VAN HEULE : Le meuble liégeois (1952)

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Cette notice sur le meuble liégeois devait paraître dans la feuille intitulée ART MOSAN éditée à Liège, à l’occasion de l’exposition de 1951. En dernière minute, l’article de fond ayant dépassé les limites prévues, la notice ci-dessous, déjà imprimée en épreuve, dut être supprimée. Très aimablement, M. G. Thone et M. J. Lejeune m’ont proposé d’en faire un tirage spécial en y ajoutant une série de planches dont les clichés m’ont été prêtés par l’Institut archéologique liégeois. Que tous trouvent ici l’expression de ma reconnaissance.

H. van Heule

Si l’art est né d’une conception spiritualiste, son évolution est due à une suite de courants étrangers, d’échanges, auxquels chaque peuple apporte son génie propre. D’où différenciation dans l’unité. S’il est un art dans lequel les Liégeois ont excellé, c’est bien celui du meuble.

Le meuble est né d’une nécessité, celle de rendre la vie plus commode [sic] et de conserver des objets précieux en les mettant à l’abri des déprédations ou des tentations.

Au début, bancs, sièges pliants, tabourets pour s’asseoir, planches sur tréteaux en guise de table, lits, coffres formés de lourdes planches maintenues à queue d’aronde, c’était rustique. La recherche, l’élégance vinrent ensuite.

Les coffres furent d’ailleurs, avec les lits, les seuls gros meubles jusqu’à la fin du XIVe siècle. À l’occasion, ils servaient même de lit. Sinon, on y entassait vêtements, vaisselle, tapis, et, quand on en possédait, les bijoux. On ne s’encombrait pas, en ce temps-là. De plus, en cas d’alerte ou de déménagement, ce qui était fréquent, le tout demandait un minimum de préparation au départ. Les coffres chargés étaient emportés par l’animal de bât, cheval ou âne, ou posés sur un char.

Au cours des âges, les coffres s’étaient agrémentés de pentures en fer forgé, de solides serrures par surcroît de sécurité. S’ils étaient robustes, ils étaient aussi très pesants. On chercha à les rendre plus maniables. Les coffres furent travaillés à panneaux dès avant le XIVe siècle, travail de menuiserie plus souple, qui leur conférait une certaine élégance grâce au jeu des ombres et des lumières. Bientôt les panneaux s’ornèrent de fines arcatures inspirées par les dessins des fenestrages de nos églises, de serviettes plissées ou parchemins repliés. De menuisier, l’artisan passait ébéniste, sculpteur ; il devenait un artiste.

Quelques beaux coffres gothiques sont conservés dans nos musées liégeois, celui du Musée diocésain date du XIVe siècle ; d’autres, au musée Curtius, appartiennent aux XVe et XVIe siècles.

De la conjugaison du menuisier et de l’ébéniste, les productions allaient devenir aussi heureuses que fécondes. Les types de meubles se multiplièrent afin de s’adapter aux nécessités d’une existence rendue plus facile. L’artiste, protégé, pourra donner libre cours à son imagination : le meuble en série est une invention moderne. Les coffres reposèrent, sur une base les rendant mieux à portée de la main. Du coffre posé sur une base, tout naturellement on passa au dressoir.

Au XVIe siècle, les églises, les monastères, par destination plus sédentaires, disposant de plus d’espace, souvent aussi d’un personnel artisanal très compétent, purent s’offrir le luxe d’imposantes armoires, dont quelques-unes ont réussi à braver les siècles.

Comme pour les coffres, le décor, d’inspiration architecturale au début, empruntera ensuite des motifs puisés dans la nature tout en les stylisant. Témoins, le coffre et l’armoire influencés par le style gothique anglais (gothique Tudor), avec leurs moulures formant des courbes, des contrecourbes : décor en X autour desquels s’enroulent des pampres, conservés au musée Curtius.

