TRADUCTION : Néologie traductive – Vade Mecum pour traducteurs (1995)

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La traduction (humaine) est un métier exigeant et un domaine technique qui reste vivant face aux technologies soutenues par l’intelligence artificielle (un oxymore !). Nous partageons avec vous la transcription partielle d’une plaquette réalisée en 1995 par le Centre de terminologie de Bruxelles (CTB, Bruxelles). Elle avait été réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication.

N.B. Le document transcrit ici est assez technique : si vous n’avez pas d’affinités particulières avec le domaine linguistique, visitez plutôt notre BIBLIOTECA et choisissez un livre selon votre bon plaisir…


TABLE DES MATIERES

PRESENTATION

Ce vademecum est un élément d’une initiative appelée Néologie traductive, réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication. Il s’adresse aux traducteurs, dont l’activité quotidienne est une source importante de néologismes. Cette action a trois objectifs :

    1. l’assistance en matière de néographie,
    2. le recensement et la diffusion des néologismes créés ou rencontrés par les traducteurs, et
    3. l’étude de la pratique néographique des traducteurs.

Ces objectifs sont poursuivis par les initiatives suivantes :

      • formation d’un réseau de traducteurs qui désirent signaler, par  l’intermédiaire du CTB, les néologismes créés par eux-mêmes ou rencontrés au cours de leur travail ;
      • distribution de ce vademecum rédigé à l’intention des traducteurs ;
      • assistance directe, par téléphone, à la création néologique ; rappel des matrices lexicogéniques de telle ou telle discipline, propositions de néologismes, recherche dans les banques de terminologie et autres sources ;
      • collecte et échange, par domaine de spécialité, des néologismes créés par les traducteurs qui participent à l’action ;
      • étude philologique, terminologique et socio-culturelle des néologismes ainsi récoltés.

Cette initiative s’intègre également dans un projet du RINT (Réseau International de Néologie et de Terminologie), qui a l’intention de mettre sur pied un réseau francophone d’échange de néologismes.

INTRODUCTION

Dans les différents domaines de la vie sociale, les usagers créent leurs termes au fur et à mesure de leurs besoins. Le lexique s’enrichit ainsi continuellement, notamment pour dénommer ou désigner de nouvelles réalités. Le traducteur sera donc souvent confronté à des problèmes terminologiques qu’il devra résoudre, le plus souvent par lui-même. Il rencontrera des termes dans la langue-source (LS) pour lesquels il n’existe pas encore d’équivalent dans la langue-cible (LC). Si l’on définit la néologie comme l’ensemble des techniques de formation de nouveaux termes, il s’occupera donc, si nécessaire, de néologie.

Néologie primaire et néologie traductive

On peut distinguer deux types de néologie : celle où la formation d’un nouveau terme, dans une langue précise, accompagne la formation d’un nouveau concept et celle où le terme existe déjà dans une langue et où un nouveau terme est créé dans une autre langue. La situation typique dans laquelle se déroule le premier processus est la situation de travail (le laboratoire de recherche, la fabrication de nouveaux produits, etc.). La situation typique de la deuxième forme de néologie est la traduction. Appelons la première forme néologie primaire et la deuxième néologie traductive.

La néologie traductive peut être le fait, sporadique ou plus ou moins systématique, d’instances chargées de terminologie. Ces instances proposent des équivalents pour des termes qui souvent circulent déjà dans la langue d’arrivée sous forme d’emprunts, de calques ou de termes jugés mal formés.

Cependant, la forme la plus ancienne et la plus naturelle de néologie traductive, c’est-à-dire la formation et l’introduction de nouveaux termes qui ont déjà un précédent linguistique, est la traduction, activité quotidienne des traducteurs de textes techniques et scientifiques. Ils sont les premiers à être confrontés aux nouveaux termes en LS et aux nouveaux concepts, pour lesquels lem métier les contraint à proposer un équivalent dans la LC.

Nous appelons donc “néologie” la création d’un nouveau terme par un traducteur et, pour la facilité de notre propos, “néologisme” un nouveau terme, proposé dans une traduction, tout en sachant qu’un néologisme n’existe réellement que si le terme entre dans tm certain usage, qui ne se réduit pas à une communication unique entre l’auteur du terme créé et ceux qui prennent connaissance du nouveau terme.

Les principes de la néologie traductive

La néologie traductive obéit en premier lieu aux principes mêmes de la traduction.

Un premier principe peut être formulé ainsi : on ne traduit pas une langue dans une autre langue (Ll>L2), mais une traduction rend un message exprimé dans la langue-source. Ceci a des conséquences pour la néologie traductive.

Le traducteur ne cherche pas systématiquement des équivalents pour tous les termes du texte à traduire (il ne traduit jamais mot à mot) ; il ne crée donc pas systématiquement des équivalents pour tous les termes qu’il rencontre et pour lesquels il n’existe pas d’équivalent dans la langue-cible. Il crée de nouveaux termes s’ils sont utiles pour la transmission correcte du message. Sa première obligation n’est pas l’équivalence des tennes, mais l’équivalence du message.

Dans le cas de la traduction par équivalence des termes, qui joue un rôle plus important dans la traduction spécialisée que dans la traduction de textes plus littéraires, le traducteur ne cherche pas d’emblée à traduire le terme. Il identifie la notion exprimée par le terme du texte de départ et réexprime ensuite la notion dans le texte traduit. La question qu’il se posera est donc celle-ci : quel est le terme dans la langue-cible dont le sens correspond exactement à la notion exprimée par le terme dans la langue-source ? L’adéquation, c’est-à-dire la qualité qu’a un terme de bien convenir à la notion qu’il exprime, dans le contexte précis du texte à traduire, est donc l’exigence principale.

Le traducteur aura la même attitude lorsque, dans le cas d’équivalents manquants, il doit combler les lacunes et proposer de nouveaux termes. Avant de passer par le prisme du système de la langue, le néologisme passe par le prisme du système notionnel, ce qui est d’ailleurs la meilleure façon de s’affranchir du terme utilisé dans la langue-source.

En s’attachant avant tout au référent, le traducteur sait qu’une réalité peut souvent être considérée et dénommée selon plusieurs facettes ou points de vue. Cette attitude lui permettra de créer de bons équivalents, des termes qui donnent une image aussi nette que possible du référent. La connaissance de l’univers notionnel du domaine, grâce à laquelle le traducteur appartient à la même conummauté de pensée que l’auteur et le lecteur, lui permettra de reconnaître plus facilement la fonction du néologisme dans la LS.

Un deuxième principe, d’ordre terminologique cette fois, valable pour toute traduction, est le respect des traditions pour la formation des termes dans le domaine de spécialité considéré. Chaque science, chaque discipline, chaque technique se définit par une terminologie particulière, structurée et conditionnée par la spécificité de son objet, de son point de vue et de ses finalités. Chaque discipline ne possède pas seulement son système notionnel propre, mais également ses matrices terminogéniques, qui lui font choisir de préférence certaines lois de construction des termes. Un nouveau terme n’est pas un objet isolé mais un élément d’un système plus ou moins structuré. Le traducteur professionnel expérimenté distingue ce qui est linguistique de ce qui est terminologique. Il sait qu’en terminologie, il y a peu d’équivalents établis. Les équivalents présentés dans les dictionnaires ne sont en fait que des possibilités auxquelles le traducteur est libre ou non de donner vie. On pourrait dire, paradoxalement, que le seul véritable terminologue est le traducteur.

Le troisième principe, enfin, relève du respect de la langue-cible. Dans ses créations de termes, le traducteur sera conservateur et suivra les voies tracées par la langue.

Les termes français se rattachent généralement à des éléments préexistants de la langue, permettant d’en saisir, ne fût-ce que superficiellement, la signification. Les termes sont souvent motivés : les raisons du choix de leur forme sont transparentes et au moins une partie des termes est immédiatement intelligible.

Les nouveaux termes doivent, à leur tour, offrir la possibilité d’engendrer des dérivés dans leur catégorie lexicale ou dans d’autres catégories lexicales. Ils doivent pouvoir s’intégrer dans des formations syntagmatiques futures.

Les différents procédés de formation des termes présentés dans ce vademecum permettent de créer des termes qui s’intègrent naturellement dans la langue.

Le vocabulaire de spécialité est formé sur la base des mêmes principes que les mots de la langue commune. Il est rare que des mots entièrement neufs voient le jour. Les nouveaux mots, et dans une proportion encore plus grande, les nouveaux termes, sont, généralement, des assemblages d’éléments existants.

Ainsi, ce guide répertorie-t-il les différents procédés de combinaison de matériaux lexicaux permettant la constitution de nouvelles unités lexicales. Ces procédés sont au nombre de neuf : la dérivation, la confixation, la composition, la formation syntagmatique, l’emprunt, l’abrègement, la néologie de sens, la création ex nihilo et l’éponymie.

1. DERIVATION

Les termes peuvent être dérivés d’autres termes par adjonction d’affixes, par conversion grammaticale ou, plus rarement, par suppression d’affixes.

1.1 Affixation

L’affixation consiste en l’agglutination d’éléments lexicaux, dont un au moins n’est pas susceptible d’emploi indépendant, en une forme unique. Les éléments d’un terme dérivé sont la racine et les affixes. La racine est la base à partir de laquelle sont dérivées les formes pourvues d’affixes (égal– pour le terme égalité, detect– pour le terme détecteur). Les affixes sont les éléments adjoints au radical. Ils sont appelés préfixes s’ils précèdent le radical (ex. renommer) et suffixes s’ils le suivent (ex. changement).

Voici quelques préfixes: a- (moral> amoral) ; an-, (ovulatoire > anovulatoire) ; dé- (calquage > décalquage) ; co- (efficient > coefficient) ; dis- (capacité > discapacité) ; é- (changer > échanger) ; in- (égalité > inégalité) ; mé-  content > mécontent), avec la variante mes- (entente > mésentente) ; pré- (établir > préétablir) ; re- (combiner > recombiner).

Un même préfixe peut avoir des significations différentes. Par exemple, le préfixe in- a un sens différent dans les termes insubmersible (qui ne peut pas être submergé) et infiltrer (pénétrer peu à peu). Les préfixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical, contrairement aux suffixes.

On peut grouper les suffixes suivant les transformations lexicales qu’ils font subir aux mots auxquels ils s’attachent.

      1. Suffixes qui transforment les verbes en noms :
        Ils peuvent marquer l’action ou son résultat. Les principaux suffixes de cette catégorie sont les suivants : -ion (oxyder > oxydation) ; -age (empoter > empotage) ; -ment (dénombrer > dénombrement) ; -ure (couper > coupure) ; -is (semer > semis) ; -(a)nce (résonner > résonance) ; -ing (camper > camping) ; -at (alcool > alcoolat) ; -aison (incliner > inclinaison) ; -erie (pêcher > pêcherie). Ils peuvent désigner l’agent, humain ou non animé : -eur/-euse (employer > employeur/employeuse) ; -(at)eurl-atr)ice (calculer > calculateur/calculatrice) ; -oir (semer > semoir). Ce dernier suffixe peut désigner également un lieu ou un objet (présenter > présentoir) -oire (nager > nageoire).
      2. Suffixes qui transforment les adjectifs en noms :
        En voici quelques-uns : -eur (gros > grosseur) ; -ie (malade > maladie) ; -esse (gros > grossesse) ; -itude (exact > exactitude) ; -ise (franc > franchise) ; -té (sonore > sonorité) ; -(a)nce (résistant > résistance) ; -isme (bilingue > bilinguisme) ; -cité (critique > criticité).
      3. Suffixes qui transforment les noms ou les adjectifs en verbes :
        Le suffixe le plus utilisé est -er/-iser (gaz > gazer ; fertile > fertiliser). Cependant certains verbes créés par analogie ou non adoptent un autre suffixe (alunir, suivant l’exemple d’atterrir; blanc > blanchir, théâtral > théâtraliser). Une transformation du nom ou de l’adjectif en un verbe s’accompagne souvent de l’ajout d’un préfixe (froid > refroidir, mer > amerrir).
      4. Suffixes qui transforment des noms en adjectifs :
        -é (accident > accidenté) ; -u (feuille > feuillu) ; -(a)ble (carrosse > carrossable) ; -aire, forme savante du suffixe -ier (cession > cessionnaire) ; -el (institution > institutionnel) ; -uel (texte > textuel) ; -eux (granit > graniteux) ; -ien, utilisé pour créer des termes par antonomase (Freud > freudien) ; -if, utilisé surtout avec des noms en -tion (information > informatif) ; -in (cheval > chevalin) ; -ier (betterave -> betteravier) ; -ique, qui s’emploie surtout avec des noms qui finissent en -ie, ou en -tion (écologie > écologique) ; -iste (anarchie > anarchiste) ; -ais, sert à former des adjectifs toponymiques (Ecosse > écossais) ; -ois, qui crée aussi des toponymiques (Dole > dolois) ; de même que -ain (Amérique > américain) ; -an (Perse > persan) ; -éen (Méditerranée > méditerranéen).
      5. Suffixes qui transforment des verbes en adjectifs :
        On trouve dans cette catégorie les suffixes -(a)ble (programmer > programmable) ; ce suffixe présente la variante -ible (nuir > nuisible) ; -eur (détecter > détecteur).
      6. Suffixe qui transforme des verbes en adverbes :
        Le suffixe -ment (isoler > isolément).
      7. Suffixes qui ne changent pas la catégorie lexicale du terme source :
        Un certain nombre de suffixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical : -(ijer, utilisé surtout pour dénommer des métiers (plomb > plombier), mais aussi pour former d’autres types de termes (chèque > chéquier) ; -ière (café > cafetière) ; -aire (disque > disquaire) ; -erie (chancelier > chancellerie) ; -iste, sert à désigner des “acteurs” (document > documentaliste) ; -ien, sert à dénommer des métiers, des activités (chirurgie > chirurgien) ; -ade (colonne > colonnade ) ; -at (professeur > professorat) ; -ure ( cheveu > chevelure) ; -aine (cent > centaine) ; -ance (induction > inductance) ; -ée (cactus > cactée), -eté (citoyen > citoyenneté), etc.

Un autre groupe important est celui des suffixes qui servent à changer le genre du nom, généralement du masculin au féminin. Dans le cas des noms de métiers, ils sont actuellement très productifs.

Les autres suffixes qui s’unissent à des adjectifs et à des verbes sans changer leur catégorie lexicale (augmentatifs, diminutifs, etc.) ont plutôt une valeur connotative, ce qui fait qu’ils ne sont pas productifs dans les langues de spécialité (LSP).

Un terme peut avoir plusieurs préfixes et/ou suffixes à la fois (ex. prédébourrement). Dans le cas des termes préfixés et suffixés on parle de dérivation parasynthétique.

1.2 Conversion grammaticale

La conversion grammaticale ou dérivation impropre (aussi appelée hypostase) est le processus par lequel une fonne peut passer d’une catégorie grammaticale à une autre sans modification formelle. Le terme ainsi créé est donc homonymique par rapport au terme d’origine, mais il acquiert des nuances sémantiques différentes de celui-ci.

Les différents types de conversion grammaticale sont :

      1. Passage d’un adjectif à un substantif :
        L’adjectif substantivé garde le genre du terme de base du syntagme (ex. en informatique, on dit un périphérique pour un élément périphérique). Il s’agit en fait d’une ellipse du noyau du syntagme (dans ce cas-ci élément) qui reste sous-entendu.
      2. Passage d’un substantif à un adjectif :
        Dans certains mots de type N+N, le noyau du syntagme est modifié par un autre nom qui agit comme adjectif (ex. dans le terme navire-hôpital, on peut considérer le nom hôpital comme un adjectif qualificatif du mot navire). Certains substantifs se transforment parfois en adjectifs à travers des procédés métaphoriques (un atout maître). Dans les créations récentes on peut citer les termes ARN satellite ou cellule hôte.
      3. Passage d’un verbe à un substantif :
        Ce type de dérivation consiste en la substantivation d’un infinitif. Elle permet de traduire le procès sous la forme la plus abstraite, sans détermination de l’agent du procès. On établit une opposition entre l’infinitif substantivé et la forme nominale, le premier terme étant réservé à la forme abstraite du procès et le deuxième à la forme plus concrète (le penser/ la pensée ; le parler/ la parole).
      4. Passage d’un verbe à un adjectif :
        Un participe présent est utilisé comme adjectif. Il s’agit d’une alternative à la dérivation, qui peut produire également le changement de catégorie grammaticale. En fait, -ant est devenu un véritable suffixe, qui peut servir à fabriquer des adjectifs ou des substantifs sans la médiation d’un verbe. Les adjectifs verbaux en -ant peuvent se substantiver.
      5. Passage d’un adjectif à un adverbe :
        L’adjectif perd sa faculté de variation en genre et en nombre et devient un adverbe (ex. parler net, filer doux…). Ce procédé est très utilisé dans le langage de la publicité mais peu dans la création néologique en terminologie.
      6. Changements verbaux :
        Un verbe peut acquérir une constrnction pronominale (s’accidenter) ; il peut devenir transitif ou intransitif (démarrer ; il a été démissionné) ; il peut prendre la catégorie de verbe auxiliaire (voir), etc. Ce phénomène est peu fréquent.
      7. Passage d’un nom propre à un nom commun :
        Ce type de changement affecte surtout les noms déposés qui, par le principe de la synecdoque (relation partie/tout), finissent par dénommer tous les objets d’une même catégorie : l’exemple le plus célèbre est celui du mot bic utilisé pour désigner tous les stylos à bille. Ce procédé est aussi très courant dans le jargon de certaines sciences et techniques : le terme aspirine, par exemple, est fréquemment employé pour tout médicament à base d’acide acétylsalicylique. Il arrive également qu’un nom déposé finisse par supplanter un terme plus complexe : téflon utlisé au lieu de polytétrafluoroéthylène et fréon au lieu de dichlorodifluorométhane.
1.3 Suppression d’affixes (Dérivation régressive)

La dérivation régressive consiste en la création d’une unité lexicale par réduction à la racine par la suppression d’affixes. Il s’agit d’un procédé peu utilisé. On le trouve dans le terme terminologue qui procède du terme terminologie.

Pour qu’il y ait une dérivation de ce type, il faut que le terme affixé ait été créé avant le terme non affixé. (ex. le terme évaluation n’a pas été créé par dérivation régressive à partir du terme réévaluation ; le second a été créé par dérivation à partir du premier).

La suppression d’affixes de catégorie grammaticale se produit dans le cas du passage d’un verbe à un nom (ajouter-> ajout ; apporter-> apport, etc.) Ce processus est apparenté à la dérivation impropre.

Conseil :

La dérivation est un procédé très productif dans les LSP. Les termes dérivés sont à la fois brefs, précis et constituent une hiérarchie motivée. Utilisez l’affixation pour la restriction du sens d’un mot. Il est plus facile de dériver un terme à partir d’un substantif que d’un adjectif ou un verbe.

Attention :

Les différentes langues ne connaissent pas les mêmes suffixes et il arrive que les mêmes suffixes ne désignent pas la même notion. ( ex. Mycosis est le terme générique employé en anglais pour dénommer toutes les affections parasitaires provoquées par des champignons, tandis que mycose en français désigne les maladies à excroissances ou tumeurs fongueuses de la peau).

Les terminaisons adjectivales doivent souvent être traduites différemment. Exemple: Le suffixe anglais -al peut être traduit en français par une dizaine de formes différentes :

      • -ai-aire > embryonal / embryonnaire
      • -al(e) > renal / rénal ; cervical / cervical(e)
      • -ienïne) > retinal / rétinien
      • -ifère > seminal / séminifère
      • -atif -ative > germinal / germinatif
      • -e > mediastinal / médiastine
      • -éïe) > sacral / sacré
      • -éal > subungual / sous-unguéal
      • -inïe) > palatal / palatin
      • -eux, -euse > scarlatinal / scarlatineux
      • -ue > vagal / vague
      • -onnier > mental/ mentonnier
      • -ulaire > appendical / appendiculaire
      • -ique >limbal / limbique

On dit artère coronaire mais maladie coronarienne ; calcul urinaire mais abcès urineux. Donnez votre préférence à des affixes plus longs (-iser au lieu de -er).

2. CONFIXATION

La confixation consiste en la composition de termes à partir de radicaux liés (appelés confixes ou formants), constitués de racines grecques ou latines liées n’ayant pas à proprement parler le statut de mot. Ces formants se soudent pour donner, avec ou sans affixes, des mots confixés (hydrogène, gyroscope, biosphère, agronomie). La confixation est un processus productif, comme en témoigne la liste des termes normalisés : hectographie, hexachlorobenzène, hostogramme, homopolymère, etc.

2.1 Caractéristiques

Voici quelques caractéristiques des mots confixés :

      • Le formant qui détermine doit précéder le formant déterminé : dans le terme épigraphie, le formant modificateur épi– est placé devant le formant régissant –graphie.
      • On ne peut généralement pas renverser l’ordre des éléments de composition quand il existe un rapport de détermination entre les éléments (philatéliste, bibliophile, philologue-logophile).
      • Un terme peut être composé de plusieurs fonnants à la fois (ex. lévoangiocardiogramme).
      • Un même formant peut être antérieur, postérieur ou être placé au milieu du terme (anthropologie, philanthropie, misanthrope).
      • Les formants antérieurs se terminent par une voyelle si le confixe postérieur commence par une consonne. Autrement, on élide la voyelle du premier (amphithéâtre, mais amphotère).
      • La voyelle de liaison est généralement o dans le cas des formants d’origine grecque (électromotricité) et i dans le cas des formants d’origine latine (fébrifuge).
      • On ne met pas de voyelle de liaison quand le premier élément est une préposition dans la langue d’origine (permutation).
      • Un formant peut avoir des variantes graphiques autres que celle de la voyelle de liaison (neurone, mais névralgie). Ils peuvent présenter, par exemple une alternance vocalique, c’est-à-dire une variation de voyelle (capacité, récupérer, municipalité).
      • Pour une même notion, on trouve parfois en concurrence un formant latin et une formant grec (anthropomorphe, hominidé).
      • De même, il peut y avoir plusieurs fonnants pour dénommer un même concept ( ex. vagin se dit en grec kolpos, elutron et koléos qui ont donné respectivement en français colpocèle, élytrotomie et koléoptose).
      • Un terme peut présenter deux fois le même formant (mélomèle).
2.2 Combinaisons hybrides

Les terminologues et les comités de normalisation préfèrent recourir à des confixes homogènes et refusent en général les combinaisons hybrides du type latin + grec (ex. sérologie, altimètre, ovoïdal, spectroscope), grec + latin (hexadécimal, hydrocarbure, automation, aéroducteur) ou classique + moderne (bicyclette, hydronef, aéronavigable).

Conseil :

La confixation est un procédé très productif dans la plupart des langues occidentales. Elle contribue aussi à l’unification internationale de la terminologie. Les termes formés par confixation sont courts et faciles à mémoriser. Si la signification du formant est connue, ce qui est souvent le cas, les termes sont motivés. La majorité des néologismes en médecine et en
biologie sont des confixes.

Attention :

Les formants grecs sont souvent assortis de suffixes latins : polytechnique, pétrification, désoxyribonucléique, ou vice-versa, un formant latin peut être suivi d’autres formants grecs : alvéolite, chimiothérapie, lacrymogène, cellulite. On trouve également des combinaisons avec des composants modernes : visiophonie, extensomètre, télécopie, kleptomanie, syntoniseur, électrochoc, radiodiffusion.

Certains formants ont des variantes, qui ne sont pas toujours équivalentes :

      • CEREBRO :
        cérébro- cérébro-spinal, hémisphères cérébraux ;
        céphalo- céphalo-rachidien ; céphalopodes
        encéphalo- encéphalographie
      • CHEMO :
        chémo- chémosensibilité
        chimio- chimiothérapie
      • NEURO :
        neur( o )- neuroleptique
        névr( o )- névroptères
      • OOPHORO :
        oophor(o)- oophoropexie
        ovari( o )- ovariopathie
      • PROCTO :
        procto- proctologie
        recto- rectoscopie

Les formants n’ont pas toujours la même forme :

      1. Changements orthographiques : apocope, addition ou suppression d’une voyelle ou d’une consonne d’appui.
        Exemple :
        cupri- / cupro
        olé(i)- / olé( o )-
        phreno- / phrénico
        zygomato- / zygomatico
      2. Permutation des éléments quand l’ordre déterminant-déterminé ne correspond pas avec celui de la langue source (si l’on veut éviter un calque non-nécessaire) :
        Exemple :
        nasolacryntal / lacrymonasal
        cardioneural / neuro-cardiaque
        tibiofibular / péronéo-tibial
        vesicouterine / utéro-vésical
      3. Modulation d’un élément :
        Exemple :
        brachial / huméral
        pharyngo / glosso
        femoral / crural

Un même préfixe peut être traduit différemment et engendrer des doublets :

circum- > circon- / péri
contra- > contra-/ contro- / contre
dis- > dis-/ dés-/ ex
hyper- > hyper- /ana-/ oxy- / poly- /super-/ sur
hypo- > hypo- / infra- / sous- / sub- / a
intra- > intra- / endo- / inter-

Les préfixes ou suffixes sont sujets à des changements phonétiques / orthographiques pour des raisons d’euphonie. Ainsi, la voyelle o disparaît parfois devant une autre voyelle : megaloencephalon > mégalencéphalie. On peut insérer des lettres d’appui pour faciliter la prononciation : méga(l)opsie.

Certains préfixes subissent une apocope ou une contraction : meg(a)- par(a)-

3. COMPOSITION

La composition consiste en l’union de deux ou plusieurs mots constitutifs qui conservent leur forme complète pour donner une unité lexicale neuve (donnée-image, sous-armé, eau-de-vie, hautbois…). Le mot composé peut être soudé (alcoolépilepsie) ou bien lié par un trait d’union entre les constituants (bulbo-cavemeux).

Une voyelle de liaison, généralement le o a pour fonction d’unir les composantes de l’adjectif composé qui se présentent normalement en relation de coordination (technico-industriel, euro-américain, socio-culturel). Les termes ainsi construits constituent un cas intermédiaire entre confixation et composition.

3.1 Structure

La structure d’un terme composé est normalement celle d’un élément déterminé par un ou plusieurs éléments déterminants (dans le terme bloc-cylindres, par exemple, le mot bloc est déterminé par le mot cylindres). La relation entre les éléments (notamment dans le cas des substantifs) peut être également une relation de coordination (déclencheur-limiteur, contacteur-disjoncteur). Les substantifs s’accordent alors en nombre et sont souvent joints par un trait d’union. Le premier élément peut être considéré comme prédominant, puisqu’il donne son genre à l’ensemble, mais cette prédominance est très réduite du point de vue sémantique, notamment dans le cas de la désignation d’une réalité “hybride” (par exemple, le terme bar-hôtel, qui n’est vraiment ni un bar ni un hôtel).

Une construction syntaxique peut recouvrir différents rapports notionnels. Ressort-soupape pourrait signifier aussi bien ressort pour soupape que ressort avec soupape. De même, tm même rapport notionnel peut s’exprimer sous des formes syntaxiques différentes.

L’ordre déterminé + déterminant est propre au français bien qu’on puisse trouver également l’ordre inverse notamment dans des formations d’origine étrangère (doparéaction, radium-thérapie, lysat-vaccin), dans les confixes et les calques.

Le groupe déterminé + déterminant est créé par substitution d’un trait d’union ou d’une voyelle de liaison au joncteur.

Le groupe déterminant + déterminé, quoique non naturel au français, connaît un certain succès à cause de l’influence de l’anglais. Le déterminant a une valeur quasi adjectivale. Ainsi, le terme auto-école, peut être interprété comme une école “qui a rapport à l’automobile”.

3.2 Combinaisons courantes

Les combinaisons les plus courantes sont :

      • N + N (transmission-radio, bloc-cylindres, wagon-citerne). Ce type de formation établit des rapports soit de coordination (ex. président-directeur), soit de subordination (image-radar) ;
      • V + N (pose-tube, essuie-glace, lance-torpilles). Le nom a souvent la fonction de complément direct. Ce type de composition peut être utilisé comme adjectif (ex. une galerie paraneiges) ou comme substantif (ex. un cache-radiateur) ;
      • Adj + Adj (sourd-muet, gris-bleu, aigre-doux). Ces composés sont produits par ellipse du joncteur ;
      • Adj + N (gros-porteur, haut-parleur) ; (l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le terme de base) ;
      • N + Prép + N (rez-de-chaussée, main-d’oeuvre). Ce type de formation est à mi-chemin entre la composition et la formation syntagmatique, car ces unités peuvent être considérées comme un syntagme soudé.
3.3 Variantes

Il existe un type de formation intermédiaire entre la dérivation et la composition : la formation à l’aide de morphèmes grammaticaux autonomes antérieurs tels qu’après, demi, non et sous dont la forme et la fonction les situent entre mot et préfixe (sous-ensemble).

Il existe également un type de formation intermédiaire entre la confixation et la composition. On peut réunir en un faux composé un confixe (lié) et un mot (libre). ex. téléguidage, télépéage. Ce type de formation est assez courant.

Conseil :

Les termes composés sont en général assez brefs (souvent deux mots), motivés et sans précision excessive.

Attention :

Respectez la syntaxe du français : le nom déterminé vient avant le complément ou l’adjectif déterminant :

image-ratio (ratio image)
image-satellite (satellite picture)
chèque-voyage (traveller’s check)
couvre-bec (mouthpiece cap)

Utilisez le trait d’union (couper-coller, presse-papier, audio-prothèse, aide-ouïe intra-auriculaire).

4. FORMATION SYNTAGMATIQUE

Un syntagme est un groupe d’éléments formant une unité de sens dans une organisation hiérarchisée. Ce nouveau terme a des propriétés dénominatives différentes de celles des éléments qui le composent.

Le degré de lexicalisation d’un syntagme se situe dans un continuum dont les deux pôles sont la lexicalisation complète et le syntagme libre. Le terme-syntagme a un répertoire restreint de mots faibles (conjonctions, articles, pronoms, verbes auxiliaires). Son étendue est plus limitée que celle des syntagmes libres. A cet égard un syntagme lexicalisé ne peut pas franchir un certain seuil s’il veut rester fonctionnel dans la communication. De même, il doit pouvoir s’intégrer sans difficulté dans des textes spécialisés.

Les critères de lexicalisation sont : l’existence d’une définition spécialisée, la position dans le système terminologique donné, la maniabilité, la récurrence et la cohésion syntaxique. Il n’est, par exemple, pas possible d’étendre le complément en ajoutant un nouvel élément sans briser le sens du syntagme original (gaz très inerte n’aurait pas le même sens que gaz inerte).

4.1 Structure

La structure des termes-syntagmes est toujours la même : le noyau, qui peut être un substantif, un verbe, un adjectif ou un adverbe, est modifié par un ou plusieurs éléments (le complément) : de(s) nom(s), adjectif(s) ou un ou plusieurs syntagmes prépositionnels ou nominaux.

4.2 Combinaisons courantes

Les formules les plus productives sont les suivantes :

      • N + Adj, appelé syntagme épythétique (hélice carénée, chaine pyrotechnique, charge utile) ;
      • N + N, appelé aussi syntagme asyndétique (plan média, point zéro, fréquence vidéo) ;
      • N + Prép + N (chambre de combustion, arrêt d’urgence, barre de contrôle, fermeture à glissière) ;
      • N + Adj + Adj (couverture fertile interne, séquences répétées directes, munition chimique binaire) ;
      • N + Adj + Prép + N (épaisseur réduite d’ozone, distance proximale au sol, plasmide hybride de résistance).

Il y a une nette prépondérance des termes-syntagmes nominaux.

Dans les syntagmes verbaux, le verbe est normalement suivi d’un objet direct ou d’un complément circonstanciel, l’un et l’autre pourvus d’un article (fondre au noir).

En français, on construit surtout des syntagmes épithétiques et des syntagmes avec joncteur, aussi appelés synapses, du type réacteur à eau lourde.

A l’intérieur d’un terme-syntagme, on peut établir des rapports hiérarchiques de type syntaxique. Par exemple, dans un syntagme nominal subordinatif, le noyau est constitué d’un nom modifié par un adjectif, un syntagme prépositionnel, un syntagme nominal ou une combinaison des précédents. Ainsi, dans le terme réacteur à neutrons rapides, le noyau réacteur se voit modifié par le syntagme prépositionnel à neutrons rapides.

L’extrême flexibilité paradigmatique fait du syntagme nominal un excellent
instrument en terminologie. Un grand nombre de néologismes est construit de cette manière (cellule à haute pression à enclumes de diamants, angioplastie transluminale, archéologie sociale, polymérisation par transfert de groupe).

Conseil :

Procédé très productif en sciences et en techniques. Les termes-syntagmes sont faciles à comprendre.

Attention :

Les termes-syntagmes ne doivent pas être trop longs. Utilisez éventuellement l’abrègement.

