LEQUEU, Jean-Jacques (1757-1826)

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Formé à l’école de dessin de Rouen, Jean-Jacques LEQUEU arrive à Paris pour faire carrière comme architecte. Soufflot, architecte du bâtiment qui prendra en 1791 le nom de Panthéon, le prend sous sa protection. Soufflot meurt en 1780 et Lequeu se retrouve seul. Son manque de formation académique lui sera reproché, ce qui lui vaudra d’essuyer échecs après échecs, à chaque fois qu’il se présentera à un concours.

La conjoncture politique troublée de cette période ne l’aide pas non plus à sortir de l’anonymat. Né sous l’Ancien Régime, il est mort sous la Restauration et a a donc traversé une diversité de régimes politiques en contradiction les uns avec les autres. Les événements contrarieront ses projets à de multiples reprises. Ayant par exemple reçu commande d’une “fabrique”, construction “que l’industrie humaine ajoute à la nature, pour l’embellissement des jardins”, selon la définition que Jean-Marie Morel en donnera dans Théorie des jardins publié en 1776, les événements le conduisent à perdre ses clients, la noblesse fuyant alors la France.

Ce n’est qu’en 1940 que sera analysé le fonds qu’il a légué à la Bibliothèque Royale, juste avant sa mort en 1826, se battant toujours pour sa reconnaissance, ce qui n’empêchera pas sa mort dans l’indigence et l’oubli. Ses dessins érotiques ayant été rangés immédiatement dans les armoires de l’Enfer de la Bibliothèque, ils seront redécouverts dans les années 50.

Les tromperies de la nature

Ses dessins architecturaux manifestent une grande connaissance livresque. Il se réfère dans ses dessins aux Métamorphoses d’Ovide, à l’Histoire Naturelle de Buffon, au Songe de Poliphile de Francesco Colonna. Sa singularité réside dans l’association du corps humain à l’architecture, voire la fusion. Il surprend aussi par les liens qu’il établit entre les Humanités qui nourrissent son œuvre et ses dessins érotiques sans concession, le rapprochant de Sade. Ceux-ci furent rangés aux Enfers de la BNF sous le titre Figures lascives et obscènes”, lorsqu’il légua son œuvre. Pour comprendre il faut se rappeler (…) que Jean-Jacques Lequeu est d’abord un portraitiste, attaché à la physionomie, comme c’était fort courant au XVIIIe siècle. Ceci l’a amené à développer une certaine ironie, d’abord à l’égard de lui-même mais aussi à l’égard de la nature (…).

Nature et transgression

“Dessin de boudoir” © Musée d’Orsay

Le goût de l’époque pour une nature sauvage et indomptée, telle que Rousseau l’avait défendue, se voit ici questionné. Cela permet de comprendre les dessins érotiques, voire pornographiques, de J.J. Lequeu autrement que par la voie psychanalytique, réduisant l’oeuvre de l’artiste à un ensemble de pulsions névrotiques. Pour lui, le retour à la nature est le retour au droit à la transgression ; une conception proche de celle de Sade. Retourner à la nature non contrôlée par les hommes, c’est mettre à mal toutes les normes. C’est rejoindre le goût pour le sublime.

Le sublime comme dépassement de la norme

On l’a longtemps classé comme artiste “révolutionnaire” parce qu’il réalisa des dessins “utopistes” comme Le Temple de l’Egalité. S’il contribua à la Révolution, une pique à la main, on le retrouvera en 1814 proposant la réalisation d’un mausolée à la mémoire de Louis XVI, ainsi qu’un théâtre royal. Entre 1806 et 1807, il se penche sur l’Eglise de La Madeleine dont Napoléon envisage de faire un Temple à la gloire des armées françaises. L’art n’est pas pour J.J. Lequeu une question politique, mais essentiellement une question qui réunit la technique et l’imagination dans une perspective de sublime, bien éloignée des règles du beau.

Il se consacre à des projets colossaux qui resteront sur le papier. L’île d’amour est ainsi une nouvelle Cythère, un lieu d’utopie. Proche en cela de la question du “sublime” développée par le philosophe irlandais Burke et le philosophe allemand Kant, il s’éloigne de celle du “beau”. Le sublime se rattache à l’idée de l’inaccessibilité, de l’incommensurable, de la petitesse de l’homme dans le monde, dont la prise de conscience le conduit au respect et / ou à la crainte.

J. J. Lequeu dépasse les bornes, aussi bien celles fixées par les règles techniques que par celles, morales… fidèle en cela à ses goûts pour le sublime. Ce que dit J.J.Lequeu, c’est qu’il n’y a pas d’architecture sans réflexion anthropologique. Penser le sublime dans l’architecture, c’est penser l’homme hors des normes du beau, dans l’incommensurable. La démesure érotique est à l’homme ce que la ligne démesurée est à l’architecture.

d’après NONFICTION.FR


LEQUEU, “Et nous aussi nous serons mères, car… !” ©ndemain-lecole.over-blog.com

Les images licencieuses du XVIIIsiècle sont légion. De la littérature aux arts graphiques, le siècle des Lumières ose tout, la fascination pour la nudité s’empare de tous. Citons la philosophie pornographique d’un Boyer d’Argens avec sa Thérèse philosophe, ou Le Rideau levé ou l’Éducation de Laure de Mirabeau. On oublie souvent que “l’orateur du peuple”, “la torche de Provence”, la grande figure de la Révolution française a écrit dans L’Éducation de Laure des passages aussi insolites que celui où la jeune fille déclare : “Je me regardais dans les glaces avec une complaisance satisfaite, un contentement singulier”, quand elle ne se livre pas à l’inceste : “Il me semblait que l’instrument que je touchais fût la clef merveilleuse qui ouvrit tout à coup mon entendement. Je sentis alors cet aimable papa me devenir plus cher.”

Or, dans toute cette littérature, qui prône le dévoiement et la dépravation, l’idée selon laquelle la sexualité permettrait d’accéder à une certaine métaphysique du bonheur, ou à une meilleure compréhension du réel, est omniprésente. En cela, les œuvres les plus lascives de Jean-Jacques Lequeu (1757-1826) s’inscrivent dans l’esprit de son temps. Les titres ont pourtant la vie dure. En 1949, l’historien Emil Kaufmann écrit un article, dans The Art Bulletin, introduisant pour la première fois une expression qui va rester et qu’il reprendra en publiant Trois Architectes révolutionnaires : Boullée, Ledoux, Lequeu, en 1952. Impossible dès lors de se défaire tant de l’association avec Étienne Louis Boullée et Claude Nicolas Ledoux que du qualificatif d’”architecte révolutionnaire”.

Foisonnement créatif sans bornes

Dans l’introduction du catalogue du Petit Palais [2018], Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric et Martial Guédron rappellent justement un commentaire plein d’ironie de Quatremère de Quincy : “On voit que la plupart des anciens dessins d’architecture n’étaient que de simples traits à la plume, hachés ou lavés légèrement au bistre. Les modernes architectes semblent avoir fait un art particulier de dessiner l’architecture. Je crois que cet art s’est accru ou perfectionné en raison inverse du nombre des travaux et des édifices qui s’exécutent.” Contrairement à ses deux illustres confrères, à supposer qu’ils l’aient vraiment été, Lequeu ne construit rien. Il dessine, oui. Dès lors, la tentation est grande de voir en lui un architecte frustré. Si, à l’inverse, Lequeu est envisagé sous l’angle de la philosophie pure, il devient pourtant un génial penseur, et un penseur féministe !

Comme Annie Le Brun le souligne dans sa brillante contribution au catalogue de l’exposition, La question amoureuse comme mur porteur, on a longtemps ignoré “l’intuition qu’il serait dans la nature du désir de conduire les hommes à vouloir habiter leur rêve. Et même que la volonté architecturale serait l’expression première d’un désir inventeur tout autant de formes que de nouveaux espaces.” Lequeu est à mille lieues des “sinistres casernes sexuelles imaginées aussi bien par Ledoux pour Arc-et-Senans que par Restif de La Bretonne dans Le Pornographe. Car, au lieu de s’en remettre au rationalisme, à l’hygiénisme et finalement à la dimension répressive qui président à ces projets, Lequeu, depuis le début, mise au contraire sur l’humour indéfectible du corps reprenant ses droits, en même temps que sur une nature jamais en manque de solutions imaginaires.”

Il y a, de toute évidence, un tournant dans son œuvre. Jeune élève brillant à la culture encyclopédique  il est évident qu’il en connaît les planches mieux que personne, Lequeu s’écarte de la voie tracée en entremêlant, à partir des dessins pour l’architecture intérieure de l’hôtel de Montholon à Paris, désirs propres et attentes de ses commanditaires. Son foisonnement créatif est sans bornes. Dans le projet Pour la chambre à coucher de madame de Montholon, où les langues de l’Amour et de l’Amitié s’entremêlent goulûment tandis que le premier porte la main droite sur le sein de l’Amitié, ses annotations sont extrêmement fleuries :

Tous les appartemens chez les Anciens et particulière la chambre nuptiale étoient ornés des sujets les plus lubriques”, “Les pommes, le mythe étoient consacrés à l’amour, la bandelette autour des cheveux désigne la souveraineté. La colombe étoit l’oiseau de Vénus car ils sont très portés au plaisir. La tourterelle lui étoit agréable. La rose étoit sous la protection spéciale de cette divinité. Son éguillon est le sel des plaisirs etc.

La démarche de Lequeu s’inscrit aussi dans la pure tradition de la Renaissance puisque, pour Leon Battista Alberti, “l’édifice est un corps”. Impossible également de ne pas songer aux traités qui s’inspirent des principes de Vitruve sur la sexualisation des ordres d’architecture, comme le rappelle Laurent Baridon dans le catalogue, ou encore d’évoquer le Songe de Poliphile publié à Venise en 1499, roman architectural de Francesco Colonna où la quête de la sagesse et de l’amour s’incarne sexuellement dans certains édifices. Au XVIIIe siècle aussi, Jacques-François Blondel et Quatremère de Quincy développent des analogies entre pierre et chair. Tout un ensemble d’artistes, dont les peintres de fêtes galantes, prennent plaisir à donner un rôle aux statues qui décorent leurs compositions. Lequeu va évidemment plus loin encore dans sa série de figures de femmes qu’il dessine dans des baies, telles que Et nous aussi nous serons mères ; car… ! S’agit-il d’une sculpture placée dans une niche ? Ou plutôt du portrait d’une célèbre scandaleuse qui incarne la débauche ? Le doute est permis.

Une nouvelle lecture de l’Antiquité

LEQUEU, “Chat de la liberté” © silezukuk.tumblr.com

Si Vitruve imagine le monde à la mesure du corps masculin, Lequeu le préfère à l’aune du corps de la femme, et plus spécifiquement de ses parties intimes. Les dessins en témoignent, les titres aussi : la Porte de sortie du parc des plaisirs, de la chasse du prince, la Coupe de la petite grotte du souterrain du désert, le Lieu des oraisons persanes… Dans le Boudoir du rez-de-chaussée, appelé temple de Vénus terrestre, côté du sofa, la forme choisie est aussi ambiguë. Des colonnes encadrent cette prison dorée, au milieu de laquelle la couche est destinée à accueillir les amours. Les inscriptions soutiennent cette lecture : “ceste ou ceinture à pucellage”, “pavillon à savourer”, “Pertunda, Volupie, Perfica, Volupté, compagnes des plaisirs lascifs… le Dieu est dans l’action de les commander aux armes”

En réalité, selon Annie Le Brun, l’architecture devient chez lui l’espace qui relie la tête et le sexe, et son Architecture civile, qui l’occupe de 1792 à 1821, rend compte de l’immense ébranlement de ce qui s’y rapporte. “Car dans cet étrange recueil, voilà qu’entre des projets apparemment classiques se poursuit le travail du désir, venant miner tout l’espace social, telle cette “fournaise ardente” dans les soubassements de la maison gothique, où l’esprit du feu attise le feu de l’esprit jusqu’à induire le chemin d’une souveraineté inédite.”

Elle en veut pour preuve le sofa-cheminée, Ce qu’elle voit en songe, daté de l’an III, où Lequeu propose finalement une nouvelle lecture de l’Antiquité, faisant remarquer à ses contemporains qu’ils s’étaient fourvoyés en croyant en comprendre les grands penseurs. Lequeu était peut-être un visionnaire ; il était incontestablement un penseur génial. Il offre, plus qu’aucun autre artiste du XVIIIe siècle, la possibilité de susciter des débats infinis sur la nature de ses talents. Il y a fort à gager que, dans plusieurs décennies, son œuvre continuera à faire couler beaucoup d’encre, puisque son interprétation ne réussira probablement jamais à créer un quelconque consensus. Lequeu est surtout la preuve que le siècle des Lumières est un terrain fertile d’interrogations, un siècle impossible à classer.

d’après GAZETTE.DROUOT.COM


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Plus d’arts visuels…

Dormir en deux fois dans la nuit : la tradition perdue du sommeil biphasique

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Dormir en un bloc de 8 heures n’a pas toujours été la norme. Grâce à la découverte fortuite d’un historien, on sait qu’avant la révolution industrielle, le sommeil était entrecoupé d’une pause vers minuit.

Vous vous réveillez parfois la nuit ? Pas d’inquiétude : ce serait “normal” non pas d’un point de vue physiologique mais historique, selon l’historien américain Roger Ekirch. Les gens allaient au lit vers 21h ou 22h, se réveillaient après minuit, pour une heure environ, et ensuite se recouchaient”, détaille le chercheur rattaché à l’Université Virginia Tech.

Que faisait-on durant cette pause ? Quasi tout ce qu’on peut imaginer”, résume-t-il. Rester au lit, prier, s’occuper des tâches domestiques, entretenir le feu, prendre soin du bétail, s’occuper d’un enfant malade. “Plusieurs médecins étaient d’avis que c’était un moment de premier choix pour avoir des relations sexuelles”, observe l’historien. Pendant longtemps, on a pourtant dormi à plusieurs, jusqu’à toute une famille, dans le même lit. Autre temps, autres mœurs.

Découverte fortuite

On médite aussi sur le contenu des rêves encore frais, qui sont perçus comme un chemin d’accès à la connaissance de soi ; c’est d’ailleurs après la disparition du sommeil biphasique que se développera la psychanalyse.

Comme beaucoup de découvertes, celle-ci s’est faite par hasard, à Londres dans les années 1990. Roger Elkirch cherchait des actes juridiques dans les archives nationales à Londres. L’historien tombe alors sur des références à un “premier sommeil” et à un “deuxième sommeil”. Ce qui m’a étonné, c’était la façon familière dont les gens faisaient référence à cette façon de dormir, comme si cela leur était tout à fait normal”, situe l’auteur de La grande transformation du sommeil.

Depuis la nuit des temps ?

En tout, il trouvera 2000 références similaires dans des écrits juridiques et de fiction, et pas des moindres : chez Érasme, chez le philosophe Plutarque, l’historien Tite-Live et dans l‘Odyssée d’Homère. Le tout dans différentes langues : “premier somme”, “primo sonno“, ou encore morning sleep”.

Ces mentions, sous nos yeux depuis des siècles, avaient été selon lui ignorées ou mal interprétées : on prenait les termes de “premier somme” comme la phase initiale de l’endormissement, un synonyme de “sommeil léger“. Lorsque le bloc continu de huit heures est devenu la norme, on oublia aussi le souvenir du sommeil biphasique, qui fut pourtant la norme en Occident pendant une éternité, et jusqu’à il y a pas si longtemps.

Le rôle clé de l’éclairage artificiel

Au XIXe siècle, ce schéma en deux cycles évolue à cause de la révolution industrielle, période de fort progrès économique, qui a deux effets majeurs. L’apparition de l’éclairage artificiel augmente la durée de luminosité quotidienne, d’abord avec l’apparition des lampes à gaz puis de l’électricité. À Paris, les premiers réverbères sont installés en 1820 ; on en compte 56 000 en 1860. L’horloge biologique va donc s’adapter.

L’allumeur de réverbère dans Le Petit Prince de Saint-Exupéry (1943) © Gallimard

La deuxième conséquence de cette période, c’est que les mentalités vont changer. “La conséquence culturelle est que les valeurs associées à la révolution industrielle mettent en avant l’importance de l’efficacité, de la ponctualité, explique Roger Ekirch. La société devient beaucoup plus soucieuse du temps.”

Petit à petit, on s’affranchit des conseils des médecins, qui recommandaient jusque là un sommeil en deux segments. L’avènement des loisirs, du moins dans un cadre citadin et privilégié, retarde le coucher et allonge le premier somme. La nuit, période de criminalité, devient moins obscure alors que la police se professionnalise. Plus besoin de se réveiller pour parer à un risque d’intrusion de prédateurs, réflexe datant de la préhistoire selon des anthropologues.  Pardonnez-moi de rappeler que cette transformation ne s’est pas faite du jour au lendemain ! ironise l’historien. Ce fut lent, irrégulier, mais vers la fin du XIXe siècle, c’était devenu la nouvelle normalité.”

Biphasique ou continu : qu’est-ce qu’un sommeil “naturel” ?

Le sommeil biphasique persiste pourtant dans des cultures non occidentales moins exposées à la lumière artificielle, selon des enquêtes de la fin du XIXe siècle : chez des Marrons du Suriname ou dans une communauté de fermiers Tivs du Nigeria.

Dans les années 1990, une étude est menée aux États-Unis, sous l’égide du chercheur Thomas Wehr du National Institute of Mental Health : une quinzaine de sujets sont privés d’éclairage naturel pour observer l’évolution de leur sommeil. Celui-ci devient biphasique au bout de 3 semaines. J’ai entendu parler de ça pour la première fois en lisant le New York Times, en décembre 1995, se souvient l’historien. Il se trouve que j’étais en train de surfer sur Internet à minuit ! Et j’étais époustouflé de lire ces recherches plusieurs années avant, qui semblaient recouper les miennes.”

Le même constat est obtenu en 2017 en étudiant le sommeil des habitants d’un village agraire sans électricité de Madagascar. D’autres études récentes observent en revanche un sommeil continu dans des cultures pré-industrielles, en Afrique et en Amérique du Sud.

Conclusion : difficile de dire s’il y a aujourd’hui un sommeil “normal”, ce qui pourrait rassurer les insomniaques, nombreux à contacter Roger Ekirch avec inquiétude, de son propre aveu : D’un point de vue historique, ils ne vivent probablement pas un trouble du sommeil, mais plutôt une résurgence très forte de cette forme de sommeil ancestrale qui a longtemps dominé dans le monde occidental.”

d’après FRANCECULTURE.FR


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Plus de presse…

DUBOIS : Le magazine Imagine, comme un air de John Lennon

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[DIACRITIK.COM, 6 avril 2022] Voici un magazine assez magnifique, très chatoyant aussi et qui porte bien son enseigne à la John Lennon. Il se réclamait du parti Écolo à l’origine puis en garda l’esprit tout en prenant quelque distance envers ce parti. C’est en ce sens que la couverture de ce bimestriel porte fièrement trois surcharges : DEMAIN LE MONDE ; la triade ÉCOLOGIE / SOCIÉTÉ / NORD-SUD ; et la mention quelque peu énigmatique SLOW PRESS (est-ce la formule employée à propos d’un vin à pression lente ou bien est-elle d’un journal à parution peu pressée — mais stressée néanmoins ?).

Ainsi “Demain le monde” nous parle de mutation et d’un univers qui propose en lieu et place du capitalisme dominant un bouleversement résolu. Quant à la triade “Écologie / Société / Nord-Sud”, elle rassemble en une seule trois disciplines de pointe et qui visent à réconcilier la Terre avec l’Humanité. Quant à cette “Slow Press”, qui continue à nous tarabuster, nous la traduirons joyeusement comme un équivalent du bon vieux latin festina lente, c’est-à-dire “hâte-toi lentement”, ce qui fait pleinement notre affaire.

Si Imagine a quelque peu tenu à distance luttes et controverses politiques, c’est pour mieux se régénérer dans les temps troublés que nous connaissons. Une pandémie, une guerre continentale, des cataclysmes naturels, on conviendra que c’est beaucoup et que c’est même trop. Imagine entend jouer à cet égard “un rôle de sentinelle des catastrophes en cours“. Et c’est pourquoi ce magazine défend “une pensée complexe et nuancée, apaisée et féconde, libre et non conformiste“. Et d’ajouter joliment encore qu’il “libère les imaginaires (…), est porteur d’idées nouvelles et inspirantes, d’histoires audacieuses et inattendues, de petits ou grands récits.

Est-ce à dire que la critique sociale et politique ne trouve plus sa place dans une revue telle que celle que l’on évoque ici ? Ou bien qu’elle ne se reconnaît plus dans les combats qui sont menés par la gauche au point qu’on voit se déliter les partis les plus combatifs, au risque de laisser toute la place aux populismes ou aux néolibéralismes dans ce que ceux-ci montrent de plus trivial aux quatre coins du continent et des environs.

Le magazine a par ailleurs déterminé son découpage et son rythme de lecture selon une cartographie pleinement évocatrice et même largement métaphorique à travers ce qu’il désigne comme ses divers territoires. Nous aurons ainsi au long de la revue :

    1. Sur le volcan qui accorde la priorité à la sphère politique à travers le mouvement des luttes, des résistances et des interventions, croisant par ailleurs des thèmes du jour comme le populisme, le patriarcat, la marchandisation du monde, soit autant de dérives ;
    2. Le sixième continent qui désigne un article de long format à la croisée de divers territoires ou thématiques ; prendront ainsi forme de “grands entretiens” qui donneront la parole à des personnalités en vue parmi les plus représentatives du monde intellectuel ;
    3. Zones fertiles qui veut qu’Imagine propose des alternatives sur des thématiques de base relatives à l’agriculture, au climat, à l’énergie, à la démocratie, à l’économie, toutes essentielles à la survie des espèces ;
    4. Terra incognita qui se projette vers le futur et favorise la pensée utopique, donnant en particulier la parole à des personnalités porteuses de changement et qui sont prêtes à aborder des sujets comme l’effondrement ou l’adaptation ;
    5. Les confluents qui font se croiser différentes disciplines, depuis la philosophie jusqu’à l’histoire et la sociologie. Éducation et transmission seront ici des thèmes de premier plan ;
    6. Au large donne la parole à toutes les disciplines qui se réclament de l’esthétique et des formes d‘art. C’est là encore que place est faite aux minorités mises à l’écart comme au monde vivant dans sa pluralité (personnes vulnérables, animaux, végétaux). La perspective activée est celle d’un monde réconcilié dans toutes ses composantes.

On notera que les “Grands Entretiens” seront selon toute vraisemblance rassemblés dans une livraison de fin d’année “hors série”.

Si Imagine fonctionne avec une Rédaction minimale à Liège et à Bruxelles Hugues Dorzée étant son rédacteur en chef, elle ne sortira que difficilement de l’espace belge francophone. Demeure néanmoins la possibilité pour les lecteurs de se procurer le magazine par abonnement ou par livraison ciblée. Une diffusion qui exista vers la France pendant une période devrait pourtant reprendre en ce pays. Mais, par ailleurs, le groupe rédactionnel s’élargit volontiers à des groupes de travail et de réflexion de durée variable. Et l’on a vu récemment se constituer et s’instituer l’assemblée mobile des Pisteurs d’Imagine auquel le magazine peut faire appel en matière de conseils et d’orientations. Il compte actuellement une quinzaine d’intervenants. Parmi ceux-ci, on compte notamment Olivier De Schutter, Caroline Lamarche, Ariane Estenne, Charlotte Luyckx, Arnaud Zacharie, soit autant de personnalités fortes.

Il est donc toute une vie sociale autour d’un magazine qui aime à scander l’année de rencontres, de mises au vert, de séances d’écriture collective, de workshops, etc. C’est ainsi tout un brassage procédant par groupes restreints et cellules productives et qui se donne pour objectif d’inventer le monde de demain.

Jacques DUBOIS

Imagine, c’est un magazine belge, bimestriel et alternatif, qui traite des questions d’écologie, de société et de relations Nord-Sud. Il est édité par une asbl, indépendante de tout groupe de presse et de tout parti politique, et géré par l’équipe qui le réalise. Imagine s’inscrit dans le courant slow press et défend un journalisme d’impact, au long cours, à la fois vivant et critique, apaisé et constructif. Tous les deux mois, il recherche la qualité plutôt que la quantité. Il ralentit pour offrir à ses lecteurs une information originale, fiable et nuancée. Contact : Imagine, boulevard Frère-Orban 35A, B-4000-LIEGE (site du magazine).


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : diacritik.com (article du 6 avril 2022) | mode d’édition : partage et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Imagine Magazine.


Il y a presse et presse…

BONMARIAGE : Fleurs de Chine (2013, Artothèque, Lg)

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BONMARIAGE Marie-France, Fleurs de Chine
(lithographie, n.c., 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

M-F. Bonmariage © esperluete.be

Marie-France BONMARIAGE est née le 10 mai 1964 à Hermalle-sous-Argenteau. Diplômée de Saint-Luc Liège en peinture, et formée en gravure aux Beaux-Arts de Verviers, elle enseigne les arts plastiques. Elle obtient en 2002 le prestigieux Prix de la gravure et de l’image imprimée de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Marie-France Bonmariage développe un travail abstrait, basé sur un trait délicat et tout en nuances, et des variations de couleurs et de compositions.

Cette lithographie de Marie-France Bonmariage est une grande composition abstraite présentant un délicat et inextricable enchevêtrement de traits dans des tonalités roses. Cette œuvre incite le spectateur à se perdre dans d’innombrables cheminements induits par la méticulosité du trait ou inversement, plissant les yeux, à embrasser cette forme nuageuse et changeante.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Marie-France Bonmariage ; esperluete.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LIOGIER : Le bouddhisme qui séduit les Occidentaux est un fantasme

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[BONPOURLATETE.COM, 18 septembre 2017] Comment le bouddhisme peut-il engendrer la violence et la haine ethnique? C’est la question posée par la tragédie des Rohingyas de Birmanie. Pour le cinéaste Barbet Schroeder, converti au bouddhisme par idéal pacifiste, c’est la question de toutes les désillusions. Il y apporte une réponse désespérée dans Le Vénérable W (2017). Raphaël Liogier, sociologue des religions, documente le constat : le bouddhisme, que nous adorons idéaliser, n’échappe pas à la tentation fondamentaliste. Dans une interview parue en 2015, il avertit : le cas de la Birmanie n’est pas isolé. Un pan-nationalisme bouddhiste anti-islam se développe en Asie du Sud-est.