Sous le souffle d’un courant venu d’Italie lors du règne d’Erard de la Marck (1505-1538), le style Renaissance, si en honneur dans la péninsule et en France, fait son entrée dans l’art liégeois. Il s’y est tempéré. L’armoire liégeoise du deuxième quart et du milieu du XVIe siècle, tout en gardant une structure encore gothique, s’orne de personnages dans des arcatures, même de motifs puisés au répertoire des céramistes. Les pentures ont un rôle plus discret. Evidemment, tous ces meubles sont devenus rarissimes.

Autre changement d’aspect au XVIIe siècle, le type du meuble brabançon prédomine : lourds bahuts avec corps supérieur en retrait et corniche débordante ; décor en méplats, pastilles en chapelet, pointes de diamants, godrons, mufles de lion retenant un anneau en cuivre. Les pentures ont disparu. Le chêne ciré a la prédilection des Liégeois. Les incrustations d’ébène, recherchées aux Pays-Bas, sont plus rarement employées. Les tables sont à traverses ou entretoises, les sièges aux lignes nettes et rigides, recouverts de cuir ou de tapisserie, agrémentés de clous de cuivre. A côté des gros bahuts, viennent se ranger les meubles d’importation dans le goût italien : ces charmants cabinets à multiples tiroirs en bois d’essences variées, incrustés d’écaille, d’ivoire, de cuivre ou d’étain, dont beaucoup furent l’œuvre des Fokkerhout, à Anvers. C’était cossu et bien en rapport avec le costume aux lourdes étoffes, avec la pompe de cette époque. Tous ces beaux meubles résultent de commandes que seuls pouvaient se permettre certaines catégories de personnages, disposant aussi chez eux de place suffisante pour les caser. En effet, c’est du XVIIe siècle que date l’essor de la grande industrie liégeoise, source de sa prospérité.

Mais, pour nous, le meuble liégeois, c’est le meuble du XVIIIe siècle. Cette période est aussi la mieux connue, parce que plus proche de nous ; le temps, de sa dent vorace, n’est pas encore arrivé à en avoir raison.

Le soleil de Louis XIV éblouissait tout l’Occident, mais ses rayons n’aveuglèrent pas les Liégeois. Mesurés et réfléchis, ils surent, intelligemment adapter le faste français en le ramenant à leurs proportions. Et voilà pourquoi, avec goût, avec tact, nos huchiers créèrent des œuvres parfaites.

Au XVIIIe siècle, le standard de vie s’était considérablement amélioré. Liège, capitale d’un petit Etat quasi indépendant, comptait un important patriciat, tant ecclésiastique que séculier. Que d’hôtel construits ou transformés à partir de 1691, après le bombardement de la ville par le marquis de Boufflers !

Que l’on songe à l’hôtel de ville, aux hôtels particuliers d’une si harmonieuse architecture de la rue Hors-Château, de Féronstrée, du Mont-Saint-Martin, de la Basse Sauvenière, et j’en passe; aux maisons plus modestes, mais si jolies quand même, des rues Neuvice, du Pont, de la place du Marché. La décoration intérieure ne pouvait que suivre : sculptures des portes, des lambris, des volets, des hottes de cheminée, des départs d’escaliers, encadrements de trumeaux ou de tableaux ; stucages des plafonds et des murs ; peintures décoratives dans le goût chinois, singeries (sous Louis XV) ; paysages, scènes de genre ou religieuses ; riches tapisseries de Bruxelles ou d’Audenarde… De tels cadres ne pouvaient que servir d’écrin à de beaux meubles.

Les ébénistes liégeois ne faillirent pas à leur tâche. Fort d’une longue tradition, le travail du bois n’avait plus aucun secret pour eux. En plein chêne, ils manièrent le ciseau ou la gouge avec dextérité, avec souplesse et légèreté, évitant les reliefs exagérés. Chez eux tout était mesure et équilibre.