Les termes-syntagmes de la langue-source peuvent souvent être traduits comme tels, mais tenez compte des règles grammaticales de la langue d’arrivée :

coal-fired fumace > chaudière à charbon
air-operated ejector > éjecteur à air
pressure type terminais > bornes à pression

Ou bien cherchez des termes équivalents dans la langue d’arrivée :

growth of germs > prolifération microbienne
retaining wall > mur de soutènement
crossing sweeper > balayeur de rues

5. EMPRUNT

Il y a emprunt quand une langue A utilise et finit par intégrer une unité linguistique qui existait précédemment dans une langue B et que A ne possédait pas ; l’unité empruntée est elle-même appelée emprunt. Le terme peut être emprunté avec ou sans adaptation phonique ou graphique. On distingue l’emprunt direct, l’emprunt intégré et le calque.

5.1 Emprunt direct

L’emprunt direct consiste en l’introduction d’un mot d’une autre langue sans modification. Un terme emprunté ne garde pas toujours sa signification originelle. Drugstore, par exemple, ne recouvre pas les mêmes réalités aux Etats-Unis et en France.

L’emprunt peut avoir des synonymes : cabine de pilotage / cockpit ; liste de vérification / check-list ; aérofrein / spoiler ; volet de bord d’attaque / slat.

Dans le cas de termes-syntagmes ou de mots composés, il peut exister des emprunts partiels (ex. bande-vidéo).

5.2 Emprunt intégré

L’intégration d’un emprunt se fait par adaptation lexico-morphologique, graphique ou phonique complète ou partielle (le radical du terme ne change généralement pas tandis que les affixes sont adaptés (containeur, listage). Le suffixe anglais -ing est très souvent substitué par le suffixe -age, (dopage, doping), -er est substitué par -eur (hydrocraker > hydrocraqueur).

5.3 Calque

Le calque est un type d’emprunt particulier : ce n’est pas le terme de la langue-source qui est conservé, mais bien sa signification qui est transférée, sous forme traduite et à l’aide de mots existants, dans la langue-cible (ex. steam engine, machine à vapeur).

Conseil :

L’emprunt se justifie quand le terme est précis dans la langue-source, quand il est court, quand il est en usage dans une communauté internationale. Le fait qu’il soit facile à prononcer est un atout. Quand il s’agit d’une terminologie spécialisée, l’intégration graphique n’est pas nécessaire.

Attention :

Vous pouvez expliquer ou paraphraser un emprunt. Tout dépend de votre public-cible. Il convient d’éviter l’abus des calques, tel que, par exemple, thérapie occupationnelle pour traduire occupational therapy, alors qu’il existe en français le mot confixé ergothérapie.

6. ABREGEMENT

L’abrègement consiste en la suppression d’un certain nombre d’éléments (quelques lettres, des syllabes, quelques mots…) d’un terme. Le procédé est fort répandu dans les sciences et les techniques. Il existe trois types essentiels d’abrègement : la troncation, l’acronymie et la siglaison.

6.1 Troncation

La troncation consiste en la formation de nouveaux termes par la réduction à une syllabe de plus de deux phonèmes d’un mot source. Il existe trois types de troncation: l’aphérèse, la syncope et l’apocope.

L’aphérèse est la suppression de la partie initiale d’un mot (autobus -> bus). Ce procédé est rare dans les langues de spécialité. La syncope est la suppression d’une ou plusieurs lettres de la partie médiane d’un mot. Elle se rapporte le plus souvent à des mots composés contenant plusieurs radicaux qui font que le mot est trop long. (alcoolomètre >alcoomètre). L’apocope est la suppression de la partie finale d’un mot. C’est une méthode souvent utilisée pour abréger les unités de mesure (ex. radiation -> rad, kilo(gramme)). Les apocopes étant employées au pluriel reçoivent la terminaison correspondante, ce qui démontre leur fonctionnement autonome.

6.2 Acronymie

L’acronymie consiste en la formation de termes à partir de plusieurs autres termes, dont on utilise des éléments (transpondeur > transmetteur +répondeur). Les éléments peuvent être :

      1. une apocope et une aphérèse : gravicélération (gravitation + accélération), aldol (aldéhyde+ alcool) ;
      2. deux apocopes : modem (modulateur + démodulateur), aldéhyde (alcool + dehydrogenatum) ;
      3. deux aphérèses : nylon (vinyl + coton) ;
      4. une apocope : publipostage (publicité + postage), musicassette (musique + cassette) ;
      5. une aphérèse : bureautique (bureau + informatique), vidéophone (vidéo + téléphone) ;
      6. une apocope et une syncope : amatol (ammonium nitrate + trinitoluène).
6.3 Siglaison

La siglaison consiste en la création d’un nouveau terme à partir de certaines lettres d’un terme de base (souvent un syntagme). Les sigles peuvent faire partie d’un syntagme lexical (ADN hyperhélicoïdal). Les sigles sont souvent polysémiques. Par exemple, dans le domaine de l’environnement, le sigle TOMS peut se référer à Total Ozone Monitoring Spectrometer, Total Ozone Monitoring System, Total Ozone Mapping Spectrometer et Total Ozone Mapping System.

Si on consulte un dictionnaire de sigles, on s’aperçoit rapidement qu’il n’y a pas de règles de formation précises en ce qui concerne la siglaison :

      • On peut prendre seulement les mots forts du syntagme (Organisation des Nations Unies -> ONU) ou les mots forts et les mots faibles (Société à Responsabilité Limitée-> SARL) ;
      • On peut prendre seulement la première lettre des mots qui composent le syntagme (Habitation à Loyer Modéré-> HLM) ou quelques lettres (Association Française de Normalisation -> AFNOR) ou les syllabes initiales de chaque mot (Belgique-Nederland-Luxembourg -> BENELUX).
      • Les nouveaux termes peuvent se référer à des termes syntagmes (Aliments végétaux imitant la viande -> AVIV) ou à des termes composés (magnétohydrodynamique -> MHD, électrosplanchnographie -> ESG).
      • Souvent, les termes à plusieurs composants se trouvent réduits en des sigles qui ne représentent pas la totalité de leurs composants (Action dynamique spécifique des aliments -> ADS).

Les sigles peuvent paraître dans le texte avec ou sans points. L’absence de ponctuation peut être indicative du degré de lexicalisation. Le genre des tennes créés par siglaison est, en général, celui de la base générique du syntagme principal sous-jacent (on dit une LSP parce que la base générique est langue). Un grand nombre de sigles, symbolisant des concepts spécialisés, sont commandés par l’ordre syntaxique anglo-américain. Les sigles qui se prononcent comme s’il s’agissait d’un mot sont bien intégrés dans le système phonique. Ce phénomène favorise la création de dérivés et, par conséquent, la lexicalisation.

Conseil :

La brièveté est, cela va de soi, l’atout principal de ces termes. Les sigles peuvent se combiner avec des termes-syntagmes : ADN polymérase, ARN nucléaire de grande taille.

Certains sigles internationaux ne sont pas traduits :

ASCII (American Standard Code for Information Interchange)
DOS (Disk Operating System)
SONAR (Sound NAvigation Ranging)

Traduisez de préférence un sigle par un sigle (quitte à l’expliquer), mais respectez la syntaxe de la langue d’arrivée. Ne dépassez pas 5 lettres. Le terme produit doit pouvoir être prononcé facilement.

7. NEOLOGIE DE SENS

La néologie de sens consiste à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée et à lui conférer un contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors. La relation établie entre le terme existant et le terme nouveau est normalement de type métaphorique, qu’il s’agisse d’un trope proprement dit ou d’un emprunt de sens.

7.1 Tropes

Ce procédé de formation consiste à donner un nouveau sens à un terme existant à travers l’établissement de rapports d’analogie : on fait abstraction de certains traits significatifs du terme existant et on les “transporte“, en ajoutant les nouveaux traits qui fourniront un nouveau signifié tout en neutralisant les traits qui ne conviennent pas à la nouvelle dénomination. La métaphorisation peut être appliquée à un terme simple ou à un terme-syntagme.

La différence entre la métaphore et la métonymie réside dans le fait qu’il s’agit d’un rapport de contiguïté dans le cas de la métonymie ou la synecdoque et qu’un rapport de similitude dans le cas de la métaphore. Le terme famille de gènes, par exemple, qui désigne l'”ensemble de gènes ayant de grandes ressemblances fonctionnelles et structurelles,” a été créé par métaphore à partir du mot famille dont un des traits sémantiques est celui de la ressemblance entre les personnes qui la forment. C’est un rapport de similitude. Dans le cas du terme antenne appliqué à une émission de radio, on a un rapport de contiguïté avec l’appareil qui sert à diffuser les ondes. On
parle de métonymie quand on établit des relations de type :

      • cause-effet (le mot émission désigne l’action de diffuser à distance et le résultat de cette action),
      • contenant-contenu (le terme aérosol peut désigner le liquide projeté sous pression, le jet lui-même, l’appareil servant à produire ce jet encore le liquide présent dans le récipient diffuseur),
      • activité-résultat (le terme terminologie peut faire référence aussi bien à l’activité de recherche et d’étude du vocabulaire scientifique et technique qu’aux produits résultant de cette activité : les dictionnaires spécialisés ou les bases de données terminologiques),
      • abstrait-concret (le terme tribune désigne à la fois le lieu physique où l’on exprime des idées et un genre d’émission où le public peut exprimer ses vues par téléphone).

Ce processus de création est lié à un autre trope: la synecdoque, qui consiste à établir un rapport partie/tout (ou relation d’inclusion) entre le néologisme et le mot de base.

7.2 Emprunt de sens

L’emprunt de sens est un calque sémantique: le sens du mot dans la langue A est repris dans le mot de la langue B. Un néologisme créé par métaphore, métonymie ou synecdoque peut être traduit en utilisant le même processus.

7.3 Changement de sens

Il arrive aussi qu’un mot reçoive une signification entièrement nouvelle lors du passage d’une LSP à une autre ou lors du passage de la langue commune à une LSP. Le passage d’un terme d’une LSP à une autre LSP se produit fréquemment dans le cas de domaines apparentés. Il s’agit généralement d’une modification partielle du sens premier et non pas d’un changement complet. Le vocabulaire des mathématiques a, par exemple, prêté de nombreux termes aux informaticiens : aléatoire, algorithme, interpolation, matrice… Dans tous ces cas, le terme conserve dans sa nouvelle acception des traits sémantiques de son champ lexical d’origine et en acquiert d’autres de celui où il entre.

Quand les domaines ne sont pas apparentés, la signification du terme peut changer entièrement. Le mot divergence est employé en mathématiques ou en physique pour décrire une situation où deux lignes ou deux rayons vont en s’écartant. La divergence nucléaire est l’établissement de la réaction en chaîne dans un réacteur. Le passage d’un mot de la langue commune à une LSP se produit surtout à travers les tropes. Le mot prend alors un sens plus restreint. Ainsi le mot autonome a plusieurs significations mais en informatique, il signifie “matériel fonctionnant de façon indépendante“.

Conseil :

Procédé productif en LSP. Les termes sont souvent motivés. Les métaphores, qui prédominent par rapport aux autres tropes, introduisent parfois un élément ludique et sont de ce fait accueillies favorablement.

Attention :

L’emprunt de sens ou le calque sémantique est condamné par certains, bien que les linguistes nous assurent qu’il ne porte pas atteinte à la langue. Pour les tropes: utilisez la même métaphore ou cherchez une métaphore analogue.

8. CREATION EX NIHILO

La création ex nihilo consiste en la combinaison libre d’unités phonétiques choisies de façon arbitraire. Toute combinaison de phonèmes est théoriquement susceptible d’acquérir une signification. Le terme babar, qui dénomme dans le vocabulaire de la technique nucléaire un moniteur, a été créé ainsi. Dans l’industrie certains noms de marques déposées ont été créés de cette façon.

Une variante de ce type de formation est la création ludique. Le terme anglais cotarnine (ou cotarnin) est l’anagramme de narcotine (la cotarnine étant obterme par oxydation de la narcotine) ; l’acide contenu dans la noix de galle est connu sous le nom d’acide ellagique (adjectif ayant été formé sur la base de l’inversion).

Une autre variante est celle des termes formés par onomatopée (le bang des avions à réaction, qui dénomme la percussion du mur du son, ou de l’emprunt anglais big bang, qui dénomme l’explosion qui donna lieu à l’univers connu).

Conseil :

Procédé rare en traduction. Importez directement les néologismes ainsi créés et ajoutez une explication, si nécessaire.

9. EPONYMIE

L’éponymie est la création néologique qui consiste à dénommer un nouveau concept par un nom propre, un éponyme (le nom d’un inventeur, un toponyme, etc.) En chimie, un certain nombre d’éléments portent le nom de dieux classiques (plutonium, neptunium, uranium…) ou bien font référence à des personnes ou à des institutions connues (l’élément 99 est aussi connu sous le nom d’einsteinium, en souvenir d’Einstein, et l’élément 98 est appelé également californium en hommage à l’Université de Californie où en avait fait la découverte).

L’éponyme est parfois utilisé pour remplacer une expression descriptive d’une longueur incommode. On dit plus facilement maladie de Pick-Herxheimer que pachydermie plicaturée avec pachypériostose de la face et des extrémités.  L’éponyme est parfois en concurrence synonymique avec un autre terme. Ainsi, l’espace de Kauth-Thotnas est aussi appelé espace indiciel, l’indice de Tucker est également connu sous le nom d’indice de végétation, etc. Les éponymes varient d’un pays à l’autre : les auteurs anglais appellent syndrome de Homer le syndrome Claude Bernard-Homer des Français, mais dénomment syndrome de Claude Bernard le syndrome d’excitation du même sympathique appelé en France syndrome de Pourfour du Petit. Les éponymes peuvent être polysémiques. Le terme syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale (l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraurie) soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce.

Les noms propres sont parfois employés comme adjectifs. (agathonique, kafkaïen, cartésien…) ou pour dénommer les membres d’une école de pensée ou d’un mouvement politique (épicurien, kantien, gaulliste…). Ce type de création néologique est aussi appelé antonomase. Un nom propre peut également s’unir à un formant savant (ex. chlorobrightisme, nom formé à partir de l’éponyme Bright ou curiethérapie, formé à partir du nom propre Curie).

Conseil :

Ce n’est pas aux traducteurs d’inventer des éponymes. Demandez conseil aux spécialistes du domaine. Ils vous donneront, en l’absence d’un éponyme correspondant, un synonyme.

Attention :

Un même éponyme peut parfois désigner des notions différentes : syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale, l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraturie, soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce. Même si l’éponyme semble identique dans deux langues, il peut correspondre à des concepts tout à fait différents.


Quelques affixes et radicaux

a-, an- : non, sans
ab-, abs- : de, hors
ad-: vers
aéro-: air
agro-, agri- : champ
amb- : les deux
anté- : avant
anti- : contre
apo- : loin de, à partir de
haro- : poids
bary- : lourd
bathy- : profond
bi-, bis: deux fois
bio-: vie
calci-, calcio: chaux
calori- : chaleur
centi- : cent
circon-, circum- : autour de
co-, con- : avec
cryo- : froid, glace
cyclo- : cercle
déci-: dix
di- : deux fois
dia- : à travers
dis-: éloigné
dynamo- : force
épi- : sur
ex-: hors de
exa-: six
exo-, ex- : au dehors
géo-: terre
giga- : géant
gonio- : angle
gyro- : cercle
hecto- : cent
hém(at)o- : sang
hepta- : sept
holo- : entier
homéo- : semblable
homo- : le même
hydro-: eau
hygro- : humide
hyper- : au-dessus
hypo- : dessous
hypso- : hauteur
in-: dans
infra- : au-dessous
inter- : entre
intra-: à l’intérieur
isc-: égal
kilo-: mille
macro- : grand
maxi-: maximum
méga- : grand
méro- : partie
méta- : au-delà
micro- : petit
milli-: mille
mini-: minimum
mono-: seul
moto- : moteur
multi- : nombreux
nano- : nain, petit
octo-, octa-, oct- : huit
ornni-: tout
ortho- : droit
pan-, panto- : tout
para- : à côté de
para- : protégeant
penta- : cinq
per- : à travers
péri- : autour de, au dessus
pétro- : pierre
phono- : voix , son
photo- : lumière
pico- : un millième de
milliardième de
pluri- : plusieurs
poly- : nombreux
post- : après
pro- : pour, en avant de
proto-, prot- : premier
pseudo- : menteur
pyro-: feu
quadri-, quadr- : quatre
radio- : rayon
rétro- : en arrière
servo- : qui sert
sidér-, sidéro- : fer
stéréo- : compact, solide
sub-: sous
super- : sur, au-dessus
supra- : au-dessus, au-delà
syn-, sy-, sym- : avec
techno- : art
télé- : loin, à distance
téra- : monstre
tetra, tétr- : quatre
thermo- : chaud
topo-: lieu
trans- : par-delà
tri- : trois
ultra- : au-delà
uni-, un-: un
-chrome : couleur
-chrone : temps
– cide: tuer
-cole : cultiver
-colore : couleur
-culteur : cultivateur
-ergie : travail
-fère : qui porte
-fuge : fuire
-gène : produire
-gone : angle, côté
-gramme : écriture
-graphie : écrire
-ide(s) : apparence, forme
-logie : discours, théorie
-rnétr: mesure
-morphe : forme
-nôme: nom
-nome: loi
-ode : chemin
-oïde : apparence, forme
-onyme: nom
-phile : ami, aimer
-phobe : craindre
-phone : voix, parler
-scope : observer
-sphère : sphère
-stat : fixer
-techn : art, savoir-faire
-thèque : ranger


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : Réseau de néologie traductive – Centre de terminologie de Bruxelles (RINT) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP.


Traduire plus en Wallonie…

MERTENS, Pierre (1939-2025) : textes

Temps de lecture : 7 minutes >
© rtbf.be

[BIBLIOTECA] Pierre Mertens est juriste et spécialiste en droit international ; à ce titre il a joué depuis 1967 un rôle d ‘observateur aux points chauds du monde. Il est également chroniqueur au journal Le Soir. Dans ses romans (L’Inde ou l’Amérique, 1969 ; La Fête des anciens, 1971 ; Les Bons Offices, 1974 ; Terre d’asile, 1978 et surtout Les Éblouissements, Prix Médicis 1987), il poursuit une réflexion sur les différents types d’exils auxquels condamnent les idéologies contemporaines comme sur les douloureux rapports entre humains. À la fois engagée et désabusée, l’œuvre est une de celles qui a le plus incité les écrivains et intellectuels francophones de Belgique à rechercher une nouvelle définition de leur rapport à la société. On doit aussi à Mertens, qui joue sur un clavier très large, des nouvelles, des dramatiques de télévision, une pièce de théâtre et un livret d’opéra.


Les pierres

Le poète et médecin Gottfried Benn erre dans le Berlin de 1946.

Un soir qu’il rentre chez lui, à Schoneberg, mais qu’à cause d’une insolite, d’une inédite douceur de l’air, il s’attarde un peu du côté de la Westfalischestrasse, il entend des voix, toutes proches, s’élever des ruines. Il s’arrête un instant. Un homme et une femme débattent mezza voce un problème domestique : l’emploi du temps de celui-là, l’usage que fait l’autre de l’argent du ménage, l’éducation qu’il conviendra de donner à leur enfant. Le badaud voudrait se remettre en marche, pour s’éloigner de ce couple qu’il a surpris dans son intimité. Mais quelque chose le retient, qui le déconcerte. Que, pour entendre cette conversation, il n’ait pas dû forcer ni même ouvrir une porte… Que cela se soit passé à ciel ouvert. Il lève la tête.

Au premier étage d’un immeuble dont la façade a été soufflée, un homme et une femme sont bien assis l’un en face de l’autre. Comme si de rien n’était. Ils sont seuls au monde. Ils ne se sont pas encore aperçus que le mur qui les séparait de la rue a disparu. Ou bien ils en ont depuis très longtemps fait leur deuil. Cela pourrait se passer en Sicile, un jour où le volcan menaçait d’entrer en éruption : les gens seraient bien forcés de poursuivre en plein air, sur la piazzetta sonore, les querelles engagées dans l’ombre des maisons…

Du reste, observe le promeneur, même ici l’été reviendra. Mais voici qu’il panique : de quel été s’agira-t-il, en quelle année ? Un vertige le saisit. Souvenirs et saisons s’intervertissent, ou se confondent, puisque tous, désormais, s’inscrivent dans ce même décor de ruines inamovibles qu’on ne
fait plus coulisser sous les yeux, ni dans la mémoire.

Mais ce paysage immuable, la lumière de l’été le fait trémuler. Dans cette même rue, des soldats marchèrent, dansèrent au pas de l’oie. Et, non loin d’ici, les corps de ceux qu’on exécutait tressautaient, dansaient sous l’impact des balles. Depuis quelque temps, tout, dans ce pays, s’est mis à danser. La réalité même des choses. Ou leur irréalité. Les maisons se sont mises en marche. Les boulevards furent agités de convulsions. Il suffit que la lumière d’un été imminent caresse et lèche ces églises décapitées, ces statues mutilées, ces portails écartelés, cette bouillie de pierres, cette purée de béton, pour qu’on doute d’avoir bien vu. Que le soleil se lève à nouveau sur un pareil panorama constitue tout un événement, pense le miraculé.

On se balade dans l’univers du trompe-l’œil. Qu’est-ce qui est porte, et qu’est-ce qui est fenêtre ? Les meubles sur les trottoirs, ces tas d’ordures sous les toits. Le dehors est à l’intérieur, et à l’extérieur le dedans. La ville a été retournée comme un gant. On l’a mise cul par-dessus tête. On a mis ses tripes à l’air. On l’a couchée à ses pieds. À présent, elle est aussi horizontale que verticale. On l’a fondue. On l’a remodelée. On dirait qu’un géant cambrioleur a tout culbuté sur son passage, dans sa rage de ne pas découvrir ce qu’il était venu chercher. Les illusions d’optique qui assaillent le promeneur donnent en lui l’élan à une noire hilarité. Il lui vient des idées bouffonnes. Ce champ de décombres que la mort a labouré et ensemencé, où elle a pondu ses œufs de fer, peut-être n’est-ce que le décor coûteux d’une ultime représentation de théâtre aux armées, mise en scène par Dieu lui-même, avec d’énormes moyens, pour ridiculiser Richard Wagner ? Le Créateur s’est fait Fra Diavolo, il a manipulé comme des maisons de poupées ces résidences d’adultes incendiaires, plaçant le faîte de l’une sur la charpente d’une autre. Ici, un plafond tient tout seul au-dessus de l’abîme. Là, une cheminée part à la recherche d’une toiture. Et enfin, on contemple ce qui se passe, en même temps, à tous les étages des immeubles comme dans une mise en scène d’avant-garde : on ne perdrait plus rien des activités de chacun, de la cave au grenier. Tout se déroulerait dorénavant dans la transparence. Personne n’aurait plus de secrets pour quiconque.  L’Histoire a déshabillé les hommes, elle ne les rhabillerait pas de sitôt. On échangerait, au marché noir, du vide contre du trop-plein. Ce que le poète n’a qu’à peine osé rêver, la guerre l’a accompli, en réunissant le revolver du meurtre et le parapluie de la survie sur la machine à coudre le temps. On dirait qu’ici des aveugles se sont entre-tués. Pour une fois, le cauchemar durerait plus longtemps que la nuit.

Nous regardons les ruines, pense le piéton des ruines. Mais surtout les ruines nous regardent. Anthropomorphisme des pierres. Chaque ruine est un visage détruit, aux yeux écarquillés. Chaque ruine nous tend un miroir. Nous nous reconnaissons tellement mieux en elle que du temps où il y avait là une construction – le temps où une construction usurpait la place d’une future ruine. Nous découvrons enfin que nous sommes à nous-mêmes notre propre ruine.

Goethe, se rappelle le poète ambulant, disait que “bâtir une maison, planter un arbre, mettre au monde un enfant, c’est faire acte d’homme.” Les dernières semaines de la guerre, à Landsberg, le poète ne pouvait plus lire que cela : les écrits intimes de Goethe, ses lettres à Bettina et d’autres interlocuteurs privilégiés. Étrange comme nous, Allemands, de quelque bord que nous soyions, et quelle que soit notre vision du monde, nos empathies, nos détestations, nous nous réconcilions presque toujours sur le nom du chancelier aulique. Pourquoi le lire à Landsberg, en 1944 ? À la recherche de quelle clé pour les événements d’alors ? En quête de quelle consolation ? Alors, que penser d’une formule telle que : “Bâtir une maison, planter un arbre – l’arbre de Goethe, sans doute, le majestueux chêne de Goethe à Buchenwald ! -, mettre au monde un enfant… ?” Moi qui n’ai contribué que par hasard à mettre au monde une fille, et ne m’en suis plus guère occupé depuis lors ; moi qui n’ai, en ce bas monde, pas même planté une pousse de pois de senteur, quelle leçon attendais-je donc, ou quel baume, du chancelier aulique ? Quant à l’invite qu’il nous adresse à devenir le bâtisseur de notre propre demeure, je me demande ce qu’il penserait en considérant ce qu’il est advenu des cités allemandes ? Et s’il répéterait son enthousiasme de Valmy ?

Le poète lève à nouveau la tête vers le premier étage de l’immeuble de la Westfälischestrasse, sur le seuil duquel il s’est arrêté tout à l’heure, et son regard grimpe le long des autres étages, jusqu’au dernier, puis, de là, enjambe un balcon à demi démantelé, et redescend, étage par étage, jusqu’au rez-de-chaussée de l’immeuble voisin : n’en déplaise à Monsieur de Goethe, songe-t-il, nous ne devrions plus, comme de son temps, raconter de la même façon, comme si rien ne s’était passé, l’histoire de ces gens-là. Oh ! bien sûr, on pourra toujours tenter de le faire, et d’aucuns n’y manqueront pas, et ne nous faisons pas de souci pour eux : ils auront encore des millions de lecteurs. Et ils produiront, parfois même, de beaux livres, qui relateront quelque chose comme l’histoire d’un professeur entiché, pour son malheur, d’une chanteuse de cabaret, ou celle du tuberculeux épris d’une radiographie de sa bien-aimée, ou, encore, la chronique des mauvais garçons, des souteneurs et des petites gens du quartier de la place Alexandre, voire, dans la meilleure des hypothèses, les souffrances d’un jeune homme en proie à un impossible amour, ou les tourments de ce confrère à moi qui n’eut pas peur d’échanger son âme contre un peu de vraie vie… À présent, on ne troque plus son âme que contre un mégot de cigarette, et, si l’on perd son ombre, c’est que le corps, au cœur du grand saccage, fut soudain las de la porter encore, et s’en est débarrassé dans sa fuite éperdue au bord d’une route incendiée ! Depuis que toutes les fictions ont brûlé dans
l’un ou l’autre autodafé, ou en même temps que les villes qui les inspirèrent, ce devrait en être fini des belles histoires allemandes ! Puisque l’affreuse fiction de l’Histoire s’est faite réalité, il serait décent de ne plus rien imaginer d’autre avant longtemps !

Mais, pour dire le désastre, les mots, eux aussi, vont manquer. Pour exprimer la béance, il y aura pénurie encore. Rationnement de la parole. Certes, comme pour le reste, gageons que les trafiquants, quant à eux, feront encore de bonnes affaires. Jusqu’au cœur du chaos, ils écouleront sans peine l’ersatz d’un beau style néo-weimarien…

Le poète rêve d’un langage qui se mettrait de lui-même en berne, et qui, pour renaître de ses cendres, se résoudrait à déposer d’abord le bilan de sa propre banqueroute.

Les journaux enseignaient qu’au tribunal de Nuremberg on avait dû, à titre rétroactif, qualifier les crimes commis d’épithètes inédites. Comment, pour évoquer les ruines, ne forgerait-on pas aussi une écriture des ruines ? Pour faire écho au dénuement, des phrases dénudées jusqu’à l’os ? La paix des cimetières appelait un verbe déterré vif. Contre ceux qui, se lamentant sur le sort des pierres, faisaient de leur cœur une pierre de plus.

Le soir tombe. Avant de se remettre en marche, l’homme ferme les yeux. Il écoute. Souvent, ces temps-ci, il croit percevoir la rumeur d’une sourde avalanche. D’un lointain éboulement.

Les Éblouissements (1987)


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Existe-t-il un “langage jeune” ?

Temps de lecture : 5 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 9 janvier 2025On associe souvent des expressions à la mode ou des pratiques comme le verlan à la jeunesse. Mais n’est-ce pas un abus de langage d’évoquer un parler “jeune” ? Y a-t-il vraiment un vocabulaire ou un usage de la syntaxe qui permettraient d’identifier des façons de s’exprimer propres aux jeunes ?

“Gadjo”, “despee”, “tchop” : ces mots sont associés, dans les discours médiatiques, à un “parler jeune”. Nombreux sont les articles qui s’arrêtent sur ce vocabulaire pour le rendre accessible aux autres générations ou encore les dictionnaires destinés aux parents qui semblent ne plus comprendre leurs ados.

Alors, ce parler jeune existe-t-il vraiment en tant que tel ? Pourrait-il être résumé à un lexique qui lui serait propre ? Plusieurs études ont été menées en linguistique sur ces pratiques langagières, mais celles-ci ne constituent pas un champ homogène, notamment parce qu’elles concernent des situations sociolinguistiques diverses.

Si nous voulons considérer l’existence d’un parler jeune, il faudrait a minima le penser au pluriel. Il n’y a pas deux personnes pour parler de la même façon et une même personne ne parle pas constamment de la même manière. Tous les individus possèdent plusieurs répertoires ou plusieurs styles, les jeunes ne font pas exception.

Définir la jeunesse : des critères biologiques ou sociologiques ?

Avant de voir s’il existe des éléments constitutifs d’un répertoire commun aux jeunes, une question se pose : qui sont ces jeunes ? Pour reprendre Bourdieu, l’âge n’est qu’une donnée biologique manipulée autour de laquelle des catégories peuvent être construites.

La catégorie “jeune” a pu être définie selon des critères d’indépendance par les démographes : fin des études, entrée dans la vie active, départ du domicile familial… Mais ces critères ne sont plus tout à fait valables aujourd’hui. La catégorie “jeunes” est largement interrogée et interrogeable.

Dans les discours médiatiques et les études linguistiques, il s’agit en réalité surtout de jeunes issus de milieux urbains, milieux multiculturels et plurilingues. Les jeunes sont souvent des adolescents. L’adolescence correspondrait à une période d’écart maximum à un français “standard”, à un français valorisé, notamment, à l’école.

Mais y aurait-il même des traits langagiers qui nous permettraient d’identifier des façons de parler propres aux personnes regroupées dans cette catégorie ? On peut s’appuyer, pour aborder cette question, sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), un ensemble d’enregistrements (au total 83 heures) réalisés auprès de 187 locuteurs “jeunes” habitant la région parisienne.

Lexique, syntaxe, accent : des particularismes chez les jeunes ?

L’analyse des pratiques langagières de ces jeunes met en lumière plusieurs traits récurrents. Au niveau lexical, on relève des procédés comme l’apocope, ou perte d’une syllabe, dans “mytho” pour “mythomane” par exemple. On retrouve aussi le verlan, avec des mots comme “chanmé”, qui correspond à l’inversion des syllabes de “méchant”, ou encore “despee” qui cumule emprunt à l’anglais “speed” et verlanisation. À côté d’autres emprunts plus anciens, comme “kiffer” emprunté à l’arabe kiff (aimer) bien entré dans le français avec l’ajout de la terminaison “-er”, nous identifions “gadjo” emprunté au romani (“garçon”) ou “chouf”, emprunté à l’arabe et signifiant “regarde”.

Sur le plan syntaxique, peu de choses sont relevées, car il s’agit en réalité du niveau du système langagier qui est le moins souple. Si certains relèvent par exemple l’omission du “ne” dans les structures négatives (“je lui répondrai pas”), celle-ci n’est en réalité pas spécifique aux jeunes. Ce phénomène reflète davantage les usages du français parlé plus ordinaire.

Du côté de l’”accent” (regroupant la mélodie ou encore la prononciation de certaines voyelles ou consonnes), certains traits ont pu être identifiés comme l’avant-dernière syllabe qui se fait plus longue, le contour emphatique ou encore l’affrication forte des /t/ comme dans “confitchure”. Toutefois, des études montrent également que ces traits ne sont pas propres aux jeunes (c’est le cas de l’affrication ou encore du contour emphatique, nous utilisons ce dernier pour mettre en relief un élément et nous le retrouvons lorsqu’un locuteur est engagé dans l’interaction).

L’affrication, nouveau phénomène de langage (TV5 Monde, février 2024)

Hormis le débit qui pourrait être spécifique aux façons de parler jeunes (les jeunes parleraient plus vite, utiliseraient plus de mots à la minute), il faut noter que les particularismes relèvent de l’exploitation de procédés qui n’ont rien de novateur. Le verlan se retrouvait chez Renaud (“laisse béton“), les emprunts qu’on ne voit plus avec abricot emprunté, par le portugais ou l’italien, de l’arabe al-barqûq, parking emprunté à l’anglais ou encore schlinguer emprunté à l’allemand et que nous retrouvons notamment chez Hugo, dans les Misérables :

C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous fait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule.