La violence au nom du bouddhisme, c’est un phénomène nouveau ?

Non, elle a déjà existé dans l’histoire. Les kamikazes zen durant la Seconde Guerre mondiale étaient, avant d’être envoyés au sacrifice, nourris de sermons. Ils y apprenaient à abandonner leur ego au nom du grand Japon, assimilé à la vacuité, objet de la quête bouddhiste.

Mais la notion de non-violence est bien un concept central du bouddhisme originel ?

Elle vient plutôt du djaïnisme, cette religion minoritaire indienne qui était celle de Gandhi. Dans le bouddhisme, la notion est moins centrale. Ce qui est fondamental, c’est l’idée que le désir engendre la souffrance. C’est également le souci de ne pas engendrer la souffrance d’autrui. Mais un principe de base peut donner lieu à toutes sortes d’interprétations. Ainsi, le samouraï, en tuant l’ennemi, lui épargne une vie de souffrance et d’aveuglement. Il est de la sorte autorisé à tuer s’il le fait au nom d’un bien supérieur.

Il n’y a donc pas une spécificité non violente du bouddhisme, et de malheureuses distorsions subséquentes du message originel ?

Tout dépend de ce qu’on entend par message originel. Par rapport au message du Bouddha, bien sûr, il y a distorsion. Tout comme il y en a eu par rapport au message de Jésus. En théorie, comme le christianisme et la plupart des religions, le bouddhisme n’est pas violent. Et, pourtant, comme les autres religions, il a nourri la violence à un moment ou un autre de son histoire. Il n’y a pas de spécificité bouddhiste, c’est une religion comme les autres. Tout le monde se réfère à la tradition, mais la tradition comprend toujours une part de négociation avec le message originel.

Dans la construction des Etats modernes tout particulièrement, le bouddhisme a joué un rôle important pour alimenter le nationalisme.

Le moine politicien, engagé dans les conflits et détenteur de pouvoir, c’est aussi dans la tradition ?

Originellement, non : le moine est un mendiant, qui abandonne tout pouvoir et toute possession. Mais dans l’histoire de la Birmanie, du Sri Lanka, de la Thaïlande, oui, le moine engagé, voire chef de guerre, est une figure ancienne. Dans la construction des Etats modernes tout particulièrement, le bouddhisme a joué un rôle important pour alimenter le nationalisme.

Pourquoi la violence bouddhiste éclate-t-elle particulièrement au Sri Lanka et en Birmanie ?

Au Sri Lanka, depuis longtemps, la religion est instrumentalisée dans le conflit interethnique, qui est très ancien. En Birmanie, une partie du clergé bouddhiste a activement participé à la construction du régime militaire et constitue actuellement encore un véritable pouvoir parallèle. Il y a dans ce pays aussi un ethnocentrisme très fort, qui vire parfois au racisme. Tout cela dans un contexte plus général: celui de l’émergence, à l’échelle de l’Asie du Sud-Est, d’un pan-nationalisme tourné contre l’islam, sur fond d’insécurité identitaire. Le discours qui l’alimente rappelle beaucoup celui de la défense de l’Occident chrétien.

Le bouddhisme aussi a servi de levier anticolonialiste, mais avec cette spécificité : c’était une religion admirée en Occident.

Ce fondamentalisme est-il un phénomène marginal ou faut-il craindre son expansion ?

Le fondamentalisme est en expansion, mais c’est un phénomène mondialisé. Globalement, à l’échelle de la planète, on observe aujourd’hui trois tendances qui font système et dépassent les différences entre religions : celle du spiritualisme, axé sur la quête de sens et la méditation. C’est un courant qui a beaucoup de succès dans les pays riches. Il y a ensuite le charismatisme, qui met l’accent sur l’émotion collective et qui est surtout le fait du protestantisme évangélique, en Afrique, en Amérique latine, en Asie et aux Etats-Unis, surtout dans les populations défavorisées. Et puis il y a le fondamentalisme, alimenté par le rejet, le retour vers le passé, le refus de l’ouverture. C’est une posture réactive, qui existe dans toutes les religions et se développe surtout là où les populations souffrent d’un manque de reconnaissance de soi.

Comme dans les pays du Moyen-Orient ?

Oui, ce qui se passe avec l’islam et ses dérives au Moyen-Orient n’a rien à voir avec l’islam lui-même. C’est une conséquence de l’histoire : les popu犀利士
lations de cette région ont été particulièrement humiliées par la puissance occidentale. Pour parler comme les psychanalystes, il y a eu une grande blessure narcissique qui a engendré un désir de vengeance. En Asie aussi, le bouddhisme a servi de levier anticolonialiste, mais avec cette spécificité : c’était une religion admirée en Occident, et cela dès le XIXe siècle. La blessure narcissique était donc moins grande, et le fondamentalisme s’est développé à une échelle moindre.

Mais cette religion que nous admirons tant n’est pas réelle, expliquez-vous…

Le bouddhisme qui séduit les Occidentaux est un fantasme, une sorte de mise en scène planétaire et suresthétisée de traditions qui n’ont jamais existé de cette manière. Le paradoxe, c’est que le bouddhisme s’est transformé en Asie même pour ressembler au fantasme occidental. Aujourd’hui, les temples et les moines constituent une attraction touristique majeure. Et pour être sur la photo, il faut être une sorte d’hyperbouddhiste exotisé…

Le touriste cherche en Birmanie un monde-musée, une mise en scène de traditions, quitte à ce qu’elles soient surjouées.

Prenons l’exemple du fameux monastère aux 3.000 moines, le Mahagandayon de Mandalay, un passage obligé du touriste en Birmanie : on y croise plus de photographes que de moines…

L’exemple le plus spectaculaire est chinois : c’est celui de l’ancien monastère de Shaolin, qui abrite traditionnellement des moines-guerriers. Il y a cinquante ans, il était vide et abandonné. Puis il a été rouvert et peuplé de moines-gymnastes, plus gymnastes que moines, qui font le tour du monde avec leurs spectacles d’arts martiaux. Il s’agit d’une reconstitution pure et simple, entièrement tournée vers le tourisme et le public. Dans le cas du monastère birman, il y a une continuité entre la tradition et ce qui est donné à voir aux touristes. Mais cette tradition est suresthétisée à leur intention.

A voir ces moines qui vivent sous l’œil des appareils photo, on se demande ce que devient leur vie intérieure : la quête spirituelle qui devrait être la leur n’est-elle pas complètement dévoyée ?

C’est vrai qu’ils sont comme des acteurs dans une sorte de Disneyland religieux. Tout de même, ce qu’il faut savoir, c’est que ce cérémonial tourné vers le public fait partie de la tradition du bouddhisme Theravada, pratiqué notamment en Birmanie et en Thaïlande. Dans cette voie des anciens, où le nirvana ne peut être atteint que par les moines, ces derniers sont de deux catégories : les moines de la forêt, essentiellement tournés vers la méditation, et les moines des villes, qui sont là pour faire le lien avec l’extérieur et nourrir la religiosité populaire. Les moines des villes mettent l’accent sur le cérémonial, les offrandes et la récitation en pali, un idiome ancien que personne ou presque ne comprend, y compris parmi les moines.

Une religiosité qui frôle la superstition, c’est en tout cas l’impression que l’on a en Birmanie…

Vous n’êtes pas la seule à réagir ainsi. Le paradoxe, c’est qu’aux yeux des Occidentaux en quête de spiritualité, le modèle le plus intéressant est celui des moines de la forêt. Parmi ses premiers importateurs en Occident, il y a les soldats états-uniens basés en Thaïlande pendant la guerre du Vietnam. Certains, après leur démobilisation, sont restés sur place, avec les moines de la forêt, pour chercher à retrouver une sérénité existentielle. Avant de rentrer chez eux avec leur bagage bouddhiste. La demande du touriste en Thaïlande ou en Birmanie, elle, est différente de celle de l’Occidental engagé dans une quête spirituelle : il cherche un monde-musée, une mise en scène de traditions, quitte à ce qu’elles soient surjouées.

Anna LIETTI


Raphaël Liogier © DR

Sociologue et philosophe français, Raphaël Liogier dirige depuis 2006 l’Observatoire du religieux. Il a publié en 2008 A la rencontre du dalaï-lama et observe comment le bouddhisme s’est imposé comme la “bonne” religion. Ses travaux portent sur l’évolution des croyances au niveau mondial et décrivent l’émergence d’un «individuoglobalisme». On lui doit également :

        • Souci de soi, conscience du monde. Vers une religion globale ? (2012),
        • Le bouddhisme mondialisé (2004).

[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : bonpourlatete.com (original : le1hebdo.fr) | mode d’édition : partage et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : entête d’article (Le moine Ashin Wirathu, personnage central du film Le Vénérable W est l’idéologue de l’épuration ethnique en Birmanie) © DR.


Plus de presse…

FROIDEBISE, Jean-Pierre (né en 1957)

Temps de lecture : 5 minutes >

Né à Liège en 1957, guitariste autodidacte au départ, Jean-Pierre FROIDEBISE commence par se produire au sein de formations orientées vers le blues et le folk. Il rencontre ensuite Bill FrisellSteve Houben (avec qui il jouera plus tard) qui lui prodigue des cours d’harmonie au séminaire de jazz de Liège, où il suit également les cours du guitariste Serge Lazarevich, les cours d’arrangements de Michel Herr et ceux de Guy Cabay.

Dans les années 80, il joue entre autres avec  Pierre Rapsat, BJ Scott, Pascal Charpentier, Jacques Ivan Duchesne, Christiane Stefanski. Guitariste de l’Eurovision en 1986, il participe à plusieurs émissions pour la RTBF où il joue notamment avec Juliette Greco, Nicoletta, Michel Fugain, Adamo, etc.

Il travaille également avec Daniel Willem, le premier violoniste belge à utiliser un violon électrique et rejoint le groupe “Baba Cool”, où il tient la guitare aux côtés de Stéphane Martini. Il fonde ensuite le groupe rock “Such a Noise” qui sortira quatre albums entre 1991 et 1996 et tournera régulièrement en Europe (nombreuses premières parties de groupes comme Deep Purple, Peter Gabriel, John Hammond, Luther Alison, Albert Colins, Robben Ford). A l’occasion du 20ème anniversaire de la disparition de Jimi Hendrix, le groupe invitera les guitaristes Uli Jon Roth et Randy Hansen pour quelques concerts.

À partir de 1998, il est guitariste au cirque moderne Feria Musica pendant une dizaine d’années (Paris, Berlin, Amsterdam.). Il est lead guitar dans la version française de Jésus-Christ Superstar sous la direction de Pascal Charpentier.

Il enregistre à son nom : Freezing to the Bone (blues en anglais), Eroticomobile (chanson française) en compagnie de Thierry Crommen (harmonica), Jack Thysen (guitare basse) et Marc Descamps (batterie).

En 2010, avec René Stock et Marcus Weymaere, il enregistre  le CD/DVD The Mind Parasites en trio avec de nouvelles compositions et des reprises de blues, de Bob Dylan, de Jimi Hendrix, suivi en 2011 d’un Live@the Montmartre.

JP Froidebise (Such A Noise) © Philippe Vienne

A partir de 2011, il commence à se produire en solo, accompagné de ses guitares et ses processeurs de son. Il nous transporte dans un univers très personnel fait de poésie et de chansons. Il a donné de nombreuses master-class et a exercé comme professeur de guitare et animateur de stages d’été aux Jeunesses musicales Wallonie Bruxelles et dans divers foyers culturels.

Il s’est produit en duo avec Steve Houben, avec la virtuose chinoise Liu Fang, Daniel Willem ainsi qu’avec sa sœur Anne Froidebise aux grands orgues ; il a occasionnellement accompagné la chanteuse américaine Lea Gilmore.

Avec  Froidebise Soft Quartet (composé de Manuel Hermia, François Garny et Michel Seba), il enregistre Soft Music for Broken hearts (ballades et poèmes en français et en anglais).

En 2012, il monte un orchestre le Froidebise Orchestra se composant de trois violonistes classique, d’une section de cuivres de jazz, une rythmique rock/funk  et un harmoniciste. L’enregistrement d’un album studio est réalisé en avril 2014 chez Home Records et la sortie de l’album en février 2015.

En avril 2013, Paris Tour 2013 avec le bluesman Karim Albert Kook. Avec le guitariste de jazz Jacques Pirotton, il monte un quartet orienté Jazz-Rock, Froidebise/Pirotton Quartet qui verra le jour en janvier 2015.

Jean-Pierre Froidebise est apprécié pour ses compositions, ses solos de guitare qu’il pousse au paroxysme mais aussi pour ses textes et son humour parfois décapant.

Au cours de l’été 2014, le luthier fou Jérôme Nahon réalise son rêve, le Théorbaster. Un instrument de 13 cordes, prototype électrique qui est un mélange du théorbe et de la célèbre Stratocaster, dont Jean-Pierre explore les possibilités actuellement.

d’après JEANPIERREFROIDEBISE.WIXSITE.COM


Pour ceux qui n’apprécieraient pas mes opinions sur tout, j’ai également des opinions en-dessous de tout

Jean-Pierre Froidebise

Jean-Pierre Froidebise fait partie de notre univers musical depuis des décennies. Comme guitariste dans les années 80, derrière des chanteurs et chanteuses belges (Rapsat, BJ Scott..), puis comme bluesman, comme rockeur dans Such A Noise et comme musicien, voire acteur, impliqué dans de nombreux projets musicaux. Sa récente activité musicale le voit aux côtés du guitariste Jacques Pirotton dans un superbe quartet jazz blues rock.

ISBN : 978-2-8083-1369-8

Et puis il y a aussi ce livre. Ce que beaucoup d’entre nous ignorions, c’est que Jean-Pierre Froidebise est passionné par les mots, par la poésie. Ce premier livre (le second est déjà bien élaboré) est disponible en circuit court. Du producteur au consommateur. Pas d’intermédiaire : vous lui envoyez un mot via Messenger et il vous suffira de payer 18 euros, frais d’envoi compris, pour le recevoir. J’adore cette démarche, à la demande, rien au rebut ! Ce livre est une compilation de textes, de réflexions, de poèmes, de quelques citations d’illustres personnages (Gandhi, Jules Renard, Paul Valery, Jimi Hendrix…) initialement publiés sur Facebook, qu’il a remaniés quelque peu et qu’il nous livre comme un fourre-tout, sans ligne du temps, sans logique, sans chapitre.

On y ressent les frustrations du musicien vis-à-vis de la scène live, du marché musical, des radios désormais toutes formatées, de l’inhumanité qui prévaut. Il y a aussi de nombreuses et brèves réflexions, teintées d’humour parfois très noir sur, entre-autres, les codes idiots de l’actuelle chanson française (“Faites du bruit !” que tout le monde lance bêtement comme appât), Live Nation et son pouvoir absolu, les rapports difficiles entre les musiciens, les créateurs et les institutions belges, le système capitaliste, les religions, la publicité.

Entre poésie et coups de gueule tout se voit imprimer pour permettre à cet artiste de vider son cœur, de laisser s’exprimer ses ressentis et par là même de nous attendrir, de nous conscientiser sur certaines conditions de vie dans le milieu musical. Et parfois dans le sien. Il ne m’en voudra pas si je vous dévoile cette petite perle : “Pour ceux qui n’apprécieraient pas mes opinions sur tout, j’ai également des opinions en dessous de tout”. Comme il n’émet pas d’opposition à la publication de cette phrase, je vous en refile en vitesse une seconde : “J’écoute Haendel…with care”. Eh oui, c’est du bon ! J’arrête les exemples et vous conseille tout de go d’ouvrir Messenger afin de passer votre commande. Ce sera l’occasion d’abord de faire un bel investissement en soutenant une démarche originale, et ensuite de passer de très bons moments de lecture.

d’après JAZZMANIA.BE

… Mais n’en parlons plus
je vous prie
Tout cela n’a aucun sens
et de plus
au milieu du silence
quelqu’un risquerait
de nous entendre
ne rien nous dire.

Jean-Pierre Froidebise


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : en tête de l’article, Jean-Pierre Froidebise © Robert Hansenne ; Philippe Vienne.


Plus de musique…

A la découverte des (vrais) animaux qui se cachent derrière Nessie, le Yéti ou le Kraken

Temps de lecture : 7 minutes >

Une étude vient de suggérer qu’une “grosse anguille” pourrait bien se cacher derrière le monstre du Loch Ness. Petites explications scientifiques sur ce qui se dissimule derrière Nessie, qui serait avant tout un mirage, et quelques autres créatures mythiques, du Yéti au Kraken.

La cryptozoologie, la “science des animaux cachés”, enquête sur les animaux dont l’existence est controversée, et dont la réalité n’est attestée que grâce à des témoignages. Certains, devenus des créatures mythiques, à l’image du Léviathan ou du Yéti, ont fait l’objet d’études sérieuses, qui remontent aux origines mêmes de ces monstres populaires, voire quasi-légendaires.

Petit “débunkage” en règle, avec Benoît Grison, auteur du Bestiaire énigmatique de la cryptozoologie : du Yéti au Calmar géant.

Il y a assez souvent, en cryptozoologie, des animaux qui sont supposés inconnus mais qui ne sont que des animaux rares, mal observés ou mésinterprétés par des gens qui ne sont pas des naturalistes. Il peut y avoir des animaux inconnus, parce qu’il reste beaucoup de faune à découvrir. Mais il est très très rare qu’il n’y ait rien du tout derrière, qui ne soit pas biologique.

Benoît Grison

Derrière Nessie, des phénomènes naturels (et des phoques)
© Philippe Vienne

Qui n’a pas entendu parler du monstre du Loch Ness – Nessie pour les intimes – cette fameuse créature digne de la préhistoire, dont la tête et le long cou affleurent à la surface de l’eau ? Le nombre de témoins a longtemps intrigué les naturalistes, certains d’entre eux adhérant à l’hypothèse d’une créature marine.

Une idée que vient conforter une étude parue ce jeudi 5 septembre [2019] et qui estime qu’une grosse anguille pourrait bien se cacher derrière la créature mythique. En juin 2018, l’équipe de Neil Gemmell, de l’université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, a recueilli plus de 200 échantillons ADN dans le célèbre lac écossais. Après analyse de près de 500 millions de séquences, le généticien n’a découvert aucune trace de plésiosaure, une famille de grands reptiles aujourd’hui disparus. En revanche, de “nombreuses séquences ADN d’anguilles” ont été retrouvées, si bien que l’hypothèse de “très grosses anguilles” ayant pu être prises pour Nessie semble plausible aux chercheurs… qui cherchaient avant tout à étudier les différents organismes présents dans le lac.

Mais si les témoignages d’une créature mythique hantant le lac écossais sont aussi nombreux (plus d’un millier entre 1933 et aujourd’hui), c’est avant tout parce que nombre de personnes ont été victimes de mirages, dus aux conditions climatiques du Loch Ness.

On oublie souvent que le Loch Ness est un lac de très grande taille, 7 milliards de m³ d’eau, et où il y a des mirages, raconte Benoît Grison. Quand vous avez par exemple un madrier qui flotte à la surface du Loch Ness et qu’il est réfracté, on peut avoir l’impression d’un cou d’animal qui se dresse au dessus de l’eau.” A l’origine de ces mirages, le phénomène naturel de “la couche thermique d’inversion” (la couche profonde de l’eau demeure à une température constante, plus froide, alors que celle de la surface fluctue) peut créer une réfraction en surface. Ce phénomène est non seulement à l’origine de mirages susceptibles de distordre et d’agrandir ce qui se trouve dans l’eau (comme du bois mort par exemple) mais la friction des couches d’eau à des températures différentes peut entraîner la formation de “vagues sans vents”, donnant l’impression que se forme en surface le sillage d’une créature marine, comme si quelque chose se déplaçait juste sous la surface du lac.

De temps en temps, quelques phoques se sont introduits dans le Loch Ness, périodiquement, ce que les riverains ignoraient“, ajoute Benoît Grison. Ces mêmes phoques, probablement déformés du fait des mirages, sont certainement à l’origine de nombreux témoignages.

© geo.fr
Le Yéti, mi-singe mi-ours ?

Le Yéti c’est un petit peu compliqué : il y a deux groupes de témoignages complètement cohérents phénoménologiquement, poursuit Benoît Grison. Il y a un groupe au sud de l’Himalaya, avec des témoignages anciens et sérieux, qui décrivent l’animal comme une sorte d’Orang-outan terrestre. En revanche, au Tibet, il est décrit comme un ours.

Au Népal, au sud de l’Himalaya, les témoignages sont anciens et se sont raréfiés au fil du temps, “soit c’est un mythe en train de s’éteindre, soit il n’est pas impossible biologiquement que l’Orang-outan continental, qui vivait il y a quelques milliers d’années dans cette région d’Asie, ait survécu dans les forêts himalayennes un peu plus tard qu’on ne le croit“. Là où au Népal le Yéti est décrit comme ayant une apparence simiesque, au Tibet, en revanche, on le qualifie plus volontiers d’humanoïde couvert de poils et s’attaquant au bétail. “Les nuances de couleur de la fourrure correspondent à l’ours bleu. C’est un animal redoutable, impressionnant, qui se met facilement sur ses deux pattes arrières et qui s’attaque au bétail : il a tout pour faire un parfait croque-mitaine“.

Le Yéti aurait donc une origine bicéphale : les récits d’une créature simiesque et ceux d’une créature humanoïde se confondant volontiers. Reste qu’une créature proche du Yéti a réellement existé : le gigantopithecus, éteint il y a 100 000 ans, était un singe qui pouvait faire 3 m de haut et peser jusqu’à 350 kilos.

© futura-sciences.com
Le Kraken ? Un calmar géant et quelques canulars

Cet animal mythique, issu des légendes scandinaves, a évidemment été inspiré par le calmar géant. Dans les légendes, le Kraken tient beaucoup de la bête-île : “quand les marins arrivent sur une île, ils font un feu, et réalisent un peu tard qu’il s’agit en réalité d’un monstre marin ; mais dans sa dimension tentaculaire, on a compris qu’il a été inspiré par le calmar géant, qui n’a été décrit scientifiquement qu’en 1857. C’est récent, à l’échelle de l’histoire des sciences“.

Le calmar géant, ou Architeuthis, est un animal qui vit en profondeur, à plus de 1000 mètres, précise Benoît Grison. Quand un Architeuthis arrive à la surface, c’est qu’il est moribond, et en très mauvais état physiologique. Ses tentacules s’agitent, mais c’est parce qu’il est en train d’agoniser. Il est clair que la vision de calmars qui peuvent atteindre 17 mètres, pour les marins d’autrefois, avec les mouvements convulsifs des tentacules, ça pouvait impressionner.

Des canulars ont achevé de perpétuer la légende du Kraken engloutissant les navires au fond des abysses : lorsque la découverte scientifique du calmar géant fut confirmée, de nombreux journaux de l’époque prétendirent que des bateaux avaient été coulés. “Ces bateaux n’ont jamais existé, en sourit l’auteur du Bestiaire énigmatique de la cryptozoologieLe dernier dans cette lignée là, c’est Olivier de Kersauson, qui a prétendu que son trimaran avait été saisi par un calmar géant. Il a affirmé que le calmar avait saisi de ses bras la coque de son bateau à voiles et l’avait ralenti. Un ami qui travaillait pour l’Ifremer, à Brest, a demandé s’il était possible d’examiner la coque une fois le trimaran rentré, mais bien entendu il a refusé…

Regalec © aquaportail.com
Le Léviathan : “roi des harengs” ou colonies d’organismes ?

Dans la Bible, le terme de Léviathan est avant tout synonyme de monstre, et ne renvoie pas à un animal précis. “Il y a une fusion des mythes : les scandinaves ont fait une relecture du Léviathan comme étant leur serpent de mer (Jörmungand, ndlr), et c’est ce qui s’est imposé dans la culture occidentale. Dans la période moderne, les gens utilisent le serpent de mer pour tout ce qui a une forme allongée dans les océans, c’est un mot-valise.

En lieu et place de serpents de mer, il s’agit surtout d’animaux rares et surprenants, parmi lesquels le Régalec, surnommé “Roi des harengs” ou “Ruban de mer”. Ce poisson osseux, doté d’une crête rouge sur la tête et à l’air patibulaire, peut faire jusqu’à 8 mètres de long. “C’est un animal tellement rare que les biologistes se demandent encore s’il y a une ou deux espèces“.

Parmi les autres créatures susceptibles d’évoquer un serpent de mer, les pyrosomes arrivent en bonne place : ces organismes pré-vertébrés se regroupent en colonies. D’une taille de quelques millimètres, plusieurs centaines de milliers de ces organismes peuvent se coller les uns aux autres pour former de longs tubes pouvant atteindre jusqu’à 12 m de long.

La mer est très mal connue, tient cependant à préciser Benoît Grison. Il y a au moins un tiers des espèces marines qu’on ne connaît pas, donc on ne peut pas exclure que pour un témoignage restant qui semble cohérent, il y ait une créature inconnue.

Balaeniceps © sylvancordier.com
Des ptérodactyles survivants ? Non, la silhouette du Balaeniceps

Malgré les fantasmes, on est encore bien loin du Jurassic Park de Michael Crichton. En Afrique australe, notamment en Namibie et au Botswana, des rumeurs insistantes avaient décrit des reptiles volants tout droit surgis de l’ère secondaire. “C’était des témoignages crédibles, de fonctionnaires coloniaux, relate Benoit Grison. Mais en fait, il y a cet oiseau extrêmement étrange, le Balaeniceps, ou Bec-en-sabot, qui, en vol, a une silhouette parfaitement ptérosaurienne“.

Ça tient à son bec extraordinaire, extrêmement massif, et à sa silhouette. Les témoignages honnêtes de créatures ptérosauriennes se retrouvent tous dans l’aire de distribution du Bec-en-sabot. Il y a une certaine cohérence derrière le témoignage, les gens sont sincères, mais il s’agit d’une réinterprétation massive. C’est finalement bien plus fréquent que les mystifications.

d’après FRANCECULTURE.FR


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | source :  franceculture.fr | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : © bbc.com ; © Philippe Vienne ; © geo.fr ; © futura-sciences.com ; aquaportail.com ; sylvancordier.com.


