Nicolas BOMAL est né en 1974 dans la région du Centre, où les friches industrielles sont son espace de jeu et forgent les contours d’un imaginaire particulier. Cette errance affirmée dans le paysage, dont l’ambition est de rechercher des indices de l’habitus culturel d’un groupe ou d’une société, s’étend progressivement au-delà des frontières belges, notamment au Canada, en France, en Italie et en Albanie.
Cette photographie énigmatique joue sur un contraste de couleurs entre l’orange corrosion de la carcasse de voiture et le vert éclatant de la nature environnante. Sa thématique fait écho à une bonne part du travail de l’artiste, qui, comme dans la série “Middelland” (prix national Photographie Ouverte, 2003), présente une “errance affirmée dans le paysage, dont l’ambition est de rechercher des indices de l’habitus culturel d’un groupe ou d’une société donnée à travers l’espace, l’urbanisme et l’aménagement du territoire” [www.wbarchitectures.be].
Ivan Alechine (né en 1952), à la fois poète et photographe, est l’auteur d’une œuvre marquée par le voyage, tantôt ancrée dans le vrai, à la manière d’un reportage, tantôt détachée du monde comme une sorte de ready-made poétique. Fils du peintre Pierre Alechinsky, Ivan Alechine passe son enfance à côtoyer les derniers peintres et poètes surréalistes et les membres du groupe Cobra […]. A l’âge de dix-huit ans, il participe à une mission d’ethnomusicologie en plein cœur du pays Mongo, en République démocratique du Congo. […] Au seuil des années 90, ce sera la découverte décisive du Mexique où il résidera longuement, à plusieurs reprises, auprès des Indiens Huichols. « La première fois que je suis allé à Tuxpan de Bolaños, c’était en 1995. Puis beaucoup entre 2011 et 2016. J’y retourne à la fin de cette année (2017). J’ai assisté à quasiment toutes les cérémonies importantes et je dois posséder quelques milliers de photographies digitales / numériques en couleur ».
“La photo de La jeune femme et l’enfant a été prise en 2012 dans le bourg de Tuxpan de Bolaños, Etat de Jalisco, Mexique. Tuxpan de Bolaños est l’un des quatre bourgs importants appartenant à aux Huichols, lointain cousins des Aztèques. Les Huichols sont aujourd’hui entre 35 et 40 000. Nous sommes dans la Sierra Madre Occidentale. Les Huichols sont très religieux, malgré la pression économique qui les déstabilise. J’ai connu Tuxpan de Bolaños en lisant les travaux de l’anthropologue Robert M. Zingg qui y séjourna une année complète en 1933.“
Peintre et graveur, René WELING (né en 1967) vient à Liège en 1986 pour étudier la peinture à Saint Luc. Il y découvre également la gravure. La recherche de diverses techniques (peinture, litho, gravure sur bois, pointe sèche, eau-forte…) sont nombres d’outils au service de l’exploration de ses sujets de prédilection que sont l’espace et le rythme. Espace et rythme que l’on retrouve dans deux grands univers, le corps et le paysage. Il a participé à de nombreuses expositions en Belgique, Allemagne, Canada. C’est aussi à travers le partage et la rencontre que l’œuvre de René Weling vit. Ainsi il participe à de nombreux projets collectifs avec d’autres graveurs à travers les deux groupes de gravure La Nouvelle Poupée d’Encre et Impression(s) dont il est membre actif. En découle des échanges internationaux. C’est aussi comme ça qu’il découvre le Québec, dont il tombe en amour. Le travail sur l’espace y prend ses racines. Il y expose et séjourne en résidence d’artiste à plusieurs reprises.
Mais il réalise aussi des projets plus intimes, que ce soit en collaborant avec un photographe, un poète, ou musicien… C’est à travers une édition, un cadre objet, une publication que vivent ces échanges.
Toujours au fil de sa passion, René Weling propose également des expositions privées qui lui permettent de rencontrer et d’échanger plus encore avec son public, public qui compose ainsi sa propre exposition rendant pour le temps d’un week-end, d’une soirée ou de plusieurs mois sa propre maison en galerie. [source : CULTUREPLUS.BE]
René Weling dessine, le spectateur s’approprie, devine : une femme, ou plutôt la femme, celle qui enfante et que l’on désire, celle qui donne à voir, à vivre et à aimer. Entre étreinte et empreinte, entre caresse et paresse, le trait stylisé et expressif de l’artiste nous promène à travers les courbes couchées, les vallées, les montagnes bombées, les forêts. En effet, dans les mains généreuses de René Weling, le corps féminin devient en quelque sorte un paysage intime, une terre brute et sensible, celle de nos origines et de notre destin. La question d’un éventuel modèle ne se pose (!) même pas, les œuvres ont ici la simplicité de l’évidence et sont de l’ordre de l’essentiel
Adolpho AVRIL né en 1983, réside au centre hospitalier psychiatrique de Lierneux. Son enfance est marquée par la violence et un total désintérêt. C’est avec ce bagage qu’il rejoint les ateliers du CEC La Hesse en 2003. Adolpho Avril présente à la fois la légèreté et la fraîcheur du petit garçon mais aussi une désillusion profonde que guette le désespoir. Autant dire que l’acte créatif prend chez lui toute sa puissance vitale. (d’après FREMOK.ORG)
Olivier DEPREZ est né en 1966 à Binche et vit maintenant dans le sud de la France. Membre fondateur des éditions de bandes dessinées Fréon et FRMK, il est écrivain, théoricien, peintre. Grand lecteur de Proust, Dante ou Joyce, il travaille aussi autour de l’oeuvre du poète A. R. Ammons. C’est à cette occasion qu’il rencontre le comédien Miles O’Shea et crée avec lui la RollingTowerTable. Cette machine à imprimer est au centre de BlackBookBlack, un projet dédié à la gravure et au livre. (d’après FREMOK.ORG)
“Venez Docteur A” Cette image réalisée en gravure sur bois est une des cases de la bande dessinée “Après la mort, après la vie” (FRMK, 2014), réalisée entièrement dans cette même technique. Ce travail à quatre mains, puissamment poétique, évoque l’univers du cinéma. Le clair-obscur et l’indétermination des figures masquées créent un climat oppressant, fantomatique. Une inscription vient encore dérouter le spectateur :”Venez docteur A”.
Luc BIENFAIT est né en 1973. Une collection de portraits qui n’a de cesse de s’accroître suit Luc Bienfait. Il transporte avec lui cette foule de visages, individualités touchantes et constitutives de son vécu (personnes handicapées rencontrées dans son travail, vieux voisins, un ami parti, des proches).Par sa maîtrise du geste, Luc Bienfait instaure un jeu d’ombres et de lumières, tel un procédé́ pour faire émerger de la matière l’énergie des êtres. (d’après LES DRAPIERS.BE)
Ce portrait masculin réalisé à la technique de l’eau-forte est typique du travail de l’auteur. D’une multitude de traits sûrs et nerveux, il modèle un visage dont le regard interpelle le spectateur. Choisissant ses sujets parmi ses proches ou des rencontres éphémères n’est-ce pas finalement le propre portrait de l’artiste qui s’esquisse, en creux.
Catherine Lambermont (née en 1968) a étudié la photographie aux Beaux-Arts à Bruxelles. Elle vit et travaille à Zurich. Elle expose son travail depuis 1993, à travers la Belgique et dans le monde.
“Le travail de Catherine Lambermont est tout en retenue. Il se dégage de ses images, d’une technique photographique parfaitement maîtrisée, comme un parfum de mystère. […] Cacher/montrer, tel cet enfant, celui de l’artiste, déguisé en Spiderman ou encore recouvert d’une fourrure noire lui cachant le corps et le visage. L’enfant est ici dissimulé sous des artifices, un masque par exemple, qui se montrent et composent la surface de la photographie. Comme si l’artiste fuyait le moment de figer par la photo le portrait de son fils, ne souhaitant qu’esquisser les contours d’une identité en devenir. Persona, on le sait, veut dire masque, un masque à travers lequel l’individu devient personne. Ici c’est l’enfant dans son devenir adulte qui agit sur l’image par le biais d’un recouvrement apportant une distance entre lui et le spectateur, et neutralisant son visage. Cette distance, cette neutralité, pour ne pas parler de filtre, est aussi ce qui autorise sa mère à le représenter, le rendre visible publiquement en le faisant jouer dans les images qu’elle compose.”
Le jazz belge n’a jamais manqué de cuivres. Par contre, il fut un temps où, pour trouver une rythmique solide et efficace, il fallait souvent chercher en dehors de nos frontières. Jean-Louis Rassinfosse fut le premier représentant d’une nouvelle et prestigieuse génération de bassistes tous azimuts (du coup de pouce électrique de Michel Hatzigeorgiou ou Benoît Vanderstraeten au profond traditionalisme de Philippe Aerts, Hein Van de Geyn ou Sal La Rocca).
Né à Bruxelles en 1952, il commence à jouer de la guitare au début des années 60. Dès cette époque (où le yé-yé est roi), le jazz l’intrigue et l’intéresse. Il décide bientôt de passer de la guitare à un instrument qui le fascine: la contrebasse. Il s’associe d’abord à des “dixielanders” (André Knappen, Pol Closset…) puis rencontre Charles Loos et commence à travailler avec lui (1975), un jazz plus moderne.
Il devient un bassiste apprécié de visiteurs de marque comme Bill Coleman, Slide Hampton, Sal Nistico ou Carmel Jones. Il commence à voyager et, lors d’un engagement au Festival d’Antibes-Juan-Les-Pins, il travaille dans une espèce d’orchestre-maison chargé d’animer les jams post-festival. Il accompagne ainsi des musiciens comme Martial Solal ou Sam Rivers. C’est également à cette époque que Rassinfosse fait la rencontre, décisive, de Chet Baker dont il sera pendant plus de dix ans un des partenaires privilégiés. En 1976, il accompagne Chet lors d’une tournée en Italie et en Sicile : il goûte pour la première fois aux charmes (et à la profondeur) du jazz intimiste que dégage le trio sans batterie du trompettiste. Chet Baker apprécie le travail de Rassinfosse et plusieurs albums scelleront leur collaboration.
De retour en Belgique, Jean-Louis Rassinfosse devient un des bassistes les plus actifs de la scène belge, avec Roger Vanhaverbeke et Freddie Deronde. Il travaille avec Sadi, Etienne Verschueren, Jacques Pelzer, Philip Catherine, Michel Herr, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, etc. A l’occasion, il accompagne – souvent avec Félix Simtaine – des musiciens comme Chet Baker, Tete Montoliu, Pepper Adams, Kay Winding, etc. Après avoir enregistré avec Chet Baker un premier disque (“Two A Day”), il le suit à nouveau en tournée (1979).
Parmi les autres participants à ce périple européen, qui durera plus d’un an, figurent le pianiste Horace Parlan et le guitariste Doug Raney. Ce voyage assied la réputation de Rassinfosse qui, à son retour, devient omniprésent sur la scène belge, jouant et enregistrant dans les orchestres les plus marquants de l’époque (Act Big Band, Saxo 1000, Loos-Badolato Quintet) ainsi qu’aux côtés de Paolo Radoni, John Ruocco, Richard Rousselet, Steve Houben, Dennis Luxion, Jack van Poil, Toots Thielemans, etc.
Il fait également ses débuts dans l’enseignement, au sein du fameux “Séminaire de Jazz” du Conservatoire de Liège et il participe aux activités des “Lundis d’Hortense” dont il est un des membres fondateurs. En 1983, il forme un trio à son nom avec Dennis Luxion et Fabien Degryse et entame une longue série de concerts en Europe avec Chet Baker et Philip Catherine d’une part, avec Philip Catherine et Aldo Romano d’autre part.
Il se produit aussi au Zaïre (aujourd’hui RDC) avec Rousselet et Herr (1984 et 1986), au Festival de jazz de Singapour ( 1985) et participe à la tournée européenne de Philly Joe Joncs et Clifford Jordan. Il joue en Espagne avec Deborah Brown (1987), au Zaïre et au Bénin avec Charles Loos, tandis qu’en Belgique, il continue à accompagner en free-lance les musiciens de passage (Barney Wilen, Michel Petrucciani, George Coleman, Joe Lovano, Bob Mover, Sal Nistico, etc.) comme les Belges (Jacques Pelzer, Jean Linsman mais aussi les jeunes Pierre Bernard, Phil Abraham, Dré Pallemaerts, Diedrick Wissels, etc).
Il s’associe au vibraphoniste américain Dave Pike et au pianiste Klaus Ignatzek avec lequel il accompagne Joe Henderson. Entretemps, après l’expérience du “Séminaire”, il poursuit son activité pédagogique lors de différents stages d’été (Dworp, Floreffe, etc.) ainsi qu’au Conservatoire de Bruxelles.
La notice biographique d’un bassiste ou d’un batteur se réduit le plus souvent à l’énoncé, quelque peu fastidieux, des musiciens qu’ils 0nt accompagnés. Jean Louis Rassinfosse mérite mieux que ce catalogue : musicien lucide et intelligent, il est non seulement un des grands solistes des années 70-80, profondément ancré dans la tradition, mais ouvert aux nouvelles émergences du jazz, comme en témoigne son travail dans un trio avec Eric Legnini et Stephane Galland.
Il reste aussi un amoureux du jazz, soucieux de sa diffusion, un grand “écouteur” (capable aujourd’hui encore d’apprécier Jimmy Blanton comme Scott La Faro, Red Mitchell, Niels Pedersen ou John Patitucci) et un musicien conscient des dimensions humaines du jazz : “(…) Ce qui me paraît important, c’est le sens «démocratique» du jazz (…), une des seules musiques de ce monde, qui approche la démocratie : les individus sont importants mais aussi le groupe qui est plus que la somme des individus. Chacun a un temps de parole, chacun a le droit d’être écouté par les autres. (…). Dans le jazz, chaque instrument a sa liberté dans la contrainte, a la liberté de ses moyens, et la contrainte est la même pour tout le monde…” (extrait d’une interview publiée dans le Jazz in Time n° 5, en 1989).
d’après Jean-Pol SCHROEDER
Il fait actuellement partie de différents groupes dont le trio L’Âme des poètes, le duo avec le pianiste classique Jean-Philippe Collard-Neven, le quintette de Bart Quartier, l’European Swing trio, le trio avec John Ruocco et Félix Simtaine, le trio de Claudio Roditi avec le pianiste allemand Klaus Ignatzek, Jordi Rossy, Gustavo Bergalli, et la regrettée chanteuse roumaine Anca Parghel. Il a enregistré sous son nom l’album “Crossworlds” qui réunit ses deux groupes phares : L’Âme des poètes et le quintette de Klaus Ignatzek. D’autre part, ses talents d’humoriste sont mis en valeur dans un spectacle parodique, “Le Reliquaire des Braves”, et dans sa collaboration à l’écriture des deux derniers spectacles de la “Framboise Frivole“.
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : D.R., Saskia Vanderstichele | remerciements à Jean-Pol Schroeder
“Envie d’accrocher une oeuvre dans votre salon, mais pas les moyens d’en acquérir une ? Désormais, il sera possible de les emprunter. La nouvelle Artothèque de la bibliothèque des Chiroux à Liège, inaugurée mardi, met à disposition des amateurs une petite centaine d’œuvres, signées d’artistes bien établis (Jacques Charlier, Patrick Corillon, André Stas…) ou de talents émergents (Elodie Ledure, Sylvain Bureau, Benjamin Monti…). Ces gravures, impressions numériques, photos et planches de BD peuvent être empruntées gratuitement, à condition de posséder la carte de membre des Chiroux, qui coûte 6 euros par an. L’emprunt dure deux mois et n’est renouvelable qu’une fois, mais les œuvres peuvent par la suite être achetées auprès de l’artiste, leur prix se voulant accessible (généralement moins de 400 euros). Les emprunteurs devront signer un document les engageant en cas de dégradation ou de vol. La province de Liège a mobilisé un budget de 27.000 euros en 2014 et 2015 pour acquérir cette collection, “mais nous sommes prêts à augmenter le montant si la demande est forte”, précise Paul-Emile Mottard, le député provincial qui a porté l’initiative L’objectif est de promouvoir les artistes (une soixantaine sont exposés) et l’art contemporain auprès d’un public qui n’y est peut-être pas d’emblée réceptif. Ce concept existait déjà en France et à Bruxelles (Wolubilis), mais l’Artothèque des Chiroux est la première en Wallonie. Elle sera ouverte tous les vendredis (13h à 18h) et les samedis (9h à 15h). La disponibilité des œuvres pourra être vérifiée dans le catalogue public de la bibliothèque…”
Pour en savoir plus, visitez le site officiel de l’Artothèque Chiroux ou cliquez ci-dessous : plusieurs des œuvres disponibles sont déjà dans nos pages. Quelques exemples…
Bénédicte WESEL (née en 1964 à Cologne, DE) est une sculptrice et illustratrice belge que l’on rencontre partout… dans son œuvre. C’est la femme de Terre qui descend dans ses figurines d’argile, vivement peintes à l’acrylique. Loin de chercher l’universalité dans des formes plus lissées, aux traits neutralisés par le style, comme chez son professeur Mady Andrien, Wesel travaille devant son miroir pour capter les sourires généreux, les yeux mi-clos ou l’abandon sensuel de ses personnages bien individuels, bien uniques. De la lionne au petit bateau rouge, en passant par le serpent ou la queue de poisson, tous les accessoires font alors sens pour créer des narrations plastiques que l’on a déjà vues quelque part. Et ce n’est pas un hasard : fascinée par les contes et les légendes, Bénédicte Wesel réinterprète les archétypes où la Femme est actrice pour livrer des Blanche-Neige, des Géantes-Sirènes ou des Peau-d’âne, renouvelées peut-être mais approfondies surtout.
Bénédicte WESEL expose depuis 1996. Aujourd’hui, elle est toujours basée à Liège (BE) où elle travaille et partage sa démarche dans des ateliers individuels ou collectifs, quand elle ne prépare pas des livres pour enfants…
“De petits personnages charmeurs par leurs attitudes, joyeux par leurs couleurs, folâtrant parfois avec des animaux : telles sont les créatures imaginées par Bénédictine Wesel. Née à Cologne où son père était militaire, elle a fait ses humanités artistiques à Verviers avant de venir s’installer à Liège en 1982. “J’ai tout d’abord travaillé comme bibliothécaire à Bruxelles pendant sept -ans, puis j’ai voulu tenter autre chose.” A Liège, elle suivit des cours d’illustration à l’Institut Saint-Luc puis passa à l’Académie au cours de sculpture. “C’est venu tout seul : pour m’amuser, je fabriquais des figurines en pâte synthétique. J’ai suivi des cours pour apprendre les proportions, mais ce qui m’intéressait, c’était davantage créer un univers, plus que travailler une matière.” Passionnée par la littérature anglo-saxonne, par la mythologie et la psychologie, elle a voulu illustrer en trois dimensions les personnages qui la hantaient. “C’est l’univers des vieux contes du monde entier qui m’intéresse : les personnages possèdent quelque chose à l’intérieur. lis ne sont pas seulement anecdotiques.” Elle découvrit alors la terre cuite et se mit à modeler de petites femmes rondes et joyeuses. “Le conceptuel ne m’intéresse pas, donc je m’inspire de ce que je vis. Ce sont de petits instants de bonheur captés comme des polaroids. Par le choix de la terre cuite, je me sens aussi reliée à toutes ces générations d’artisans qui, depuis toujours, ont modelé la terre.” Ses personnages, elle les peint à l’acrylique, en couleurs vives, et ajoute à présent des pigments dans ses couleurs. “La sculpture peut être gaie, non ? Les attitudes ? Je suis mon propre modèle ! Dans mon atelier; il y a un grand miroir en pied, je m’installe devant et je m’observe en travaillant. Pour les animaux, je me sers de livres de zoologie.“
Article de Jean JOUR (Dernière Heure, jeudi 6 juin 2002)
“On connaît peu de villes dont le nom est entré dans le langage commun. Spa est du nombre. Commandez un spa au restaurant et l’on vous servira une eau minérale. Ébénistes et antiquaires évoquent le bois de Spa lorsqu’ils manipulent ces objets de collection souvent richement décorés. La tradition remonte au XVIIe siècle. Il faut aussi parler de la barre de Spa : un obstacle réservé aux as du jumping et qui rappelle que le premier hippodrome de Belgique vit le jour ici en 1822.
Mais le substantif “spa” est d’abord connu dans le monde entier parce qu’il résume la mode du thermalisme et de l’hydrothérapie dont il est devenu le synonyme. La petite ville située aux portes de l’Ardenne et des Fagnes est tout entière vouée à son eau de source et à ses bienfaits. Inaugurés en 2004, les nouveaux thermes ont donné un coup de jeune et de modernité à la pratique des cures rendue célèbre par le passage du tsar Pierre le Grand en 1717.
En pleine nature, Spa s’est organisée autour de son eau : sources, parcs et jardins, bâtiments de prestige ou villas cossues, mais aussi restaurants et cafés, casino pour les plaisirs de la vie. Une ambiance partagée avec d’autres grandes villes d’eau européennes comme Vichy en France, Montecatini en Italie ou Baden-Baden en Allemagne. Une dizaine de ces cités sont candidates ensemble à un classement par l’Unesco au titre du patrimoine culturel de l’Humanité. Une visite à Spa, c’est aussi donner un coup de pouce à cette initiative.
Manger
Envie d’un petit verre ou d’un bon repas à l’ombre des arbres géants de la forêt ardennaise ? Les solutions ne manquent évidemment pas à Spa ou dans les environs noyés de verdure. On vous propose par exemple de quitter Spa par la route de la Géronstère et de grimper jusqu’à la source du même nom, en pleine forêt. Les lieux sont spectaculairement aménagés et mettent en valeur la source. Dans les bâtiments voisins, la Source de la Géronstère est une adresse agréable et sans chichis qui plaît aux promeneurs de passage. En hiver, il fait doux s’y réchauffer autour d’un bon feu. En été, la terrasse s’ouvre sur la forêt et ses chemins pour une balade apéritive ou digestive. Les grillades au feu de bois sont les spécialités de la maison qui accueille les grands groupes et qui offre aussi quatre chambres pour un séjour prolongé en pleine nature.
Visiter
Immanquable en plein cœur de la ville, le Pouhon Pierre le Grand a fait l’objet d’une rénovation récente. Il abrite aujourd’hui l’office du tourisme et des salles d’exposition. Impressionnant, le bâtiment a été construit en 1880 et témoigne des fastes liés aux heures de gloire du thermalisme.
Le terme “pouhon” désigne une source d’eau ferrugineuse et naturellement gazeuse. De quoi inciter à une petite expérience amusante : une dégustation d’eau de source dans ce cadre prestigieux. Ici, la source produit chaque jour 21.000 litres du fameux breuvage. L’eau est brute, le goût de fer reste longtemps dans la bouche. A tester une fois dans sa vie.