Victor Hugo

Il en va de même pour les structures où le que semble omis, “je crois c’est les années soixante“. Celles-ci sont pointées du doigt et attribuées aux jeunes. Toutefois, elles aussi sont employées par des moins jeunes, comme chez ce locuteur de 40 ans “je pense ça leur fait plaisir” et nous les retrouvons dans le Roman de Renart datant de la fin du XIIe siècle : “Ne cuit devant un an vos faille” (“je ne crois pas il vous en manque avant un an“).

Effet de loupe : des façons de parler rendues visibles par les réseaux

Si les procédés n’ont rien de novateur, alors d’où vient cette impression de “parlers jeunes” ? Celle-ci repose sur un “effet loupe” ou un effet de concentration, selon la sociolinguiste Françoise Gadet. Ces parlers jeunes seraient perçus par la multiplication des particularismes : emploi du verlan, d’emprunts, du contour emphatique, etc.

L’effet loupe est lui-même renforcé par les médias ou par les discours qui mettent en avant ces phénomènes sur les réseaux sociaux. Et si l’on a l’impression que “pour cette génération, c’est plus marqué qu’avant“, c’est probablement parce que ces façons de parler sont désormais plus facilement observables. Les communications médiées par les réseaux rendent les productions linguistiques visibles à grande échelle. Ces “effets de mode” linguistiques ne sont toutefois pas exclusifs à la jeunesse actuelle. Chaque génération a ses préférences, mais rien ne disparaît tout à fait : un terme comme “daron” bien qu’ancien, traverse les époques.

1983 : Comment parlent les lycéens ? (Archive INA, 2019)

Finalement, les jeunes exploitent le système de la langue française pour l’enrichir et répondre à différents besoins. Les mots créés ne sont pas de simples équivalents de ce qui pouvait exister, mais s’en distinguent bien. Selon Emmanuelle Guerin, un “clash” (emprunt à l’anglais) prend un sens plus spécifique que choc puisqu’il évoque une confrontation verbale : “Ils menaient le clash avec la prof.” Lorsqu’il y a créations, celles-ci enrichissent le répertoire linguistique en répondant à des besoins d’identification à des groupes (ces phénomènes se retrouvent souvent dans des interactions où la connivence prime) ou d’expression.

Il n’existe donc pas un parler jeune, mais des façons de parler par des personnes catégorisées comme “jeunes”. On qualifie des façons de parler “jeune” par la présence (et surtout la concentration) de certains éléments linguistiques, ce qu’on peut retrouver chez des moins jeunes, par exemple, chez Stéphane âgé de 36 ans : “Je sais pas qui vous êtes tu vois ce que je veux dire je leur ai fait comme ça (.) genre je parfois il y a des jeunes ils ont la haine sur nous hein […] Non mais c’était eux les nejeus en vrai.

Si certains mots utilisés par les jeunes semblent échapper aux moins jeunes, rappelons que tout le monde (y compris vous et moi) emploie parfois des termes qui peuvent être incompréhensibles pour notre entourage, notamment ceux issus de notre milieu professionnel. Il n’y a rien d’alarmant dans ces “parlers jeunes” : chaque génération a ses modes d’expression, et les quelques mots jugés incompréhensibles par les médias ne reflètent pas l’étendue des répertoires concernés.

Auphélie Ferreira, Université de Strasbourg


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VIENNE : L’attente (Léa, nu couché) (2021)

Temps de lecture : 4 minutes >

Léa, nue dans son lit, attend déjà. L’homme qui vient à peine de partir, après avoir posé un baiser dans son cou, refermant la porte avec précaution pour ne pas la tirer brutalement de cet état de demi conscience qui, en songe, prolonge quelque peu sa présence. Elle va l’attendre toute la journée, le sait déjà, mais les draps sont toujours imprégnés de son odeur, à défaut de sa chaleur, alors elle peut bien traîner encore. Elle l’a senti, plus qu’elle ne l’a entendu, se lever, couper le réveil avant qu’il ne sonne, elle a souri, heureuse dans son sommeil de cette attention. Elle connaît par cœur la suite de son itinéraire vers la salle de bain, les yeux fermés, la porte close, elle distingue néanmoins précisément son corps nu sous la douche, l’eau qui ruisselle à présent sur sa poitrine, pour peu elle aurait envie de le rejoindre mais non, il ne faut pas, il ne peut pas se permettre d’arriver en retard au travail, et puis… Il est sec déjà, ou presque, les cheveux certainement ébouriffés, il revient discrètement dans la chambre, enfin autant qu’il est possible à un homme de l’être, dans la pénombre de surcroît, il va forcément se cogner quelque part ou trébucher sur quelque chose, jurer assurément, avant d’emporter ses chaussures qu’il lacera, dans la cuisine, en pleine lumière, tout en avalant son petit déjeuner. En fait, avaler n’est pas le terme exact car il prend toujours le temps, parfois même, quand il est trop vieux à son goût, de griller le pain. Puis, le baiser dans le cou et, doucement, la porte donc.

Elle le sait, et depuis longtemps, que sa vie est tout entière remplie d’absence et d’attente. L’attente de cet homme qu’un jour, par hasard, elle a rencontré au coin de sa rue, là où il doit se trouver en cet instant précis, perdu, égaré dans son quartier ainsi qu’elle l’était alors dans sa vie : pardon mademoiselle la rue du Chat-vert, pourriez-vous me dire où ? Oui bien sûr, elle l’y avait conduit parce que déjà elle savait qu’elle ne voudrait plus le voir partir, lui tourner le dos, sortir de sa vie comme ils sortaient à présent ensemble de la ruelle. Elle avait été trop seule pour envisager de l’être à nouveau quand il était là, à côté d’elle, à lui prendre la main et peut-être qu’après mon rendez-vous nous pourrions. Oui. Elle avait répondu oui, n’avait cesse de le répéter depuis lors, oui, oui, oui, c’est toi et personne d’autre, dans ma vie, dans mon lit, dans mes journées et mes nuits, c’est toi et quand bien même il me faut t’attendre, un peu juste un peu, cette attente je peux m’en accommoder parce qu’elle contient la promesse de ton retour. Et aujourd’hui encore elle allait s’y préparer lentement, comme à son habitude, sauf qu’aujourd’hui toutefois elle le guetterait avec un peu plus d’impatience, le regard brillant rivé sur l’horloge, il ne faudrait pas qu’il soit en retard, pas trop en tout cas, quand il se collerait à elle, l’embrasserait et qu’enfin elle lui dirait. Je suis enceinte.

Léa, nue dans son lit, attend qu’il la rejoigne. Elle ne le voit pas, lui tournant le dos, mais il est tout près, elle le sait, le sent, ne se retournera pas pourtant, elle veut garder la surprise, sentir tout à la fois son souffle dans sa nuque et, contre ses fesses, son érection. Pour peu, elle la sentirait d’ici, son excitation tout à l’heure était tellement tangible qu’elle n’a rien pu lui dire, mais elle aime ça, quand son envie est à ce point impérieuse qu’elle réveille son désir à elle, trop souvent renié, refoulé, malmené, elle qui, du temps où elle était perdue, s’est tant donnée, abandonnée, qu’elle s’en est trouvée livrée, utilisée, baisée à ne plus rien savoir faire d’autre qu’attendre. Mais lui pourra, parce qu’elle le veut, posant les mains sur les os de ses hanches qui font saillie, et elle sait combien ça l’excite, imposer son rythme et son désir et elle saura, aujourd’hui particulièrement, y trouver du plaisir. Parfois, elle voudrait que les choses soient plus simples, pouvoir regarder, n’avoir pas d’images à refouler mais sa vie est ainsi, elle continue à lui tourner le dos, il est en elle, bien plus qu’il ne l’imagine d’ailleurs, elle n’aura plus à attendre seule désormais, il faudra que je lui dise, après, quand il aura joui. Il est en elle et. Elle a crié.

Léa, nue dans son lit, attend. L’homme qui a claqué la porte. Lovée dans les draps humides d’eux, elle s’écoute pleurer pour effacer l’écho de sa colère à lui, les ténèbres de sa voix scandant comment as-tu pu, Léa, comment. Elle n’a pas compris, il lui semblait pourtant que. Mais faire un enfant, Léa, c’est une décision qui se prend à deux. Elle n’a pas compris, jamais elle n’a envisagé cela comme une décision, juste une évidence. Puisque l’on s’aime. Je t’aime, a-t-elle répété. J’ai tellement attendu, a-t-elle aussi murmuré, mais il n’a pas entendu, trop occupé à se rhabiller à la hâte, passer et repasser la main dans sa tignasse ébouriffée, de plus en plus, et encore, hébété, je ne le crois pas ça, comment est-ce possible, Léa. Elle non plus ne peut y croire, à sa colère et à la porte qui claque, qu’il referme si précautionneusement d’habitude, à sa nudité inutile et à la détresse qui s’empare d’elle. Elle ne peut concevoir qu’à nouveau elle se trouvera perdue, comme avant, trop et trop longtemps. Non. Il va revenir, forcément. On ne peut pas se quitter ainsi, maintenant, il va passer devant la rue du Chat-vert puis faire demi-tour, parce qu’elle veut croire à la puissance des souvenirs, et puis l’amour, quand même, tout cet amour, on n’y renonce pas ainsi.

Philippe VIENNE

L’attente a été publié par CLéA (par mail réservé aux souscripteurs) dans le cadre de l’ Opération 12-12-12″, accompagné d’une version audio (lue par Frédérique Daoût, comédienne), le 12 janvier 2021.


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Louis Moyano, “Nu couché” © Philippe Vienne pour la photo


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Mama Roma Show (Liège, 1978-2012)

Temps de lecture : 8 minutes >

[RTBF.BE, 25 février 2012] La Mama Roma, cabaret vedette des nuits liégeoises, a fermé ses portes. L’aventure aura duré près de 40 ans. Vendredi soir, une page de la vie nocturne liégeoise s’est tournée avec la fermeture de la Mama Roma. Ce cabaret situé dans le Carré et spécialisé dans les spectacles de transformistes a fait les belles heures de la Cité ardente. Il a permis de supprimer les ghettos en rapprochant les communautés gays et hétéros. Son propriétaire a décidé de fermer l’établissement. Le rideau est tombé sur ce lieu mythique que fut la Mama Roma. Costumes extravagants, talons vertigineux, faux cils à rallonge, strass et paillettes… Les travestis ont égayé les nuits liégeoises.

Valentine Deluxe se souvient avoir commencé comme aspirante-bigoudi. “L’aspirant-bigoudi, c’est le stagiaire. On doit faire une formation en bigoudi-perruque, avec une option hauts-talons. C’est la base du métier évidemment.” Vendredi soir, pour Laszlo, une page se tournait. “Une très lourde page… C’est dommage que ça ferme mais que voulez-vous, c’est comme ça. On ne peut rien faire d’autre. C’est une institution qui disparaît.” The Show must go on… le spectacle continue mais avec une troupe itinérante.

Patricia Scheffer et Vincent Brichet

ÉTAIT-CE BIEN EN 1978 ?

Programme du Trocadero (1986)

“Avez-vous remarqué comme il est difficile parfois de déterminer avec précision le début d’un événement ou le départ d’une aventure? L’histoire de l’aviation ou du cinéma n’a pas débuté un jour X à une heure X parce que, subitement, un avion a volé 15 mètres ou que 3 spectateurs ont vu des images animées tressauter devant leur yeux apeurés. Non, bien sûr. Avant d’en arriver là, il aura fallu une somme de hasards, de recherches, de désespoirs, de signes avant-coureurs difficiles parfois à déceler pour dire : Enfin, la grande aventure commence !

Il en est de même pour le Mama Roma Show (dans des proportions bien réduites, restons les pieds sur terre !). Dire que tout a commencé en 1978 est un peu simpliste. Il y avait déjà 15 ans que Louis faisait tordre de rire des salles entières dans des scènes comiques. Henri faisait déjà du théâtre (savez-vous qu’il est diplômé du Conservatoire d’Art Dramatique ?) et il réalisait déjà — mal ! — des petits costumes à 5 sous.

Mais ce fut effectivement en avril 78 que leur réunion put présager du futur Mama Roma Show. C’étaient des débuts héroïques ! Il fallait entasser tout un matériel hétéroclite dans une 2 CV, monter dare-dare quelque chose qui ressemblait à une scène, brancher 2 ou 3 loupiotes qui devaient servir de projecteurs, pour se faire entendre par une sono dont même Pathé-Marconi en 1870 n’aurait pas voulu. Mais l’enthousiasme était là !

Bien vite, Michel courut au secours du groupe nouveau-né pour former une équipe technique capable de régler tous ces problèmes avec l’aide de Hans-Dieter, seul homme en Belgique, probablement, à pouvoir s’appeler habilleuse.

Ils furent nombreux les restaurants, les dancings où les spectateurs purent s’esbaudir – ah! le divin mot – du spectacle du Mama Roma Show. Et encore, s’il n’y avait eu que de petits Belges qui purent profiter de l’occasion. En 1979, trois villes américaines découvraient le rire Mama Roma. A New York, San Francisco et Los Angeles, ces Américains qui ont déjà tout-vu-tout-entendu ont craqué devant les petits Belges. Mais, même les contrats les plus attirants n’ont pas pu les éloigner d’un public liégeois qui ne soupçonnait pas encore leurs capacités.

Ensuite, l’Espagne. Au pays des travestis plus-femme-que-femme, il y eut bien des yeux écarquillés à leur descente d’avion en voyant les poils ornant des poitrines larges, mais, le choc passé, ce fut le délire à Séville et Torremolinos. Parlez-en à Louis et Henri, ils passeront des nuits entières à vous raconter leurs aventures hispanoaméricaines.

Pendant ce temps, à l’Eden de Liège…

Quand ils étaient en Belgique, ils se faisaient entourer sur scène épisodiquement de Dominique, Jean-Pierre, Marc, Dany, Alain, Philippe et bien d’autres, quand un remplacement au pied levé permit à Hans-Dieter de sauter la barrière. Il était sur scène, lui qui travaillait toujours dans l’ombre, les projecteurs étaient enfin sa récompense.

Il fut suivi quelques mois plus tard par Margot (qui connaît son vrai prénom ? Patrick ?) qui, bien avant son âge, était entrée dans la légende des gargottes de Liège. Ah ! brave Margot, grande buveuse devant l’Éternel, mais avec un coeur grand comme ça, toujours prête à dégrafer son corsage (Brassens a bien dû trouver son inspiration quelque part !).

Pour le spectacle du Trocadéro en 86, le groupe s’élargira encore avec l’aide des Green Mummy’s, groupe à la personnalité bien marquée, et qui réalisera toutes les chorégraphies du Mama Roma Show.

Euryal…

Plus rien ne fait reculer les ambitions du Mama Roma Show. Il faut dire qu’il y eut 5 créations au Théâtre du Trocadéro (deux heures et demie d’éclats de rire à chaque fois), que le théâtre du Vaudeville à Charleroi les a accueillis à 8 reprises, le Casino de Chaudfontaine 6 fois (pour le bal des Hautes Études Commerciales, le bal de la Chambre des Entrepreneurs, de la Chambre des Agents Immobiliers de Belgique, etc.), le Casino de Middelkerke, qu’ils ont participé au Triathlon du Coeur en 85, qu’ils ont fêté le 40e anniversaire de la Libération de Verviers avec le Kiwanis, qu’ils se sont partagé le succès avec Paul Louka au festival Écoute, c’est du belge organisé par le Cirque Divers, qu’ils ont fait mourir de rire les journalistes sportifs invités lors du 30e anniversaire de Télé-Coo (ah! les têtes de Roger Laboureur, Guy Lemaire et les autres), sans compter toutes les salles, petites et grandes, de Visé, Hasselt, Rochefort, Verviers, Durbuy, etc., qui n’ont pu garder leur sérieux en les voyant.

Si le succès ne s’est jamais démenti en Belgique, c’est pourtant en Allemagne que le groupe a rencontré le meilleur accueil. A Cologne et à Dusseldorf pour les Hautes Instances de la Mode, c’est debout que le public les applaudit. A toutes les occasions, on les réclame. A Troisdorf, c’est l’inauguration du cinéma Hollywood, à Siegburg une foire en plein air où ils passent en vedettes, à Aix-la-Chapelle le lancement du carnaval 1986. Après avoir tant bourlingué, l’enthousiasme est resté le même, les projets sont nombreux, les espoirs encore plus fous (et permis). Si des spectacles à Panama, Mexico et Paris ne sont pas encore réalité, ils ne sont plus du domaine du rêve, les contacts sont établis et les “petits Liégeois” du Mama Roma Show ne sont pas au bout de leur chemin. Ils ont encore dans la tête des milliers de facéties à vous faire découvrir pour votre plaisir … et le leur.

MAMA ROMA SHOW: KEKSEKSA 1 ?

Comment voulez-vous donner une définition de vous-même en restant  objectif ? Comment voulez-vous donner une définition de quelque chose que des milliers de spectateurs ont vu avec des yeux chaque fois différents, dans des lieux différents, à des occasions différentes? Car le Mama Roma Show est un spectacle tellement souple qu’il peut s’adapter à toutes espèces de manifestations. Les sketches courts et rapides se succèdent dans un rythme d’enfer, permettant des durées variables de 20 à 120 minutes, en une ou plusieurs parties. Un spectacle souple qui peut se produire dans de petites et de grandes salles, parfait pour assurer des diners-spectacles en restaurants, pour animer des soirées dansantes dans les bals ou les discothèques, et même pourquoi pas, en privé. Comment voulez-vous donner une définition d’un spectacle toujours en évolution ? Si le personnel de scène reste le même (il serait impossible de se passer d’un des composants du groupe), les sketches s’affinent sans cesse et se renouvellent régulièrement laissant libre cours à l’imagination et l’improvisation.

L’improvisation ! Bien sûr toute relative, mais il faut voir Louis improviser suivant son humeur et les réactions du public, une Flamande bon pied bon oeil toute droite sortie de ses préoccupations agricoles. Une composition à chaque fois différente mais n’ayant qu’un but : vous faire rire. Le rire est d’ailleurs le maître-mot du Mama Roma Show. Impossible de résister, inutile de se pincer pour avoir mal, la rate va se dilater. Du début à la fin du spectacle, c’est une série de coups de poing pacifiques et drôles qui peut vous entraîner jusqu’à l’épuisement si vous vouliez résister. Le rire, le propre de l’homme-femme. Car le Mama Roma Show est aussi un spectacle de travestis. Non pas comme les travestis ambigus, pailletés et emplumés que l’on connaît généralement. C’est un spectacle de travestis disons non conventionnels, ne dédaignant pas les beaux costumes et la belle mise en scène, mais dont le principal attrait est de ne jamais se prendre au sérieux. C’est un festival d’auto-dérision qui prend le spectateur à contre-pied et le plonge dans une connivence directe, et qui établit un contact sensible entre la scène et la salle. D’ailleurs, si les fous rires sont nombreux dans la salle, il en est de même sur scène.

MAMA ROMA SHOW : KEKSEKSA 2 ?

L’artiste s’amuse autant que le spectateur, c’est peut-être là la clé du succès du Mama Roma Show.

La Grosse Bertha…

Comment définir un spectacle pareil, puisque le rire est indéfinissable ? Ce qui fait rire une personne peut faire pleurer une autre. Mais le Mama Roma Show est construit à plusieurs niveaux. Du rire franc et généreux au 1er degré, du rire subtil au 2e degré, et pour le 3e degré un clin d’oeil toutes les dix secondes. Certains psychologues et politiciens (l’un n’étant pas nécessairement l’autre) y ont vu des choses qui nous avaient totalement échappé. Le côté visuel du comique est très appuyé, ce qui permet au Mama Roma Show d’être une attraction de niveau international, tant au point de vue de la qualité que de la compréhension du comique. Le Mama Roma Show, il faut l’avoir vu, c’est un spectacle d’ambiance, vif, endiablé, et par-dessus tout d’une drôlerie irrésistible.

Le rire, simple et bonne chose de la vie, est aussi nécessaire que le pain et le vin. Simple, voire ! Le spectateur qui pleure de joie ne pensera jamais aux heures de répétitions et de préparation d’un sketch. Si certains sont prêts en quelques heures (l’étincelle jaillit parfois rapidement, tellement évidente), d’autres nécessitent des costumes compliqués, des répétitions, des essais, des changements, puis des représentations en public qui lui permettent d’évoluer et de trouver enfin sa ligne forte. Le spectateur ne pensera jamais aux efforts consentis pour son plaisir, aux désespoirs qui nous atteignent parfois quand on ne réussit pas d’emblée à trouver le bon truc, aux heures de maquillage, aux recherches et aux problèmes techniques, il ne verra que son bonheur.

Il est vrai que tout ce qui se passe derrière le rideau n’a aucune importance. C’est le résultat final que le spectateur gardera en mémoire. Quand nous vous voyons, vous le public, partir après une représentation le rire aux lèvres, l’oeil humide de bonheur, nous pensons : “En voilà encore qui, ce soir, vont bien dormir, heureux et contents.” Et c’est cela qui nous permet de nous coucher. Heureux et contents…”

Cliquez ici…

Pour lire la suite, téléchargez le PDF OCR du programme (bien illustré) du spectacle de 1986 au Trocadero de Liège, sur notre DOCUMENTA
Vous y trouverez la distribution complète du show avec Louis, Hans-Dieter, Patrick, Philippe, Eugène, Henri et pire encore…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : Collection privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Mama Roma sprl ; © eden liège.


Plus de spectacle en Wallonie…

Jolabokaflod, une tradition de Noël islandaise

Temps de lecture : 5 minutes >

[ICELANDAIR.COM, 4 décembre 2024] Pays de passionnés de lecture, l’Islande imprime plus de livres par habitant que tout autre pays au monde, avec plus de 50% des Islandais lisant plus de huit livres par an. Il n’est donc pas surprenant que l’une des traditions de Noël les plus appréciées d’Islande tourne autour de la lecture. Le Jólabókaflóð, dont la traduction la plus proche serait “déluge de livres de Noël”, est une célébration littéraire de Noël qui commence par l’impression d’un catalogue à la mi-novembre et se termine par le don, la distribution et la lecture de nouveaux livres la veille de Noël.

Pendant la 2ème Guerre mondiale, lorsque les cadeaux étaient rares et chers au moment de Noël, le papier était l’un des rares produits de luxe non rationnés. Ainsi, non seulement l’impression de livres était à la fois abordable et accessible, mais les livres constituaient l’un des rares cadeaux que les familles pouvaient s’échanger pendant la période des fêtes.

Lorsque la guerre a pris fin et que d’autres produits de luxe sont redevenus disponibles, la tradition qui était devenue si appréciée s’est poursuivie et reste un incontournable du calendrier de Noël islandais. Les célébrations annuelles du Jólabókaflóð commencent par la publication et la distribution du Bókatíðindi, un catalogue des nouvelles publications de l’Association des éditeurs islandais, distribué gratuitement à l’automne dans tous les foyers d’Islande. Les Islandais choisissent ensuite des livres pour leur famille et leurs amis, échangent les titres qu’ils ont choisis la veille de Noël  et passent le reste de la soirée à les lire (…)


© icelandair.com

[CAMPINGCARISLANDE.FR, 20 février 2024] Imaginez-vous assis près d’un feu douillet la veille de Noël, entouré de votre famille et de vos amis, attendant avec impatience d’échanger des cadeaux. Mais au lieu des jouets, gadgets ou chaussettes habituels, vous recevez un livre joliment emballé. C’est la tradition islandaise du Jolabokaflod, où les livres occupent une place centrale pendant la période des fêtes. Cette tradition unique fait partie intégrante de la culture islandaise depuis des décennies. Il est chaque année très attendu par les petits et les grands. Aujourd’hui, les Islandais célèbrent Jolabokaflod en échangeant des livres la veille de Noël et en passant la nuit à lire au coin du feu avec une tasse de chocolat chaud. Dans cet article, nous explorerons l’histoire et la signification de Jolabokaflod. Vous découvrirez comment c’est devenu une tradition littéraire appréciée en Islande.

Qu’est-ce que Jolabokaflod ?

Jolabokaflod implique l’échange de livres en cadeau la veille de Noël. La tradition du Jolabokaflod est suivie d’une soirée de lecture et de dégustation de friandises festives telles que du chocolat chaud et des chocolats islandais traditionnels. Aujourd’hui, Jolabokaflod est un événement très attendu en Islande , avec la sortie de nouveaux livres programmée pour coïncider avec la période des fêtes. Il célèbre la lecture et la culture littéraire et fait désormais partie intégrante des célébrations de Noël islandaises.

Comment prononcez-vous Jolabokaflod ?

Jolabokaflod, la tradition islandaise d’échange de livres de Noël, porte un nom unique qui peut être difficile à prononcer pour ceux qui ne connaissent pas la langue. Même si la prononciation peut sembler intimidante, elle est relativement simple une fois que vous connaissez les astuces. Le principal conseil pour prononcer Jolabokaflod est de faire en sorte que le J initial ressemble davantage à un son “I”. À partir de là, les syllabes doivent être espacées au fur et à mesure. On dirait presque que vous dites “une joyeuse inondation de livres“, mais pas tout à fait. Vous pouvez écouter la prononciation sur YouTube ou d’autres ressources pour mieux comprendre. Avec un peu de pratique, vous pourrez bientôt impressionner vos amis islandais avec votre prononciation correcte de Jolabokaflod.

Quelle est l’histoire derrière Jolabokaflod ?
L’histoire de Jolabokaflod est enracinée dans l’amour de l’Islande pour la littérature et ses traditions de Noël uniques. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le papier était l’un des rares articles non rationnés en Islande, permettant ainsi la poursuite de l’impression de livres et de journaux. En conséquence, les Islandais offraient habituellement des livres en cadeau pendant la période des fêtes.
Le terme Jolabokaflod se traduit par “inondation de livres de Noël. Il fait référence à la période précédant Noël, lorsque les éditeurs inondent le marché de nouvelles sorties de livres. Dans les semaines précédant le réveillon de Noël, les librairies et les bibliothèques de tout le pays sont remplies de gens qui parcourent et achètent des livres pour offrir à leurs proches.
Après le traditionnel repas de fête du réveillon de Noël, les familles échangent des livres et passent le reste de la soirée à lire au coin du feu. Cette tradition chaleureuse est devenue un élément essentiel des célébrations de Noël islandaises. C’est un témoignage de l’amour du pays pour la littérature et de l’importance de la narration dans leur culture.
Quand est Jolabokaflod ?

Jolabokaflod est célébré chaque année la veille de Noël en Islande, le 24 décembre . Cette date est le principal jour de célébration des fêtes du pays et marque le début de la saison de Noël. Les familles se réunissent généralement pour un repas de fête la veille de Noël et échangent des cadeaux peu de temps après. Vient ensuite l’échange de livres, qui sont ouverts et lus ensemble pour le reste de la soirée. C’est une tradition chaleureuse et intime, où de nombreuses familles passent la soirée à lire au coin du feu ou aux chandelles.

Les semaines précédant le réveillon de Noël sont également passionnantes en Islande , avec des librairies et des bibliothèques faisant le plein de nouveautés et de classiques en prévision des fêtes de fin d’année. La tradition du Jolabokaflod est devenue une partie importante de la culture islandaise, et l’anticipation et l’enthousiasme qui y ont conduit sont perceptibles partout.

L’Islande et sa tradition du livre de Noël

Les livres islandais la veille de Noël font désormais partie intégrante de la culture islandaise. Cette nation nordique a l’une des consommations de livres par habitant les plus élevées au monde, et il n’est pas surprenant de savoir pourquoi. Le pays a produit de nombreux auteurs de renommée mondiale, comme Halldór Laxness, qui a remporté le prix Nobel de littérature en 1955.

Pour les Islandais, les livres ont toujours été un moyen d’échapper aux rigueurs de l’hiver et de passer les longues et sombres nuits. C’est une tradition qui a résisté à l’épreuve du temps et qui reste aujourd’hui un élément essentiel de la culture islandaise […].

Décoration et préparation du Jolabokaflod

En préparation de Jolabokaflod, les familles décorent leurs maisons avec des décorations festives et se préparent à l’arrivée des livres. Des bougies sont allumées dans chaque pièce pour créer une atmosphère chaleureuse et de la musique de Noël joue en fond sonore. L’impatience grandit alors que les membres de la famille attendent avec impatience l’échange de livres.

Quand vient le temps d’échanger des cadeaux, tout le monde se rassemble autour du sapin et ouvre ses cadeaux à tour de rôle. Chaque livre est soigneusement déballé et admiré avant d’être lu à haute voix par son destinataire. Une fois tous les livres ouverts, tout le monde déguste un chocolat chaud ou un café tout en lisant ensemble ses nouveaux livres […].