Plus de presse…

CREVECOEUR : Souvenirs de Libramont (2011, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

CREVECOEUR Kikie, Souvenirs de Libramont
(gravures sur gommes, 50 x 50 cm, 2011)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Kikie Crèvecoeur © esperluete.be

Diplômée de l’Atelier de Gravure à l’Académie Royale des Beaux- Arts de Bruxelles, Kikie CREVECOEUR a effectué de nombreux stages en Belgique et à l’étranger (France, Italie, Québec, Serbie, Chili, Suisse…). Elle propose un travail sériel, souvent inspiré par le quotidien, le cinéma, la BD, les pictogrammes … Son œuvre, qui procède souvent de la juxtaposition, concerne souvent l’intime, l’événement banal (sujet pour lequel elle privilégie l’usage de gommes gravées). Mais elle travaille aussi une certaine abstraction, dans ses études de feuillages et de motifs végétaux, ou géométriques, qu’elle organise en de grandes compositions très graphiques. (d’après CULTUREPLUS.BE)

Cette suite d’images émaillée d’éléments textuels relate des souvenirs d’un séjour de l’artiste à Libramont. Le texte nous indique qu’il s’agissait de l’AKDT de juillet 1983, stage organisé par la Royale académie internationale d’été de Wallonie (où elle enseignera quelques années après). Chaque image et portion de texte est réalisée sur une gomme (une simple gomme). Chaque vignette est donc gravée et imprimée séparément, puis juxtaposée, créant ainsi un continuum proche de la bande dessinée, une narration lâche faite d’impressions et de souvenirs diffus.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Kikie Crèvecoeur ; esperluete.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Face au sexisme, revoir l’éducation des garçons

Temps de lecture : 6 minutes >

[LETEMPS.CH, 29 janvier 2018] Alors qu’on encourage les fillettes à tordre le cou aux préjugés, les petits mâles sont maintenus dans de vieux schémas virils. Même si, du magasin de jouets au jardin d’enfants, les pratiques commencent à changer. Dans [une] récente tribune polémique de cent Françaises revendiquant le “droit d’importuner”, une phrase a fait bondir les experts en “études de genre” : celle proclamant qu’il fallait “éduquer les filles […] de sorte qu’elles soient suffisamment informées et conscientes pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabiliser“.

Outre le fait que bien des parents n’ont pas attendu ce texte pour lire aux fillettes Le Petit Chaperon Rouge, qui les met en garde contre le grand méchant loup depuis des siècles, cette saillie laisse surtout “croire que le problème serait les filles, alors qu’elles sont la cible de différentes formes de sexisme“, estime Caroline Dayer, sociologue des genres et experte en prévention des violences et discriminations pour le canton de Genève. Pire selon elle, cette sentence oblitère l’enjeu majeur que représente l’éducation des garçons dans les questions d’égalité.

Dès 3 ans, les enfants ont conscience que les adultes ont des conduites différentes en fonction du sexe assigné…

Caroline Dayer, spécialiste des questions de genre à Genève

Car les jeunes pousses masculines sont loin d’être épargnées par les clichés sexistes qui peuvent contaminer leurs relations avec le sexe opposé, mais aussi nuire à leur épanouissement. Les clivages commencent même dès le berceau puisque, selon des études, l’interprétation des pleurs des bébés n’est pas toujours identique: aux larmes des nourrissons féminins sera associée la peur, à celles des bébés masculins, la colère… et donc moins tolérées.

© Tom Tirabosco
Garçonnets discriminés

Pour s’en convaincre, les enseignants d’une école maternelle suédoise se sont filmés plusieurs jours dans leur travail. Ils ont découvert que, même au pays de la parité chevillée aux lois (la Suède est 4e au rang du classement mondial Global Gender Gap), ils n’avaient pas la même attitude envers les deux sexes, réclamant plus souvent aux fillettes la sagesse, et consolant moins les garçonnets. L’école a adopté plusieurs solutions radicales pour rétablir l’équilibre, notamment en bannissant les termes “fille” et “garçon” au profit du pronom neutre “hen”, disponible dans la langue suédoise.

Nous décourageons nos fils d’avoir des intérêts considérés comme féminins. On leur dit d’être durs à tout prix…

Claire Cairn Miller, journaliste au New York Times

Nous essayons d’enlever les barrières qui empêchent les garçons et les filles de faire ce qu’ils et elles veulent, afin que les enfants aient les mêmes chances de sentir et s’exprimer“, clame la directrice Lotta Rajalin, qui donne aussi des TED Talks sur les bienfaits de l’éducation neutre. D’autant que les enfants repèrent tôt les différences de comportements, comme le souligne Caroline Dayer : “Dès 3 ans, ils ont conscience que les adultes ont généralement des conduites différentes en fonction du sexe assigné, et les pratiques genrées vont encourager les enfants à investir certaines activités et développer davantage certaines compétences. Par exemple, les filles sont plutôt incitées à travailler le langage, les relations et la gestion des émotions, mais aussi à être dociles. Les garçons sont davantage incités à l’exploration, l’autonomie, la transgression et l’affirmation de soi, mais sont moins bien outillés sur la gestion des émotions…

12 ans, l’âge des clichés

Et dès 10-12 ans, selon cette fois une étude codirigée par l’OMS à travers le monde, les clichés selon lesquels les filles seraient naturellement plus passives et les garçons physiquement plus forts et indépendants sont intégrés, ce qui “fait courir un grand risque aux filles de quitter l’école précocement, de subir des violences physiques ou sexuelles, et peut pousser les garçons à se montrer violents ou à consommer des drogues“, conclut l’enquête.

L’inégale répartition des tâches domestiques et des rémunérations s’immisce même au royaume des bambins, puisque les filles entre 10 et 17 ans consacrent deux heures hebdomadaires de plus que les garçons aux corvées ménagères, tandis que ceux-ci sont 15% plus susceptibles d’être payés quand ils font ces mêmes tâches, d’après une enquête de l’Université du Michigan. Le sexisme du marché du jouet, qui n’a cessé de développer des mini-aspirateurs roses et des figurines de superhéros agressifs, n’arrange rien, même si certains distributeurs, tels les hypermarchés Super U, commencent à rétropédaler en publiant des catalogues dégenrés. Il faut dire que bien des parents, associations et mouvements ont grogné.

Idéal masculin

Mais il semble que l’encouragement à s’affranchir des clichés soit plus prégnant du côté de l’éducation des filles… En juin dernier, à l’occasion d’un article intitulé “Comment élever un fils féministe ?“, le New York Times pointait la persistance d’une construction du masculin toujours imbibée de compétition et d’intériorisation des émotions: “Nous sommes à présent plus susceptibles de dire à nos filles qu’elles peuvent être tout ce qu’elles veulent – une astronaute et une mère, un garçon manqué et une fille girly. Mais nous ne faisons pas la même chose avec nos fils […] on les décourage d’avoir des intérêts qui sont toujours considérés comme féminins. On leur dit d’être durs à tout prix, ou alors de réduire leur prétendue énergie de garçon“, se désolait la journaliste Claire Cain Miller. Ce que confirme une étude du Pew Research Center sur les activités enfantines. Car si 77% des sondés se disent favorables à encourager les fillettes à s’approprier les activités “de garçon”, ils ne sont que 64% à estimer qu’il est bon de faire l’inverse.

Les coûts de la transgression ne sont pas les mêmes : une fille qui joue au foot se fera moins railler qu’un garçon qui fait de la danse, en raison de la valorisation de ce qui est considéré comme masculin“, confirme Caroline Dayer. Mais la sociologue du CNRS Christine Castelain Meunier, spécialiste des genres, qui termine actuellement un essai sur l’éducation des enfants (Filles, garçons, repenser la mixité dans l’éducation) constate ces temps-ci “une légère tendance à survaloriser les filles, encouragées à se dépasser, alors qu’on renvoie toujours au garçon rêveur qu’il est mou. A l’école ou dans les familles, la nature des punitions est également plus dure à l’égard des garçons, et la société peut leur infliger pas mal de clichés pas marrants: qu’ils seraient plus désordonnés, moins bons à l’école, têtes en l’air, violents, bref, que c’est pas drôle d’éduquer un garçon. Et cela n’encourage pas vraiment au respect de soi-même.

Ou des autres. La tribune française au nom du “droit d’importuner” distillait d’ailleurs, au passage, un certain mépris des garçons en leur prêtant de fait un instinct de chasse. Auquel l’écrivaine Leïla Slimani a répondu dans sa propre tribune: “Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôlables.

© lsa
“On ne naît pas sexiste, on le devient”

Sébastien Chauvin, sociologue des genres à l’Unil, revient sur l’enjeu de l’éducation des garçons pour abolir les clichés.

Le Temps : En quoi l’éducation des garçons peut-elle éviter des mouvements comme #MeToo?

Sébastien Chauvin: Une des grandes raisons du sexisme dénoncé par #MeToo est que les hommes sont longtemps restés dans des clubs d’hommes : des univers masculins ségrégués dans lesquels on apprend à mépriser le féminin. C’est d’ailleurs ce qui vient d’arriver en Angleterre, avec la soirée caritative ne regroupant que des hommes de l’élite économique, où les participants ont harcelé les hôtesses, notamment par des attouchements. Mais on ne naît pas sexiste, on le devient. A un jeune âge, filles et garçons sont très ouverts, et une partie des comportements sexistes sont le produit de l’absence de modèles masculins pluriels, avec une persistance du modèle de l’homme dominant, viril, opposé à l’homme faible ou associé au féminin. Mais dès qu’on grandit dans des univers éducatifs mixtes, avec des jeux et interactions mixtes, on est notamment moins susceptible d’acquérir une notion de la sexualité comme une prise de pouvoir asymétrique sur autrui.

Est-ce que l’éducation des garçons à l’égalité est à la traîne par rapport à celle des filles?

L’éducation à l’égalité de genre s’est d’abord focalisée sur l’empowerment des filles. Par exemple, la journée “Oser tous les métiers” en Suisse, qui permet aux enfants de découvrir des métiers hors de tout cliché sexiste, fut d’abord la “journée des filles”, durant laquelle on leur faisait découvrir le métier de leur papa, des métiers “masculins”. La prise de conscience qu’il fallait aussi montrer aux garçons des métiers “féminins” a été plus tardive. C’est une entreprise plus difficile car le masculin se construit encore beaucoup dans le rejet du féminin. Pour les petits garçons, le féminin est “contagieux”, alors que ce n’est pas le cas pour le masculin auprès des filles.

C’est-à-dire?

Les parents offrent par exemple plus d’albums avec des héros masculins à leur fille que l’inverse. L’éventail vestimentaire est également plus large pour les filles que pour les garçons, où certaines couleurs demeurent taboues. Les parents se montrent aussi plus réticents à offrir une poupée Wonder Woman à un fils qu’un Batman à une fille. Même quand on se croit moderne, on se demande ce que penseront les voisins, amis… On ose toujours moins enfreindre les normes de genre pour un fils, avec la crainte confuse qu’il devienne “efféminé” ou pratique plus tard une sexualité redoutée. Et pourtant, les études démontrent une capacité des garçons à jouer avec des “jeux de fille” beaucoup plus grande que ce qui est fait. Mais là aussi, ils le font moins devant d’autres garçons, il y a une censure par les pairs. Et plus on introduit de la mixité, moins cela est vrai. Le sexisme vient aussi de la croyance qu’il n’y a pas d’autre façon possible d’être un garçon…

Julie Rambal


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Débattre encore…

BOURDIEU : L’essence du néolibéralisme (Le Monde diplomatique, mars 1998)

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[MONDE-DIPLOMATIQUE.FR, mars 1998] Cette utopie, en voie de réalisation, d’une exploitation sans limite : qu’est-ce que le néolibéralisme ? Un programme de destruction des structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur.

Le monde économique est-il vraiment, comme le veut le discours dominant, un ordre pur et parfait, déroulant implacablement la logique de ses conséquences prévisibles, et prompt à réprimer tous les manquements par les sanctions qu’il inflige, soit de manière automatique, soit — plus exceptionnellement — par l’intermédiaire de ses bras armés, le FMI ou l’OCDE, et des politiques qu’ils imposent : baisse du coût de la main-d’œuvre, réduction des dépenses publiques et flexibilisation du travail ? Et s’il n’était, en réalité, que la mise en pratique d’une utopie, le néolibéralisme, ainsi convertie en programme politique, mais une utopie qui, avec l’aide de la théorie économique dont elle se réclame, parvient à se penser comme la description scientifique du réel ?

Cette théorie tutélaire est une pure fiction mathématique, fondée, dès l’origine, sur une formidable abstraction : celle qui, au nom d’une conception aussi étroite que stricte de la rationalité identifiée à la rationalité individuelle, consiste à mettre entre parenthèses les conditions économiques et sociales des dispositions rationnelles et des structures économiques et sociales qui sont la condition de leur exercice.

Il suffit de penser, pour donner la mesure de l’omission, au seul système d’enseignement, qui n’est jamais pris en compte en tant que tel en un temps où il joue un rôle déterminant dans la production des biens et des services, comme dans la production des producteurs. De cette sorte de faute originelle, inscrite dans le mythe walrasien [NDLR : par référence à Auguste Walras (1800-1866), économiste français, auteur de De la nature de la richesse et de l’origine de la valeur (1848) ; il fut l’un des premiers à tenter d’appliquer les mathématiques à l’étude économique] de la théorie pure, découlent tous les manques et tous les manquements de la discipline économique, et l’obstination fatale avec laquelle elle s’accroche à l’opposition arbitraire qu’elle fait exister, par sa seule existence, entre la logique proprement économique, fondée sur la concurrence et porteuse d’efficacité, et la logique sociale, soumise à la règle de l’équité.

Cela dit, cette “théorie” originairement désocialisée et déshistoricisée a, aujourd’hui plus que jamais, les moyens de se rendre vraie, empiriquement vérifiable. En effet, le discours néolibéral n’est pas un discours comme les autres. A la manière du discours psychiatrique dans l’asile, selon Erving Goffman [Erving Goffman, Asiles. Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, 1968], c’est un “discours fort”, qui n’est si fort et si difficile à combattre que parce qu’il a pour lui toutes les forces d’un monde de rapports de forces qu’il contribue à faire tel qu’il est, notamment en orientant les choix économiques de ceux qui dominent les rapports économiques et en ajoutant ainsi sa force propre, proprement symbolique, à ces rapports de forces. Au nom de ce programme scientifique de connaissance, converti en programme politique d’action, s’accomplit un immense travail politique (dénié puisque, en apparence, purement négatif) qui vise à créer les conditions de réalisation et de fonctionnement de la “théorie” ; un programme de destruction méthodique des collectifs.

Le mouvement, rendu possible par la politique de déréglementation financière, vers l’utopie néolibérale d’un marché pur et parfait, s’accomplit à travers l’action transformatrice et, il faut bien le dire, destructrice de toutes les mesures politiques (dont la plus récente est l’AMI, Accord multilatéral sur l’investissement, destiné à protéger, contre les Etats nationaux, les entreprises étrangères et leurs investissements), visant à mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur : nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail, avec, par exemple, l’individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences individuelles et l’atomisation des travailleurs qui en résulte ; collectifs de défense des droits des travailleurs, syndicats, associations, coopératives ; famille même, qui, à travers la constitution de marchés par classes d’âge, perd une part de son contrôle sur la consommation.

Le programme néolibéral, qui tire sa force sociale de la force politico-économique de ceux dont il exprime les intérêts — actionnaires, opérateurs financiers, industriels, hommes politiques conservateurs ou sociaux-démocrates convertis aux démissions rassurantes du laisser-faire, hauts fonctionnaires des finances, d’autant plus acharnés à imposer une politique prônant leur propre dépérissement que, à la différence des cadres des entreprises, ils ne courent aucun risque d’en payer éventuellement les conséquences —, tend globalement à favoriser la coupure entre l’économie et les réalités sociales, et à construire ainsi, dans la réalité, un système économique conforme à la description théorique, c’est-à-dire une sorte de machine logique, qui se présente comme une chaîne de contraintes entraînant les agents économiques.

La mondialisation des marchés financiers, jointe au progrès des techniques d’information, assure une mobilité sans précédent de capitaux et donne aux investisseurs, soucieux de la rentabilité à court terme de leurs investissements, la possibilité de comparer de manière permanente la rentabilité des plus grandes entreprises et de sanctionner en conséquence les échecs relatifs. Les entreprises elles-mêmes, placées sous une telle menace permanente, doivent s’ajuster de manière de plus en plus rapide aux exigences des marchés ; cela sous peine, comme l’on dit, de “perdre la confiance des marchés”, et, du même coup, le soutien des actionnaires qui, soucieux d’obtenir une rentabilité à court terme, sont de plus en plus capables d’imposer leur volonté aux managers, de leur fixer des normes, à travers les directions financières, et d’orienter leurs politiques en matière d’embauche, d’emploi et de salaire.

Ainsi s’instaurent le règne absolu de la flexibilité, avec les recrutements sous contrats à durée déterminée ou les intérims et les “plans sociaux” à répétition, et, au sein même de l’entreprise, la concurrence entre filiales autonomes, entre équipes contraintes à la polyvalence et, enfin, entre individus, à travers l’individualisation de la relation salariale : fixation d’objectifs individuels ; entretiens individuels d’évaluation ; évaluation permanente ; hausses individualisées des salaires ou octroi de primes en fonction de la compétence et du mérite individuels ; carrières individualisées ; stratégies de “responsabilisation” tendant à assurer l’auto-exploitation de certains cadres qui, simples salariés sous forte dépendance hiérarchique, sont en même temps tenus pour responsables de leurs ventes, de leurs produits, de leur succursale, de leur magasin, etc., à la façon d’”indépendants” ; exigence de l’”autocontrôle” qui étend l’”implication” des salariés, selon les techniques du “management participatif”, bien au-delà des emplois de cadres. Autant de techniques d’assujettissement rationnel qui, tout en imposant le surinvestissement dans le travail, et pas seulement dans les postes de responsabilité, et le travail dans l’urgence, concourent à affaiblir ou à abolir les repères et les solidarités collectives.

L’institution pratique d’un monde darwinien de la lutte de tous contre tous, à tous les niveaux de la hiérarchie, qui trouve les ressorts de l’adhésion à la tâche et à l’entreprise dans l’insécurité, la souffrance et le stress, ne pourrait sans doute pas réussir aussi complètement si elle ne trouvait la complicité des dispositions précarisées que produit l’insécurité et l’existence, à tous les niveaux de la hiérarchie, et même aux niveaux les plus élevés, parmi les cadres notamment, d’une armée de réserve de main-d’œuvre docilisée par la précarisation et par la menace permanente du chômage. Le fondement ultime de tout cet ordre économique placé sous le signe de la liberté, est en effet, la violence structurale du chômage, de la précarité et de la menace du licenciement qu’elle implique : la condition du fonctionnement “harmonieux” du modèle micro-économique individualiste est un phénomène de masse, l’existence de l’armée de réserve des chômeurs.

Cette violence structurale pèse aussi sur ce que l’on appelle le contrat de travail (savamment rationalisé et déréalisé par la “théorie des contrats”). Le discours d’entreprise n’a jamais autant parlé de confiance, de coopération, de loyauté et de culture d’entreprise qu’à une époque où l’on obtient l’adhésion de chaque instant en faisant disparaître toutes les garanties temporelles (les trois quarts des embauches sont à durée déterminée, la part des emplois précaires ne cesse de croître, le licenciement individuel tend à n’être plus soumis à aucune restriction).

On voit ainsi comment l’utopie néolibérale tend à s’incarner dans la réalité d’une sorte de machine infernale, dont la nécessité s’impose aux dominants eux-mêmes. Comme le marxisme en d’autres temps, avec lequel, sous ce rapport, elle a beaucoup de points communs, cette utopie suscite une formidable croyance, la free trade faith (la foi dans le libre-échange), non seulement chez ceux qui en vivent matériellement, comme les financiers, les patrons de grandes entreprises, etc., mais aussi chez ceux qui en tirent leurs justifications d’exister, comme les hauts fonctionnaires et les politiciens, qui sacralisent le pouvoir des marchés au nom de l’efficacité économique, qui exigent la levée des barrières administratives ou politiques capables de gêner les détenteurs de capitaux dans la recherche purement individuelle de la maximisation du profit individuel, instituée en modèle de rationalité, qui veulent des banques centrales indépendantes, qui prêchent la subordination des Etats nationaux aux exigences de la liberté économique pour les maîtres de l’économie, avec la suppression de toutes les réglementations sur tous les marchés, à commencer par le marché du travail, l’interdiction des déficits et de l’inflation, la privatisation généralisée des services publics, la réduction des dépenses publiques et sociales.

Sans partager nécessairement les intérêts économiques et sociaux des vrais croyants, les économistes ont assez d’intérêts spécifiques dans le champ de la science économique pour apporter une contribution décisive, quels que soient leurs états d’âme à propos des effets économiques et sociaux de l’utopie qu’ils habillent de raison mathématique, à la production et à la reproduction de la croyance dans l’utopie néolibérale. Séparés par toute leur existence et, surtout, par toute leur formation intellectuelle, le plus souvent purement abstraite, livresque et théoriciste, du monde économique et social tel qu’il est, ils sont particulièrement enclins à confondre les choses de la logique avec la logique des choses.

Confiants dans des modèles qu’ils n’ont pratiquement jamais l’occasion de soumettre à l’épreuve de la vérification expérimentale, portés à regarder de haut les acquis des autres sciences historiques, dans lesquels ils ne reconnaissent pas la pureté et la transparence cristalline de leurs jeux mathématiques, et dont ils sont le plus souvent incapables de comprendre la vraie nécessité et la profonde complexité, ils participent et collaborent à un formidable changement économique et social qui, même si certaines de ses conséquences leur font horreur (ils peuvent cotiser au Parti socialiste et donner des conseils avisés à ses représentants dans les instances de pouvoir), ne peut pas leur déplaire puisque, au péril de quelques ratés, imputables notamment à ce qu’ils appellent parfois des “bulles spéculatives”, il tend à donner réalité à l’utopie ultraconséquente (comme certaines formes de folie) à laquelle ils consacrent leur vie.

© marianne.net

Et pourtant le monde est là, avec les effets immédiatement visibles de la mise en œuvre de la grande utopie néolibérale : non seulement la misère d’une fraction de plus en plus grande des sociétés les plus avancées économiquement, l’accroissement extraordinaire des différences entre les revenus, la disparition progressive des univers autonomes de production culturelle, cinéma, édition, etc., par l’imposition intrusive des valeurs commerciales, mais aussi et surtout la destruction de toutes les instances collectives capables de contrecarrer les effets de la machine infernale, au premier rang desquelles l’Etat, dépositaire de toutes les valeurs universelles associées à l’idée de public, et l’imposition, partout, dans les hautes sphères de l’économie et de l’Etat, ou au sein des entreprises, de cette sorte de darwinisme moral qui, avec le culte du winner, formé aux mathématiques supérieures et au saut à l’élastique, instaure comme normes de toutes les pratiques la lutte de tous contre tous et le cynisme.

Peut-on attendre que la masse extraordinaire de souffrance que produit un tel régime politico-économique soit un jour à l’origine d’un mouvement capable d’arrêter la course à l’abîme ? En fait, on est ici devant un extraordinaire paradoxe : alors que les obstacles rencontrés sur la voie de la réalisation de l’ordre nouveau — celui de l’individu seul, mais libre — sont aujourd’hui tenus pour imputables à des rigidités et des archaïsmes, et que toute intervention directe et consciente, du moins lorsqu’elle vient de l’Etat, par quelque biais que ce soit, est d’avance discréditée, donc sommée de s’effacer au profit d’un mécanisme pur et anonyme, le marché (dont on oublie qu’il est aussi le lieu d’exercice d’intérêts), c’est en réalité la permanence ou la survivance des institutions et des agents de l’ordre ancien en voie de démantèlement, et tout le travail de toutes les catégories de travailleurs sociaux, et aussi toutes les solidarités sociales, familiales ou autres, qui font que l’ordre social ne s’effondre pas dans le chaos malgré le volume croissant de la population précarisée.

Le passage au “libéralisme” s’accomplit de manière insensible, donc imperceptible, comme la dérive des continents, cachant ainsi aux regards ses effets, les plus terribles à long terme. Effets qui se trouvent aussi dissimulés, paradoxalement, par les résistances qu’il suscite, dès maintenant, de la part de ceux qui défendent l’ordre ancien en puisant dans les ressources qu’il recelait, dans les solidarités anciennes, dans les réserves de capital social qui protègent toute une partie de l’ordre social présent de la chute dans l’anomie. (Capital qui, s’il n’est pas renouvelé, reproduit, est voué au dépérissement, mais dont l’épuisement n’est pas pour demain.)

Mais ces mêmes forces de “conservation”, qu’il est trop facile de traiter comme des forces conservatrices, sont aussi, sous un autre rapport, des forces de résistance à l’instauration de l’ordre nouveau, qui peuvent devenir des forces subversives. Et si l’on peut donc conserver quelque espérance raisonnable, c’est qu’il existe encore, dans les institutions étatiques et aussi dans les dispositions des agents (notamment les plus attachés à ces institutions, comme la petite noblesse d’Etat), de telles forces qui, sous apparence de défendre simplement, comme on le leur reprochera aussitôt, un ordre disparu et les “privilèges” correspondants, doivent en fait, pour résister à l’épreuve, travailler à inventer et à construire un ordre social qui n’aurait pas pour seule loi la recherche de l’intérêt égoïste et la passion individuelle du profit, et qui ferait place à des collectifs orientés vers la poursuite rationnelle de fins collectivement élaborées et approuvées.

Parmi ces collectifs, associations, syndicats, partis, comment ne pas faire une place spéciale à l’Etat, Etat national ou, mieux encore, supranational, c’est-à-dire européen (étape vers un Etat mondial), capable de contrôler et d’imposer efficacement les profits réalisés sur les marchés financiers et, surtout, de contrecarrer l’action destructrice que ces derniers exercent sur le marché du travail, en organisant, avec l’aide des syndicats, l’élaboration et la défense de l’intérêt public qui, qu’on le veuille ou non, ne sortira jamais, même au prix de quelque faux en écriture mathématique, de la vision de comptable (en un autre temps, on aurait dit d’”épicier”) que la nouvelle croyance présente comme la forme suprême de l’accomplissement humain.

