LAMBEAUX, Jef (1852-1908) : le sulfureux ‘Rodin’ belge

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[RTBF.BE, 22 avr. 2023] Certes, Jef Lambeaux n’est pas resté dans la mémoire collective comme le plus grand artiste de sa génération. N’est pas Horta qui veut. Mais le sculpteur belge a néanmoins marqué son temps avec des œuvres à la fois traditionnelles et d’une modernité flagrante. Présentes dans de nombreuses grandes villes de notre pays, les sculptures de Jef Lambeaux ont fait couler beaucoup d’encre.

Jef Lambeaux (Anvers 1852 – Bruxelles 1908) n’a pas le parcours traditionnel des célébrités de son époque. Il n’est pas d’un milieu aisé, n’a pas fait de grandes études. Né en 1852 dans une famille ouvrière, Jef est le fils d’un chaudronnier namurois et d’une Anversoise. Des origines modestes que les critiques d’art n’auront de cesse de lui rappeler par la suite. Son sens artistique est vite repéré et le jeune homme a l’opportunité d’entrer à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers. Il y parfait son talent pour la sculpture. Sa toute première œuvre, intitulée Guerre est exposée en 1871, mais ce n’est pas pour autant son heure de gloire.

Lambeaux part à Paris, capitale mondiale de l’art, et tente en vain d’y percer. Il y sculpte plusieurs œuvres, dont Le baiser, qui sera plus tard considéré comme son chef-d’œuvre. De retour à Bruxelles, il fait partie des fondateurs du groupe des XX, un club d’artistes avant-gardistes qui compte quelques grands noms : James Ensor, Fernand Khnopff, plus tard Félicien Rops, Henry Van de Velde, Anna Boch (rare femme à être reconnue dans le monde artistique) et un certain Auguste Rodin.

Mais Lambeaux ne restera pas longtemps un “vingtiste”. Il quitte le groupe l’année qui suit sa création, trouvant les œuvres de ses confrères trop… avant-gardistes. Il faut dire que Lambeaux puise son inspiration dans un certain traditionalisme. Les thèmes qu’il travaille sont issus du folklore, de l’histoire ou de la mythologie. C’est le cas, par exemple, de la fameuse fontaine de Brabo, inaugurée en 1887 sur la Grand-Place d’Anvers. Puisqu’elle représente la légende fondatrice de la ville, la fontaine en devient le symbole. Grâce à ce monument, c’est enfin la consécration.

Brabo sur la Grand’Place d’Anvers © antwerpen.be

Les commandes vont alors s’enchaîner. Il expose dans les salons, à Bruxelles, à Berlin, à Paris, et enchaîne les récompenses, dont la Légion d’Honneur. Ses bronzes de petites tailles décorent toutes les demeures bourgeoises. Pourtant, Lambeaux, en artiste de son temps, est loin de faire l’unanimité.

Le “Rodin” belge

En matière de sculpture fin 19e-début 20e, impossible de ne pas comparer avec la référence en la matière, Auguste Rodin. Les deux hommes se connaissent, et tous deux s’inspirent l’un de l’autre. L’expressivité des sujets et le travail des corps dénudés en mouvement sont autant de points communs de leurs œuvres respectives, signe d’une incontestable modernité. Lambeaux entre même en possession de certaines œuvres du maître français, qu’il léguera à la commune de Saint-Gilles après sa mort. Un autre trait commun caractérise les deux hommes : le goût pour le sulfureux.

Les deux amies © drouot.com

Si Rodin choque les milieux bien pensant avec plusieurs de ses réalisations, c’est son monumental chef-d’œuvre La Porte de l’Enfer, d’où sont extraites ses plus célèbres statues comme le Penseur ou le Baiser, qui déchaîne les passions. Lambeaux, lui, semble s’amuser à choquer la morale de son époque. Franc-maçon notoire, il n’hésite pas à provoquer les esprits conservateurs. Lorsque la ville de Liège lui achète Le faune mordu pour l’installer dans le parc de la Boverie, la polémique éclate. L’œuvre, admirée par Rodin, représente une femme nue tentant de se défendre, avec rage, de l’agression sexuelle d’un faune en lui mordant l’oreille. Le sujet choque tellement, que le vicaire de Liège, outré, fait renvoyer l’œuvre à son auteur.

Le faune mordu (1903, parc de la Boverie à Liège) © Micheline Casier

Les Passions humaines

Mais avant même l’affaire du faune, s’il y a une œuvre emblématique de Lambeaux qui aura fait les choux gras de la presse de l’époque, c’est bien le pavillon des Passions humaines, inauguré à Bruxelles, dans le parc du Cinquantenaire, en 1899. Le monumental relief est sculpté l’année précédente, d’après une commande du gouvernement. Pour abriter ce monument, on commande à un jeune architecte la construction d’un pavillon néoclassique, aux allures de temple grec. Victor Horta est alors presque inconnu, et ce pavillon, qui par certains éléments préface son style Art Nouveau, va lancer sa carrière.

Large de 11 m et haut de 6, le relief a tout ce qu’il faut pour choquer la bien pensance. On y voit notamment les plaisirs de l’humanité, comme la maternité, la débauche ou la séduction. Mais aussi ses tourments : le viol, le meurtre, le suicide ou la guerre. Les femmes nues sont âgées ou dodues, loin des canons de beauté d’alors. Les corps sont tourmentés, contorsionnés. De loin, on aurait presque l’impression de regarder une orgie géante. Ultime affront, un Christ décharné est crucifié dans cette cohue, relégué dans un coin. C’est l’ange de la mort, presque sanctifié, qui occupe la place centrale.

Lambeaux ne donne pas de nom à son œuvre, qui sera appelée de différentes manières avant que Passions humaines entre dans les habitudes. Trois jours seulement après son inauguration, le pavillon est fermé au public et obstrué par une palissade.

Les passions humaines © MRBA

Ce n’est pas tellement la pudibonderie qui en est la cause, mais plutôt un désaccord entre le sculpteur et l’architecte. Horta n’a pas prévu de fermer le pavillon avec un 4e mur. La colonnade est ouverte, car il veut que la lumière entre frontalement dans le bâtiment. Lambeaux est contre, il veut une lumière indirecte, qui éclaire son relief de marbre depuis la verrière du plafond. L’architecte sera donc contraint de cloîtrer le pavillon.

Lambeaux ne verra jamais le pavillon tel qu’il est aujourd’hui, puisque les modifications seront amenées après sa mort. Il décède le 5 juin 1908, à 56 ans à peine. Il demande à être inhumé sous le pavillon, ce qui lui sera refusé. Le bâtiment ne sera d’ailleurs que rarement ouvert au public par la suite.

Aujourd’hui encore, les œuvres de Lambeaux trônent dans les rues de Bruxelles, Anvers, Liège, dans le parc de Mariemont, dans les musées de Gand ou de Louvain. Son nom est toujours couru dans les salles des ventes et chez les antiquaires. Jef Lambeaux, par son style et son impertinence, aura marqué l’art sculptural belge de son empreinte.

Johan Rennotte, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : entête, Le Baiser ©  drouot.com ; © antwerpen.be ; © Micheline Casier ; © Musées Royaux des Beaux-Arts.


Plus de sculpture en Wallonie-Bruxelles…

LEQUEU, Jean-Jacques (1757-1826)

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Formé à l’école de dessin de Rouen, Jean-Jacques LEQUEU arrive à Paris pour faire carrière comme architecte. Soufflot, architecte du bâtiment qui prendra en 1791 le nom de Panthéon, le prend sous sa protection. Soufflot meurt en 1780 et Lequeu se retrouve seul. Son manque de formation académique lui sera reproché, ce qui lui vaudra d’essuyer échecs après échecs, à chaque fois qu’il se présentera à un concours.