Les créations se multiplièrent en raison même du confort enfin découvert : chaises aux sièges rembourrés ou cannés, aux dossiers de mieux en mieux adaptés aux courbes du dos, fauteuils savamment étudiés en fonction de leur destination, invitant au repos ou à la causerie, Les tables, elles, sont toujours de petite dimension. On continue à se servir de planches posées sur tréteaux pour les repas réunissant de nombreux convives. Mais le triomphe des ébénistes liégeois est incontestablement l’armoire, que ce soit le bahut à simple ou à deux corps, souvent le corps supérieur vitré ; que ce soit la garde-robe, l’horloge en gaine, le bureau à abattant, appelé scriban, les commodes à trois ou quatre tiroirs, rectilignes avec les styles Louis XIV ou Louis XVI, galbées ou mouvementées pour le Louis XV. Presque toujours, ces meubles sont à pans coupés, ce qui leur confère un caractère de légèreté en adoucissant le profil. Souvent, ils forment des combinaisons : un dessus plein ou vitré se posait tout aussi aisément sur une commode ou un scriban que sur un bahut à deux ou trois portes, munis ou non de tiroirs.

Toutes les fantaisies se donnaient libre cours suivant le caprice du client qui passait la commande. Aux moulures, tantôt symétriques, tantôt asymétriques, selon l’ordonnance Louis XIV ou Louis XV, rectilignes avec le style Louis XVI, s’ajoutent de fins décors inspirés de la nature : branches fleuries auxquelles se mêlent les palmettes Louis XIV, les coquilles Régence, les rocailles, les courbes et contrecourbes Louis XV.

Bahut Louis XIV liégeois © drouot.com

Les styles Louis XIV et Louis XV furent connus à peu près en même temps à Liège. Nos ébénistes les amalgamèrent et créèrent un style Régence, bien à eux, qui s’éloigne du calme, de la statique du décor Louis XIV et rejette l’exubérance agitée du décor Louis XV. Il fait incontestablement leur gloire et leur tresse une couronne impérissable. Quant aux meubles Louis XVI, leurs moulures en sont fréquemment brisées : chapelets formés de bâtonnets, de perles, ou les deux motifs associés, alliés à de délicats décors floraux accompagnés de trophées, de nœuds de ruban plissé très gracieux. La décoration du meuble liégeois de l’époque Louis XVI est infiniment plus légère que celle de ses prédécesseurs, plus gracile, et, comme en France, malgré la délicatesse des sculptures, elle annonce la décadence.

Le bois de chêne ciré continuait à avoir la faveur des Liégeois, mais les meubles de marqueterie n’étaient pas dédaignés. Ceux-ci semblent avoir été fabriqués plus particulièrement dans la région de Verviers, témoins les nombreux scribans, les commodes mouvementées ou galbées que l’on y trouve.

Une étude approfondie du meuble liégeois est encore à faire. Il serait possible de mieux dégager les différents centres où œuvrèrent nos artistes, parce qu’ici, le régionalisme joue son plein effet. De plus, les recherches dans les archives permettraient peut-être de rendre un juste hommage à des artistes restés inconnus et d’ajouter leur nom à ceux des Lejeune, des Mélotte, des Herman, dont nous sommes justement fiers.

H. van HEULE, Conservatrice honoraire
des musées archéologiques liégeois

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Tous les meubles figurés sur les planches disponibles dans la DOCUMENTA, ainsi que beaucoup d’autres, sont exposés dans les Musées de la Ville de Liège :


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, correction, édition et iconographie | sources : collection privée |  contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, le Musée d’Ansembourg © Visitez Liège ; © drouot.com.


Documenter encore en Wallonie…

AL BOTROÛLE : Bouli Lanners fait revivre des marionnettes et leur théâtre

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[RTC.BE, 10 mai 2023] Bouli Lanners, récemment primé aux césars, se lance dans le monde des marionnettes, et en famille. Sa femme, Elise Ancion, est la fille de feu Jacques Ancion, marionnettiste-sculpteur du célèbre théâtre Al Botroûle. Un théâtre qui renaîtra de ses cendres sous un nouveau nom, mais avec les mêmes marionnettes, qui sont en pleine rénovation.