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : icelandair.com ; campingcarislande.fr | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © booksonthe747.com ; icelandair com


Plus de littérature en Wallonie…

WENDERS : Perfect Days (Japon, 2023)

Temps de lecture : 11 minutes >

[d’après HAUTETCOURT.COM, 29 novembre 2023] Hirayama travaille à l’entretien des toilettes publiques de Tokyo et semble se satisfaire d’une vie simple. En dehors de sa routine quotidienne très structurée, il s’adonne à sa passion pour la musique et les livres. Il aime les arbres, et les prend en photo. Une série de rencontres inattendues révèlent peu à peu son passé. Une réflexion profondément émouvante et poétique sur la recherche de la beauté dans le monde quotidien qui nous entoure…

PERFECT DAYS, un film de WIM WENDERS (1h59 – Japon – 2023 – 1.33 – 5.1, Haut et Court Distribution) (Festival de Cannes 2023 – Compétition)

ENTRETIEN AVEC WIM WENDERS

    • PERFECT DAYS marque votre retour au Japon après plusieurs décennies. Comment le film a-t-il vu le jour et quelle est son histoire ?
    • Le film est arrivé par le biais d’une lettre que j’ai reçue au début de l’année dernière : “Seriez-vous intéressé par le tournage d’une série de courts métrages de fiction à Tokyo, peut-être 4 ou 5, d’une durée de 15 à 20 minutes chacun ? Ces films traiteraient tous d’un projet social public extraordinaire, impliqueraient le travail de grands architectes et nous nous assurerions que vous puissiez développer les scénarios vous-même et obtenir la meilleure distribution possible. Et nous vous garantissons une liberté artistique totale.” Cela semblait intéressant, c’est le moins que l’on puisse dire. Cela faisait déjà des années que j’avais envie de retourner au Japon et que j’avais de véritables bouffées de nostalgie pour Tokyo. J’ai donc poursuivi ma lecture : le sujet porterait sur les toilettes publiques, et l’espoir était de trouver un personnage à travers lequel on pourrait comprendre l’essence d’une culture japonaise accueillante, dans laquelle les toilettes jouent un rôle tout à fait différent de notre propre vision occidentale de l’assainissement. Pour nous, en effet, les toilettes ne font pas partie de notre culture, elles sont au contraire l’incarnation de son absence. Au Japon, ce sont de petits sanctuaires de paix et de dignité… J’ai aimé les photos que j’ai vues de ces merveilles d’architecture. Elles ressemblaient plus à des temples de l’assainissement qu’à des toilettes. J’ai aimé l’idée de “l’art” qui leur est attachée. J’ai toujours le sentiment que les “lieux” sont mieux protégés dans les histoires que dans un contexte non fictif. Mais je n’ai pas aimé l’idée d’une série de courts métrages. Ce n’est pas mon langage. Au lieu de tourner 4 fois 4 jours, je me suis dit : pourquoi ne pas tourner un vrai film pendant ces 17 jours ? De toute façon, que peut-on faire avec 4 courts métrages ? Imaginez que vous ayez un long métrage à la place ! La réponse a été : nous adorons votre idée ! Mais est-ce possible ? J’ai répondu : Oui ! Si nous réduisons notre histoire à moins de lieux et à un seul rôle principal. Mais il faudrait d’abord que je vienne voir par moi-même. Je ne peux pas imaginer une histoire sans en connaître les lieux. Et je suis en plein tournage. Je peux vous donner une semaine en mai, puis nous pourrons éventuellement le faire en octobre, lorsque j’aurai une fenêtre de postproduction de cet autre film. (Il s’agit de ANSELM). J’ai fini par me rendre à Tokyo en mai pendant 10 jours. J’ai pu rencontrer l’acteur dont je rêvais pour le rôle qui restait à écrire, Koji Yakusho (que j’ai vu dans une douzaine de films et que j’ai toujours admiré). J’ai découvert ces endroits, tous situés à Shibuya, que j’adore. Ces toilettes étaient trop belles pour être vraies. Mais ce n’était pas le sujet de ce film. Cela ne pouvait devenir un film que si nous parvenions à créer un gardien unique, un personnage vraiment crédible et réel. Son histoire seule compterait, et ce n’est que si sa vie valait la peine d’être suivie qu’il pourrait porter le film, et ces lieux, et toutes les idées qui y sont attachées, comme le sens aigu du “bien commun” au Japon, le respect mutuel pour “la ville” et “les autres” qui rendent la vie publique au Japon si différente de celle de notre monde. Il m’était impossible d’écrire cela tout seul. Mais j’ai trouvé en Takuma Takasaki un coscénariste hors pair. Nous avons creusé profondément pour trouver notre homme…
    • Le film décrit de manière poétique la beauté du quotidien à travers l’histoire d’un homme qui mène une vie modeste mais très satisfaisante à Tokyo.
    • Oui, tout cela est vrai. Mais tout cela est né de Hirayama. C’est ainsi que nous avons décidé d’appeler cet homme qui a lentement pris forme dans nos esprits. J’ai imaginé un homme qui avait un passé privilégié et riche et qui avait sombré profondément. Et qui a eu une révélation un jour, alors que sa vie était au plus bas, en regardant le reflet des feuilles créé par le soleil qui éclairait miraculeusement l’enfer dans lequel il se réveillait. La langue japonaise a un nom particulier pour ces apparitions fugitives qui surgissent parfois de nulle part : “komorebi” : la danse des feuilles dans le vent, qui tombent comme un jeu d’ombres sur un mur devant vous, créée par une source de lumière dans l’univers, le soleil. Cette apparition a sauvé Hirayama, qui a choisi de vivre une autre vie, faite de simplicité et de modestie. C’est ainsi qu’il est devenu le nettoyeur qu’il est dans notre histoire. Dévoué, il se contente du peu de choses qu’il possède, notamment son vieil appareil photo (avec lequel il ne prend que des photos d’arbres et de komorebis), ses livres de poche et son vieux magnétophone à cassettes avec la collection de cassettes qu’il a conservée de ses jeunes années. Son choix de musique nous a également inspiré notre titre, lorsque Hirayama (qui figure déjà dans le scénario) écoute un jour Perfect Day de Lou Reed. La routine d’Hirayama est devenue la colonne vertébrale de notre scénario. La beauté dans le rythme régulier de journées qui se ressemblent, émerge paradoxalement quand on commence à en percevoir les variations. Le fait est que si vous apprenez à vivre entièrement dans l’ICI ET MAINTENANT, il n’y a plus de routine, il n’y a qu’une chaîne sans fin d’événements uniques, de rencontres uniques et de moments uniques. Hirayama nous emmène dans ce royaume de félicité et de satisfaction. Et comme le film voit le monde à travers ses yeux, nous voyons aussi tous les gens qu’il rencontre avec la même ouverture et la même générosité : son collègue paresseux Takashi et sa petite amie Aya, un sans-abri qui vit dans un parc où Hirayama travaille tous les jours, sa nièce Niko qui se réfugie chez son oncle, “mama”, la propriétaire d’un modeste petit restaurant où Hirayama se rend pendant ses jours libres, son ex-mari et bien d’autres encore.
    • Qu’est-ce qui vous fascine tant dans le Japon et sa culture, et plus précisément quels sont les éléments de la culture japonaise que vous retrouvez dans ce film ?
    • Le terme “service” a une connotation totalement différente au Japon et dans notre monde. À la fin du tournage, j’ai rencontré un célèbre photographe américain qui n’arrivait pas à croire que j’avais fait un film sur un homme qui nettoyait des toilettes. Il m’a dit : “C’est l’histoire de ma vie ! Lorsque, jeune homme, je suis venu au Japon pour apprendre les arts martiaux, le célèbre professeur que j’ai rencontré m’a dit : “Si tu travailles dans les toilettes publiques pendant un an et demi, tu seras le meilleur : Si tu travailles dans les toilettes publiques pendant six mois, en les nettoyant tous les jours, tu pourras revenir me voir. C’est ce que j’ai fait. Je me suis levé tous les jours à 6 heures du matin pour nettoyer les toilettes, dans l’un des quartiers les plus pauvres de Tokyo. Le professeur a suivi cela de loin et m’a pris comme élève par la suite. Mais jusqu’à aujourd’hui, je continue à le faire pendant une semaine, chaque année.” (L’homme a maintenant la soixantaine et n’est jamais retourné en Amérique.) Quoi qu’il en soit, ce n’est qu’un exemple. Il y a d’autres histoires de chefs de grandes entreprises qui ont gagné le respect de leurs employés seulement après qu’ils sont arrivés au travail avant eux et qu’ils ont nettoyé les toilettes communes. Il ne s’agit pas d’un travail “inférieur”. Il s’agit plutôt d’une forme d’attitude spirituelle, d’un geste d’égalité et de modestie. Il suffit de vivre un peu en Amérique [au Japon ?] pour comprendre l’importance du “bien commun”. Une fois, pendant un long séjour au Japon, alors que je travaillais sur les séquences de rêve de Jusqu’au bout du monde, j’ai reçu la visite d’un ami américain qui n’était jamais venu au Japon auparavant. C’était l’hiver et beaucoup de gens se promenaient avec des masques (trente ans avant la pandémie). “Pourquoi ont-ils tous si peur d’attraper un microbe ?” m’a demandé mon ami. Je lui ai répondu : “Non, pas du tout. Ils ont déjà un rhume et ils portent des masques pour protéger les autres.” Il m’a regardé avec incrédulité : “Non, c’est une blague !” Ce n’était pas le cas, c’est une attitude courante.
    • Vous avez une longue relation avec Tokyo et le Japon. Tokyo elle-même joue un rôle important dans PERFECT DAYS, car vous avez eu la chance extraordinaire de tourner dans des endroits où il n’est généralement pas permis de le faire. Comment s’est déroulé le tournage à Tokyo ? Et comment Tokyo a-t-elle changé depuis Tokyo-Ga ?
    • J’ai aimé Tokyo la première fois que je m’y suis promené et que je m’y suis perdu. C’était déjà à la fin des années soixante-dix. C’était une époque de pur émerveillement. Je marchais pendant des heures, sans savoir où j’étais dans cette immense ville, puis je prenais n’importe quel métro et je retrouvais mon hôtel. Chaque jour, je me rendais dans un autre quartier. J’étais stupéfait par la structure apparemment chaotique de la ville, où l’on trouvait de vieux blocs avec d’anciennes maisons en bois à côté de gratte-ciel et d’intersections très fréquentées, où l’on passait sous ces autoroutes de science-fiction à deux ou trois étages et où l’on trouvait les zones d’habitation les plus paisibles et des labyrinthes de rues minuscules juste à côté. J’étais fasciné par tout le futur que je voyais se dessiner. J’avais toujours considéré les États-Unis comme l’endroit où l’on pouvait rencontrer l’avenir. Ici, au Japon, j’ai trouvé une autre version de l’avenir, qui me convenait très bien. Et puis, bien sûr, j’ai été influencé par les films de Yasujiro Ozu (qui reste mon maître déclaré, même si je n’ai pu voir son travail que lorsque j’étais jeune cinéaste avec plusieurs films à mon actif). Son œuvre est un compte-rendu presque sismographique de l’évolution de la culture japonaise entre les années 20 et le début des années 60. En 1982, j’ai réalisé Tokyo-Ga en partant sur ses traces pour montrer les changements de ce même Tokyo qu’il avait filmé 20 ans plus tôt.
    • Vous avez la réputation d’intégrer la musique dans vos films d’une manière très spéciale. Dans PERFECT DAYS, vous avez mis au point un concept musical très particulier.
    • Il ne semblait pas normal de concevoir une “partition” pour cette simple vie quotidienne. Mais lorsque Hirayama écoute ses cassettes de musique des 60’s aux 80’s, ses goûts musicaux donnent une bande sonore à sa vie, du Velvet Underground, Otis Redding, Pan Smith, les Kinks ou Lou Reed à d’autres, ainsi qu’à la musique japonaise de cette période.
    • Vous dédiez le film au maestro Ozu. Quels sont les éléments de son œuvre qui vous ont le plus influencé ?
    • Principalement le sentiment qui imprègne ses films que chaque chose et chaque personne est unique, que chaque moment ne se produit qu’une seule fois, que les histoires quotidiennes sont les seules histoires éternelles.

BIOGRAPHIE DE WIM WENDERS

Wim Wenders, né en 1945, est l’un des pionniers du cinéma allemand dans les années 1970 et est aujourd’hui considéré comme l’une des figures les plus importantes du cinéma contemporain. Outre ses nombreux longs métrages primés, son travail en tant que scénariste, réalisateur, producteur, photographe et auteur comprend également une multitude de films documentaires novateurs. Sa carrière de cinéaste commence en 1967, lorsque Wenders s’inscrit à la toute nouvelle Université de la télévision et du film de Munich (HFF Munich). Parallèlement à ses études, il travaille comme critique de cinéma pendant plusieurs années. Après avoir obtenu son diplôme en 1971, il a fondé, avec quinze autres réalisateurs et auteurs, le Filmverlag der Autoren, une société de distribution de films d’auteur allemands, qui organisait la production, la gestion des droits et la distribution de leurs propres films indépendants.

Après L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty (1971), son premier long métrage après son film de fin d’études Un été dans la ville, Wenders s’est lancé dans le tournage de sa trilogie de road movies, Alice dans les villes (1973), Faux mouvement (1975) et Kings of the Road (1976), dans laquelle ses protagonistes tentent d’accepter leur déracinement dans l’Allemagne de l’après-guerre. C’est avec L’Ami américain (1977), adaptation d’un roman de Patricia Highsmith, qu’il a percé sur la scène internationale. Depuis lors, Wenders a continué à travailler en Europe et aux États-Unis, ainsi qu’en Amérique latine et en Asie, et a été récompensé par de nombreux prix lors de festivals dans le monde entier, notamment le Lion d’or au Festival international du film de Venise pour L’État des choses (1982) ; la Palme d’or au Festival de Cannes et le BAFTA Film Award pour Paris, Texas (1984) ; le Prix de la mise en scène à Cannes pour Les Ailes du désir (1987) ; ou l’Ours d’argent pour The Million Dollar Hotel (2000) au Festival international du film de Berlin. Ses documentaires Buena Vista Social Club (1999), Pina (2011) et Le sel de la terre (2014) ont tous été nommés aux Oscars. En 2015, Wenders a reçu l’Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière au Festival international du film de Berlin. En 2022, l’Association japonaise des arts lui a décerné son “prix Nobel des arts”. Entre autres titres et fonctions honorifiques, il a été membre de l’Akademie der Künste et de l’European Film Academy à Berlin, dont il a été le président de 1996 à 2020. Il a enseigné en tant que professeur à l’université des beaux-arts de Hambourg jusqu’en 2017. Wim Wenders est membre de l’ordre Pour le Mérite. En 2012, avec son épouse Donata, Wim Wenders a créé la Wim Wenders Stiftung, une
fondation à but non lucratif basée dans sa ville natale de Düsseldorf. La WWS archive, restaure et présente l’œuvre cinématographique, photographique, artistique et littéraire de Wim Wenders et la rend accessible en permanence à un public mondial. Parallèlement, la fondation soutient les jeunes talents dans le domaine de la narration innovante, notamment par le biais du Wim Wenders Stipendium, une bourse attribuée conjointement avec la Film- und Medienstiftung NRW (Fondation pour le cinéma et les médias de Rhénanie-du-Nord- Westphalie).

FILMOGRAPHIE DE WIM WENDERS

      • 1971 L’Angoisse du gardien de but au moment du penalty
      • 1973 Alice dans les villes
      • 1975 Faux mouvement
      • 1976 Au fil du temps
      • 1977 L’Ami américain
      • 1982 L’État des choses
      • 1984 Paris, Texas
      • 1985 Tokyo-Ga
      • 1987 Les Ailes du désir
      • 1993 Si loin, si proche !
      • 1994 Jusqu’au bout du monde – Director’s Cut
      • 1997 The End of violence
      • 1999 Buena Vista Social Club
      • 2000 The Million dollar hotel
      • 2004 Land of Plenty
      • 2006 Don’t Come Knocking
      • 2011 PINA
      • 2014 Le Sel de la terre
      • 2016 Les Beaux jours d’Aranjuez
      • 2018 Le Pape François – UN HOMME DE PAROLE
      • 2023 Perfect days
        2023 Anselm

LISTE DES ARTISTES

Koji Yakusho joue Hirayama. En 1997, il tient le rôle principal de L’Anguille de Shôhei Imamura, qui obtient la Palme d’Or à Cannes. La même année, il incarne l’officier Takabe dans Cure de Kiyoshi Kurosawa. On le retrouve en 2000 dans Eureka, le road-movie fleuve de Shinjo Aoyama qui remporte le Prix du Jury œcuménique au Festival de Cannes. Un an plus tard, il retrouve Shôhei Imamura avec le film De l’eau tiède sous un pont rouge, sélectionné au Festival de Cannes. En 2005 et 2006, Koji Yakusho joue dans deux films qui lui valent une reconnaissance internationale : Mémoires d’une geisha, puis Babel. Plus récemment, on a pu le voir chez Takashi Miike (13 Assassins, Hara-Kiri : Mort d’un samouraï) et Hirokazu Kore-Eda (The Third Murder), et prêter sa voix à de grands films d’animation de Mamoru Hosoda : Le garçon et la bête, Miraï ma petite soeur et Belle.

Tokio Emoto (Takashi) ; Arisa Nakano (Niko) ; Aoi Yamada (Aya) ; Yumi Aso (Keiko) ; Sayuri Ishikawa (Mama) ; Tomokazu Miura (Tomoyama) ; Min Tanaka (Homeless).

LISTE TECHNIQUE

Réalisateur, scénariste : Wim Wenders | Scénariste : Takuma Takasaki | Produit par Koji Yanai | Producteur exécutif : Koji Yakusho | Producteurs : Wim Wenders, Takuma Takasaki | Co-producteurs : Reiko Kunieda, Keiko Tominaga, Kota Yabana, Yasushi Okuwa | Producteur délégué : Yusuke Kobayashi | Directeur de la photographie : Franz Lustig | Monteur : Toni Froschhammer | Conception sonore et mixage – Rêves : Matthias Lempert | Installations – Rêves : Donata Wenders | Monteuse – Rêves : Clémentine Decremps | Décors : Towako Kuwajima | Costumes : Daisuke Iga | Maquillage / coiffure : Katsuhiko Yuhmi | Directeur de casting : Masunobu Motokawa | Régisseur général : Ko Takahashi | Directeur de post-production : Dominik Bollen | Superviseur VFX : Kalle Max Hoffmann | Conception sonore : Frank Kruse


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : hautetcourt.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © hautetcourt.com.


Plus de cinéma en Wallonie…

Depuis quand offre-t-on des jouets aux enfants à Noël ?

Temps de lecture : 6 minutes >

[THECONVERSATION.COM, 8 décembre 2024] Les cadeaux de Noël sont-ils une invention de la société de consommation ? Dans la Grèce antique déjà, les enfants recevaient des jouets en fin d’année. Petit voyage historique.

Le retour des fêtes de Noël amène beaucoup d’entre nous à se lancer à la recherche de jouets à offrir aux enfants, les nôtres, ou ceux de nos proches et amis. Nous avons souvent entendu dire que, “dans le temps”, certains ne recevaient à Noël qu’une orange. Alors, les jouets à Noël, ce serait tout récent, et réservé aux plus riches ?

Pour répondre à cette question, il faut la décomposer en plusieurs points. Depuis quand offre-t-on des jouets en fin d’année, et à quel moment, pour quelles fêtes ? Qui donnait les jouets avant qu’on ne crée le Père Noël ? Et pourquoi – et comment – celui-ci est-il devenu le principal distributeur de cadeaux ?

Si nous voulons y voir plus clair, il faut revenir plus de deux millénaires en arrière, et refaire le parcours de l’offrande de jouets, de la Grèce antique à nos jours.

Dès l’Antiquité, des jouets en fin d’année

Lorsqu’on était enfant à Athènes, au Ve siècle avant J.-C., on pouvait recevoir des jouets en fin d’année, c’est-à-dire en février dans le calendrier de l’époque. Les jouets étaient offerts à l’occasion de deux fêtes, les Anthestéries (fête de Dionysos) et les Diasies (fête de Zeus), en souvenir de ces dieux ayant reçu des jouets dans leur enfance. Dès cette époque, il s’agissait de jouets du commerce comme l’atteste Aristophane, dans Les Nuées, pièce jouée en 423 avant J.-C.

Les petits Romains en recevaient au mois de décembre dans une journée des Saturnales appelée les Sigillaria. On jouait aux noix, ancêtres de nos billes, pendant cette période. Pour les étrennes, ce sont des cadeaux d’argent qui accompagnent les vœux pour la nouvelle année, fête sociale et non familiale.

Le christianisme antique n’est pas à l’origine du don de jouets aux enfants lors de la fête de la Nativité dont la date n’est fixée qu’au IVe siècle, période où le 25 décembre reste en concurrence avec le 6 janvier, l’Épiphanie. Le caractère sacré de ces fêtes s’accommoderait mal de la frivolité des joujoux. Pour que l’enfant devienne important, il faudra de longs siècles d’humanisation de la “Sainte Famille” qui réduira l’écart entre le sacré et le profane. En témoigne l’émergence d’un culte de Saint Joseph, devenant au XVe siècle un père “moderne”, lavant les langes de son fils et faisant la cuisine.

À la Renaissance, les fêtes de fin d’année font une plus grande place aux enfants, lors de la fête des Saints Innocents (28 décembre), celle de Saint Nicolas (6 décembre), et lors des étrennes.

Des jouets aux étrennes

C’est au XVIe siècle que semble se mettre en place un élément fondamental : des donateurs sacrés, extérieurs à la famille, offrent des jouets aux enfants, et les parents s’effacent derrière eux. Il faut bien comprendre l’importance de ce fait : en s’effaçant, les parents déchargent les enfants du fardeau de la reconnaissance, ils procèdent à un don “pur”, qui n’attend rien en échange.

N’allons pas croire que le phénomène se généralise et existe partout au XVIe siècle, il vient juste de poindre, et les donateurs sacrés sont loin de concurrencer les parents qui font leurs cadeaux essentiellement aux étrennes. Mais commençons d’abord par Saint Nicolas et l’Enfant Jésus.

STEEN Jan, La Fête de Saint Nicolas (1660-1665) © Domaine public

Dès la première moitié du XVIe siècle, des témoignages nous apprennent que Saint Nicolas apportait jouets et friandises aux enfants, et même Martin Luther, qui s’oppose au culte des saints, note dans ses dépenses de décembre 1535 l’achat de cadeaux pour ses enfants et ses domestiques le jour de la fête de Saint Nicolas. Même en pays protestant, comme la Hollande, le culte de ce saint persiste et quatre tableaux de Jan Steen et Richard Brackenburg, situés entre 1665 et 1685 témoignent d’une fête familiale où nous trouvons déjà une parte des rituels de Noël : famille réunie, chaussures dans la cheminée par où arrivent les jouets.

D’autres pays protestants, comme l’Allemagne et la Suisse, et une région comme l’Alsace, font de l’Enfant Jésus le donateur. Des archives à Strasbourg le montrent dès 1570, dans un sermon de Johannes Flinner, et la ville supprime la Saint-Nicolas tout en gardant le marché des 5-6 décembre avant d’établir le marché de Noël, le Christkindelmarkt, sur la place de la cathédrale.

Le pasteur Joseph Conrad Dannhauer évoque ces cadeaux aux enfants comme “une belle poupée et des choses semblables“, et il atteste la présence du sapin “on y suspend des poupées et des sucreries“, s’indignant du fait que les prières des enfants sont remplies de demandes très matérielles. La fête familiale plus profane que religieuse n’est pas loin !

Mais dans la France catholique des XVIIe et XVIIIe siècle, ce sont les étrennes qui sont le moment privilégié d’offrandes de cadeaux au bénéfice de la famille et des enfants. Les comptes royaux l’attestent, comme ceux de Maris de Médicis en 1556, et le témoignage d’Héroard sur les étrennes reçues par le petit Louis XIII.

La coutume existait aussi dans la petite bourgeoisie, et à Paris, à la fin de l’année, des baraques sur les trottoirs offrent à la convoitise des enfants de petits jouets et des sucreries. Ainsi, le don de jouets aux étrennes va de pair avec le commerce de jouets, et celui-ci augmente en suivant la progression de la sensibilité à l’enfance.

Au XVIIIe siècle, la production de jouets monte en puissance, atteignant des millions d’objets par an dans les années 1770-1780 comme nous l’avons montré à partir des archives. À partir de 1760, les “Annonces, Affiches et Avis divers de la Ville de Paris” nous font connaître les meilleures boutiques de jouets de la capitale. Un passage de L’Ami des Enfants d’Arnauld Berquin nous montre, la veille du Jour de l’An, une table couverte de jouets et brillamment éclairée, ce qui est proche de la mise en scène allemande des étrennes décrite par E.T.A. Hoffmann en 1816 dans Casse-Noisette et le roi des rats. Ainsi se met en place une ritualisation familiale de la fête des étrennes en faveur des enfants qui préfigure la future fête de Noël.

Au XIXe siècle, de nombreux donateurs

Le don de jouets aux enfants reste majoritairement situé aux étrennes, même si Saint Nicolas est présent dans le nord et nord-est de la France mais de nouveaux donateurs apparaissent, liés à des cultures populaires, comme la Befana, sorcière qui vient à l’Épiphanie, et les Trois Rois Mages à la même date en Sardaigne et en Espagne.

Des personnifications profanes apparaissent, peu documentées par des travaux sérieux : le Père Janvier pour les étrennes, le Bonhomme Noël ou Père Noël en France, le Father Christmas anglais et le Weihnachtsmann allemand, qui surgissent avant le Père Noël américain issu de Santa Claus.

Décoration de Noël

C’est un petit homme grassouillet, doté d’une houppelande rouge à revers de fourrure blanche, habitant le pôle Nord, très humain, serein, rassurant, joyeux, porteur de valeurs positives, familières, universelles, qui invitent à la fête toutes les couches sociales. Son image s’impose fin XIXe siècle en Angleterre, au début du XXe siècle en France et va l’emporter sur les anciens donateurs car elle permet un syncrétisme efficace.

Sa réussite ne se comprend que parce qu’elle s’appuie sur l’évolution de la place de l’enfant dans la famille et dans la société, et sur la croissance de l’industrie du jouet confortée par la révolution commerciale des Grands Magasins. Ainsi, les étrennes sont devenues une fête commerciale des jouets, depuis le marché du Pont-Neuf (1815-1835) jusqu’à l’apparition des rayons spécialisés de jouets dans les Grands Magasins à partir de 1880.

C’est dans ces années 1880-1885 que Noël s’impose vraiment comme fête où l’on offre des jouets aux enfants, même si les commerçants visent une période plus large, incluant Noël et les étrennes. Les affiches, les catalogues des Grands Magasins diffusés à des centaines de milliers d’exemplaires, les mises en scène de Noël dans leurs vitrines, tout cela pénètre la culture enfantine, contribuant à faire l’éducation des jeunes consommateurs. Il y a là une démocratisation du modèle bourgeois de consommation, proposé comme un nouvel art de vivre, une “shopping culture”.

La consommation de jouets s’intègre dans la mise en scène de la fête religieuse transformée en mythe, mais cette fête commerciale ne remplace pas la fête familiale, elle y contribue, car sans le système du commerce, le système du don ne pourrait se développer.

Pour que le don de jouets aux enfants soit devenu le cœur du Noël moderne, il a fallu une transformation de notre imaginaire, qu’on doit en grande partie au romantisme allemand relayé en France par Baudelaire et Victor Hugo. Quand Jean Valjean offre à Cosette la plus belle poupée de la baraque de jouets, c’est le plaisir de l’enfant qui est au centre de ce Noël.

Michel Manson, Sorbonne Paris Nord


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Apprendre à traduire : à l’ère de l’IA, faut-il encore faire des exercices de thème et de version ?

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[THECONVERSATION.COM, 4 décembre 2024] “Si les outils de traduction font des miracles, pourquoi s’exercer à transposer des textes d’une langue à une autre ?”, se demandent les étudiants. Loin d’être anodin, cet apprentissage permet de se sensibiliser réellement aux subtilités et au fonctionnement de la langue qu’on apprend.

DeepL fait des miracles, pourquoi devrais-je alors apprendre à traduire ?“, s’interroge un étudiant dans un cours de version. Les cours de thème (traduire un texte du français vers la langue étudiée) et de version (traduire un texte d’une langue étudiée en français) occupent une place importante au sein de la formation universitaire française, en licence de langues jusque dans les épreuves des concours du second cycle. Au lycée déjà, les élèves découvrent les subtilités inhérentes au fait de passer d’une langue à une autre et, dans le cadre des enseignements de langues et cultures de l’Antiquité, ils s’exercent régulièrement à la traduction.

Dans un contexte général où la traduction neuronale, alimentée par l’intelligence artificielle, rivalise de plus en plus avec la traduction humaine, l’intérêt de cet apprentissage peut susciter une remise en question.

Des objectifs de cours à clarifier

Sans aborder les débats historiques qui jalonnent l’évolution de la traduction en tant que pédagogie et de la traductologie en tant que discipline, on notera que de nombreuses recherches ont souligné le “statut étrange de la traduction à l’université, souvent fondé sur une mauvaise appréhension de son intérêt“, selon les mots de l’universitaire Fayza El Qasem.

Bien que les enseignants établissent des objectifs pédagogiques précis aux cours de thème et de version, de nombreux étudiants peinent encore à en percevoir les finalités. Il n’échappe à personne que la phrase “Attention, n’utilisez surtout pas de traducteur automatique !” a longtemps fait partie des consignes transmises aux étudiants, sous prétexte que la qualité de la traduction y est déplorable. Seuls les dictionnaires étaient autorisés.

© Shutterstock

Aujourd’hui, les enseignants des cours de thème et de version peuvent-ils encore éviter les traducteurs automatiques malgré leur amélioration évidente ?

On rappellera que les compétences visées dans les cours de thème et de version vont de la compréhension d’un texte et du fonctionnement des langues à travers les analyses linguistiques (grammaire, vocabulaire, procédés de traduction) jusqu’à la traduction d’un paragraphe, comme moyen d’évaluation des acquis en langues. L’extrait à traduire est généralement issu du registre littéraire ou journalistique et ne s’ouvre que rarement à la traduction dite pragmatique (textes quotidiens, professionnels).

Au cours des dernières années, les critiques n’ont pas manqué. Des études récentes ont insisté sur l’intérêt croissant d’intégrer des outils technologiques dans l’enseignement de la traduction.

Au-delà de la traduction, comprendre et analyser les subtilités linguistiques
Les cours de thème et de version constituent cependant de véritables laboratoires linguistiques. On y pratique l’analyse approfondie d’un texte source en invitant les apprenants à décortiquer les structures linguistiques et extralinguistiques que les logiciels de traduction peinent encore à saisir. En thème ou en version, il ne s’agit pas simplement de traduire des segments isolés, mais d’en saisir le sens global, de repérer les figures de style ou encore, la tonalité, etc.

Chaque niveau d’analyse permet une traduction “acceptable”, certes, mais favorise surtout une manipulation fine de la langue, transposable à d’autres contextes. Tel est le cas de la traduction des ambiguïtés syntaxiques ou des jeux de mots, de l’humour ou encore des néologismes.

Les travaux de la linguiste Natalie Kübler et de ses collègues en langue de spécialité montrent davantage “les limites de ces systèmes de [traduction automatique][…] notamment dans le traitement des syntagmes nominaux complexes, aussi bien au niveau du syntagme lui-même (variations possibles dans la juxtaposition des constituants, identification des constituants coordonnés…) comme au niveau du texte (instabilité des choix de traduction, identification adéquate du domaine de spécialité…)“.

La traduction automatique, aussi performante qu’elle soit, reste cependant imparfaite malgré ses progrès. Si elle se montre efficace lors de traductions simples et littérales, elle peine souvent à capter les nuances contextuelles essentielles. C’est ainsi que la traduction d’expressions idiomatiques (par exemple “les carottes sont cuites”, “les dindons de la farce”), des modes d’emploi ou de certaines publicités, produit parfois des rendus éloignés du sens original, jusqu’à produire de faux sens.

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Les cours de thème et de version peuvent être l’occasion de sensibiliser et d’accompagner les étudiants vers une utilisation raisonnée de la traduction automatique. Il s’agit aussi d’un espace pour s’entraîner à repérer et à corriger les écueils précédemment cités, tout en renforçant la compréhension des systèmes linguistiques des langues étudiées. À long terme, cette capacité d’analyse revêt une importance fondamentale dans leur futur contexte professionnel. Communicants, journalistes, traducteurs ou enseignants de langues, ces étudiants seront souvent amenés à naviguer entre diverses sources d’information, parfois entachées de deepfakes pour justifier les échecs éventuels que les traducteurs automatiques génèrent.

Renforcer la compréhension interculturelle

Outre le renforcement des éléments linguistiques que permettent d’étayer les cours de thème et de version, la prise en compte des spécificités culturelles constitue un élément d’apprentissage à part entière, notamment parce que la traduction est, entre autres, un moyen de médiation entre deux cultures.

D’ailleurs lorsque le traductologue canadien Jean Delisle parle de la dimension culturelle de la traduction, il recourt à la métaphore de l’”hydre à cent-mille têtes” pour en souligner la nature multiple et dynamique.

La capacité à détecter et à comprendre les différences culturelles aide ainsi à prévenir les malentendus qui peuvent si facilement surgir en langue étrangère et qui sont parfois déjà présents dans la langue source. L’extrait humoristique de Juste Leblanc avec les confusions entre l’adverbe “juste” et le prénom “Juste”, dans le film Le Dîner de cons, l’illustre.

Finalement, en nous éloignant du caractère parfois artificiel des pratiques adoptées dans l’enseignement du thème et de la version et en tenant en compte de l’évolution socio-économique de la société jointe à l’utilisation de l’intelligence artificielle, ces cours pourraient (re)gagner l’intérêt initial du parcours d’apprentissage des langues. Actualisés, ils seraient à même d’offrir aux étudiants une compréhension plus claire des exigences des métiers liés aux langues, métiers qui requièrent aujourd’hui des compétences humaines spécifiques, complémentaires mais distinctes de celles des machines.

La question qui se pose aujourd’hui n’est plus “Pourquoi enseigner le thème et la version à l’heure de l’IA ?“, mais plutôt “Comment ?” “Laisser exister la relation avec les systèmes d’IA, là où partout on ne parle souvent que de leurs usages, c’est aussi laisser place à la dimension indéterminée de leur intelligence inhumaine”, comme on peut le lire dans l’ouvrage d’Apolline Guillot, Miguel Benasayag et Gilles Dowek intitulé L’IA est-elle une chance ?

Anissa Hamza-Jamann, Université de Lorraine


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TAROT : Arcane majeur n° 06 – L’Amoureux

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L’Amoureux est la sixième lame du Tarot de Marseille. Il représente un jeune homme entre une femme âgée et une jeune femme avec au dessus de lui un chérubin qui va tirer une flèche vers son cœur. Le symbole du chérubin est l’ouverture du cœur, le jeune homme découvre l’amour et l’univers des sentiments. L’Amoureux symbolise l’expression de ses sentiments. Le consultant apprend à connaître ce qu’il ressent et le partage avec son entourage. L’Amoureux exprime ce qu’il ressent et cela est bien accueilli par ses proches. L’Amoureux attire et développe des relations. L’Amoureux est une image de la rencontre et de l’échange affectif avec des personnes qui sont ou qui deviennent des proches. Il est question d’une intimité et d’une douceur de vivre. Avec L’Amoureux les situations sont agréables et les relations sont faites de tendresse. On aime et on se sent aimé. De plus L’Amoureux exprime la capacité de faire les choix du cœur. Dans sa face sombre, L’Amoureux est une image de souffrance et de désamour. Les sentiments deviennent douloureux. C’est aussi la difficulté de faire un choix. Le consultant reste dans l’hésitation et se retrouve bloqué. C’est une incertitude et un balancement entre des options sans parvenir à une décision.” [d’après ELLE.FR]

    1. Lame droite : Grande passion, née le jour = union, mariage.
      1. A côté – LE BATELEUR (droite) Hésitations sur décisions à prendre.
      2. A côté – LE CHARIOT : Les projets seront anéantis, cause départ. Révélation d’infidélité. Trahison.
    2. Lame renversée : Gros rhume. Fièvre.
      1. A côté – LE BATELEUR (renversé) : Rupture pour cause indécision.