Pierre Bourdieu, Sociologue, professeur au Collège de France


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Plus de discours…

L’incroyable histoire du Musée de l’Art mauvais

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“Le mauvais art est quand même de l’art, aussi bien qu’une mauvaise émotion est une émotion quand même”. C’est ainsi que Marcel Duchamp, célèbre artiste du XXème siècle, justifie en 1917 son œuvre Fontaine”, constituant simplement en un urinoir de porcelaine renversé. Cette citation aurait parfaitement sa place à l’entrée du Museum Of the Bad Art. Voici l’histoire extraordinaire d’un lieu qui célèbre les œuvres ratées.

Le MOBA, the Museum Of the Bad Art (le musée de l’Art mauvais) est une galerie située dans le Massachusetts qui a pour vocation de collectionner et d’exposer le pire de l’Art” selon les mots de l’un des fondateurs. Créé par un groupe d’amis son histoire commence par… une plaisanterie !

Il était une fois, un tableau dans une poubelle…

Scott Wilson est un antiquaire américain exerçant dans la ville de Boston. Un soir de 1994, alors qu’il se rend chez Jerry Reilly et sa femme Mary Jackson, Scott remarque entre deux poubelles un tableau abandonné. Intéressé par le cadre, il reprend sa route, l’œuvre sous le bras. Arrivé chez ses amis, alors qu’il s’apprête à déchirer l’horrible toile, ces derniers lui soumettent l’idée de la conserver et de commencer une collection.

La peinture est intitulée Lucy in the field with flowers” et marquera le début de l’aventure. Les trois amis se prêtent au jeu et interrogent alors leur entourage sur l’éventuelle possession d’œuvres picturales d’une qualité esthétique douteuse. Quelques semaines plus tard, le trio organise une soirée dans la maison du couple afin d’y dévoiler le fruit de leur recherche. L’événement est un succès. Les amis reçoivent alors de nouvelles peintures et organisent de nouvelles réceptions, si bien qu’un an plus tard, la maison du couple Reilly/Jackson s’avère trop petite pour accueillir les centaines de personnes qui se précipitent lors de chaque rendez-vous.

La vitesse supérieure

Puis un matin de 1995, c’est un autobus rempli de personnes âgées en voyage organisé qui se gare devant la petite demeure. La situation devenait incontrôlable” explique Louise Reilly Sacco, actuelle Directrice par intérim permanent du MOBA. Le musée déménage alors dans le sous-sol d’un théâtre délabré de la ville de Dedham, juste à coté des toilettes pour hommes. Selon le journal South China Morning Post, cet emplacement aurait été choisi afin de maintenir le taux d’humidité nécessaire à la bonne conservation des toiles mais aussi de participer à l’ambiance générale de l’exposition.

En 2008, une seconde antenne est ouverte dans le théâtre de Somerville, une bourgade située 20km plus au Nord (les toiles étant de nouveau accrochées à proximité des petits coins par choix de la direction). Par ailleurs, le MOBA organise de nombreuses expositions extérieures toutes aussi atypiques. Il faut par exemple citer Awash in the Bad Art”, durant laquelle 18 œuvres ont été plastifiés et exposés dans un tunnel de lavage automobile. En 2003, l’exposition Freaks of nature” se concentra sur les paysages de travers. Quant à celle intitulée I just can’t stop”, elle ne présenta que des œuvres où l’artiste, dans un élan de créativité, aurait donné quelques coups de pinceaux en trop, rendant le résultat final irrécupérable.

Anonyme, “Sad Monkeys and Woman” © MOBA
“Eileen”, le mystérieux tableau volé

En plus de ses nombreux événements, le musée a connu une publicité inattendue grâce à un étrange fait-divers. Un soir de 1996, l’œuvre Eileen”, récupérée dans une poubelle et représentant un portrait de femme sur un fond bleu, fut dérobée par effraction. La direction du musée porta plainte et proposa une récompense de 6,50 $ pour le tableau volé. Mais aucune réponse, malgré l’augmentation de la prime à 36 $. L’objet ne présentant aucune valeur, la police classa rapidement l’affaire dans la catégorie “autres larcins”.

Mais en 2006, rebondissement dans l’affaire ! Le MOBA reçut une lettre anonyme, réclamant une rançon de 5000 $ contre restitution de l’œuvre. Incapable de payer cette somme, la direction ignora la lettre. Mais quelques semaines plus tard, l’œuvre fut retrouvée emballée sur le paillasson du musée, sans aucune explication.

Sélection des œuvres : une exigence particulière

Mais n’allez pas croire que le MOBA se résume à une vaste plaisanterie. Espérer obtenir un crochet n’est pas à la portée de tous. Neuf œuvres sur dix ne sont pas retenues parce qu’elles ne sont pas assez mauvaises selon nos très bas critères” explique Mary Jackson. Nous collectionnons des objets réalisés dans l’honnêteté, pour lesquels les gens ont tenté de faire de l’art jusqu’à ce que les choses tournent mal”. Ainsi, les tableaux d’enfants, les œuvres kitsch ou volontairement de mauvais goût ne peuvent être sélectionnés.

Selon Dean Nimmer, professeur à l’école des Arts du Massachusetts, le MOBA applique le même type de critères d’acceptation qu’un musée des Beaux-Arts, mais pour le mauvais Art.

Malgré cette exigeante sélection, de nombreuses critiques accusent le musée d’être un lieu de moqueries envers certains artistes. La direction se défend de telles accusations, expliquant que si le musée cherche à se moquer d’une chose, c’est de la communauté artistique et non des artistes. “Notre musée est un hommage à l’enthousiasme artistique”.

d’après URBANATTITUDE.FR


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Plus d’arts visuels…

Make me a Man (2022) : la vulnérabilité d’un homme peut devenir une source d’inspiration pour les autres

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Dans Make Me a Man, huit hommes évoquent leurs problèmes, leur famille, leur rapport aux femmes… Leur parole, rare, intime, résonne loin des clichés d’une masculinité triomphante. Un film cosigné par un psychiatre, Jerry Hyde, et une documentariste, Mai Hua, qui en raconte la genèse.

Devant un fond noir, huit hommes âgés de 40 à 79 ans se confient à la caméra. Leur parole, rare, démêle les grands tabous de la masculinité : leur rapport aux émotions, aux traumas intergénérationnels de la guerre, à leurs parents, à la sexualité, aux femmes… Tous sont britanniques, patients et membres de groupes de parole initiés par le psychiatre londonien Jerry Hyde. Il a coréalisé Make Me a Man, deuxième film de Mai Hua – dont il partage la vie. Dans son premier documentaire, Les Rivières, sorti en 2020, la documentariste enquêtait sur son histoire familiale, caméra au poing. Avec Make Me a Man, elle livre un film “moins personnel” mais non moins intimiste. […]

Comment est née l’idée de ce film ?

J’ai rencontré Jerry Hyde il y a six ans. C’est avec lui que j’ai découvert que les cercles de parole d’hommes existaient, et cela m’a tout de suite fascinée. Je lui ai demandé de filmer les sessions ; il avait toujours refusé les propositions de ce genre. Un an plus tard, #MeToo s’est produit, et j’ai insisté : il me semblait nécessaire de rendre cette parole publique. La graine a germé dans son esprit. Puis il s’est aperçu qu’il avait des techniciens à disposition au sein de ses cercles pour tourner un film. Ils ont commencé à se filmer, à se poser des questions un à un. C’est devenu une expérience à part entière de la thérapie. Au moment de monter les rushes, Jerry a réalisé qu’il voulait servir un propos féministe mais ne savait pas comment faire. Il lui fallait un regard féminin et féministe. Une coréalisatrice. Faire le film ensemble s’est imposé comme une évidence.

Comment fonctionne ce cercle de parole ?

Dans ce cas précis, il se réunit une semaine sur deux. Certains participants sont engagés dans une démarche de réflexion depuis cinq, dix, vingt ans, et ont acquis une connaissance d’eux-mêmes incroyable. Jerry travaille avec plusieurs types de groupe de parole ; ceux qui sont exclusivement masculins perdurent plus longtemps que les autres. Leurs membres font preuve d’un engagement très fort, qui ne se rompt qu’à la mort. Le cercle filmé ici n’a pas de vocation féministe, ce sont simplement des hommes qui se réunissent pour frayer avec leurs émotions, leurs problèmes : leur maman qui va mourir, leur femme qui s’apprête à les quitter, l’addiction qui détruit tout… Il n’y a pas d’homme violent à l’écran.

Qu’apporte spécifiquement un groupe de parole de ce genre, composé de huit participants, et du thérapeute ?

Le cercle induit l’écoute. Chacun parle une fois, et écoute sept fois. On y apprend à recevoir et à soutenir. En fait, les cercles sont une petite société où l’on métabolise tout ce qu’on voudrait trouver dans la “grande” société : de l’écoute, du soutien, de l’empathie, un peu plus d’humanité. On peut y voir des résonances avec l’époque, puisqu’on définit aujourd’hui #MeToo davantage comme une révolution de l’écoute que comme une révolution de la parole.

La non-mixité entre hommes est-elle vraiment utile ?

Tout d’abord, comme le dit Jerry Hyde dans le film, le fait que des hommes se réunissent pour parler de ce qu’ils ressentent a disparu de nos attentes sociétales ; le cercle le permet. Et la non-mixité aide à éliminer certains obstacles. C’est difficile de se rendre vulnérable devant l’autre sexe, de parler librement, d’autant plus pour évoquer des traumas liés au genre. Se retrouver en non-mixité ôte cette difficulté et permet de former une communauté de personnes qui ont été élevées de la même manière, qui partagent les mêmes codes… L’idée n’est pas de faire du séparatisme.

Votre compagnon Jerry Hyde a entrepris cette démarche inédite depuis vingt-cinq ans déjà. Une rareté hier, et aujourd’hui encore ?

Cette démarche n’existe presque pas en France, mais certains hommes commencent à s’y intéresser. Du côté des femmes, après #MeToo, les mentalités ont beaucoup évolué. En l’espace de quatre années, on a déterré toutes nos soumissions inconscientes. Beaucoup se déclarent même misandres aujourd’hui. Si je peux comprendre ce ras-le-bol, je pense aussi qu’il est possible, et nécessaire, de s’écouter entre hommes et femmes. Nous n’expliquons pas ce qu’il faut faire, nous donnons des pistes. Par exemple : faisons en sorte qu’il y ait des cercles de parole à l’école, qu’on éduque les enfants aux émotions.

Fort de son expérience, Jerry Hyde assure qu’il suffit de faire parler les hommes de leurs émotions pour qu’ils ne ressentent plus le besoin d’être violents…

On éduque les garçons dans l’idée que les émotions sont hors de leur portée. On leur dit que le soin, l’empathie, l’amour, les relations sont des trucs de bonne femme, et qu’il ne faut surtout pas ressembler à une bonne femme. De l’autre côté, on agite le modèle du patriarche tortionnaire, ou d’un Trump. Comment se construire comme homme aimant, en l’absence de tout horizon de ce type ? Dans La Volonté de changer, l’autrice afro-féministe Bell Hooks affirme que c’est la déconnexion émotionnelle qui produit de la domination, et non l’inverse. Le travail thérapeutique consiste à se reconnecter. La domination masculine de la nature, des femmes ou des enfants… n’est possible que parce que la séparation intérieure est orchestrée et cultivée.

Jusqu’à très récemment, le pacte social consistait à préparer les garçons à la domination, et donc à les couper de toute émotion.

Dans le film, vous remontez jusqu’à la racine du mal : l’héritage patriarcal de la guerre.

Jerry entraîne ses patients dans un pèlerinage dans la Somme, sur les sites de commémoration de la Première Guerre mondiale. La guerre est un impensé total, or on vit au milieu d’institutions qui ont été pensées pour préparer les petits garçons à la guerre. Jusqu’à très récemment, le pacte social consistait à préparer les garçons à la domination, et donc à les couper de toute émotion. On comprend la fonction d’une telle éducation : pour préparer les hommes à faire des choses atroces, il fallait les désensibiliser très tôt.

Mais après la guerre, on ne s’est pas interrogés sur le pacte social et on a maintenu les hommes dans un état de séparation intérieure, de suppression des émotions. Ce n’est pas étonnant que de nombreux vétérans de guerre souffrent de troubles de stress post-traumatique, de dépression… Le nombre de soldats américains qui se sont suicidés à leur retour du Vietnam est trois fois supérieur au nombre d’hommes tombés sur le front. Dans de nombreuses tribus ancestrales, et dans la Rome antique, des rituels de nettoyage étaient pratiqués au retour de la guerre. Les guerriers étaient “reprogrammés” émotionnellement afin de leur permettre de réintégrer la société en paix, sans heurt.

Au début du film, les hommes ne parviennent pas à trouver de modèles positifs de la masculinité. De quelles représentations manque-t-on aujourd’hui ?

Bizarrement, je crois qu’on manque d’hommes comme eux. C’est difficile de se figurer être un modèle pour les autres lorsqu’on est en thérapie et de penser que notre vulnérabilité peut devenir une source d’inspiration pour les autres ; pourtant, c’est le cas. Lorsque j’ai dérushé le film, la force et la beauté de ces hommes m’ont bouleversée. Je pense qu’il faut en finir avec le fantasme de l’homme providentiel et encourager tout le monde à travailler sur soi, individuellement. Collectivement, nous devons pousser les institutions à rendre possible ce travail individuel.

Auprès de qui aimeriez-vous que ce documentaire trouve de l’écho ?

Ce film s’adresse à tout le monde. Mais, à choisir, j’aimerais atteindre des responsables politiques. J’aimerais également que des pères le voient, des femmes qui ont peur des hommes, des mamans qui voudraient élever leurs garçons en féministes. Je pense que la culture, c’est aussi déployer des horizons possibles dans la psyché.

Clara Delente


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On se fait une toile ?

WILLIAMS : thème de La Liste de Schindler par Itzhak Perlman

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Le 21 mars 1994, il y a 28 ans, La Liste de Schindler triomphait lors de la 66e cérémonie des Oscars en recevant de nombreux prix dont celui de la meilleure musique originale. Une partition composée par John Williams, interprétée par Itzhak Perlman et l’Orchestre Symphonique de Boston.

A chaque fois que je joue, que ce soit sur n’importe quel continent, c’est toujours la même histoire ! On me demande systématiquement de jouer la musique de La Liste de Schindler

Ces mots d’Itzhak Perlman nous renseignent sur l’immense popularité et l’aura particulière qui entoure le thème musical de John Williams. Mais n’allez pas croire que ce succès dérange le violoniste israélien. Au contraire, chacun de ses entretiens dit la même chose. Il est fier que Williams ait pensé au violon et qu’il ait fait appel à lui pour interpréter cette musique pensée comme un symbole de l’espoir et un hommage à la tradition musicale juive.

Itzhak Perlman a toujours été admiratif de ce thème musical. Dans un entretien donné au Los Angeles Times en 2018, le violoniste confiait son respect pour John Williams. Au compositeur qui avait demandé spécifiquement à Perlman de jouer sa partition il demandait : “John, comment as-tu fait ça ? Tu n’es pas juif, comment as-tu fait pour que ce thème soit si parfait ?

La beauté de cette mélodie est à la mesure de l’émotion qui a pris John Williams la toute première fois qu’il a vu des images de La Liste de Schindler. C’est à Los Angeles, au domicile de Steven Spielberg que Williams a vu le premier montage du film. Il se souvient que sa première réaction fut le silence puis après avoir fait quelques pas dans la pièce, il aurait dit à Spielberg : “Je pense vraiment que tu as besoin d’un meilleur compositeur que moi pour ce film”, à quoi Spielberg aurait répondu avec malice : “Je sais bien… mais ils sont tous morts !”

Quant à Itzhak Perlman et l’Orchestre Symphonique de Boston, la première fois qu’ils ont pu voir le film de Spielberg ce fut juste avant d’enregistrer la partition de John Williams. Comme Prokofiev face au film Alexandre Nevsky de Serguei Eisenstein, Miles Davis devant Ascenseur pour l’échafaud, il faut imaginer Itzhak Perlman et l’orchestre interpréter cette musique en synchronisant leur jeu, leurs notes, leurs émotions en direct avec les séquences du film.

C’est peut-être ça qui donne autant de force à cette musique : les émotions procurées par le film de Spielberg ont été interprétées en direct par les musiciens ! Cette musique est l’expression de leurs émotions, de leurs sentiments, elle s’accorde avec celles de chaque spectateur qui découvrirait ce chef d’œuvre de Spielberg.

Max Dozolme


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : radiofrance.fr (21 mars 2022) | mode d’édition : partage, correction et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR.


Ecouter encore…

Le burkinabè Diébédo Francis Kéré sacré meilleur architecte au monde

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Le burkinabé Diébédo Francis Kéré est le lauréat de l’édition 2022 du Pritzker Prize. Il devient le premier architecte africain à remporter ce prix d’architecture. Créé par l’homme d’affaires Jay Pritzker en 1979, le Pritzker Prize récompense les architectes qui ont eu un apport significatif à l’architecture. Décerné par un jury indépendant, il apporte visibilité et reconnaissance au lauréat, qui remporte 100 000 $ versés par […] une chaîne internationale d’hôtels. Pour cette édition 2022, le Pritzker Prize est décerné à Diébédo Francis Kéré. Il est notamment connu pour son engagement en faveur d’une plus grande justice sociale, qui passe par la participation des communautés locales à ses projets et l’utilisation de matériaux naturels. Il est devenu le premier Africain à recevoir la distinction suprême du monde de l’architecture.

Du Burkina Faso à Berlin : une révélation artistique
Diébédo Francis Kéré © afrik.com

Né en 1965, Diébédo Francis Kéré a grandi au Burkina Faso, sur des terres dépourvues d’eau potable, d’électricité, d’infrastructures… et d’architecture. Très jeune, son goût prononcé pour l’architecture s’est développé en réponse au manque de confort de vie à la maison comme à l’école, dont il espère agrandir les murs et laisser respirer les espaces. Avec la création de l’école primaire de Gando en 2001, une de ses œuvres phares, il remporte le prix Aga Khan d’architecture en 2004. Il étudie l’architecture à Berlin, où il obtient son diplôme à l’Université technique en 2004.

La réalisation d’autres établissements au Burkina Faso, au Kenya, au Mozambique et en Ouganda s’inscrit dans un vaste projet visant à accroître le bien-être des communautés. L’architecte burkinabé s’engage depuis toujours en faveur de la justice sociale et du droit de tous à de meilleures conditions de vie. J’avais cette idée que même les plus dépourvus ont droit au confort, et à la beauté”, déclare-t-il au journal Le Monde.

La sophistication au service du bien-être

Il sait, de l’intérieur, que l’architecture ne concerne pas l’objet mais l’objectif ; pas le produit, mais le processus” souligne le jury dans un communiqué. C’est ainsi que son travail sur des matériaux locaux revêt une importance majeure dans sa création. L’architecte explore des formes hybrides qui font dialoguer le traditionnel avec le contemporain, les matériaux locaux avec un souffle de modernité et de créativité.

Kéré contribue au débat en intégrant les dimensions locales, nationales, régionales et mondiales dans un équilibre très personnel entre expérience de terrain, qualité académique, low tech, high-tech et multiculturalisme réellement sophistiqué”, précise un communiqué. La sensibilité et l’humanité de cet architecte se remarque dans ses projets, conçus pour et avec les communautés locales, tandis que l’usage de matériaux naturels (bois, granite, argile…) et la valorisation du réemploi et du recyclage témoignent de ses préoccupations écologiques.

d’après CONNAISSANCE DES ARTS.COM


Bibliothèque de Gando (BF) © connaissancedesarts.com

Pionnier des constructions durables au service des populations, comme l’école de son village au Burkina Faso, l’architecte Diébédo Francis Kéré a reçu mardi le prix Pritzker, devenant le premier Africain à recevoir la plus haute distinction de la profession.

“Grâce à son engagement pour la justice sociale et à l’utilisation intelligente de matériaux locaux pour s’adapter et répondre au climat naturel, il travaille dans des pays marginalisés, où les contraintes et les difficultés sont nombreuses et où l’architecture et les infrastructures sont absentes”, ont expliqué les organisateurs du prix Pritzker dans un communiqué.

C’est la première fois qu’un architecte d’un pays africain reçoit la distinction qui a déjà couronné les plus grands noms de cet art, comme Frank Gehry, Tadao Ando, Renzo Piano, Zaha Hadid ou Jean Nouvel. Il est notamment connu pour son implication dans des projets au fort potentiel d’usage public, comme des écoles, et nombre d’ouvrages de Diébédo Francis Kéré sont situés sur le continent africain, notamment au Bénin, Burkina Faso, Mali, Togo, Kenya, et Mozambique.

Mais l’architecte de 57 ans, qui possède également la nationalité allemande, est depuis longtemps reconnu au niveau international et s’est aussi vu commander des pavillons et installations en Europe et aux Etats-Unis. En 2004, il avait déjà reçu le prix Aga Khan d’architecture. “Il construit des institutions scolaires contemporaines, des établissements de santé, des logements professionnels, des bâtiments civiques et des espaces publics, souvent dans des pays où les ressources sont fragiles et où la fraternité est vitale”, ajoute le prix Pritzker, remis par la fondation Hyatt.

Ressources limitées

“À une époque où la pandémie a mis en évidence notre codépendance et où nous sommes également confrontés à des conflits croissants autour de la diminution des ressources, le fait que mon approche soit mise en lumière par un tel honneur me rend humble “, a déclaré Diébédo Francis Kéré. “Cela me donne beaucoup d’espoir d’expérimenter de première main que, peu importe si votre début est apparemment petit et lointain, vous pouvez aller au-delà de ce que vous avez toujours pensé possible.”

Parmi ses réalisations phares, figure l’école primaire de Gando, le village burkinabè où il est né et où il a mené d’autres projets. Pour les organisateurs du prix Pritzker, cette école “jette les bases de son idéologie : bâtir une source avec et pour une communauté afin de répondre à un besoin essentiel et de corriger les inégalités sociales”.

L’école est conçue pour résister à la chaleur et à des ressources limitées et son succès a conduit à son extension, à la construction de logements pour les enseignants et à une nouvelle bibliothèque. Avec toujours la même ligne directrice, des bâtiments sobres aux tons chauds, sable ou ocre, qui s’insèrent dans le paysage et où la lumière est cruciale.

Opera Village, Laongo (BF) © arquitecturaviva.com
Matériaux locaux

À titre d’exemple d’utilisation de matériaux locaux, l’architecte a utilisé de l’argile indigène enrichie de ciment pour former des briques conçues pour retenir l’air frais à l’intérieur tout en permettant à la chaleur de s’échapper par un plafond en briques et un toit surélevé – une ventilation qui ne nécessite pas de climatisation. Le projet a permis de faire passer l’effectif de l’école de 120 à 700 élèves.

“J’espère changer le paradigme, pousser les gens à rêver et à prendre des risques. Ce n’est pas parce que vous êtes riche que vous devez gaspiller du matériel. Ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on ne doit pas essayer de créer de la qualité”, dit Francis Kéré, dans le communiqué du prix Pritzker. “Tout le monde mérite la qualité, tout le monde mérite le luxe et tout le monde mérite le confort. Nous sommes liés les uns aux autres et les préoccupations en matière de climat, de démocratie et de pénurie nous concernent tous”, ajoute celui qui passe son temps à moitié entre Berlin et son Burkina Faso natal.

“J’ai commencé là où je suis né, et où la croissance démographique est un problème clé et où les infrastructures sont nécessaires de toute urgence. J’avais un devoir envers mon peuple et il était important pour moi d’utiliser des matériaux qui sont abondants et de construire avec des approches qui causent peu de charge sur l’environnement. Mes bâtiments étaient donc axés sur les solutions. Et ces solutions, je m’en suis rendu compte, étaient transférables à travers les lieux et le temps, car toutes les crises causées par l’homme ont besoin de solutions fondées sur une pensée durable”, devait déclarer l’architecte primé.

“Expression poétique”

La fondation Hyatt a salué “une expression poétique de la lumière” à travers ses œuvres. “Les rayons du soleil filtrent dans les bâtiments, les cours et les espaces intermédiaires, surmontant les conditions difficiles de la mi-journée pour offrir des lieux de sérénité ou de rassemblement.”

Un autre projet de campus plus récent, dans une école technique du Kenya, a utilisé des pierres de carrières locales et des tours empilées pour minimiser la climatisation nécessaire à la protection des équipements technologiques. À l’Institut de technologie du Burkina Faso, Francis Kéré a utilisé des murs en argile rafraîchissante et des eucalyptus en surplomb pour recouvrir les toits en tôle ondulée, indique la fondation.

Parmi d’autres de ses réalisations, figure la rénovation du parc National du Mali à Bamako. Il a également conçu des pavillons ou des installations au Danemark, en Allemagne, en Italie, en Suisse, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Francis Kéré a également été chargé de construire une nouvelle maison pour l’Assemblée nationale du Burkina Faso à Ouagadougou, après qu’un soulèvement en 2014 ait détruit l’ancienne structure. Elle n’a pas encore été construite “dans le contexte actuel d’incertitude”. Le plan comprend une structure en forme de pyramide pour abriter une salle d’assemblée de 127 personnes à l’intérieur et permettre une congrégation informelle à l’extérieur.

Le burkinabè est le 51e lauréat du prix d’architecture Pritzker, créé en 1979 par le défunt entrepreneur Jay A. Pritzker et son épouse, Cindy. Les lauréats reçoivent une bourse de 100 000 dollars et un médaillon en bronze.

d’après AFRICANEWS.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : africanews.com ; connaissancedesarts.com | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration : en tête de l’article, Serpentine Pavillion, Londres (GB) © futura-sciences.com ; © afrik.com ; © connaissancedesarts.com ; © arquitecturaviva.com.