Le monde du cinéma et de la marionnette se rencontrent. Le réalisateur, scénariste et comédien Bouli Lanners reprend le théâtre Al Botroûle pour le transformer en Théâtre (transmissionnaire) de la couverture chauffante.

Ça échappe un peu à toute cette débauche de moyens qu’on retrouve dans le cinéma. Il faut savoir que c’est le cinéma qui a un peu tué le théâtre de marionnettes dans les années 20. Je trouve qu’en venant du cinéma, c’est rendre justice à la marionnette que de retourner à la marionnette et de lui rendre vie. Pour moi, c’est essentiel dans ma vie. Et le théâtre devrait rouvrir au mois de novembre.

La collaboration est totale

Bouli Lanners travaille en collaboration avec le Centre de la marionnette de Saint-Nicolas pour apprendre différentes techniques auprès de passionnés. Son beau-père, Jacques Ancion, était montreur et sculpteur de marionnettes à tringles au théâtre Al Botroûle. Décédé l’année dernière, il a légué plus d’une centaine de pièces.

Il a certaines lacunes en sculpture, c’est pour ça qu’il a fait appel à nous. D’une part, nous allons restaurer une partie de ses marionnettes et d’autre part, nous allons lui apprendre à pouvoir les restaurer lui-même quand il pourra commencer à jouer dans son spectacle“, explique Philippe Gilet, directeur de l’asbl.

La collaboration est totale, se réjouit Bouli Lanners. Sans le Centre de marionnette de Saint-Nicolas, le théâtre ne pourrait pas exister et on serait obligés de restaurer comme on peut avec des bouts de ficelle. Et eux sont contents aussi de pouvoir retravailler sur des marionnettes qui ne vont pas être juste pendues comme marionnettes de collection, mais qui vont jouer en scène.

Ici la priorité est de sauvegarder la tradition. Chaque sculpteur a ses spécialités et astuces qu’il transmet aux autres. Une fois vermifugées et réparées, les marionnettes passeront sous le pinceau de Bouli Lanners.

En général, les marionnettes qui ont été repeintes au fil du temps ont été mal repeintes. Et ça, ça tue un peu toute leur âme. J’avais très peur d’y toucher. Donc j’ai été voir comment on faisait les carnations à l’ancienne, avec des techniques qui datent de Vélasquez. Je prends vraiment mon pied !

Encore quelques mois de travail dans cet hôpital de la marionnette seront nécessaires. En novembre, vous découvrirez leur nouveau visage au Théâtre (transmissionnaire) de la couverture chauffante, avec quatre pièces dont trois pièces originales écrites par Bouli Lanners.

Anne Gerday, rtc.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : rtc.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Centre de la marionnette de Saint-Nicolas.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

Les CREHAY, peintres spadois

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Les Crehay constituent une dynastie de peintres et artisans spadois, dont l’activité se déploie sur quatre générations. Cependant, seuls deux d’entre eux (Gérard-Jonas et Gérard-Antoine) bénéficient d’une certaine notoriété.

Gérard-Jonas Crehay (1816–1897). Fils de Gérard-Henri, conseiller municipal, et de Marie-Françoise Jonkeau. Attiré depuis son plus jeune âge par la peinture, iI débute par les décorations des ouvrages en bois de Spa à laquelle il est initié par sa soeur Gérardine (1808–1842). Elève d’Edouard Delvaux à l’Ecole de Dessin de Spa, Gérard-Jonas y achève ses études en 1850. Il obtient alors une prime du Gouvernement, qui lui permet de se rendre à Paris. Au Louvre, il s’applique à réaliser des copies de paysagiste hollandais du XVIIe siècle.  D’aucuns prétendent qu’il aurait également rencontré Corot et les peintres de Barbizon.