La conjoncture politique troublée de cette période ne l’aide pas non plus à sortir de l’anonymat. Né sous l’Ancien Régime, il est mort sous la Restauration et a a donc traversé une diversité de régimes politiques en contradiction les uns avec les autres. Les événements contrarieront ses projets à de multiples reprises. Ayant par exemple reçu commande d’une “fabrique”, construction “que l’industrie humaine ajoute à la nature, pour l’embellissement des jardins”, selon la définition que Jean-Marie Morel en donnera dans Théorie des jardins publié en 1776, les événements le conduisent à perdre ses clients, la noblesse fuyant alors la France.

Ce n’est qu’en 1940 que sera analysé le fonds qu’il a légué à la Bibliothèque Royale, juste avant sa mort en 1826, se battant toujours pour sa reconnaissance, ce qui n’empêchera pas sa mort dans l’indigence et l’oubli. Ses dessins érotiques ayant été rangés immédiatement dans les armoires de l’Enfer de la Bibliothèque, ils seront redécouverts dans les années 50.

Les tromperies de la nature

Ses dessins architecturaux manifestent une grande connaissance livresque. Il se réfère dans ses dessins aux Métamorphoses d’Ovide, à l’Histoire Naturelle de Buffon, au Songe de Poliphile de Francesco Colonna. Sa singularité réside dans l’association du corps humain à l’architecture, voire la fusion. Il surprend aussi par les liens qu’il établit entre les Humanités qui nourrissent son œuvre et ses dessins érotiques sans concession, le rapprochant de Sade. Ceux-ci furent rangés aux Enfers de la BNF sous le titre Figures lascives et obscènes”, lorsqu’il légua son œuvre. Pour comprendre il faut se rappeler (…) que Jean-Jacques Lequeu est d’abord un portraitiste, attaché à la physionomie, comme c’était fort courant au XVIIIe siècle. Ceci l’a amené à développer une certaine ironie, d’abord à l’égard de lui-même mais aussi à l’égard de la nature (…).

Nature et transgression

“Dessin de boudoir” © Musée d’Orsay

Le goût de l’époque pour une nature sauvage et indomptée, telle que Rousseau l’avait défendue, se voit ici questionné. Cela permet de comprendre les dessins érotiques, voire pornographiques, de J.J. Lequeu autrement que par la voie psychanalytique, réduisant l’oeuvre de l’artiste à un ensemble de pulsions névrotiques. Pour lui, le retour à la nature est le retour au droit à la transgression ; une conception proche de celle de Sade. Retourner à la nature non contrôlée par les hommes, c’est mettre à mal toutes les normes. C’est rejoindre le goût pour le sublime.

Le sublime comme dépassement de la norme

On l’a longtemps classé comme artiste “révolutionnaire” parce qu’il réalisa des dessins “utopistes” comme Le Temple de l’Egalité. S’il contribua à la Révolution, une pique à la main, on le retrouvera en 1814 proposant la réalisation d’un mausolée à la mémoire de Louis XVI, ainsi qu’un théâtre royal. Entre 1806 et 1807, il se penche sur l’Eglise de La Madeleine dont Napoléon envisage de faire un Temple à la gloire des armées françaises. L’art n’est pas pour J.J. Lequeu une question politique, mais essentiellement une question qui réunit la technique et l’imagination dans une perspective de sublime, bien éloignée des règles du beau.

Il se consacre à des projets colossaux qui resteront sur le papier. L’île d’amour est ainsi une nouvelle Cythère, un lieu d’utopie. Proche en cela de la question du “sublime” développée par le philosophe irlandais Burke et le philosophe allemand Kant, il s’éloigne de celle du “beau”. Le sublime se rattache à l’idée de l’inaccessibilité, de l’incommensurable, de la petitesse de l’homme dans le monde, dont la prise de conscience le conduit au respect et / ou à la crainte.

J. J. Lequeu dépasse les bornes, aussi bien celles fixées par les règles techniques que par celles, morales… fidèle en cela à ses goûts pour le sublime. Ce que dit J.J.Lequeu, c’est qu’il n’y a pas d’architecture sans réflexion anthropologique. Penser le sublime dans l’architecture, c’est penser l’homme hors des normes du beau, dans l’incommensurable. La démesure érotique est à l’homme ce que la ligne démesurée est à l’architecture.

d’après NONFICTION.FR


LEQUEU, “Et nous aussi nous serons mères, car… !” ©ndemain-lecole.over-blog.com

Les images licencieuses du XVIIIsiècle sont légion. De la littérature aux arts graphiques, le siècle des Lumières ose tout, la fascination pour la nudité s’empare de tous. Citons la philosophie pornographique d’un Boyer d’Argens avec sa Thérèse philosophe, ou Le Rideau levé ou l’Éducation de Laure de Mirabeau. On oublie souvent que “l’orateur du peuple”, “la torche de Provence”, la grande figure de la Révolution française a écrit dans L’Éducation de Laure des passages aussi insolites que celui où la jeune fille déclare : “Je me regardais dans les glaces avec une complaisance satisfaite, un contentement singulier”, quand elle ne se livre pas à l’inceste : “Il me semblait que l’instrument que je touchais fût la clef merveilleuse qui ouvrit tout à coup mon entendement. Je sentis alors cet aimable papa me devenir plus cher.”

Or, dans toute cette littérature, qui prône le dévoiement et la dépravation, l’idée selon laquelle la sexualité permettrait d’accéder à une certaine métaphysique du bonheur, ou à une meilleure compréhension du réel, est omniprésente. En cela, les œuvres les plus lascives de Jean-Jacques Lequeu (1757-1826) s’inscrivent dans l’esprit de son temps. Les titres ont pourtant la vie dure. En 1949, l’historien Emil Kaufmann écrit un article, dans The Art Bulletin, introduisant pour la première fois une expression qui va rester et qu’il reprendra en publiant Trois Architectes révolutionnaires : Boullée, Ledoux, Lequeu, en 1952. Impossible dès lors de se défaire tant de l’association avec Étienne Louis Boullée et Claude Nicolas Ledoux que du qualificatif d’”architecte révolutionnaire”.

Foisonnement créatif sans bornes

Dans l’introduction du catalogue du Petit Palais [2018], Laurent Baridon, Jean-Philippe Garric et Martial Guédron rappellent justement un commentaire plein d’ironie de Quatremère de Quincy : “On voit que la plupart des anciens dessins d’architecture n’étaient que de simples traits à la plume, hachés ou lavés légèrement au bistre. Les modernes architectes semblent avoir fait un art particulier de dessiner l’architecture. Je crois que cet art s’est accru ou perfectionné en raison inverse du nombre des travaux et des édifices qui s’exécutent.” Contrairement à ses deux illustres confrères, à supposer qu’ils l’aient vraiment été, Lequeu ne construit rien. Il dessine, oui. Dès lors, la tentation est grande de voir en lui un architecte frustré. Si, à l’inverse, Lequeu est envisagé sous l’angle de la philosophie pure, il devient pourtant un génial penseur, et un penseur féministe !