Plus d’architecture…

DOHY : Sans titre (2012, Artothèque, Lg)

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DOHY Monique, Sans titre
(eau-forte, 30 x 30 cm, 2012)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Monique Dohy © beauxartsdewavre.com

Monique DOHY est diplômée de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles section graphisme et image. Depuis, elle développe son travail de gravure, participe à de nombreuses expositions collectives ou personnelles ainsi qu’à des stages ou des formations (art thérapie, atelier vocal…). Monique Dohy enseigne la gravure depuis 1997 à l’Ecole d’art de Wavre et à l’Académie d’Anderlecht (d’après ESPERLUETE.BE)

Dans cette composition abstraite, Monique Dohy joue avec les traits comme autant de fissures ou de veines qui zèbrent l’espace. La technique de l’eau-forte semble hybridée avec celle de la pointe sèche, car certains traits sont plus épais et “flous” alors que d’autres sont fins et nets.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Monique Dohy ; beauxartsdewavre.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CHILDRESS, Nina (née en 1961)

Temps de lecture : 5 minutes >

Nina CHILDRESS est une artiste contemporaine franco-américaine dont la pratique s’articule essentiellement autour de la peinture. Elle a également été la chanteuse du groupe punk Lucrate Milk de 1979 à 1983 et membre du collectif les Frères Ripoulin de 1985 à 1989. Depuis le début des années 1980, Nina Childress développe une peinture figurative, colorée et radicalement hantée par les tendances esthétiques dominantes. Street Art Pop flashy et télévisuel durant les années 1980… Structures réalistes graphiques et typographiques dans le courant des années 1990… Kawaii pastel, flou et soft porn au tournant des années 2000… Photoréalisme trashy et aberrations chromatiques durant les années 2000… Remix des oldies, de l’École de Paris à la photographie des années 1960-1970, durant les années 2010… La peinture ultra-esthétique de Nina Childress forme une archéologie du goût […].

© Gaby Esensten

Née à Pasadena en 1961, Nina Childress vit à Paris depuis 1966. Sa grand-mère paternelle américaine, Doris Childress, était peintre ; le troisième époux de sa grand-mère maternelle française, Georges Breuil, était peintre. Ses parents fréquentent Christo et Jeanne-Claude ; à 12 ans, elle découvre la peinture de David Hockney. En 1977, Nina Childress passe le concours de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris. Si elle quitte rapidement les Arts Déco, elle y aura néanmoins rencontré Masto Lowcost, Lombrick Laul, Raoul Gaboni et Helno, avec qui elle forme le groupe Lukrate Milk. D’abord groupe de Street Art, Lukrate Milk devient groupe de musique punk en 1979. Jusqu’à la séparation en 1983, avec le déménagement de Masto Lowcost en face des locaux d’Actuel, où se retrouvaient notamment les Frères Ripoulin. Nina Childress rencontre ainsi le collectif (dont Pierre Huyghe et Claude Closky, étudiants aux Arts Déco) ; collectif qu’elle rejoint en 1985.

Dès 1983, Nina Childress participe à la Biennale de Paris avec le groupe punk Einstürzende Neubauten. L’une de ses premières expositions personnelles en tant que peintre, “Nina en Bretagne“, se déroule en 1984 à la Galerie Arlogos (Nantes). En 2007, Nina Childress commence à travailler avec la Galerie Bernard Jordan. Courant 2009, le Frac Limousin lui consacre l’exposition “La haine de la peinture“, et le MAMCO de Genève l’exposition “Détail et Destin“. Pour cette dernière, Nina Childress expose de larges peintures remixant, dans un style coloré, très maîtrisé et légèrement trash, des photographies d’icônes féminines. Tel Sissi couronnée (2007), Le Tombeau de Simone de Beauvoir (2008-2009), Marjorie Lawrence (2009)… Où le kitsch, esthétique et biographique, affleure. En 2015, le CRAC à Sète lui consacre l’exposition “Magenta“, présentant ses peintures des années 2010. Soient des peintures remixant le souvenir idyllique des années 1970.

d’après PARIS-ART.COM


“Blurriness (mirror 3), huile sur toile (2002) © ninachildress.com

Depuis les années 1980, la peintre Nina CHILDRESS produit une œuvre à la fois subversive, hallucinée et nostalgique où la culture populaire s’entrechoque avec les canons de la peinture classique. Rencontre avec une artiste inclassable.

Du post-punk à la peinture

Scotchée devant les œuvres du peintre Hockney à seulement douze ans, Nina Childress sait dès ce moment quelle est sa vocation. Sa réalisation connaît toutefois des détours. A l’aube des années 1980, devenue la voix et l’égérie du groupe post-punk Lucrate Milk dès les années 1980, elle plante les Arts Déco, met de côté ses pinceaux, pour briller sur la scène underground sous le nom de Nina Kuss. A la dissolution du groupe, l’artiste s’engage dans une autre aventure collective en intégrant le groupe d’artistes des Frères Ripoulin tourné vers la figuration libre où gravitèrent notamment Pierre Huyghe et Claude Closky.

En peinture, le piège c’est de trouver un truc et de s’y limiter parce qu’on vous demande de faire ça et parce que c’est facile. Au tout début de mon travail, je voulais justement trouver ce truc-là qui allait marcher et faire que je serais légitime. Donc je creusais, j’essayais des choses. Et puis un jour, je me suis dit que ça suffisait, qu’il fallait juste peindre. Cette liberté-là, je l’ai acquise après avoir essayé plein de choses.

Elle est depuis une peintre prolifique, exposée de multiples fois dans des institutions prestigieuses comme en témoigne Lobody Noves Me à la Fondation Pernod Ricard l’année dernière [2019] qui marqua la première rétrospective parisienne d’envergure de la peintre. En parallèle de sa pratique, Childress a enseigné à l’École nationale supérieure d’art de Nancy avant d’être nommée professeure de peinture à celle de Paris en octobre 2019.

Une esthétique versatile

Nina Childress est une artiste qui embrasse ensuite toutes les possibilités de son médium sans les épuiser pour autant et fait cohabiter tous les styles, du pop art à l’hyperréalisme en passant par l’abstraction. Une écriture picturale versatile qui trouve son point d’orgue dans son système d’alternance entre le “good” et le “bad”, c’est-à-dire une version bonne et une version mauvaise de la même toile. Sorte de série B picturale, la deuxième version propose une vision irrévérencieuse de son sujet dont l’humour – qu’elle doit notamment à son expérience en tant que caricaturiste à Libération – rappelle parfois les œuvres de Picabia. Elle nous en dit plus sur cette version “bad” de sa peinture …

C’est aussi une sorte de relâchement parce que je suis quelqu’un d’un peu perfectionniste. Je fais des tableaux assez léchés, mais le “bad” me permet de temps en temps de travailler encore plus vite et plus salement. Faire un tableau rapidement qui tienne est bien plus difficile que de prendre son temps et de réfléchir. J’aime beaucoup les tableaux où l’on sent qu’il y a eu cette énergie.

Nina CHILDRESS, 1080 Chaises blanches sur fond blanc (2020) © Adagp

Par certains aspects, son esthétique travaille la notion de cliché. D’une part, ses peintures s’appuient de photographies qu’elle collecte dans les magazines et sur internet. D’autre part, l’artiste s’empare d’images iconiques tant du côté de l’histoire de l’art avec L’Enterrement  (une relecture hallucinée de l’œuvre iconique de Gustave Courbet) que du côté des vedettes telles que Vartan mais aussi Beauvoir, ou encore la James Bond Girl Britt Ekland. De ces reprises se dessine en filigrane une véritable interrogation sur le rapport que nous entretenons avec la notion de féminité, qu’elle décline dans des galeries de portraits, toujours reconnaissables pour leur palette criarde et leur peinture fluo.

Je pense que pour moi, ce sont des sortes de surfaces de projection et j’essaie de raconter des choses à travers.

La peinture maintenant est devenu un cliché en soi. Comme j’ai dû me construire pendant les dures années de la mort de la peinture, il fallait bien que je trouve une façon de l’accepter avec ses clichés.

d’après FRANCECULTURE.FR


 


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article, Jungfrau (run) (huile sur toile, 2016) © ninachildress.com ; © MOBA | En savoir plus en visitant le site de Nina Childress


Plus d’arts visuels…


CAFFONNETTE, Joachim (né en 1989)

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Joachim Caffonnette naît en juillet 1989 de parents comédiens et passe les premières années de sa vie en tournée dans les festivals de théâtre à travers le monde. Après une éducation culturelle très éclectique, mélangeant arts graphiques et plastiques, écriture et des heures passées dans des salles de théâtre et derrière les consoles de son père, régisseur, il décide de s’engager dans l’étude du piano.

Dans l’optique de faire de la musique son activité principale, il choisit de finir son cursus scolaire en humanités artistiques au Conservatoire Arthur Grumiaux de Charleroi. C’est avec une grande distinction en piano, musique de chambre, harmonie et histoire de la musique qu’il en sort diplômé en 2008. Dans la foulée, il entre au Conservatoire Royal de Bruxelles dans la classe d’Eric Legnini. Lors des stages des Lundis d’Hortense et au contact de pianistes tels que Erik Vermeulen, Ron Van Rossum et Ivan Paduart, il choisit définitivement le jazz comme moyen d’expression.

Il monte un premier trio et un quartet avec lequel il est finaliste du concours Jazz Cat Rally en 2008. L’année suivante, il se produit à la tête de son trio dans les clubs bruxellois, wallons et dans certains festivals. Il monte un quintet en 2011 afin de pouvoir y jouer ses compositions. Le groupe est résident au Sounds Jazz Club et sort un EP au printemps 2014. Pour le festival Jazz Au Broukay 2013, il monte un nouveau trio. Très inspiré par la musique de Herbie Hancock, Joachim dirige le groupe d’hommage à cette légende du jazz, “Speak Low” dans une formule assez inattendue avec un trombone et un sax ténor en plus de la section rythmique.

Il se fait les griffes sur les scènes des clubs bruxellois, le Sounds Jazz Club en particulier qui lui offre 3 ans de résidence lui permettant de jouer, tester et d’apprendre le métier comme aucun conservatoire ne pourrait jamais le faire. Pratiquant toujours le périlleux exercice des standards, composant, jouant et arrangeant pour des ensembles de toutes tailles dans divers contextes, enseignant et perpétuel étudiant, engagé dans le milieu associatif et ardent défenseur de la culture et de ceux qui la font avec leur cœur, Joachim Caffonnette se forme à la composition durant 2 ans aux côtés de Kris Defoort, qui lui ouvre les yeux et les oreilles sur la musique contemporaine et sur l’attention aux détails qui peuvent transcender une composition. Il sort son premier disque en 2015, Simplexity et continue de mener sa barque dans le flot tumultueux qu’est la vie de tout artiste au XXIème siècle…

d’après JAZZ4YOU.BE


Qui est… Joachim Caffonnette ?

Ce jeune pianiste d’à peine vingt-six ans a grandi dans une famille à la fibre incontestablement artistique. Son père et sa mère sont tous deux comédiens et la musique était omniprésente au domicile des Caffonnette.

Ses parents estimaient qu’il était important qu’il apprenne à jouer d’un instrument et vu qu’un piano trônait au milieu du salon, le choix fut vite fait. Toutefois, peu de temps après, ce sont surtout les arts graphiques et plastiques qui attirent Joachim.

Pourtant, son intérêt pour la musique ne met pas longtemps à prendre le dessus. Ainsi, après un cursus scolaire en humanités artistiques au Conservatoire Arthur Grumiaux de Charleroi pour y étudier la musique classique (piano), il poursuit ses études au Conservatoire Royal de Bruxelles.

À l’instar de beaucoup de jeunes musiciens, il découvre l’endroit par excellence où apprendre la plupart des ficelles du métier, à savoir, les jam sessions du Sounds. Pendant de nombreuses années, il s’affiche immanquablement sur la scène tous les lundis soir. Ensuite, le club bruxellois The Music Village lui propose de gérer ses jam sessions.

En 2014, un premier mini-CD voit le jour avec le soutien de “Ça Balance“, une initiative culturelle émanant de la Province de Liège.

Lors de la première édition du Brussels Jazz Festival à Flagey (janvier 2015), il lui revient l’honneur d’organiser les jam sessions. Début 2015, il présente le premier CD officiel de son quintet, au titre révélateur : Simplexity. Par ailleurs, Joachim joue régulièrement en trio et en nonet, il se produit avec le Marco Llano Quintet et compose pour le cinéma et le théâtre.

© Joachim Caffonnette

“Quel(le) est…

… votre lieu préféré à Bruxelles ?

Outre les clubs de jazz incontournables que sont le Sounds et le Bravo, mon lieu préféré est la librairie Tropismes. Je peux y flâner des heures durant à la recherche du bouquin qui me comblera pendant quelques semaines. Il m’arrive même régulièrement de lire à la hâte le premier chapitre pour voir si l’histoire et le style me séduisent ou non. Le plus difficile pour moi est de me restreindre à un seul livre. Je préfère lire des romans policiers. J’ai bien entendu mes auteurs favoris mais j’aime faire de nouvelles découvertes. J’ai certes un faible pour les auteurs scandinaves et irlandais. C’est surtout l’aspect social dans leurs récits qui m’attire. Et comme il se doit, j’essaie de lire le plus d’auteurs belges possible.

… le dernier CD ou album que vous vous êtes offert ?

Je n’en achète pas tellement car j’aime réécouter souvent les mêmes albums pour en extraire la quintessence. Et croyez-moi, j’ai de quoi faire entre Bill Evans et Keith Jarrett. Je ne suis pas du genre à aller spontanément à la recherche de nouvelles choses. À cet égard, j’ai plutôt tendance à compter sur les conseils avisés de mes amis. Ce que je fais par contre, c’est d’assister régulièrement à des concerts. Ainsi, je me tiens informé de ce qui se passe sur la scène musicale à l’heure actuelle. Il y a de cela quelques années, j’ai par exemple pu voir à l’œuvre Gerald Clayton. Le lendemain, je me suis acheté “Two-Shade”. Mais le CD le plus récent que je me suis offert est “Space Time Continuum” du pianiste Aaron Diehl. Je l’ai découvert lors du concert de Cécile McLorin Salvant à Flagey début 2015. Ensuite, il nous a rejoints pour une petite séance d’improvisation. Cet artiste a non seulement une technique inouïe mais aussi une connaissance approfondie de la tradition. Personnellement, j’accorde d’ailleurs une énorme importance aux grands classiques.

… votre plus beau souvenir d’un concert récent ?

Comme concert dans son ensemble, je choisis un spectacle en duo de mes pianistes belges préférés, Bram De Looze et Pascal Mohy, solides sur toute la ligne. La prestation qui m’a toutefois le plus impressionné est le solo de Mark Turner lors d’un concert récent au Bravo avec le quartet de Jochen Rueckert. À vous couper le souffle – c’est dans ce cas tout à fait l’expression appropriée. Solidement structuré, extrêmement subtil et néanmoins porté par une énorme vague d’énergie.

… votre expression favorite du moment ?

Il s’agit d’une citation de Jean Cocteau : “L’art est un mensonge qui dit la vérité”. Tout artiste quel qu’il soit connaît ce sentiment. Il ne faut bien entendu pas interpréter cette citation dans son sens le plus explicite mais d’une certaine manière, c’est exact.

d’après JAZZ.BRUSSELS


Outre la sortie de son nouvel album, ”Bittersweet Times”, le pianiste Joachim Caffonnette redonne vie au Sounds, légendaire club de jazz de Bruxelles.

Joachim Caffonnette naît en juillet 1989 de parents comédiens et passe les premières années de sa vie en tournée dans les festivals de théâtre à travers le monde. Dans l’optique de faire de la musique l’activité principale de son existence, il choisit de finir son cursus scolaire en humanités artistiques au conservatoire de Charleroi dont il sortira en 2008 avec une grande distinction en piano, musique de chambre, harmonie et histoire de la musique. Dans la foulée, il entre au Conservatoire Royal de Bruxelles où il étudiera avec Eric Legnini et ensuite la composition avec Kris Defoort. Après son entrée au conservatoire, il monte un premier Trio avec lequel il commence à se produire dans les clubs de jazz et dans certains festivals.

Troisième album en tant que leader

Sur son troisième album “Bittersweet Times“, troisième album, Joachim multiplie les textures autour d’une musique épurée qui met en exergue l’ambivalence entre les influences impressionnistes et l’héritage be-bop qui le caractérisent. Il s’entoure ici de musiciens de premier plan avec le contrebassiste de La Nouvelle-Orléans Jasen Weaver, le batteur israélien Noam Israeli, installé à New York depuis plusieurs années, et en invité, le trompettiste virtuose Hermon Mehari, originaire de Kansas City. Sur trois morceaux explorant un spectre sonore presque orchestral, se joignent au groupe Édouard Wallyn au trombone et Quentin Manfroy aux flûtes alto et basse. L’expression musicale de cet album est une recherche d’intensité, d’interaction perpétuelle et un plaisir communicatif à travers une écriture mélodique et contrastée naviguant entre swing et harmonies volantes.

Le Sounds résonne à nouveau

Pendant plus de 35 ans le Sounds à vibrer au rythme du jazz en voyant défiler la crème du jazz belge et international. Après sa fermeture, c’est un collectif, Buen Vivir, qui fait l’acquisition du 28 rue de la Tulipe, dans le but de le mettre au service de ses activités de résistance et de résilience en matière de droits humains. Mais la poursuite du jazz était essentielle aux yeux des nouveaux propriétaires et ils contactent le pianiste Joachim Caffonnette,

Le collectif se lance alors avec détermination dans son projet, redécore le club, transforme la carte, prépare l’avenir, lance un crowdfunding dont le succès fulgurant montre l’enthousiasme de la communauté et ré-ouvre en grande pompe ce 18 novembre 2021, pour écrire le second chapitre de ce club historique…

d’après RTBF.BE


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More Jazz…

La vulgarité moderne

Temps de lecture : 4 minutes >

On trouve notre époque vulgaire, et il est vrai que même certains dirigeants politiques ont adopté un ton vulgaire comme signe de ralliement. Mais la vulgarité est-elle si moderne ?

C’est Madame de Staël qui invente le mot en 1802, “trouvant qu’il n’existait pas encore assez de termes pour proscrire à jamais toutes les formes qui supposent peu d’élégance dans les images et peu de délicatesse dans l’expression”, écrit-elle dans De la littérature. Mais pour Bertrand Buffon, qui consacre au sujet un ouvrage très documenté […] sous le titre Vulgarité et modernité, “son retour en force est concomitant du triomphe de l’idéologie néolibérale, qui pousse à leur dernière extrémité certains traits de la modernité – individualisme, utilitarisme, consumérisme – et soumet un à un les différents pans de la vie sociale à la logique du marché.”

Le néologisme vulgaire “vient du latin vulgus qui signifie le commun des hommes, la foule”. Dans ses premiers usages, il n’avait pas forcément de connotation péjorative. Ainsi, Barbey d’Aurevilly qualifie la gaieté de “qualité vulgaire et toujours bienvenue en France”. Mais, aussi étonnant que ça puisse nous paraître aujourd’hui, le même jugeait comme Brunetière Victor Hugo vulgaire, estimant qu’il “peint gros en toutes choses, et les sentiments fins lui sont inconnus”. Quant à Brunetière il est encore plus explicite, affirmant qu’ “il y a toujours eu dans toutes ses œuvres un fonds, non seulement de banalité, mais de vulgarité”. Même anathème pour Zola, auquel il reproche “la vulgarité délibérée des sujets”.

La critique n’étant pas une science exacte, celui qu’on considère de nos jours comme l’anti-modèle de la critique littéraire en rajoutait une couche au début du XXe siècle, encore : Gustave Lanson jugeait Victor Hugo “peuple”, de par “une certaine grossièreté de tempérament, par l’épaisse jovialité et par la colère brutale”, et du fait d’une “nature vulgaire et forte, où l’égoïsme intempérant domine”. Du taux de testostérone appliqué au jugement esthétique… Mais le mot est lâché : égoïsme, il consonne avec individualisme, matérialisme, nivellement par le bas. Et renvoie – du coup – à notre société actuelle. Emerson parle de “la vulgarité grossière de l’égoïsme sans pitié”.

L’étalage indiscret de soi est un trait typique de la vulgarité contemporaine

Pour Bertrand Buffon, “l’étalage indiscret de soi est un trait typique de la vulgarité contemporaine.” L’insignifiance de la personne érigée en modèle “alternatif”. Selon lui, “l’idée de norme a changé de sens, désignant, non plus ce qui est excellent, et donc rare, mais ce qui est le plus fréquent”. Les modèles classiques de moralité – le héros, le sage, le saint – sont remisés au cabinet de curiosités et la vulgarité se porte haut sur les plateaux de télévision comme un signe d’émancipation affiché à l’égard des conventions.

C’est qu’il s’est passé quelque chose, avant l’ère consumériste, et dont celle-ci a su tirer profit. Le terrain a été en quelque sorte préparé par une “transvaluation des valeurs” amorcée déjà par nos moralistes du Grand Siècle. Les faux-semblants d’une morale conventionnelle, hypocrite et superficielle, guidée par l’intérêt personnel, sont dénoncés par La Rochefoucauld ou La Bruyère : je cite (Les Caractères) “Le peuple n’a guère d’esprit et les Grands n’ont point d’âme : celui-là a un bon fonds, et n’a point de dehors ; ceux-ci n’ont que des dehors et qu’une simple superficie. Faut-il opter ? Je ne balance pas : je veux être peuple.” Renan enfonce le clou : “Bien agir parce qu’on en peut retirer quelque avantage, quelle vulgarité !” Et Nietzsche : “Je déteste cette vulgarité qui dit : “Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’ils te fassent” ; qui veut fonder tous les rapports humains sur une réciprocité des services rendus, en sorte que chaque action apparaît comme une espèce de paiement en retour d’un bienfait.”

La morale bourgeoise

La dernière livraison de la revue Esquisse(s) [n°14, printemps 2019] est consacrée au thème de la crudité. Langage, publicité, pornographie, un monde de “tentations sans goût” nous submerge. Sur le mode “retournement du stigmate”, musique et paroles du rap exploitent le filon. Mathias Vicherat pose la question : “Pourquoi la crudité du rap serait-elle seulement vulgaire ?” Les rappeurs semblent suivre à la lettre le conseil donné par John Fante aux écrivains : “vivre leur vie dans toute sa crudité, la prendre à bras le corps, l’attaquer à poings nus”.

Si le rap “a souvent le sexe comme objet et la femme comme sujet (et vice versa), il est assez fréquent que le langage fleuri, mâtiné d’une langue verte et de néologismes, se trouve l’Etat et les institutions en général comme cible de choix. La crudité, la vulgarité seraient à la hauteur des injustices subies, des violences et aussi d’une forme de désillusion” résume l’auteur. “La haine, c’est ce qui rend nos propos vulgaires” chante le groupe Sniper. “Parfois il faut parler cru pour être cru”, tente l’ancien énarque, auteur […] d’une Analyse textuelle du rap français. “J’ai traité les phrases comme de vraies dames / Tiré les plus belles pour les mettre en vitrine comme à Amsterdam” (IAM).  La “poétique de l’obscène” – rappelle-t-il – n’est pas l’apanage des hommes. Les femmes rappeuses ne sont pas en reste.

d’après FRANCECULTURE.FR


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Plus de presse…

LEOTARD : textes

Temps de lecture : < 1 minute >

Je rêve que je dors (1996)

Je voudrais te parler encore
Mais voilà que tu t’endors
Tu sais
Tu parles en dormant
Pas avec moi
Mais parfois même tu ris
Ou tu chantes
Alors moi j’attends
Dans les phrases, les mots absents
L’illumination terrible
D’un son d’une merveille
Et je dis encore je t’aime
Mais c’est pour laisser mon souffle
Traîner dans tes cheveux
Tu souris en rêve
Tu dors
Oh peut-être qu’il ne faut pas
Trop souvent dire je t’aime
Oui, c’est comme vouloir s’assurer
Du cœur et des baisers
Douter de soi-même
Pourtant je continue
Je te le dis encore : je t’aime
Je veux encore parler
Mais voilà que tu t’endors
Alors
Je rêve que je dors

Philippe Léotard (1940-2001)

Philippe Léotard, digne descendant d’un autre Léo réussit à se détacher des clones et à clamer ses vérités. Il a enregistré à Bruxelles son troisième album avec des musiques et des arrangements subtils signés Art Mengo et Jean-Pierre Mader. Là-dessus, il nous balance ses textes poèmes, mi-chantés, mi-lus de sa voix de comédien chanteur, écrits dans la lignée d’un Blaise Cendrars. Ce chanteur vrai à l’extrême sait viser juste, question émotion (“Lonesome Piéton“, “Penguin Song“, “Rhétorique encéphalée“, “On ne s’en va pas“). Léotard appartient à cette race de comédiens (Jeanne Moreau, Serge Reggiani) qui ont magnifié la chanson au rang d’art majeur.” [Platine – Novembre 1996]


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Savoir-citer…

AUTISSIER : textes

Temps de lecture : < 1 minute >  

J’ai épousé la mer cette nuit
A l’heure où la côte s’éclaire

La mer ne m’a rien demandé
Ni d’où je viens
Ni qui j’ai aimé

Elle a rempli ma bouche de son sel
Et mon esprit de son silence

Jean Autissier

“A lire en exergue de Une solitaire autour du monde (1998), le poème de Jean Autissier, père d’Isabelle, on comprend mieux ce qui a pu motiver une fille modèle. Et là où elle puise les ressorts d’une écriture qui possède décidément le charme entêtant des récits anciens et la poésie puissante des évocations ultimes…” [d’après LIBERATION.FR]


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Citer encore…

BOURLARD : L’apparence du vivant (2022)

Temps de lecture : 3 minutes >

Charlotte Bourlard est née à Liège, en 1984. C’est dans cette ville que se passe son premier roman, L’apparence du vivant [Editions Inculte, ISBN : 9782360841431] : une jeune photographe fascinée par la mort est engagée pour prendre soin d’un couple de vieillards, les Martin, propriétaires d’un ancien funérarium. Une maison figée par le temps, dans un quartier fantôme de Liège, soustraite aux regards par de hauts tilleuls. Captivée par ce décor, une jeune photographe s’installe à demeure.

Entre elle et madame Martin naît une complicité tendre, sous la surveillance placide de monsieur Martin. Lors de leurs promenades au bord du canal, on leur donnerait le bon Dieu sans confession. Ce serait bien mal les connaître…

Madame Martin possède une collection d’animaux naturalisés, fruit d’un travail de toute une vie. Elle tient à enseigner son savoir-faire à sa protégée. La jeune femme apprend donc, patiemment, minutieusement, l’art de la taxidermie, sur toutes sortes de cobayes. Car un jour, elle devra être prête pour accomplir son Grand-Œuvre.