De retour à Spa en 1851, Gérard-Jonas se voit confier la restauration du plafond de la salle des fêtes du Waux-Hall, une oeuvre de Henri Deprez représentant L’Olympe. L’année suivante, il est nommé professeur de dessin à l’Ecole moyenne de Spa, fonction qu’il assumera pendant trente-huit ans. Outre une participation régulière au Salon des Beaux-Arts de Spa, il expose à Liège, Bruxelles, Gand, Anvers, Paris, Londres, Vienne et Berlin.

Son oeuvre se partage entre peinture de chevalet et décoration de bois de Spa, activités qu’il n’a cessé de mener conjointement. Sa peinture, bien qu’inspirée des artistes de Barbizon, reste encore fort romantique (Cabane du herdier à BerinzenneSpa, Musée de la Ville d’Eaux). La nature en est le sujet principal, Spa et ses environs la source d’inspiration. Il affectionne les sujets anecdotiques (Maisonnette incendiée par la foudre – Spa, Musée de la Ville d’Eaux) et n’hésite pas non plus à s’inspirer de ses aînés (Spa en 1612, d’après Jan Bruegel – Spa, Musée de la Ville d’Eaux). Dans le domaine de l’artisanat local, sa production est moins bien identifiée, les objets n’étant généralement pas signés.

CREHAY, Gérard Jonas, Vue des environs de Spa, 1866 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)

Son fils aîné, Gérard-Antoine (1844-1937), est également formé par Edouard Delvaux, puis par Ernest Krins chez qui il entre, à treize ans, comme apprenti décorateur de boîtes en bois de Spa. En 1872, il participe pour la première fois au Salon des Beaux-Arts de Spa. Deux ans plus tard, il occupe le poste de secrétaire dans le comité organisateur.

En 1875, Gérard-Antoine a l’idée de réaliser une série de douze cartes-vues peintes représentant les cinq fontaines de Spa, ce sera un succès. Ce n’est pas la seule innovation de Gérard-Antoine qui, s’associant à l’ébéniste Jacques Lezaack, présente à l’Exposition de Bruxelles, en 1881, une psyché en bois d’érable décorée de sa main.  A partir de 1890, il succède à Henri Marcette comme professeur à l’Ecole de Dessin de Spa et à son père comme professeur de dessin à l’Ecole moyenne. En 1896, on le retrouve parmi les membres fondateurs du Musée communal de Spa. Après la mort de son père, en 1897, il se met à voyager : il séjourne en Angleterre, où il donne des leçons de dessin, et à Paris.

Ses œuvres sur bois de Spa sont exposées au pavillon de la ville de Spa à l’Exposition universelle et internationale de Liège, en 1905. A partir de 1910, Gérard-Antoine va s’essayer plus souvent à l’aquarelle, tout en continuant une abondante production de toiles et de boîtes. Cette prolixité s’explique, entre autres, par la nécessité de faire vivre une famille de huit enfants. En 1922, il réalise une affiche publicitaire pour la ville de Spa. En 1926, il reçoit le prix Joseph de Crawhez, d’un montant de deux mille francs [belges], destiné à récompenser celui qui a le plus activement collaboré au renom de Spa. La même année, il fête ses noces d’or avec quarante-huit de ses descendants ! Peu de temps avant sa mort, en 1937, il occupe la présidence d’honneur de la commission organisatrice du Salon des Beaux-Arts de Spa.

Parfois surnommé “le Maître de Spa” mais plus souvent “le vieux Gégé” ou “Gérard-l’Explosif”, il laisse l’image d’un petit homme, portant les cheveux longs et hirsutes sous un éternel chapeau à larges bords. Ayant horreur des snobs, d’un caractère colérique, il étonnait aussi par sa connaissance du passé spadois. On lui attribue plus de deux mille œuvres, de qualité fort inégale. Son sujet privilégié demeure Spa et ses environs (Paysage avec arbre et vue de Spa – collection privée), il est cependant l’auteur de plusieurs œuvres à caractère religieux (Histoire du Bienheureux Joachim, jadis à la chapelle des Pères servites de Spa). Moins soucieux du détail que Gérard-Jonas, Gérard-Antoine joue davantage sur la lumière et la couleur, tendant après 1900 vers une touche plus “impressionniste”. A partir de 1910, il va également s’essayer plus souvent à l’aquarelle. Outre Spa, il a exposé à Liège, Bruxelles, Anvers, Gand, Sydenham, Reims, Cologne et Berlin. Mais sa plus grande fierté demeurait d’avoir vendu une toile au Shah de Perse, Naser ed-Din.