Comme Annie Le Brun le souligne dans sa brillante contribution au catalogue de l’exposition, La question amoureuse comme mur porteur, on a longtemps ignoré “l’intuition qu’il serait dans la nature du désir de conduire les hommes à vouloir habiter leur rêve. Et même que la volonté architecturale serait l’expression première d’un désir inventeur tout autant de formes que de nouveaux espaces.” Lequeu est à mille lieues des “sinistres casernes sexuelles imaginées aussi bien par Ledoux pour Arc-et-Senans que par Restif de La Bretonne dans Le Pornographe. Car, au lieu de s’en remettre au rationalisme, à l’hygiénisme et finalement à la dimension répressive qui président à ces projets, Lequeu, depuis le début, mise au contraire sur l’humour indéfectible du corps reprenant ses droits, en même temps que sur une nature jamais en manque de solutions imaginaires.”

Il y a, de toute évidence, un tournant dans son œuvre. Jeune élève brillant à la culture encyclopédique  il est évident qu’il en connaît les planches mieux que personne, Lequeu s’écarte de la voie tracée en entremêlant, à partir des dessins pour l’architecture intérieure de l’hôtel de Montholon à Paris, désirs propres et attentes de ses commanditaires. Son foisonnement créatif est sans bornes. Dans le projet Pour la chambre à coucher de madame de Montholon, où les langues de l’Amour et de l’Amitié s’entremêlent goulûment tandis que le premier porte la main droite sur le sein de l’Amitié, ses annotations sont extrêmement fleuries :

Tous les appartemens chez les Anciens et particulière la chambre nuptiale étoient ornés des sujets les plus lubriques”, “Les pommes, le mythe étoient consacrés à l’amour, la bandelette autour des cheveux désigne la souveraineté. La colombe étoit l’oiseau de Vénus car ils sont très portés au plaisir. La tourterelle lui étoit agréable. La rose étoit sous la protection spéciale de cette divinité. Son éguillon est le sel des plaisirs etc.

La démarche de Lequeu s’inscrit aussi dans la pure tradition de la Renaissance puisque, pour Leon Battista Alberti, “l’édifice est un corps”. Impossible également de ne pas songer aux traités qui s’inspirent des principes de Vitruve sur la sexualisation des ordres d’architecture, comme le rappelle Laurent Baridon dans le catalogue, ou encore d’évoquer le Songe de Poliphile publié à Venise en 1499, roman architectural de Francesco Colonna où la quête de la sagesse et de l’amour s’incarne sexuellement dans certains édifices. Au XVIIIe siècle aussi, Jacques-François Blondel et Quatremère de Quincy développent des analogies entre pierre et chair. Tout un ensemble d’artistes, dont les peintres de fêtes galantes, prennent plaisir à donner un rôle aux statues qui décorent leurs compositions. Lequeu va évidemment plus loin encore dans sa série de figures de femmes qu’il dessine dans des baies, telles que Et nous aussi nous serons mères ; car… ! S’agit-il d’une sculpture placée dans une niche ? Ou plutôt du portrait d’une célèbre scandaleuse qui incarne la débauche ? Le doute est permis.

Une nouvelle lecture de l’Antiquité

LEQUEU, “Chat de la liberté” © silezukuk.tumblr.com

Si Vitruve imagine le monde à la mesure du corps masculin, Lequeu le préfère à l’aune du corps de la femme, et plus spécifiquement de ses parties intimes. Les dessins en témoignent, les titres aussi : la Porte de sortie du parc des plaisirs, de la chasse du prince, la Coupe de la petite grotte du souterrain du désert, le Lieu des oraisons persanes… Dans le Boudoir du rez-de-chaussée, appelé temple de Vénus terrestre, côté du sofa, la forme choisie est aussi ambiguë. Des colonnes encadrent cette prison dorée, au milieu de laquelle la couche est destinée à accueillir les amours. Les inscriptions soutiennent cette lecture : “ceste ou ceinture à pucellage”, “pavillon à savourer”, “Pertunda, Volupie, Perfica, Volupté, compagnes des plaisirs lascifs… le Dieu est dans l’action de les commander aux armes”

En réalité, selon Annie Le Brun, l’architecture devient chez lui l’espace qui relie la tête et le sexe, et son Architecture civile, qui l’occupe de 1792 à 1821, rend compte de l’immense ébranlement de ce qui s’y rapporte. “Car dans cet étrange recueil, voilà qu’entre des projets apparemment classiques se poursuit le travail du désir, venant miner tout l’espace social, telle cette “fournaise ardente” dans les soubassements de la maison gothique, où l’esprit du feu attise le feu de l’esprit jusqu’à induire le chemin d’une souveraineté inédite.”

Elle en veut pour preuve le sofa-cheminée, Ce qu’elle voit en songe, daté de l’an III, où Lequeu propose finalement une nouvelle lecture de l’Antiquité, faisant remarquer à ses contemporains qu’ils s’étaient fourvoyés en croyant en comprendre les grands penseurs. Lequeu était peut-être un visionnaire ; il était incontestablement un penseur génial. Il offre, plus qu’aucun autre artiste du XVIIIe siècle, la possibilité de susciter des débats infinis sur la nature de ses talents. Il y a fort à gager que, dans plusieurs décennies, son œuvre continuera à faire couler beaucoup d’encre, puisque son interprétation ne réussira probablement jamais à créer un quelconque consensus. Lequeu est surtout la preuve que le siècle des Lumières est un terrain fertile d’interrogations, un siècle impossible à classer.

d’après GAZETTE.DROUOT.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : nonfiction.fr ; gazette.drouot.com | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article, “Il est libre” © BNF ; Musée d’Orsay ; demain-lecole.over-blog.com ; silezukuk.tumblr.com


Plus d’arts visuels…

CHENG Xinyi (née en 1989)

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“Xinyi Cheng peint des corps étrangement ténus, indiciblement offerts et irrémédiablement baroques dans leur posture presque “bancale”. Née en 1989 à Wuhan, formée à la sculpture à Pékin et passée par les Etats-Unis (Skowhegan School of Painting and Sculpture et Mount Royal School of Art, Baltimore), Xinyi Cheng vit désormais à Paris où elle est représentée par la galerie Balice Hertling et réalise des toiles inspirées de ses rencontres, des hommes et femmes qui la côtoient au quotidien.

Profondément marquée par l’Impressionnisme dans sa jeunesse, elle développe durant sa formation aux Etats-Unis son vocabulaire pictural marqué par l’ambiguïté d’une utilisation de la couleur aussi douce qu’indiciblement étrange, créant une distance perpétuelle entre un réalisme de situation et une scénographie de son propre sentiment.

Doucement érotique et paisiblement intimiste, son univers multiplie les focales de l’immédiatement familier à la grande histoire de la peinture. Pétries de références artistiques (Degas, Picasso, Toulouse-Lautrec, etc.) ses compositions convoquent un herbier d’hommes et de femmes qui peuplent une vie dont on devine, sans voyeurisme, le spectre émotionnel. Les touches de peinture comme des flammes font frémir la naïveté apparente pour retenir émotion qui fait viscéralement vibrer la toile. Dans la retenue, c’est donc le précipité d’une double intimité qui agite la représentation. La sienne d’abord, ces silhouettes sont celles de ses amis, dans le secret de leurs relations, transfigurés par les sentiments affleurant à leur encontre, Xinyi Cheng glisse sur les peaux, rehausse les détails de la chair, coupant ou recomposant des membres de leurs corps (épaule, sexe, coude, cou…) pour en faire des motifs de scènes réelles ou imaginées.