Un premier roman radical, d’où émerge, à travers la noirceur et la cruauté, la douceur d’un amour filial. [d’après ACTUALITTE.COM]


Canal Albert © Philippe Vienne

Le malaise, ce sentiment d’intensité variable selon la sensibilité des un(e)s et des autres face à ce qui perturbe, dérange, peut ici saisir le lecteur rien qu’à la vue de la couverture du livre et à la lecture du résumé. Le malaise est un sentiment inconfortable et ambigu. Dire que l’on apprécie le malaise c’est risquer de passer pour un psychopathe, dire que l’on y est insensible, aussi. Une fois que vous débutez L’apparence du vivant, ce court premier roman de Charlotte Bourlard, vous comprenez que le malaise sera votre compagnon durant toute cette lecture.

Le monde, l’univers, dans lequel Charlotte Bourlard nous embarque est noir, avec quelques nuances de gris. Il est aussi désespéré et cruel. Il est au bord du gouffre. Agonisant. On n’a pas franchement envie d’y vivre. Mais il est aussi curieux, bizarre et étrange. Ses personnages sont tous gentiment déglingués ou carrément malsains. Ils vivent et meurent dans la marge. Ils se partagent, presque sur un pied d’égalité, toute la misère et la violence du monde. Comme le dit notre protagoniste principale : “Les hommes sont parfois cruels, mais ils ne sont pas les seuls.”

Chez les Martin, notre photographe va pouvoir laisser libre cours à son esprit tordu. Son goût prononcé pour le morbide, elle le partage avec madame Martin, la maîtresse de maison. Elles vont s’entraider pour réaliser toutes sortes de fantasmes malsains. Notre maîtresse de maison à un talent particulier, elle maîtrise l’art de la taxidermie. Un art dont elle enseigne tous les rudiments à notre photographe. Il n’est bien entendu pas question de se limiter aux animaux. Pour ce qui est des photos, tout commence avec l’envie de photographier des vieux, marqués par la vie, à poil. Là aussi, l’idée est poussée bien plus loin. Et la mort, dans tout ça ? Elle est partout et n’est en rien une limite, ni un tabou. De l’amour aussi, il y en a. Enfin, une vision assez particulière de l’amour. Une belle brochette de cinglés qui restent néanmoins des êtres humains.

Charlotte Bourlard aurait facilement pu tomber dans le romantico-gothique… et j’en passe. Mais il n’en est rien. La plume est sobre, sans envolées lyriques, et le propos est cru et froid. Elle n’est pas là pour nous vendre du rêve. Rien n’est enrobé. Pour un premier roman, c’est un bon départ. L’apparence du vivant est singulier et maîtrisé. Ça se lit aisément et son univers laisse des traces. Mais une question demeure à la lecture de ces pages : ce livre est-il l’œuvre d’un esprit franchement dérangé ou d’une personne tout à fait saine d’esprit ? On ne veut peut-être pas savoir, mais la question se pose. [d’après NYCTALOPES.COM]


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Plus de littérature…

 

Musée Pierre-Joseph Redouté, à Saint-Hubert

Temps de lecture : 4 minutes >

INITIATIVE. L’asbl Musée Pierre-Joseph Redouté (1759-1840), fondée à Saint-Hubert le 7 juin 1984, a pour but de promouvoir la connaissance et le rayonnement du peintre-botaniste, né à Saint-Hubert le 10 juillet 1759, de sa famille et des artistes de son époque qui ont enrichi le patrimoine culturel de la ville de Saint-Hubert, de l’Ardenne et du Luxembourg, ainsi que la conservation de leurs œuvres, de leur esprit et de leurs souvenirs. En 1987, la ville a mis à sa disposition l’immeuble situé au numéro 11 de la rue Redouté, face à l’emplacement de la maison natale de l’artiste, détruite lors d’un bombardement à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet immeuble héberge maintenant le Musée Pierre-Joseph Redouté qui présente en permanence des œuvres originales du « Raphaël des fleurs », des objets qui lui ont appartenu et quelques gravures de son jeune frère, Henri-Joseph. Le musée accueille également des expositions temporaires.


Le saviez-vous ? Pierre-Joseph REDOUTE (1759-1840), le peintre-botaniste est né à Saint-Hubert le 10 juillet 1759. C’est un des ceux de chez nous… Dans la famille Redouté, depuis Charles-Joseph Redouté, arrière-grand-père de Pierre-Joseph qui peignait pour les Princes-Evêques de Liège jusqu’à P.J.Redouté, on est artiste de père en fils. On ne peut, dès lors, s’étonner de l’héritage culturel et pictural que reçut le Prince des roses.

À l’influence familiale s’ajoute celle de la célèbre abbaye de Saint-Hubert. Dom Clément Lefèbvre, abbé de Saint-Hubert (1686-1727) natif de Ciney, alors occupé à de grands travaux au sein de l’abbatiale, fait appel au peintre Jean-Jacques Redouté, originaire de sa région. Le grand-père de Pierre-Joseph collabore aux travaux dans les années 1720-1730. Successeur de Dom Lefèbvre, Dom Célestin De Jong (1727-1760), entreprend quant à lui la construction du quartier abbatial (1729), une opportunité de travail pour le peintre Charles-Joseph Redouté, père de Pierre-Joseph. Il s’installe à Saint-Hubert, se mariant en 1750 avec une fille de la localité, Marguerite-Josèphe Chalon.

Pierre-Joseph Redouté (gravure d’époque) © DP

En 1782, Pierre-Joseph, alors âgé de vingt-trois ans, gagne Paris à l’invitation de son frère aîné Antoine-Ferdinand. Celui-ci est peintre décorateur. Il travaille entre autres pour le Théâtre Italien, le Palais-Royal, mais aussi pour la réalisation de décorations aux châteaux de Compiègne et de Malmaison. Pierre-Joseph l’accompagne pendant deux ans. Ensuite pendant plus de 50 ans, Pierre-Joseph mettra ses talents confirmés de peintre au service des botanistes.

L’Héritier de Brutelle, magistrat de formation de Louis XVI et passionné de botanique, ouvre à Pierre-Joseph les portes de la renommée et lui enseigne les bases de l’étude des plantes et l’art de les dessiner avec la rigueur et l’exactitude d’un scientifique. Séduits par la qualité de ses illustrations, d’autres botanistes auront recours à ses services : De Candolle, Ventenat, Rousseau, Michaux, etc.

L’Europe envoie aux quatre coins du monde ses explorateurs comme Dombey, Cook, Humbold etc., souvent accompagnés de botanistes, qui ramèneront dans les cales des navires les plantes exotiques les plus diversifiées. Pierre-Joseph Redouté collaborera ainsi à la création d’un Jardin illustré d’une partie de la flore mondiale

Au XVIe siècle, le grand peintre allemand Albrecht Dürer est un des précurseurs de l’aquarelle. Jusqu’au XVIIIe s., Dürer faisant exception, l’aquarelle n’aura qu’une valeur documentaire et ne sera que l’auxiliaire de la peinture à l’huile dont la valeur artistique sera seule prise en considération.

C’est en Angleterre qu’est créée la première société d’aquarellistes au monde. La France ne connaît vraiment l’aquarelle qu’à la fin du XVIIIe siècle. C’est alors qu’apparaissent les Hubert Robert, Chapalle, van Spaendonck et les frères Redouté, Pierre-Joseph et son cadet Henri-Joseph. Tous deux sont recrutés par le Muséum d’histoire naturelle pour continuer la prestigieuse Collection des vélins, l’un pour la botanique et l’autre pour la zoologie.

Si Pierre-Joseph reste l’artiste le plus populaire de la famille, Henri-Joseph est aussi un excellent aquarelliste. Il fait partie d’une Commission des sciences et des arts qui accompagne Bonaparte en Égypte. Il est un des collaborateurs de la célèbre Description de l’Égypte, recueil des observations et recherches faites en Égypte pendant l’expédition de l’armée française.

À partir de ce moment, l’aquarelle est reconnue pour elle-même, comme une expression artistique à part entière. Comme la demande devient très importante, Pierre-Joseph doit employer une technique de reproduction plus rapide et moins coûteuse : la gravure en taille-douce. Une particularité chez lui est l’estampe réalisée à l’aide d’une roue dentée pour obtenir des points sur le métal (cuivre), technique dite du pointillé. La différence de densité des points permet de marquer les jeux d’ombre et de lumière.

Redouté P.J., Bouquet de roses et tulipes (détail, 1822) © DP

Pierre-Joseph Redouté a peint d’innombrables fleurs mais ses Roses sont considérées comme le sommet de son art. Il immortalise leur beauté éphémère. Cet inventaire des roses, le plus complet de l’époque, a été réalisée par Pierre-Joseph, avec la collaboration du botaniste Le Thory qui en rédigea les textes. Il compte trois volumes qui rassemblent 169 planches.

Les roses de Pierre-Joseph Redouté, fleurs de la séduction, ont charmé la reine Marie-Antoinette, l’impératrice Joséphine, épouse de Napoléon 1er et la première reine des Belges, Louise-Marie d’Orléans. Comment rêver meilleure publicité pour le professeur Redouté que de donner cours au Muséum de Paris aux dames les plus célèbres de la noblesse parisiennes ?

d’après une notice du Musée Redouté à Saint-Hubert


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Contempler encore…

CHAR : textes

Temps de lecture : 3 minutes >  

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima ?

Il cherche son pareil dans le vœu des regards. L’espace qu’il parcourt est ma fidélité. Il dessine l’espoir et léger l’éconduit. Il est prépondérant sans qu’il y prenne part.

Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s’inscrit son essor, ma liberté le creuse.

Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n’est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus ; qui au juste l’aima et l’éclaire de loin pour qu’il ne tombe pas ?

René Char, extrait de Éloge d’une soupçonnée

Enregistrée en 1965, la voix de Char recrée ici la profondeur du poème, sans vraiment faire justice à sa musicalité…

 

La lucidité est la blessure la plus proche du soleil.

Feuillets d’Hypnos, Fragment 169 (1943-1944)

L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant.

Recherches de la base et du sommet (1965)


Né le 14 juin 1907 à l’Isle-sur-Sorgue, René CHAR fut très proche du surréalisme et participa activement à la Résistance pendant la dernière guerre. À partir de 1945, il consacre sa vie à une œuvre poétique qui lui vaut une audience internationale. Il est mort à Paris le 19 février 1988. [GALLIMARD.FR]

L’indépendance, René Char en fera une religion, indissociable de son engagement politique : après la défaite de la France en 1940, il entre dans la Résistance. Dès lors, sa poésie exprime sa révolte, sa liberté, à l’image de Fureur et Mystère, son recueil majeur. Retour sur sa vie et son oeuvre.

Dans l’ensemble cet homme est fait de dynamite dont les explosions sont hâlées de douceur calme” écrivait Nicolas de Staël à Jacques Dubourg en 1951. Dynamite et douceur, fragilité et robustesse, fureur et mystère, on imagine le choc des contraires d’où “jaillit la foudre au visage d’écolier“. On peut vivre les poèmes de René Char comme des déflagrations ; alors on mesure l’espace infini entre un texte comme Affres, détonation, silence, de l’homme en résistance et l’auréole légère du poème Congé au vent : “elle s’en va le dos tourné au soleil couchant.” On marchera aussi sur ces chemins “aux herbes engourdies face au mont Ventoux, ou bien près de la Sorgue, ou encore vers le village perché.

Avec Claude Lapeyre, qui fut le compagnon attentif de ces trajets dans les garrigues, à Pernes-les Fontaines, et près de l’Isle-sur-la-Sorgue, on captera l’air très matinal d’une Provence âpre ; à l’écoute du martin-pêcheur, ou bien de l’alouette, “extrême braise du ciel et première ardeur du jour.” René Char, en résistance s’appelle Alexandre ; il a rejoint le maquis près de Cereste, “pareil, dit-il, à un chien enragé, enchaîné à un arbre plein de rires et de feuilles” ; on entendra sa voix sonore saluer à la radio, ses compagnons exécutés. “J’étais un révolté et je cherchais des frères.” Parmi ces frères, ces ” alliés substantiels “, comme il les nommera, il y a aura Georges Braque, Victor Brauner, Man Ray, Picasso, Veira da Silva, Nicolas de Staël, tous réunis dans “l’atelier du poète“. L’oeuvre poétique de René Char est paru dans la Pléiade. [FRANCECULTURE.FR]


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | Source : gallimard.fr ; youtube.com ; franceculture.fr | mode d’édition : partage, documentation et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : René Char en avril 1984 © Serge ASSIER.


Citer encore…

NIMMALAIKAEW, Uttaporn (né en 1980)

Temps de lecture : 3 minutes >

Uttaporn Nimmalaikaew est né à Bangkok en 1980. Il a obtenu son M.F.A. Painting au King Mongkut’s Institute of Technology (2004) et son M.F.A. Painting à la Silapakorn University (2006). Il est actuellement “Art Instructor of Painting” à la Faculté d’Architecture du King Mongkut’s Institute of Technology. Il vit et travaille à Bangkok.

Uttaporn Nimmalaikaew peint des portraits sur plusieurs couches de filets fins ou sur du tulle, produisant un effet 3D. “Il faut voir ses œuvres comme des strates, des strates de peinture, assemblées les unes aux autres en feuilletage. Comme des calques que l’on superpose avec différentes couches d’informations disposées sur chacun d’eux.” Ses sujets semblent assis sur des chaises ou étendus sur des lits. Ils se métamorphosent et changent de forme en fonction de la distance et de l’emplacement du spectateur et la technique picturale se dévoile.

Les peintures de Uttaporn Nimmalaikaew ressemblent ainsi à des hologrammes chatoyants. Il a découvert cette technique alors qu’il étudiait à l’Université de Silpakorn à Bangkok après qu’une goutte de peinture se soit égarée sur une moustiquaire dans son atelier. Il a alors commencé à explorer une nouvelle façon de peindre sur ce matériau. Pour chaque pièce, l’artiste commence par un dessin numérique qu’il imprime ensuite en taille réelle pour déterminer la forme et la texture du sujet. Il commence alors à peindre par strates avec de la peinture à l’huile dans un style qu’il appelle “style tulle-peinture“.

© nimmalaikaew.com

Un visage pensif, mélancolique est au centre de chaque œuvre. Les sujets translucides apparaissent éthérés et fantomatiques sur ces minces écrans de tissu. Ceux-ci sont souvent sa famille, il voit en effet son travail comme une façon de préserver leur esprit dans le temps. “L’une des caractéristiques de mon travail”, déclare Uttaporn Nimmalaikaew, “est que cela change l’expérience du spectateur. L’œuvre d’art comme illusion trompe la perception. De devant, le spectateur verra le travail au milieu de l’espace vide. Je dessine des formes humaines sur un tissu blanc clairsemé avec de la peinture à l’huile de couleur. Les détails sont différents en raison du volume, de la couleur, de la lumière et de la couche de tissu. Au fil du temps, j’ai appris queue le tulle exige une autre façon de créer de la lumière et de l’ombre réalistes. La couche supérieure donne des détails pour l’illusion d’optique. Ensuite, chaque couche se combine avec les autres pour donner de la profondeur dans l’image.”

[Avec] “Dimension of Hope”, [on a pu] découvrir la nouvelle technique de l’artiste qui consiste à encadrer ses œuvres de techniques mixtes dans un cadre en acrylique transparent, ce qui rehausse l’apparence d’apesanteur et “l’incorporeality” des portraits de l’artiste. La pratique de Uttaporn Nimmalaikaew est fondée sur la philosophie bouddhiste et dans “Dimension of Hope “, il continue d’explorer ces thèmes, en particulier le “dukkha”, un terme central du bouddhisme le plus couramment utilisé pour décrire la souffrance ou le mécontentement dans la vie ordinaire.

© nimmalaikaew.com

Ces nouvelles œuvres plongent dans les angoisses et les incertitudes de la vie contemporaine, provoquées par d’importants changements politiques et sociaux dans le monde. Ces portraits dépeignent des membres de sa famille à différents stades de la vie. Il y a une qualité méditative dans ces œuvres, un sens de compréhension et d’acceptation des angoisses de la vie alors que l’artiste tisse son fil à travers les couches délicates. Uttaporn Nimmalaikaew présente aussi des scènes de pause et de contemplation, une façon de considérer comme l’artiste le  fait.

d’après CREATIONCONTEMPORAINE-ASIE.COM


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Plus d’arts visuels…

Il y a 100 ans, la retouche des portraits avant Photoshop

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Vous pensiez que la retouche des portraits est liée à l’arrivée de Photoshop ? Détrompez-vous ! L’art d’embellir les photos de portrait existe depuis les débuts de la photographie, comme en témoigne un manuel d’apprentissage, publié il y a plus d’un siècle.

L’embellissement des portraits bien avant l’arrivée de l’informatique

Publié en 1909 par l’American School of Art and Photographie, la Bibliothèque complète d’apprentissage autodidacte de la photographie compte un total de 10 volumes à destination des apprentis photographes. L’ouvrage aborde de manière concrète tous les volets de la photographie de l’époque, tant pour la technique photographique que pour l’étude des sujets.

Ainsi, le 10ème et dernier ouvrage de cette collection s’attarde sur la retouche des négatifs. En quelques 43 chapitres, il aborde les différentes techniques utiles pour supprimer les imperfections et embellir les photographies de portrait en retouchant les contours du visage, les lèvres, le nez et les sourcils, etc.

La retouche des portraits : une demande bien réelle

L’introduction de l’ouvrage s’avère intéressante, car elle explique comment les évolutions techniques de la photographie ont engendré une demande de retouche des portraits. “En livrant votre travail à vos clients, vous ne leur remettez pas les négatifs, mais un tirage réalisé à partir de ces négatifs.”

Dans les premiers temps de la photographie, lorsqu’étaient utilisées les plaques au collodion humide, les tirages étaient réalisés directement à partir des négatifs, sans aucune altération, puisque les plaques humides offraient un rendu plus doux que celui obtenu avec les plaques sèches. Les imperfections étaient moins visibles, et à cette époque le grand public était satisfait de la restitution de leur image.

Avec l’avènement des plaques sèches, en revanche, les défauts présents sur les visages sont beaucoup plus visibles sur le négatif. Ainsi est née une demande pour des lignes plus douces et un retrait des imperfections les plus évidentes. Dans un premier temps, ces derniers étaient retirés, au moyen de pinceaux et de couleurs, de chaque tirage.

Mais plus le nombre d’imperfections est élevé, plus le travail de retouche sur chaque tirage devenait important. Aussi, le photographe se devait de trouver un moyen d’appliquer ces corrections directement sur le négatif, afin que chaque tirage effectué à partir de ce négatif soit déjà débarrassé de ses imperfections. Ces recherches ont donc mené à la retouche des négatifs.

© phototrend.fr
Retoucher les portraits : jusqu’à quel point ?

L’auteur de l’ouvrage en profite également pour interroger la quantité de retouche nécessaire pour un portrait. Plus de 100 ans avant l’arrivée des “filtres beauté” incontournables sur les réseaux sociaux, la question se posait déjà pour la retouche des négatifs.

Voici un extrait de l’ouvrage sur la question de la quantité de retouche à effectuer : “Bien que peu de photographes soient d’accord sur la quantité exacte de retouche requise, tous s’accordent à dire qu’une certaine quantité est absolument indispensable pour que le négatif soit en parfait état pour le tirage.

Certains prétendent que seule une infime quantité de mine à plomb doit être appliquée à la plaque pour enlever les défauts les plus apparents. À l’opposé, certains recouvrent littéralement le négatif de mine à plomb, en retouchant sans aucun égard pour le modelé, sans même tenter de conserver la ressemblance avec l’individu. Leur but est donc d’idéaliser le sujet.

Bien qu’une utilisation judicieuse de la mine de plomb et de l’eau-forte permette cela, le caractère et l’expression du visage sont perdus à cause de la retouche excessive. Ainsi, comme dans toute autre branche de la photographie, la retouche doit être appliquée avec discernement, et le photographe doit tendre vers un équilibre entre ces deux extrêmes”.

Enfin, rappelons que l’embellissement des portraits est loin d’être l’apanage de la photographie. Bien avant l’invention des premiers procédés photographiques, les peintres classiques avaient une certaine tendance à embellir le visage de leurs sujets – et d’autant plus lorsqu’il s’agissait d’une commande.

Cependant, il paraît évident que la puissance des outils de retouche dont nous disposons aujourd’hui accentue encore davantage ce phénomène – ce qui n’est pas sans conséquence pour la santé mentale de nombreuses personnes… [d’après PHOTOTREND.FR]


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Plus d’arts des médias…

Hauts Potentiels Intellectuels (HPI) : ces zèbres qui vous veulent du bien…

Temps de lecture : 9 minutes >

[PARLONSHR.COM, 20 février 2019] Actuellement, trois mots font le buzz : “atypiques“, “zèbres” et “soft skills“. Savez-vous que ce sont les atouts d’un même avion de chasse ? Dirigeants, DRH, managers, voulez-vous booster votre entreprise et votre business en utilisant à bon escient ces profils particuliers ? Vous ne le savez peut-être pas, mais vous en avez déjà probablement dans vos murs. Voulez-vous réenchanter ces ressources humaines et savoir ce que vous pouvez faire ensemble ?

La puissance du neuro-atypique

Sous les termes “atypiques” et “zèbres” se cachent ce que l’on appelle les Hauts Potentiels Intellectuels (HPI) et les Très Hauts Potentiels Intellectuels (THPI). Atypiques, oui, un peu, car ils ont un fonctionnement cérébral un tantinet différent. Les psychologues parlent de neuro-atypiques, les coachs de zèbres et de multipotentialistes. Les personnes concernées, elles, ne se nomment pas. En général, elles cachent leur atypisme ou ne savent pas qu’elles sont des hauts potentiels !

Il est l’heure de casser un mythe : ces personnes n’ont ni rayure, ni fourrure, ni trois têtes et sept bras. Voilà, c’est dit… Les hauts potentiels naviguent seulement avec une pensée complexe, dite en arborescence, ils puisent dans leur grande capacité d’analyse systémique pour parvenir à faire des liens entre différents domaines. Ils sentent et ressentent les choses et les gens en version mach 3 et ils sont affublés d’une grande fidélité, d’une loyauté tout aussi tenace et d’un sens aigu de la justice. Et en plus, leur sens de la communication est parfois déroutant. Ils osent tout ! Pas comme ceux d’Audiard, mais bien par naïveté et honnêteté relationnelle et intellectuelle.

© DR

Vous voyez maintenant de qui il s’agit ?

Chercher l’impact, pas le pouvoir

Oui, lui, qui vous trouve des solutions en trois jours au lieu de trois mois. Oui, elle, qui vous pose mille questions (ce qui vous agace profondément) pour tout comprendre et agir ensuite d’une manière inattendue pour régler votre problème. Oui, celui-là, qui vous semble hyper émotif, trop même (ce qui vous déroute tant l’expression des sentiments ne fait pas partie des codes de l’entreprise), surtout si c’est un homme et c’est tellement agaçant quand c’est une femme. Oui, elle, qui vous parle des personnes derrière ces chiffres qu’il faut supprimer du tableau de la productivité et qui vous propose un autre transfert de charge pour ne pas les effacer. Oui, lui, qui vous disrupte les process, en place depuis des années, pour vous prouver la performance de son nouveau modèle. Oui, elle, qui vous invente un nouveau parcours clients sur votre plateforme e-commerce ou qui vous crée un SharePoint dédié au top management en une semaine alors que vos équipes ne connaissent même pas l’outil.

Vous voyez de qui il s’agit ou vous vous reconnaissez ?

Bon, à partir de là, nous pouvons avancer. Déjà, il est essentiel de le rappeler : le haut potentiel ou le très haut potentiel se fiche du pouvoir. Ce n’est pas ce qui l’anime. Donc rassurez-vous, avec ses idées surprenantes et ses solutions sorties de nulle part, il ne cherche pas à se faire valoir, ni à vous piquer votre poste de manager ou de directeur. Non, il cherche juste des solutions, il cherche à avoir de l’impact et à donner du sens à ses actions et aux actions collectives. Donc la peur du pouvoir, vous pouvez la ranger dans votre poche droite. Et dans la gauche, ma foi, vous pouvez y ranger l’ego, car il n’a pas besoin d’entrer dans la compétition.

Le haut potentiel n’est pas omniscient. S’il est sur-compétent dans ses domaines, il ne vous rend pas, vous, incompétent pour autant. La lutte des ego n’a pas sa place entre vous. Surtout que son ego à lui, il est au chaud dans le fond de sa poche depuis bien longtemps. Il est même un peu abîmé, un peu écorché par manque de reconnaissance et parfois trop de maltraitance hiérarchique ou relationnelle. Le haut potentiel est humble, peu sûr de lui et timide. Oui, oui, ça ne se voit pas forcément, car tout le monde juge ses prises de paroles, ses solutions et ses digressions comme du mépris et un manque chronique de modestie. Mais non justement, c’est l’inverse.

Vous avais-je dit que le haut potentiel est souvent d’une grande maladresse, dans ses gestes et dans ses paroles ? Oui, il lui manque cette petite couche de vernis social qui rend les relations au travail lisses et sans arêtes. Par contre, connaissez-vous ses domaines d’excellences ?