Deuxième fils de Gérard-Jonas, frère de Gérard-Antoine, Georges (1849-1933). Il consacre la plus grande part de son activité à l’artisanat du bois de Spa, étant à la fois tourneur, décorateur et négociant. Ses thèmes privilégiés sont les motifs animaliers, particulièrement les chiens de chasse qu’il reproduit à l’occasion sur toile. Un troisième fils de Gérard-Jonas, Jules (1858–1934) a également laissé quelques œuvres, à côté de poésies et de pièces de théâtre dialectal wallon.

CREHAY, Georges, Ancienne église de Spa, 1882 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)

Parmi les petits-fils de Gérard-Jonas, plusieurs vont s’adonner à l’artisanat du bois de Spa et, occasionnellement, à la peinture de chevalet. Charles (1874-1969) est un paysagiste affectionnant aussi les natures mortes. Ernest (1876–1961), artiste peintre est avant tout menuisier-ébéniste, il réalise notamment la porte de sa maison (Adam et Eve – Spa, boulevard Chapman n°23). Léon (1881-1945) expose régulièrement aux salons. Il sera nommé, avec Edmond Xhrouet, à la direction de l’Académie des Beaux-Arts de Spa. Il manie avec autant d’aisance l’aquarelle que la peinture à l’huile.  Alfred (1884–1976), artisan et négociant en bois de Spa, réalise également le mobilier et la décoration extérieure de sa maison dans un style naïf (A l’Epervier, Spa, avenue Antoine Pottier n°35).

CREHAY, Léon, Vue de la source de Barisart, 1944 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)

La génération de ses arrière-petits-enfants ne compte plus que des peintres occasionnels. Raymond (1898–1972) poursuit avant tout une carrière de violoniste qui l’amènera à s’établir à Paris, où il est décédé. De même, Norbert (1913-1980) effectue des études au Conservatoire de Liège où il obtient une médaille d’or pour la trompette, puis un Prix de Rome. Il sera professeur de cuivres à l’Ecole de Musique de Spa et dirigera l’Orchestre symphonique de Spa. Gérard (1923–1987), dessinateur industriel, s’est essayé à la réalisation de quelques tableautins sans prétention. Maurice (1921-2009), qui se consacre essentiellement au dessin à la plume, a une production plus abondante et est le seul à avoir exposé. Il a également participé à un concours destiné à rénover le style de la décoration du bois de Spa, ainsi qu’à un concours d’affiches organisé par la Ville de Spa.

Tous les artistes de la famille ne sont donc pas d’égale valeur. Outre Gérard-Jonas, Gérard-Antoine et Léon Crehay laissent une oeuvre de qualité. Pour ce qui est de Gérard-Antoine, les œuvres antérieures à 1900 sont généralement plus soignées que les suivantes. Georges bénéficie d’une petite notoriété locale, mais ses œuvres atteignent rarement la qualité des trois Crehay précités. Dans la famille Crehay, aux deux premières générations du moins, les enfants sont nombreux. Le seul moyen de subvenir aux besoins de tous étant de produire beaucoup, la qualité du travail s’en ressent. C’est également pour des raisons économiques que les supports sont souvent de mauvaise qualité ou de réemploi et les tableaux de petit format. L’oeuvre des Crehay n’est pas de première importance, le meilleur (souvent dû au pinceau de Gérad-Jonas) y côtoie le pire. Toutefois, elle constitue un témoignage iconographique appréciable pour l’histoire de Spa et de sa région. De même est-elle exemplaire du foisonnement d’artistes qui apparaît, à Spa et ailleurs en Belgique, à la fin du XIXe siècle. Pour toutes ces raisons, elle mérite de ne pas tomber dans l’oubli.