Autre curiosité du pouhon spadois : une toile géante de neuf mètres de long signée en 1894 du peintre Antoine Fontaine. On peut s’amuser à identifier sur ce livre d’or peint les 92 personnalités qui y sont représentées et qui ont séjourné à Spa : écrivains, artistes ou célébrités politiques.
Se balader
À la sortie de la ville en direction de Tiège et Sart, le lac artificiel de Warfaaz est un lieu agréable qui incite à la promenade : à la belle saison, les gens du cru, les curistes et les touristes de passage prennent plaisir à en faire le tour sur un chemin bien aménagé et sans difficultés. En pleine nature, l’endroit est aussi très apprécié des pêcheurs du dimanche et même des amateurs de pédalo qui viennent gentiment perturber la vie tranquille des canards.
Le lac fut créé en 1890, quelques années après d’importantes inondations provoquées par les eaux du Wayai, le petit cours d’eau qui l’alimente toujours aujourd’hui avant de traverser Spa en aval. L’aménagement de cette retenue d’eau s’est vite transformé en histoire à succès comme en témoignent les restaurants et les terrasses qui accueillent aujourd’hui les amateurs de grand air. La balade autour du lac de Warfaaz est aussi un avant-goût d’autres promenades à découvrir dans les bois environnants…”
Sadi est né à Andenne le 23 octobre 1927. Chanteur, bongoïste, showman, arrangeur-compositeur, «Fats» Sadi Lallemand, alias Sadi, fut surtout le premier Européen à s’imposer comme vibraphoniste. Il fait partie de cette poignée de musiciens belges connus dans le monde entier. Sadi affronte le public dès l’âge de neuf ans : avec l’aide de son père, il a mis au point un numéro de music-hall dans lequel il joue du xylophone. C’est vers 1938 qu’il découvre le jazz, à travers les disques de Louis Armstrong. Enthousiasmé, il essaie d’adapter les phrases d’Armstrong à son instrument, mais il comprend rapidement que, s’il veut arriver à un résultat valable, il lui faut faire l’acquisition d’un vibraphone.
Entretemps, il a découvert les enregistrements de Lionel Hampton auquel il va s’identifier pendant quelques années. C’est ainsi qu’en 1941, à l’âge de quatorze ans, Sadi est un des premiers musiciens belges, sinon le premier, à adopter le vibraphone comme instrument principal. Pendant l’Occupation, il s’applique à domestiquer son instrument, en parfait autodidacte, tout en continuant à collectionner les 78 tours de Hampton. De sorte que, à la Libération, c’est un musicien d’un niveau plus qu’honorable qui fait son apparition dans le monde du jazz belge. Devenu professionnel, il joue pour les Américains ; il a monté son propre combo, le Sadi ‘s Hot Five dans lequel il engage bientôt un jeune pianiste, Jean Fanis, qui sera, bien des années plus tard, un de ses fidèles compagnons de route.
Il part ensuite pour Bruxelles où il retrouve Raoul Faisant. Celui-ci l’avait entendu jouer du xylophone quelques années auparavant et lui avait dit qu’il l’engagerait dès qu’il saurait jouer du vibraphone ! Sadi habite quelques mois chez les Faisant (qui hébergent également René Thomas) et il parfait son éducation musicale au contact de celui qu’il appellera toujours “Le Père”. A cette époque, Sadi, qui travaille aussi avec le pianiste Vicky Thunus, est déjà un musicien coté et le périodique “Jazz” parle de lui dès 1945 comme du “Hampton belge”. En 1946, il suit Faisant à Liège et joue avec lui ; en même temps, il se mêle de plus en plus à une bande d’étudiants fous de jazz (Jacques Pelzer, Bobby Jaspar,… ) en train de devenir la coqueluche de la ville.
Sadi est bientôt membre à part entière des Bob-Shots, jouant du vibraphone (mais aussi du piano de temps à autre) sans négliger à l’occasion de chanter l’un ou l’autre thème, son plus grand plaisir étant de pasticher Louis Armstrong ou Fats Waller, comme en témoigne un acétate récemment redécouvert. Les membres des Bob-Shots étant encore étudiants pour la plupart, Sadi ne peut se contenter de ce seul orchestre et il travaille parallèlement avec Vicky Thunus, Gus Deloof, Raoul Faisant, René Thomas, etc. un peu partout en Belgique et aux alentours. Mais c’est au sein des Bob-Shots qu’il se sent vraiment chez lui ; c’est avec eux qu’il reçoit, en 1947, le choc du be-bop !
Stupéfaction, sur certains des disques de Parker et de Gillespie, on entend un vibraphoniste et quel vibraphoniste ! Milt Jackson séduit presque immédiatement Sadi. Comme Pelzer s’attaque à la tâche épuisante (mais passionnante !) de comprendre et de reproduire les chorus du Bird, Sadi suit à la trace la moindre idée de Milt Jackson, partageant avec ses compagnons le mérite d’avoir été un des premiers Européens à oser s’attaquer au bop : c’est la période de l’Océan (club où se produisaient les Bob-Shots version bop). Hélas, l’ère des Bob-Shots touche à sa fin, et la musique qu’ils jouent désormais ne plait pas à tout le monde, c’est le moins qu’on puisse dire.
En 1949, Sadi se produira encore en leur compagnie (avec Franey Boland au piano) au Festival de Paris, au même programme que Charlie Parker et Miles Davis, et il enregistre quelques 78 tours qui permettent de se faire une idée de la richesse et de la fluidité auxquelles était parvenu son jeu dès avant 1950. Mais, en réalité, les Bob-Shots n’existent déjà plus en tant qu’orchestre régulier. Sadi joue surtout en Allemagne, avec Thunus notamment, une musique qui n’a plus grand chose à voir avec le jazz et moins encore avec le bop. L’éphémère popularité du jazz, suite à la Libération, n’est déjà plus qu’un souvenir.
En 1951, Sadi part pour Paris, espérant pouvoir s’y consacrer au jazz, comme Bobby Jaspar et Benoît Quersin quelque temps auparavant. Ses débuts dans la capitale française seront plutôt difficiles : le vibraphone n’est pas le genre d’instrument qu’on transbahute sans problèmes d’une jam à l’autre, là où se font et se défont les amitiés et les contrats. Sadi se retrouve isolé et sans travail. Il finit par trouver un engagement dans un orchestre “typique”, mais pour y jouer des bongos. Il a néanmoins un pied dans l’étrier et, en 1952, il entre dans la formation d’Henri Renaud au Boeuf sur le Toit, cette fois comme vibraphoniste.
Petit à petit, il s’intègre au milieu du jazz parisien et, en avril 1953, il est appelé par Django Reinhardt pour une séance d’enregistrement (qui sera en fait la dernière du grand guitariste, mort quelques semaines plus tard). La même année, il travaille au fameux Ringside, lieu de passage des grands jazzmen U.S. Puis il part pour Monte-Carlo avec Jack Dieval ; il y retrouve Bobby Jaspar, revenu en France depuis peu, et il le rejoint dans l’orchestre d’Aimé Barelli pour une longue tournée des villes françaises. C’est le départ d’une période faste. La réputation de Sadi est désormais bien établie : il est le meilleur vibraphoniste européen! Son nom apparaît dans presque tous les numéros de Jazz Hot et il se retrouve premier dans les référendums, catégorie “autres instruments”.
Sadi
Pendant deux ou trois ans, il est de tous les coups, de tous les enregistrements, jouant aux côtés de Martial Solal, Kenny Clarke, Don Byas, Bobby Jaspar, Christian Chevalier, Stéphane Grapelli. Il travaille également dans la formation-laboratoire d’André Hodair et chante dans les Blue Stars, le groupe vocal de Blossom Vearie. En 1955, il monte pour la Rose Rouge un big band hors du commun (avec entre autres Jaspar, JeanLouis Chautemps, Jay Cameron, Roger Guérin) ; big band qui, chose rarissime en Europe, se produit tous les soirs. Cette nouvelle expérience révèle à ceux qui l’ignoraient encore ses qualités de compositeur et d’arrangeur. Sa réputation s’étend désormais jusqu’aux Etats-Unis où son disque obtient quatre étoiles dans la revue Metronome et est publié sous le label Blue Note ; il est classé dans le poll de Down beat.
A la fin des années 50, il joue et enregistre quelques très belles plages avec Lucky Thompson à Cologne et il revient en Belgique, en 1959, pour le premier Festival de Comblain-La-Tour. Mais, de nouveau, les temps changent : Paris voit sa grande époque jazz se terminer peu à peu et le jazz en général se prépare à la chute libre. De plus en plus, les jazzmen doivent se “reconvertir”, dans la variété surtout. En 1961, Sadi quitte Paris et revient à Bruxelles où, peu de temps après, il entre dans l’orchestre d’Henri Segers à la RTB ; il y restera jusqu’à sa dissolution en 1965.
Entretemps, Sadi a renoué avec ses anciens compagnons et a monté un quartette à son nom, avec Jean Fanis, Roger Van Haverbeke et Vivi Mardens ou Al Jones à la batterie. Encore très présent dans les studios d’enregistrement, il grave quelques plages avec un European All Stars (Solal, Mangelsdorff, Goykovich,…), avec Don Byas et en dirigeant également plusieurs séances à son nom. En 1965, il retrouve le temps d’un concert son vieil ami Raoul Faisant, tristement confiné lui aussi dans la variété. Dès 1965, Sadi envisage de monter un show à l’américaine ; ce n’est qu’en 1969 que la RTB diffusera le premier “Sadi Show”. De 1969 à 1974, quatre shows seulement seront montés et Sadi abandonne la partie.
Toujours aux frontières de la variété, il est engagé par Caterina Valente pour une tournée mondiale (Amérique, Afrique, Japon, Russie). Entretemps, il est passé de la RTB à la BRT, dans l’orchestre dirigé par Etienne Verschueren. Il y restera de nombreuses années, participant aux tournées des solistes de l’orchestre. Parallèlement, il garde toujours un quartette qui grave quelques beaux disques. Sur l’un d’eux figure une composition de Sadi qui sera utilisée par Claude Nougaro pour sa chanson “Maîtresse”.
Mais, de plus en plus, la lassitude s’empare de lui. Découragé par le peu d’intérêt que suscite la musique pour laquelle il s’est battu toute sa vie, déçu de la manière dont les pouvoirs publics et les médias négligent le jazz, ébranlé par la mort de son épouse, il se retire tout doucement de la scène, limitant ses apparitions au strict minimum. Lorsqu’il reçoit le questionnaire initial envoyé aux musiciens en préparation de ce dictionnaire, à la question “Quels sont vos projets ? “, il répond amèrement : “Dormir. Cette époque ne me convient plus”. Triste conclusion d’une des trois ou quatre plus brillantes carrières de jazzmen belges.
Il reçoit un Django d’Or en 1996 et est élu “vibraphoniste européen de l’année” en 1998, à l’issue d’un référendum organisé par les radios de la RTBF et de la VRT. Mais il décide néanmoins, cette même année 1998, de ne plus se produire sur scène. Affaibli par la maladie d’Alzheimer, il meurt à l’hôpital de Huy d’une infection nosocomiale, le 20 février 2009.
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : J. Knaepen | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Le jazz belge n’a jamais manqué de guitaristes de talent. Dans la génération née aux alentours de 1950, deux noms se détachent dans le monde des cordes : Philip Catherine et Paolo Radoni. Si le second est moins connu, il n’en reste pas moins un musicien d’une grande solidité et un personnage clé de la scène jazz belge : enseignant, animateur, compositeur et avant tout soliste, Paolo Radoni a également joué un rôle prépondérant dans l’expansion des “Lundis d’Hortense”.
Né à Montenotte, en Italie, en 1949, Paolo Radoni se passionne pour la musique dès son adolescence. Sensible aux divers environnements musicaux que lui proposent son Italie natale, puis la Belgique où ses parents s’installent alors qu’il n’est encore qu’un enf anant, il s’intéresse à différents genres (classique, folklore, variétés,… ) avec une prédilection pour l’univers sonore lié au rock, au jazz et à leurs satellites. A l’âge de 13 ans, il étudie la guitare en autodidacte et, lorsqu’il entre en contact avec d’autres musiciens et monte ses premiers groupes, c’est tout naturellement vers une musique mixte de jazz, de rock et de blues qu’il se dirige.
De 1968 à 1971, Paolo Radoni fait partie du mythique Here and Now, formation que l’on pourrait difficilement rattacher à une étiquette précise : il s’agit d’une espèce de blues-rock progressif assez corrosif produit par de futurs champions de la musique “parallèle” (Marc Hollander, Denis Van Hecke, Vincent Kenis, Daniel Denis) dont aucun, Radoni excepté, ne fera de carrière dans le jazz, mais qui se retrouveront aux premières places dans des formations expérimentales comme Aksak Maboul par exemple.
Après Here and Now, nouveaux groupes, nouvelles légendes : Kleptomania (1971) puis Arkham (1972), avec Daniel Denis et Jean-Luc Manderlier. Si Kleptomania propose une musique plus franchement rock, la démarche d’Arkham se situe plutôt dans la lignée de groupes comme Soft Machine, ancrés aux frontières du Progressive Rock et du Jazz-Rock… Les phrases se rapprochent désormais d’un tempérament jazz que Radoni commence à ressentir de manière plus précise : de 1972 à 1974, il oriente d’ailleurs son étude de la guitare vers les notes bleues, cherchant à comprendre les mécanismes techniques et harmoniques par lesquels se libère la pulsion jazz, réalisant que ce n’est pas là une simple affaire de “mécanisme” précisément, mais que l’approche du jazz implique une vision de la musique radicalement autre.
L’heure de la relève n’a malheureusement pas encore sonné et, Paolo Radoni le découvre rapidement, le jazz ne paie pas ! Ayant depuis longtemps décidé de se consacrer entièrement à la musique, il se remet donc à travailler dans la variété, accompagnant la chanteuse Ann Christy et le chanteur jamaïcain James Lloyd. En même temps, il poursuit diverses expériences musicales (en 1977, il enregistre avec Aksak Maboul). C’est en 1978 que se situent ses débuts dans la sphère jazz proprement dite, alors en pleine réorganisation : il travaille bientôt avec Félix Simtaine, Jean-Louis Rassinfosse,… et découvre par la même occasion le milieu jazz bruxellois, puis européen.
Aux Pays-Bas, il forme un groupe avec le pianiste Nol Sicking ; en Suisse, il s’associe à la pianiste/chanteuse Christine Schaller, qu’il fera bientôt connaître au public belge. Le groupe s’appelle Travelers et il tiendra trois ans environ ; aux côtés de Radoni et de Schaller, on trouve le bassiste Pavel Pesta et le batteur Philippe Steahli. En 1978 est publié sous le label suisse KBL – au nom de Paolo – l’album “Vento”, enregistré en majeure partie à Genève, à l’exception de deux faces gravées aux studios Shiva à Bruxelles. Belgo-suisse, cet album l’est également par les musiciens qui s’y font entendre : le personnel de base est celui de Travelers, exception faite du bassiste qui est pour l’occasion Jean-Louis Rassinfosse.
Sur les deux titres enregistrés en Belgique, on trouve, outre le saxophoniste Maurice Magnoni, d’autres noms familiers : Freddie Deronde, Marc Hollander, Félix Simtaine. Au menu, rien que des compositions signées Paolo Radoni et un ensemble de couleurs explorant les divers territoires situés aux marges du jazz et du jazz-rock. La guitare de Radoni sonne tantôt comme celle des grands maîtres “classiques” de l’instrument (dans le superbe Travelers par exemple), tantôt comme celle des musiciens issus du rock (dans Vento). A plus d’un endroit, on perçoit bien plus que des prémisses du son et des climats à travers lesquels va s’exprimer Paolo dans le futur : lyrisme contenu, allusions aux musiques ethniques, mélodisme raffiné.
De mieux en mieux intégré au milieu du jazz belge, Radoni entre en 1979 dans l’ Act Big Band de Simtaine, all-stars permanent et mouvant de tout ce que la Belgique compte de jazzmen de talent. Le disque de Christine Schaller, “Real Life” enregistré en 1980 apparaît comme le lieu symbolique de la transition qui s’effectue alors dans la carrière de Radoni : en effet, une face présente la musique de Travelers (Schaller, Radoni, Pesta, Steahli) à travers deux compositions de la chanteuse et deux du guitariste, compositions qui tissent ensemble un univers sonore plus proche encore de la référence “jazz” que dans l’album précédent. Sur l’autre face, Christine Schaller et Paolo Radoni sont entourés de l’ Act Big Band au grand complet (dont c’est le premier enregistrement) : tous les futurs compagnons réguliers de Paolo sont là : Rousselet, Houben, Loos, Simtaine, Ruocco… Le ton d’ensemble (malgré la couleur qu’apporte évidemment l’Act) est surtout le ton Schaller/Radoni (ils sont d’ailleurs les deux seuls musiciens à apparaître sur les deux faces).
Dès cette époque, soucieux de développer sa propre musique, Radoni va diriger de plus en plus régulièrement ses propres formations. Un trio, tout d’abord, composé du batteur Ernst Bier et du bassiste Rüdi Schroder ; un trio qui tourne en Allemagne surtout (mais aussi en Belgique bien sûr), qui se produit au Festival de Montréal (1983) et qui nous a laissé un album, “Funny Ways”, enregistré en 1981. Parallèlement à ce travail suivi avec le trio et avec Act Big Band, Paolo Radoni joue dans d’autres contextes et a l’occasion de rencontrer quelques personnalités particulièrement marquantes de la scène internationale, avec lesquelles il va faire un bout de chemin.
Ainsi, en 1979, il effectue une tournée en Afrique avec le chanteur Joe Lee Wilson, travaille avec le bassiste sud-africain Johnny Dyani, avec le saxophoniste Robin Kenyatta, ainsi qu’avec le mythique trompettiste américain de l’ère free, Clifford Thomton. Un autre aspect de sa personnalité commence à se développer à cette époque : présent dès le début dans le projet des “Lundis d’Hortense”, il va s’y investir de manière intensive (jusqu’à en devenir président) et y animer de nombreux stages. Dans le même ordre d’idées, il travaillera aussi dans le cadre des Jeunesses Musicales, du Conservatoire de Bruxelles, sans délaisser pour autant sa création de soliste, de compositeur-arrangeur et de leader.
En 1983, nouvelle étape importante avec le groupe formé pour l’album “Hotel Love” (enregistré en 1982, quelques mois plus tôt). Ici encore, il s’agit d’un all-stars puisqu’aux côtés du guitariste, on peut entendre le trompettiste Richard Rousselet, les saxophonistes Steve Houben et John Ruocco, Charles Loos au piano et Jan de Haas à la batterie, la basse étant aux mains tantôt de Nicolas Fiszman, tantôt de Ricardo del Fra, alors établi en Belgique. A une exception près, toutes les compositions et tous les arrangements sont signés Radoni. Mais la musique est assez différente : plus “européenne” (comme plusieurs albums LDH d’ailleurs), plus ouverte aux différentes influences. Musique de fusion sous certains égards, marquant une prise de distance beaucoup plus nette par rapport au jazz “traditionnel”, bop et post-bop. Dans cette musique, la composition et l’arrangement ont un rôle tout à fait prépondérant et l’accent est mis davantage sur les climats que sur l’improvisation et l’expression individuelle.
Avec une formation dérivée du personnel d’Hotel Love, Radoni écume les festivals et les clubs de jazz pendant des mois. Un tournant ? Pas vraiment. Un embranchement nouveau plutôt, une nouvelle corde à l’arc de Radoni, qui, à d’autres occasions, pointera à nouveau son viseur sur un jazz plus énergique, moins esthétisant. La même année (1983), il enregistre un troisième album en compagnie de Christine Schaller (ici leader et chantant en français !) et de musiciens belgo-suisses. Puis, sans doute parce que son travail au sein des “Lundis d’Hortense” lui prend de plus en plus de temps, on commence à voir moins souvent le nom de Radoni aux affiches des concerts.
En réalité, à partir de 1984, il cherche à monter un nouveau trio qui soit vraiment le véhicule idéal pour ses idées musicales. Recherche concrétisée en 1986 : le nouveau trio se compose, outre du guitariste, de Jean-Louis Rassinfosse (b) et de Bruno Castellucci (dm). Les concerts reprennent et bientôt, Igloo publie un CD intitulé “Storie Vere” qui va recevoir un très bon accueil de la critique. Un CD qui témoigne d’une superbe maturité, acquise au fil d’expériences multiples et variées. On l’a vu, une maturité qui suffit à le classer aujourd’hui au nombre des incontournables du jazz belge.
Parmi les dernières réalisations de Paolo Radoni, on épinglera le travail effectué avec l’accordéoniste français Francis Varis, travail dont les manifestations live font souhaiter la parution future d’un disque scellant cette collaboration peu banale, un disque qui serait une pièce supplémentaire à verser au dossier de ce musicien original, soucieux de cohérence et de continuité autant que de novation et de recherche, tant dans sa propre trajectoire de musicien que dans la musique qu’il nous propose.
A propos de l’interprétation par Radoni du répertoire classique, Jean-Marie Hacquier écrivit un jour ces lignes qui nous serviront de conclusion : “Dans les bagages de (ses) mélodies, se glissent avec nostalgie quelques échos du jazz traditionnel. Mais à y regarder de plus près, le feeling du jour emporte le ton vers de nouvelles aventures. Car les improvisations (de Paolo Radoni) ont tant d’imagination en poche que les blues et les thèmes bop s’en étonnent encore…”. Personnalité riche et chaleureuse, Paolo Radoni s’est hélas éteint prématurément, en décembre 2007, à l’âge de 59 ans.
Radoni Paolo, “Storie Vere”, 1988, Igloo IGL CD 057.
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Igloo Records | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Un des aspects les plus étonnants de la poésie de Mary Oliver est la continuité de ton, à travers une période d’écriture étonnamment longue. Ce qui change néanmoins, c’est une insistance plus marquée sur la nature et une plus grande précision dans l’écriture, au point qu’elle est devenue un de nos meilleurs poètes… Pas de plaintes dans les poèmes de Madame Oliver, pas de pleurnicheries, mais d’aucune manière l’impression que la vie soit facile… Ces poèmes nous soutiennent, plutôt que de nous divertir. Même si peu de poètes ont aussi peu d’êtres humains dans leurs poèmes que Mary Oliver, il faut constater que peu de poètes sont aussi efficaces pour nous aider à avancer.
Stephen Dobyns, New York Times Book Review
[d’après BUSTLE.COM, 17 janvier 2019] La poétesse américaine Mary Oliver (1935-2019) vient de décéder à l’âge de 83 ans. Elle s’était vu décerner le Prix Pulitzer ainsi que le National Book Award. Sur le site du San Francisco Chronicle, on peut lire que Bill Reichblum, son exécuteur littéraire, précise que Mary Oliver était décédée le 17 janvier, des suites d’un lymphome, à son domicile de Hobe Sound, en Floride.