1. L’Amoureux ou le choix et l’engagement (Tarot de Marseille, Christiane Laborde)

L’arcane six du tarot de Marseille représente un jeune homme, surmonté d’un Cupidon ailé armé d’une flèche, face à deux jeunes femmes qui sollicitent, toutes les deux, son attention. La scène peut évoquer un épisode de la mythologie gréco-romaine connu sous le nom du choix d’Hercule. Une fois son éducation terminée, le jeune héros rencontre, à un croisement de routes, deux jeunes femmes, nommées Plaisir et Vertu. Plaisir incarne la recherche du plaisir des sens et de l’amour, source de satisfactions immédiates mais éphémères, et Vertu, la quête austère d’une gloire future. Hercule choisit de suivre Vertu et réalise les exploits qui assureront sa notoriété pour la postérité. Il fait ainsi un choix déterminant qui engage sa vie et sa destinée, ce qui correspond au message transmis par l’arcane de L’Amoureux. Certains tarots nomment parfois cet arcane Les Amants, représentés par un couple également surmonté d’un Cupidon. Mais que l’arcane mette en scène un jeune homme face à deux jeunes femmes ou un couple d’amoureux, l’arcane VI concerne toujours les relations amoureuses, d’autant que Cupidon est le fils de Vénus, la déesse de l’Amour.

L’enfant Bateleur est désormais devenu adolescent (même costume bariolé et même blondeur). Une fois son éducation achevée, il s’ouvre à la découverte de l’amour et choisit d’y consacrer sa vie.

Le nombre six

Étymologiquement, six et sexe ont la même racine. L’arcane six de L’Amoureux concerne le domaine de la vie amoureuse et inclut la sexualité, ce qui signifie que la voie du tarot n’est pas une voie d’ascétisme. Le message de l’arcane va cependant au-delà d’une simple incitation au plaisir des sens, car le nombre six est aussi le nombre dédié à l’harmonie, la beauté et l’amour.

Le nombre six est celui du sceau de Salomon. Il représente une étoile à six branches, constituée par l’imbrication de deux triangles inversés, dont l’un a la pointe orientée vers le haut et l’autre vers le bas. Cette figure géométrique, dont les représentations les plus anciennes datent de quatre mille ans avant notre ère, symbolise l’harmonisation des principes opposés obtenue par le dépassement des oppositions qui la constituent, particulièrement celles du masculin et du féminin. Une énergie nouvelle peut alors naître de leur complémentarité, comme l’union de l’eau et du feu libère l’énergie de la vapeur.

Interprétation symbolique de L’Amoureux

La connotation amoureuse de l’arcane six laisse penser que l’amour ouvre une voie vers un état de conscience supérieur. Lorsqu’il est sublimé, il devient un chemin vers le divin (y compris dans son aspect sexuel). C’est le message de l’amour courtois chanté par les troubadours du Moyen-Age et par les poètes de la Renaissance. Ils décrivent l’amour entre un homme et une femme comme le premier degré de la voie qui conduit à l’amour divin. C’est aussi le message transmis par le tantra, pratique initiatique sacrée à la fois physique et spirituelle. Cette conception de l’amour sert de terreau au message de L’Amoureux.

Invitation de L’Amoureux

Comme Pétrarque et Laure, Dante et Béatrice et, avant eux, les amants courtois de la fin’amor, L’ Amoureux du tarot est invité à s’engager, corps et âme, dans la voie de l’amour et à lui consacrer sa vie. Cet élan amoureux doit cependant être dépouillé de sa dimension possessive pour tendre vers une conception plus élevée de l’amour, seule capable de combler le besoin d’élévation et de fusion avec le divin qui s’exprime à travers lui.

Car l’expérience amoureuse rapproche l’être du mystère de la création. Elle ne se limite pas aux relations sexuelles, mais se caractérise par une ouverture du coeur. Elle invite à rechercher la beauté dans toutes les relations humaines et toutes les créatures vivantes – végétales et animales-, mais aussi dans les arts, la culture et tout ce qui élève l’âme et permet de cultiver l’harmonie, en soi et autour de soi.

Prière Navajo

Maintenant va de l’avant comme quelqu’un qui a la longue vie,
Va de l’avant comme quelqu’un qui est heureux,
Va avec le bonheur et la longue vie,
Va mystérieusement.

Pour les Indiens Navajos, marcher dans la beauté, principalement celle de la Nature, est un chemin spirituel, en harmonie avec l’Univers.

L’arcane affirme le libre arbitre de L’Amoureux qui, pour la première fois, choisit, en conscience, l’orientation qu’il veut donner à sa vie en s’engageant dans la voie de l’amour.

Ombre de L’Amoureux

L’amour conditionnel, la possessivité, la jalousie ou encore le chantage et la manipulation sont les manifestations de l’aspect négatif de L’Amoureux.

L’arcane peut suggérer l’immaturité affective (L’Amoureux est encore un adolescent). Cette absence de confiance en soi peut aussi révéler la peur d’aimer, par crainte de souffrir et empêcher de vivre des relations basées sur l’acceptation et le respect de l’autre, particulièrement dans la relation amoureuse.

L’Amoureux peut encore mettre en lumière les doutes qui empêchent de faire des choix engageant sa vie. Car tout choix entraîne un renoncement, et il ne peut exister de choix sans renoncement librement accepté – sous peine de frustration.

L’Amoureux et nous

L’Amoureux nous encourage à prendre nos décisions en conscience, dans l’ouverture du coeur, sans subir les influences de nos vies passées, de notre famille et de la société. Il nous invite à être libres et à vivre intensément en saisissant  toutes les opportunités de manifester les élans de notre coeur. De nos choix dépend notre progression.

Dans un tirage

Sens général. L’Amoureux est l’arcane du choix et de l’engagement. Lorsqu’il se présente dans un tirage, c’est pour indiquer que la personne se trouve devant la  nécessité de prendre une décision qui engage sa vie. Il peut s’agir d’une relation amoureuse, ou plus largement d’une situation où elle est invitée à suivre l’élan de son coeur et à rechercher ce qui peut lui procurer le plus de plaisir et de satisfaction.

Plan personnel. L’arcane de L’Amoureux invite à cultiver l’harmonie en soi, autour de soi et avec les autres, particulièrement dans ses relations amoureuses ce qui n’est possible que lorsgu’on a pacifié les conflits qui existent en soi. Pour aimer et accepter l’autre dans toute sa complexité, il faut d’abord s’aimer et s’accepter soi-même.

Plan spirituel. L’Amoureux invite à s’engager dans la voie de l’ouverture du coeur comme dans une voie spirituelle menant à la fusion avec les énergies supérieures de l’Amour et de la Beauté.


2. L’Amoureux ou Le choix de l’amour (Intuiti)

Le jeune Werther découvre son amour pour Lottie quand il est encore dans son carrosse, avant même qu’il ne la rencontre pour la première fois. Même si l’on pouvait conclure à une intervention divine, en réalité, c’est le jeune homme qui décide de tomber amoureux : il croit que la seule voie pour vivre sa liberté passe par Lottie.  C’est bien de cela qu’il s’agit : choisir la bonne voie, celle qui nous rendra heureux en fin de compte, même s’il nous faut renoncer aux autres choix, même si le chemin choisi semble le plus risqué ou le plus difficile. Découvrir ce que nous aimons réellement peut sembler dangereux, cela nous mène souvent à des carrefours périlleux, avec, d’une part, les choix faciles ou sans danger et, d’autre part, le courage nécessaire pour renoncer à la conformité et emprunter notre vraie voie.

C’est le moment du choix : “Qu’est-ce que j’aime le plus ? Qu’est-ce qui me retient ? Qu’est-ce qui me fait ressentir si fort que c’est là le chemin à emprunter ?

Vous aimerez cette carte si vous avez dépassé ce conflit, si vous avez déjà déterminé ce que vous aimez et ce que vous n’aimez pas, et que vous en êtes sorti indemne.  A contrario, cette carte est angoissante pour ceux qui ont peur de devoir faire ce genre de choix : “Dois-je quitter mon job qui me fait tant souffrir ? Mais que vont dire les gens ? Que vont penser mes parents ?” L’Amoureux nous pousse vers ce que nous aimons mais nous invite aussi à réfléchir : “Est-ce que j’aime réellement ce que je fais ? Et si j’aime ça, pourquoi suis-je si fatigué ? Qu’est-ce qui me manque ?

L’HISTORIETTE. Un beau matin, elle laisse tomber son sac sur le sol et part en courant. Elle quitte sa maison, son travail et ses amis. Sur la route, elle rencontre un cheval  et continue à galoper jusqu’au moment où elle quitte le sol. Son coeur bat bien trop vite pour qu’elle s’arrête. Ce n’est pas qu’elle vole dans les airs : simplement, elle retrouve sa vraie nature.

LA RECOMMANDATION : “Faites-le à votre manière ou ne le faites pas !


3. L’Amoureux (Jodorowsky)

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EXTRAIT : “Union. Vie émotionnelle. Le nom de cette carte n’est pas, comme on l’a parfois dit, Les Amoureux mais L’Amoureux au singulier. Pourtant nous y voyons plusieurs personnages : quatre de forme humaine (les trois personnes et l’ange) et, si on le veut bien, deux entités qui sont la terre et le soleil. Parmi eux, qui est L’Amoureux ? Le personnage central, souvent interprété comme un garçon ? Le personnage de gauche, dans lequel certains lecteurs voient un travesti ? Ou encore l’ange, ce petit Cupidon qui pointe sa flèche depuis le ciel ? Ces questions se posent car l’Arcane VI est probablement, avec La Maison Dieu, l’une des cartes les plus ambiguës du Tarot, et une de celles qui ont été le plus mal comprises. Le VI représente, dans la numérologie du Tarot, le premier pas dans le carré Ciel. C’est le moment où l’on cesse d’imaginer ce qui nous plairait pour commencer à faire ce que l’on aime.

La tonalité majeure de cette carte concerne le plaisir, la vie émotionnelle.  C’est la raison même pour laquelle elle est si complexe, si riche de significations contradictoires. Elle ouvre le champ à d’innombrables projections, on peut lui attribuer mille interprétations qui seront toutes justes à un moment donné. Que se passe-t-il au sein de ce trio ? Est-ce une querelle, un marchandage, un choix, une union ? Les deux personnages de gauche se regardent pendant que celui de droite regarde dans le vide. L’humanité entière peut être comprise à travers cette carte. Les relations de ses protagonistes sont extrêmement ambivalentes.

La position des mains des personnages est particulièrement intéressante à observer. Cinq mains dans des positions diverses symbolisent la complexité des relations en jeu. Le premier personnage, à gauche de la carte, pose sa main droite sur l’épaule du deuxième, dans un geste de protection ou de domination, pour le pousser ou le retenir. Sa main gauche touche le bas du costume du garçonnet. On peut interpréter le mouvement de son index tendu comme un désir de glisser vers le sexe, ou au contraire un interdit à le faire. Le garçon a sa main droite (à notre gauche) appuyée contre sa ceinture. On note au passage que celle-ci, jaune à trois bandes, est la même que celle de la femme de gauche. Si l’on admet la ceinture comme symbole de la volonté, ce détail unit les deux personnages. Mais à qui appartient la main, à notre droite, qui touche le ventre de la jeune femme ? Le garçon et elle-même ont un vêtement à manches bleu foncé, si bien le mouvement de ce bras est ambigu. Ils font en quelque sorte « bras commun». Si le garçon touche le ventre de la jeune fille au niveau du sexe, la direction de son regard va cependant vers la gauche. La carte aura une signification bien différente si l’on considère que c’est son bras à elle qui protège ou indique son ventre alors que le garçon garde sa main dans le dos…

La femme de droite porte une coiffe composée de quatre fleurs à cinq pétales. Elle pourrait représenter une belle conscience poétique et néanmoins solide. Le coeur violet des fleurs concentre la sagesse de l’amour, voire la capacité de se sacrifier. La femme de gauche porte une couronne de feuilles vertes, active (la bande rouge), et si l’on accepte qu’il s’agit de laurier, on peut dire qu’elle a une mentalité de triomphatrice ou de dominatrice.

On peut spéculer à l’infini sur les relations des trois personnages : un garçon qui présente sa fiancée à sa mère ; une femme qui découvre son mari avec une maîtresse;  un homme tenu de faire un choix entre deux femmes ou, comme le veut l’interprétation traditionnelle, entre le vice et la vertu ; une maquerelle offrant prostituée à un passant ; une jeune fille qui demande à sa mère la permission d’épouser le garçon qu’elle a choisi ; une mère amoureuse de l’amant de sa fille ; une mère préférant l’un de ses deux enfants à l’autre…

Les interprétations sont inépuisables. Toutes nous conduisent à dire que L’Amoureux est une carte relationnelle qui représente le début de la vie sociale. C’est le premier Arcane où il y a plusieurs personnages présentés au même niveau. Les disciples du Pape étaient plus petits que lui et de dos). C’est une carte d’union et de désunion, de choix sociaux et émotionnels. Plusieurs indices présents dans la carte orientent vers la notion d’union. D’une part, le chiffre 6 dans l’alphabet hébreu est associé à la lettre Vav, le clou, qui représente l’union. D’autre part, on remarque entre les jambes des personnages des taches de couleur (bleu ciel puis rouge) qui représentent, elles aussi, une continuité, une union entre eux. Sur un plan symbolique, on pourrait dire que les trois personnages représentent trois des instances de l’être humain : l’intellect, le centre émotionnel et le centre sexuel qui s’unissent pour ne faire qu’un.

La terre est labourée sous les pieds des personnages. Cela signifie que, pour arriver au VI, il faut avoir fait un travail préalable, psychologique, culturel et spirituel. C’est ainsi que l’on en arrive à réaliser ce que l’on aime, ce que l’on veut. Les chaussures rouges du personnage central sont les mêmes que celles du Mat et de l’Empereur : on peut les considérer comme trois degrés d’un même être. On note aussi que, entre  ce personnage et sa voisine du côté droit, la terre s’arrête, il n’y a que la tache rouge. On peut alors voir en eux une représentation de l’animus et l’anima, deux aspects masculin et féminin d’une seule personne.

L’orthographe AMOVREUX avec le ‘V’ à la place du ‘U’ crée un lien visuel et sonore avec le mot Dieu de LA MAISON DIEV. On pourrait dire que le soleil, qui verse ses rayons sur la scène, représente le grand Amoureux cosmique, la divinité comme source d’amour universel qui nous conduit à l’amour conscient et inconditionnel. Le petit Éros lui sert de messager et nous suggère, étant représenté sous les traits d’un enfant, que cet amour se renouvelle constamment.

Dans une lecture

Cette carte ambiguë nous incite à nous questionner sur notre état émotionnel : comment va notre vie affective ? Sommes-nous en paix ou en conflit ? Faisons-nous ce que nous aimons ? Quelle place l’amour a-t-il dans notre vie ? La situation qui nous occuppe a-t-elle des racines dans notre passé, et lesquelles ? On peut s’interroger sur la place qui nous a été attribuée au sein de la famille, travailler à identifier les projections que nous reportons sur notre entourage actuel. L’Amoureux sera, au choix, un des personnages de la carte, dont les relations pourront être commentées par le (la) consultant(e). Quelle que soit la question, il sera utile de rappeler que L’Amoureux central demeure le grand soleil blanc qui irradie, illuminant tous les vivants sans discrimination.

Et si L’Amoureux parlait …

Je suis le soleil de l’Arcane, le soleil blanc : presque invisible mais éclairant tous les personnages. Je suis cette étoile : la joie d’exister, et la joie que l’autre existe. Je vis dans l’extase. Tout me donne du bonheur : la Nature, l’univers entier, l’existence de l’autre sous toutes ses formes – cet autre qui n’est autre que moi.

Je suis la conscience qui brille comme une étoile de lumière vivante au centre de votre coeur. Je me renouvelle à chaque instant, à tout moment je suis en train de naître. À chaque battement de votre coeur, je vous unis avec l’univers entier. C’est de moi que partent les liens infinis qui vous unissent à toute création. Ah, le plaisir d’aimer ! Ah, le plaisir de m’unir ! Ah, le plaisir de faire ce que j’aime ! Messager de la permanente impermanence, je renais à chaque seconde. Je suis comme un archer nouveau-né qui lance des flèches vers tout ce que ses sens peuvent capter.

Je ne suis pas la gentillesse, je ne suis pas l’ambition du bien-être ou du triomphe. Je suis l’amour inconditionnel. Je vous apprendrai à vivre dans l’émerveillement, la reconnaissance, la joie.

Lorsque je pénètre en vous, comme dans les personnages de l’Arcane, je communique l’amour divin à la moindre de vos cellules. Je souffle sur votre mental comme un ouragan chaleureux qui élimine du langage la critique, l’agression, la comparaison, le mépris, et toutes les gammes de l’orgueil qui séparent le spectateur de l’acteur. Je m’insinue dans votre énergie sexuelle pour adoucir toute brutalité, tout esprit de conquête, de possession. Je confère au plaisir la délicatesse sublime d’un ange qui éclate. Lorsque je me dissous dans votre corps, c’est pour le détacher de la dictature des miroirs et des modèles, du regard des autres, de la douleur des comparaisons. Je lui permets de vivre sa propre vie, d’assumer sa lumière et sa beauté. Dans le coeur où j’habite, je chasse les illusions de l’enfant mal-aimé. Comme la cloche d’une cathédrale, je répands dans le sang la vibration pénétrante de l’amour, dénuée de toute rancune, de toute demande émotionnelle travestie en haine, et de toute jalousie, qui n’est que l’ombre de l’abandon. Je vous initie au désir de ne rien obtenir qui ne soit aussi pour les autres. L’île du moi se transforme en archipel.

Tout concourt à augmenter ma joie, même ce que vous interprétez comme des circonstances négatives : le deuil, la difficulté, la petitesse, les obstacles. J’aime les choses et les êtres tels qu’ils sont, avec leurs infinies possibilités de développement. À chaque instant, je les vois et je suis prêt à participer à leur épanouissement, mais aussi à accepter qu’ils demeurent tels quels.

Vie sociale, Joie • Aimer ce que l’on fait • Faire ce que l’on aime • Nouvelle union • Choix à faire • Plaisir • Beauté • Amitié • Couple à trois • Tomber amoureux(se) • Conflit émotionnel • Séparation • Dispute • Terrain incestueux • La fratrie • Idéal et réalité • Premiers pas dans la joie de vivre • Amour conscient • Amour inconditionnel • La voie de la Beauté…


4. Les Amoureux (Vision Quest)

L’ESSENCE : DÉVOUEMENT – Amour à tous les niveaux, dans toutes les dimensions, aussi bien platonique qu’érotique – Profonde fusion – Dissolution – Retour – Compagnon et Compagne spirituelle – Ami et amie du coeur..

LE MESSAGE INTÉRIEUR : Pour pouvoir vous dévouer véritablement, vous devez être fort, et non pas faible ! Souvent les personnes pensent que c’est uniquement la faiblesse qui se dévoue. Mais c’est exactement le contraire. On doit avoir la force de se dévouer à l’amour sans rien attendre en retour, sans même savoir si l’amour va nous répondre… Ceci ne peut se produire que s’il existe une grande confiance universelle. Votre force d’amour est le cadeau le plus important
de votre vie. Ne la laissez pas s’affaiblir, même si elle est accompagnée de douleur. Le feu de l’amour est le chas de l’ aiguille par lequel chacun de nous doit passer dans sa vie. Si nous refusons cette chance, nous restons inassouvis.
.

LA MANIFESTATION EXTÉRIEURE : Décidez-vous pour la force de l’amour en vous. Cette force ne coule pas seulement vers une personne. Il existe plusieurs aspects de l’amour. Ne vous limitez pas vous-même, mais permettez au flux de votre vie et de votre force d’amour de couler. Le moment est opportun pour s’accorder la présence d’un ou d’une partenaire. Apprenez à différencier quels sont les énergies et souhaits du coeur que vous donnez et recevez. L’amour spirituel et l’harmonie intérieure peuvent être d’ordre sexuel pour s’accomplir, mais pas obligatoirement. Notre sexualité est un cadeau formidable de la nature.
D’une part, pour le maintien de tous les êtres vivants, et, d’autre part, elle est un chemin merveilleux pour apprendre le dévouement et la fusion les plus intimes qui existent avec la force divine.


5. L’Amoureux (tarot maçonnique)

“Pour aller à la conquête de son unité, l’individu est amené à faire un choix : sortant de l’école du centaure Chiron, il se trouve à la croisée des deux triangles qui forment le sceau de Salomon.

A la jonction du jour et de la nuit, le personnage est au centre de deux attirances ; d’un côté la passivité, la vie affective, et de l’autre la rigueur de l’ascèse nécessaire à la recherche de la lumière. C’est aussi le choix entre la voie de l’intuition (mystique) et celle de l’étude (gnostique).

La flèche du sagittaire est, dans les “Upanishad” le symbole de l’intuition fulgurante ; celle décochée par Eros est animée par les sentiments d’amour, de désir, de générosité. L’arc est le symbole des tensions d’où jaillissent nos désirs liés à l’inconscience enfoui dans l’oeuf primal.

L’énergie qui anime l’être humain est doublement marquée par la rencontre d’un courant vertical (dynamisme de l’esprit) et horizontal (sentiment, “affectus”). Dans l’image, l’être est double, divisé même entre deux figures : l’une ondoyante et attirante, l’autre rigide comme une colonne.

Le niveau, outil du maçon opératif, permet le contrôle de l’équilibre nécessaire à ce stade du Travail du Compagnon.”


6. Les amoureux de la forêt (Forêt enchantée)

“Les Amoureux de la forêt sont placés à Beltane, l” mai, la fête des rites de printemps et le portail vers l’été. Dans cette position, ils équilibrent les suites d’Arcs et de Flèches et les éléments feu et air, et représentent l’échange délibéré d’énergie qui engendre la conscience féconde.

DESCRIPTION : Un homme et une femme se tiennent côte à côte, vêtus du vert et du brun de la Forêt enchantée. Ce sont Robin des Bois et Lady Marian, les Amoureux de la forêt, réincarnés maintes fois sous toutes sortes de noms. Entre eux se trouve un poteau enrubanné de mai, généré par leur échange d’énergie et symbolisé ici par un bouleau. Des guirlandes vertes montent autour de lui en spirale vers le ciel, représentant les énergies ascendantes de la Terre qui rencontrent les énergies descendantes du ciel. Les Amoureux de la forêt créent une étincelle de vie qui génère une troisième force ou énergie. Les pieds-de-veau sont en fleur au moment de Beltane. Ils symbolisent l’union masculine et féminine à cette époque de l’année, ainsi que les énergies génératrices conférant plénitude et harmonie à ce moment du cycle de l’année.

SIGNIFICATION : Les Amoureux de la forêt représentent en même temps l’équilibre dans les relations et l’union sexuelle. Nous sommes tous des fragments holographiques de l’univers, renfermant en nous à un quelconque degré l’ensemble de la création et des archétypes de l’Arcane majeur. À mesure que nous pénétrons dans la grande forêt de la vie, nous cherchons la richesse et l’harmonie émotionnelles sur le plan le plus profond. À partir de là, l’amour fleurit, nous enlaçant encore plus étroitement dans une existence où les différences disparaissent et les scories de la cupidité et de la possessivité sont brûlées dans les feux de la vie.

Le véritable amour vient de l’union de deux énergies polaires pour créer une troisième force ou conscience. C’est un échange d’énergie et de passion, pas la domination de l’une ou de l’autre mais un transfert délibéré de volonté et de respect. Pour être complets, nous devons apprendre à accepter et à montrer de l’amitié à tous les aspects de notre personnalité, masculin et féminin, clair et obscur, processus qui permet une circulation naturelle en nous du cycle des saisons. Si nous n’accueillons pas tous les archétypes, ils se sentent reniés et mal à l’aise, comme des fantômes frappant à la fenêtre, cherchant à se faire connaître.

À mesure de notre progression, nous trouvons l’équilibre de notre personnalité à travers nos relations. Certains hommes créatifs et sensibles sont équilibrés par une « chasseresse » forte. Certaines femmes attentives et artistes sont équilibrées
par un aspect masculin très motivé. Le genre physique peut varier, mais la polarité fonctionnera ou échouera.

Pour aimer réellement, nous devons être complets, accepter tous les aspects de notre personnalité et accepter cette même complétude chez autrui. La polarité varie d’un jour à un autre, d’un moment à un autre, mais l’individu réellement complet possède tous les éléments fragmentés de sa personnalité et est capable de les affronter chez les autres. La joie de l’union est entière et facile. L’amour est sa propre récompense.

POINTS ESSENTIELS DE LA LECTURE : Sur un plan personnel, l’amour est un don universel au coeur généreux, et la personne en quête trouvera l’équilibre grâce à l’harmonie et à la guérison intérieures. La polarité est l’élément clé du flux et du reflux naturels de l’engagement émotionnel. Les Amoureux de la forêt représentent la force spirituelle positive de l’énergie émotionnelle créative et du désir universel d’harmonie. Les habitants de la Forêt verdoyante révèrent et respectent les rites de l’amour en tant que force assurant le déroulement du cycle de la création et la stabilité émotionnelle. Amenez toujours avec vous la lumière de l’amour et laissez-la éclairer les recoins les plus sombres de votre monde et vous soutenir dans toutes vos actions.

Racines et branches
Union bénie | Amitié | Rites de printemps | Equilibre polaire des âmes | Désir | Cerf blanc arthurien | Amour éternel | Voeu sacré


7. Nemetona (tarot celtique)

“Si les temples des Celtes (cercles de pierres au plus profond de la forêt) s’appelaient nemeton, Nemetona ne peut qu’être la mère du bois, la déesse-arbre vêtue de feuilles et d’écorce. À cette image de sérénité et de paix, de secret et de fraîcheur, il vient toutefois s’en ajouter une autre, bien moins pacifique, qui présente aussi Nemetona comme une divinité guerrière, une sorte de Victoire, compagne du dieu Mars. Guerre et paix, tendresse et passion, harmonie et rivalité : tels sont du reste les traits caractéristiques de la déesse mère celtique, déesse du combat et de l’ amour, de la fertilité et de la lutte. On retrouve d’ ailleurs la même ambivalence dans le sentiment amoureux, considéré comme une entité abstraite indépendante, intense, violent, très doux et toujours tourmenté. Le panthéon celtique compte deux divinités de l’ amour : le jeune Oengus, fils du Dagda, épris d’une femme changée en cygne ; et la belle Ainè, vénérée encore aujourd’hui au solstice d’été, quand elle apparaît au sommet des collines aux jeunes filles amoureuses.

LA CARTE : Comme l’amour sentimental, spirituel ou physique, dont les trois visages nous tourmentent et nous charment, Nemetona, qui préside au repos et à la guerre, à la tendresse et à la passion, revêt ici une apparence triple. Le caractère lié à la végétation ressort non seulement de la coiffure et de l’habit faits respectivement de feuilles et d’écorce, mais aussi du teint verdâtre et du vert franc et brillant des iris. L’expression différente de chacun des trois visages souligne de son côté l’idée du changement et de l’incertitude propre à cette carte : celui du milieu est énergique et combatif, tandis que les deux autres sont soucieux et mélancoliques.

SIGNIFICATION ÉSOTÉRIQUE : Rien de ce qui vit dans l’univers n’est rigoureusement fixe : tout est sujet à changer, en se balançant souvent de part et d’autre et en naviguant vers son contraire. Il n’existe pas de vérité unique : chaque vérité a plusieurs facettes, plusieurs aspects, car l’absolu se cache derrière le relatif. L’amour est la seule énergie capable de concilier les contraires, par la force de cohésion de l’âme : dans l’amour, les contraires se rejoignent ; les doutes s’aplanissent et la fluctuation qui nous fait souvent perdre notre chemin se transforme en joyeuse certitude.

MOTS CLEFS : amour, rencontre, doute, choix, art, agriculture.

A L’ENDROIT : rencontre de l’âme soeur, amour, projets de mariage ; fidélité, dévouement, choix décisif ; amitié, altruisme ; art, beauté, affinité ; fécondité physique et intellectuelle ; réussite aux examens, épreuves surmontées ; récoltes agricoles ; alliances utiles ; santé recouvrée grâce à une alimentation saine ; parents, prétendants, enfants, animaux domestiques.

A L’ENVERS : hésitations, doutes, insatisfaction, frustration ; tromperies, tentations, rencontres mettant l’avenir en péril ; conflits, désirs inassouvis, instabilité, obstacles ; échec à une épreuve ; sexualité débridée ou inhibée, séparation, célibat, fiançailles repoussées ; sacrifice, froideur, égoïsme ; projets hasardeux, affaires en suspens ; dépression, risque de maladie ou d’accident, stérilité, malaises, troubles intestinaux, affections des reins, du sein et de la gorge.

LE TEMPS : mercredi, septembre.

SIGNE DU ZODIAQUE : Gémeaux, Taureau, Balance.

LE CONSEIL : laissez la force de l’ amour rythmer vos journées et guider vos choix : grâce à elle, toutes les décisions que vous prendrez contribueront à répandre la lumière en vous et tout autour de vous.


8. Les Amoureux (Johannes Fiebig, ill. Dali)

Dali Pinxit

PARADIS ET OMBRE – Beaucoup se souviennent de l’histoire de l’Expulsion du Paradis telle qu’elle est décrite dans la Bible et dans d’autres récits. L’histoire du Retour au Paradis, de la Vie éternelle qui commence le jour du Jugement dernier, est en revanche méconnue et appartient pourtant à la tradition occidentale. Ce jour du Jugement dernier est aujourd’hui !

Nous aspirons à l’amour, mais en secret nous avons peutêtre peur de pouvoir aimer et/ou d’être aimé. Notre bonheur en amour dépend beaucoup des objectifs et représentations que nous lions au mot amour. Tant que nous sommes à la recherche de notre moitié, nous courons le risque de nous réduire de moitié. Ou bien nous recherchons un maximum de ressemblance personnelle : réfléchissez dans quelle mesure cette idée vous porte.

Si vous cherchez quelqu’un avec qui vous êtes d’accord à tout point de vue, qui vous connaît exactement et vous comprend, une seule personne remplit ces conditions : vous-même. Plus les différences sont marquées, plus les points communs sont enrichissants ! À partir du moment où nous sommes capables d’aimer les différences, un nouveau paradis s’ouvre alors à nous ! Sur ce chemin, ombres et nuages noirs doivent être transpercés. Seul l’amour basé sur l’individualité et l’originalité de l’individu arrive au nouveau paradis et atteint le paroxysme (comme la silhouette de l’ange sur l’image) dans des moments de bonheur suprême qui outrepassent la portée de chaque homme.

CONSEILS PRATIQUES -Le petit ange de la carte incarne aussi l’enfant des deux amoureux. Cela peut être pris au sens propre comme au sens figuré. Tout type de relation, y compris la relation avec soi-même ou la relation avec des partenaires commerciaux, porte au sens figuré un enfant : des résultats productifs – preuve vivante d’une collaboration collégiale – porteurs de vie et d’avenir.

RÉFÉRENCES ARTISTIQUESNeptune et Amphitrite (1516), Gemaldegalerie, Berlin, par Jan Gossaert, nommé Mabuse, né à Maubeuge (Hainaut) entre 1470 et 1480, mort à Bréda en 1532.


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Lisons encore les symboles en Wallonie…

VIENNE : Sérénade d’automne (2024)

Temps de lecture : 3 minutes >

Le problème, c’est le chien. Et les souvenirs, aussi. Surtout, peut-être. A cause de tout cela, même si souvent l’envie lui est venue, il ne l’a jamais fait. Ce soir encore, il hésite. Il était pourtant presque décidé. Se lève, se sert un Talisker dont la chaleur tourbée le rassure. Un verre, juste un, pour y puiser le courage, pas davantage, surtout ne pas tomber dans une torpeur nostalgique. De quoi d’ailleurs ? Ce n’est pas de nostalgie qu’il s’agit, plutôt d’une curiosité teintée de tristesse. Un peu d’inquiétude aussi, une forme de culpabilité sans doute.

Le moteur de la voiture a été moins hésitant que lui à démarrer. Au dehors, il pleut. Il déteste ça mais, pour ce qu’il a à faire, cela lui semble préférable. La route, il la connaît, de toute manière. Ce n’est pas qu’il l’a repérée, non, répétée plutôt, tant de fois, avant et après, maintes fois, comme aujourd’hui, il a pris la route avant de rebrousser chemin. Ce soir, ce sera différent, c’est différent, il le sent bien. Même s’il la parcourt dans le silence, pas de musique, contrairement à son habitude. Il est déjà presque arrivé. Deuxième sortie dans le rond-point, ensuite première à droite, et puis. Garer la voiture plus loin, même s’il faut marcher cent mètres sous la pluie, ne pas attirer l’attention, surtout, en aucun cas. Il verrouille les portières et se met en marche.

La rue est calme, il y a généralement peu de trafic, surtout à cette heure, pas de piétons non plus, par ce temps qui voudrait. Il longe les façades des maisons, toutes du même côté, le trottoir d’en face borde un parc d’où émanent des odeurs d’humus, les feuilles mortes en décomposition, l’automne est déjà bien avancé. Trois maisons sont légèrement en retrait, précédées d’un jardinet, c’est celle de droite qui l’intéresse. D’où se découpe le rectangle jaunâtre d’une fenêtre éclairée. Il s’approche doucement. Il sait qu’à moins d’un bruit intempestif, d’une sonnerie ou d’un chat, le chien ne réagira pas. Il sait que personne ne se lèvera pour baisser le volet dont le mécanisme est depuis si longtemps grippé qu’il faudrait le remplacer. Il sait qu’en choisissant le bon angle, entre le coin du mur et les rideaux, il pourra embrasser du regard la quasi totalité de la pièce sans risquer d’être vu. Il hésite une dernière fois.

