa musique et ses cités de verre, elle est aussi cette ombre éclatante qui descend les flancs de la montagne, soufflant et goûtant ; le jour durant je pense à elle – à ses crocs blancs, à son silence, à son amour parfait.
In Praise of Craziness of a Certain Kind
On cold evenings
my grandmother,
with ownership of half her mind-
the other half having flown back to Bohemia-spread newspapers over the porch floor
so, she said, the garden ants could crawl beneath,
as under a blanket, and keep warm,and what shall I wish for, for myself,
but, being so struck by the lightning of years,
to be like her with what is left, that loving.
New and Selected Poems: Volume Two
En hommage à une certaine folie
Les soirs d’hiver,
ma grand’mère,
qui n’avait plus toute sa tête
(une partie s’en était retournée vers la Bohème),
étalait des journaux sur le sol de la véranda
pour que les fourmis, disait-elle, puissent s’y glisser,
comme sous une couverture, et rester au chaud,
et moi, que pourrais-je me souhaiter,
si ce n’est, une fois frappée par l’éclair des années,
d’être comme elle, avec ce qui lui restait, tout cet amour.
Lire et dire encore…
- ELUARD : textes
- SOJCHER : Rilke, aimer comme un ange
- BLAKE : textes
- WOUTERS : Panorama de la poésie française de Belgique (JACQUES ANTOINE, 1976)
- GAMBLIN : Mon climat (2015)
- MAQUET : textes
- THONART : L’Ours titube dans la Forêt (poème, 2014)
- THONART : La larme de l’Ours l’avait trahi (2014)
- THONART : Le matin du Bon Jour (poème, 2014)
- MILOSZ : textes
- THONART : A la kermesse des notables (poème, 2014)