Mary Oliver était l’auteure de plus de 15 recueils de poésie et d’essais. Elle était réputée pour son amour de la nature et des animaux, ainsi que pour sa manière joyeuse d’appréhender la vie et le monde. Son oeuvre est reconnaissable par sa simplicité : Mary Oliver estimait que “La poésie, pour être comprise, doit être claire.” Selon la National Public Radio, la poétesse a un jour déclaré : “Il ne s’agit pas de faire chic. J’ai le sentiment que beaucoup de poètes d’aujourd’hui sont un peu comme des danseurs de claquettes. Je trouve que tout ce qui n’est pas nécessaire est superflu et ne doit pas être dans le poème.”
Mary Oliver est née à Maple Heights, dans l’Ohio, le 10 septembre 1935. Son enfance a été marquée par un père abuseur sexuel et une mère négligente : Mary s’est réfugiée dans la poésie et la nature. Jeune poète, on la disait fortement inspirée par une autre poétesse, Edna St. Vincent Millay. Elle a d’ailleurs brièvement habité chez cette dernière, aidant ses proches à trier les archives de l’auteure après son décès, en 1950. Au milieu des années 50, Mary Oliver a suivi les cours de la Ohio State University et du Vassar College, sans obtenir de diplôme néanmoins.
Paru en 1963, son premier recueil, No Voyage, and Other Poems, a marqué le début d’une carrière prolifique, couronnée par un Prix Pulitzer, un National Book Award, un American Academy of Arts & Letters Award, un Lannan Literary Award, le Poetry Society of America’s Shelley Memorial Prize et l’Alice Fay di Castagnola Award, sans compter des bourses accordées, entre autres, par la Guggenheim Foundation et le National Endowment for the Arts. Mary Oliver était également détentrice de la Catharine Osgood Foster Chair for Distinguished Teaching au Bennington College jusqu’en 2001.
Dans son poème de 2006 intitulé When Death Comes (Quand la mort viendra), Mary Oliver écrit :
Quand ce sera fini, je veux pouvoir dire que, toute ma vie, je suis restée l’épouse de l’étonnement. Et j’ai été le marié qui prend le monde entier dans ses bras.
Quand ce sera fini, je ne veux pas me demander si j’ai fait de ma vie quelque chose de particulier, et de réel.
Je ne veux pas me retrouver soupirant, effrayée ou pleine de justifications.
Je ne veux pas finir après n’avoir fait que visiter ce monde.
En lisant ceci, une chose est certaine : au cours de sa “vie sauvage, qui est unique et si précieuse“, Mary Oliver a développé une oeuvre qui aura certainement un impact sur les lecteurs -et les auteurs- des générations à venir.
Tous les poèmes de Mary Oliver présentés dans cette sélection sont traduits par Patrick Thonart, partagés dans notre poetica et repris dans un recueil non-publié à ce jour : Une Ourse dans le jardin (disponible sur demande, 2023)
Cliquez sur l’icone pour afficher la poetica…
Devotions: The Selected Poems of Mary Oliver (recueil, 2017)
[PENGUINRANDOMHOUSE.COM] Ce recueil est un Best-Seller du New York Times et a été désigné “Livre qui m’a aidé.e à tenir bon” par le Oprah’s Book Club. “Quel que soit l’endroit où vous commencez à lire, Devotions est incroyablement attirant, qu’il s’agisse des exubérants poèmes au chien d’Oliver ou des poèmes sélectionnés dans American Primitive (prix Pulitzer) et dans Dream Work, un de ses recueils les plus exceptionnels. Peut-être que le plus important, c’est cette écriture lumineuse qui nous apaise face à un monde fou et qui démontre combien une conscience plus aigüe peut profiler et transformer une vie, instant après instant, poème après poème. » —The Washington Post
“C’est un peu comme si la poétesse s’était assise à côté de nous et nous indiquait quels poèmes elle considère comme les plus importants.” — Chicago Tribune
La poétesse Mary Oliver a reçu le prix Pulitzer et elle présente ici une sélection personnelle de son travail, ce qui en fait probablement le recueil définitif de ses poèmes, écrits pendant plus de cinq décennies de sa magnifique carrière littéraire.
A travers les années, Mary Oliver a su toucher un nombre impressionnant de lecteurs avec des vers brillamment ciselés, exprimant son amour pour le monde naturel et les liens puissants qui unissent tous les vivants. Identifiée par Dwight Garner comme “de loin la poétesse la plus vendue du pays“, elle nous revient avec ce recueil étonnant et définitif de ses poèmes des cinquante dernières années.
Edités avec soin, ce sont plus de 200 poèmes parmi les meilleurs qu’Oliver a écrits, depuis son tout premier recueil, No Voyage and Other Poems, publié en 1963 (elle avait 28 ans), jusqu’à son tout dernier recueil, Felicity, paru en 2015. Cet ouvrage est fait pour durer et il a été conçu par Mary Oliver en personne : elle y offre le meilleur d’elle-même. Dans ces pages, elle nous propose un recueil extraordinaire, inestimable, de ses observations à la fois délicates, passionnées et précises de la Nature authentique.
Si, soudainement, tu es pris d’une joie inattendue, N’hésite pas. Abandonne-toi. Il y a plein de vies et de villes entières détruites ou en passe de l’être. Nous ne sommes pas sages, et pas si souvent gentils. Et beaucoup ne pourra être pardonné. Pourtant, la vie a de la ressource. C’est peut-être sa manière à elle de rendre les coups, qui fait que parfois quelque chose se passe qui est plus grand que toutes les richesses ou tous les pouvoirs du monde. Ça peut être n’importe quoi, mais tu le ressens certainement à l’instant précis où l’amour commence. De toute façon, c’est souvent le cas. De toute façon, quoi que ce soit, n’aie pas peur de son abondance. La joie n’est pas faite pour être une miette.
Quand je suis parmi les arbres, particulièrement parmi les saules et les féviers, mais aussi les hêtres, les chênes et les épicéas, ils envoient de vrais signaux de joie. Je pourrais presque dire qu’ils me sauvent, chaque jour. Je suis si loin de l’espoir de me voir un jour, n’être que bonté, et discernement, et ne jamais me presser pour traverser le monde mais marcher lentement, et m’incliner souvent.
Autour de moi, les arbres remuent leurs feuilles et lancent leur appel, “Reste un peu.” La lumière s’écoule de leurs branches.
Et ils appellent à nouveau, “C’est si simple,” disent-ils, “et toi aussi tu es venue au monde pour cela, aller paisiblement, être remplie de lumière, et resplendir.”
A Thousand Mornings (2012)
[PENGUINRANDOMHOUSE.COM] Ce Best-seller du New York Times est un recueil de textes de la célèbre poétesse Mary Oliver. Dans A Thousand Mornings, Mary Oliver retrouve l’imagerie si caractéristique de son œuvre ; elle nous emmène dans les marais et le long de la côte de sa région bien-aimée : Provincetown dans le Massachusetts. Qu’elle étudie les feuilles d’un arbre ou qu’elle fasse le deuil de son chien bien-aimé, Percy, Mary Oliver reste ouverte aux enseignements qui naissent des instants les plus furtifs et elle explore avec lucidité, humour et bienveillance les mystères de notre vie quotidienne.
Le matin, je descends sur la plage où, selon l’heure, les vagues
montent ou descendent, et je leur dis, oh, comme je suis triste, que vais-je– que dois-je faire ? Et la mer me dit, de sa jolie voix : Excuse-moi, j’ai à faire.
Thirst : Poems (2007)
[GOODREADS.COM] Thirst, recueil de 43 nouveaux poèmes de Mary Oliver (prix Pulitzer), introduit deux nouvelles voies dans son œuvre. En plein deuil de sa compagne depuis quarante ans, son grand amour, la grande photographe Molly Malone Cook, Mary Oliver s’efforce de convertir le chagrin en un chemin spirituel, de vivre la tristesse de la perte comme une partie de l’amour et non comme sa fin. Dans ces pages, pour la première fois, elle raconte sa découverte de la foi, sans toutefois abandonner l’amour de la Nature qui a été sa marque de fabrique pendant quarante ans. Dans trois longs poèmes étourdissants, Oliver explore les dimensions et vérifie les paramètres de la doctrine religieuse, se demandant, par exemple, ce que c’est qu’être bon : “A quelle fin ? / L’espoir du Paradis ? Non, pas cela. Mais plutôt d’entrer / dans l’autre royaume : grâce, et imagination, / et tous ces liens : être comme une feuille, une rose, / un dauphin.”
Quelqu’un que j’aimais, un jour, m’a donné une boîte pleine d’ombres.
J’ai mis des années à comprendre que, cela aussi, était un cadeau.
New and Selected Poems, Volume Two (1992)
Pendant près de cinquante ans, Mary Oliver a écrit de la poésie et est devenue la voix américaine la mieux placée pour traduire notre expérience de la Nature. Dans ce recueil, on trouvera quarante-deux nouveaux poèmes (c’est déjà un recueil en soi) et d’autres pièces choisies par l’auteur dans six recueils qu’elle a publiés depuis ses New and Selected Poems, Volume One.
Les soirs d’hiver, ma grand’mère, qui n’avait plus toute sa tête (une partie s’en était retournée vers la Bohème),
étalait des journaux sur le sol de la véranda pour que les fourmis, disait-elle, puissent s’y glisser, comme sous une couverture, et rester au chaud,
et moi, que pourrais-je me souhaiter, si ce n’est, une fois frappée par l’éclair des années, d’être comme elle, avec ce qui lui restait, tout cet amour.
New and Selected Poems, Volume One (1992)
[BEACON.ORG] A sa première parution en 1992, New and Selected Poems, Volume One a reçu le National Book Award. Quatorze ans se sont écoulés depuis et ce recueil de poésie est devenu un des plus vendus dans le pays. Il contient trente poèmes inédits et une sélection d’autres textes extraits des huit premiers livres publiés par l’auteure.
La sensibilité des poèmes de Mary Oliver et la brillante façon dont elle aborde la Nature et les questions fondamentales de l’existence, comme la vie et la mort, ont gagné l’admiration des critiques comme des lecteurs. “Aimez-vous ce monde ?” : avec cette question adressée directement au lecteur, Oliver interrompt un poème sur les pivoines. “Chérissez-vous votre humble et soyeuse existence ?” : ainsi, elle nous fait entrevoir l’extraordinaire dans notre vie ordinaire, combien quelque chose de si commun que la lumière peut être “une invitation / au bonheur, / et ce bonheur, / lorsqu’il est justement vécu, / est une sorte de sainteté, / palpable et pleine de rédemption.” […] Les évidences passionnées d’Oliver – qui ne cache jamais son plaisir réel – sont des rappels puissants du lien qui unit chacun d’entre nous à tous les êtres vivants et à la nature elle-même.
Tout l’après-midi, il a plu, et soudain un pouvoir inouï a surgi des nuages le long d’un fil jaune, aussi impérieux que Dieu devrait l’être. Quand il a frappé l’arbre, son corps s’est ouvert à jamais.
2 Le marais
La nuit dernière, sous la pluie, des détenus ont escaladé la clôture de barbelés de la prison. Dans l’obscurité, ils se sont demandés s’ils pourraient le faire, et ils savaient qu’ils devaient essayer de le faire. Dans l’obscurité, ils ont escaladé la clôture, poignant et poignant encore dans les barbelés. Malgré l’obscurité, la plupart d’entre eux ont été repris et renvoyés à l’intérieur du camp. Mais quelques-uns d’entre eux grimpent toujours les barbelés ou errent dans les marais bleuâtres, de l’autre côté. Que ressent un fil barbelé quand on le saisit, comme on saisirait un quignon de pain ou d’une paire de chaussures ? Que ressent un fil barbelé quand on le saisit, comme on saisirait une assiette ou une fourchette, ou un bouquet de fleurs ? Que ressent un fil barbelé quand on le saisit, comme on saisirait un bouton de porte, des papiers, un drap propre pour se glisser dessous ?
3
Ou ceci : il pleuvait, mon oncle gisait dans le parterre fleuri, froid et brisé, tiré de sa voiture, moteur au ralenti, calfeutrée de chiffons, et le brillant de ce long tuyau. Mon père a crié, puis l’ambulance est venue, puis nous avons tous regardé la mort, puis l’ambulance l’a emmené. Du porche de la maison, je me suis retournée une fois encore cherchant mon père, qui s’attardait, qui était toujours debout dans les fleurs, qui était cet homme de boue immobile, qui était ce petit personnage dans la pluie
4 Petit matin, mon anniversaire
Les escargots glissent sur le patin rose de leur corps au milieu des belles-de-jour. L’araignée est assoupie parmi les pouces rouges des fraises. Que vais-je faire, que vais-je faire ? La pluie est lente. Les petits oiseaux vivent en son sein. Même les scarabées. Les feuilles vertes lapent ses gouttes. Que vais-je faire, que vais-je faire ? La guêpe est assise sous le porche de son château de papier. Le héron bleu plane hors des nuages. Le poisson saute hors des eaux sombres, tout en bouche et en arc-en-ciel. Ce matin, les nénuphars ne sont pas moins charmants, selon moi, que les nymphéas de Monet. Je ne veux plus être utile, plus être docile, je ne veux plus emmener les enfants loin des prairies jusque dans le discours de la décence, et leur inculquer qu’ils sont (ou pas) mieux que l’herbe elle-même.
5 Au bord de l’océan
J’ai déjà entendu cette musique, déclara le corps.
6 Le jardin
La gaine ourlée du chou frisé, la cloche creuse du poivron, l’oignon vernis. Betterave, bourrache, tomates. Haricots verts. Je suis rentrée et j’ai tout posé sur la table de la cuisine : ciboulette, persil, aneth, le potiron comme une lune pâle, les pois dans leurs pantoufles de soie, l’éblouissant maïs trempé de pluie.
7 La forêt
La nuit sous les arbres le serpent noir rampe humide en se frottant durement contre les racines de sanguinaire, les feuilles jaunes, les petits ergots des écorces, pour arracher son ancienne vie. Je ne sais s’il sait ce qui se passe. Je ne sais s’il sait s’il va y arriver. Au loin, la lune et les étoiles partagent une faible lueur. Au loin, une chouette hulule. Au loin une chouette hulule. Le serpent sait que ces bois sont aux chouettes, que ces bois sont à la mort, que ces bois sont une épreuve, où il faut ramper et encore ramper, où il faut vivre parmi les cosses des arbres, où il faut s’allonger sur les brindilles sauvages qui ne peuvent supporter son poids, où la vie n’a pas de sens et n’est ni polie, ni intelligente. Où la vie n’a pas de sens et n’est ni polie, ni intelligente, il commence à pleuvoir, il commence à embaumer comme le corps des fleurs. Derrière la tête l’ancienne peau se fend. Le serpent frissonne mais n’hésite pas. Il avance d’un pouce. Il commence à s’écouler comme sang, comme du satin.
Quand la mort viendra
avide comme l’ours en automne ;
quand la mort viendra et sortira toutes les pièces brillantes de sa bourse
pour m’acheter, puis que, d’un geste, elle la refermera ;
quand la mort viendra
comme la rougeole ;
quand la mort viendra
comme un iceberg entre les omoplates,
je veux passer la porte pleine de curiosité, en me demandant :
mais comment sera-t-elle, cette cabane de ténèbres ?
Pour ça, je regarde tout
comme un frère et une sœur,
et le temps, je le vois comme une simple idée,
et l’éternité comme une autre possibilité,
et je vois chaque vie comme une fleur, aussi commune
qu’une pâquerette, et aussi singulière,
et chaque nom est une musique douce à ma bouche,
tendant, comme toute les musiques, vers le silence,
et chaque corps est un lion plein de courage, et quelque chose
de précieux pour la terre.
Quand ce sera fini, je veux pouvoir dire que, toute ma vie,
je suis restée l’épouse de l’étonnement.
Et j’ai été le marié qui prend le monde entier dans ses bras.
Quand ce sera fini, je ne veux pas me demander
si j’ai fait de ma vie quelque chose de particulier, et de réel.
Je ne veux pas me retrouver soupirant, effrayée
ou pleine de justifications.
Je ne veux pas finir après n’avoir fait que visiter ce monde.
House of light (1990)
This collection of poems by Mary Oliver once again invites the reader to step across the threshold of ordinary life into a world of natural and spiritual luminosity.
Qui a créé le monde ? Qui a créé le cygne, et l’ours noir ? Qui a créé la sauterelle ? Je veux dire – cette sauterelle-là, celle qui a surgi de ces herbes-là, celle qui croque du sucre au creux de ma main, elle dont les mandibules vont d’avant en arrière, pas de haut en bas, elle qui regarde autour d’elle avec ses yeux énormes et très compliqués. La voilà qui lève ses pâles pattes avant et se nettoie consciencieusement la face. La voilà qui ouvre ses ailes et s’envole en flottant dans l’air. Je ne sais pas exactement ce qu’est une prière. Mais je sais comment faire attention, comment rouler dans l’herbe, comment tomber à genoux dans l’herbe, comment flâner et me sentir bénie, me promener dans les champs ; c’est ce que j’ai fait le jour durant. Dis-moi, qu’aurais-je dû faire d’autre ? Est-ce que tout ne meurt pas un jour, toujours trop tôt ? Dis-moi, toi, que veux-tu faire de ta vie sauvage, qui est unique et si précieuse ?
Qu’est-ce qui arrive aux feuilles quand elles virent rouge et or et tombent sur le sol ? Qu’est-ce qui arrive aux oiseaux chanteurs quand ils doivent s’arrêter de chanter ? Qu’est-ce qui arrive à leurs ailes rapides ?
Crois-tu qu’il y ait un ciel individuel pour chacun d’entre nous ? Crois-tu que quiconque,
de l’autre côté des ténèbres, va nous appeler, nous, vraiment ? Au-delà des arbres, les renardes apprennent toujours à leurs petits
à vivre dans la vallée. on dirait qu’elles ne disparaissent jamais, qu’elles sont toujours là dans l’éclosion de la lumière qui se dresse chaque matin
dans le ciel sombre. Et, derrière un autre épaulement de collines, en bord de mer, les dernières roses ont ouvert leur fabrique de douceur
et la rendent au monde. Si j’avais une autre vie je voudrais la passer entièrement dans une jubilation sans retenue.
Je serais une renarde, ou un arbre plein de branches agitées. Et cela ne me gênerait pas d’être une rose dans un champ plein de roses.
Elles n’ont pas encore été touchées par la peur, ou l’ambition. C’est pourquoi elles n’y ont pas encore pensé. Elles ne se demandent pas non plus combien de temps il y aura des roses, et quoi après. Ou n’importe quelle autre question futile.
Quelque part, une ourse noire vient de se réveiller et regarde
vers la vallée. La nuit durant, dans le frémissement et l’agitation du printemps naissant,
je pense à elle, à ses quatre poings foulant le gravier, à sa langue rouge
comme le feu qui frôle l’herbe et l’eau fraîche. Il n’y a qu’une question :
comment aimer ce monde. Je pense à elle qui se dresse comme une corniche noire de feuilles
et qui carde de ses griffes le silence des arbres. Quelle que soit
ma vie par ailleurs, avec ses poèmes et sa musique et ses cités de verre,
elle est aussi cette ombre éclatante qui descend les flancs de la montagne, soufflant et goûtant ;
le jour durant je pense à elle – à ses crocs blancs, à son silence, à son amour parfait.
Dream Work (1986)
Dream Work, un recueil de quarante-cinq poèmes, suit chronologiquement et logiquement American Primitive, avec lequel Mary Oliver a gagné le prix Pulitzer pour le meilleur livre de poésie publié en 1983 par un poète américain. La profondeur et la finesse de perception qui irradiaient si constamment American Primitive se retrouve dans Dream Work également. A ceci s’ajoute toute l’attention que l’auteur y consacre au travail solitaire et difficile de l’âme qui doit accepter la vérité sur le monde personnel de chacun et donner sa juste valeur à chaque victoire par laquelle les difficultés des relations humaines peuvent se voir transcendées. La dimension historique fait également son entrée dans le travail d’Oliver, que ce soit par héritage (comme dans son poème sur l’Holocauste) ou par l’intermédiaire d’un douloureux regard sur le présent (comme dans Acide, un poème qui évoque un jeune garçon blessé qui mendie dans les rues d’Indonésie). Plus profondément que dans ses recueils précédents, la sensibilité qui préside à ces poèmes est mélangée avec le monde réel. La volonté de Mary Oliver de pratiquer la joie s’y retrouve toujours mais approfondie par la conscience de soi, l’expérience et l’exercice du choix.
Par après, J’ai senti sous mon épaule gauche la plus curieuse des blessures. Comme si je m’étais appuyée sur un objet vibrant trop fort, elle saignait secrètement. Personne ne connaît son nom.
Par après, par droiture plutôt que par raison, j’ai repensé à ce gros Allemand dans son pardessus mal ajusté, dans les bois, près de Vienne, réalisant que les oiseaux s’éloignaient encore et encore, et que même en marchant plus vite il ne les rattraperait jamais.
Comment vivons-nous chacun dans ce monde ? Chaque chose en compense une autre, je suppose. Quelquefois un malheur ne fait pas de tort du tout, mais au contraire brille comme la lune nouvelle.
Je pense souvent à Beethoven se levant, quand il ne pouvait dormir, trébuchant dans la poussière et les partitions froissées, baillant, s’asseyant au piano, traçant rapidement note après note après note.
Pourquoi dois-tu faire le bien ?
Pourquoi veux-tu faire pénitence
Et traverser des déserts à genoux ?
Laisse plutôt le doux animal dans ton corps
Aimer ce qu’il aime.
Parle-moi du désespoir, du tien, et je te parlerai du mien,
Pendant que le monde continue de tourner.
Pendant que le soleil et les perles claires de la pluie
Balaient les paysages,
Les prairies, les arbres bien enracinés,
Les montagnes et les rivières.
Pendant que les oies sauvages, dans le ciel ouvert,
S’en retournent encore, comme chaque fois.
Qui que tu sois et quelle que soit ta solitude,
Le monde s’offre à ton imagination,
Il t’appelle du cri des oies sauvages, âpre et attirant.
Sans cesse, il te répète que ta place
Est là, dans la grande famille des choses qui sont.