À travers les corps, leurs représentations, c’est la vie parisienne même de Xinyi Cheng qui s’incarne, ce moment de la rencontre, de la découverte du corps synthétisé dans l’expérience de la proximité, dans sa coexistence construite au fil du temps avec la familiarité. Comme étrangers aux lois de la gravité, ces corps évoluent dans un monde de l’imaginaire qui les remet en scène sans délibérer, sans trancher entre le réel et la fantaisie. En flottant, dans tous les cas, sur le courant paisible et doucereux qui charrie en lui la gravité du médium peinture et la vanité de nos images, le jeu de l’amour, du hasard et de la représentation. [d’après SLASH-PARIS.COM]

North Brother Island (2017) © artviewer.org

Comment inventer une nouvelle peinture au XXIe siècle ? Ils ne sont pas nombreux à faire partie de ce groupe étroit qui réussit à imaginer de nouvelles alternatives, un pas de côté ou mieux un pas en avant dans l’histoire de la peinture en train de se faire. Le poids de l’histoire est lourd sur les épaules des artistes après cette déferlante de génies du XXe siècle qui se sont exprimés à travers l’abstraction, le surréalisme, l’expressionisme, l’art naïf, telle ou telle sorte de bad painting, le Pop Art sensuel ou glacé tout comme les inclassables, les monstres sacrés que furent Picasso ou Matisse ou plus près de nous Sol Lewitt dans sa période tardive et jouisseuse avec ses Wall drawings et encore Kerry James Marshall dans son mélange d’expressions politiques et chromatiques. Ces jours-ci, avant que le courant ne change, l’époque est à la figuration avec beaucoup d’art post-naïf, post surréaliste ou décoratif, un art-artisanal mais il n’y a quasi systématiquement pas d’invention si ce n’est le désir de réagir à une peinture glacée, issue de l’omniprésence de la technologie et de la tentaculaire data qui envahit notre vie quotidienne.

En 2017, l’année même de son arrivée à Paris, j’avais remarqué la très discrète Xinyi Cheng cette peintre née en 1989 à Wuhan. Elle a étudié l’art en Chine, à Baltimore, à la Rijksakademie d’Amsterdam avant de s’installer à Paris en 2017. A l’époque ses peintures déjà très singulières étaient marquées par une forte sensualité. Sa peinture ressemblait en fait à une expression qu’on pourrait rapprocher d’un désir homosexuel tel qu’on l’observe dans certains films, faits de frôlements et d’impudeurs ponctuelles entre hommes. On pouvait souvent voir deux personnages dans des arrêts sur image, nus ou dans des scènes d’intimité, de la vie quotidienne. Les compositions étaient émotionnellement intenses et à l’époque Xinyi m’avait expliqué que pour elle c’était une manière d’aborder le sujet de l’érotisme avec pudeur , d’une certaine manière, en se cachant derrière l’homosexualité qui la fascinait.

Depuis lors elle a grandi et vécu et son talent s’est affirmé, confirmé et ses centres d’intérêt se sont élargis. Elle continue à réaliser des compositions dépouillées, sans décorum, qui se caractérisent par la représentation de situations dans des couleurs contrastés qui constituent une bonne partie du “message”. Elle dit : “Le défi c’est la peinture elle-même. J’aime bien qu’on voit les couches de couleurs les unes sur les autres”. Chaque œuvre prend deux à six semaines pour être réalisée. Elle crée aussi des œuvres sur papier pour lesquelles elle utilise des teintes japonaises spécifiques, mélangées à de la colle d’origine animale. Sa peinture ne semble en rien inspirée de la tradition chinoise mais elle explique commencer à s’intéresser à l’art de son pays d’origine. Dans son atelier de Belleville, une ancienne boutique, ce jour-là il fait très froid . Au mur très peu d’œuvres mais on reconnait un paysage, qui ne la quitte pas, que sa mère a peinte au moment de son départ de Chine. Il n’y a pas beaucoup d’œuvres visibles car Xinyi est l’objet d’une demande intense.

A Paris, le Palais de Tokyo, pour l’instant fermé, Covid oblige, lui consacre un mini show en huit peintures dans son exposition “Anticorps”. L’année dernière elle a reçu le prix d’art de La Baloise à Art Basel et de ce fait, elle est l’objet d’une exposition en 29 peintures et quelques photos à la Hamburger Bahnhof de Berlin (pour l’instant fermée). Récemment, dans le magazine Beaux-Arts, le collectionneur et propriétaire de Christie’s, François Pinault a déclaré : “Je garde un souvenir très vif de ma rencontre avec Xinyi Cheng, formidable jeune peintre chinoise”. On peut donc imaginer qu’il l’exposera lors de l’ouverture de la Collection Pinault à la Bourse de Commerce à Paris, dès que les musées seront autorisés à rouvrir en France. Au printemps une exposition Xinyi Cheng est aussi programmée à Lafayette Anticipations, la fondation des Galeries Lafayette toujours à Paris. Sur Instagram, porte-voix inédit de la promotion de l’art, les posts relatifs à la peintre fleurissent, naturellement de la part de sa galerie française, Balice-Hertling, mais aussi d’opérateurs influents du marché comme le marchand privé installé entre Paris et New York, Philippe Ségalot.

Xinyi elle, reste placide et plutôt silencieuse. Elle joue avec maestria avec les paradoxes et lorsque par exemple on lui demande quelles sont ses références dans l’histoire de l’art elle parle d’abord de la sculpture ou en peinture de l’abstraction. Elle a écrit dans le catalogue de son exposition à Berlin : “Je peins des gens qui me fascinent. Ce sont mes amis et je les trouve beaux et excentriques (…) J’aime venir à l’atelier vers 11 heures du matin et y rester jusqu’au soir. La plupart du temps je suis juste assise comme ça. Je regarde la peinture jusqu’à un moment d’illumination. C’est comme cela que je reste connecté au présent. Par l’attente”. On attend nous aussi… la réouverture des expositions de Xinyi Cheng. [d’après LESECHOS.FR]


ARAKI, Noboyushi (né en 1940)

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“Il existe deux types de photographes. Ceux qui sortent toujours avec leur appareil en quête d’instantanés à la sauvette. Et ceux qui s’en servent uniquement pour une prise de vue mûrement réfléchie. En faisant de sa vie une performance visuelle, Nobuyoshi Araki croise les deux profils.

Ce Japonais de 74 ans a un jour résumé l’affaire : Mon corps est devenu un appareil.” Ou encore : Mon propre souvenir disparaît au moment même où je prends la photo. C’est l’appareil qui me sert de mémoire.” Une de ses images les plus saisissantes est le visage de sa femme Yoko Aoki, en 1970, en train de jouir. Ce qui veut dire que l’auteur sait faire deux choses à la fois : l’amour et appuyer sur le déclencheur. Comme il peut dégainer son appareil, fourchette à la main et bouche pleine, ou en se brossant les dents. Cela vient de loin.

Il a 12 ans quand son père, photographe amateur, lui tend un appareil pour saisir ses copines. Mais il préfère dire à Jérôme Sans, dans le livre Araki (Taschen, 2002, complété en 2014), que, dès qu’il est sorti du ventre de sa mère, il s’est retourné et a photographié son vagin.  Tout semble XXL chez le Tokyoïte. Quand une grosse exposition contient 300 photos, lui en accroche parfois 4 000. Certaines tiennent dans la main, d’autres mesurent 2 mètres sur 3. Elles sont en couleurs et en noir et blanc. Parfois il les maltraite à coups de pinceau.

