“D’habitude, on n’a pour elle que des éloges. Mais cette inclination nous mène rarement au meilleur de nous-mêmes et souvent au pire, selon le psychologue Paul Bloom.
«L’empathie? Je suis contre», clame Paul Bloom, psychologue canadien installé à l’université de Yale et auteur d’un livre au titre ahurissant: Against Empathy, justement, «Contre l’empathie». Définie comme la tendance à se mettre spontanément dans la peau d’autrui, l’empathie est célébrée quasi universellement comme étant l’un des traits les plus aimables de notre esprit. Selon le chercheur, elle fait en réalité plus de mal que de bien, car elle nous focalise sur les souffrances d’une personne particulière en nous laissant indifférents (ou même en nous rendant hostiles) à toutes les autres. L’empathie serait partiale, bornée, capricieuse, aveugle aux conséquences de nos actes, facile à manipuler pour attiser la haine…
Le Temps: Pourquoi avez-vous appelé votre livre «contre l’empathie» plutôt qu’«au-delà de l’empathie»?
Paul Bloom : Parce qu’on se porterait mieux si on pouvait s’en débarrasser. L’empathie conduit à des jugements biaisés, elle pousse à prendre des mauvaises décisions, elle peut même nous entraîner dans des formes de cruauté. Il y a de nombreux exemples d’atrocités qui ont été fomentées en faisant levier sur l’empathie. Dans l’Allemagne des années 1930, les attaques antisémites étaient encouragées par des récits selon lesquels des Juifs avaient agressé sexuellement des enfants aryens. Dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, Donald Trump et d’autres attisent l’hostilité contre les réfugiés en disant: je vais vous raconter une histoire… Et ils vous présentent un récit dans lequel une victime innocente a été tuée par un réfugié. Vraies ou fausses, ces histoires sont faites pour susciter votre empathie à l’égard de la victime et pour catalyser votre colère contre le groupe dénoncé comme l’auteur de ces actes. J’aimerais un monde où on dirait: arrêtez avec ces histoires, elles ne constituent pas une bonne façon de fonder une politique; fournissez-nous des données, des statistiques, des évaluations factuelles… Trump a annoncé, lui, qu’il publierait des listes de crimes commis par des immigrés. On voit bien comment l’empathie peut être convertie en arme.
Dans le sous-titre, vous annoncez un «Plaidoyer pour la compassion rationnelle». Quelle est la différence?
L’empathie consiste à ressentir ce que ressent l’autre. La compassion consiste, elle, à se soucier de quelqu’un qui souffre, sans pour autant éprouver soi-même ce qu’il ressent. Des études neuroscientifiques indiquent que cela correspond à deux états cérébraux différents… La compassion a plusieurs avantages. Les gens qui la développent ont plus facilement du plaisir à aider les autres, alors que les personnes très empathiques font souvent des burn-out…”
Lire la suite de l’article de Nic ULMI sur LETEMPS.CH (6 février 2017)