American Primitive (1983)
“Prix Pulitzer de poésie, Mary Oliver propose dans ce recueil déjà célèbre, American Primitive, cinquante textes visionnaires sur la nature, les êtres humains en amour et la vie sauvage en Amérique, vus tant de l’intérieur du corps que de l’extérieur. American Primitive m’enchante par la pureté de son lyrisme, la délicieuse fraîcheur de ses intuitions, et l’éclat spirituel tout particulier qui éclaire ses pages.” – Stanley Kunitz
“Ces poèmes ont poussé naturellement dans un terreau de sensations et de sentiments, et une maîtrise instinctive de la langue donne, à tort, l’impression qu’ils sont nés sans effort. Les lire est un vrai délice sensuel.” – May Swenson
Regarde, les arbres transforment leurs propres corps en piliers
de lumière, ils dégagent de riches effluves de cannelle et de plénitude,
les longs cierges des roseaux éclosent et ondulent au large sur les épaulements bleus
des étangs, et chaque étang, quel que soit son nom, est
désormais sans nom. Chaque année, tout ce que j’ai pu apprendre
dans ma vie me ramène à cela : les flammes et la rivière noire de la perte dont l’autre rive
est le salut et dont le sens nous échappera à jamais. Pour vivre dans ce monde,
tu dois savoir faire trois choses : aimer ce qui est mortel, le serrer
contre tes os en sachant que ta vie en dépend, puis, une fois le temps venu de le laisser aller, le laisser aller.
Twelve Moons (1979)
Dans son quatrième recueil de poésie, Twelve Moons (Douze lunes), Mary Oliver continue à explorer les domaines de la nature et des relations humaines – séduisants mais quasiment inaccessibles – et le désir profond et persistant d’une union joyeuse avec eux. Ces poèmes vibrants et magiques sont animés de la conscience douloureuse de la beauté pure de la nature. Fascinante, sa vision intime nous emmène dans des territoires où nous ne pouvons que furtivement entrevoir hommes et nature.
Je pensais que la terre
se souvenait de moi, elle
me reprenait si tendrement, arrangeant
ses jupes sombres, les poches
pleines de lichens et de graines. J’ai dormi
comme jamais auparavant, comme un galet
sur le lit de la rivière, rien
entre moi et le feu blanc des étoiles,
rien que mes pensées, et elle flottaient,
aussi légères que des papillons de nuit, dans les branches
des arbres parfaits. Toute la nuit,
j’ai entendu respirer les petits royaumes
tout autour de moi, les insectes, et les oiseaux
qui besognent dans l’obscurité. Toute la nuit,
je me relevais, je replongeais, comme dans l’eau, aux prises
avec un lumineux halo. Au matin,
j’avais disparu au moins une douzaine de fois
dans quelque chose de meilleur.
No Voyage and Other Poems (1963)
De nature réservée, Mary Oliver a donné peu d’interviews. Elle préfère laisser parler son œuvre. Celle-ci parle d’elle-même et elle est écoutée par d’innombrables lecteurs depuis des dizaines d’années. Le New York Times écrivait récemment que Mary Oliver était “de loin, le poète le plus vendu dans le pays.” Née dans une petite ville de l’Ohio, Oliver a publié son premier recueil de poésie en 1963, à l’âge de 28 ans ; No Voyage and Other Poems, initialement publié en Grande-Bretagne aux éditions Dent Press, a connu une deuxième publication aux US en 1965 chez Houghton Mifflin. Mary Oliver a depuis publié de nombreux ouvrages, qu’il s’agisse de poésie ou de prose. Mary Oliver a étudié à la Ohio State University et au Vassar College, sans obtenir de diplôme. Elle a vécu plusieurs années dans la maison d’Edna St. Vincent Millay dans l’état de New York, avec sa compagne, Norma Millay, sœur de la poète. C’est là qu’elle a rencontré la photographe Molly Malone Cook, fin des années 50. Pendant plus de quarante ans, Cook et Oliver ont vécu ensemble, principalement à Provincetown, Massachusetts, jusqu’à la mort de Cook, en 2005. Pendant sa longue carrière, Mary Oliver a reçu de nombreux témoignages de reconnaissance de la qualité de son œuvre (Prix Pulitzer Prize en 1984 ; Shelley Memorial Award ; une bourse Guggenheim ; American Academy and Institute of Arts and Letters Achievement Award ; Christopher Award et L.L. Winship/PEN New England Award ; National Book Award ; Lannan Foundation Literary Award ; New England Booksellers Association Award for Literary Excellence). Ses essais sont parus dans la collection Best American Essays (en 1996, 1998, 2001), dans l’Anchor Essay Annual 1998 et dans Orion, Onearth et d’autres revues encore. Oliver a dirigé l’édition 2009 des Best American Essays. Ses travaux sur l’art de la poésie, A Poetry Handbook et Rules for the Dance, sont régulièrement utilisés dans les formations à l’écriture. Reconnue comme brillante lectrice, elle a lu des poèmes dans quasiment tous les états du pays et à l’étranger. Elle a animé des ateliers dans différentes hautes-écoles et dans des universités, et travaillé en résidence à la Case Western Reserve University, à la Bucknell University, University de Cincinnati et au Sweet Briar College. A partir de 1995, elle a occupé la Catharine Osgood Foster Chair for Distinguished Teaching au Bennington College et ce, pendant cinq années consécutives. Elle a été honorée du titre de Docteur Honoris Causa par l’Art Institute de Boston (1998), le Dartmouth College (2007) et la Tufts University (2008). Oliver vit actuellement à Provincetown, Massachusetts, importante source de son inspiration.
Un jour enfin tu as su ce que tu devais faire et tu t’y es mise, malgré les voix autour de toi qui hurlaient encore leurs mauvais conseils- malgré toute la maison qui s’est mise à trembler et la vieille corde que tu sentais à nouveau sur tes chevilles. « Répare ma Vie ! » pleurait chaque voix. Mais tu ne t’es pas arrêtée. Tu savais ce que tu avais à faire, malgré le vent qui attaquait de ses doigts raides tes fondations les plus intimes, malgré leur mélancolie déchirante. Il était déjà fort tard, et la nuit violente, et la route pleine de branches tombées et de pierres. Mais, peu à peu, comme tu laissais leurs voix derrière toi, les étoiles ont commencé à briller à travers le manteau de nuages, et il y a eu une voix nouvelle que tu as lentement reconnue comme la tienne, qui t’a tenu compagnie tandis que tu arpentais le monde de plus en plus loin, déterminée à faire la seule chose que tu pouvais faire- déterminée à sauver la seule vie que tu pouvais sauver.
Tromboniste et chanteur belge, Phil Abraham s’affirme comme un des meilleurs solistes au trombone. Il maîtrise les différentes formes du jazz grâce à son itinéraire naturel : ayant débuté par le dixieland, il apparaît ensuite (1986) comme un tenant du middle jazz; actuellement il s’exprime dans un style post-bop et touche parfois au style fusion. De plus, c’est un agréable vocaliste au timbre feutré et scat détendu.
Biographie
Cours de piano, de guitare et d’harmonie à l’Académie de La Louvière. A quinze ans, il est au piano dans divers orchestres amateurs, avant de s’initier au trombone. Il joue d’abord avec des musiciens et des groupes de jazz traditionnel : le Retro Jazz Group, Willi Donni, Albert Langue, Claude Luter, Herman Sandy, le Victoria Jazz Band, les Feetwarmers et le Brussels Big Band.
Il se tourne vers le jazz moderne en 1984 au contact de Jacques Pelzer, Jean-Louis Rassinfosse, Guy Cabay, Steve Houben et Richard Rousselet. Soliste à l’occasion dans l’Act Big Band et le BRT Big Band, il se consacre davantage au quartette qu’il fonde la même année avec Guy Raiff (g), Marc Rosière (b) et Luc Van Den Bosch (dm). Ce groupe se produit dans les clubs de jazz ainsi qu’aux festivals de Loppem et Villers-Sainte-Gertrude.
En 1986, il enregistre le premier album à son nom, “Phil Abraham quartet”; il y apparaît surtout comme un excellent interprète de middle-jazz. Pendant la saison 1987-1988, son quartette participe à la tournée des Jeunesses Musicales dans les écoles de Wallonie et de Bruxelles. Le Phil Abraham Quartet collectionne les distinctions : Prix du meilleur orchestre de jeunes au Brussel’s Jazz Rallye (mai 1988), premier prix au Concours international de jazz de Sorgues (juin 1988) ; en juillet 1988, il représente la Belgique au festival de I’U.E.R. à Montpellier, est sacré Meilleur orchestre belge au Concours international de Hoeilaart (septembre 1988) et reçoit un prix du meilleur soliste au concours de la Défense à Paris (Juin 1989). Il est aussi à l’affiche de nombreux festivals : au Belga Jazz Festival en première partie de Monty Alexander et Art Blakey, au festival de Sorgues en première partie de Lester Bowie, aux festivals de Milan (août 1989), Ostende, Comblain, Rossignol (Gaume Jazz Festival), Spa, Gouvy, Middelheim 1989, Radio France, Amiens et Paris (CIM).
En tant que soliste de studio, il enregistre avec Isabelle Antena, Robert Cordier, Jacques Hustin, etc. Phil Abraham s’affirme comme un des meilleurs solistes au trombone. Il maîtrise les différentes formes du jazz grâce à son itinéraire naturel : ayant débuté par le dixieland, il apparaît ensuite (1986) comme un tenant du middle jazz; actuellement il s’exprime dans un style post-bop et touche parfois au style fusion. De plus, c’est un agréable vocaliste au timbre feutré et scat détendu.
Phil Abraham a joué aux côtés de Michel PETRUCCIANI, Charles AZNAVOUR, Claude NOUGARO, Clark TERRY, Hal SINGER, Toots THIELEMANS, Klaus IGNATZEK, John SURMAN, Art FARMER, Michel HERR, Andy EMLER, Paolo FRESU, John ENGELS, Dusko GOYKOVICH, Benny BAILEY, Bart VAN LIER, Henri TEXIER, Klaus WEISS, Deborah BROWN, Maria SCHNEIDER, John LEWIS, Lou BENNETT, Claudio RODITI, William SHELLER, Didier LOCKWOOD, Dee Dee BRIDGEWATER, Michel LEGRAND, Lucky PETERSON, Mino CINELU…
Oeuvres
Comme “Leader”
1986 : Phil Abraham Quartet, Multimix (MM86001)
1990 : At the Sugar Village (Aurophon, AU31604)
1991 : Phil Abraham Quartet, Stapler (Igloo, IGL091)
1997 : Phil Abraham Quartet, En public (Lyrae, LY9703007)
1999 : Phil Abraham Trio, Fredaines (Lyrae, LY99020-C)
2003 : Phil Abraham Quartet, Surprises (Lyrae, LY0311-C)
2003 : Jazz Me Do (Lyrae, LY0313-C)
2006 : Phil Abraham Quartet, From Jazz to Baroque, ou l’inverse ! (Mogno, J019)
2006 : Phil Abraham Quartet, K.Fée Live (K.Fée)
2007 : Jazz Me Do 2 (Alone Blue Records, @017)…
Participation aux enregistrements de…
1983-1984 : Albert Langue et ses Dixie Stompers (New FIy Records, NF125)
1985 : Creole Memories Jazz Band (Eustachuis, EJ006)
1986 : Robert Cordier Ensemble, Magic Moods in a Mellowtone (Igloo, IGL049)
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et réécriture | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : philabraham.com | Remerciements à Jean-Pol Schroeder
Les Crehay constituent une dynastie de peintres et artisans spadois, dont l’activité se déploie sur quatre générations. Cependant, seuls deux d’entre eux (Gérard-Jonas et Gérard-Antoine) bénéficient d’une certaine notoriété.
Gérard-Jonas Crehay (1816–1897). Fils de Gérard-Henri, conseiller municipal, et de Marie-Françoise Jonkeau. Attiré depuis son plus jeune âge par la peinture, iI débute par les décorations des ouvrages en bois de Spa à laquelle il est initié par sa soeur Gérardine (1808–1842). Elève d’Edouard Delvaux à l’Ecole de Dessin de Spa, Gérard-Jonas y achève ses études en 1850. Il obtient alors une prime du Gouvernement, qui lui permet de se rendre à Paris. Au Louvre, il s’applique à réaliser des copies de paysagiste hollandais du XVIIe siècle. D’aucuns prétendent qu’il aurait également rencontré Corot et les peintres de Barbizon.
De retour à Spa en 1851, Gérard-Jonas se voit confier la restauration du plafond de la salle des fêtes du Waux-Hall, une oeuvre de Henri Deprez représentant L’Olympe. L’année suivante, il est nommé professeur de dessin à l’Ecole moyenne de Spa, fonction qu’il assumera pendant trente-huit ans. Outre une participation régulière au Salon des Beaux-Arts de Spa, il expose à Liège, Bruxelles, Gand, Anvers, Paris, Londres, Vienne et Berlin.
Son oeuvre se partage entre peinture de chevalet et décoration de bois de Spa, activités qu’il n’a cessé de mener conjointement. Sa peinture, bien qu’inspirée des artistes de Barbizon, reste encore fort romantique (Cabane du herdier à Berinzenne – Spa, Musée de la Ville d’Eaux). La nature en est le sujet principal, Spa et ses environs la source d’inspiration. Il affectionne les sujets anecdotiques (Maisonnette incendiée par la foudre – Spa, Musée de la Ville d’Eaux) et n’hésite pas non plus à s’inspirer de ses aînés (Spa en 1612, d’après Jan Bruegel – Spa, Musée de la Ville d’Eaux). Dans le domaine de l’artisanat local, sa production est moins bien identifiée, les objets n’étant généralement pas signés.
CREHAY, Gérard Jonas, Vue des environs de Spa, 1866 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)
Son fils aîné, Gérard-Antoine (1844-1937), est également formé par Edouard Delvaux, puis par Ernest Krins chez qui il entre, à treize ans, comme apprenti décorateur de boîtes en bois de Spa. En 1872, il participe pour la première fois au Salon des Beaux-Arts de Spa. Deux ans plus tard, il occupe le poste de secrétaire dans le comité organisateur.
En 1875, Gérard-Antoine a l’idée de réaliser une série de douze cartes-vues peintes représentant les cinq fontaines de Spa, ce sera un succès. Ce n’est pas la seule innovation de Gérard-Antoine qui, s’associant à l’ébéniste Jacques Lezaack, présente à l’Exposition de Bruxelles, en 1881, une psyché en bois d’érable décorée de sa main. A partir de 1890, il succède à Henri Marcette comme professeur à l’Ecole de Dessin de Spa et à son père comme professeur de dessin à l’Ecole moyenne. En 1896, on le retrouve parmi les membres fondateurs du Musée communal de Spa. Après la mort de son père, en 1897, il se met à voyager : il séjourne en Angleterre, où il donne des leçons de dessin, et à Paris.
Ses œuvres sur bois de Spa sont exposées au pavillon de la ville de Spa à l’Exposition universelle et internationale de Liège, en 1905. A partir de 1910, Gérard-Antoine va s’essayer plus souvent à l’aquarelle, tout en continuant une abondante production de toiles et de boîtes. Cette prolixité s’explique, entre autres, par la nécessité de faire vivre une famille de huit enfants. En 1922, il réalise une affiche publicitaire pour la ville de Spa. En 1926, il reçoit le prix Joseph de Crawhez, d’un montant de deux mille francs [belges], destiné à récompenser celui qui a le plus activement collaboré au renom de Spa. La même année, il fête ses noces d’or avec quarante-huit de ses descendants ! Peu de temps avant sa mort, en 1937, il occupe la présidence d’honneur de la commission organisatrice du Salon des Beaux-Arts de Spa.
Parfois surnommé “le Maître de Spa” mais plus souvent “le vieux Gégé” ou “Gérard-l’Explosif”, il laisse l’image d’un petit homme, portant les cheveux longs et hirsutes sous un éternel chapeau à larges bords. Ayant horreur des snobs, d’un caractère colérique, il étonnait aussi par sa connaissance du passé spadois. On lui attribue plus de deux mille œuvres, de qualité fort inégale. Son sujet privilégié demeure Spa et ses environs (Paysage avec arbre et vue de Spa – collection privée), il est cependant l’auteur de plusieurs œuvres à caractère religieux (Histoire du Bienheureux Joachim, jadis à la chapelle des Pères servites de Spa). Moins soucieux du détail que Gérard-Jonas, Gérard-Antoine joue davantage sur la lumière et la couleur, tendant après 1900 vers une touche plus “impressionniste”. A partir de 1910, il va également s’essayer plus souvent à l’aquarelle. Outre Spa, il a exposé à Liège, Bruxelles, Anvers, Gand, Sydenham, Reims, Cologne et Berlin. Mais sa plus grande fierté demeurait d’avoir vendu une toile au Shah de Perse, Naser ed-Din.
Deuxième fils de Gérard-Jonas, frère de Gérard-Antoine, Georges (1849-1933). Il consacre la plus grande part de son activité à l’artisanat du bois de Spa, étant à la fois tourneur, décorateur et négociant. Ses thèmes privilégiés sont les motifs animaliers, particulièrement les chiens de chasse qu’il reproduit à l’occasion sur toile. Un troisième fils de Gérard-Jonas, Jules (1858–1934) a également laissé quelques œuvres, à côté de poésies et de pièces de théâtre dialectal wallon.
CREHAY, Georges, Ancienne église de Spa, 1882 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)
Parmi les petits-fils de Gérard-Jonas, plusieurs vont s’adonner à l’artisanat du bois de Spa et, occasionnellement, à la peinture de chevalet. Charles (1874-1969) est un paysagiste affectionnant aussi les natures mortes. Ernest (1876–1961), artiste peintre est avant tout menuisier-ébéniste, il réalise notamment la porte de sa maison (Adam et Eve – Spa, boulevard Chapman n°23). Léon (1881-1945) expose régulièrement aux salons. Il sera nommé, avec Edmond Xhrouet, à la direction de l’Académie des Beaux-Arts de Spa. Il manie avec autant d’aisance l’aquarelle que la peinture à l’huile. Alfred (1884–1976), artisan et négociant en bois de Spa, réalise également le mobilier et la décoration extérieure de sa maison dans un style naïf (A l’Epervier, Spa, avenue Antoine Pottier n°35).
CREHAY, Léon, Vue de la source de Barisart, 1944 (Spa, Musée de la Ville d’Eaux)
La génération de ses arrière-petits-enfants ne compte plus que des peintres occasionnels. Raymond (1898–1972) poursuit avant tout une carrière de violoniste qui l’amènera à s’établir à Paris, où il est décédé. De même, Norbert (1913-1980) effectue des études au Conservatoire de Liège où il obtient une médaille d’or pour la trompette, puis un Prix de Rome. Il sera professeur de cuivres à l’Ecole de Musique de Spa et dirigera l’Orchestre symphonique de Spa. Gérard (1923–1987), dessinateur industriel, s’est essayé à la réalisation de quelques tableautins sans prétention. Maurice (1921-2009), qui se consacre essentiellement au dessin à la plume, a une production plus abondante et est le seul à avoir exposé. Il a également participé à un concours destiné à rénover le style de la décoration du bois de Spa, ainsi qu’à un concours d’affiches organisé par la Ville de Spa.
Tous les artistes de la famille ne sont donc pas d’égale valeur. Outre Gérard-Jonas, Gérard-Antoine et Léon Crehay laissent une oeuvre de qualité. Pour ce qui est de Gérard-Antoine, les œuvres antérieures à 1900 sont généralement plus soignées que les suivantes. Georges bénéficie d’une petite notoriété locale, mais ses œuvres atteignent rarement la qualité des trois Crehay précités. Dans la famille Crehay, aux deux premières générations du moins, les enfants sont nombreux. Le seul moyen de subvenir aux besoins de tous étant de produire beaucoup, la qualité du travail s’en ressent. C’est également pour des raisons économiques que les supports sont souvent de mauvaise qualité ou de réemploi et les tableaux de petit format. L’oeuvre des Crehay n’est pas de première importance, le meilleur (souvent dû au pinceau de Gérad-Jonas) y côtoie le pire. Toutefois, elle constitue un témoignage iconographique appréciable pour l’histoire de Spa et de sa région. De même est-elle exemplaire du foisonnement d’artistes qui apparaît, à Spa et ailleurs en Belgique, à la fin du XIXe siècle. Pour toutes ces raisons, elle mérite de ne pas tomber dans l’oubli.
Bibliographie
HAULT C., Notice historique sur les dessinateurs et peintre spadois en introduction au Salon historique d’avril 1914, dans Wallonia, t. 22, 1914, p.189-209.
HENRARD A., Les peintres Gérard-Jonas et Gérard-Antoine Crehay, dans Histoire et Archéologie Spadoises, n° 3, septembre 1975, p. 13-18.
VIENNE P., Crehay, dans Nouvelle Biographie Nationale, t. 3, Bruxelles, 1994, p.94-96
VIENNE P., Les Crehay, peintres spadois, mémoire de licence en histoire de l’art et archéologie, Université de Liège, 1990-1991.
“De son véritable état civil Daniel Droixhe, Elmore D s’avère un drôle de paroissien (et ce même pour un pays aussi singulier que la Belgique). Non content de s’avérer un militant wallon constamment entouré de musiciens flamands (voire français), le bonhomme est manifestement affecté d’un syndrome aigu de dédoublement de personnalité. Né à Herstal (arrondissement de Liège) le 26 avril 1946, il est un académicien et un linguiste de renom. licencié en philologie romane, il défendit en 1974 une thèse de doctorat intitulée La linguistique et l’appel de l’histoire (1600-1800), dont le sous-titre explicitait le propos : «Rationalisme et révolutions positivistes» (Droz, Paris, 1978). Dans la foulée, il créa la Société d’histoire et d’épistémologie des sciences du langage…
Ces doctes occupations n’ont pas empêché notre érudit de se consacrer à sa seconde passion : la pratique et la célébration d’un blues à la fois fruste et sophistiqué, tout autant soucieux d’un patrimoine remontant à Memphis Minnie et au Memphis Jug Band, que de l’interprétation de ses propres compos en dialecte picard…! Son dernier (et sixième) album à ce jour ayant été publié chez Frémeaux en 2013, cette rétrospective de ses cinq précédentes livraisons offre donc au complétiste l’opportunité d’embrasser l’oeuvre musicale du bonhomme dans son ensemble. De Basse-Moûse Blues (1997) à Grandiveûs (2008), nous est donc donné à mesurer l’évolution qui le mena de covers inspirées de Sleepy John Estes, Big Bill Broonzy, Skip James et Son House, à une forme pour le moins inédite de blues en picard dans le texte (dont un livret de 44 pages propose à point nommé la traduction simultanée). Patriarche bienveillant du blues belge, Elmore D dessine au fil de cette anthologie une figure évoquant celles de Cyril Davies ou Alexis Korner au pays des Trappistes.” [source : Patrick Dallongeville, Blues Magazine]
René Thomas est né le 25 février 1926 à Liège. A l’âge de la maternelle, il joue de la batterie dans une sorte de café-concert de la région liégeoise, avec pour partenaire et imprésario son propre père. Quelle que soit la part de légende, cette anecdote a au moins le mérite de situer d’emblée Thomas dans le clan qui est le sien : celui des enfants de la balle (même si ses parents ne sont nullement des “artistes” au sens habituel du mot : son père s’occupera de longues années durant d’une fabrique de sacs en toile de jute).