Cognitif, soft skills et hard skills, la potion magique du HPI

Savez-vous pour quelles activités votre avion de chasse est doué ? Si vous voulez booster votre activité et lui permettre de déployer ses ailes, voici quelques pistes :

    • grâce à ses compétences cognitives en arborescence, votre avion de chasse a une aisance naturelle pour faire du lien entre différentes disciplines et différentes idées. Il voit en méta, il associe, il relie, il confronte et réorganise différentes données dans un ensemble cohérent. Il construit et intellectualise un tableau global qui mêle des problématiques parfois éloignées dont personne n’avait fait le rapprochement. A cette pensée en arborescence, il va ajouter ses soft et ses hard skills. Fabrice Micheau, coach de THPI en France et à l’international depuis une trentaine d’années illustre parfaitement cette arborescence lors de ses conférences. Il parle de “pensées en quatre dimensions.
    • La caractéristique des compétences comportementales, ces fameuses soft skills, du haut potentiel est qu’elles s’expriment plus complètement, elles sont interconnectées et se révèlent essentielles pour accompagner l’entreprise, les équipes, les dirigeants. Vous pouvez construire de belles ressources humaines avec ses dons d’empathie, de leadership et son aisance relationnelle. Vos collaborateurs déplaceront des montagnes grâce à la force de conviction du HPI, son humour contagieux, son intelligence émotionnelle et son adaptabilité au service de la créativité. Laissez-le piloter des dossiers d’accompagnement d’équipe ou de direction, car il a le sens des liens, des organisations quand il sait aussi créer de la force d’engagement dans un collectif. Votre avion de chasse est extrêmement poreux à la reconnaissance, aux valeurs humaines, au bon relationnel humain, à la confiance mutuelle et à une certaine forme de liberté dans ses actions. Nicolas Gauvrit est mathématicien et chercheur en psychologie. Ses études et ses écrits sur la psychologique cognitive éclaire le sujet. Dans son livre Les surdoués ordinaires (Puf, 2014), il expose le concept d’intelligence émotionnelle, développé depuis 1989. L’intelligence émotionnelle (évaluée QE – quotient émotionnel) en est la capacité à comprendre et à utiliser ses propres émotions ainsi que celles des autres. Nicolas Gauvrit détaille “les surdoués semblent mieux se conformer à ce qu’on attend d’eux (mesure de désirabilité sociale) et ils semblent avoir un avantage en ce qui concerne le leadership et le jugement moral“. Il poursuit en corrélant QI (quotient intellectuel) et créativité. Les personnes à QI élevé ont tendance à avoir des scores de créativité élevés, c’est un lien statistique, vérifié à de multiples reprises.
© Thierry Guilbert
    • Côté compétences techniques, les hard skills, le HPI en a un certain nombre, un peu surdimensionnées, c’est-à-dire qu’il peut être très bon, très vite. Ses atouts sont la maîtrise rapide de techniques et de technologies dans des domaines différents, qu’il parvient à combiner. Le haut potentiel excelle dans l’IT, car ses ramifications neuronales fonctionnent un peu comme le langage informatique. Il est doué en mathématiques, en statistique, en physique, en biologie, en conception et architecture de systèmes complexes, en prospective et bien sûr en innovation digitale. Il est doué pour faire, défaire, refaire des process, repenser des organisations, des stratégies et des audits complexes. Il est doué pour les métiers des relations humaines (coaching, psychologie, conseil, communication) et des arts. Un peu comme tout le monde finalement, mais un peu plus et un peu mieux que tout le monde… François, par exemple, est polytechnicien, ingénieur, diplômé des Mines ParisTech. Il excelle en conception et architecture de systèmes complexes, en prospective, innovation et analyse des processus. Il a œuvré au sein de la Sagem, de Dassault Aviation, à la DGA (Direction générale de l’armement). Il a travaillé sur le programme Rafale, sur des programmes de recherche et R&D européennes. Et quand ses compétences techniques peuvent trouver un terrain de jeu, les résultats valent tout l’or du monde pour une entreprise.

Et surtout, un conseil, ne laissez pas un HPI s’ennuyer ! Un haut potentiel qui s’ennuie, c’est un peu comme le Gremlins que vous avez nourri après minuit…

Atteindre l’efficacité générale

Voyez-vous maintenant l’intérêt pour toute entreprise, privée ou publique, de s’ouvrir sur cette reconnaissance des hauts et très hauts potentiels ? Dans un contexte professionnel ouvert, aux relations managériales équilibrées, votre avion de chasse saura surperformer. Il est primordial pour l’entreprise de laisser les hauts potentiels exprimer pleinement leur nature, et même si certaines de leurs skills vous titillent (émotions, humour, franc-parler), elles ont aujourd’hui toute leur place en entreprise. C’est l’heure de réparer l’entreprise et les collaborateurs par l’échange.

Il est l’heure, dans notre société en profonde mutation phygitale (physique et digitale), de faire décoller tous les avions de chasse. Non pas pour faire la guerre et prendre le pouvoir, mais bien pour rendre l’entreprise et le collectif plus agiles et plus efficients. Il est grand temps d’ouvrir la transversalité des métiers et des disciplines enfermées dans des silos. Il est grand temps d’ouvrir les multiples potentiels pour atteindre l’efficacité générale du travail et de la société.

Aliénor Rouffet


Magritte, Le fils de l’homme (1964) © Collection privée
Interview de Jacques GREGOIRE, docteur en psychologie et professeur (UCL), spécialiste du diagnostic de l’intelligence et des troubles de l’apprentissage.

[CERVEAUETPSYCHO.FR, 21 septembre 2021] Les personnes à haut potentiel intellectuel bénéficient d’une nouvelle visibilité : série télé, émissions, associations… Comment expliquez-vous ce phénomène de société ?

C’est assez propre à la France, vous savez. Les choses ne se passent pas de cette façon dans d’autres pays, en Europe ou aux États-Unis, où l’intérêt et la prise en compte du haut potentiel ont été plus continus, sans rupture franche. Disons qu’en France, la question du haut potentiel a été bannie du débat public dans la foulée de mai 1968. En ce temps, parler de surdoués a été considéré comme une forme d’élitisme, et très mal vu. Pour donner une idée du climat, deux ouvrages seulement ont été publiés pendant trente ans, et ils ont été classés très à droite politiquement alors qu’ils ne faisaient que s’intéresser au phénomène. Le plus notable était certainement celui du psychologue Jean-Charles Terrassier qui, par une approche de terrain, avait mis en évidence la notion de « dyssynchronie ». C’est-à-dire qu’il montrait qu’un certain nombre de jeunes présentaient un décalage temporel entre un développement intellectuel précoce et la maturation d’autres caractéristiques comme les compétences sociales, émotionnelles et même physiques. Il a été ostracisé parce que s’intéresser au haut potentiel était vu comme une tentative de mettre en avant les plus doués, totalement hors de question à l’époque.

Rien de tel dans d’autres pays ?

Pas du tout ! L’exemple le plus connu est celui des États-Unis, où il existait depuis longtemps des propositions éducatives pour les élèves à haut potentiel. On faisait des études scientifiques sur ce sujet. Alors qu’au moment où j’ai publié en France, au début des années 1990, un ouvrage sur l’évaluation de l’intelligence, il n’y avait plus de publication sur ce sujet depuis les années 1960 ! Il régnait une véritable chape de plomb sur la mesure de l’intelligence, et de façon plus générale sur la mesure des caractéristiques humaines. C’est un paradoxe car la France avait été pionnière pour toutes les questions d’évaluation et de mesure en psychométrie. Prenez Alfred Binet, l’inventeur de la mesure du quotient intellectuel il y a plus d’un siècle : il reste encore aujourd’hui l’un des auteurs français les plus cités dans la littérature anglo-saxonne. Mais en France, son héritage est tombé en désuétude. La faute à une suspicion sur l’intelligence et sur la mesure et le haut potentiel. Quand, dans ma carrière, je me suis intéressé à la psychométrie, savez-vous quel a été mon plus gros problème ? Impossible de trouver un laboratoire où aller travailler sur ces questions en France. Résultat : j’ai dû aller aux États-Unis. De façon générale, c’est la psychométrie (la mesure et l’évaluation de caractéristiques cognitives et psychologiques) qui était mal vue dans son ensemble.

Pourtant, c’est l’inverse aujourd’hui : regardez la fascination qu’exercent les personnes HPI sur le grand public !

Oui, et en fait la représentation de ce phénomène a changé quand on a commencé à dire qu’une personne pouvait être à haut potentiel et avoir des difficultés. C’était d’ailleurs relevé par Jean-Jacques Terrassier il y a un demi-siècle, mais bon, on n’a pas voulu le voir à l’époque parce qu’on avait l’impression qu’il voulait favoriser l’inégalité des talents. Aujourd’hui, cela a changé parce qu’on met plus en avant ce côté vulnérable. C’est ce qu’ont fait d’autres ouvrages, notamment ceux de la psychologue Jeanne Siaud-Facchin qui a contribué à populariser ce thème, et dans leur sillage une kyrielle de livres qui surfent sur le phénomène. De sorte qu’on est passé du déni – voire de la réprobation – à une fascination et à l’émergence d’un fait de société.

L’époque y est peut-être pour quelque chose aussi ?

L’époque, et plus particulièrement l’émergence d’internet. Réseaux sociaux, blogs : les parents d’enfants HPI ont commencé à communiquer, à s’informer, à discuter, à s’enflammer, à se plaindre aussi… On a vu apparaître les difficultés que rencontraient ces jeunes (les adultes viendront plus tard), ce qui a battu en brèche l’image de « l’aristocratie intellectuelle » qui auréolait le haut potentiel… [réservé aux abonnés du site : lire la suite…]


[INFOS QUALITÉ] statut : mis-à-jour le 04 mars 2022 | Source : PARLONSRH.COM ; PSYCHOETCERVEAU.FR | mode d’édition : partage et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : domaine public ; © Thierry Guilbert.


Ah ! Les dispositifs…

FIS : QR Code (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

FIS Nadine, QR Code
(sérigraphie, 40 x 50 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Nadine Fis © be.linkedin.com

Nadine FIS a étudié à l’Académie de Verviers. Elle a reçu le prix de la Ville de Verviers en 2006 pour la sculpture.

Cette sérigraphie s’inscrit dans une série plus large dont 100 % naturel (œuvre présente dans l’artothèque) fait également partie. Un “QR code” est un type de codes-barres lisibles par les GSM via l’appareil photo, donnant accès à des informations. L’artiste explore ici la peau comme potentielle surface d’impression et d’accès à l’être et ses secrets. L’œuvre suggère un tatouage comme expression de soi. Mais se pose également la question du corps-objet cette marque sur la peau qui annule l’espace privé et l’intimité.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Nadine Fis ; be.linkedin.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

MOZART : La Flûte enchantée (K. 620) / Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen

Temps de lecture : 2 minutes >

Der Hölle Rache kocht in meinem Herzen” (ou “Air de la Reine de la Nuit“) est un air de l’opéra Die Zauberflöte (La Flûte enchantée) de W.A. Mozart. Chanté au second acte, scène 3, il est considéré comme l’un des airs les plus virtuoses de l’art lyrique. Le livret est d’Emanuel Schikaneder, ami de Mozart, qui a d’ailleurs joué le rôle de Papageno (baryton) lors de la 1ère représentation à Vienne, en 1791. Il dépeint l’accès de l’amour vengeur lors duquel la Reine de la Nuit (soprano colorature) donne un poignard à sa fille Pamina et lui donne l’ordre de tuer le grand-prêtre Sarastro, menaçant même de la renier si elle ne lui obéit pas. La première interprète de l’aria fut la belle-sœur de Mozart, Josepha Weber, alors âgée de trente-trois ans. Josepha avait une voix d’un registre extrêmement élevé et d’une grande agilité et sans doute, Mozart, familier de ses capacités vocales (et selon des rumeurs, ne s’entendait pas avec elle), a-t-il écrit cette grande aria à son intention (pour la mettre à l’épreuve !).

Une vengeance infernale brûle dans mon cœur ;
La mort et le désespoir flamboient autour de moi !
Si Sarastro ne meurt pas de tes mains,
Tu ne seras plus ma fille !
Tu seras répudiée à jamais,
Abandonnée à jamais,
À jamais seront rompus entre nous
Tous les liens de la nature,
Si Sarastro ne périt pas de tes mains !
Entendez! Entendez ! Entendez, Dieux de Vengeance !
Entendez le serment d’une mère !

Résumé de l’opéra : le Prince Tamino est chargé par la Reine de la Nuit d’aller délivrer sa fille Pamina des prisons du mage Sarastro, présenté comme un tyran. Guidé par les trois Dames de la Reine et accompagné de Papageno, un oiseleur dont la personnalité contraste avec la noblesse et le courage de Tamino. À Papageno revient un carillon et à Tamino une flûte magique – deux instruments qui les aideront dans leur périple. Mais Tamino découvre au cours de son voyage que les forces du mal ne sont pas du côté de Sarastro mais de celles de la Reine de la Nuit : cette dernière est prête à tout pour se venger de Sarastro, qu’elle déteste. Le parcours, truffé d’épreuves, de Tamino pour délivrer et conquérir Pamina, les mène tous deux, vers l’amour et la lumière, sous la sagesse bienveillante de Sarastro. La Reine de la Nuit et sa suite finissent anéanties.

d’après LYRICSTRANSLATE.COM



[INFOS QUALITE] statut : validé | sources : youtube.com ; lyricstanslate.com | mode d’édition : partage, correction, mise en page, compilation et documentation | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations (entête) : L’apparition de la Reine de la Nuit, décor de Schinkel pour la Flûte enchantée de Mozart, 1819 (dessin de Karl Friedrich Schinkel, gravure de K. F. Thiele) © bnf.fr


D’autres incontournables du savoir-écouter :

CONCHE (1922-2022) : textes

Temps de lecture : 11 minutes >

​Le tragique vient de ce que la mort efface tout, aussi bien ce qui ne vaut pas que ce qui a une valeur infinie – un vieillard réduit à une vie végétative mais, aussi bien, un enfant riche en promesses et qui n’a pas encore vécu. La sagesse tragique consiste à ne pas se laisser abattre par la perspective de cet effacement, mais à vouloir donner le plus de valeur à ce que l’on fait, comme si cela ne devait jamais être effacé par la mort.

​​​Marcel CONCHE, extrait de Penser encore (2016)


[PHILOMAG.COM, 28 février 2022] Marcel Conche s’est éteint le 27 février [2022]. Le philosophe s’en est allé un mois avant de fêter son centenaire. Trop symbolique ? Peut-être. Disciple d’Épicure et de Montaigne, le métaphysicien athée évitait en tout cas les fétiches et les idoles – du destin à Dieu en passant par l’au-delà. “Il n’y a rien après la mort : je disparais, je m’évanouis, la vie s’arrête.” Raison de plus pour jouir de l’existence ! Joie peut-être tragique, et qui cependant ne cède rien à la déploration. Retour sur une philosophie singulière qui place la nature en son centre.

Fils d’agriculteur corrézien, orphelin de mère peu après sa naissance, Marcel Conche commence ses études dans l’enseignement supérieur à la faculté de lettres de Paris en 1944, où il a notamment Gaston Bachelard comme professeur. Il obtient, dans la foulée, une licence et un diplôme d’études supérieures en philosophie, et passe avec succès l’agrégation en 1950. Commence une carrière d’enseignant qui, de Cherbourg à Versailles en passant par Évreux et Lille, le conduit finalement à l’université Paris I, où il a pour  collègues Vladimir Jankélévitch, Jacques Bouveresse ou encore Sarah Kofman. Son oeuvre riche compte notamment Orientation philosophique (Mégare, 1974), La Mort et la Pensée (Mégare, 1973) ou encore Présence de la nature (PUF, 2001).

Issu d’un milieu catholique, Conche développe une métaphysique profondément athée, nourrie de sa lecture des présocratiques, de Nietzsche ou encore de Heidegger, qui n’abandonne pas pour autant la question d’un au-delà de la matière, d’un absolu. Mais cet absolu n’est pas Dieu. “La nature, pour moi, c’est l’absolu”, affirmait-il ainsi dans nos colonnes [Philosophie Magazine]. Non la nature “au sens moderne”, opposée “à l’histoire, à l’esprit, à la culture, à la liberté”, ou réduite à la matière, mais la nature dont les Grecs eurent le pressentiment sous le nom de physis (φύσις, “ce qui croît”). “La physis grecque ne s’oppose pas à autre chose qu’elle-même. […] La physis est omni-englobante”. Elle est puissance hyperinfinie et essentiellement “créative”, éternelle et en perpétuel changement, sauvage et tout à la fois créatrice, une et infiniment multiple. Elle déjoue toutes les oppositions, à commencer par celle fondatrice de l’être et du devenir : “Tout étant porte en lui la négation de lui-même, et cette négation est le temps. Rien qui soit toujours là, sinon cela même”“La nature avance en aveugle, comme le poète, elle improvise et on ne sait ce qu’elle fait qu’après qu’elle l’a fait.” [lire la suite de l’article original…]

Octave Larmagnac-Matheron


ISBN 2363450213

Dans sa Présentation de ma philosophie (HD Diffusion, 2013), Marcel CONCHE commence par distribuer des cailloux blancs afin que chacun puisse retrouver son chemin dans sa pensée. Comme le précise Jean-François REVEL : “[…] un système philosophique n’est par fait pour être compris : il est fait pour faire comprendre.” Grâce à la Propédeutique qui ouvre son livre, on ne pourra pas accuser Marcel Conche de vouloir nous perdre dans des méandres conceptuels, auxquels notre expérience de pensée ne pourrait se raccrocher. Voici quelques extraits de l’ouvrage :

“Avant l’enseignement proprement dit, il convient de structurer l’entendement du lecteur ou de l’auditeur afin de favoriser l’organisation des pensées. D’abord des phrases et des concepts clés délimitent le champ où l’on verra la nouvelle philosophie prendre forme et se construire.

Phrases-clés

Les phrases-clés sont comme les propylaia (propylées) avant le temple.

L’infini est le fait primordial
(Die Unendlichkeit ist die uranfangliche Tatsache)

Nietzsche, Oeuvres, Gallimard, II, 1, p. 215

L’infini est là – ce qui exclut toute transcendance – et ce qui est là est là éternellement (was da ist, ist ewig da) [ibid.] L’infini n’a pas à être expliqué (à partir de quoi puisqu’il n’y a rien d’autre ?). La seule chose à expliquer : d’où vient le fini ? (woher das Endliche stamme) [ibid.]. Il ne peut venir que de l’Infini, source de toutes choses.

L ‘assentiment de braves gens a plus de poids, si l’on peut dire, que celui des autres.

Platon, Sophiste, 246 d, trad. Diès

Laissant de côté le traitement conceptuel du temps que nous livre Kant dans l’Esthétique transcendantale, il convient de s’en tenir à l’expérience commune du temps, qui, indépendant de nous, va d’un pas égal (Benjamin Constant, cité in Orientation philosophique, 3e éd. p. 151). Qu’après une heure écoulée, il y en ait une autre, puis une autre, et une autre encore, indéfiniment, contre cela on ne peut rien. Le temps est la marque de notre impuissance, dit Lagneau.

Pourquoy prenons nous titre d’estre, de cet instant qui n’est qu’une eloise [éclair] dans le cours infini d’une nuict eternelle, et une interruption si briefve de nostre perpetuelle et naturelle condition ?

Montaigne, Essais, II, XII, texte de 1588, p. 526 PUF

Notre être n’ayant que la durée d’un éclair entre deux non-êtres dont chacun est infini, on peut se demander si c’est vraiment être que d’être si peu de temps.

Ce n’est pas plus (ou mallon) ainsi qu’ainsi ou que ni l’un ni l’autre.

Pyrrhon, d’après Aulu-Gelle, Nuits attiques, XI, 5, 4

Le miel, par exemple, n’est pas plus doux qu’amer ou qu’aucun des deux. Est-ce à dire que le miel est inconnaissable en soi ? Nous ne saisirions de lui que la façon dont il nous affecte et devrions suspendre notre jugement (épéchein) au sujet de ce qu’il est réellement. En ce cas, le ou mallon n’aurait pas une portée universelle. Il ne concernerait pas la différence de l’apparence et de l’être, laquelle resterait ce qu’elle est dans la métaphysique traditionnelle : simplement l’un des deux pôles, celui de l’être serait vide de contenu. Telle est la façon de voir du scepticisme banal, celui de Sextus .Empiricus, pour qui le doute ne porte pas sur les apparences, lesquelles sont évidentes, mais uniquement sur les choses obscures ou cachées (adéla). Mais telle n’est pas la pensée de Pyrrhon. D’après lui, en effet, il faut dire de chaque chose qu’elle n’est pas plus qu’elle n’est pas, ou qu’elle est et n’est pas, ou qu’elle n’est ni n’est pas. Il est clair que c’est la notion même d’être qui se trouve enveloppée dans le mallon. Or, si la notion d’être s’évanouit, ce qui s’évanouit aussi, c’est la notion d’apparence comme l’apparence de d’un être. Mais ce qu’il y a, même si les notions d’être et d’apparence (au sens relatif) ne conviennent pas, n’est pas absolument rien. De là une notion: l’Apparence absolue (cf. ci-après).

L’indéfini n’est qu’un fini variable

Couturat, De l’infini mathématique, Paris, Blanchard, p. 218

L’indéfini ne permet pas de franchir l’abîme qui sépare le fini de l’infini car ce n’est que du fini. Le monde est, selon Descartes, indéfini : il ne s’explique pas par lui-même, il faut supposer l’infini – Dieu, selon Descartes. L’infiniment grand et l’infiniment petit relèvent de l’ indéfini.

Tout s’écoule.

Héraclite, panta rhei, fr.136, Conche

Panta : toutes choses. Entendons: toutes choses finies. Un atome étant une chose finie, ne peut être éternel – malgré Épicure. Une âme humaine, étant affectée de finitude, ne peut être immortelle – malgré les croyants en Dieu. Un monde (cosmos), ne pouvant être infini (cf. ci-après), a un commencement et une fin.

Il me semble important de se débarrasser du Tout, de l’Unité […] Il faut faire voler le Tout en éclats.

Nietzsche, Œuvres, Gallimard, XII, p. 306

Cela contre l’idée que le tout de ce qu’il y a (nécessairement infini puisqu’il n’y a rien d’autre) pourrait être pensé en un – serait un Tout organique, un cosmos. Si la Nature est tout ce qu’il y a, elle éclate de toute part en aspects innombrables et inassemblables.

La nature reste bonne, même quand elle produit des monstres. Marx, Œuvres, Pléiade, III, 170

Il en va comme de la presse libre, qui reste bonne même quand elle donne de mauvais produits, car ces produits ont apostasié la nature de la presse libre. La nature est bonne, mais sa bonté a des défaillances : elle est bonne, mais elle n’est pas juste. Elle n’est donc pas d’essence divine. Une étoffe de bonne qualité reste une étoffe de bonne qualité même quand il y a des accrocs. Il y a des accrocs dans l’étoffe de la nature. Ces accrocs sont l’effet des mauvaises associations et du hasard. Il n’y a pas de coupable.

Si vous saviez ce qui se passe, aucun de vous n’oserait être heureux.

Hugo, L’homme qui rit, Livre de Poche, p. 757

Dans les temps anciens, lorsque les campagnes étaient calmes, on ne quittait guère son village et l’on était ignorant des événements du monde. Les jours de fête surtout, avec les danses, les feux de la Saint-Jean, etc., l’on pouvait être heureux. Mais aujourd’hui, alors que l’on connaît les horreurs des guerres, des massacres, la misère des enfants affamés, mal soignés, ou des populations enfermées dans des camps, comment oser être heureux ? Je n’ose pas, et je n’aime pas disserter sur le bonheur.

Concepts clés

Marcel Conche, dans sa maison de Corrèze (2017) © la croix

Il s’agit de concepts qui, dans ma philosophie, ont un rôle majeur, et dont certains me sont propres.

Nature

J’entends par ce mot la Phusis grecque, infinie (cf. l’apeiron d’Anaximandre), omni-englobante : l’homme est une partie de la Nature… cela contre la nature finie, qui n’est qu’un côté du réel, l’autre côté étant l’esprit, ou la culture, l’histoire, la liberté, etc.

Monde

= Cosmos, totalité structurée, donc finie… Cela contre Kant, qui parle de monde infini aussi bien dans le temps que dans l’espace (Critique de la raison pure, “premier conflit des idées transcendantales”, antithèse). Un monde ne peut s’égaler au tout de la réalité ; étant nécessairement fini, il a un commencement et une fin.

Mal absolu

C’est un mal dont aucune justification n’est possible; ou : qui ne peut se  justifier à quelque point de vue que l’on se place. Absolu, comme adjectif, s’oppose à relatif. Relatif : qui ne se conçoit qu’en relation avec autre chose ; absolu : qui est sans relation avec autre chose (“en dehors de toute relation”, Vocabulaire de Lalande, sens E). Un mal absolu: il n’y a rien qui puisse le relativiser.

Apparence absolue

Qui n’est ni apparence d’un être (l’objet), ni apparence pour un être (le sujet), – notions qui impliquent une relation – , mais qui est sans relation.

Temps rétréci

C’est le temps finitisé, par opposition au temps infini de la Nature. Si nous nous pensons dans le temps infini, nous rétrécissons notre être, le réduisons à presque rien. Si nous rétrécissons le temps, le réduisons par exemple à cent ans, notre être en occupe alors un empan non négligeable, et chacun peut se croire en droit de dire: “je suis”.

Réel commun

Distingué du “vraiment réel” (ontos on, véritablement étant). C’est le réel pour l’homme du commun et le savant : est réel ce qui s’offre à nos sens naturels (que l’on voit, que l’on touche … ) ou technicisés (grâce au microscope, au télescope, etc.). Le réel commun s’oppose au réel des philosophes, pour qui ce qui mérite d’être dit “réel” est ce qui est éternel : les essences (Platon), les Atomes (Démocrite), Dieu (Descartes), la Nature (Spinoza), l’Esprit (Hegel), etc.

Scepticisme à l’intention d’autrui

Je ne suis pas sceptique, car je n’ai pas le moindre doute quant à la vérité de ma philosophie. La pierre de touche de la force d’une conviction est, nous dit Kant, le pari. “Représentons-nous par la pensée que nous avons à parier [sur cette vérité] le bonheur de toute la vie, alors notre jugement triomphant s’éclipse tout à fait, nous devenons extrêmement craintifs et nous commençons à découvrir que notre foi ne va pas si loin.” Cela ne s’applique pas à moi. Je suis prêt à mettre en jeu bien plus que le “bonheur de toute ma vie” – qui, du reste, pour moi, est peu de chose. Il faudrait au moins que Kant me mette au défi de risquer, par un pari, le bonheur de ceux que j’aime. Ce ne serait pourtant, aux yeux d’autrui, qu’une certitude de fait, non de droit, puisque ma philosophie ne fait que s’étayer par des arguments sans se fonder sur des preuves. J’admets donc le scepticisme chez autrui à l’égard le ma philosophie comme possible en droit. Je sais le vrai et le faux, mais je laisse une porte de sortie à autrui pour qu’il puisse vivre dans ce qu’il croit être la vérité – car cela lui est nécessaire – , et qui, pour moi, est illusion.