Assise à la table, elle lui tourne le dos. Il en était certain d’avance. Lui n’aurait jamais pu s’asseoir dos à la fenêtre, imaginer des regards pesant sur lui à son insu. Elle, si, absorbée par l’écran de son laptop tandis qu’elle écrit. Pour peu, il la verrait sourire. De cela aussi, il est persuadé. Parce que pendant si longtemps, quand même, c’est à lui qu’elle a écrit. En souriant. Et pas seulement écrit. De cette maison, il n’y a pas grand-chose qu’il a oublié. Si ce n’est l’odeur, peut-être. La décoration a changé, forcément. C’était un besoin aussi, sans doute. Mais il reconnaît encore ce vase qu’il détestait. Et un dessin d’enfant au mur. Il se demande si. Mais justement, la voilà qui entre.

Il a un brusque mouvement de recul. Pourtant, la porte du salon est dans l’angle mort, en entrant, elle ne peut l’apercevoir. Ce n’est pas de cela qu’il a peur, il en est bien conscient. Elle a changé, plus que tout le reste, évidemment à cet âge-là. Il l’observe attentivement alors qu’elle s’assoit à côté de sa mère. Il la voit rire, les sent complices, sourit pour lui-même dans l’obscurité humide. Elles sont bien, se dit-il, elles ont l’air heureuses. Il s’écarte de la fenêtre. De la pointe du pied, il efface l’empreinte de ses chaussures dans la terre meuble, la dernière trace de lui. Dans la voiture, il allume l’autoradio.

Philippe VIENNE


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Spa, chemin des Fontaines © Philippe Vienne


Plus de littérature…

PROPAGANDE CHINOISE en ESPERANTO : Cinq héros sur le mont Langja (Pékin, 1977)

Temps de lecture : 4 minutes >

La propagande est une technique, quel qu’en soit le contenu, de simplement édifiant (ex. santé publique) à ouvertement fasciste. Elle nécessite un discours partagé et la mise en oeuvre de dispositifs visuels que l’on retrouve également dans ce marketing qui, hélas, baigne notre espace mental quotidien, visuel et/ou sonore. Reste que certains objets, supports de propagande, ne sont pas dénués d’une réelle flamboyance esthétique, quand ce n’est pas l’humour qui en est la caractéristique la plus remarquable. Nous en voulons pour preuve la collection de cartes postales commerciales que nous avons réunie pour vous dans la DOCUMENTA.

C’est cette considération qui nous a également amenés à vous proposer en téléchargement gratuit dans la DOCUMENTA un authentique petit fascicule de propagande chinoise, daté de 1977 et rédigé en… esperanto ! Nous livrons ici à votre curiosité éclairée la transcription de quelques vignettes (traduites par des robots puis révisée par nos soins avec le souci de conserver la grandiloquence kitsch de l’original). Tout ceci, en laissant, bien entendu, la responsabilité des propos guerriers tenus au Parti Communiste Chinois :

Cinq héros sur lE mont Langja

À l’automne 1941, les agresseurs japonais lancèrent une opération de ratissage vers le [Sanhi-êahar-Hebei-a], une région frontalière contrôlée par le Parti communiste chinois. Lorsque les ennemis atteignirent la région montagneuse de Langja à l’ouest du comté de Ji dans la province du Hebei, une troupe de la Huitième Armée [de Route] décida de se déplacer vers une ligne extérieure pour les exterminer. Cinq camarades, le caporal Ma Bauju, le caporal suppléant Ge Genlin et les combattants Hu Delin, Hu Fucaj et Song Hjueji, restèrent là pour couvrir le transfert et arrêter les ennemis. Ces cinq héros, avec un réel esprit d’abnégation, ont délibérément attiré les ennemis vers un précipice. Ils ont mené une bataille déterminée contre les ennemis et ont courageusement sauté dans un abîme, après avoir jeté sur les ennemis leurs dernières grenades. Ces héros incarnent la noblesse et l’héroïsme du peuple armé dirigé par le Parti communiste chinois.

1. À l’automne 1941, les agresseurs japonais balayèrent la région frontalière de [Sanhi-Cahar-Hebei]. Selon la stratégie du Président Mao, certains corps de la Huitième Armée [de la Route] ont combattu dans la région de la rivière [Ji§uj] et du mont Langja et, sous l’action conjointe des milices, ont fortement attaqué les ennemis.

2. Le 25 septembre, les agresseurs japonais répartissaient soudain leurs forces de tous côtés pour assiéger notre régiment. Les commandants du régiment décidèrent de retirer immédiatement les troupes et ordonnèrent au sixième groupe de la septième compagnie de laisser cinq combattants derrière eux pour bloquer l’avancée de l’ennemi et surveiller le transfert secret de notre force principale en utilisant le terrain favorable de [Kipantuo] sur le mont Langja.

3. Le plus gros des troupes s’est déplacé rapidement cette nuit-là et seuls les cinq combattants sont restés sur place. Ils se souvenaient clairement des paroles des officiers du régiment : ils lutteraient courageusement pour retenir l’avancée des ennemis et les battraient durement.

4. Au clair de lune, ils ont chacun pris quelques grenades laissées par l’état-major du régiment et les ont enterrées comme des mines au pied de la montagne, jusqu’à mi-hauteur de celle-ci.

5. Après cela, les combattants se sont tous cachés dans la zone la plus stratégique de Kipantuo. Le vent de la montagne soufflait, mais personne n’avait froid et le cœur de chacun était plein d’indignation.

6. Au deuxième cri du coq, tout à coup, un incendie apparut au pied de la montagne : les ennemis avaient incendié un village et les habitants subi à nouveau de lourdes pertes. En voyant les tirs s’intensifier, les combattants étaient remplis de haine.

7. C’est alors qu’ils entendirent vaguement les pleurs d’une femme, plus bas dans la montagne, qui se rapprochaient de plus en plus. Les villageois sont en marche vers nous ! Ce serait terrible s’ils marchaient sur les mines enterrées ! Le vice-caporal Ge Genlin s’est levé d’un bond, a signalé la situation à un caporal et a immédiatement dévalé la montagne…

La suite est disponible dans la DOCUMENTA. Cliquez ici… Mais, rassurez-vous : l’histoire finit (presque) bien !

35. Comme s’il s’agissait d’un assaut ordinaire, le caporal cria en sautant dans le gouffre : “Camarades ! Sautez après moi !” et les autres sautèrent aussi. C’est alors qu’un écho solennel retentit dans toute la vallée : “A bas l’impérialisme japonais ! Vive le Parti communiste chinois !


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, traduction, édition et iconographie | sources : collection privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Parti Communiste Chinois.


Plus de politique mais en Wallonie ?

La vraie tarte brésilienne est… belge (recette)

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La version française

[ENCOREUNGATEAU.COM] En matière d’imposture, je crois qu’on ne peut pas mieux faire que la tarte brésilienne ! Premièrement ce n’est pas une tarte et deuxièmement elle n’est pas brésilienne ! Mais alors, qu’est ce que la tarte brésilienne ? Et pourquoi appelle-t-on une brioche belge tarte brésilienne ? C’est ce que je vous propose de découvrir aujourd’hui.

La tarte brésilienne est à peu près aussi brésilienne que moi, c’est dire ! Il s’agit en fait d’une pâtisserie originaire de Belgique et qui se compose d’une brioche garnie de crème pâtissière recouverte de chantilly et de pralin. Elle ne tient donc pas son nom de ses origines mais de sa composition. En pâtisserie, on appelle brésilienne un mélange de noisettes et d’amandes concassées et caramélisées, plus communément connu sous le nom de pralin

Céline


La version wallonica

© rtbf.be

Recette belge comme son nom ne l’indique pas ! La brésilienne c’est des noisettes grillées caramélisées. Cela ressemble un peu au pralin français qui, lui, contient des noisettes et des amandes. La tarte est une pâte levée (vous pouvez utiliser une pâte brisée prête à l’emploi de chez madame GrandeSurface), de la crème pâtissière, de la chantilly et recouverte de brésilienne.

N.B. Prévoir un moule de 24cm avec un bord haut (3,5cm)

Brésilienne :
      • 100 g noisettes,
      • 30 gr sucre,
      • 12 cl d’eau,
      • 1 pincée de sel,
      • arôme vanille.

Pour préparer la brésilienne : grillez les noisettes quelques minutes à la poêle. Frottez-les dans un essuie de cuisine pour enlever les peaux. Portez à ébullition 30gr de sucre, 12cl d’eau, 1 pincée de sel et l’arôme de vanille. Quand il est doré, mélangez les noisettes dedans et débarrassez le mélange sur une plaque. Laissez refroidir. Concassez-les avec un grand couteau.

Crème pâtissière (elle doit refroidir !) :
      • 50 cl lait demi écrémé,
      • 1 gousse de vanille,
      • 4 jaunes d’œufs,
      • 90 gr sucre en poudre,
      • 40 gr maizena.

Pour préparer la crème pâtissière : Chauffez le lait dans une casserole avec la gousse de vanille fendue en 2 et grattée. Dans 1 saladier, mélangez les œufs et le sucre jusqu’à ce que le mélange blanchisse. Incorporez la maizena. Quand le lait frémit, retirez la gousse et versez-le sur les oeufs/sucre en mélangeant bien puis reversez le tout dans la casserole. Laissez épaissir sans cesser de mélanger. Laissez refroidir. Puis déposer un film plastique au contact et mettez au frigo.

La pâte levée :
      • 20 gr de levure fraîche de boulanger,
      • 60 gr de lait demi-écrémé,
      • 1 pincée de sucre,
      • 300 gr de farine T45
        Farine T45
         ? Appelée farine blanche, cette farine est la plus utilisée en cuisine et est totalement débarrassée du son. Elle est particulièrement employée pour les pâtisseries fines comme les crêpes ou les financiers. Attention tout de même à sa consommation car son indice glycémique est très élevé.
      • 140 gr de beurre doux,
      • 1 œuf,
      • 40 gr de sucre en poudre.

Pour préparer la pâte levée : délayez la levure dans le lait tiède avec une pincée de sucre. Sur le plan de travail, faites un puits avec la farine. Ajoutez le beurre en dés. Sablez du bout des doigts. Versez le mélange lait, levure, œufs et sucre. Amalgamez avec les mains. Pétrissez 10 minutes. Formez une boule. Laissez reposer 1 heure dans un endroit tiède.

Chantilly :
      • 20 cl de crème liquide entière bien froide,
      • 200 gr de mascarpone,
      • 40 gr sucre glace.

Pour préparer la chantilly : Fouettez la crème fraîche avec le mascarpone et ajoutez le sucre en 2 fois. Gardez au frigo.

Tous les composants étant ainsi préparés, sur votre plan de travail fariné, abaissez la pâte au rouleau et déposez-la dans le moule à tarte. Piquez le fond avec une fourchette et laissez lever 15 minutes.

Cuisez la pâte à blanc (à savoir : mettez un papier sulfurisé avec des fruits secs sur la pâte pour faire poids) pendant 20 minutes dans un four chauffé à 180° jusqu’à ce que les bords soient dorés. Enlevez le papier sulfurisé et les fruits secs. Laissez tiédir. Mettez ensuite la crème pâtissière à la spatule. Puis la chantilly. Puis la brésilienne…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : encoreungateau.com ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © encoreungateau.com ; © rtbf.be.


Passer à table en Wallonie…

DE PIERPONT : Un tunnel pour bateaux sous la crête ardennaise ? L’épopée du canal de Meuse et Moselle (CHiCC,2003)

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Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.

Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.

L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.

Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.

A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.

Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.

Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.

Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.

d’après Géry de Pierpont

  • Illustration en tête de l’article : le tunnel de Bernistap © la-truite.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALLEUX : L’industrie à Liège du temps de John Cockerill (CHiCC, 2003)

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John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.

C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence, la société libre d’Emulation et la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.

Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.

Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.

Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.

Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.

Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.

Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : John Cockerill à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie à Liège © cyberliegemagazine.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HOSAY : Grétry, musicien liégeois (CHiCC, 2004)

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André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.

Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.

Gretry par Élisabeth Vigée-Lebrun (1785) © BnF

En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.

Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.

Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.

La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.

En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).

d’après Nathalie HOSAY

  • image en tête de l’article : statue de Grétry à Liège © lespetiteshistoires.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Rétablir des passerelles : ode aux traducteurs et traductrices

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[LES-PLATS-PAYS.COM, 29 janvier 2024] Créateurs éminemment discrets, passeurs de culture qui jouent un rôle primordial dans la visibilité des écrivains, les traducteurs ouvrent des fenêtres dans le ciel des Lettres, décloisonnent, font découvrir au public francophone un nombre impressionnant d’auteurs flamands et néerlandais.

Au fil de plusieurs échanges avec Hans Vanacker, secrétaire de rédaction de la revue Septentrion, l’idée m’est venue d’écrire une ode aux traducteurs et aux traductrices sans qui, dans la tour de Babel des langues, chaque idiome demeurerait dans sa solitude, incompris des autres cultures. Nulle visée exhaustive dans cette convocation des traducteurs littéraires qui œuvrent à la découverte d’auteurs néerlandophones.

Ancien directeur de la Maison Descartes à Amsterdam et du Réseau franco‐néerlandais à Lille, directeur de la collection Lettres néerlandaises chez Actes Sud, immense traducteur, médiateur culturel qui assure le rayonnement et la circulation des Lettres, Philippe Noble a fait connaître en France, au public francophone, des auteurs néerlandais et flamands majeurs : Cees Nooteboom, Harry Mulisch, Etty Hillesum, Multatuli, Arnon Grunberg, David Van Reybroeck, Stefan Hertmans, Miriam Van Hee, Judith Herzberg… sans oublier le Journal d’Anne Frank.

Figure majeure du paysage de la traduction littéraire, dans un entretien avec Olivier Sécardin, Noble définit “le traducteur [comme] un chercheur d’un genre particulier”. Il a également mis ses compétences et son amour de la littérature au service de traductions du français vers le néerlandais, jetant son dévolu sur Marcel Proust.

On doit à Daniel Cunin, infatigable explorateur d’œuvres de romanciers, de poètes, de dramaturges, de bédéistes, d’essayistes flamands, la découverte en français d’un nombre impressionnant d’auteurs. Sa curiosité l’a porté vers les bandes dessinées aussi bien que vers le rivage poétique (Benno Barnard, Hester Knibbe – qu’il a traduite en collaboration avec Kim Andringa -, Radna Fabia, Gerry van der Linden). Art de la langue, de la perception intime de la musicalité, de l’appropriation-interprétation du texte, la traduction est avant tout une écoute, une transposition qui joue avec les puissances de la langue d’origine et de la langue d’arrivée.

Cette activité de transposition, Daniel Cunin l’a exercée en offrant une version française des poèmes mystiques écrits par Hadewijch d’Anvers, en brabançon (moyen néerlandais) au XIIIe siècle. Artiste d’un dialogue horizontal entre différentes langues, le traducteur est aussi le magicien d’un échange vertical qui ramène sur la scène du présent des textes plus anciens.

Écrivain, essayiste, traducteur d’auteurs polonais (Witkiewicz notamment), russes, tchèques, néerlandais, anglais, Alain van Crugten est le grand passeur de l’œuvre immense de Hugo Claus.

Depuis sa traduction en 1985 du chef-d’œuvre de Claus, Le Chagrin des Belges, Van Crugten a fait passer dans son alambic de traducteur bien des romans et des pièces de Claus, Honte, Le Passé décomposé, Le Dernier lit et autres récits, Mort de chien… L’autre géant des lettres flamandes qu’Alain van Crugten a fait découvrir aux francophones n’est autre que Tom Lanoye. De Méphisto for ever, La Langue de ma mère, Sang et Roses, Mamma Medea à Tombé du ciel, Esclaves heureux, Décombres flamboyants, le continent Tom Lanoye nous est rendu accessible en français.

La question “dis-moi qui tu traduis et je te dirai qui tu es” vaut pour tout traducteur. Faisons l’hypothèse que dans le cas de Marie Hooghe, les autrices et auteurs qu’elle a élus forment comme un autoportrait en creux. La quantité, le nombre des traductions impressionne autant que la diversité des registres (pièces de théâtre, biographies, littérature de jeunesse…). D’une insatiable curiosité, Marie Hooghe a notamment traduit des œuvres de Hugo Claus, de Louis Paul Boon, de Jef Geeraerts ou encore d’Ivo Michiels, d’Erwin Mortier, de Kristien Hemmerechts et de Paul Van Loon.

Mentionnons aussi l’importance de Maddy Buysse (1908-1994, traductrice de livres de Hugo Claus, Johan Daisne, Ivo Michiels et Harry Mulisch), Henry Fagne (1907-1978, traducteur de Guido Gezelle et Paul van Ostaijen), Anne-Marie de Both-Diez (1922-2009, traductrice notamment de Hella S. Haasse), Liliane Wouters (1930-2016, connue dans le monde francophone comme l’autrice de la pièce de théâtre La Salle des profs, mais aussi traductrice de textes et poésie en moyen néerlandais et de Guido Gezelle).

Il y a aussi Marnix Vincent (1936-2016, traducteur de Willem Elsschot, Hugo Claus, Gerard Reve, Leonard Lolens, Stefan Hertmans et Jozef Deleu, fondateur et ancien rédacteur en chef de Septentrion), Annie Kroon (Hella S. Haase, Anna Enquist,…), Xavier Hanotte, Isabelle Rosselin (plusieurs auteurs néerlandophones de renom). Et des traducteurs – poètes – écrivains comme Jan H. Mysjkin (traducteur, souvent en collaboration avec Pierre Gallissaires, de Paul van Ostaijen, Hans Faverey, Gerrit Kouwenaar et autres), Henri Deluy (1931-2021), Bart Vonck, Katelijne De Vuyst et d’autres.

Enfin, fondateur de la collection Bibliothèque flamande aux éditions du Castor astral, Francis Dannemark (1955-2021) a fait connaître auprès du public francophone des auteurs incontournables tels que Willem Elsschot ou Jef Geeraerts. Ce rôle de passeur est également assumé par les éditions Tétras Lyre, avec leur collection De Flandre.

Les passeurs de la jeune générarion

La traduction repose aussi sur la transmission d’un enseignement, sur la relève par les nouvelles générations formées par leurs prédécesseurs. La philosophie, la pensée de la traduction évolue, se métamorphose, varie d’un pays, d’un continent à l’autre. Les critères scientifiques, esthétiques des traductions, les approches du texte source sont soumises à des devenirs. Certaines traductions “vieillissent”, sont prisonnières d’un contexte historique déterminé, d’habitudes et de choix de traduction qui n’ont parfois plus cours des décennies plus tard. Histoire de regard, d’attention portée à tel ou tel aspect de l’écriture, éternelle question de la fidélité / trahison, du respect / recréation, du rapport entre la lettre et l’esprit tel que l’évoque saint Paul dans Épitres aux Corinthiens (“La lettre tue, mais l’esprit vivifie”).

Parmi les nombreux passeurs de la jeune génération, citons Kim Andringa (traductions poétiques surtout, d’œuvres de Hans Faverey, Charlotte Van den Broeck, Lucebert…) Françoise Antoine (traductrice de Jeroen Olyslaegers, Gerbrand Bakker, Annelies Verbeke…), Noëlle Michel (autrice et traductrice de romans d’Ewoud Kieft, de Hanna Bervoets, d’essais, de livres jeunesse…), Emmanuelle Tardif (traductrice entre autres de Lize Spit et Anna Enquist…), Guillaume Deneufbourg (traducteur notamment de Simone van der Vlugt) et Bertrand Abraham (traducteur de Jeroen Brouwers, Gerbrand Bakker, Tommy Wieringa, Douwe Draaisma, Martin Bossenbroek…).

À l’heure d’un appauvrissement de la diversité linguistique, où des idiomes meurent chaque jour, à l’heure où l’anglais, comme langue hégémonique, règne en maître au niveau mondial des échanges tant économiques que culturels, un fossé sépare linguistiquement le milieu littéraire de Flandre et des Pays-Bas (entièrement tourné vers l’anglais) et le milieu littéraire francophone. Plus que jamais, les traducteurs et traductrices rétablissent des passerelles qui sont comme des liens vivants entre des langues désormais chapeautées et menacées par la langue et la culture anglo-saxonne dominante.

Les traducteurs et traductrices s’avancent comme ce peuple de diplomates que Philippe Noble évoque dans l’entretien précité: “De mon point de vue, la traduction est une transaction, une sorte de négociation diplomatique, c’est‐à‐dire un compromis, entre la notion du texte source qu’a le traducteur (sa “lecture” du texte, qui n’est pas une lecture infaillible, mais qui a au moins l’ambition d’être “fidèle”) et ce qu’il croit pouvoir être transmis à la culture d’accueil”.

Véronique Bergen, écrivaine


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Savoir-traduire en Wallonie et à Bruxelles…

Halloween, une nuit à tombeaux ouverts

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[THECONVERSATION.COM, 27 octobre 2021] Halloween, fête automnale des morts, des fantômes et des sortilèges, connaît un destin troublé : de retour dans la “vieille Europe” au milieu des années 1990 et promue dans l’Hexagone par des instigateurs zélés – parc d’attraction et chaîne de fast-food à l’appui – cette fête suscite l’engouement ou le dédain. Regain festif et païen pour les uns, cheval de Troie de “l’impérialisme culturel américain” pour les autres, cette célébration paganiste ne laisse pas indifférent. L’Église catholique [italienne], émue de “l’influence néfaste” de la bacchanale, a même créé Holyween (soirée de prières en réaction), afin de donner un coup de balai aux histoires de sorcières.

Le premier intérêt d’Halloween, c’est la pluralité d’analyses auxquelles ce “néo-rite païen” donne lieu. Halloween marque le retour de “vieilles lunes” et de fêtes oubliées, ou qui étaient simplement en sommeil… attendant qu’on les exhume en quelque sorte. Ses origines sont tout à la fois celtiques et mexicaines. A l’origine, la même volonté de célébrer les morts, et de manifester aussi sa peur conjuratoire, avant d’entrer dans l’hiver et le cycle des nuits courtes, période anxiogène s’il en est.

La mort comme continuation de la vie

Les conquistadors espagnols découvrant le Mexique furent impressionnés par un rituel aztèque pratiqué de très longue date et qui leur paraissait sacrilège. Car, à l’inverse des Espagnols qui voyaient la mort comme la fin de la vie, les Aztèques la considéraient comme sa continuation. Ils gardaient des crânes comme des trophées et les exhibaient durant ces fêtes pour symboliser la renaissance et pour honorer les morts qui revenaient selon eux en visite à cette époque de l’année. Ne parvenant pas à éliminer ce rite, les Espagnols en fixèrent la date en même temps que celle d’une fête chrétienne : la Toussaint.

C’est le Jour des Morts, “el Dia de los Muertos“. C’est une fête joyeuse, moment où les âmes de ceux qui sont partis viennent rendre visite aux vivants. Cette fête dure deux jours, les 1er et 2 novembre.

A cette occasion, les Mexicains édifient des autels en souvenir de ceux qu’ils aimaient et déposent des offrandes sur leurs tombes. Et nombre de lieux publics sont décorés avec des représentations ironiques de la mort, des squelettes dansant et chantant comme des vivants, avatars exotiques et mouvants des danses macabres médiévales. Ces processions lancinantes ont été immortalisées (si l’on peut dire) par l’ouverture impressionnante du James Bond 007 Spectre en 2016.

C’est sur une base mythique et festive similaire que s’est développée l’Halloween européenne. Il était encore question de célébrer les défunts en parodiant la mort sous la forme de courges. Le rite est à tous égards païen, et il est compréhensible qu’il ne pût être en odeur de sainteté : on célèbre bruyamment les morts et les sorcières, on joue à faire (se) peur, on se grime de manière effrayante.

Outre-Atlantique, cette fête est célébrée depuis longtemps, puisqu’importée par les premiers immigrants au XVIIe siècle. Tous les 31 octobre, les enfants grimés en sorcières, fantômes et revenants déambulent en petits groupes dans les rues de leurs quartiers. Ils sonnent aux portes des maisons et exigent des friandises, au cri de “treat or trick“, “une faveur ou un sort“. En échange de menus présents, ces enfants, dont les masques effrayants symbolisent des âmes en peine, garantissent la tranquillité aux foyers visités. Halloween bénéficie d’un emblème fort, ces citrouilles évidées, édentées et emplies de bougies, qui exposées aux fenêtres et dans les vitrines, donnent à la soirée son côté inquiétant, irréel et morbide.

Un rite d’inversion

D’un point de vue anthropologique, Halloween exprime des angoisses à l’œuvre dans toutes les sociétés, même les plus rationnelles en apparence : la peur de la mort et l’exorcisation de celle-ci via des pratiques ritualisées, durant une parenthèse festive conjuratoire : ainsi, les masques représentent des revenants et des fantômes, à un moment de l’année où l’hiver et la nuit s’installent pour quelques longs mois. Dans l’esprit, il s’agit de s’accommoder la sphère des morts, de pactiser avec ceux-ci, via offrandes et travestissements. Et le rite théâtralise ces peurs, il leur donne un tour parodique qui en une parenthèse impartie, constitue une soupape.

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Même dans sa forme contemporaine, Halloween continue à être essentiellement un rite d’inversion, puisqu’il s’agit de la nuit où tout est renversé, inversé, à commencer par les rapports d’autorité. Et les parents y jouent le rôle de dupes, encourageant leurs enfants à quêter et manger des friandises, allant là à l’encontre des principes de politesse et de modération inculqués en temps ordinaire.

Faire des enfants les acteurs principaux d’Halloween est très américain : ceci aboutit à une version ludique, néo-païenne et scénarisée, parenthèse carnavalesque dédramatisant le rapport ambigu que cette société entretient à la mort et à l’au-delà. Elle n’est revenue sur le Vieux Continent qu’assez récemment, au tournant des siècles. Il semble qu’il y ait plusieurs raisons à ce retour en grâce (in)attendu.

Une fête “marketée”

Halloween se soutient depuis quelques années d’une promotion médiatique et publicitaire conséquente, en partie portée par des firmes américaines, sur fond de menus, cadeaux, animations et soirées spéciales. Et pour les commerçants, à l’affût de journées spéciales favorisant la décoration thématique et les promotions, Halloween constitue un moment idéal, entre la fin de l’été et la période des fêtes de fin d’année.

Et Dieu dans tout ça ? Avec Halloween, il est question de rites, de mythes, de morts, de surnaturel après tout. Le sacré auréole cette fête de son nimbe pâle. Et il est important de constater que cette journée jouxte deux autres fêtes des morts et du souvenir, puisqu’elle s’est immiscée entre la Toussaint et le 11 Novembre ; pour lentement se substituer à celles-ci en les phagocytant dans l’esprit des jeunes générations. Pour les jeunes enfants, spontanément, Halloween, c’est “la fête des morts“.

L’émergence d’Halloween confirme qu’un calendrier économique et/ou néo-païen se substitue aux fêtes religieuses et républicaines traditionnelles, ou se fait une place à côté d’elles. Plus largement, ceci entérine la mondialisation de nombre de fêtes, alors qu’on fête ici de plus en plus le Nouvel An chinois, et que Noël connaît un réel succès dans nombre de pays asiatiques.

De petits carnavals païens

Déplorer (pour les conservateurs) ce déplacement du religieux vers la sphère plus vaste du sacré, ou son renoncement en un “néo-paganisme“, ne sert pas à grand-chose. Les évolutions de la notion de fête, de sacré, de rites sont des questions autrement plus intéressantes. Notre société productiviste, qui n’a plus le temps de s’arrêter quelques jours pour festoyer, a inventé de nouveaux types de liens courts, ludiques, mièvres et kitsch (la Saint-Valentin). Tous ces néo-rites païens ne durent qu’une soirée. Les rites traditionnels exigeaient du temps, un temps spécifique, long et lent. Ainsi, le Carnaval, et sa semaine de célébrations et de festivités. Halloween ou le beaujolais sont de petits carnavals automnaux permettant à peu de frais (une soirée) une trouée de liesse, de partage et de rire dans un début d’hiver morose et froid.

Mais le grotesque et le morbide revendiqués d’Halloween, épousant la fascination de l’époque pour zombies et morts-vivants (cf. le succès de Walking Dead et le revival des films d’épouvante) recouvrent un travestissement plus profond.

Le temps d’une soirée, les générations se mêlent et jouent ensemble, faisant semblant d’éprouver de l’effroi, tout en exprimant dans ce “jeu profond” quelque chose d’obscur, mêlant rire et angoisse, peur et joie ; quelque chose de précisément anthropologique, interrogeant les structures profondes, et les systèmes symboliques permettant de les lire en filigrane.

Pascal Lardellier, Sur les traces du rite (2019)


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D’autres habitudes quotidiennes en Wallonie…

Comment des mots sortent du dictionnaire ?

Temps de lecture : 7 minutes >

[CAMINTERESSE.FR, 21 janvier 2023] Depuis 1906, quelque 10.000 termes ont été supprimés du Petit Larousse. Certains sont devenus obsolètes, mais pour d’autres, cette disgrâce est plus mystérieuse.

Les milliers de mots qui remplissent nos dictionnaires ne cessent de se renouveler. Dans cette communauté de noms, de verbes, d’adjectifs, d’adverbes, il y a ceux qui arrivent. L’édition 2023 du Petit Larousse a accueilli mégafeu (incendie hors norme), vaccinodrome (lieu de vaccination mis en place pour lutter contre une épidémie), ou encore halloumi (fromage fabriqué à Chypre). Dans le même temps, d’autres termes disparaissent. Alors que les ajouts ont lieu chaque année, ces purges, plus rares, sont effectuées tous les dix à vingt ans environ. En 2012, des verbes comme musiquer (mettre en musique), gaminer (faire l’enfant), ont ainsi été effacés. Et cette saignée est moins marginale qu’on ne le croit. En comparant l’édition du Larousse de 1906 avec celle de 2002, le lexicologue Jean Pruvost a comptabilisé plus de dix mille mots radiés ! Dans le dictionnaire de l’Académie française, le plus ancien, des milliers de termes sont aussi tombés aux oubliettes au fil des neuf éditions successives, depuis la première en 1694.

Des mots que l’on n’utilise plus

Pourquoi des mots sont-ils ainsi rayés des pages des dictionnaires ? Tout simplement parce qu’on ne les emploie plus. Certes, mais pourquoi, un beau jour, a-t-on cessé de les utiliser ? Les raisons sont les plus diverses. Ils peuvent par exemple qualifier un métier qui s’est éteint. On ne rencontre plus de coffretier (artisan spécialisé dans les coffres) dans nos villes, ni de bouquetier (vendeur de bouquets de fleurs). Dès lors, les noms qui les désignent sont peu à peu tombés en désuétude…

Les mots disparus racontent une France rurale et préindustrielle dont nous n’avons plus guère de souvenirs. Une France, par exemple, où d’infinies variétés de fruits et de légumes existaient par autant de noms délicieusement évocateurs. La cuisse-madame ou la mouille-bouche, effacés du Petit Larousse, qualifiaient jadis deux variétés de poires. À noter, d’ailleurs, que ces termes ont subi des sorts différents selon les dictionnaires : la cuisse-madame a été préservée dans celui de l’Académie française – mais la mouille-bouche en a été radiée.

Parfois, des technologies disparaissent, et avec elles les termes y afférents. Magnétoscoper, ainsi, a été supprimé du Petit Larousse en 2012, car il renvoie à une pratique obsolète. Mais la frontière entre oubli et souvenir est parfois ténue : si le verbe qui lui est rattaché s’en est allé, le nom magnétoscope a sauvé sa peau. Pourquoi ? Parce que cet appareil est encore vivace dans nos mémoires. “En règle générale, nous gardons le mot-souche pour laisser un repère, mais nous supprimons l’action qui lui est liée”, justifie Carine Girac, directrice du département dictionnaires et encyclopédies aux éditions Larousse.

La mode a aussi sa part de responsabilité

Par exemple, l’usage du substantif drink (à la place de “verre”) était courant chez les jeunes, dans les années 1960-1970, à l’heure de l’apéritif. Puis il est devenu, dans les décennies suivantes, ringard. Il a alors cessé d’être employé. Mais n’aurait-il pas pu rester dans le Petit Larousse, comme témoignage d’une époque ? En vérité, la question a provoqué un sérieux débat au moment de réactualiser ce dictionnaire, en 2012. Linguistes et lexicologues des éditions Larousse se sont affrontés entre partisans et adversaires du drink. Et ces derniers l’ont emporté : “Nous avons finalement décidé d’éliminer ce mot car il se comprend tout seul, sans définition“, conclut Carine Girac. Il faut bien procéder à des arbitrages puisque les pages d’un dictionnaire ne sont pas extensibles sans fin – hormis Le Petit Robert, troisième dictionnaire de référence, qui a choisi de ne pas retirer de mots mais d’ajouter ”vieilli’ ou ‘vieux’ quand il s’agit d’un terme dont on ne se sert plus guère ou plus du tout.