Les débuts
Attiré très tôt par l’univers des cordes, il subtilise régulièrement la guitare d’un jeune Italien qui vient courtiser sa sœur aînée. De bon cœur, celui-ci lui apprendra quelques accords de base, ceux qui suffisent à accompagner une chansonnette. Thomas aurait pu en rester là mais, au cinéma de quartier où il se rend le dimanche après-midi, il dévore des yeux les “Broadway Melodies” américaines qui, très tôt, le sensibilisent à la musique swing et au jazz. Qui dit jazz et guitare dit immanquablement, à l’époque, Django Reinhardt. Et René Thomas entreprend le travail titanesque devant lequel reculent presque tous les guitaristes professionnels : reproduire d’oreille les chorus de Django ! Il fait alors la rencontre de deux guitaristes liégeois, Léon Lani et surtout Roger Vrancken, futur compagnon de Raoul Faisant et qui, à l’époque, joue dans l’orchestre de Gene Dersin. “After you’ve gone” et “Sweet Sue”, version Reinhardt, sont les premiers standards (les “saucissons” comme on les appelait alors) auxquels il se frotte.
Au début de la guerre, Lani s’engage pour un gala, dans le quartier dit de la Bonne Femme. C’est là qu’aux côtés de Lani et de la chanteuse Mary Drom, René Thomas donne sa première prestation publique. Au milieu d’un programme genre salade mixte – une pièce classique, une chanson, un air d’opérette, un fox-trot, etc. – il se lance dans un intermède de “jazz pur” qui fait tendre l’oreille à plus d’un spectateur. Il est à son affaire. Il sait que sa place est là plutôt que sur un banc d’école. N’ayant de toute manière qu’un intérêt très relatif pour les études, il décide de devenir musicien professionnel.
Il rencontre bientôt Maurice Simon, un autre enfant prodige, pianiste celui-là, qui joue d’oreille comme lui, avec un sens déjà aigu de l’improvisation. Les deux gavroches mettent quelques morceaux au point et quand Raoul Faisant, alors en passe de devenir LE musicien swing liégeois, les entend, il leur propose aussitôt un engagement à l’Observatoire, un des deux principaux laboratoires du jazz à Liège sous l’occupation. Nous sommes en 1942, René Thomas a quinze ans… Vraisemblablement introduit par Faisant, Thomas entre ensuite dans les orchestres de Gus Deloof puis de Gaston Houssa. En 1943, toujours aux côtés de Faisant, il enregistre une série de disques pour la firme Olympia, dans l’orchestre de l’accordéoniste Hubert Simplisse. Tous ne seront pas publiés et, de toute manière, il ne s’agit que de documents anecdotiques sans grande consistance sur le plan du jazz.
Autrement intéressants sont les enregistrements que le même groupe, à peu de choses près (sans le leader et avec Maurice Simon au piano), réalise aux Pays-Bas quelques mois plus tard. Faisant a eu du mal à convaincre les parents Thomas et les parents Simon de laisser leur progéniture partir sur les routes, en pleine guerre, avec des musiciens… Tout s’est finalement arrangé et tous les soirs, en alternance avec le programme de variété que propose Simplisse, le public hollandais peut entendre Raoul Faisant, Jean Evrard, René Thomas, Maurice Simon, Clément Bourseault et Henk van Leer dans une “exhibition de jazz pur” qui, bien souvent, dépasse de loin le temps généralement imparti à ce genre d’attraction.
Les chorus de René Thomas, à l’époque, sont évidemment fortement influencés par la musique de Django Reinhardt. Le jeune Thomas rencontre son idole et les deux guitaristes sortent leur instrument. Quand Thomas rentre à Liège, il a, dans l’étui de sa guitare, une photo sur laquelle Django, en guise de dédicace, a inscrit (avec une conception assez personnelle de l’orthographe) : “Au futur Django belge” ! Rencontre unique de deux êtres ne vivant que pour et par la musique, hors des normes et des usages, ne comptant que sur leur oreille pour produire une musique profondément harmonique et mélodique. En effet, à cette époque, René Thomas est un excentrique au sens étymologique du terme. Son comportement, bien souvent, étonne, choque. Il y aurait un livre à écrire à partir des 1001 anecdotes, drôles ou moins drôles, tendres ou cruelles, qui se racontent à propos du seul guitariste au monde qui, pour répéter, ne trouvait l’acoustique idéale et l’inspiration optimale que dans… son W.C. !
L’après-guerre
A la Libération, il peut déjà être considéré comme un des meilleurs guitaristes belges. Il participe à l’explosion musicale qui suit l’arrivée des Américains. Avec Faisant et Evrard, il entreprend la tournée des “restcamps” en Belgique et en Allemagne. Dans son propre quartier (le Longdoz), un local a été réquisitionné pour servir de club à l’usage des Noirs. René Thomas aura toujours le don de s’infiltrer là où il y a de la musique. Il devient un habitué de cet endroit privilégié, théâtre de quelques jams étonnantes. Est-ce dans ce club qu’il rencontre James R. Wilson et Ralph Sandige ? Toujours est-il qu’en leur compagnie, il franchit, un après-midi, la porte du studio de “Liège-Expérimental” afin de graver quelques acétates qui constituent le premier témoignage consistant (en tout cas tant que les enregistrements hollandais n’ont pas été retrouvés) de sa première “manière” strictement reinhardtienne.
A Bruxelles, où il loge chez Raoul et Reine Faisant, en compagnie de Sadi, il travaille au Métropole, à la Malmaison, à l’Heure Bleue, … Le trio rentre ensuite à Liège et Thomas est engagé dans l’orchestre de Gene Dersin. Nous sommes en 1947 et la grande époque de Dersin est derrière lui. De toute manière, René Thomas n’est pas vraiment à sa place dans un big band de ce type, qui ne lui laisse guère de place pour s’exprimer en soliste. Il décide alors de former son propre trio. Il engage pour cela deux jeunes musiciens liégeois, le pianiste Léo Flechet encore débutant et le batteur José Bourguignon. Formule orchestrale inhabituelle entre le trio à la King Cole (g, b, p) et le trio aujourd’hui classique (g, b, dm). Formule que l’on imagine mal, maintenant que la basse est devenue la base même de l’harmonie et de la régularité rythmique et joue donc un rôle mélodique très important. Avec ce trio, René Thomas grave quelques acétates. Quoique le soutien de ses jeunes compagnons soit plutôt approximatif, on y entend déjà l’émergence d’une personnalité et d’une sonorité qui se révéleront inégalables.
En 1947, il ne connaît évidemment pas Jimmy Raney et il y a peu de chances qu’il ait entendu Billy Bauer. Et pourtant, par delà les bases reinhardtiennes, son phrasé sonne déjà “moderne” ! Tandis que le trio tourne pour les Américains, René Thomas joue encore épisodiquement avec Faisant, mais, comme son style s’éloigne de Django, lui-même se détache de son maître. Il y a à Liège, à cette époque, un orchestre d’étudiants qui l’intéresse davantage : élèves de Faisant comme lui, Bobby Jasparet Jacques Pelzer (qu’il a déjà croisé à l’une ou l’autre reprise lors des jams organisées par son amie Mary Drom dans le grenier de ses parents) sont en train de faire des Bob-Shots un des meilleurs orchestres belges et, surtout, le premier orchestre be-bop européen.
A leur contact, Thomas découvre lui aussi la nouvelle musique, qui le subjugue aussitôt. Jaspar et Pelzer sont, quant à eux, proprement sidérés par l’aisance avec laquelle René retrouve d’instinct les harmonies sophistiquées du bop. Et une complicité s’installe aussitôt entre les deux étudiants et leur nouveau partenaire. Cependant, René Thomas ne fera jamais partie intégrante des Bob-Shots, ceux-ci ayant leur propre guitariste, Pierre Robert, le leader du groupe. Néanmoins, Robert, bon prince, l’invite régulièrement à monter sur la scène pour le remplacer pendant quelques morceaux. Ce sera particulièrement vrai à l’époque de l’Océan : Jaspar, Thomas et Pelzer vont désormais former une espèce de trilogie, symbolique du jazz liégeois, symbolique également du changement radical qui affecte le métier de musicien de jazz à cette époque.
Un soir de 1948, Carlos de Radzitsky décide de réunir à Bruxelles, autour de Django Reinhardt de passage en Belgique, les trois guitaristes de pointe du jazz belge : Pierre Robert, Toots Thielemans et René Thomas. Premier concert de prestige à une époque-charnière où le jazz va subitement changer de statut. Entre-temps en effet, le grand public, qui n’avait accroché au jazz que de manière très superficielle et à cause de la présence américaine, le boude maintenant. Les engagements se font rares, surtout pour ceux qui ne se sentent pas doués pour la musique commerciale et alimentaire. Pourtant, dans la saga du jazz liégeois, prend place en 1950 un épisode hors du commun : un orchestre – qu’on appelle encore Bob-Shots par commodité seulement – chauffe à blanc, chaque semaine, les après-midi de la Laiterie d’Embourg, un grand café où s’entasse un public hétéroclite et particulièrement dense. Mais la Laiterie ne sera qu’une lumineuse exception sans lendemain. Et la seule voie pour les jazzmen irréductibles sera bientôt celle de l’exil.
L’exil parisien
Jaspar est le premier à se jeter à l’eau, une fois ses études terminées. Sadi le rejoint bientôt, puis Quersin, Boland,… René Thomas et Jacques Pelzer sont attirés comme un aimant vers Paris où une petite colonie belge est en train de se constituer. C’est le début d’une période de navettes incessantes entre Liège, Bruxelles et Paris. En Belgique, il joue régulièrement avec Jacques Pelzer mais aussi avec l’Anversois Jack Sels, très pris à l’époque par de savantes explorations musicales sans négliger pour autant de swinguer. Quelques documents privés et quelques radios – ses premiers disques n’apparaissent qu’en 1954 – nous donnent une idée de la maturité à laquelle il était parvenu dès cette période (sur certains de ces documents, on peut même l’entendre chanter, à la King Cole, des airs comme « Embraceable you » ou « Three Little Words » ).
Alors qu’il est censé s’occuper de la fabrique familiale de sacs, René Thomas passe de plus en plus de temps à Paris, où il finit par se fixer en 1954. Il y fait rapidement la connaissance du gratin des musiciens français (René Urtreger, Martial Solal, Henri Renaud) et des Américains de passage, tout particulièrement du guitariste Jimmy Gourley. On a tout dit des rapports d’influence existant entre René Thomas et Jimmy Raney (qu’il découvre via Gourley). On a, par contre, sous estimé l’influence, pourtant déterminante, du guitariste Billy Bauer. On a surtout négligé l’inclination naturelle qui, depuis 1948 environ, a amené René à « sonner moderne ». Il reste que le jeu de Raney va le fasciner et radicaliser davantage encore cette « inclination naturelle ». D’autant que, comme il le dit lui-même : « A Paris, dans les années cinquante, pour bien jouer, il fallait jouer comme Jimmy Raney … Raney a innové sur le plan harmonique, c’est incontestable. Il a été très écouté et pas seulement par des guitaristes ».
Mais Thomas, en jouant du Raney, joue plus que du Raney ! Il ajoute au jeu un peu « froid » de l’Américain, des inflexions issues en droite ligne de Django, créant sans le savoir le « son Thomas », reconnaissable entre mille et qui, pour l’essentiel, se maintiendra tel quel à travers les années : un style beaucoup plus chantant, moins de notes, moins d’arpèges, d’accords et de stéréotypes be-bop, mais de longues notes tenues, beaucoup de variations rythmiques comme le développeront Philip Catherine et George Benson. René Thomas est maintenant un habitué du club Saint-Germain, du Tabou et de tous ces hauts lieux qui font de Paris la capitale européenne du jazz pendant une décennie. Les revues françaises commencent à mentionner, distraitement d’abord, puis avec de plus en plus d’enthousiasme, la présence dans cette capitale d’un jeune guitariste belge un peu farfelu certes, mais remarquable musicien. Une appropriation qui ne trompe pas : certains journalistes parleront de Thomas comme d’un musicien français.
En 1954 et 1955, il apparaît sur au moins 4 albums 25 cm : le premier avec Henri Renaud, le deuxième et troisième à son nom (sur l’un d’eux figure la fameuse composition « L’imbécile »), le quatrième, belge celui-là, au sein du Modern Jazz Sextet de Jacques Pelzer. Ces quatre albums – où chacune de ses interventions est en elle-même un petit bijou – auraient pu suffire à installer René Thomas au premier plan de l’actualité musicale. En réalité, apprécié jusqu’à l’idolâtrie d’une minorité d’initiés, il restera toute sa vie « méconnu comme il n’est pas permis de l’être ». En 1955, il revient à Liège pour un concert à l’Émulation. Mais si ses amis sont évidemment présents pour saluer son retour « en vedette », son nom n’évoque pour ainsi dire rien pour le grand public. « Un des meilleurs guitaristes sur le plan mondial ne s’appelle pas Big Boy Mc Machin, mais René Thomas tout simplement (et) c’est sans doute à Liège qu’il est le moins célèbre ». L’orchestre qui vient à Liège en 1955 (Bib Monville, R. Ronchaud, Quersin, etc.) enregistre la même année un album qui peut être le point culminant de la période « française » de Thomas : « René Thomas Modern Groups ».
La critique, dans son ensemble, s’enthousiasme, mais le public ne suit toujours pas. Si en 1955-1956, le référendum des critiques de Jazz Hot le classe premier guitariste, les lecteurs lui préfèrent nettement Sacha Distel. Pendant sa période parisienne, René Thomas revient fréquemment en Belgique, à Bruxelles et à Liège où il retrouve ses anciens partenaires, ainsi que les jeunes musiciens apparus entre-temps. Lors de ses séjours belges, il a pour partenaire privilégié Jacques Pelzer, et leur association d’alors les fait parfois comparer au tandem Konitz/Bauer. Ensemble, Pelzer et Thomas ouvrent d’éphémères clubs de jazz, notamment un Birdland (!) et, en janvier 1956, un étroit local baptisé The Jazz scene.
Le Nouveau Monde
Mais la place laissée au jazz en Europe est de plus en plus limitée au fil des années 50. Thomas décide alors, au même moment que Jaspar, de s’embarquer pour le nouveau monde. Sa destination première est le Canada où quelques amis pourront l’héberger et l’introduire dans le milieu du jazz. Mais le destin est d’humeur capricieuse et ce printemps 1956 et à la suite d’une avarie de machines, le bateau qui emmène René est obligé de faire escale quatre jours à… New-York. René Thomas débarque donc plus tôt que prévu dans cette Mecque du jazz convoitée par tous les musiciens d’Europe. Et lorsque que Bobby Jaspar, à peine arrivé à New York, se rend au Birdland, il y retrouve, sidéré, son ami qu’il vient à peine de quitter de l’autre côté de l’Atlantique !
Comme pour Jaspar, le miracle va opérer et bientôt, Thomas devient le compagnon de quelques-uns des plus grands musiciens américains. Il côtoie Tal Farlow, Wes Montgomery, Jimmy Raley, ainsi que le jeune Jim Hall. Au cœur du New York du jazz, il se mêle au clan des jeunes loups qui seront bientôt les nouveaux maîtres : Herbie Hancock, Freddy Hubbard, Wayne Shorter, etc. Au Canada, il joue avec Jackie Mc Lean, Cecil Payne. A New York, il enregistre avec la pianiste japonaise Toshiko Akiyoshi, le fameux album « United Nations » (sur lequel joue aussi Jaspar), et puis fait la connaissance, décisive, de Sonny Rollins. Rollins a déjà entendu parler de Thomas et il a même eu l’occasion de l’entendre à l’une ou l’autre reprise. Il en a gardé un tel souvenir que lorsqu’il le retrouve à New York, il décide de l’inclure dans son trio pour un engagement à Philadelphie (1957).
Lorsque Leonard Feather interroge Rollins quant au sidemen qu’il souhaiterait avoir pour son prochain enregistrement, le grand saxophoniste lui répond : « I know a belgian guitar player that I like better than any of the Americans I’ve heard ». C’est ainsi qu’il grave, le 10 juillet 1958, quelques faces avec Sonny Rollins et un big band dirigé par Erwie Wilkins pour l’album Brass/Trio. De ce séjour aux côtés de Rollins, il dira : « Rollins m’a engagé à une époque où je jouais comme Jimmy Raney, mais il a vu en moi un musicien qui avait quelque chose à dire, un type qui était porteur d’un message qui l’intéressait. Sonny m’a beaucoup influencé. A son contact, j’ai appris à rester plus longtemps sur une note simple, à ne pas rechercher systématiquement le ‘fini harmonique’, (…) il faut, à l’occasion, savoir ne pas s’en servir et utiliser d’autres éléments ». Entre-temps, il a rencontré John Coltrane, Miles Davis, tout le gratin new-yorkais. Il a joué avec Al Cohn et Zoot Sims. Zoot Sims qui, en 1956, déclarait : « Je n’ai pas entendu de révélation dernièrement en Europe, sauf un guitariste, René Quelque Chose, j’ai oublié son nom ». Il fait désormais partie de la famille.
En 1960, il travaille avec le saxophoniste J.R. Monterose, qu’il engage pour l’enregistrement du seul album qu’il réalisera jamais à son nom aux Etats-Unis « Guitar Groove » (pour Jazzland-Riverside). La rythmique se compose de Hod O’Brien (pianiste dont on a pu apprécier le comme-back en 1988), du bassiste Teddy Kotick et du batteur Albert « Tootie » Heath. Du beau monde et un disque superbe. Thomas joue sur une guitare dont Orrin Keepknews estime alors qu’il n’y en a plus guère que quatre ou cinq de cette sorte au monde. Le modèle, en fait, dont jouait… Charlie Christian, le père des guitaristes modernes.
Mais René Thomas a la nostalgie de l’Europe et en 1961, il rentre au pays. Il y est reçu par les quelques rares « happy few » qui se souviennent de lui et ont suivi son évolution pendant ces longues années d’exil. Il joue à Comblain (avec Benoît Quersin et José Bourguignon) et y remporte un triomphe. Il joue à Antibes, à Ostende et, surtout, monte avec Bobby Jaspar – de retour au pays lui aussi, quoique très provisoirement – un petit orchestre qui va devenir, au fil des semaines, la meilleure formation européenne du moment. Benoît Quersin et Daniel Humair forment une rythmique efficace qui permet aux deux grands solistes de donner le meilleur d’eux-mêmes. Basé à Bruxelles, au Blue Note de Benoît Quersin, le quartette commence à sillonner l’Europe et se produit même au fameux Ronnie Scott’s de Londres, un club réservé aux formations anglo-saxonnes.Par bonheur, un « pirate » était sur place et un disque est sorti en 1987 pour témoigner de ces chaudes nuits londoniennes du Thomas-Jaspar Quartet.
La suite de l’histoire, pour cet orchestre pas banal, se passe en Italie, en 1962. Et s’articule autour de trois moments forts : l’enregistrement d’un superbe disque pour la firme RCA, dans lequel le tandem Thomas-Jaspar Quartet est accompagné d’une rythmique italienne (Amedeo Tommasi, etc.). Au répertoire figurent plusieurs compositions de René Thomas (car depuis le départ ou presque, il ne faudrait pas l’oublier, il est un soliste hors pair mais aussi un compositeur fécond) : « I remember Sonny » au titre transparent, et le fameux « Theme for Freddy » que Thomas, avec Jaspar ou avec Jacques Pelzer, interprétera tant de fois et qui deviendra un peu son « hit » aux différentes éditions de Comblain. Deuxième moment fort : Chet Baker, qui séjourne en Italie à cette époque, invite Thomas et Jaspar à le suivre dans les mêmes studios RCA pour l’enregistrement de son disque « Chet is back », un classique aujourd’hui. Il y est comme presque toujours remarquable. Enfin, un autre Américain de passage, le pianiste John Lewis, engage le tandem pour l’enregistrement de la musique du film « Una storia Milanese ». Une musique curieuse pour laquelle l’orchestre de jazz type se voit renforcé d’un quatuor à cordes hongrois ! John Lewis se montre lui aussi particulièrement enthousiaste quant au jeu de René : « René (Thomas) is a Belgian, one of the bet guitar soloist I have ever heard ».
Le retour sur le continent s’effectue donc sous les meilleures auspices. Alors que Jaspar décide de repartir pour les États-Unis, Thomas, lui, semble bien vouloir rester en Europe. A Comblain, il jouera pratiquement chaque année. A Liège et Bruxelles, il redevient l’homme de tous les coups et de toutes les jams. A Paris, où il se rend régulièrement, il joue avec Johnny Griffin, Kenny Clarke, etc., ainsi qu’avec Bud Powell, une de ses idoles. Entre-temps, dans les différents festivals européens, il est encensé par la critique internationale. Ainsi, Claude Michel Jalard parlera de lui comme de la « grande vedette européenne » du festival d’Antibes en 1962. Un festival au cours duquel, l’année suivante, il sera d’ailleurs convié par l’organiste Jimmy Smith, alors au sommet de sa popularité, à venir le rejoindre sur la scène. L’association orgue/guitare est alors fort prisée du public et c’est avec un autre organiste américain, installé en Europe celui-là, Lou Bennett, que Thomas va s’associer pour divers enregistrements et de nombreuses tournées.
Ils enregistrent ainsi l’album « Meeting ». Pour cet album (plusieurs fois réédités), Thomas a fait également appel à Jacques Pelzer et le disque est une réussite : aux thèmes enlevés ( « Dr Jackle » ou ce « Meeting », composition signée René Thomas et qui est presque devenu un standard) succèdent de superbes moments lyriques ( « Harnie’s dream » avec un des plus beaux soli de flûte de Jacques Pelzer). Et, quel que soit le climat, les envolées de Thomas sont autant de petits chefs-d’œuvre de goût, d’invention… et de risques ! Car, sensible aux innovations de musiciens progressistes (Coltrane notamment, qui le fascine), il se laisse volontiers emporter par son attirance naturelle pour l’aventure et sort des sentiers battus et rebattus des harmonies et du phrasé hard-bop/cool. Avec toujours une pointe de Django qui donne à l’ensemble une sorte de constante et sauvage émotion. Par ailleurs, humainement, René Thomas demeure un personnage peu banal. Martien irrécupérable pour ceux qui ne le connaissent que superficiellement, il reste, même pour ses proches, comme isolé derrière les énormes verres de ses lunettes d’écaille qui lui donnent cet air perpétuellement ‘ailleurs’. “Perdu dans une sorte de rêve sans fin, l’homme aux lunettes d’écaille ne reprend vie qu’au moment où s’allument les feux de la rampe. Alors, cet étrange personnage s’anime et le swing jaillit sous ses doigts agiles” (J.-L. Ginibre, Jazz Mag n°86, 1962).