Philosophie

Opposée à “sagesse”. La philosophie, comme métaphysique, est la théorie du réel comme tel  et dans son ensemble. Elle a en vue le savoir de toutes choses, le savoir absolu. La “sagesse” concerne seulement l’être humain. La
notion de “sagesse” implique la notion d'”éthique”. Une “éthique” est un choix de vie en fonction de la valeur que l’on estime suprême : il vaut la peine, pense t-on, de vivre pour la gloire ou pour le pouvoir, ou pour la vérité, ou pour le bonheur, etc. Lorsqu’une éthique suppose une métaphysique, cette éthique est dite une “sagesse”. Épicure philosophe en vue du bonheur. La notion de “bonheur” n’est pas une notion métaphysique. À sa métaphysique matérialiste, Épicure ajoute une éthique du bonheur. Mais cette éthique suppose le tetrapharmacos métaphysique et ses quatre vérités (sur les dieux, sur la mort, sur les désirs, sur la douleur). C’est donc une sagesse – eudémonique.

Sagesse tragique

Il s’ agit d’agir toujours en vue du meilleur (la plus belle œuvre) quoique le meilleur soit voué à la disparition – puisque, pour les choses finies, le néant a le dernier mot. Une telle sagesse s’inscrit sur le fond d’une métaphysique naturaliste – pour laquelle les œuvres de l’homme, à la longue, sont effacées (pour les croyants en Dieu, au contraire, les vertus que l’on a pu acquérir en ce monde ne s’effacent pas).

Concepts opératoires

Marcel Conche chez lui © franceinfo

Il s’agit de concepts dont je fais usage, mais qui ne me sont pas propres.

“Pensée” opposée à “connaissance”

Il y a “connaissance” lorsqu’il y a des preuves; il y a”pensée” (rationnelle) lorsqu’il y a des arguments. En métaphysique, on pense, on ne connaît pas. Il n’y a pas de connaissance métaphysique. On pense Dieu (car le mot “Dieu” a un sens- même si un tel être ne peut exister), on ne le connaît pas ; de même, on pense l’Infini, l’Absolu, la Nature, etc.

“Métaphysique” opposée à “science”

La métaphysique n’est pas, ne peut être et n’a pas à être une science (malgré
Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, etc.). La science seule nous donne des connaissances.

“Fini”, distingué de “indéfini” et opposé à “infini”

L'”indéfini”, ou infini “potentiel”, ajoute indéfiniment du fini au fini, par exemple dans la série des nombres naturels, on ajoute 1 au nombre précédent : l’on peut ainsi obtenir un nombre plus grand que tout nombre donné à l’avance. Mais on reste dans le virtuel, l’inachevé et même l’inachevable. Seul est vraiment réel l’infini dit “actuel”.

“Argument” opposé à “preuve”. La preuve oblige à l’assentiment, l’argument non. La preuve met la liberté sous le joug, l’argument non. Dans les sciences, l’on a des preuves ; en métaphysique, des arguments.

“Cause” opposée à “raison”

La formule des Cartésiens “causa sive ratio” est à rejeter. La cause supprime la liberté, la raison éclaire la liberté. La volonté est déterminée par des causes, elle se détermine par des raisons.

“Illusion” opposée à “apparence”

La cour carrée de loin semble ronde, il y a apparence, laquelle est incontestable. Si l’on dit: “la tour est ronde”, il y a illusion, laquelle est trompeuse. Les Sceptiques non pyrrhoniens s’en tiennent à ce qui apparaît, suspendant leur jugement au sujet de ce qui est. [Mais je distingue l’apparence ainsi entendue de l'”apparence absolue” et l’illusion ainsi entendue de l’illusion”ontologique”, où, disant “cela est”, on oublie que l'”être” auquel on a affaire n’est pas vraiment].

“Action” opposée à “création”

L’action implique prévision de l’avenir, hypothétique et risquée, et, selon le cas, programmation, planification, etc. La création invente l’avenir. L’action suppose que l’on mette devant soi, compte tenu de l’état du monde, l’éventail des possibles, la création met au jour des possibles nouveaux.

“Conscience” opposée à “pensée”

Les animaux sont conscients car ils dorment et s’éveillent : être éveillé et être conscient, c’est la même chose. Il s’agit de la conscience spontanée, non réfléchie : les animaux ne sont pas conscients d’eux-mêmes. Seul l’homme pense. La pensée a pour corrélat l’être. L’animal ne se rend pas compte qu’il y a – ce qu’il y a.

“Morale” opposée à “éthique”

La morale implique la notion de “devoir inconditionnel”, l’éthique ne connaît que des devoirs “conditionnés”. Exemple: le journaliste peut échapper aux devoirs du journaliste en cessant d’être journaliste ; il ne peut échapper au devoir de venir au secours du blessé au bord de la route qu’en cessant d’être homme.

Concepts métaphoriques

Marcel Conche et son figuier (2017) © la croix

Certaines notions, qui jouent le rôle de concepts, ont plutôt le caractère de métaphores.
Ainsi lorsque je dis que la Nature est “source” éternelle de vie, ou que, selon Anaximandre, elle “sécrète” des “germes” de chacun desquels naît un monde, ou lorsque je fais de la “nuit” une “métaphore de l’être pur” (Présence de la Nature, PUF, Quadrige, p. XV), ou lorsque j’écris: “La nuit, l’Obscur primordial, est le fond permanent de toutes choses” (ibid.)

En revanche, lorsque je dis que la Nature est le “Poète” premier et universel, il ne s’agit pas d’une métaphore.

Marcel CONCHE, Présentation de ma philosophie (2013)


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Citez-en d’autres :

NAVARRO, Iván (né en 1972)

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11 septembre 1973. Le Chili bascule dans la dictature suite au coup d’État d’Augusto Pinochet, anéantissant l’utopie socialiste portée par Salvador Allende. L’oppression s’impose comme nouvelle règle et certains continuent de croire en la liberté devenue chimère. Les opposants sont emprisonnés, torturés, éliminés. Iván Navarro, né en 1972 à Santiago, a grandi durant cette période douloureuse, aux côtés de parents artistes pro Allende – son père, qui dessinait des caricatures humoristiques pour des journaux politiques, a tout stoppé du jour au lendemain. À partir de ce contexte historique Iván Navarro a construit un vocabulaire plastique qui innerve toute sa création. Derrière chaque œuvre, on peut déceler des références à l’histoire récente du Chili, mais aussi à la musique underground, espace d’évasion et de résistance. “L’art est un moyen de subvertir la réalité, ce qui peut vous conduire à l’évasion, à la confrontation ou aux deux à la fois” précise-t-il. D’où ses échelles, qui traduisent la fuite mais aussi l’élévation sociale ou spirituelle et ses “trous”, des illusions d’espaces abyssaux et hypnotiques créés simplement à partir de miroirs et de néons. L’artiste se joue de notre perception pour créer un territoire fictif avec ces percés dans les murs et les sols où se répète souvent à l’infini un mot – Clamor, Bomb, Exodo, Strike… –, toujours en lien avec des questions d’identité et de résistance.

Si Iván Navarro reconnaît l’influence de Dan Flavin ou de Keith Sonnier dans son choix du néon comme matériau principal – il crée déjà des œuvres avec des ampoules les dernières années de ses études aux Beaux-Arts à Santiago, avant de s’installer à New York en 1997 –, l’artiste injecte une dimension politique absente du propos des Minimalistes américains. Navarro qualifie d’ailleurs certaines de ses œuvres de “sculptures sociales”. Derrière la lumière séduisante des néons aux couleurs pop, l’électricité renvoie aux blackouts quotidiens – synonymes de contrôle des populations – à la torture, à la peine de mort. Mais elle évoque aussi le progrès qui a transformé nos sociétés au début du XXe siècle. Pour souligner cette dualité, il crée en 2009 une chaise hybride en néons blancs qui suggère à fois la chaise électrique et l’iconique fauteuil rouge et bleue de Gerrit Rietveld de 1918, icône de la modernité. Tractée par un vélo, elle est éclairée uniquement grâce à la force humaine. Et porte un titre édifiant : Resistance. Si au Centquatre-Paris le vélo est immobile, l’installation a été conçue à l’origine pour circuler en ville. Tout comme Homeless Lamp, the Juice Sucker (2004), un caddie lumineux alimenté par électricité publique, dont la forme rappelle les chariots poussés par les sans-abri aux abords des métropoles.

Ivan Navarro, “Constellations”, 2019 © artnet.fr

L’histoire personnelle d’Iván Navarro l’a sensibilisé aux enjeux sociaux et démocratiques, à la mémoire collective, au déracinement… Depuis peu, c’est une réflexion plus existentielle et métaphysique qu’il initie avec sa série sur les constellations. “Lueur d’orientation des mages au cœur du désert ou réutilisées comme emblème de fierté des drapeaux nationaux, les étoiles guident et accompagnent les hommes dans leurs questionnements depuis la nuit des temps” écrit l’artiste. Il doit cette recherche tout particulièrement au documentaire de Patricio Guzmán, Nostalgie de la lumière (2010), qui suit à la fois des astronomes qui ont trouvé dans le désert d’Atacama un poste d’observation du ciel idéal, vierge de toute pollution lumineuse, et des femmes à la recherche du corps de leurs proches disparus, assassinés dans le camp de concentration de Chacabuco, dans ce même désert…

Au début de la pandémie en 2020, j’ai collecté des images de différentes nébuleuses, prises pour la plupart par les télescopes les plus puissants du monde. Ce sont des visions de l’espace où sont nées les étoiles. Les photos originales montrent des couleurs magnifiques qui sont des mélanges de gaz et de poussières dans l’univers. Je suis loin d’être le premier artiste à faire un lien ou une opposition entre l’immense et sublime abstraction de l’univers et la pulsion humaine pour le pouvoir et la domination, mais aussi pour sa survie.

De l’historique à l’universel, de l’oppression des hommes au vertige du cosmos, Iván Navarro donne une nouvelle dimension à son travail et prend du recul pour mieux relire l’histoire de l’humanité où se rejoue l’indéniable penchant pour le despotisme. Un “terrorisme politique”, selon l’artiste, toujours à l’œuvre.

d’après BEAUXARTS.COM


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Plus d’arts visuels…

SPA : les visites en province de Liège du shah de Perse Naser ed-Din (1873)

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Issu de la dynastie des Kadjars, fondée en 1794 par Agha Mohammed, qui n’était alors qu’un chef de tribu, Naser ed-Din est né à Téhéran en 1831. Il succède à son père le 10 septembre 1848. Il entreprend aussitôt la répression du babisme (1849-1852) ; ce mouvement, créé par Sayid Ali Mohammed, tire son nom d’un mot arabe “bab”, signifiant “porte”. Son fondateur se proclame, en effet, “la Porte qui donne accès aux Vérités éternelles.” Il prône une doctrine plus libérale, se référant davantage à l’esprit qu’à la lettre de la loi, s’opposant au pouvoir du clergé et prêchant l’abolition de la répudiation de la femme.

Cette répression est probablement due à l’instigation des chefs religieux, des mollahs dont le pouvoir va croissant. En effet, si sous le règne du shah des progrès ont été fait sur la voie de la modernisation (télégraphe, poste, routes), le gouvernement central s’est toutefois affaibli, l’administration locale s’est détériorée, tout cela au profit du pouvoir religieux, mais aussi des grandes puissances européennes.  Il faut nuancer l’image édulcorée du monarque telle que donnée par certains qui ne parlent que du développement de l’instruction et de la lutte contre la corruption. Le shah aime excessivement les bijoux et les femmes, ses extravagances le laissent toujours à court d’argent et, pour renflouer ses caisses, il accorde aux puissances étrangères d’importantes concessions.

Ainsi Amin Maalouf décrit-il celles accordées aux Russes et aux Anglais : “les Russes, qui avaient déjà le monopole de la construction des routes, venaient de prendre en charge la formation militaire. Ils avaient créé une brigade de cosaques, la mieux équipée de l’armée persane, directement commandée par les officiers du tsar ; en compensation, les Anglais avaient obtenu pour une bouchée de pain le droit d’exploiter toutes les ressources minières et forestières du pays comme d’en gérer le système bancaire ; les Autrichiens avaient, quant à eux, la haute main sur les postes.”

Le Shah avec la royauté britannique et russe au Royal Albert Hall de Londres © DP

Si les intellectuels iraniens admirent les progrès techniques occidentaux, ils s’opposent à l’octroi de telles faveurs aux Européens, faveurs qui permettent à ces derniers d’influencer fortement la politique intérieure du pays. Ainsi, “le mécontentement de la bourgeoisie urbaine s’exprima dans des révoltes contre les concessions étrangères et par la formation d’un mouvement constitutionnaliste.” Le 1er mai 1896, Naser ed-Din est assassiné par un jeune nationaliste religieux.

Durant le demi-siècle que dure son règne, Naser ed-Din se rend trois fois en Europe : en 1873, 1878 et 1889. Le voyage de 1873 est intéressant parce que, à côté de la relation qu’en fait la presse locale, nous possédons également le récit du shah lui-même, dans son Journal de voyage en Europe, aujourd’hui traduit en français.

C’est en juin 1873 qu’il vient pour la première fois en Belgique, après avoir quitté Wiesbaden. Dès le passage de la frontière, le shah note que “en un instant, les gens, la langue, la religion, l’aspect du sol et des eaux, des montagnes et du terrain ont changé, et n’ont aucune ressemblance avec ceux de l’Allemagne. Les montagnes sont plus hautes et plus boisées ; il fait plus froid. Les gens sont plus pauvres. (…) Les gens de ce pays sont plus libres qu’en Allemagne.”

Spa, la Sauvenière © De Graeve geneanet.org

Il arrive à Spa, “une jolie petite ville, située au milieu de montagnes et de vallées”, le vendredi 13, à 7 heures du soir, et est accueilli à la gare par le bourgmestre, M. Peltzer, et le directeur des fêtes, M. Kirsch. Une voiture découverte l’emmène à l’Hôtel d’Orange au son du canon et parmi la foule qui l’acclame. A son arrivée à l’hôtel, une aubade lui est donnée par l’harmonie du Casino, qui sera suivie d’un concert au kiosque de la Promenade de Sept-Heures donné par les Montagnards Spadois“. Le shah rentre ensuite à pied, entrant dans les magasins dont il ne sort jamais les mains vides. Il est étonné par les vitrines : “Le devant des boutiques est fait d’une plaque de vitre d’un seul morceau, à travers laquelle on peut voir tous les objets exposés.”

Le lendemain, samedi 14 juin, le shah fait le tour des fontaines, en commençant par la Sauvenière. “Là, une femme avec des verres offre de l’eau aux gens. Ceux qui sont malades de l’estomac, ou trop maigres, surtout les femmes, viennent y boire de l’eau avant de déjeuner. (…) Beaucoup d’étrangers viennent ici, surtout des Anglais. J’ai bu un peu de cette eau. Elle a très mauvais goût. Dehors, à côté de la source, on voit une grande empreinte de pas sur une pierre. Le gouverneur me dit : “C’est une trace de pas de saint Marc [en fait, saint Remacle]“. C’est un des saints des Européens. “Si une femme qui ne peut être enceinte vient ici poser son pied dans cette empreinte de pas, elle devient enceinte !” C’est vraiment curieux. En Perse aussi, ces croyances sont fréquentes.” Le shah reprend sa promenade : “En sortant de là, nous sommes partis à cheval par une avenue différente pour nous rendre un autre hôtel et à une autre source. Je montais mon propre cheval et galopai pendant quelque temps dans la forêt et dans les allées. C’est ainsi que j’arrivai à l’hôtel. L’eau de cette source avait encore plus mauvais goût que la première.”

Le dimanche 15 juin, “le temps est nuageux et il pleut. On ne voit jamais le soleil dans cette région.” C’est également le jour de la Fête-Dieu, ce qui retient l’attention de Naser ed-Din. “Toutes les rues étaient décorées de lampes et d’arbustes dans des pots. Le sol était tapissé de feuillages et le prêtre principal était conduit à l’église en grande pompe. J’ai vu passer trois groupes : tout d’abord deux cents jolies jeunes filles, toutes vêtues de blanc, coiffées de dentelle blanche, des fleurs à la main ; puis deux ou trois cents autres plus jeunes, tenant chacune un bâton à l’extrémité duquel était attaché un bouquet de fleurs ; enfin des petits enfants, filles ou garçons, tous jolis et bien vêtus, portant des cierges ou de petit drapeaux de velours et d’or avec le visage de Sa Sainteté Maryam [la Vierge Marie].”  Le soir, le shah assiste, au théâtre, à un spectacle de prestidigitation qui l’impressionne fortement.

Naser ed-Din © DR

Le lendemain, Naser ed-Din quitte Spa pour se rendre à Liège, en train. “On avait amené les wagons du roi des Belges [Léopold II]. Ce sont de forts beaux wagons. (…) Les trains belges sont excellents et très confortables. On y est un peu secoué, mais ils sont très rapides. Une heure plus tard nous sommes arrivés à Liège , qui possède d’importantes manufactures de fusils et de wagons de chemin de fer. De Spa jusqu’à Liège, on ne traverse que des montagnes, des vallées et des forêts. Nous sommes passés dans trois ou quatre trous [tunnels], dont l’un avait trois cents zar de long. Mais au-delà de Liège, c’est la plaine. (…) Liège est une grande ville, très peuplée, fort belle, tout entière construite à flanc de colline ou dans la vallée. Elle possède de beaux jardins avec des parterres de fleurs. Toutes les routes de Belgique sont pavées. Les plaines sont verdoyantes, cultivées et peuplées.”

Le shah se rend ensuite à Bruxelles où il est accueilli par Léopold II, “un homme de trente-huit ans, grand, assez maigre, avec une longue barbe blonde.” De là, il se rendra à Ostende où il embarquera pour l’Angleterre. Son passage dans notre pays inspirera la verve satirique du revuiste bruxellois Flor O’Squarr, également habitué de la ville d’eaux. Le premier acte de Quel plaisir d’être Bruxellois !, folie-vaudeville éditée en 1874, s’intitule Les Persans à Bruxelles et l’on y retrouve un monarque amateur de bijoux et de danseuses.

Naser ed-Din revient en Europe en 1878, mais il se rend uniquement à Paris. Il reviendra encore en 1889, pour assister à l’Exposition universelle de Paris, celle du centenaire de la Révolution. Il arrive à Spa le mercredi 27 juin où il est accueilli par une sérénade avant d’arpenter les rues, entrant dans les magasins comme à son habitude et à la grande joie des commerçants. Il loge cette fois à l’Hôtel Britannique, plutôt qu’à l’Hôtel d’Orange comme lors de son séjour précédent, parce qu’il souhaite occuper le même hôtel que le roi des Belges lorsqu’il se rend à Spa. Le lendemain, le shah consacre la journée à la visite des usines Cockerill en compagnie du roi Léopold II. De retour à Spa, il assiste le soir à la fête de nuit donnée en son honneur où l’on tire un imposant feu d’artifice. Il quitte la ville d’eaux le 1er juillet pour se rendre à Anvers où l’attend le roi, qui va le conduire au bateau. Ce sera son dernier voyage en Belgique.

Philippe Vienne


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | commanditaire : wallonica.org | auteur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article © Kimia Foundation ; domaine public ; © De Graeve – geneanet.org ; © DR | Pour en savoir plus :

      • NASER ED-DIN QAJAR, Journal de voyage en Europe (1873) du shah de Perse, Actes Sud, 2000 ;
      • VIENNE P., Naser ed-Din, un persan à Spa (in Histoire et Archéologie spadoises, n° 66, 1991).

Découvrir le monde…

CONCERT | Groupe Filia (CHiCC)

La CHiCC a le plaisir de vous inviter au concert du GROUPE FILIA, un groupe de quatre jeunes flûtistes qui interpréteront les œuvres suivantes :

      1. Sinfonia, W.A. Mozart – 4’,
      2. Pavane, Gabriel Fauré – 4’,
      3. Le cygne, Camille Saint Saëns – 3’30,
      4. Habanera, George Bizet – 4’,
      5. An Gàelic Tiodhlac, Catherine McMichael – 11’,
      6. French Quarter, Nicole Chamberlain – 13’,
      7. Tamar, Nicole Chamberlain – 3′.

Filia, un ensemble à formation variable, créé par quatre flûtistes professionnelles en 2016 propose des programmations variées alliant musiques traditionnelles, classiques et contemporaines. Filia se caractérise également à travers différents projets dont le but est de faire connaître la famille des flûtes au grand complet: la basse, l’alto, celle en do, ou encore la benjamine de la famille, la petite flûte piccolo.

Les flûtistes
    • Janina Scheuren (*1993) se forme auprès de Carmen Heuschen à la Musikakademie der Deutschsprachigen Gemeinschaft Belgiens avant d’être admise comme jeune talent au Conservatoire Royal de Liège dans la classe de Toon Fret. Pendant ses études et même après, elle parfait son éducation musicale auprès d’un grand nombre de flûtistes tels que PY. Artaud, A. Baerten , E. Beynon, R. Brown , V. Cortvrint , V. Debaele ainsi que B. Kuijken. Actuellement, elle est inscrite au Koninklijk Conservatorium Brussel au traverso, dans la classe de F. Theuns afin de développer son approche historique de la musique ancienne. Aujourd’hui, Janina est active comme professeure de flûte, dans l’établissement qui lui a transmis l’une des ses plus grandes passions. “L’une de ses passions”, car Janina ne se limite pas à une formation musicale complète : elle possède également un bachelier en Histoire et études cinématographiques de la Kingston University de Londres.
    • Melanie Deprez (*1984) découvre la musique auprès de la Stedelijke Academie voor muziek, woord en dans Lanaken avec Jan Mertens. Personnalité cartésienne, elle se lance d’abord dans un master en théorie musicale au Koninklijk Conservatorium Brussel. Ensuite, elle consolide son jeu flûtistique au Conservatoire Royal de Liège dans la classe de Toon Fret. Elle y développe notamment sa passion pour le piccolo auprès de Miriam Arnold. Férue du répertoire pour harmonie, Melanie partage son expérience dans diverses associations flamandes. Le public a eu le plaisir de rencontrer Melanie dans divers orchestres ainsi que lors de projets réguliers avec la Musique Royal des Guides.
    • Bénédicte Massenaux (*1991) commence la flûte traversière à l’harmonie de son village natal avant de suivre l’enseignement de Marc Legros à l’Académie de Musique de Malmedy. Elle y suit également des cours d’orgue auprès de Pierre Thimus avant de finalement se consacrer à la flûte traversière au Conservatoire Royale de Liège auprès de Toon Fret. Elle clôture son master en partageant la scène avec le pianiste Severin von Eckardstein, premier prix du Concours Reine Elisabeth 2003 en interprétant son concerto pour flûte traversière et orchestre lors de son projet spécialisé. Auprès de Toon Fret, elle développe une sensibilité particulière pour la musique ancienne : c’est pourquoi elle se perfectionne pendant 3 ans auprès de Barthold Kuijken et Frank Theuns au Koninklijk Conservatorium Brussel dans la section de musique ancienne. Anne Pustlauk, Kate Clark, Jean Tubéry et Marten Root ont particulièrement influencé sa formation artistique. Bénédicte partage sa passion pour la musique à l’Académie de Musique de Spa et à la BSTI de Saint-Vith.
    • Saranda Celina (*1989) débute son parcours musical au Kosovo, à l’Académie Lorenz Antoni de Prizren auprès de Nora Rema. En Belgique, c’est Myriam Königs, à l’Académie de musique de Herstal, qui la guide jusqu’à son admission au Conservatoire Royal de Liège où elle suit finalement l’enseignement de Toon Fret. Elle y enrichit sa formation auprès de Valérie Debaele . Aujourd’hui, Saranda s’épanouit, d’une part, dans l’enseignement de la flûte traversière au Conservatoire de Verviers et, d’autre part, dans celui de la musique au sens large dans des écoles secondaires. Le public a eu le plaisir de rencontrer Saranda à différents concerts tels que les Images sonores à Liège, le Festival d’orgue, En avent la musique, Il pleut des cordes

  • Lieu : crypte de la basilique de Cointe (rue des Moineaux, parking sur le parvis de l’église)
  • Réservations: eric.rigolet@laposte.net
  • Participation libre (au chapeau)
  • Application des règles sanitaires en vigueur

EXPO | Charles Szymkowicz, le monde et l’intime

D’inspiration humaniste, Charles Szymkowicz peint des portraits de ses proches ou d’artistes qui lui sont chers : sculpteurs, compositeurs, poètes, écrivains ou philosophes. Ses représentations sont franches, sans équivoques mais toujours à contre-courant, suivant son originalité qui ne s’est jamais soumise aux canons de l’art contemporain. Deux grands axes sont présentés dans cette exposition : les portraits de ceux qui l’inspirent mis face à face avec les émotions et les interrogations humaines que porte cette drôle d’époque.

A travers une sélection d’œuvres minutieusement opérée, Charles Szymkowicz présente deux grands axes de son travail qui dans un dialogue fertile racontent son rapport au monde et à l’intime. Des portraits d’êtres proches et d’artistes qui lui sont chers – qu’il s’agisse de peintres, de sculpteurs, de compositeurs, de poètes, d’écrivains ou de philosophes – font face aux émotions que lui commande notre monde tourmenté. Dans cet échange riche et bilatéral, l’artiste présente les deux faces parmi les différentes urgences de ses inspirations humanistes.

Une permanence cependant constitue un fil conducteur et anime l’artiste jusque dans ses plus profondes fibres créatrices. C’est le maintien, contre vents et marées, d’une originalité assumée souvent à contre-courant qui ne fait aucune concession et se présente au public dans une sincérité confondante et absolue.

Se donnant la gageure d’être lui-même dans un monde culturel où la mode fait office de diktat, Charles Szymkowicz éprouve une irrépressible et dévorante passion pour la figure de l’artiste maudit. Celui qu’on exclut pour ne pas répondre aux canons du temps, à l’approbation servile du plus grand nombre.

Marcher coûte que coûte vers la réalisation de soi-même et se présenter au monde à visage découvert est la route que l’artiste a choisi de suivre à l’égal des grands maîtres.

Visuel : Charles Szymkowicz, Autoportrait avec l’art contemporain, 2004, acrylique sur toile, 205 × 180 cm.