Bibliographie
  • HAULT C., Notice historique sur les dessinateurs et peintre spadois en introduction au Salon historique d’avril 1914, dans Wallonia, t. 22, 1914, p.189-209.
  • HENRARD A., Les peintres Gérard-Jonas et Gérard-Antoine Crehay, dans Histoire et Archéologie Spadoises, n° 3, septembre 1975, p. 13-18.
  • VIENNE P., Crehay, dans Nouvelle Biographie Nationale, t. 3, Bruxelles, 1994, p.94-96
  • VIENNE P., Les Crehay, peintres spadois, mémoire de licence en histoire de l’art et archéologie, Université de Liège, 1990-1991.

Philippe VIENNE


[INFOS QUALITE] statut : publié | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : Philippe VIENNE | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe VIENNE | crédits illustrations : en en-tête, CREHAY Gérard-Antoine, Paysage avec arbre et vue de Spa (collection privée) © Philippe Vienne ; © collection privée ; Spa, Musée de la Ville d’Eaux.


Plus de peinture…

Chevalier de l’enfance (musée en ligne)

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Chevaliers en arme : détail de la tapisserie de Bayeux dite “Tapisserie de la Reine Mathilde” ou “Telle du Conquest” (XIe) © Bayeux Museum

Comme de nombreux amis collectionneurs, je rêve d’un vrai musée dédié aux soldats jouets. Un lieu de mémoire où le génie créatif de l’industrie du jouet pourrait être admiré.

En effet, l’allant des industriels, les trouvailles des techniques créées et utilisées par les ingénieurs, le travail des artisans, sculpteurs et graveurs, la patiente finition des petites mains, nous ont offert les jeux et les joies de notre enfance mais surtout, ils font partie de notre patrimoine industriel, artisanal et pour certaines pièces, de notre patrimoine artistique.

Quelques passionnés tentent de forger par leurs initiatives individuelles la mémoire durable de cette épopée ludique. Les livres ont un rôle à jouer mais l’outil internet permet de créer un musée virtuel accessible à tous, gratuitement dans le monde entier.

L’armée des soldats jouets se compte en dizaine de milliers de pièces, un choix était nécessaire ; une marque, une période, un pays ou une période de production voir d’autres critères encore. L’ost des chevaliers répond aux échos des combats et joutes de mon enfance, des films d’aventures et des feuilletons télévisés d’où le nom du site Le chevalier de l’enfance.

Le Moyen-âge est une porte ouverte sur le merveilleux : Arthur, la Table ronde, la licorne, les fées, les elfes, les dragons et les sorcières que le Malin anime. Se dresse toujours le preux chevalier qui, sous le regard de dieu et par l’adoubement, s’engage à obéir aux trois piliers de l’aristocratie militaire : la fidélité, l’honneur et le courage. Plus que le rang ou que l’apparence, le chevalier se définit par son comportement, sa bravoure au combat et la protection des plus faibles, des plus démunis. Exempli gratia, nous construisons tous notre vie selon l’exemple.

Le chevalier de l’enfance pourrait aussi se décliner en chevaliers de France. Un hommage est rendu aux combattants d’Azincourt de manière indistincte anglais comme français. Chaque blason représenté sur ce site correspond à un chevalier ayant participé à cette bataille qui est considérée par certains historiens comme celle qui marque la fin de la chevalerie. La puissance du choc des milliers de flèches décochées par les archers anglais, le massacre des prisonniers encombrants trouvent aujourd’hui leur écho dans les guerres totales. Je souhaite à tout visiteur l’enchantement à parcourir ce musée virtuel…”

Pour en savoir plus, visitez CHEVALIERDELENFANCE.COM…


D’initiatives en initiatives…