Il arrive enfin que des mots, ni obsolètes ni démodés, disparaissent sans que l’on sache pourquoi. Le lexicologue Jean Pruvost ne peut s’empêcher d’en regretter certains, qui mériteraient selon lui une deuxième chance. Inartificiel, par exemple. C’est un mot qui se trouvait “chez Montaigne et Littré, plaide-t-il. N’est-ce pas l’un des idéaux d’aujourd’hui, bénéficier d’une vie inartificielle” ? Il ne faut cependant jamais désespérer : Maille, qui désignait une petite monnaie sans valeur, a disparu de notre langue au XVe siècle. Et ce sont les rappeurs de la fin du XXe siècle qui ont réveillé ce terme, en en faisant, dans leurs chansons, un synonyme d’argent. Les mots ne meurent jamais pour toujours, et les dictionnaires seront toujours prêts à leur faire une nouvelle place !

Liste de mots enlevés du dictionnaire :

      • Architriclin n. m. Celui qui était chargé de l’ordonnance d’un festin dans l’Antiquité romaine.
        (…) comme l’architriclin des noces de Cana goûte à l’eau transformée en vin (…)” Paul Claudel.
      • Assoter v. t. Rendre sot ou rendre sottement amoureux.
        Comme elle est assotée du jeune Robin” Molière.
      • Délicater v. t. ou pron. Gâter, traiter avec trop de délicatesse.
        On gâte les enfants à force de les délicater“.
      • Gobelotter v. t. ou int. Boire à petits coups.
        Vous ne me disiez pas que vous aviez gobelotté au cabaret (…)” Voltaire.
      • Impugner v. t. Combattre une proposition, un droit.
        Ceux qui ne travaillent pas tant à bien concevoir une chose qu’à l’impugner (…)” René Descartes.
      • Chasse-cousin n. m. Mauvais vin et, par extension, ce qui fait fuir les parasites.
        “(…) elle avait son vinaigre tourné, son chasse-cousin, si imbuvable, qu’on se montrait d’une grande discrétion” Émile Zola.
      • Lendore n. Personne lente, paresseuse, qui semble toujours endormie.
        Je ne sais pas à quoi elle pense, cette lendore-là” Honoré de Balzac.
      • Poiloux n. m. Homme misérable, sans qualité.
        Toute la France, toute la cour, poiloux ou autres (…) attendent à la porte” Marquis d’Argenson.
      • Sade adj. Gentil, agréable.
        Ces femmes jolies qui, (…) gentes en habits et sades en façons” Mathurin Régnier. C’est de ce mot que vient maussade !
      • Futurition n. f. Caractère d’une chose future.
        Ce qui n’a aucune possibilité n’a aucune futurition” Fénelon.
      • Afforage n. m. Droit féodal qui se payait à un seigneur sur la vente du vin.
        Les religieux ont certain droit seigneurial en ladite ville de Laigny, appelé droit d’afforaige ou tavernerie,” Charles du Cange.
      • Crapoussin, sine n. Personne de taille petite et contrefaite.
        Ces crapoussins-là, quand ça vient au monde, ça ne se doute guère du mal que ça fait” Émile Zola.
      • Chipotier, tière n. Celui ou celle qui chipote.
        Je ne suis pas un chipotier (…) Il n’y aura pas de difficultés entre nous” Edmond et Jules de Goncourt.

Tous ces mots ont été supprimés au fil des huit dictionnaires de l’Académie française publiés depuis 1694. La neuvième édition est en cours.

Nina Mir


Cliquez ici…

L’Académie française propose sur son site une liste, partagée à titre d’exemple, des mots qui ont été retirés de son Dictionnaire. Pour l’afficher, cliquez sur le logo ci-dessus…


Comment le Petit Larousse choisit de supprimer des mots

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[d’après LEPOINT.FR, 15 novembre 2018] Alors que l’on parle beaucoup des nouveaux mots du dictionnaire, ceux qui en sortent font beaucoup moins de bruit. Pourtant, ils sont nombreux…

À l’occasion de la nouvelle édition du Petit Larousse, de nouveaux mots font leur apparition alors que d’autres sont supprimés. Beaucoup moins médiatisés que la première catégorie, des mots disparaissent après avoir été jugés trop peu utilisés dans la vie de tous les jours… Parmi les mots qui ont quitté le Petit Larousse, il y a, par exemple, aumusse, boursicaut, amphigourique, ou encore lourderie qui était défini comme tel au début du XXe siècle : “Lourderie ou lourdise, n.f. Faute grossière contre le bon sens, la bienséance”.

Bernard Cerquiglini, linguiste et professeur à l’université Paris-Diderot, déclare : “Dire qu’on a ôté un mot magnifique, c’est un crève-cœur.” Et de nuancer : “Le Larousse est chaque année une photographie de l’évolution de notre société.” Alors qu’environ 150 mots font leur entrée tous les ans dans le dictionnaire, un petit comité d’environ trois ou quatre personnes se réunit tous les dix ans pour choisir les mots qui le quitteront. “Au fond, nous sommes tous des sortes d’Albert Cinoc, malheureux à l’idée d’ôter un mot du dictionnaire“, assure Bernard Cerquiglini. Depuis la première édition du Petit Larousse illustré en 1906, près de 10 000 mots ont été supprimés, alors que 18 000 ont été ajoutés.

Ainsi, Patrick Vannier, rédacteur au service du dictionnaire de l’Académie, estime qu’environ 500 mots sont supprimés entre chaque édition (il peut parfois y avoir plus de dix ans entre deux éditions). “On en sort quelques-uns, mais on le fait un peu à regret, car on considère que l’Académie française a quand même une mission patrimoniale, donc on essaie d’éviter d’en sortir trop“, explique-t-il.

Des enquêtes de terrain pour ne pas se tromper

Après une proposition du service du dictionnaire, ce sont les académiciens eux-mêmes qui décident quel mot sera conservé ou amené à disparaître. Pour être sûrs qu’ils prennent la bonne décision, des enquêtes de terrain peuvent avoir lieu. “Pour un mot du vocabulaire de la charpenterie, on avait contacté quelqu’un qui avait été charpentier depuis plus de soixante ans et avait écrit un ouvrage sur le vocabulaire de la charpenterie. Il ne l’avait jamais rencontré. Dans ce cas-là, on sort le mot parce que si même les plus grands spécialistes n’en ont pas entendu parler, ça ne sert à rien de le conserver“, raconte Patrick Vannier.

De son côté, Le Petit Robert a fait le choix de ne sortir aucun mot de son dictionnaire. Même si la place commence à manquer, Marie-Hélène Drivaud, la directrice éditoriale, se félicite des nouvelles techniques de composition numérique qui “aident bien pour varier l’interlignage de manière absolument imperceptible.

Quelques exemples de nos chers disparus :

      • Accordé,e : fiancé, fiancée,
      • Accul : lieu sans issue,
      • Branloire : sorte de balançoire,
      • Claquedent : gueux, misérable,
      • Déprier : retirer une invitation,
      • Galantin : homme ridiculement galant, amoureux,
      • Hippomanie : passion des chevaux,
      • Hollander : passer des plumes dans la cendre chaude, pour les dégraisser,
      • Jaculatoire : se dit d’une prière courte et fervente (oraison jaculatoire),
      • Jobarder : duper en se moquant,
      • Lourderie : faute grossière contre le bon sens, la bienséance,
      • Libertiner : vivre dans le désordre,
      • Racleur : mauvais joueur de violon…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : caminteresse.fr ;  lepoint.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © rtbf.be ; © academie-francaise.fr.


Lire la presse en Wallonie…

GILSON : La musique en principauté de Liège au 18e siècle (CHiCC, 2002)

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La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.

A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.

En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.

Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.

De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.

André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.

L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.

En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.

Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.

d’après Philippe GILSON

  • image en tête de l’article : Musée d’Ansembourg © proantic.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

Temps de lecture : 3 minutes >

Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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FETTWEIS : Les changements climatiques en Belgique, vers des étés de plus en plus chauds et secs (CHiCC, 2024)

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[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?


Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.


A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.

Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.

Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.

Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.

Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.

En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.

Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.

Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.

Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.

Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.

Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.

Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.

Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter  aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.

Xavier Fettweis, climatologue


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Spéculoos (recette)

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[d’après JOURSHEUREUX.FR] Les spéculoos, ces délicieux biscuits épicés ont une histoire qui remonte à plusieurs siècles en Europe. Découvrons ensemble l’origine de ces petits trésors croustillants, leurs différences avec les Speculaas néerlandais, leur mode de fabrication et leurs valeurs nutritionnelles.

L’histoire des spéculoos

Les origines des spéculoos remontent à plusieurs siècles en Europe, mais leur popularité s’est particulièrement développée au cours du xxe siècle en Belgique. À l’origine, les spéculoos étaient conçus comme une alternative abordable aux speculaas néerlandais, qui étaient plus riches en épices (les spéculoos étaient moins épicés en raison du coût élevé des épices importées en Belgique). L’un des aspects les plus intriguants de l’histoire des spéculoos est leur forme traditionnelle. Ces biscuits étaient souvent moulés en forme de moulins à vent, de personnages de la nativité ou d’animaux, en particulier pendant la période de Noël. Aujourd’hui, la plupart des spéculoos sont fabriqués sous forme de rectangles simples, mais la tradition des moules en forme perdure.

Speculaas, spéculoos : quelle différence ?

Les speculaas et les spéculoos, deux types de biscuits belges, présentent des similitudes tout en ayant quelques différences. Les speculaas, originaires des Pays-Bas, sont préparés avec un mélange d’épices traditionnel incluant de la cannelle, de la muscade, du clou de girofle et du gingembre, et ont une texture plus croquante. Ils sont souvent façonnés en formes spécifiques, telles que des moulins à vent ou des figures folkloriques néerlandaises.

En revanche, les spéculoos, d’origine belge, utilisent des épices similaires mais ont tendance à être plus moelleux. Ils sont généralement présentés sous forme de biscuits rectangulaires ornés de motifs géométriques. Le nom “speculaas” est prédominant aux Pays-Bas, tandis que “spéculoos” est plus couramment utilisé en Belgique et dans les pays francophones pour désigner ces biscuits aux saveurs épicées et sucrées.

Spéculos, spéculoos, spéculaus ?

L’orthographe traditionnelle du mot est “spéculoos“, correspondant au nom flamand du biscuit et largement adoptée en Belgique. La prestigieuse maison Dandoy, établie en 1829 à Bruxelles, préserve cette orthographe. Le plus grand producteur belge de spéculoos, la biscuiterie Lotus, suit également cette tradition orthographique. Le Petit Larousse mentionne à la fois “spéculoos” et “spéculos” pour refléter les variantes. En France, l’orthographe “spéculos” est une variante apparue suite à la réforme orthographique de 1990, mais elle demeure peu courante et est généralement signalée en fin d’article dans le Petit Larousse. Enfin, l’orthographe “spéculaus” est une version francisée, bien qu’elle n’ait pas réussi à devenir majoritaire dans l’usage francophone. Le dictionnaire Petit Robert propose également les deux orthographes, tandis que la maison Dandoy utilise parfois l’orthographe “spéculaus” sur son enseigne lumineuse à Bruxelles, ajoutant ainsi une touche de diversité à ce délicieux biscuit.

Comment sont fabriqués les spéculoos ?

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement épicés fabriqués à partir d’ingrédients simples mais savoureux. Pour les préparer, on commence par mélanger du beurre ramolli avec du sucre brun pour créer une base crémeuse. Ensuite, on incorpore un mélange d’épices spécifiques, généralement composé de cannelle, de gingembre, de clous de girofle, de noix de muscade, de poivre blanc et de cardamome, afin de donner aux biscuits leur saveur caractéristique. On ajoute ensuite de la farine (froment), éventuellement de la fécule de maïs et de la poudre d’amande pour former une pâte. Après avoir reposé au réfrigérateur, la pâte est étalée et découpée en formes de biscuits. Ces biscuits sont ensuite cuits au four jusqu’à ce qu’ils soient légèrement dorés autour des bords, puis laissés à refroidir sur une grille. Le refroidissement permet aux spéculoos de durcir et de prendre leur texture croustillante.

Valeurs nutritionnelles des spéculoos

Les spéculoos sont des biscuits délicieusement croquants et épicés qui, bien que délicieux, sont également relativement riches en calories et en sucres : calories par portion (2 biscuits) : 80 à 100 calories ; glucides : 10 à 15 grammes ; matières grasses : 3 à 5 grammes ; protéines : 1 à 2 grammes ; fibres alimentaires : moins d’un gramme. Ces valeurs peuvent légèrement varier en fonction de la marque et de la recette spécifique des biscuits. Il est recommandé de les consommer avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée.

Allergènes contenus dans les spéculoos

Les spéculoos peuvent contenir plusieurs allergènes courants, dont le gluten issu de la farine de blé, le lait sous forme de beurre, les œufs, les fruits à coque comme les noix ou les amandes, et parfois des traces de soja.

d’après joursheureux.fr


Spéculoos (la meilleure recette)

N.B. La pâte doit se faire le jour avant et se cuit… le lendemain de la veille.

Ingrédients (pour 40 spéculoos)

      • 500g de farine
      • 500g de farine fermentante
      • 1 paquet de levure chimique
      • 700g de cassonade brune
      • 2 cuillères à café d’épices à spéculoos (ou 4 épices)
      • 1 pincée de sel
      • 3 œufs
      • 400g de margarine
      • 1/2 tasse d’eau tiède
      • 2 cuillères à café d’arôme d’amande amère

Préparation

Préparation de la pâte (la veille)
      • Mélangez au robot tout ce qui est sec : les 2 farines, la levure, la cassonade, les épices et le sel.
      • Faites fondre le beurre (il ne doit pas être chaud).
      • Ajoutez le beurre, les œufs, l’eau et l’arôme d’amande amère.
      • Laissez reposer au moins une nuit en couvrant la pâte d’un film plastique. Elle va développer ses arômes.
Cuisson
      • Le lendemain, faites chauffer le four à 190 degrés.
      • Sur la plaque recouverte d’un papier cuisson, disposez les pâtons (55-60 g). Prélevez une cuillère à soupe de pâte, roulez-la dans vos mains pour former une boulette ronde ou allongée et applatissez la légèrement.
      • Cuisez au four 15 minutes exactement.
      • Décollez-les avec précaution et laissez-les refroidir sur une grille.

Notez que les spéculoos se conservent très bien dans une boîte hermétique.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : joursheureux.fr ;  Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © tasteoffrancemag.com ; © DR.


Encore faim ?

Gougères aux épinards (recette bourguigonne)

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Les “gougères aux épinards et au cantal” sont de petites bouchées à base de pâte à choux, d’épinards et de cantal (vous l’aviez deviné). Pour le cuisinier wallon, elles ont ceci de particulier que le fromage est mélangé à la pâte à choux encore tiède, avant la cuisson. C’est une spécialité bourguignonne (Auxerre) très appréciée pour l’apéritif ou en entrée avec une salade. Si l’origine bourguignonne est difficile à prouver, la mention de goiere est déjà attestée à la fin du XIVe siècle, dans le sens de ‘tarte au fromage’. On trouve des gougères dans toutes les bonnes boulangeries de Bourgogne, voire au-delà…

© Disney

Dans le dessin animé de 2000, Kuzco, l’empereur mégalo, un des personnages les plus savoureux (l’ineffable Kronk) sert un plat de gougères aux épinards qui s’avèrent tout aussi savoureuses. Ci-dessous, la recette est partagée par une contributrice du réseau wallonica, qui espère également “ne pas pourrir le groove de l’empereur.”

Ingrédients

      • 50 gr de beurre
      • 17 cl d’eau
      • 100 gr de farine
      • 3 œufs
      • 100 gr de fromage à pâte dure (cantal ou comté, gruyère, parmesan…)
      • 75 gr de pousses d’épinards
      • noix de muscade, sel, poivre

Préparation

      • Préchauffez le four à 180 degrés.
      • Hachez les épinards et rapez le fromage.
      • Pour faire la pâte à choux : porter l’eau à ébullition avec le beurre coupé en morceaux. Retirez du feu, ajoutez la farine d’un coup et mélangez vivement. Remettez ensuite sur le feu et laissez sécher la pâte 2 minutes (une fine croûte se forme au fond de la casserole).
      • Versez la pâte dans un saladier pour la faire refroidir 5 minutes.
      • Ajoutez les œufs un à un vivement.
      • Ajoutez les épinards, le fromage, le sel, le poivre et la noix de muscade (toujours bon avec les épinards !).
      • A l’aide de 2 cuillères, formez des petits choux.
      • Déposez-les sur la plaque du four garnie d’une feuille de cuisson.
      • Faites cuire 25 à 30 minutes.
      • Il est très important de ne pas ouvrir le four pendant la cuisson sinon les choux ne lèvent pas !
      • Servez seuls ou avec une salade…

HEUSCHEN : Waterloo, morne plaine ? (CHiCC, 2001)

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“Waterloo, morne plaine ?” Il est tentant d’emprunter ce titre à Victor Hugo, chantre inégalé d’une des batailles les plus ancrées dans l’imaginaire collectif, notamment en Wallonie. En réalité, le champ de bataille de Waterloo n’est pas une plaine, mais l’essentiel n’est pas là. D’entrée de jeu, il me paraît plus important de souligner ma préoccupation de ne pas faire de la stratégie en chambre, mon manque de goût pour l’uniformologie et mon pacifisme, que l’étude de l’époque napoléoniennne ne cesse de renforcer.

Quelle est la situation de notre région, au moment où l’Armée française du Nord va y pénétrer, en juin 1815 ? Nous sommes, par la volonté de l’Angleterre, finalement devenus hollandais, bien que la rive droite de la Meuse ait failli tomber dans l’escarcelle de la Prusse. A la nouvelle du retour de Napoléon en France, une armée prussienne de 120.000 hommes stationne entre Charleroi et Liège. Liège, où, quelques jours avant Waterloo, le vieux Maréchal Blücher échappe de peu à un massacre par les troupes saxonnes, en principe alliées des prussiens ! Entre la mer du Nord et Mons, se trouve une armée hétéroclite de 90.000 hommes, anglo-écossais, mercenaires allemands combattants pour l’Angleterre, Hanovriens, Nassauviens, Brunswickois et Hollandais. La dénomination “Hollandais-belges” est évidemment trompeuse. Qu’on le veuille ou non, nous sommes hollandais, et les anciens grognards engagés dans l’armée des Pays-Bas le savent bien, eux qui ont été rétrogradés, et qui comprennent tout à coup qu’ils vont devoir tirer sur leurs anciens compagnons d’armes. Durant les cent-jours, beaucoup d’entre eux désertent et vont retrouver leurs anciens régiments dans l’armée impériale, refusant la curieuse proposition de Napoléon qui voulait que les belges s’engagent dans un “régiment étranger”.

La France sait qu’elle est lancée dans une course de vitesse. En principe, le temps travaille contre elle. En quelques semaines , Davout et Carnot, qui ont tous deux des adjoints liégeois, rééquipent une armée efficace, dont 125.000 hommes vont se porter en Belgique, en se regroupant discrètement vers Beaumont et Philippeville, alors françaises. La troupe a retrouvé l’état d’esprit des armées de la République, et est animée d’un désir de vengeance, surtout chez ceux qui ont fréquenté les prisons prussiennes ou les pontons anglais. Le plan de bataille est admirablement conçu, mais le nouveau chef d’Etat-major, le détesté et détestable Maréchal Soult, oublie de convoquer la cavalerie, ce qui épuise cette arme en marches forcées dès avant la campagne. Où sont les grosses épaulettes ? En fuite à Gand, avec Louis XVIII, terrées dans leurs châteaux, ou, choix étrange de Napoléon, reléguées dans des rôles secondaires, comme le très intelligent Suchet ou comme Jourdan, le vainqueur de Fleurus et d’Esneux-Sprimont en 1794. Passons sur la trahison du général de Bourmont, qui n’eut aucune conséquence pratique mais a permis à des générations d’historiens bonapartistes de trouver une cause à la défaite qui n’impliquait pas “l’Idole” .

Le 15 juin 1815, l’année du Nord passe la Sambre à Charleroi et se porte principalement vers l’armée prussienne. Le choc, brutal, a lieu à Ligny le lendemain. 78.000 Français affrontent 83.000 Prussiens. Le corps d’armée stationné à Liège n’a pas eu le temps de rallier. Les pertes sont sévères : 10.000 Français et 20.000 Prussiens. Tous seront soignés par les services de l’admirable Percy, chirurgien de la ligne, tandis que son confrère Larrey, le chirurgien de la Garde, sera à Waterloo. Cette “dernière victoire” de Ligny n’est pas complète. Vingt mille Français exécutent une navette inutile entre Ligny et les Quatre-Bras, à l’Ouest, où le maréchal Ney, à qui, la veille de la campagne, Napoléon a confié l’aile droite, tergiverse. Hésitation qui permet aux alliés de renforcer leur position à ce carrefour, bien que Wellington ne prenne pas conscience du danger. Celui qui deviendra beaucoup plus tard, et pour d’autres raisons, “The Iron Duke”, assiste à un bal et pense que Napoléon, qu’il craint cependant, est encore loin. Après le massacre réciproque des Quatre-Bras, 5.000 morts dans chaque camp, l’Empereur, le 17 juin, avec les deux tiers de l’armée, se lance dans une poursuite frénétique des anglo-germano-hollandais. Hasard ou pas, la course s’achève juste avant le village de Waterloo. Un an auparavant, Wellington avait repéré l’endroit pour y attendre “Bony” au cas où celui-ci s’échapperait de l’Ile d’Elbe. La cuvette de Waterloo offrait à Wellington la possibilité d’user de la tactique, éprouvée en Espagne, de la contrepente, à savoir placer ses troupes à l’abri d’une crête et y attendre l’offensive adverse pour la fusiller à bout portant. En même temps, Napoléon confie 33.000 hommes, beaucoup trop ou beaucoup trop peu, au dernier promu des Maréchaux, Grouchy, afin de poursuivre les Prussiens supposés en déroute.

Le 18 juin 1815, entre Mont-Saint-Jean et Belle Alliance, au matin, 75.000 alliés font face à 75.000 Français. Parmi ces derniers, autant de Wallons que dans le camp d’en face, ce qui met à mal la fiction d’une armée hollando-belge soudée face à un envahisseur venu du sud. Les phases de la bataille sont terribles dans leur simplicité : une attaque de diversion par l’aile gauche, menée par un frère de Napoléon, et, qui va s’épuiser à essayer de prendre une ferme brabançonne à la baïonnette, une avancée de la droite en colonnes serrées, magnifiques cibles pour les artilleurs alliés, de sanglants combats de cavalerie, où l’on s’étripe pour un drapeau, une dizaine de charges de la cavalerie française, menée par l’imprudent Ney, contre des carrés anglais qui plient mais ne rompent point, et pour terminer, une offensive désespérée d’une partie de la Garde. Depuis plusieurs heures, les autres bataillons de la Garde tentent de contenir les Prussiens, qui depuis le début de l’après-midi se répandent de plus en plus nombreux sur le flanc français. Lorsque, pour la première fois, le cri “La Garde recule !” retentit, c’est la panique. Il ne reste aux carrés de vielle et moyenne garde qu’à écrire la dernière page de l’épopée, et au Général Cambronne à, peut-être, prononcer un certain mot.

Waterloo est une des batailles les plus meurtrières de l’époque. Environ 50.000 hommes, dont 30.000 Français restent sur le terrain, morts ou blessés. Certains blessés français ne seront pris en charge que quatre jours après la bataille. On dit qu’à la moisson suivante, les blés de Waterloo étaient particulièrement beaux. L’armée Grouchy, qui n’a pas marché au canon, mais elle n’a fait qu’appliquer les ordres plus ou moins clairs de Napoléon et de Soult, prend Wavre, puis fait retraite avec ses blessés par Namur, avec la complicité de la population, pas fâchée de jouer un tour aux Prussiens.

Une autre issue à Waterloo était-elle possible ? Il est à peu près certain que, sans l’arrivée des hommes de Blücher , le front allié aurait fini par céder. Le 19 juin 1815, l’armée française aurait bivouaqué à Bruxelles. L’espoir de Napoléon était de forcer ses adversaires à signer un traité de paix, qui lui aurait conservé nos régions. Espoir fou, même à supposer que les Anglais reprennent le bateau à Ostende, ce que manifestement Wellington avait préparé, et que les Prussiens fuient vers la Rhénanie. Espoir vain, car plus de 400.000 Russes et Autrichiens se préparaient à entrer en Alsace, où ils n’auraient rencontré qu’un rideau de troupes. 1814 recommençait, en plus terrible sans doute.

Qui a gagné le 18 juin 1815 ? L’Angleterre, qui gagne enfin la guerre séculaire avec la France, les familles Wellington et Rothschild, la Prusse, qui s’installe sur le Rhin, la Hollande, qui trouve une légitimité qu’elle va matérialiser par l’orgueilleux “Lion”, et, provisoirement, l’Ancien régime. Quinze ans plus tard, la Révolution gronde à nouveau partout en Europe, et notamment en Belgique. Paradoxalement, c’est une armée française qui, en 1831-32, interviendra au nom des Puissances pour sauver le jeune Royaume de Belgique.

Qui a perdu à Waterloo ? la France, qui rentre dans le rang, paye une lourde contribution de guerre, perd la Savoie, la Sarre, le Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse et Bouillon. Napoléon, mais il veillera à écrire sa propre légende à Sainte-Hélène. Les généraux français déchus, parfois fusillés, et les grognards, notamment liégeois, qui cultiveront leur nostalgie, comme l’exprime si bien la chanson Li Pantalon trawé.

Les visiteurs du champ de bataille ne s’arrêtent pas toujours à la Colonne Hugo, le seul monument local consacré à une personne qui n’a pas participé au combat. La colonne reproduit quelques mots que Victor Hugo, pionnier de l’idée européenne, devait prononcer en 1849, au Congrès de la Paix : “Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées”.

Patrick HEUSCHEN

  • image en tête de l’article : Clément-Auguste Andrieux, “La Bataille de Waterloo, 18 juin 1815” © RMN-Grand Palais

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Patrick HEUSCHEN, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

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Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Kombucha : description, origine et recette

Temps de lecture : 9 minutes >

[DOCTONAT.COM] C’est une boisson fermentée des feuilles de la plante Camellia sinensis, le théier. Il s’agit donc d’un thé (vert, noir, blanc, Oolong…) qui est fermenté, auquel est ajouté des sucres, des levures acétiques et des bactéries et que l’on fait fermenter pendant une semaine. Ainsi, il est appelé “champignon du thé” ou “mère”. Il produit de l’alcool qui aide les bactéries à produire des principes actifs. Les feuilles sont retirées de la préparation. Il est possible aussi d’en produire à partir de la plante rooibos.‌ Il semble avoir des propriétés antioxydantes équivalentes, cependant il a été très peu étudié.

Le processus de fermentation produit une variété de composés antioxydants qui permettraient une détoxification, grâce à la saccharolactone, sa principale substance active. Elle est reconnue pour favoriser la longévité. Il contient plus d’antioxydants que les autres formes de thé, mais les études comparatives ne sont pas suffisamment nombreuses pour connaître ses effets par rapport aux catéchines et à la vitamine C.

Les organismes essentiels, qui composent la “mère” ou “champignon” du kombucha (jusqu’à 163 souches de levures ont été détectées), produisent des acides acétique, lactique et gluconique. Les bactéries acétiques ont, pendant des siècles, permis de produire des aliments et des boissons fermentées tels que le vinaigre, le kéfir (d’eau) et la bière lambic (de fermentation spontanée). Après fermentation, certains composants de cette boisson se dégradent : les catéchines (18 à 48%), les théaflavines et les théarubigines (5 à 11% après 18 jours de fermentation). Les polyphénols du thé vert et ceux, produits dans le processus de fabrication du thé noir, sont encore présents dans cette boisson. De l’alcool est produit lors de la fermentation, sa teneur en alcool est généralement inférieure à 1%.‌‌

Bien que le kombucha peut présenter de nombreux bienfaits pour la santé, une préparation inappropriée peut provoquer une toxicité et entraîner la mort. Des normes d’hygiène non respectées et une période de fermentation trop longue peuvent contribuer à sa toxicité. Cependant, il semble être sans danger pour la consommation humaine lorsqu’il est correctement traité et consommé avec modération.

Lorsqu’il n’est pas consommé directement après fermentation, il est pasteurisé ou des conservateurs sont ajoutés, afin d’éviter une croissance microbienne excessive.

Les bienfaits supposés du kombucha sur la santé humaine ont été établis à partir d’études in vitro, ainsi qu’à partir d’études réalisées sur des aliments fermentés, ainsi que sur le thé et leurs principes actifs. A ce jour, une seule étude sur l’être humain existe, et elle est en cours de réalisation.

Les avantages pour la santé, démontrés par les études in vitro et in vivo, sont nombreux :

      • activité antimicrobienne ;
      • amélioration des fonctions hépatiques et gastro-intestinales ;
      • stimulation immunitaire, détoxification ;
      • propriétés antioxydantes et antitumorales ;
      • stimulation immunitaire ;
      • inhibition du développement et de la progression de certains cancers, des maladies cardiovasculaires, du diabète et des maladies neurodégénératives ;
      • fonction normale du système nerveux central.

Des composants isolés du kombucha montrent aussi des bienfaits intéressants. Ainsi, les bactéries lactiques Pediococcus pentosaceus et Pediococcus acidilactici, présentent des propriétés probiotiques qui pourraient être utiles à l’industrie agro-alimentaire. Les levures Coriolus versicolor et Lentinus edodes pourraient avoir un bénéfice protecteur avec une action immunomodulatrice potentiellement bénéfique dans les allergies.

Le micro-écosystème de cette boisson a montré pouvoir survivre à des conditions de vie correspondant à celles de la planète Mars, pendant 18 mois ! Dans une étude, il a été utilisé pour produire du levain, servant à fabriquer le pain. La durée de conservation du pain a été prolongée de 5 à 10 jours, à température ambiante.


Comment le kombucha s’est-il créé ?

[REVOLUTIONFERMENTATION.COM] Pour faire du kombucha, il faut du thé, du sucre et une mère de kombucha. Et pour faire une mère de kombucha, il faut… du kombucha ! Alors, d’où vient le premier kombucha ? Le kombucha n’a pas été créé par l’être humain. Sa naissance est un phénomène naturel. Comme dans le cas de l’œuf ou la poule, on ne peut pas identifier l’apparition du premier kombucha. Toutefois, on est capable de deviner ce qui s’est passé!

En effet, le monde qui nous entoure est peuplé de microorganismes à l’affût de milieux à coloniser pour se développer. Le premier kombucha est né par hasard, dans une tasse de thé sucré oubliée sur le rebord d’une fenêtre. Des bactéries et des levures se seraient installées dans la tasse de thé sucré et se seraient multipliées. Elles auraient ainsi créé une pellicule gélatineuse, auraient mangé le sucre et acidifié le thé. À l’époque, la fermentation, c’était de la magie !

Devant cette transformation, les personnes de l’époque auraient goûté au thé fermenté, et l’auraient tellement apprécié qu’ils auraient ajouté un peu de thé sucré pour l’allonger. Ce thé se serait transformé à son tour en kombucha. La pellicule gélatineuse capable de faire du kombucha aurait ainsi été entretenue et baptisée mère de kombucha (ou encore champignon de kombucha). La mère se serait ensuite transmise à travers les époques, jusqu’à nous parvenir aujourd’hui.

Quand et où le kombucha est-il né ?

Pour que du kombucha puisse se créer spontanément, il faut du thé, du sucre et des microorganismes. Comme le kombucha est un phénomène naturel, on peut essayer de déduire son origine en recherchant quand et où les ingrédients du kombucha se sont rencontrés pour la première fois.

      • Microorganismes : ils sont aussi vieux que la vie elle-même. Les microorganismes sont présents partout sur terre depuis plusieurs milliards d’années.
      • Sucre : les premières traces de cultures sucrières remontent à 6000 ans en Asie du Sud-Est. Le sucre est arrivé 500 ans plus tard en Chine.
      • Thé : la consommation de thé a vraisemblablement débuté dans la région du sud-est de la Chine il y a près de 5000 ans.

En conclusion, il est donc très probable que le premier kombucha soit apparu spontanément, il y a près de 5000 ans dans le sud-est de la Chine. Cependant, nous n’avons aucun moyen de le savoir avec certitude.

Légendes du kombucha

Plusieurs légendes et mythes se partagent l’origine du kombucha. Si l’hypothèse présentée plus haut est la plus probable, voici trois légendes à propos de la naissance du kombucha.

L’élixir de longévité du kombucha en Chine
Qin-Shi-Huang

La première légende du kombucha remonte à 200 ans avant Jésus-Christ, en Chine. L’Empereur Quin Shui Huang était en quête d’immortalité. Il lança un décret ordonnant que ses sujets trouvent la clé de la vie éternelle. Un des élixirs testés aurait été le lingzhi ou thé de champignon. Sachant que la mère de kombucha est souvent appelée “champignon”, beaucoup d’amateurs de kombucha croient que cet élixir de longévité fait référence au kombucha.