Plutôt que de calculer le nombre d’images prises en soixante ans, il vaut mieux décrire sa journée type. Il l’a racontée, il y a quelques semaines, quand M Le magazine du Monde lui a commandé une séance de mode (réalisée dans le cadre de la collection Esprit Dior, Tokyo 2015) : Dès que je me lève, je gagne le toit et je photographie les nuages. Et puis je me penche au balcon et j’enregistre la rue. Je monte dans un taxi et je prends des images à travers la vitre.” Il arrive à son studio et photographie des mannequins ou des objets. Il fait un tour au bar ou chez des amis, et c’est reparti. Jusque tard dans la soirée. Tout passionne son objectif. Une fleur, son chat (il lui consacre un livre, Chiro, My Love, en 1990), les objets les plus divers, les habitants de Tokyo, avec un penchant sérieux pour la femme nue, jambes écartées, parfois ficelée et suspendue au plafond.

Araki a aussi révolutionné le livre de photographie. C’est peut-être là qu’il est le plus fort. Il en a publié 450, 28 pour la seule année 1996, certains proches du fanzine, jusqu’à celui de 600 pages et 15 kg, publié par Taschen au prix de 2 500 euros. La profusion épate, la rapidité aussi. Certains de ses ouvrages paraissent aussitôt après la prise de vue.

Arrêtons-nous un instant sur le graphisme et la mise en pages de ses livres. Araki a été photographe publicitaire à l’agence Dentsu, la plus importante du pays. Il a été éditeur, rédacteur en chef de journal. Il maîtrise le design, la typographie, le rythme visuel, la calligraphie, autant de talents conjugués dans les couvertures des livres, stupéfiantes de liberté et d’audace. Il travaille pour la publicité, la mode, l’industrie, la presse. Pour qui lui demande. Il sort rarement du Japon depuis la mort de sa femme, en 1990 ; voyager est du temps perdu pour photographier.

Araki ne parle pas anglais. Ses photos parlent pour lui. Un photographe s’affadirait en s’éloignant de sa terre. L’Américain Eggleston n’a jamais été aussi bon qu’à Memphis et Garry Winogrand qu’à New York. Ou Araki qu’à Tokyo. Pas toute la ville, surtout ses quartiers populaires. Aujourd’hui, c’est Shinjuku. Mais, au début de sa vie, c’était Minowa ou encore Yoshiwara, le plus grand quartier de plaisir de la capitale. Il aimait jouer dans son cimetière et sentir les cendres de 25 000 prostituées qui y sont enterrées.

Plaisir et mort réunis. C’est le résumé de l’art et de la vie d’Araki. Nombre de photographes, de Nan Goldin à Larry Clark, ont érigé le journal intime par l’image en œuvre d’art. Sauf qu’Araki l’enrichit 24 heures sur 24. D’abord en s’inventant un personnage de manga. Visage rond, lunettes rondes teintées en bleu, ventre rond sur tee-shirt blanc à manches longues (avec la lettre A imprimée au niveau de la nuque), salopette à bretelles rouges (sa couleur favorite), un toupet de chaque côté du crâne. Une figurine de dinosaure l’accompagne partout, qui surgit parfois sur l’image.

“J’en ai marre de tous les mensonges sur les visages, les nus, les vies privées et les paysages que l’on voit partout dans les photos de mode.” Araki est aussi une rockstar. Il y a quelques années, quand il débordait d’énergie, nous l’avons accompagné dans le bar qui lui appartient, logé haut dans un immeuble de Shinjuku. On poussait la porte d’un appartement, on tombait sur un comptoir et quatre tables. Une femme d’âge respectable nous accueillait en kimono très chic. Une autre, aux formes généreuses, assurait le service. Araki y allait presque chaque jour pour manger des sushis et boire. Il faisait aussi le spectacle. Il s’emparait d’un micro pour chanter La Vie en rose, tirait le portrait des clients au Polaroid, qu’il dédicaçait et donnait, se laissait volontiers photographier.
Araki a malmené la posture de l’artiste pur et cloîtré qui organise son oeuvre autour de la rareté. Lui, c’est table à volonté dans un mariage entre art et luxe. Plus il produit, mieux c’est. Il multiplie les campagnes de publicité et peut exposer ses images dans des boutiques de Toshiba ou de Shiseido sans que son image d’artiste soit écornée. [lire la suite dans LEMONDE.FR]
 
Nobuyoshi Araki, Bondage © Taschen

Araki Nobuyoshi est né le 25 mai 1940 à Minowa dans l’arrondissement de Shitaya — l’actuel arrondissement de Taitô —, au cœur de la ville basse  (shitamachi) de Tokyo. Sa famille tenait un commerce de socques en bois (geta). Mais son père, Araki Chôtarô, était un amateur passionné de photographie, ce qui a eu une influence décisive sur l’avenir de son fils. Celui-ci a en effet commencé à prendre lui-même des photos alors qu’il était encore à l’école primaire.

En face de la maison des Araki, il y avait un temple – le Jôkanji – où l’enfant allait jouer. Cet établissement bouddhique était aussi appelé nagekomi dera (littéralement “temple dépotoir”) parce que du temps de l’époque d’Edo (1603-1868), on venait y déposer (littéralement “jeter”) le corps des courtisanes de Yoshiwara, le quartier des plaisirs de la capitale, mortes sans avoir de famille. Par la suite, Araki Nobuyoshi a qualifié d’ “Erotos” le principe fondamental qui régit sa façon de photographier. “Erotos” est un mot-valise qu’il a forgé lui-même à partir du nom de deux divinités grecques dont la première “Eros”, personnifie le désir, le sexe et la vie, et la seconde “Thanatos”, la mort. Le don inné avec lequel Araki va et vient de façon incessante entre le monde de la vie et celui de la mort est sans doute profondément lié au lieu qui l’a vu grandir.

Araki Nobuyoshi avait déjà décidé qu’il serait photographe au moment où il est entré au lycée. En 1959, il a intégré le département d’imprimerie et de photographie de la faculté d’ingénierie de l’Université de Chiba. Il a réussi à en sortir diplômé en 1963, malgré les difficultés que lui a posé le contenu essentiellement scientifique de l’enseignement. Son travail de fin d’études, intitulé Satchin, était constitué d’une série de photos pleines de vie d’une bande d’enfants de son quartier. Araki a été aussitôt embauché par Dentsû, l’agence de publicité la plus importante du Japon. Et en 1964, la revue d’arts graphiques Taiyô lui a décerné la première édition du prix Taiyô pour Satchin, une récompense qui a marqué le début de la carrière du photographe.

Pendant son séjour chez Dentsû, Araki a fait de la photographie publicitaire tout en menant de front un travail personnel à la manière d’un rebelle. Il a en effet utilisé les studios de l’agence où il travaillait pour faire des photos de nus qu’il a présentés dans des expositions ainsi que dans un album intitulé “Album de photographies Xerox”. Comme l’indique son titre, il a réalisé cet ouvrage lui-même à la main en utilisant une photocopieuse de l’agence Dentsû. L’œuvre la plus importante de cette période est Voyage sentimental, un album édité par son auteur en 1971 qui se compose de photographies du voyage de noces à Kyoto et dans le Kyûshû du photographe et de sa jeune épouse Aoki Yôko, rencontrée à l’agence Dentsû.