Imprévisible dans le quotidien – et ce jusqu’à sa présence à l’heure et au lieu convenus pour un concert – « son incorrigible insouciance » (Laurent Goddet) ne se dissipe, en effet, que lorsqu’il joue. Et là, plus rien ne peut l’arrêter. C’est sans doute pour toutes ces raisons qu’il restera toute sa vie un musicien adulé de ses pairs et de la critique, mais boudé par les organisateurs, par les firmes de disques et par le public. Ce qui ne l’a jamais inquiété outre mesure : “Je joue comme je joue et je ne veux pas, sous prétexte de le séduire, m’adresser vulgairement au public. La reconnaissance des musiciens me suffit pour l’instant (…) j’ai le temps, le public me reconnaîtra un jour ou l’autre”.
En 1963 (l’année de l’enregistrement de “Meeting“), il se rend dans les studios aux côtés du saxophoniste américain Sonny Criss (les quelques témoignages de cette nouvelle association ont été récemment réédités). L’année suivante, il retrouve, à Paris, Lou Bennett et Kenny Clarke avec lesquels il donne plusieurs concerts (notamment à la salle Gaveau) et enregistre quelques titres supplémentaires. Tandis qu’à Liège, où il passe encore en fin de compte pas mal de temps, il est plus souvent qu’à son tour fidèle aux jams du “Jazz Inn” des frères Darmoise : avec Barney Wilen, avec Jacques Pelzer, avec son vieux complice des premiers temps, le pianiste Maurice Simon, avec Chet Baker, avec tous les invités prestigieux des nuits d’après Comblain, Thomas y dispense sans compter (et généralement sans autre salaire que les consommations) une musique généreuse qui ravit notamment tous les jeunes guitaristes (Robert Grahame, Jo Verthé, etc. L’un d’eux, Gustave Smeets, en est entiché au point de se faire appelé “Samoht”, Thomas à l’envers !). De ces soirées privilégiées, des échos ont été vaille que vaille préservés et, à les entendre, on comprend que le “Jazz Inn” n’était pas un club de jazz au sens presque sacré du terme : des bandes montent, en effet, enrobant la musique, un étonnant bruit de fond – verres cognés, rires alcoolisés, altercations ponctuées d’encouragements familiers aux musiciens. Mais c’est cela aussi l’univers de René Thomas, cet espace clos où tout un chacun, radicalement inconscient de la place qu’occupe en fait sur la scène mondiale du jazz ce guitariste qui fait partie des meubles, le tutoie et l’apostrophe sans ménagement.
Puis, soudain, sans crier gare, d’un jour à l’autre, René Thomas, le jammeur liégeois, redevient concertiste international, si par hasard un géant de passage l’emmène à sa suite. Ainsi, au milieu des années 60, il travaille à plusieurs reprises avec le saxophoniste Lee Konitz, à Comblain, Bruxelles, Paris, aux Pays-Bas où la radio hollandaise eut la bonne idée d’enregistrer, le 21 octobre 1965, une demi-heure de musique. Lui et Konitz y sont accompagnés par deux futurs princes de la musiques free européenne : Misha Mengelberg (p) et Han Bennink (dm). Entre-temps, l’association Thomas-Pelzer se poursuit par intermittence, renforcée de rythmiques diversent où défilent les bassistes Benoît Quersin, Alby Cullaz, Michel Finet, etc. et les batteurs Jacques Thollot, Vivi Mardens, Peter Littman, etc. Les deux Liégeois (que la mort de Jaspar en 1963 a peut-être encore rapprochés) se produisent avec succès dans les divers festivals et clubs européens. Leur répertoire, au milieu des années 60, s’est enrichi de pièces plus aventureuses (de compositions d’Ornette Coleman par exemple).
Et leur musique témoigne d’une solide complicité : “René sentait quand j’étais perdu et en un coup de pouce, il me donnait la note qui me remettait sur les rails. Et j’en faisais autant pour lui. A Comblain, nous avons joué notamment avant Bill Evans, qui est venu sur scène nous féliciter. Nous n’avions en fait répéter qu’un seul morceau, pour le reste, nous savions que ça viendrait tout seul, d’après l’ambiance du moment. On se connaissait tellement bien. (…) Une autre fois, toujours à Comblain, le public ne voulait pas nous laisser descendre de scène et Memphis Slim attendait pour jouer ! Ce sont de fabuleux souvenirs. René, c’était l’oreille, le feu, la technique, l’idée…” (interview de J. Pelzer, 1986). Témoins de cette période, un fougueux ‘live’ pirate (avec Finet et Littman) sorti sur Giganti del jazz, ou l’enregistrement – inédit à ce jour – du concert donné à Liège par Thomas, Jaspar, Quersin et Thollot, alors en soirée d’hommage à Raoul Faisant en 1965.
Les dernières années
Après 1966 (cette année-là, il est cité dans Down Beat comme “le meilleur guitariste méritant une large reconnaissance”), René Thomas, comme tous les jazzmen, subit plus encore la rigueur de la crise qui frappe le jazz pendant les “années pop”. Malgré l’un ou l’autre temps fort (quelques disques, notamment avec l’organiste allemande Ingried Hoffman, quelques tournées – en Espagne entre autres -, quelques concerts importants avec le pianiste Vince Benedetti), c’est une période plutôt creuse. Il passe des journées à jouer de la guitare devant sa télévision, dans sa petite maison rue des Maraîchers à Liège. Cependant, sous l’impulsion de quelques amis, il refait surface, entouré le plus souvent du quartette de Robert Jeanne. Jean-Marie Hacquier lui procure quelques contrats dans le Nord de la France tandis qu’en Belgique, il recommence à jouer avec Pelzer et qu’en Allemagne, en 1969, il enregistre un album avec Lucky Thompson. L’épisode décisif de ce retour étant, sans aucun doute, son association, en France, avec l’organiste Eddy Louiss, dès 1970. A la batterie, on trouve, selon les moments, des musiciens comme Daniel Humair (cfr “Au Privave” sur l’album Surrounded d’Humair), Kenny Clarke ou Bernard Lubat avec qui le trio accompagne le chanteur Léon Thomas. Ce dernier fréquente, aux États-Unis, aussi bien les milieux du blues que ceux du free-jazz et surtout, se produit dans un club parisien ce fameux soir où Stan Getz, de passage à Paris, est séduit par cette musique puissante et colorée. Séduit à un point tel qu’il décide tout simplement d’engager le trio pour une vaste tournée européenne en 1971. A Chateauvallon, le nouveau “Stan Getz Quartet” fait un malheur et René Thomas, dont le nom était bien oublié du public français, redevient pour un temps l’objet d’éloges souvent dithyrambiques.
Ainsi, à propos de ce concert à Chateauvallon, un journaliste féru de rugby écrira ce commentaire enflammé : “… Soudain, René Thomas, tel Cantoni, aperçoit le ‘trou’ et s’y engouffre. Crocheté Stan Getz, en débandade le quartette, semé en route le ‘New Sound’ : il n’y a plus sur la scène qu’un monstre de l’esquive et du contre-pied qui remonte, guitare au vent, tout le terrain et va marquer, seul, l’essai” (J. R. Masson, Jazz Mag, 196, 1971). Quand à Getz, qui n’avait pas touché son saxophone depuis des mois, il est revigoré par ses nouveaux partenaires et il joue avec une force et un lyrisme rarement atteints. Les vagues telluriques de l’orgue d’Eddy Louiss (dont la musique se démarque fortement de celle des organistes avec lesquels il a joué jusqu’alors) lui fournissent une assise exemplaire et il trouve en René Thomas un interlocuteur idéal avec lequel il rivalise d’invention et en qui il voit bien plus qu’une réplique de son ancien associé Jimmy Raney : “René est une sorte de ministrel de la guitare (…) il est comme un gitan (…). Une de ses premières idoles était Jimmy Raney (…) maintenant, il joue comme René Thomas, le seul et unique” (P. Culle, Jazz Mag, 168, 1975). On possède de ce quartette étonnant un témoignage aujourd’hui promu au rang de ‘classique’, et dont la récente sortie en CD met mieux encore en relief les inépuisables richesses : “Dynasty” a été enregistré au Ronnie Scott’s de Londres, 10 ans après les prestations du quartette Thomas/Jaspar, et le répertoire se révèle particulièrement apte à pousser les quatre musiciens à donner le meilleur d’eux-mêmes.
Parmi les compositions de Thomas (“Theme for Leo”, etc.), on retiendra le superbe “Theme for my dad” signé Getz, mais écrit en réalité en grande partie par lui à la demande du leader dont le père est mort pendant la tournée. L’interprétation qu’en donne le quartette est bouleversante et fait de cette courte pièce un des quelques chefs-d’oeuvre du jazz enregistré. On y trouve également un art dans lequel Thomas excellera tout au long de sa carrière : celui de l’introduction à un thème (“Invitations”). On aurait pu penser que René Thomas allait profiter de ce nouveau tremplin pour s’installer enfin aux premières places. Pourtant, après l’épisode Getz, il se ‘reprovincialise’ presque aussitôt. Il reprendra encore épisodiquement la route pour de ponctuelles tournées en Italie, en Allemagne et même au Mexique.
Chaque année, il rejoint Lou Bennett en Espagne. A Paris, il enregistre avec Louiss et Kenny Clarke un disque qu’on a un peu trop rapidement qualifié de mineur à l’époque. Et il forme avec Christian Escoudé un duo de guitares précurseur des célébrissimes associations à cordes des années à venir. En Belgique, il joue au Festival de Coronmeuse au sein de T.P.L. (c’est désormais le nom qui désigne les groupes Thomas/Pelzer. TPL : Thomas Pelzer Limited) et enregistre sous ce label un dernier album pour la petite firme belge Vogel. Au Festival de Middelheim à Anvers, il rejoint sur la scène son ancien employeur, Sonny Rollins et fait de même avec Getz à Ostende. Mais entre ces points chauds, s’écoulent de longues périodes d’inactivité pendant lesquelles il se réinstalle dans une vie liégeoise qui, à l’époque, ne laisse plus guère de place au jazz. Il se mêle volontiers aux jeunes musiciens – ceux-là même qui assureront bientôt la relance – et assiste, enthousiaste, aux répétitions d’Open Sky Unit, le groupe de jazz-rock monté par Pelzer avec les jeunes Steve Houben et Ron Wilson. Il forme un nouveau trio, mettant à profit la présence à Liège d’un géant de la batterie : Art Taylor ! On a du mal à imaginer, avec le recul, qu’un orchestre dans lequel se trouvaient René Thomas et Art Taylor n’ait pas fait salle comble à chaque concert. En réalité, c’est parfois devant une poignée de spectateurs seulement que se produit le trio. Et du coup, la vie devient difficile pour la famille Thomas (il a deux enfants). Comme beaucoup d’autres jazzmen hélas, René Thomas a fini sa vie dans un état proche de la misère. Usé prématurément – quoique ayant résisté quelque dix ans de plus que son ami Jaspar – il s’éteint lors d’une de ses tournées annuelles en Espagne avec Lou Bennett, en janvier 1975.
Des dizaines de musiciens des quatre horizons du jazz joueront bénévolement pour récolter l’argent nécessaire au rapatriement de son corps. Par la suite, les hommages se répètent, Saxo 1000 sera créé en 1980 en souvenir de Jaspar et Thomas… En 1985, nouvelle soirée en l’honneur de René Thomas, à l’occasion de la parution du livre “Histoire du Jazz à Liège“. De nombreux disques parus depuis 1975 comportent des thèmes écrits à la mémoire de Thomas (“Song for René” par Pelzer, Grailler, etc., “René’s Theme” par John Mc Laughlin et Larry Coryell, “René Thomas” par Philip Catherine, etc.). Les disques de René, par contre, restent rares dans les bacs des disquaires belges. Et au bout du compte, combien de Belges connaissent-ils simplement le nom de ce musicien d’exception qui, lorsqu’on l’interrogeait sur les progressions harmoniques qu’il utilisait, répondait sans sourciller : “Je ne sais pas, moi, je fais des formes géométriques, des carrés, des triangles…”.
Une dernière anecdote donne la mesure du malentendu gigantesque que fut la carrière de René Thomas : pendant les années 60, alors qu’il était déjà reconnu par les plus grands musiciens comme un maître-guitariste, il se rend avec ses enfants à l’aéroport où doit débarquer Sacha Distel, en pleine période “scoubidou”. Quand Sacha apparaît, Thomas se précipite sur lui et, s’excusant presque, lui demande s’il accepterait de lui signer un autographe. Distel racontera plus tard qu’il fut rarement aussi mal à l’aise que cet après-midi-là tandis qu’il signait le disque tendu par celui que lui-même considérait comme un des plus grands guitaristes au monde.
Jean-Pol Schroeder
[INFOS QUALITE] statut : actualisé (1ère publication par wallonica sur agora.qc.ca) | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jo Verthe ; Jazz Around ; Freddie Jazz ; Studio Hugo | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Apparu sur les scènes belges à la même époque que Jaspar ou Thomas et s’intéressant d’emblée à la même musique qu’eux, prêt comme eux à tout quitter pour cette musique, Toots Thielemans aura un parcours tout à fait différent. Tandis que Jaspar et Thomas sont aujourd’hui oubliés, Toots est une des seules vedettes internationales de la sphère du jazz.
Armand (Félicien Marie) MICHA est né à Spa, le 7 novembre 1893 et décédé à Flamierge, le 15 novembre 1976. Fils de Jules Micha (1855-1917) et de Marie Sophie Noël (1862-1919), il entreprend des études d’architecture à l’Académie des Beaux-Arts de Liège, où il aura Emile Dethier pour professeur ; études interrompues par sa mobilisation en 1914. Après la guerre, ses parents étant tous deux décédés, c’est sa sœur aînée, Julia, qui financera ses études grâce au commerce de couture qu’elle tient avec ses trois sœurs (rue Royale, à Spa). Il obtiendra son diplôme d’architecte le 9 octobre 1920, à l’issue d’un “examen spécial pour soldat ayant fait la guerre”. Il fait ensuite l’acquisition d’une maison, avenue Reine Astrid, qu’il transforme pour y installer son atelier d’architecture et, par la suite, également un comptoir immobilier.
Le 3 mai 1935, il épouse Marie-Thérèse Martin (1916-1986), dont il aura une fille, Claudine, l’année suivante. Durant la saison d’été, qui voit beaucoup de personnes se rendre en villégiature à Spa, il organise également des expositions d’artistes-peintres dans ses locaux. Parmi ceux-ci, Julien Demarteau et Jacques Van den Seylberg, avec lesquels il se liera d’amitié. Membre de la Résistance durant la Seconde Guerre, Armand Micha restera toute sa vie à Spa, qui conserve l’essentiel de sa production.
Sa réalisation la plus connue est vraisemblablement la chapelle Sainte-Thérèse-de-Lisieux, route du Tonnelet à Spa, inaugurée en 1928, sur commande du baron Joseph de Crawhez, bourgmestre de Spa. En effet, en novembre 1927, le baron, son épouse et des amis avaient été victimes d’un grave accident de la route. Au terme d’une longue convalescence, après avoir été entre la vie et la mort, la baronne de Crawhez se rétablit. Le baron décide alors de l’édification de cette chapelle votive et en passe commande à Armand Micha qui la réalisera dans un style tout en sobriété où l’on sent néanmoins poindre son goût pour l’Art Déco.
L’agrandissement de l’Hôtel des Bains, par l’ajout d’une aile vers la place Royale et le parc de Sept-Heures, est également l’œuvre d’Armand Micha. Ce bâtiment est devenu, par la suite, “Les Heures Claires” et, aujourd’hui, après transformations, le Radisson Blu Hotel. La coupole, qui traduit également une influence de l’Art Déco, a cependant été conservée et est toujours bien visible. On lui doit également d’autres hôtels comme “La Charmille”, à Tiège (aujourd’hui maison de repos) ou la reconstruction de l’Hôtel International à Malmedy, après la Seconde Guerre. Pour le reste, Armand Micha a essentiellement construit des villas à Spa et dans la région et, notamment, “Le Guilleré” (Boulevard des Guérets, 21), le “Séjour d’Ardenne” (avenue Marie-Thérèse, 43) et la “Maison Grise” (Boulevard Rener, 27).
1993. Au hasard d’un déménagement, resurgit “Les Rues de Liège”, tourné en 1956 et oublié par l’auteur lui-même. Une projection publique, des échos favorables dans la presse et une très large diffusion en vidéocassettes suscitent alors la curiosité et l’enthousiasme d’un public fort nombreux. Trois ans plus tard, L’auteur se laisse convaincre de réaliser un deuxième volet et de porter, sur la ville d’aujourd’hui, un autre regard personnel. L’ensemble des deux films n’est que la vision d’un baladin au travers de deux époques. Les similitudes ou les distorsions entre celles-ci sont livrées à l’appréciation de chacune et de chacun…
“Les Rues de Liège, balade à deux temps“, un film d’auteur réalisé par un cinéaste-citoyen à l’écoute de sa ville, de ses habitants, du monde et de ses rumeurs. Un film où sensibilité et subjectivité se dressent à l’encontre de toutes les dictatures, économiques, psychologiques ou morales…
“Les Rues de Liège, balade à deux temps” à travers une ville, parmi d’autres, à la rencontre d’un passé, d’un présent, à la recherche d’un futur à définir…
Première balade (1956)
Le film est l’œuvre de jeunesse d’un Liégeois d’origine chinoise, amoureux de sa cité, qui, 10 ans plus tard, entrera comme réalisateur à la R.T.B d’alors:
Une histoire. Simple et ordinaire. La chronique d’une cité, de ses habitants et de leurs habitudes, petites ou grandes. L’histoire aussi de ceux qui, dans le passé, firent d’elle un centre international prestigieux, sur les plans économique, politique et culturel. Par le travail de ses ouvriers, les espiègleries de ses gavroches en balade, ou par les ballets incessants exécutés par les tramways de la place Saint Lambert, Liège vit, respire. Menés par Grétry, le grand musicien, ami de Voltaire et de la France, les Liégeois -mais le savent-ils seulement?- évoluent dans la chaleur, affective, spirituelle et matérielle, d’une cité aux mille grandeurs et possibilités…
40 ans plus tard, le fleuve a maintenu son cours, historique et légendaire. La ville s’est offerte un « lifting », parfois heureux, parfois outrageant. Mais de bonnes pierres témoignent encore de son charme séculaire. Pourtant, le citoyen ne flâne plus guère aux coins des rues. Son mode de vie est identique à celui d’autres villes européennes. Auparavant, il produisait, à présent, il consomme, pour autant qu’il le puisse. La « crise » a fait de lui un passager de la vie qui s’empresse de ne pas s’attarder. Bien des questions se posent et restent sans réponses. Demain, dans 40 ans, on fera les comptes…
Source : GEORGESYU.BE, site consacré au cinéaste liégeois Georges YU (1927-2012), où Roger BRONCKAERTS écrit : “Certains seront étonnés du fait que le cinéaste qui a illustré la Cité Ardente dans deux œuvres si profondément enracinées s’appelle YU et soit le fruit d’un arbre généalogique à racines doubles, chinoises de père, wallonnes de mère. C’est pour répondre à cette légitime interrogation et pour habiller les œuvres de la personnalité si caractéristique de leur auteur que nous vous convions à la lecture de cette courte biographie de GEORGES YU. Nous aurions voulu enrichir ce texte d’anecdotes multiples. Mais il nous eût fallu alors la place d’un roman tant le personnage que vous pouvez rencontrer au coin de votre rue, fuyant les mondanités et la solennité, a croisé sans toujours le vouloir les aiguillages de l’Histoire avec comme seule carte d’état-major, un instinct qui lui a toujours si bien servi. En effet, l’auteur des “Rues de Liège” est d’abord un instinctif que le “calcul” rebute. C’est à la découverte d’une vie romanesque que nous vous convions…“
Musicien de jazz belge, Guy Cabay pratique le vibraphone, le chant et le piano. Musicien autodidacte, il s’essaie d’abord à la batterie puis au piano; il rencontre ensuite Raoul Faisant et Maurice Simon et apprend les premiers rudiments de jazz. En 1966, après avoir vu Gary Burton à Comblain, il tombe amoureux du vibraphone, instrument qu’il adoptera deux ans plus tard.
Biographie
Dès avant 1970, Guy Cabay a participé à quelques petits groupes Dixieland ou middle-jazz. En 1973, il termine une licence en musicologie à l’Université de Liège. La même année, il participe aux débuts du groupe Open Sky Unit (Pelzer, Houben…), mais quitte l’orchestre peu de temps après et part pour l’Italie : il prépare un doctorat sur la musique médiévale. En 1975, il forme avec Steve Houben le groupe Merry-Go-Round (répertoire de standards) qui jouera notamment aux Pays-Bas à plusieurs reprises.
Avec Jean-Louis Rassinfosse et Félix Simtaine, il accompagne le chanteur Jean Vallée, notamment en U.R.S.S. Guy Cabay met ensuite le jazz en veilleuse et commence à enseigner dans le secondaire. Il collabore à une émission dialectale à la RTB, se met à écrire, puis à chanter des chansons en wallon sur des rythmes de bossa avec une coloration jazz évidente. Le succès est considérable auprès du grand public. Il enregistre plusieurs albums selon cette formule, invitant chaque fois de grands musiciens de jazz à participer à l’entreprise (Bill Frisell, Toots Thielemans, Steve Houben, Larry Schneider).
Parallèlement, il joue dans l’Act Big Band de Félix Simtaine (dès 1979) en quartette avec Bruno Castellucci (dms), Evert Verhees (b) et Kevin Mulligan (g), en sideman aux côtés de Jacques Pelzer. En 1981, il fonde le groupe Lemon Air (jazz latin avec Herr, Houben, Mulligan, Rousselet…). Fin 1982, début 1983, il joue dans Steve Houben Plus Strings, pour lequel il écrit plusieurs arrangements. Il enseigne au séminaire de jazz du Conservatoire de Liège, monte le groupe Mysterioso avec le pianiste américain Dennis Luxion, enregistre de nouveaux disques, instrumentaux cette fois, dirige un trio avec Benoît Vanderstraeten (b) et André Charlier (dms) et enseigne au Conservatoire de Bruxelles. Il écrit également pour le cinéma, pour la scène et pour la télévision.
En 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, il adapte avec Daniel Droixhe des chants révolutionnaires wallons de cette époque. La même année, il monte un nouveau quintette avec le trombone Phil Abraham, le claviériste Benoît Sourisse, le guitariste Yannick Robert et sa rythmique habituelle (Vanderstraeten / Charlier).