Le kombucha pour soigner l’Empereur du Japon

Une autre légende date de l’an 415 de notre ère, où un docteur du Royaume de Sylla (Corée) aurait été invité à soigner l’Empereur japonais Ingyō. Ce docteur aurait utilisé un thé fermenté pour guérir l’empereur malade. Le nom du docteur était Komu-ha. On y aurait ajouté le suffixe cha (thé, en japonais), et l’histoire nous aurait donné kombu-cha, ou thé du docteur Komu.

La fourmi, le moine et l’Empereur

Une autre légende, originaire de Russie, cette fois-ci, raconte qu’un empereur malade fit appel à un moine doté de pouvoirs de guérison. Le moine promis de traiter la maladie de l’empereur avec une simple… fourmi ! Il déposa la fourmi dans le thé de l’empereur, et lui conseilla d’attendre que la méduse grandisse. Le thé sous la méduse (une mère de kombucha ?) pourrait alors le guérir.

Si aucune de ces trois légendes ne peut être prouvée, on voit un lien très fort entre le kombucha et la santé. La boisson de l’époque devait être consommée sous sa forme très vinaigrée et concentrée en probiotiques.

Le kombucha en Russie

C’est en Russie, que le kombucha est pour la première fois mentionné dans une étude scientifique en 1913, par la chercheuse A.A. Bachinskaya. Cette biologiste russe étudiait des cultures provenant de plusieurs parties de la Russie. Elle décrivait également dans son article les caractéristiques de la mère de kombucha. Le kombucha était alors consommé par une grande partie de la population comme tonique pour la santé. On l’appelait Чайный гриб, soit champignon de thé ou affectueusement грибок ou petit champignon. Les Russes consommaient plusieurs sortes de breuvages fermentés, qui étaient appelés kvass. Le kombucha était aussi appelé kvass de thé.

La même année, le professeur allemand G. Lindau a publié un article sur la consommation du kombucha en Russie. Cet article s’intéressait particulièrement aux bienfaits santé du kombucha. Dans son article, Lindau mentionne que le kombucha est aussi appelé champignon japonais. Comme quoi le kombucha pourrait certainement venir d’Asie !

Le kombucha a continué à être très populaire en Russie jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Avec le sucre et le thé fortement rationnés, la consommation de kombucha a diminué considérablement.

Le kombucha sacré des Italiens

© DP

Dans les années 50, les Italiens ont vécu une histoire d’amour intense avec le kombucha ! Le kombucha s’est répandu dans la population, entouré de divers protocoles et de superstitions. C’était un peu comme une chaîne de lettres ! Pour bénéficier de ses bienfaits, il fallait séparer la mère de kombucha en 4 et en donner 3 parties à ses amis proches avec des instructions claires pour la nourrir. On ne pouvait pas vendre ou jeter sa mère de kombucha, ou alors elle perdrait toutes ses propriétés magiques. Le malheur s’abattait alors sur nous, mais aussi sur tous ceux à qui on avait donné une mère de kombucha ! Le kombucha s’est répandu comme une traînée de poudre dans toutes les sphères de la population. Les autorités ont tenté de mettre fin à la mode du kombucha quand des Italiens se sont mis à voler de l’eau bénite dans les églises. Ils l’ajoutaient à leurs kombuchas, pour en fortifier les bienfaits !

Les années 60 du kombucha

Quelques années plus tard, Rudolf Sklenar, un docteur allemand, découvre la boisson en Russie, et en ramène chez lui pour l’étudier. Il prescrit alors le kombucha pour soigner différents maux : rhumatismes, problèmes intestinaux, goutte… Il publie en 1964 le résultat de ses recherches. C’est à partir des années 60 que de nombreux livres paraissent sur le kombucha, et que les mères commencent à se partager à travers le monde. Le kombucha conquiert l’Europe et se fait adopter aux États-Unis, particulièrement dans les communautés alternatives et hippies.

Le kombucha est alors présenté comme une boisson miraculeuse, capable de prévenir le cancer et même de guérir le sida. Si beaucoup de ses bienfaits miraculeux se sont avérés sans fondements avec les années, plusieurs études ont témoigné des bienfaits santé du kombucha. Comme d’autres aliments fermentés, il contient de bonnes bactéries probiotiques et soutient le système digestif.

L’expansion commerciale du kombucha

C’est en 1995 que la première compagnie de kombucha commercial, GT kombucha, voit le jour aux États-Unis. Au début des années 2000, les compagnies commerciales de kombucha se multiplient partout à travers le monde. On en trouve aujourd’hui sur tous les continents.

Le kombucha a également évolué. La saveur du kombucha n’est plus juste nature et très acide. On boit encore du kombucha pour ses bénéfices santé (faible teneur en sucre, probiotiques, ingrédients naturels), mais aussi comme une alternative à l’alcool, au café et aux boissons gazeuses. Le kombucha est faible en sucre, en caféine et en alcool. Il s’est donc taillé une place de choix dans nos verres ! On trouve désormais du kombucha à toutes sortes de saveurs, du kombucha alcoolisé, du kombucha sans sucre, du kombucha local, et bien plus encore !

En 2019, la taille du marché mondial du kombucha s’élevait à 1,84 milliard USD. Quand on aime le kombucha, difficile de s’en passer ! Plusieurs se sont tournés vers la production du kombucha à la maison, pour en avoir toujours sous la main. Incroyable de penser qu’une colonie de microorganismes a traversé les âges pour parvenir à nos verres !


© Michel Laurent

La recette de LA PETITE SOURCE

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Par litre d’eau :

      • 1 mère de kombucha (avec culture liquide)
      • 5 sachets de thé vert ou noir
      • 100 g sucre
      • 1 litre d’eau filtrée
      • 100 ml de kombucha
Etapes
Préparation du thé sucré

Placer les sachets de thé dans la jarre. Verser 11 d’eau bouillante, laisser infuser 15 minutes, puis retirer les sachets de thé. Ajouter le sucre et remuer jusqu’à dissolution. Laissez le thé devenir tiède.

Ajout de la mère de kombucha

Ajouter la mère de kombucha avec sa culture liquide. Couvrir le récipient avec le tissu et fixer avec l’élastique. Mettre la jarre dans un endroit bien aéré, à l’abri de la lumière directe du soleil.

Fermentation du kombucha

Laisser fermenter pendant 2 à 3 semaines à température ambiante. Le kombucha est prêt quand son niveau de sucre et d’acidité sont à votre goût. N’utilisez jamais de cuillère en métal dans votre kombucha, mais toujours une cuillère en bois !

Aromatisation (éventuellement)

Retirer la mère de kombucha et 500ml (2 tasses) de kombucha nature. Mettre de côté pour démarrer votre prochaine recette. Ajouter du jus de fruits, de la tisane, du sirop, des fruits hachés ou tout ce que vous voulez pour aromatiser votre kombucha. Consultez des recettes de kombucha pour des saveurs inspirantes.

Embouteillage

Verser le kombucha dans des bouteilles résistantes à la pression. Conserver les bouteilles à température ambiante. Après 3 jours, ouvrir et refermer une bouteille pour tester sa pression. Prolonger la fermentation de quelques jours de plus pour un kombucha plus pétillant. Quand c’est assez pétillant (attention à la pression !), mettre au réfrigérateur.

Notes

Et voilà! Votre kombucha est maintenant prêt à être consommé. Il se conserve au réfrigérateur sans réelle limite de temps. Pour préparer votre prochaine boisson kombucha : lavez la mère sous l’eau courante tiède et recommencez tout le processus.

Vera & Raoul DE BOCK-VAN DE WIELE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction, édition et iconographie | sources : DOCTONAT.COM ; REVOLUTIONFERMENTATION.COM ; contribution privée | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © taomedecine.com ; © revolutionfermentation.com ; © Michel Laurent.


Plus de vie en Wallonie…

DEMOULIN : Les relations diplomatiques entre la Principauté de Liège et le Roi de France (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement  subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”

La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.

À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.

Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.

En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.

d’après Bruno DEMOULIN

  • image en tête de l’article : “La résidence du Prince Evêque” par Johann Georg Bergmuller © chokier.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)

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Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.

© Ph. Vienne

Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.

© lavenir.net

La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.

La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.

Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !

d’après Maya DOURASSOF

  • image en tête de l’article © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Ragù blanc (recette traditionnelle et ancienne du nord et centre de l’Italie)

Temps de lecture : < 1 minute >

Ingrédients

      • 400 g de haché porc et veau (ou veau)
      • 20 cl de crème
      • 30 g de beurre
      • 2 petites branches de céleri
      • 1 oignon
      • Sel, poivre
      • 1 bouquet de sauge
      • 2 feuilles de laurier
      • Parmesan
      • 400 g de pâtes longues

Recette du Chef

    • Dans une sauteuse, faites revenir la viande (avec un peu d’huile d’olive) pour la faire rissoler et la séparer avec une cuillère puisqu’elle aura tendance à faire de gros grumeaux. Quand elle a coloré (elle va prendre du goût), la retirer.
    • Dans la même poêle, faire fondre le beurre puis ajouter l’oignon émincé et le céleri coupé en petits morceaux. Faites les suer.
    • Puis, ajoutez la viande, le laurier, la sauge ciselée, salez et versez la crème.
    • Mélangez et laisser mijoter à feux doux une quarantaine de minutes. La viande doit bien s’imprégner et la sauce ne doit pas trop sécher (ajoutez plus de crème ou de lait si nécessaire).
    • Cuire les pâtes dans de l’eau salée.
    • Ajoutez du parmesan dans la sauce.
    • Mélangez les pâtes dans la sauce.
    • Servir bien chaud en ajoutant du poivre et du parmesan dans l’assiette.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : Sophie Adans, Chef | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP.


Encore faim ?

VIENNE : Dijon et le pays des ceps d’or (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 5 minutes >

En Bourgogne, au Moyen Age, grâce au sol calcaire, les moines ont abondamment planté des vignes pour les besoins du culte. Plus tard, les laïcs ont continué la viticulture pour les plaisirs de la table. Or donc, aux alentours de Dijon, les viticulteurs ont de tout temps accordé un soin jaloux à leurs vignobles, d’abord avec des moyens rudimentaires ensuite à l’aide de techniques plus efficaces. Une tapisserie représente un vigneron tout habillé en train d’écraser les raisins avec ses pieds. Par contre, jadis, de jeunes vignerons nus comme des vers se glissaient dans de grandes cuves et allaient piétiner les grappes de raisins. Ils ont été appelés les “bareuzais“. À Dijon, sur la place François Rude, s’élève la sculpture du “bareuzai” devenu le symbole de la Bourgogne vineuse. En septembre, en pleines “fêtes de la vigne”, la ville pavoise aux couleurs du folklore international : des groupes venus du monde entier s’y rassemblent et animent la cité pendant toute une semaine.

Le fondateur de la fameuse dynastie de Bourgogne, c’est Philippe le Hardi. Il a donné une vive impulsion à l’activité artistique de Dijon, il a aimé la bonne chère, le jeu et les femmes. Son successeur a été Jean sans Peur, un prince rongé d’orgueil mais très maladroit pour gérer les affaires de l’état. Philippe le Bon, troisième Duc de Bourgogne et sans doute le plus célèbre, était né à Dijon et mort à Bruges. Il s’est conduit durant toute sa vie comme un prince fort habile, ambitieux, mécène et bon vivant. Philippe le Bon a profondément aimé les fêtes et les festins. Les historiens rapportent la magnificence d’un banquet donné par lui à Lille et à l’issue duquel son fils Charles le Téméraire et tous les seigneurs de sa Cour, ont fait le vœu de partir en croisade pour repousser les Turcs. Les serments ont été prononcés sur la tête d’un faisan vivant d’où sa dénomination : Festin du Vœu du Faisan.

Les femmes ont beaucoup intéressé Philippe le Bon. Il paraît qu’il eut 30 maîtresses et, bien entendu, 17 bâtards affichés ainsi que plusieurs filles illégitimes. Un des bâtards de Philippe le Bon a été baptisé David de Bourgogne et, grâce à son père, il a été nommé évêque d’Utrecht, principauté située à un croisement de l’Europe entre l’Allemagne et l’Angleterre. Son fils légitime, Charles le Téméraire, est devenu un seigneur plein de convoitises territoriales. Il a voulu englober Liège dans son domaine ducal mais nos révoltes à son encontre nous ont valu les trop célèbres sac et carnage de la ville en 1468. Désireux d’être pardonné, il a offert à Liège, trois ans plus tard, un reliquaire, joyau d’orfèvrerie. Il est conservé dans le trésor de la cathédrale Saint-Paul à Liège.

Prononcez “Dijon” et immédiatement les personnes pensent “moutarde”. Elles ont bien raison car elle y est confectionnée depuis six siècles ! L’usine Amora-Maille s’est édifiée près du canal de Bourgogne et il est bon de savoir que la production de ce condiment peut atteindre les 100 tonnes par jour !

Une artère fluviale a également enrichi Dijon et ses environs : le canal de Bourgogne. Ce vénérable chemin d’eau qui a 180 ans s’étire sur 242 km et joint l’Yonne à la Saône. Le déclin commercial s’est amorcé à la fin du 19e siècle. Heureusement, de nos jours, la vocation de ce merveilleux canal, c’est la plaisance. Quant aux cyclistes, ils apprécient beaucoup les chemins de halage.

Les Chemins de Fer de Bourgogne gardent le souvenir d’un de leurs ingénieurs du P.L.M. qui a eu la fibre littéraire : Henri Vincenot. Il a été tour à tour rédacteur en chef du magazine “La Vie du Rail”, écrivain, peintre, sculpteur et conteur. Henri Vincenot est né à Dijon et il est mort à Commarin, à 77 ans. Citons, parmi ses ouvrages : Le Pape des escargots, La Billebaude, Le maître des abeilles et bien d’autres…

Ici est née une armada de personnalités artistiques variées. Tout d’abord, Jacques Bénigne Bossuet, fils d’un avocat, a étonné le monde théologique parisien par sa précocité oratoire. Puis, Jean-Philippe Rameau qui est devenu à Paris claveciniste, organiste, compositeur d’opéras. Il a été le contemporain de Bach et de Haendel. Le plus connu des Dijonnais, c’est Gustave Eiffel. Il a réalisé la structure métallique de la Statue de la Liberté de Bartholdi, édifié en rade de New-York ; au Portugal, le pont sur el Douro à Porto et, enfin, la Tour Eiffel enviée dans le monde entier ! Enfin, le célèbre chanoine Kir dont l’attitude courageuse pendant la Deuxième Guerre Mondiale lui a valu d’être élu maire de Dijon, puis député. Sympathique défenseur des petits salariés, des anciens combattants, des travailleurs âgés, le nom du chanoine Kir ne s’est pas oublié. Il a donné son nom au célèbre apéritif à base de crème de cassis.

Dès la sortie sud de la capitale, les rangées de vignes nous font rêver. Certes, l’harmonie entre une plante, un sol et un climat permet d’avoir la bonne maturité pour obtenir un vin remarquable. Cependant, la solide paysannerie locale, de par son travail opiniâtre, a largement contribué au succès de la culture de la vigne. Les vignobles de la Côte d’Or sont plantés sur des coteaux exposés au levant. Ces terres valent plus chers que les parcelles des Champs-Elysées à Paris !

À Chenôve, au Clos du Roi et du Chapitre, nous remarquons un pressoir du 13e siècle qui a pu presser en une fois la vendange de 100 pièces de vin et la pièce représente 228 litres. Cela veut dire plus de 30 tonnes de vendanges ! Sur ces bornes de bois s’est assise, dit-on, Marguerite de Bourgogne pour suivre le foulage du raisin. Ce travail était fait par de jeunes hommes dévêtus et la princesse a pu ainsi en admirer la plastique. Femme de sang royal, Marguerite de Bourgogne a possédé aussi du sang chaud car elle a collectionné les amants !

Gevrey-Chambertin, vin mondialement connu, était le préféré de l’empereur Napoléon Ier. Faisant partie de ce fameux cru, la maison-forte remonterait à l’An mil et elle a un riche passé historique. Le château du Clos de Vougeot a été une propriété cistercienne puisqu’elle avait été construite par Jean Loisier, abbé de Cîteaux. Elle est restée dans les mains des moines durant près de 700 ans, c’est-à-dire jusqu’à la Révolution. Enfin, le vin rosé de Marsannay-la-Côte, pas très connu des touristes, est également un bon cru.

Nous quittons les vignobles pour nous diriger vers une région très bucolique : l’Auxois. Nous apprécions beaucoup la flore sauvage qui pousse sur le surplomb des falaises de Baulme-la-Roche. Nous avons beaucoup aimé le panorama découvert de ce belvédère naturel qui rappelle une description écrite par Henri Vincenot : “De chaque côté triomphait l’Auxois comme une mer houleuse de pâturages, une mer bordée par les falaises de Baume, par les douces collines boisées, tout cela noyé dans la brule des beaux jours…” Et c’est sur ces merveilleuses images que s’achève notre voyage historique et touristique en Bourgogne.

Claudine et Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : vignobles Château de Marsannay ©destinationdijon.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Claudine et Robert VIENNE, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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DUMEZIL : Le calendrier était un outil de pouvoir

Temps de lecture : 6 minutes >

[LIBERATION.FR, 29 décembre 2017] Le médiéviste, maître de conférences à l’université de Paris-Nanterre, analyse la lente évolution du découpage des mois et des années en Occident, savant mélange de cultures romaine et catholique.

Caler le rythme de nos jours sur celui des planètes : c’est l’utilité première de notre calendrier. Avec ses 365 jours et ses années bissextiles, il permet de respecter scrupuleusement le temps que met la Terre à tourner autour du Soleil. Transposition de la mécanique des planètes, le calendrier transcrit aussi une partie de notre héritage culturel. Les noms des mois et des jours font écho à l’empire romain, qui célébrait Mars le mardi, Jupiter le jeudi, Jules César en juillet et Auguste en août. Les saints qui patronnent chaque journée, la numérotation des années après Jésus-Christ, ou encore le dimanche chômé sont, quant à eux, les marques d’une appropriation chrétienne.

Si c’est bien le cours des planètes qui règle nos jours et nos nuits, la façon de mesurer le temps est loin d’être immuable. L’historien Bruno DUMEZIL, maître de conférences à l’université Paris-Nanterre, explique comment notre calendrier a pris forme au milieu de mille façons de voir passer le temps.

Notre calendrier est-il vraiment né dans l’Antiquité romaine ?

Beaucoup de choses ont été fixées à cette époque, à tel point que l’on pourrait dire qu’en termes de civilisation, nous sommes encore dans l’Empire romain. Pour être plus précis, notre calendrier est gréco-romain : lorsqu’il a instauré le calendrier julien en 48 avant Jésus-Christ, Jules César a fait appel à des savants d’Alexandrie, issus du monde grec. Le calendrier romain s’est donc inspiré de son ancêtre grec, qui utilisait lui-même des méthodes de calcul égyptiennes.

Les modifications de César ont un intérêt scientifique : en instaurant une année de 365 jours au lieu de 355, et en prévoyant une année bissextile tous les quatre ans, son calendrier se rapproche des 365,25 jours que met la Terre à tourner autour du Soleil. Mais c’est aussi une réforme politique qui lui permet de fixer les jours fériés. Cela avait pour effet d’interrompre les procès et de retarder le début des procédures administratives ou des batailles. C’était un outil de pouvoir.

César invente donc le calendrier politique ?

Non, il existait avant ! Dans la Guerre du Péloponnèse, l’historien Thucydide explique qu’il ne pourra dater les événements relatés qu’en fonction des saisons, chaque cité combattante ayant voulu garder son propre calendrier pour marquer l’opposition avec ses rivales. Cette logique se poursuit à travers le temps : plus tard, au VIe siècle, le roi des Ostrogoths tente de faire adopter son calendrier au roi des Burgondes en lui offrant une horloge.

Il faut donc imaginer qu’à l’ombre du calendrier julien, la fin de l’Antiquité et le début du Moyen Age sont marqués par une diversité de calendriers

Plusieurs calendriers cohabitent, et cela est parfois difficile à gérer. Dans une même ville, la cathédrale et le pouvoir politique n’ont pas le même calendrier. Le rythme du temps varie aussi en fonction des métiers. C’est le cas des métiers judiciaires : les tribunaux ferment pendant les moissons, les vendanges, ou les anniversaires des membres de la famille impériale. Du point de vue religieux, les calendriers chrétien et judaïque cohabitent. Mais, au sein même des communautés chrétiennes, les temps forts de l’année varient en fonction des saints que l’on célèbre. Enfin, n’oublions pas les calendriers agricoles, qui rythment l’année en fonction des saisons et des travaux des champs, et qui ont leurs propres fêtes comme celles de la Saint-Jean.

Face à tout cela, à Rome, l’empereur fait preuve d’un grand pragmatisme. Ainsi, il tolère que les Juifs ne comparaissent pas au tribunal les jours de shabbat. De même, les fêtes païennes sont tolérées. Mais c’est l’intérêt économique qui prime : si des intempéries mettent les moissons en péril, toutes les fêtes sont suspendues pour sauver les récoltes.

Au milieu de tous ces calendriers, c’est donc surtout le catholicisme qui impose ses repères temporels en s’appropriant le calendrier julien. Comment s’enclenche cette évolution ?

Cela commence avec l’empereur Constantin (310-337). Premier à se convertir au catholicisme, il entraîne la cohabitation des temps romain et chrétien dans le calendrier. Au IVe siècle, les empereurs reconnaissent les jours de fête chrétiens et les intègrent au calendrier. L’enjeu était notamment de placer le jour de repos hebdomadaire : cela devait-il être le jeudi, jour de Jupiter, ou le dimanche, jour du Christ ? Rapidement, le dimanche l’emporte dans la loi romaine, mais il faut attendre que l’un des arrière-petits-fils de Clovis impose le changement en 595 pour qu’il s’applique vraiment.

Rome essaie aussi d’imposer son mode de calcul de la date de Pâques, ce qui est difficile car il s’agit d’un événement du calendrier lunaire à intégrer au calendrier solaire. De plus, les contraintes sont nombreuses : elle doit avoir lieu un dimanche, à une période où les jours rallongent, et pas le même jour que la pâque juive. Outre la rivalité avec le calendrier judaïque, il s’agit pour Rome d’imposer son autorité dans le monde chrétien. L’Irlande, convertie au Ve siècle, parvient à conserver un mode de calcul différent jusqu’en 664. Cependant, certains particularismes perdurent. Dans la péninsule Ibérique, le royaume suève de Galice refuse les noms des jours du calendrier chrétien, puisqu’ils font référence à des dieux païens : mardi est le jour de Mars, mercredi celui de Mercure… On décide de numéroter les jours, ce qui explique leur dénomination actuelle en portugais : segunda-feira (lundi), terça-feira (mardi), etc.

Le choix de faire débuter la numérotation des années avec ‘l’incarnation’ (la naissance de Jésus-Christ) est-il aussi le fruit de longues négociations ?

L’idée apparaît chez un clerc grec du VIe siècle, mais il faut attendre le siècle suivant pour qu’un grand historien du monde anglo-saxon, Bède le Vénérable, l’impose en datant tous les événements qu’il relate selon ce principe. Auparavant, la date de la création du monde (début du calendrier juif) a pu être utilisée par les chrétiens. Mais cette date étant très lointaine, elle multiplie les risques d’erreurs de calcul. Au VIe siècle, Grégoire de Tours l’a utilisée pour relater l’histoire de Clovis : certains épisodes de la vie de ce roi sont donc un peu incertains.

Les systèmes de comptage des années sont donc multiples, et les auteurs de l’époque privilégient une datation relative, en prenant pour point de départ l’entrée en fonction d’un empereur, d’un roi ou d’un abbé. Un même document est daté selon plusieurs personnages, au risque de l’erreur : le moine qui chronique la fondation de l’abbaye de Cluny se trompe dans l’une des deux dates qu’il indique. On ignore donc si cette grande abbaye fut fondée en 909 ou en 910.

Le 1er janvier n’est pas un événement religieux. Pourquoi cette date s’est-elle imposée ?

Dans l’Empire romain, ce jour marquait la prise de fonction des consuls et la fête du dieu Janus, où il était d’usage de s’offrir des cadeaux. Au début du Moyen Age, plusieurs évêques expliquent dans leurs sermons qu’il s’agit de rites païens : or, si les gens s’offrent bel et bien des étrennes, la fête a probablement perdu son sens religieux. Certains proposent de changer d’année à Pâques, mais c’est finalement le premier janvier qui reste la date de référence.

Les ruptures au sein du catholicisme – les schismes orthodoxe et protestant – sont-ils importantes pour comprendre la diversité des calendriers ?

La réforme grégorienne du Xe siècle, puis la prise de Constantinople, capitale de l’Empire romain d’Orient, par les Croisés en 1204 entraînent une rupture : les orthodoxes refusent dès lors toute décision venue de Rome. En 1582, ils n’adopteront donc pas le calendrier grégorien mis en place par le pape Grégoire XIII, d’où le décalage des calendriers. De même, lors de la réforme protestante, les luthériens refusent le calendrier grégorien pour marquer leur opposition à Rome. Mais cela n’est que temporaire. Pourtant, ce changement a aussi des fondements scientifiques : le calendrier julien partait du principe que la Terre tourne autour du Soleil en 365,25 jours, alors que ce temps est plus long de quelques minutes. Au fil des années, cela avait créé un décalage de dix jours excédentaires. Grégoire XIII les a donc supprimés en octobre 1582, et il a revu le système des années bissextiles pour éviter que ce décalage se reproduise.

Comment expliquer que notre calendrier grégorien se soit diffusé dans le monde entier ?

Parmi les facteurs d’explication, on peut citer le concile de Trente (1545-1563) qui visait à unifier les pratiques chez les catholiques dans un contexte de guerre de religion, ou la colonisation. Cette diffusion se fait aussi en Europe même : jusqu’au XIXe siècle, les habitants vivaient dans un univers local, sur une trentaine de kilomètres autour de chez eux, où les particularismes locaux du calendrier avaient du sens. Mais à cette période, le monde s’étend et fait naître le besoin d’un temps absolu. Et puis, n’oublions pas l’argument scientifique : ce calendrier est celui qui suit au mieux l’année solaire. C’est sans doute la raison principale.

L’hégémonie de ce calendrier a le mérite de simplifier la datation des événements. Est-ce une facilité pour les historiens ?

Aujourd’hui, l’histoire s’exerce de moins en moins à travers la fascination de la date exacte, comme lorsque nous apprenions que Charles Martel a arrêté les Arabes à Poitiers en 732… ce qui n’est pas si sûr. L’importance est plutôt de situer les événements les uns par rapport aux autres, ce qui donne du sens à la logique de datation relative du Moyen Age. Cela permet à l’historien de mieux saisir le temps vécu par les personnes de l’époque : l’an mil n’avait pas beaucoup de sens, car peu de gens savaient que l’on changeait de millénaire ! En revanche, se trouver dans la quatrième année de tel règne avait une signification. Ainsi, plutôt que de dire que nous passons à 2018, il peut être plus intéressant de penser que nous sommes “dans la première année du règne de Macron.

Une interview de Thibaut Sardier, liberation.fr


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : d’après liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, calendrier des travaux agricoles correspondant aux 12 mois de l’année (vers 1400).


Plus de presse en Wallonie…

KENENS : Femmes oubliées par l’Histoire (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le rôle de la femme a longtemps été essentiellement domestique et fortement soumis à l’autorité paternelle. À l’école, le conditionnement idéologique conduisait à la reproduction des rôles selon le sexe. Il n’était pas question pour une femme de faire de la politique. Le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’après la guerre [en 1948], et il a fallu une importante grève des femmes de la FN à Herstal pour obtenir ce qui paraît pourtant normal : à travail égal, salaire égal. Au 21e siècle, cette situation n’est pas encore “normale” partout…

Dans les cours d’histoire, les femmes sont souvent oubliées. Pythagore disait, six siècles avant notre ère : “Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme.” Et près de deux siècles plus tard, Aristote renchérissait en écrivant : “La femelle est femelle en vertu d’un manque de qualité.” Xénophon écrivait : “Les dieux ont créé la femme pour les fonctions du dedans et les hommes pour toutes les autres.”

Il y eut cependant des femmes qui se sont réfugiées dans les arts, comme Sappho de Mytilène aux 7e et 6e siècles. Elle visait à Lesbos et, chose rare, elle savait lire et écrire. Elle a écrit des strophes tout à fait originales. Alors que les jeunes femmes devaient vivre sous une stricte surveillance, voyant le moins de choses possible et posant le moins de question possible, elle s’était mise en tête d’enseigner aux femmes à lire, à écrire, à penser. Elle a été condamnée à l’exil et ses oeuvres ont été en grande partie détruites. Une célèbre fresque de Pompéi la représente, livre ouvert à la main gauche et tenant rêveusement le stylet de la main droite.

Cependant, la femme de la Rome antique est complètement absente du droit romain et ses rapports sont de la compétence du domus dont le père, le beau-père, le mari sont les chefs tout-puissants. Cela nous montre que l’oppression des femmes dans la pensée occidentale n’est pas uniquement le fruit de la pensée religieuse catholique, même si elle y a participé. La ségrégation suivant le sexe est une pensée dont on retrouve des traces antérieurement dans des sociétés non monothéistes. Les hommes étaient les seuls auteurs et interprètes des textes sacrés ou prétendument tels. Certains produisirent des traductions carrément déformantes comme la création de la femme à partir d’une côte d’Adam alors que le texte hébreu initial est précis et dit “la femme créée à côté d’Adam” !

Même au 20e siècle, la femme reste pour l’homme un mystère, peut-être parce qu’elle représente “l’autre”. Le philosophe français contemporain Emmanuel Levinas a écrit : “L’altérité s’accomplit dans le féminin”  en oubliant la réciprocité évidente de ce propos. La hiérarchie des sexes se produit dans des domaines très inattendus. En 1867, Charles Blanc écrivait : “Le dessin est le sexe masculin de l’art, la couleur en est le sexe féminin. Il faut que le dessin assure la prépondérance sur la couleur.” Un peu plus tard, quand la peinture sera reconnue comme élément essentiel, Henri Matisse dira : “La couleur est l’élément viril de la peinture, le dessin en étant la part féminine.”

Nietzsche a rédigé une série d’aphorismes cinglants, notamment : “Quand les femmes deviennent savantes, c’est généralement dû à un dysfonctionnement de leurs organes génitaux” ! Sigmund Freud prétend que “la femme est un continent noir à la libido et à l’énergie pulsionnelle passive”  et il associe l’actif au masculin. Quant à Jacques Lacan, il dit que l’androcentrisme reste fondamental, qu’il permet de comprendre la position dissymétrique dans les liens amoureux.

Pourquoi cette condition inférieure des femmes a-t-elle pu défier le changement depuis des millénaires ? Tant que les femmes n’ont pas pu dire “nous” comme les noirs, les homosexuels ou les travailleurs. Par leur condition, elles ne connaissent pas cette promiscuité spatiale qui est indispensable pour s’organiser. Au Moyen Âge, elles s’étaient trouvées devant une seule alternative : le couvent ou le mariage. Certaine se sont réfugiées dans l’univers monial où elles pouvaient s’instruire et vivre relativement indépendantes des hommes. Certaines abbesses ont pris beaucoup d’importance. En pleine Inquisition, elles seront réprimées.

En 1789, les femmes se mobilisent et descendent dans la rue. En 1791, Olympe de Gouges a rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais elle sera guillotinée en 1793.

Flora Tristan est née en 1803 ; mariée à 18 ans, découragée, elle part à 22 ans sous un nom d’emprunt. Première enquêtrice sociale, elle a pris des notes en Angleterre, au Pérou et dans diverses villes françaises pour rédiger d’intéressants rapports sur les conditions de travail de ces populations. Flora Tristan est, en fait, la grand-mère du célèbre peintre Paul Gauguin.

Clémence Royer fut co-fondatrice, dans la Grande loge maçonnique symbolique écossaise, d’un atelier de Droit Humain en 1894. C’était une obédience masculine où l’on a permis une initiation de femmes de manière clandestine et transgressive. Elle a été la première femme à enseigner à La Sorbonne et elle a traduit le livre de Charles Darwin sur l’origine des espèces. Ses compétences reconnues, elle a été la première femme à être décorée de la Légion d’Honneur. Il faut croire que la qualité de ses travaux avait impressionné les hommes !

La bibliothèque Marguerite Durand est le seul lieu en France qui rassemble la mémoire des femmes. Brillante sociétaire de la Comédie Française, Marguerite Durand a décidé de faire don de toutes ses archives à la Ville de Paris.

d’après Myriam KENENS

  • image en tête de l’article : Flora Tristan © alternatives-economiques.fr
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Myriam KENENS, organisée en juin 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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