Dans la préface de Voyage sentimental, Araki Nobuyoshi explique la raison de ce titre. Pour lui, “ce qu’il y a de plus proche de la photographie, c’est le roman autobiographique (shishôsetsu)”, un genre littéraire japonais souvent écrit à la première personne où le narrateur décrit ses relations avec ses proches. Le Voyage sentimental est construit comme un shishôsetsu retraçant les rapports du photographe avec sa femme. C’est le premier exemple de la  “photographie de l’intime” (shishashin), devenue par la suite un des courants majeurs de l’expression photographique au Japon. Le Voyage sentimental d’Araki ne se limite pas pour autant à une simple description des liens unissant les jeunes mariés. Il se situe aussi dans le droit fil des récits mythiques universels qui vont du monde de la vie à celui de la mort avant de revenir à leur point de départ. (lire la suite sur NIPPON.COM)

Chiro, le chat du photographe (2016) © nippon.com

Bondage, érotisme et controverses sont les thèmes qui collent à la peau du photographe Nobuyoshi Araki, né en 1940 à Tokyo. Avec Between Love and Death: Diary of Nobuyoshi Araki, accueillie au Singapore Internationale Photography Festival en 2018, révèle une nouvelle face de son œuvre photographique. Entre amour et mort, ses images prises entre 1963 et 2018 prennent la forme d’un journal intime photographié. Il retrace la relation dans la vie, comme dans l’au-delà, du photographe et de sa femme Aoki Yoko, décédée d’un cancer de l’utérus en 1990.

Comme l’a dit Araki lui-même: “C’est grâce à Yoko que je suis devenu photographe.” Dans sa série Sentimental Journey, il révèle des moments de pure intimité. Il y documente leur lune de miel : des chambres d’hôtel aux voyages en train. Dans Winter Journey, il capture la maladie de Yoko puis sa mort. Même si Yoko n’est plus là, Araki continue de la photographier au travers leur chat noir et blanc Chiro. Finalement, c’est avec sa série Sentimental Sky, images du ciel prises sur leur balcon, qu’il essaye encore de capter l’essence de son fantôme.

Ce journal intime, à lire en images, débute avec une relation amoureuse tendre et sensuelle, puis se déploie à travers le décès, le manque, la propre maladie d’Araki et finalement sa résilience et sa soif de vie. Si l’image de Yoko n’est pas dans tous les tirages, elle plane, omniprésente, dans tous les pans du travail d’Araki.” (voir plus sur CERCLEMAGAZINE.COM)

  • illustration de l’article : Nobuyoshi Araki, “Untitled (Eros Diary)” (2015) © nobuyoshi araki – elephant.art

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © nobuyoshi raki ; elephant.art ; nippon.com


Plus d’arts visuels…

VIENNE : Game over (2017)

Temps de lecture : 6 minutes >
© Philippe Vienne

– 1 –

Parfois la nuit fait peur. Parce que l’absence de lune accroît son épaisseur, parce que le silence y est différent. Même le parcours le plus familier, le plus anodin, ressemble à une épreuve initiatique. Le square, éclairé d’une hésitante lueur bleutée, est privé de ses occupants habituels : renards et SDF ont renoncé ce soir à faire les poubelles. Au loin, on pourrait entendre les crissements de freins d’un train de nuit sur le plan incliné. Mais seul le silence répond à l’absence. Dès lors, quand une jeune fille dont les mèches blondes s’échappent d’un bonnet de laine s’aventure sur le sentier, on est en droit de craindre le pire. Et on a bien raison. L’ombre jaillit de l’obscurité, le cri étouffé au fond de la gorge épargne le silence. On a peur de la mort mais, au final, le désir du mâle est bien plus redoutable.

Retrouvez-la, inspecteur, retrouvez-la vite. Combien de fois l’ai-je déjà entendue, cette supplique de parents désespérés. Marie est une fille sérieuse, une étudiante appliquée, sans histoires. Mais que savent vraiment les parents de la vie de leurs enfants ? Que savent-ils de cette parcelle d’eux-mêmes qui leur échappe chaque jour un peu plus depuis la naissance. Que connaissent-ils d’ailleurs d’eux-mêmes et l’un de l’autre, ces parents ? Elle empruntait ce chemin tous les jours, depuis des années, et prenait toujours soin de dissimuler ses longs cheveux blonds sous un bonnet ou une capuche afin de ne pas paraître provocante. Comme si le destin avait besoin d’être provoqué. Comme si les causes étaient toujours à ce point évidentes. Quand mon chat est mort, personne n’avait jamais imaginé qu’il puisse être allergique aux souris.

Parfois je voudrais être autre chose qu’un flic qui recherche des enfants disparus. Qui est obligé de fouiller dans la vie des gens, les secrets de famille, les trahisons. Qui découvre encore chaque jour les recoins les plus sombres de l’âme humaine et que l’abjection, comme la bêtise, est probablement sans limite. Personne n’en sort indemne. Même si elles retrouvent leur enfant vivant, les familles y ont perdu en innocence. Et moi, j’ai un problème avec la perte. Ma mère est morte, ma femme m’a quitté. Seuls restent les kilos superflus, mais j’ai trop besoin de bière pour anesthésier mon empathie. “La gendarmerie est un humanisme” écrivait Houellebecq.

– 2 –

La rouille a tout envahi. L’usine désaffectée, les rails, les wagonnets et jusqu’à l’âme des ouvriers contraints au chômage. Avant, l’air était rendu pestilentiel par le dioxyde de soufre. Aujourd’hui, tout pue la misère. Les devantures des derniers magasins ouverts affichent des enseignes où l’italien le dispute à l’arabe ou au turc, dans une concurrence fraternelle empreinte d’une tristesse délavée. Quand passe une jeune métisse, on se prend à rêver d’ailleurs, du soleil que beaucoup portent encore dans leurs veines et que plus personne ne voit jamais briller. On songe à la mer et l’on regarde ondoyer cette jeunesse aussi loin que porte le regard, c’est-à-dire au bout de la rue. Et, dès qu’elle a tourné au coin, on se résigne. Personne ne voit donc la voiture qui s’arrête, les mains gantées aux gestes rôdés qui embarquent la fille. Personne n’entend la portière qui se referme sur son adolescence.

Nayah après Marie, deux disparitions de mineures à deux semaines d’intervalle. La première blanche, blonde, enlevée dans un quartier résidentiel middle-class. La seconde, métisse, dans la banlieue industrielle. Pas de message aux familles, pas de cadavre retrouvé, aucun point commun apparent. Que puis-je faire avec ça, à quelle espèce de tordu ai-je encore affaire ? Un délinquant sexuel probablement. Dans notre société, la jeunesse nourrit les fantasmes et la misère sexuelle est grande. J’en sais quelque chose, moi qui ne baise plus que des putes depuis des années. Et Cindy, quand on fait la fermeture du bar ensemble.

– 3 –

Par la fenêtre de mon bureau – oui, mon bureau a une fenêtre, c’est le privilège des chefs – par la fenêtre de mon bureau donc, je regarde la nuit tomber sur la ville. Je me souviens d’une époque où elle était moins laide, moins pauvre, moins dangereuse. Nous passions des nuits entières dans les rues chaudes de la cité sans autre crainte que de ne pas avoir assez à boire et de ne pas trouver de fille pour finir la soirée. Mais ce temps-là est révolu, le monde a irrémédiablement changé. Ou bien est-ce moi qui suis définitivement trop vieux. J’ai soudain l’impression d’être un Batman nostalgique veillant sur une Gotham City de seconde zone. D’ailleurs, puisque je vais quand même passer une nuit blanche sur ce dossier, je descendrais bien chez Fred, le libraire de la rue, à la conversation certes limitée mais sympa. Histoire de faire un stock de boissons énergisantes aux myrtilles – pour bosser, ça marche mieux que la bière. Et je m’achèterais un manga, un hentai plus précisément, un divertissement auquel Fred m’a initié. Mes nuits sont aussi laides que mes jours.