Elu “meilleur vibraphoniste belge” en 1998 et 1999, Guy Cabay, devant l’insistance de ses fans wallons, sort en 1999 un nouvel album de chansons en wallon (“The BièsseTof“), mélangeant nouvelles compositions et réarrangements d’anciennes, et combinant toujours textes en wallon sur des rythmes jazz et brésiliens. En 2000, à l’occasion de la reconstitution éphémère du chœur de la Cathédrale Saint-Lambert à Liège, il publie un album intitulé “De la pierre à la toile, les misères de la Cathédrale, en quatre tableaux et deux rawètes”.
En 2005 sort l’album “On the jazz side of my street” pour lequel il est entouré, entre autres, de Jacques Pirotton, Benoît Vanderstraeten, Bruno Castellucci, Steve Houben, mais aussi le quatuor à cordes Héliotrope. En 2013, Guy Cabay crée un spectacle piano-voix qu’il présente dans son village natal de Polleur (“Carrousel Village, djazzeries et brésileries autour de mon clocher“). L’année suivante (2014), il sort l’album Wah-Wah Samba, toujours fidèle à son double ancrage wallon et brésilien. En novembre, il se produit au Festival de Stavelot Jazz avec le Spa-Sao Paulo quartet qui inclut son fils, Arnaud. En 2015, il compose des musiques additionnelles pour le film Problemski Hotel de Manu Riche (sorti en DVD en 2016).
Discographie non exhaustive
1980 : Christine Schaller, Real Life (ML Car80062)
1997 : Guy Cabay, Guy Cabay & Li Grand Cayon (CD Amon Laca 97004)
1999 : Guy Cabay, The Bièsse Tof (CD Amon Laca Alac22)
2005 : Guy Cabay Quartet, On the Jazz Side of my Street (CD IGL 181)
2006 : Guy Cabay Quartet et al., Artists from Wallonia and Brussels : That’s all Jazz ! (CD WBM 156)
2007 : Chrystel Wautier Trio : Between Us (CD EG031)
2014 : Guy Cabay, Wah-Wah Samba
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Igloo Records | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Des problèmes d’identification se posent parfois en raison des multiples pseudonymes (Perkeo, Un bourgeois de Bruxelles, Le dragon vert,…) utilisés par cet homme de lettres fécond mais, surtout, en raison des différents prénoms qui lui sont attribués : Oscar Charles, Charles Oscar, Charles, Joseph Charles et Charles Marie. De recherches effectuées au Service de la Population de la Ville de Bruxelles, il apparaît que Charles Marie est en fait le prénom de son fils aîné (1852-1921), lequel, pour ne rien simplifier, écrivit également sous le pseudonyme de Flor O’Squarr.
Joseph Charles est cependant bien son prénom officiel, puisque c’est celui qui apparaît tant sur son acte de naissance que sur son acte de décès. On peut donc penser qu’Oscar aurait été un surnom, qui lui aurait été attribué ou qu’il se serait choisi, et qu’il aurait transformé en O’Squarr.
De Bruxelles à Spa, en passant par Paris
Quoi qu’il en soit, Joseph Charles Flor, dit Flor O’Squarr, est né à Bruxelles le 22 mars 1830, fils de Charles Flor, perruquier, et de Joséphine Pourbaix. Il abandonne ses études de médecine à l’Université de Bruxelles pour débuter, à dix-neuf ans, une carrière de journaliste. Au recensement de 1856, il apparaît comme étant marié à Rosalie Lemaire, avec laquelle il a deux fils : Charles Marie, né en 1852, et Auguste, né en 1854.
Flor O’Squarr a, semble-t-il, toujours habité Bruxelles (rue Longs Chariots, Galerie du Roi, rue des Bouchers). Il a cependant dû vivre un temps à Paris, puisqu’il est entré au Figaro en 1868 et qu’il a été engagé volontaire durant la guerre de 1870. A l’issue de celle-ci, il revient néanmoins à Bruxelles, décoré de la médaille militaire. De même, s’il a séjourné à Spa, c’était sans doute comme beaucoup de ses contemporains, en villégiature. Il ne s’y est en tout cas jamais fait domicilier, son nom n’apparaissant pas dans les registres de la Population. C’est cependant à Spa qu’il est mort, le 21 août 1890, d’une rupture d’anévrisme, et qu’il est enterré.
Flor O’Squarr a beaucoup voyagé. Outre Paris et la France, il est l’auteur d’un Voyage en Suisse (1868), en collaboration avec Louis Ghémar et Nadar. Il s’est également rendu en Espagne, en 1873, pour le journal L’Etoile. Il est l’auteur de nombreux récits et essais ayant trait à la Baltique et la Scandinavie, et le traducteur de plusieurs œuvres de la romancière suédoise Emilie Carlen, ce qui donne à penser qu’il a également visité ces régions. Sa mère a, par ailleurs, quitté Bruxelles pour Saint-Pétersbourg, en 1853. Flor O’Squarr aurait également séjourné à Rio de Janeiro en 1851.
Fils de 1830
Travailleur infatigable, bourru, sarcastique, parfois polémique, Flor O’Squarr a collaboré à une vingtaine de journaux (L’Observateur belge, La Chronique, Le Journal des dames et des Demoiselles, Le Figaro,…). Ses sujets de prédilection étaient l’art, la littérature et la politique. Il lui est arrivé quelquefois d’écrire entièrement un journal, de la première à la dernière ligne. A côté de cela, il fut le traducteur, outre Emilie Carlen, d’une quarantaine de romans anglais (Mayne-Reid, Swift, Dickens,…) et l’auteur de très nombreuses comédies et revues (Bruxelles sens dessus dessous, Recette contre les belles-mères, L’Hôtel des Illusions, Les maîtres zwanzeurs du Treurenberg,…). Dans Ouye ! Ouye !! Ouye !!!, Flor O’Squarr crée le personnage de Van Koppernolle, garde civique de Poperinghe, dont Eugène De Seyn dit qu’il fut “le type du citoyen belge (…) populaire, même en France”. Essais, pamphlets, romans, poésies, paroles de chansons figurent également au répertoire des œuvres de Flor O’Squarr.
Ses revues, simples, directes, railleuses, connurent un succès prolongé et certains événements qu’elles rapportent et moquent demeurent d’une brûlante actualité. Ainsi, dans Quel plaisir d’être Bruxellois !, ces Wallons s’estimant opprimés et se plaignant que “Il y a trop longtemps qu’on sacrifie tout aux Flamands”. Né avec la Belgique, Flor O’Squarr paraît comme elle animé par un farouche esprit d’indépendance et un souci de justice. Il aurait sans doute fait siennes ces paroles, tout aussi actuelles, qu’il prête à un de ses personnages : “Fils de 1830, où sont vos libertés ? “
Bruxelles sens dessus dessous (1862) – Bibliothèque royale Albert Ier, Bruxelles (BR)
Ouye ! Ouye !! Ouye !!! (1864) – BR
Les Bêtes malades (1866) – BR
Quel plaisir d’être Bruxellois ! (1874) – Bibliothèque Générale de l’Université de Liège
Bibliographie
DE SEYN E., Dictionnaire biographique des Sciences, des Lettres et des Arts en Belgique – tome I, Bruxelles, 1935.
FABER F., Histoire du Théâtre Français en Belgique depuis son origine jusqu’à nos jours d’après des documents inédits reposant aux Archives Générales du Royaume – tome V, Bruxelles, 1880.
VIENNE P., Flor O’Squarr et Spa, in Histoire et Archéologie spadoises, n° 56, décembre 1988, p. 157-165.
“L’oeuvre d’Elise VLAMINCK s’articule autour de la figure du regardeur. Ce concept qui traverse toutes ses peintures, entre voyeurisme, appréhension du regard de l’Autre et latence du spectateur, renvoie à ce dernier, à l’instar du miroir, à la place et à l’image qu’il occupe lorsqu’il regarde une oeuvre d’art.
Les questions d’esthétique de l’oeuvre, ses plans, sa composition voire même sa technique sont interrogés, déconstruits et remodelés.
L’histoire de l’art, citée voire manipulée dans certaines de ses toiles, occupe une place déterminante dans le travail d’Elise Vlaminck. Elle cherche à faire revivre ces œuvres du passé dans l’œil d’un nouveau regardeur, qui devient ainsi un acteur à part entière de la composition. Projeté dans l’image picturale, il devient le miroir de sa propre figure et suscite un sentiment de malaise, l’impression ambiguë voire malsaine d’être tour à tour vu ou voyeur […]”
Extrait du catalogue de l’exposition Fiction | Friction à 壯陽藥 La Vallée (Molenbeek, juin 2019)
Idel IANCHELEVICI est né le 5 mai 1909, à Leova, aujourd’hui située en Moldavie. Leova, ville-frontière, connaîtra un destin bousculé : faisant partie de ce que l’on appelle la Bessarabie, elle est russe au moment de la naissance de Ianchelevici, roumaine après la première guerre mondiale, intégrée à l’URSS à partir de 1945 jusqu’à l’indépendance de la Moldavie en 1991. Avant la Seconde Guerre mondiale, environ un tiers de la population de Leova est juive. C’est le cas de Ianchelevici qui naît dans une famille juive askhénaze de huit enfants, dont il est le cadet. Enfant, il dessine et modèle la terre glaise, des passions qui ne l’abandonneront jamais.
En 1923, à 14 ans, il entre au lycée de Chisinau (actuelle capitale de la Moldavie). Même s’il envisage de devenir médecin, peut-être par admiration pour un de ses professeurs d’anatomie, le dessin et la sculpture continuent d’occuper ses temps libres. Mendel, l’aîné de la fratrie aide, par son commerce d’alimentation, le père à subvenir aux besoins de tous et paie les études de son frère. C’est Mendel également qui conseille à “Ian” de se rendre en Belgique, où il a des connaissances qui pourraient l’aider. C’est ainsi que Ianchelevici arrive à Liège, en 1928. Il travaille comme apprenti graveur chez Pieper, une firme qui décore et vend des fusils de chasse de la FN. Ce premier séjour à Liège est bref, car il retourne effectuer son service militaire en Roumanie.
C’est en 1931 qu’il s’installe véritablement à Liège. Pour vivre, il travaille comme emballeur au Grand Bazar. Sur le conseil et la recommandation du peintre Joseph Bonvoisin, après avoir passé un examen, il entre directement en dernière année à l’Académie des Beaux-Arts. Il a pour professeur Oscar Berchmans, à qui on doit notamment le fronton de l’Opéra Royal de Wallonie (ORW), les sculptures de la remarquable Maison Piot (dite Maison des Francs-Maçons) et également, par coïncidence, la décoration de la façade de la Maison Pieper, le marchand d’armes pour lequel Ianchelevici a travaillé. Ianchelevici sort diplômé de l’Académie en 1933 et récompensé du premier prix de statuaire.
A la fin de la même année, il épouse Elisabeth Betty Frenay, née d’un père belge et d’une mère française, vivant à Spa où ses parents géraient un hôtel. Il l’avait rencontrée à l’Académie où elle étudiait également la sculpture. Comme souvent, trop souvent sans doute, elle renoncera à une carrière pour contribuer à celle de son mari. « Un artiste dans la maison, ça suffit », livrait-elle en guise d’explication. Un an plus tard, en 1934, ils s’installent à Bruxelles. Il y expose, en 1935, trente-sept sculptures au Palais des Beaux-Arts et réalise quatre grands bas-reliefs pour le pavillon roumain à l’Exposition internationale de Bruxelles.
C’est le début d’une brillante carrière, carrière durant laquelle Ianchelevici se partagera toujours entre la sculpture et le dessin. Il réalise, en effet, un très grand nombre de dessins, indépendants de ses sculptures – ce ne sont, pour la plupart, pas des dessins préparatoires. Il fera don de 2000 dessins au Musée Ianchelevici de La Louvière (MiLL) et 6000 à l’Université de Liège, ce qui donne une idée de l’ampleur de son œuvre.
A l’issue de la guerre, durant laquelle il sera contraint de se cacher, Ianchelevici obtient la nationalité belge en 1945. Il s’attelle alors à son œuvre la plus monumentale, Le Résistant, qui sera finalement installée à Breendonk en 1954. La même année, Ianchelevici quitte définitivement la Belgique pour s’installer en France, à Maisons-Laffitte où il mourra en 1994, à l’âge de 85 ans.
Même si, au total, il n’aura passé que cinq années à Liège, il reste attaché à la ville qui l’a vu débuter et qui conserve encore plusieurs de ses sculptures. Le don qu’il fait à l’Université en témoigne par ailleurs.
Robert Vivier, né à Chênée en 1894 et mort à La Celle-Saint-Cloud (région parisienne) en 1989, est un poète et romancier belge. Son œuvre romanesque a intégralement été écrite avant 1940. Son œuvre poétique, en revanche s’étale sur toute la durée de sa vie. Vivier est également un spécialiste de la littérature italienne, qu’il enseigne à l’Université de Liège.
Son épouse, Zenia (Zénitta) Klupta n’est autre que la mère d’Haroun Tazieff, né d’un premier mariage, que Vivier adoptera. Dès 1934, Vivier se lie d’amitié avec Ianchelevici qui réalise son buste. C’est lui, et surtout son épouse, qui inciteront Ianchelevici, peu conscient du danger, à se cacher à partir de 1942. Il utilisera même de faux papiers au nom d’Adolphe Janssens, Adolphe étant le prénom par lequel il se faisait appeler étant jeune, le trouvant plus chic que le sien, jusqu’à ce qu’il devienne tristement célèbre. Ses proches l’appelleront d’ailleurs plus souvent Ian que Idel.
On sent dans ce bronze, comme souvent dans les premières œuvres de Ianchelevici, l’influence de Rodin (le buste de Clémenceau, par exemple). Roger Avermaete, un des biographes de Ianchelevici, parle du portrait d’un “doux rêveur“. Cela me semble fort réducteur, voire péjoratif. Mais Ianchelevici rend certes bien l’intériorité quelque peu nostalgique du poète qu’était Vivier.
A partir de 1935, Ianchelevici va se consacrer à la réalisation de sculptures monumentales qui correspondent à sa vision, sans se préoccuper d’éventuelles commandes, sans même savoir si elles seront un jour érigées quelque part. “Un monument doit être grand, dépasser l’humain car il est l’idéal de l’humain”, dira-t-il dans sa Profession de foi. On peut en effet penser que si l’idéal de l’homme est plus grand que l’homme lui-même, c’est également l’idéal qui grandit l’homme. Ianchelevici lance ainsi plusieurs projets qui aboutiront, entre autres, à L’Appel, qui sera placé à La Louvière en 1945 et au Plongeur.
C’est, en effet, pendant qu’il travaille à L’Appel qu’il reçoit une commande pour l’Exposition de l’Eau à Liège, en 1939. Ce sera l’occasion de faire aboutir un projet, déjà jeté sur papier, intégrant sculpture et architecture. La figure, déjà haute de deux mètres cinquante, est fixée au sommet d’un arc de quinze mètres, figurant le tremplin. L’ensemble, tant la sculpture que l’arc, qui s’élevait au-dessus de la piscine olympique, a été conçu par Ianchelevici. Celui-ci sera toutefois déçu du résultat final parce qu’une couche de peinture noire a été appliquée sur le personnage, rompant ainsi l’unité plastique de l’ensemble. Pour lui, et à juste titre me semble-t-il, “Un monument n’est pas une juxtaposition de plusieurs éléments, mais un seul élément“.
Le début de la guerre interrompt l’Exposition de l’Eau. L’œuvre, comme les bâtiments, n’a pas été conçue pour le long terme. L’arc est démoli, la Ville, qui s’est portée acquéreuse du Plongeur, en fait réaliser un moulage en ciment, moins fragile que l’original en terre et plâtre. Après la guerre, un projet de réinstallation de l’œuvre au bout du parc de la Boverie, près de l’Union nautique, est évoqué mais n’aboutira pas, faute de moyens vraisemblablement. Le Plongeur reste entreposé dans les réserves du Musée des Beaux-Arts (aujourd’hui La Boverie) où il tombe progressivement dans l’oubli en même temps qu’il se dégrade. A telle enseigne que, au début des années 90, quand je me suis mis en quête de cette œuvre, le musée était en piteux état et fermé au public et le Plongeur demeurait introuvable.
Heureusement, d’autres chercheurs s’y sont intéressés, l’oeuvre a finalement été retrouvée, en mauvais état, mais la décision a été prise, en 1998, de réinstaller le Plongeur, au port des yachts cette fois. La sculpture actuelle est donc une réplique, en polyester creux sur une armature métallique, réalisée par le sculpteur Victor Paquot. L’arc, comme l’ensemble de l’installation, a été conçu par l’Atelier d’Architecture Cocina. La ‘re-création’ a été inaugurée en 2000 et, dans un souci de fidélité à l’original sans doute, le Plongeur conserve (hélas ?) la couleur noire qui chagrinait tant Ianchelevici. Il est donc assez ironique de penser que son œuvre la plus emblématique pour la plupart des Liégeois, est justement une de celles dont il était le moins satisfait, et une reconstitution qui plus est.
C’est à partir de 1945 que Ianchelevici se met vraiment à sculpter le marbre (marbre rosé du Portugal ici, en taille directe). Ses premières œuvres jouent sur le contraste entre la rugosité du bloc d’où se détache une figure lisse, souple. La chevelure ondoyante, figurant l’eau de la source, noyant mains et pieds, est encore assez brute. Par opposition, le corps gracile n’en paraît que plus lisse et doux.
Au milieu des années 1950, l’Etat belge fait ériger à Léopoldville (Kinshasa) un monument en hommage à l’explorateur britannique Stanley. Le monument présente la statue de Stanley sur un soubassement, ainsi qu’une esplanade entourée d’un mur en arc de cercle comportant sept niches. L’Etat belge souhaitait que soient représentées en bas-relief les sept provinces de leur colonie. Mais, pressenti pour ce travail et invité sur place, Ianchelevici n’adhère pas à l’idée. Il estime que ce long mur coupe la perspective vers le fleuve et obtient la modification du projet. Les sept niches sont percées et trois d’entre elles seront ornées de bronzes réalisées par Ianchelevici. Trois grandes figures d’Africains représentant les piliers fondamentaux de l’économie traditionnelle vont remplacer les sept provinces : le pâtre, le chasseur et le pêcheur.
Bien que le sujet soit athlétique, sa musculature n’est pas noueuse comme celle du Plongeur. A partir de la fin des années 40, la sculpture de Ianchelevici commence à se rapprocher de ses dessins, dans une vision plus longiligne, épurée. L’attitude du personnage est à la fois élégante, puissante et hiératique. Il ne s’agit pas d’une représentation coloniale d’un “bon sauvage” mais bien d’un homme africain, reconnu dans sa culture et sa dignité. Les Congolais ne l’ont pas perçu autrement, eux qui ont maintenu en place ces trois statues quand celles de Stanley et d’autres symboles du colonialisme ont disparu. Le bronze du Sart-Tilman est une reproduction à plus petite échelle de l’œuvre originale.
Placée dans le hall d’entrée, l’œuvre est symbolique : le Palais des Congrès(construit entre 1956 et 1958 par le groupe L’Equerre, avec lequel Ianchelevici avait participé à une exposition collective lors de ses débuts liégeois, en 1933) est un lieu de rencontre, d’échanges. Le bas-relief incarne cet idéal de fraternité.
On retrouve ici plus encore la ligne souple et épurée du dessin de Ianchelevici. Les chevaux sont admirables de grâce, de finesse. On note un allongement des formes, à la manière des peintres maniéristes, qui contribue au sentiment d’élégance des personnages. Personnages qui sont tous similaires, symbolisant cet idéal d’égalité, de fraternité et d’universalité. Un cavalier et un homme à terre font le même geste, bras ouverts, paumes vers le ciel dans un geste universel d’accueil. Un autre personnage donne l’accolade à deux autres qui se serrent la main. L’importance des jeux de mains, caractéristique de Ianchelevici, transparaît bien ici.
A l’extrême droite, dans l’espace libre, Ianchelevici introduit, en plus faible relief, la silhouette d’un homme sans visage : celui qui n’est pas encore là, l’homme à venir, l’homme de l’avenir… On avait suggéré à Ianchelevici d’y glisser un autoportrait, il a modestement et symboliquement préféré cette solution.
L’œuvre est actuellement à peine visible et seulement partiellement, masquée par des étagères qui menacent malheureusement sa conservation.
Robert Vivier compare ces jeunes filles à “un Puvis (de Chavannes) bien plus vivant, un Gauguin cubiste“. Ce n’est pas pour rien qu’il va chercher ses comparaisons dans la peinture : cette œuvre est, en définitive, plus proche du dessin, de la gravure que de la sculpture. On retrouve ici, dans la finesse du trait, quelque chose du Ianchelevici qui fut graveur sur arme. Cela s’explique aussi par la nature du support, l’ardoise est plus fragile et ne permet pas un trait très profond. Grâce et élégance caractérisent cette oeuvre. Par ailleurs, il me semble que la figure, à gauche, s’inspire d’une sculpture de Kurt Lehmann (Allemagne, 1905-2000). En effet, Femme se retournant a été acquise par le Middelheim en 1957, année durant laquelle le musée a également acquis une sculpture de Ianchelevici. On retrouve la même attitude, même si la femme de Lehmann lève les deux bras. On observe également le même jeu d’ombre sous l’aisselle.
La sculpture doit son titre à l’échevin Jean Lejeune, elle symbolise la fusion des eaux de l’Ourthe et de la Meuse aux portes de Liège. Ce sont deux femmes à la longue chevelure qui représentent, de manière allégorique, les deux cours d’eau.
L’œuvre présente donc deux faces rigoureusement identiques. Comme dans Le Baiser de Brancusi, dont on sent ici l’influence, les figures s’inscrivent dans un parallélépipède. Les corps sont séparés par cette immense chevelure ondoyante, symbolisant le flux de l’eau. L’attitude des jeunes femmes et à rapprocher de celle de la “jeune fille d’Hazinelle“, inspirée de Lehmann, qui vient d’être évoquée. Les lignes sont pures, les personnages gracieux, mais leurs visages expriment la détermination comme il en va de ces cours d’eau volontaires.
Je veux arriver à la plus pure simplicité d’expression, c’est-à-dire avec l’attitude la plus calme, atteindre le maximum d’expression.
Le style est proche de celui de La Rencontre, pourtant antérieure de près de quinze ans, ce qui prouve bien la volonté de Ianchelevici de persévérer dans la voie énoncée dans cette citation. L’œuvre se caractérise par le dépouillement et la stylisation. On note à la fois des gestes d’espérance (mains tendues, regard vers le ciel) et de fraternité (main sur l’épaule). Un groupe d’enfants est situé à l’extrême droite, direction du cimetière des enfants. Tous les visages sont similaires, rappelant que tous les hommes sont égaux devant la mort.