C’était inéluctable, c’est arrivé cinq jours plus tard. Une troisième disparition d’adolescente, une gamine vaguement gothique, certainement paumée. Nasty, un diminutif de Nastassja, au double sens d’un goût douteux. La presse en fait maintenant ses gros titres. Agonisante, elle ne maintient ses tirages qu’en cultivant paranoïa et poujadisme. On vit une époque formidable. Si j’étais cynique, je dirais qu’au moins, avec celle-ci, les parents ne me mettront pas la pression : ils ont disparu bien avant leur fille. Je ne trouve aucune logique aux actes de ce pervers, aucun point commun entre les victimes autre que l’âge et le sexe. Et s’il les choisit au hasard, en fonction de ces seuls critères, alors je sais pertinemment bien que cela peut durer longtemps. J’ai un goût âcre dans la bouche, comme une furieuse envie de bière.

Ma vie est prévisible. C’est parfois inquiétant, souvent rassurant. C’est ce qui faisait dire à mon père que je manquais d’ambition. Là, j’ai fini la soirée au Baile Atha Cliath, enchaînant les chopes jusqu’à la fermeture et bien au-delà encore, avec Cindy. Puis elle m’a ramené chez elle et nous avons baisé avec la frénésie de deux désespérés qui veulent s’assurer qu’ils sont encore en vie. Et c’est quand je commence à être rassuré sur ce plan que mon portable se met à vibrer. Putain, c’est pas vrai ! Je regarde Cindy qui m’offre sa croupe. Je pense qu’elle est assez saoule pour se laisser sodomiser, l’appel attendra demain. Mon père avait tort : je n’ai d’ambition qu’en érection.

Inspecteur, on a retrouvé le sac à dos de la fille sur les lieux de l’enlèvement. Si vous voulez y jeter un coup d’œil, appelez-nous, disait le message des collègues. Pour une fois que je tiens un indice, je ne vais pas le lâcher, c’est sûr. Alors, il contient quoi ce sac noir, orné de têtes de morts et de pentagrammes inversés ? Trois fois rien : du tabac, du papier à cigarette, un sachet d’herbe, un paquet de chewing-gums. Et un manga.

– 4 –

Alors, ça y est,  inspecteur,  tu as trouvé ? Eh oui, toutes ces gamines sont passées dans ma boutique, toutes sont venues se fournir en mangas. Toutes celles-là et toutes celles dont tu n’as rien su. Tu n’en reviens pas, tu ne comprends pas, n’est-ce pas, comment ce petit libraire sympa mais un peu limité, que tu regardes avec condescendance, peut être cet assassin qui t’a si longtemps échappé. Viens, je t’attends. Je vais te montrer ma collection : Ayumi et Chikako en train de se caresser mutuellement – c’est Marie dans le rôle d’Ayumi, tu la reconnais ? Hatsuko dans la fameuse scène où elle fait l’amour avec un poulpe – et tu sais quoi, inspecteur, le plus dur, ça a été de trouver le poulpe ! Puis la petite Izumi et son olisbos géant. Et Mana, et Takamya,…

Pour certains, l’art imite la vie. Pour moi, c’est le contraire. Je rends à l’art la place qu’il mérite en transcendant de médiocres existences. Te crois-tu vraiment supérieur à moi, toi qui ne baises que des putes, toi qui as été incapable de retenir ta femme, qui es incapable d’en garder une seule ? Moi, je les conserve. Toutes. Elles sont là avec moi, pour toujours. Tu peux regarder, tu peux toucher, je ne suis pas jaloux. Non, je ne suis pas jaloux parce que je vaux bien mieux que toi et ta petite vie de fonctionnaire. Moi, je vis mes rêves.

Philippe VIENNE


Ce texte inédit a été lu publiquement pour la première fois lors de la “Hot Lecture” du 16 novembre 2017, à Liège (BE).


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Philippe Vienne  | remerciements à Jean-Paul Bonjean


Lire encore…

BERNSTEIN : Tomi Ungerer. L’esprit frappeur (2012)

Temps de lecture : 3 minutes >
© Corner of the Cave Media

Une adaptation et un documentaire autour du grand dessinateur alsacien, auteur d’œuvres pour enfants, et d’autres pour adultes.

Jean de la Lune est un dessin animé adapté d’un conte d’Ungerer. S’ennuyant sur la Lune, un enfant décide de venir visiter la Terre pour s’y faire des copains. En guise de bienvenue, il est pourchassé par les armées de l’autoproclamé président du monde. À la façon d’une fable voltairienne, la visite est prétexte à brosser un tableau critique de l’humanité, particulièrement du désir de puissance et de pouvoir, de la peur de l’étranger.  Si le trait du réalisateur Stephan Schesch est plus arrondi et enfantin que celui d’Ungerer, on retrouve dans ce film tout l’esprit de l’Alsacien : le regard adulte sur l’enfance, le mélange de tendresse et de causticité, la fibre subversive, l’aspiration humaniste.

L’esprit frappeur d’Ungerer, c’est justement le sujet du documentaire que lui consacre Brad Bernstein. Sous son regard attentif, Ungerer retrace son incroyable bio, depuis son enfance en Alsace occupée par les nazis jusqu’à son présent entre l’Irlande et Strasbourg, en passant par la longue période new-yorkaise au cœur des sixties et seventies de la contre-culture.

S’y déploient toutes les facettes ungeriennes : les livres pour enfants qui ne prennent pas les gosses pour des demeurés, les dessins politiques subversifs, la veine érotique… Une des originalités d’Ungerer, qui lui a valu ennuis et censure aux États-Unis, c’est précisément d’avoir fait des dessins enfantins ET des dessins érotiques. À ceux qui furent (ou sont) choqués de la coexistence de ces deux veines chez un même artiste, ce dernier répond avec humour et pertinence que sexe et enfance sont liés puisque c’est en faisant l’amour qu’on fait des enfants.

Brad Bernstein nous fait prendre conscience de l’ampleur d’une œuvre tout en nous présentant un homme désormais âgé mais toujours alerte, vif, aiguisé, éminemment sympathique, qui consacre ses dernières années à promouvoir l’identité alsacienne (qui n’est ni française ni allemande).

Bien que ses livres soient des best-sellers mondiaux, Tomi Ungerer ne semble pas si connu que ça en France. Ces deux films remettent la lumière sur un très grand monsieur…”

Lire l’article de Serge KAGANSKI sur LESINROCKS.COM (18.12.2012)…


© L’école des loisirs

“Jean-Thomas Ungerer, dit Tomi (1931-2019), naît à Strasbourg le 28 novembre dans une famille bourgeoise et protestante, de Théodore, ingénieur, fabricant d’horloges astronomiques, artiste et historien, et d’Alice, née Essler. La famille compte déjà deux filles, Édith (1922-1991) et Geneviève (née en 1923) et un fils, Bernard (né en 1924)…”

Lire la biographie de Tomi UNGERER sur MUSEES.STRASBOURG.EU…


TOMIUNGERER.COM est le site officiel de Tomi Ungerer. Il est richement illustré : dessins, collages, objets, affiches, etc. (mais en anglais)…


Savoir-regarder encore…

BLANCHARD Pascal et al. : Sexe, race & colonie | La domination des corps du XVe siècle à nos jours (2018)

Temps de lecture : 5 minutes >
ISBN 978-2-348-03600-2

“Reposant sur plus de mille peintures, illustrations, photographies et objets répartis sur six siècles d’histoire au creuset de tous les empires coloniaux, depuis les conquistadors, en passant par les systèmes esclavagistes, notamment aux États-Unis, et jusqu’aux décolonisations, ce livre s’attache à une histoire complexe et taboue. Une histoire dont les traces sont toujours visibles de nos jours, dans les enjeux post-coloniaux, les questions migratoires ou le métissage des identités.
C’est le récit d’une fascination et d’une violence multiforme. C’est aussi la révélation de l’incroyable production d’images qui ont fabriqué le regard exotique et les fantasmes de l’Occident. Projet inédit tant par son ambition éditoriale, que par sa volonté de rassembler les meilleurs spécialistes internationaux, l’objectif de Sexe, race & colonies est de dresser un panorama complet de ce passé oublié et ignoré, en suivant pas à pas ce long récit de la domination des corps.” (source : association de libraires INITIALES.ORG)

BLANCHARD Pascal et al., Sexe, race et colonies : la domination des corps du XVe siècle à nous jours (Paris, La Découverte, 2018)

Montrer. Voila l’ambition de cet ouvrage, de cette somme iconographique vertigineuse autant que méconnue, ou mal vue. Car on a tous en tête des représentations érotisées de corps indigènes. Elles sont furtives, elles font partie de l’imaginaire historique colonial. Mais mesure-t-on véritablement ce qu’elles portent, ce qu’elles signifient, la violence qu’elles légitiment toutes, à des niveaux différents certes, mais qui toutes cultivent l’idée originelle du colon qui voudrait que le corps du colonisé soit “naturellement offert”, pour citer les auteurs de ce livre colossal et indispensable. N’est-ce pas ainsi que nombre d’intellectuels européens ont envisagé le sulfureux érotisme oriental ? Ou comment la vahiné polynésienne a constitué jusqu’à récemment un modèle de beauté féminine ?

Ainsi, encore aujourd’hui, il fallait montrer. Pour tous ceux qui pourraient douter du fait que la domination des empires sur les peuples conquis s’est exercée premièrement à un niveau sexuel. Pas de manière secondaire ou marginale, mais massivement et prioritairement à un niveau sexuel. Si depuis sa sortie, cet ouvrage a essuyé critiques et doutes, c’est bien parce que la frontière est ténue entre la monstration et l’exhibition, surtout quand on parle de sexe. Est-ce que les auteurs sont parvenus ici à faire oeuvre de mémoire sans verser dans l’exhibitionnisme? C’est notre opinion. Et c’est notamment l’ampleur du travail et la qualité de l’appareil critique qui font toute la différence.

Car ce livre est énorme, il a la forme de son ambition, et retrace en quatre grandes parties, Fascinations (1420-1830), Dominations (1830-192o), Décolonisations (1920-1970), Métissages (depuis 1970), l’évolution, si tant est qu’il y en ait eu-une, de la représentation des peuples des colonies par les colons. Certaines images sont dures, insoutenables certes, mais leur publication est indispensable. Comment en effet penser aujourd’hui un phénomène de prise de conscience comme #MeToo et oublier que des systèmes de domination, réelle et symbolique, ont des racines solidement ancrées dans nos imaginaires ?

Grégoire Courtois (Libraire Obliques à Auxerre, FR)


Le cas Gauguin ?

Dans un film sur Gauguin, le réalisateur Edouard Deluc passe sous silence la nature des relations sexuelles de l’artiste à Tahiti. Et révèle la difficulté des Français à penser la violence dans leurs anciennes colonies.

L’image est si sauvagement excitante. Une Tahitienne danse seins nus, lascive, devant un grand feu, tandis que résonne le chant envoûtant de la tribu. Cette femme aux formes pleines, c’est Tehura. Dans son film Gauguin – Voyage de Tahiti, le réalisateur Edouard Deluc nous raconte comment elle a hypnotisé le peintre français et inspiré quelques-unes de ses plus belles toiles. On les voit tous deux enlacés sur un cheval, jouant sur une plage, et fatalement faisant l’amour à la lumière des bougies.

Ce film pourrait être un biopic convenu de plus consacré aux maîtres de la peinture, mais des ellipses opportunes dans le scénario en font une œuvre au mieux incroyablement maladroite, au pire parfaitement abjecte. Car, ce que cette histoire ne dit à aucun moment c’est que Tehura (qui s’appelait aussi Teha’amana) avait seulement 13 ans lorsque Gauguin (alors âgé de 43 ans) la prit pour « épouse » en 1891.

GAUGUIN Paul, Manao Tupapau (1892)

Et malgré ce que pourrait laisser croire le biopic, elle ne fut pas la seule à partager la vie de l’artiste dans l’île : il y eut aussi la jeune prostituée métisse Titi, ainsi que Pau’ura et Vaeoho (toutes deux 14 ans). Enfin, dernier « oubli », le maître était atteint de syphilis, maladie sexuelle potentiellement mortelle, qu’il distribua généreusement à Tahiti. Dans le film, Gauguin se voit seulement diagnostiquer un méchant diabète… on en pleurerait de rire si ce n’était aussi grave…”

Lire la suite de l’article de Léo PAJON, La pédophilie est moins grave sous les topiques, sur JEUNEAFRIQUE.COM (21 septembre 2017)


Le cas Malko Linge, dit SAS ?
ISBN 2842672968

«Bicuzi Kihubo avait la cervelle d’une antilope, mais une allure de star. Ses grands yeux marron illuminaient un visage doux, encadré par les tresses traditionnelles, ses seins moulés par un tee-shirt orange pointaient comme de lourds obus ; quand à sa chute de reins, elle aurait transformé le plus saint des prélats en sodomite polymorphe… Ses hanches étroites et ses longues jambes achevaient de faire de Bicuzi une bombe sexuelle à pattes.» Les connaisseurs auront sûrement reconnu dans ce portrait d’Africaine torride, le style particulier de Gérard de Villiers, passé maître du roman d’espionnage à forte connotation érotique à travers la série des SAS. Les scènes de sexe, tout autant que la vraisemblance d’intrigues construites à partir d’infos recueillies sur le terrain, expliquent le succès et la fortune de l’auteur, mort en 2013 après avoir vendu plus de 150 millions de livres.

Romans de gare machistes qui confinent les personnages féminins à des objets sexuels culbutés dans tous les sens par Son Altesse Sérénissime le prince Malko Linge, héros de la série ? Peut-être. Mais à relire les descriptions de certaines de ces ‘bombes sexuelles sur pattes’, pin-up systématiquement moulées dans une ‘microjupe’, difficile de ne pas y voir une illustration de la permanence des clichés qui s’attachent singulièrement aux femmes noires et qu’on retrouve dans l’immense somme consacrée à la Domination des corps du XVe siècle à nos jours publiée jeudi sous la direction de l’historien Pascal Blanchard. L’ouvrage Sexe, race et colonies ne se limite certes pas aux femmes noires et dresse un panorama exhaustif de l’image du corps de l’Autre, de l’Afrique coloniale (Maghreb inclus) jusqu’à l’Asie et au monde amérindien.”

Lire la suite de l’article de Maria MALAGARDIS, Les femmes noires comme incarnation forcée du corps de l’Autre, sur LIBERATION.FR (21 septembre 2018)…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie | sources : éditions La Découverte ; jeuneafrique.com ; liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  La Découverte ; © DR.


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