Les chevelures se déroulant en cascade et se confondant avec la matière sont un sujet récurrent chez Ianchelevici. On l’a vu avec La Source et Confluence, c’est encore le cas ici. Durant les années 70, la sculpture de Ianchelevici évolue notablement vers un plus grand dépouillement, une stylisation résultant de lignes épurées, se rapprochant de sa production graphique. L’influence de la sculpture antique est également nettement perceptible.
Il ne faut pas oublier non plus que Ianchelevici travaille essentiellement en taille directe et que, par conséquent, la forme initiale du bloc influence davantage la composition. C’est assez perceptible dans cette pièce également. L’œuvre est, comme souvent, empreinte de grâce et d’une pudeur sensuelle. Sa finesse et son aspect longiligne la rendent hélas vulnérable, l’œuvre a été cassée à plusieurs reprises et est actuellement en attente d’une restauration.
Nous avons ainsi parcouru l’ensemble des sculptures qui, pour la plupart, sont visibles à tout moment par les Liégeois. Elles offrent un panorama assez complet, par leur variété et leur chronologie (de 1934 à 1976), de l’œuvre de Ianchelevici. La conclusion, je souhaite la laisser à Ianchelevici lui-même :
Peu importe le style, la forme abstraite, figurative ou non (…), le principal est que la réalisation atteigne son but : communiquer le sentiment humain à l’humain (…)
Je pense que l’on peut dire que cet objectif est atteint.
Bibliographie
AVERMAETE R., Ianchelevici (Bruxelles : Arcade, 1976)
BALTEAU B., NORIN L., VELDHUIJZEN H., Ianchelevici ou la matière transfigurée (Tournai : La Renaissance du Livre, 2003)
CASSOU J., Sculptures de Ianchelevici (Bruxelles : André de Rache, 1955)
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en juin 2019 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne…
Temps de lecture : < 1minute > STEICHEN Edward, Pastoral Moonlight (1907)
C’est la nuit, c’est le marbre,
L’homme gît près de son arbre,
Un sang poisseux voile ses yeux.
Du passage de la Géante,
Lui reste une plaie béante.
La main du cœur
Est arrachée…
Le terril Piron (ou “du Piron”) est situé entre Liège et Saint-Nicolas, juste à l’ouest de la colline de Cointe (code plus de géolocalisation : JGFW+25 Saint-Nicolas). On y accède par la rue des Grands Champs ou la rue Bordelais. Il appartient à la société anonyme des Charbonnages de Gosson-Kessales. A partir des années 1880, il a reçu les déversements du charbonnage de La Haye qui se trouvait sur les hauteurs de Saint-Gilles et dont l’exploitation s’achèvera en 1930. Certains bâtiments du site Piron subsistent rue de la Justice à Saint-Nicolas et ont été réaffectés.
Le terril couvre une superficie d’environ 7 ha. Il se compose d’un plateau herbeux et de versants abrupts. L’altitude maximale est approximativement de 160 m, soit environ 100 m au dessus du niveau de la Meuse. Par rapport aux abords immédiats, le dénivelé moyen est de 67 m. La déclivité du site offre, vers le sud, une vue panoramique sur le paysage industriel le long de la Meuse et les versants opposés dans la commune de Seraing. A proximité du stade du Standard de Liège, à Sclessin, on aperçoit le terril Perron-Ouest, partiellement arasé.
Le plateau du terril Piron était jadis occupé par deux terrains de football, aujourd’hui disparus. Depuis 2016, ce site est occupé chaque année au mois de juillet par le Supervue Festival. Il s’agit d’un festival alternatif à dimension humaine, proposant des découvertes artistiques en tous genres. Par ailleurs, la scène finale de Eldorado de Bouli Lanners a été tournée au pied du terril.
Le terril Piron est également un des terrils les plus intéressants de la région liégeoise en raison de l’étendue des pelouses sèches et de la présence d’une faune et d’une flore remarquables, incluant diverses espèces rares. Le lieu est notamment recherché par une grande variété de papillons. Aujourd’hui, le site est malheureusement régulièrement menacé dans son intégrité par des projets immobiliers.
Lecteur gourmand, Arnaud NIHOUL a renoué, la trentaine passée, avec le plaisir d’imaginer des histoires pour les faire partager, magie découverte dans son adolescence. Architecte de profession, il consacre son temps libre à l’écriture. Après quelque quinze nouvelles, dont plusieurs primées, et dix romans conservés dans ses tiroirs, il a enfin sauté le pas de la publication pour le plus grand plaisir de ses lecteurs. Avec Caitlin, ce passionné des mots nous donne à découvrir toute la palette de son talent. De la campagne namuroise, Arnaud Nihoul ne cesse de regarder vers les îles bretonnes et écossaises, où il se retire souvent pour imaginer ses prochains romans.
Dans le petit port de l’île de Laggan à l’ouest de l’Écosse, débarque une jeune fille seule, la valise à la main. Trois adolescents, Ian, Morgan et Murray s’approchent pour l’aider, intrigués et fascinés à la fois. Caitlin est entrée dans leur vie. Vingt-trois ans plus tard, Ian revient sur l’île à la demande de Morgan pour enquêter sur la disparition de la jeune femme. Entre un château relevé de ses ruines et un phare isolé, Ian va arpenter l’île à la recherche de son amour de jeunesse et affronter la faille qui la coupe en deux, comme celle qui s’est creusée dans l’amitié entre les trois hommes. Il devra composer avec Mairead, l’énigmatique assistante de Morgan, et Iona, l’enfant solitaire et rebelle. Chacune détient une parcelle de vérité, mais quelle est-elle ?
Ce premier roman d’Arnaud Nihoul traduit son amour de l’Ecosse et de la nature sauvage mais aussi, assurément, de l’espèce humaine. Ses personnages sont crédibles et attachants parce que brossés avec tendresse, humains dans leurs faiblesses. Cette empathie accroît l’intérêt du lecteur pour le déroulement de l’intrigue. A cela s’ajoute une écriture fluide, belle sans affectation, faisant de ce roman un véritable page turner pouvant séduire un large public. Ce premier essai est un essai transformé et on attend avec impatience le prochain opus d’Arnaud Nihoul.
Je repris ma marche sans me presser, cherchant à apprivoiser mon passé pour le relier à ma vie présente. Au détour de la route, je tombai sur une scène familière : un troupeau de moutons dispersés autour du chemin. J’avais trouvé un moyen de rétablir le contact.
Lentement, je m’approchai des premières bêtes. J’arrachai une poignée d’herbes tendres, mis un genou au sol et tendis le bras vers le mouton le plus proche. Hésitant, il s’avança vers moi, jusqu’à mordre dans la touffe que je lui présentais. Je glissai doucement mes doigts dans sa toison. Il se cabra sans reculer, semblant prendre plaisir à la caresse.
Lorsqu’il eut fini de manger, il ne s’écarta pas et je plongeai mes deux mains dans la laine humide de son dos, jusqu’à ce qu’il décide de rejoindre les autres. J’approchai alors les doigts de mon visage et respirai avec délice l’odeur animale qui les imprégnait […].
À côté de son métier d’architecte, Arnaud Nihoul consacre son temps libre à l’écriture. Régulièrement, il quitte sa campagne namuroise et gagne une retraite dans les îles bretonnes ou écossaises pour imaginer ses prochains romans. Après une quinzaine de nouvelles dont plusieurs primées et dix romans conservés dans ses tiroirs, Arnaud Nihoul a enfin osé sauter le pas de la publication pour notre plus grand bonheur. Avec Caitlin, ce passionné des mots nous donne à découvrir toute la palette de son talent [lire la suite…]
En exclusivité mondiale, nous avons rencontré l’éditeur du célèbre blogue encyclopédique wallonica.org, en l’absence de son complice en édition, Philippe Vienne. Patrick Thonart a néanmoins préféré rester anonyme, afin de ne pas subir le harcèlement des lobbies de l’industrie du tabac et du sucre. Notre envoyé spécial à Liège (BE) a sélectionné pour vous quelques moments forts, extraits des bandes enregistrées lors des trois entrevues qui ont eu lieu dans les locaux de l’encyclopédie en ligne, d’abord rue des Wallons (ça ne s’invente pas) puis au Pèrî, sur les hauteurs de Liège.
Tout d’abord, pourquoi avez-vous décidé d’enfin sortir de votre réserve et accepté de nous parler sans voile de l’encyclopédie wallonica.org ? Que s’est-il passé ?
C’est la lecture de l’autobiographie ‘fictive’ de Salman Rushdie (Joseph Anton : une autobiographie, 2012) qui m’a affranchi de mes derniers scrupules. Voilà une icone de la liberté de pensée pour laquelle on descendait facilement dans la rue ; pas pour son œuvre (dont je ne suis pas le plus grand fan) mais parce qu’il a perdu dans un concours de circonstances et qu’il s’est retrouvé condamné à mort internationalement par un chef ‘spirituel’ local dont, soi-disant, il n’aurait pas respecté le dogme religieux dans un de ses romans. Plein de gens meurent ensuite ou sont agressés, Rushdie vit caché pendant que les atermoiements des différents responsables politiques disent toute l’estime dans laquelle est tenue la liberté d’expression : bref, du lourd et de l’exaltant. Et puis, des années plus tard, Rushdie décide d’écrire cette autobiographie et on découvre un auteur assez pédant, un réseauteur fort mondain et des monceaux de banalités : “Le jour de Noël, Elizabeth et lui purent inviter Graham Swift et Candice Rodd à passer la journée avec eux. Le lendemain, Nigella Lawson et John Diamond, Bill et Alicja Buford vinrent dîner. Elizabeth qui aimait beaucoup la fête de Noël et tout son rituel, au point qu’il s’était mis affectueusement à la qualifier de “fondamentaliste de Noël”, était très heureuse de pouvoir “faire Noël” pour les autres…“. On pense aux vers de T.S. Eliot dans The Love Song of J. Alfred Prufrock (1917) :
In the room the women come and go
Talking of Michelangelo.
Par contre, quelques pages plus loin : “Il s’efforça de se rappeler ce qu’était le métier d’écrivain, s’obligea à redécouvrir les habitudes de toute une vie. L’introspection, l’attente, la confiance accordée à l’histoire. La découverte lente ou rapides des contorsions par lesquelles on glissait dans l’organisme d’un monde imaginaire, comment on y pénétrait, on y cheminait, avant de parvenir à le quitter. Et la magie de la concentration qui donnait l’impression de tomber dans un puits profond ou dans une faille temporelle. Tomber dans la page, guettant l’extase qui se produisait trop rarement. Et le dur travail d’autocritique, le regard sévère posé sur les phrases, utilisant ce qu’Hemingway avait appelé son détecteur de merde. La frustration de se cogner contre les limites du talent et de la compréhension.“
Alors, si une pointure de cette taille peut ainsi faire du yo-yo entre clairvoyance artistique et banalité sans nom, la voie est libre pour des monsieurs-tout-le-monde comme nous, qui veulent bosser honnêtement sans jouer les divas. Ceci explique cela…
N’est-ce pas justement une des clefs de votre travail : mélanger les petits et les grands ?
Oui, précisément, nous avons pensé que la meilleure manière de valoriser les contenus wallons et bruxellois, c’était de les mélanger à des contenus qui ne sont ni wallons, ni bruxellois. Qui plus est, nous veillons à sauver des textes d’auteurs méconnus et à les mélanger avec des extraits d’œuvres culturellement ou humainement importantes, dont la réputation est nationale ou internationale. Même chose pour la Revue de presse : s’il avait fallu se limiter à la presse belge francophone, on n’allait pas très loin ; alors on ratisse large et les articles de presse ou de blogs que nous sélectionnons ne sont pas marqués par leur origine, seule la qualité compte.
Nous avons la chance que les ordinateurs ne sont pas encore trop malins : l’index alphabétique des sculpteurs ne connait ni pays d’origine, ni indicateur de réputation, ce qui permettra à un plasticien issu du fin fond de nos Ardennes de figurer dans la liste entre HEPWORTH Barbara et MOORE Henry pour peu que son nom commence par I-J-K ou L !
Et ceci ne concerne que l’organisation de nos articles au sein de wallonica.org, c’est sans compter avec tout le réseau d’hyperliens qui relie chacun d’eux à d’autres sites de qualité, externes à wallonica.org, qu’ils soient belges francophones ou édités au départ d’un autre pays de la Francophonie.
Nous pensons qu’appliquer la logique de réseauà l’intérieur de wallonica.org et d’insérer notre “archipel de contenus” au sein du grand réseau de la Toile, en utilisant les meilleurs dispositifs techniques et promotionnels, c’est la bonne manière d’assurer la visibilité à nos savoirs wallons et bruxellois. C’est le coup du microcosme, reflet du macrocosme qui a déjà fait ses preuves…
Informations prises, vous n’en êtes pas à votre coup d’essai dans le domaines des encyclopédies en ligne. Racontez-nous…
J’ai d’abord rencontré le philosophe Jacques Dufresne au Canada, en 2000, et on a travaillé ensemble pendant plus de dix ans : après un après-midi dans les érablières, je me suis retrouvé avec l’exclusivité de l’édition de son agora.qc.ca pour l’Europe et l’Afrique. A l’époque, il était assez populaire au Québec et dans les petits papiers du Premier Ministre Landry. Lui et son équipe avaient lancé la première encyclopédie en ligne du genre, en Lotus Notes (un “collecticiel” aujourd’hui désuet), parallèlement à un magazine de qualité. C’était une encyclopédie francophone gratuite et sans publicité, qui grandissait au fil des rencontres de l’équipe avec tel spécialiste de ceci ou tel expert de cela : une croissance organique donc, à l’inverse des encyclopédies payantes traditionnelles qui établissent leur “arbre des connaissances” avant toute chose, puis contactent un réseau d’experts pour la rédaction, puis publient, puis font payer les utilisateurs et gagnent aussi sur la pub. Diderot avait travaillé comme ça (lui, par souscription), la pub en moins.
Vers le réel par le virtuel : l’expérience en ligne doit à tout moment ramener à l’expérience réelle et ne pas exalter l’aliénation virtuelle ;
Accueillir toutes les opinions, les loger au niveau qui convient et les composer verticalement (Simone Weil) : on peut tout publier, le tout est d’encadrer le contenu d’un dispositif critique (par exemple : ne pas publier Mein Kampf en un PDF téléchargeable unique -à moins de vouloir cartonner dans la fachosphère- mais le publier en extraits commentés, en aval d’un dossier sur l’intolérance) ;
Un site lent : au-delà de la mode du “slow” qui n’avait pas cours à l’époque où Jacques s’est lancé (1998), le dispositif de l’encyclopédie en ligne, doit inviter à la lecture, à l’appropriation, à prendre le temps de la réflexion critique et au plaisir…
Ensemble, on a développé une interface proprement wallonne qui donnait accès aux mêmes contenus que l’interface québécoise. Si vous tapiez agora.qc.ca dans votre navigateur, vous arriviez au même article “Debussy” que si vous aviez encodé walloniebruxelles.org (l’URL de l’époque pour l’interface wallonne) mais l’apparence graphique et les annonces de promotion d’intérêt public (expos, concerts, parutions…) étaient dépendantes de votre interface : un concert de l’Orchestre de Liège dans le deuxième cas, une conférence d’Ivan Illitch à Montréal dans le premier.
L’Encyclopédie de l’Agora, ce n’était pas rien, surtout quand on pense aux ressources limitées qui ont permis sa mise en ligne : 12 millions de visiteurs annuels et un réseau de quelque 1.500 auteurs, ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval. Michel Serres a fait l’éloge de l’initiative et de grands esprits comme Ivan Illitch et d’autres ont donné plusieurs de leurs écrits à Jacques pour qu’il les publie, tous droits cédés. J’ai également obtenu son référencement dans les sites recommandés par la BnF. L’interface wallonne en a bénéficié, avec un demi-million de visiteurs après seulement 6 mois en ligne. Idem, Jean-Pol Schroeder (Maison du Jazz de Liège, BE) nous a cédé les droits de publication sur un excellent livre de référence sur le jazz, qui était épuisé dans le commerce.
Ca fait du boulot, des heures et des heures de travail, ça ! Des heures de bénévoles ?
Oui, principalement. Nous avons d’abord été aidés financièrement par la Communauté française puis mis en faillite par les mêmes (no comment…) ; la FWB a aussi timidement (une fois, comme on dit à Bruxelles) délié les cordons de la bourse… Par après, la Province de Liège nous a concrètement soutenus lorsqu’il a fallu migrer l’encyclopédie en PHP/MySQL. Sans pub, on mange souvent des pâtes, alors les aides et les soutiens sont toujours les bienvenus. A bon entendeur…
Ceci étant, si wallonica.org est le fruit d’un travail d’écriture originale réel (articles journalistiques, monographies, traductions, reportages, nouvelles, critiques, poèmes…), fait par les collaborateurs internes ou externes de l’équipe, un pourcentage important de nos publications est le résultat d’un travail de compilation et de réseaugraphie de ressources publiées par des tiers, auxquelles nous renvoyons systématiquement par nos hyperliens. A la fonction de blog s’ajoute donc la mise en valeur du travail de “consoeurs et confrères” que nous assemblons, illustrons et relions au sein de notre encyclo. Dans cet Archipel des Honnêtes Savoirs, wallonica.org est un précipité de nos créations comme de nos découvertes…
Vous tournez toujours sur le Lotus Notes historique ?
Ce n’est qu’en 2012 que j’ai décidé de migrer à nouveau vers un blogue encyclopédique en WordPress : wallonica.org. Le sevrage est bientôt bouclé : nous sommes toujours en train de rapatrier les articles qui étaient proprement wallons dans la base de données partagée avec le Québec, tout en écrivant ou compilant de nouveaux contenus, avec mes nouveaux collègues et des partenaires apparus entretemps. Tout ça, à la main…
Un blogue encyclopédique : ça sent un peu le paradoxe, non ?
La grosse difficulté du monde actuel est que l’informatique a introduit un fonctionnement en réseau et que nous ne sommes pas encore pleinement au fait de ce que ça veut dire au quotidien.
Sans vouloir vous blesser, votre question en est la preuve : un blogue, c’est une séquence d’articles sur un thème choisi, articles qui se suivent dans le temps ; une encyclopédie, c’est une arborescence d’articles, organisés selon des catégories en cascade.
Dans des sites WordPress comme dans d’autres, on a un grand aquarium (la base de données du site) où nagent une multitude de poissons de même taille (les articles) mais qui ont chacun des étiquettes sur le dos (les métadonnées : la date, les catégories, les mots-clés…).
Faire une requête (une recherche) dans un site comme ça, c’est puiser un groupe de poissons qui partagent les mêmes étiquettes et choisir celui ou ceux que l’on veut manger (ici : lire).
Ainsi, dans wallonica.org, en cliquant sur la catégorie “Artefacts”, on va obtenir la liste de tous les articles existants qui portent sur les créations artistiques et pouvoir choisir, au départ de son titre, celui qui nous intéresse pour l’afficher à l’écran. Plus question de séquence ou de hiérarchie de contenus ici : tous les objets du site sont reliés dans un maillage épais entre leurs métadonnées.
Comment m’y retrouver, alors, dans wallonica.org ?
D’abord, il faut se dire qu’on arrive souvent dans un article via un moteur de recherche externe, donc, sans passer par la page d’accueil ou le formulaire de recherche de wallonica.org. Par exemple, si vous cherchez une citation de Montaigne, vous tapez [Montaigne à+propos] dans votre page Google et vous arrivez directement sur la page https://wallonica.org/montaigne-textes/ sans passer par la page d’accueil de wallonica.org. Si, par contre, vous visitez wallonica.org au départ de cette page d’accueil (vous avez tapé https://wallonica.org dans votre navigateur), vous pouvez choisir d’afficher toute une catégorie d’articles ou tous les articles marqués d’une même étiquette (mot-clé). Et ça marche !
L’intelligence (c’est un terme technique) se trouve alors dans l’organisation des catégories et des mots-clés. Pour wallonica.org, le défi était de trouver une manière différente de proposer nos contenus. C’est chose faite. Je suis parti de ce que fait l’Honnête Homme face au monde pour créer sept catégories (plus d’infos ici) : les actions, les artefacts, les contrats, les discours, les dispositifs, les symboles et, face à l’homme, le monde comme il va, là où la main de l’homme n’a jamais mis le pied. Ceci pour les articles proprement encyclopédique (Paul Diel, vanité, La jeune fille sans mains, Perron liégeois…) auxquels on peut également accéder par le menu… Encyclopédie.
Dans votre dossier de présentation, vous parlez de “Wallonie au carré”, c’est une boutade liégeoise ?
Vous avez l’œil en matière de boutades, manifestement : dans wallonica.org, on passe de l’humour brusseleir de Bossemans et Coppenolle aux citations de Jean-Claude Van Damme, mais vous avez raison, en l’espèce, l’allusion est liégeoise. La formule du Carré Wallonica nous permet d’afficher le dispositif au complet. Chacun trouvera son bonheur en termes de savoirs wallons et bruxellois sur un de nos quatre sites :
les savoirs dans le BLOG ENCYCLO (wallonica.org) ;
les ressources à télécharger dans la DOCUMENTA (documenta.wallonica.org) ;
les lieux et curiosités touristiques dans le TOPOGUIDE (topoguide.wallonica.org) et
les articles commerciaux dans la BOUTIQUE (boutique.wallonica.org).
Cette logique de carré parfait est le fruit d’essais multiples. Chaque fois, dans nos moments les plus créatifs, on en revenait systématiquement à ces quatre “fonctionnalités” pour capter puis satisfaire nos lecteurs. On notera d’ailleurs que notre boutique est bien modeste et qu’elle sert surtout à créer le lien entre l’internaute et des créations wallonnes et/ou bruxelloises que nous trouvons intéressantes et dont le créateur est présent dans le blog encyclo. Dans 99 % des cas, le bouton “Acheter” est remplacé par “Contacter l’auteur” ou “LIBREL.BE“, notre partenaire “livres” qui assure l’acheminement vers des librairies indépendantes…
Temps de lecture : 10minutes > Jacques PELZER (à droite), en répétition avec Michel Herr et Jean-Pierre Gebler, à Liège (1983)
Jacques PELZER apprend, dès l’âge de sept ans, le solfège et le piano, qu’il est obligé d’abandonner à la suite d’un accident bénin. Il s’essaie alors à la clarinette, à la flûte, à la guitare, avant d’arrêter son choix, pour un temps du moins, sur l’harmonica. A la fin des années 30, il découvre le jazz et devient un fidèle auditeur des quelques rares retransmissions radiophoniques à tendance jazz, et surtout des disques de Nat Gonnella, Ambrose, puis Benny Goodman et Jimmy Lunceford. Alors qu’il étudie chez les Pères Jésuites du Collège Saint-Servais, il s’intègre à d’éphémères formations d’étudiants ; l’une d’elle s’appelle Swing and Sway et Pelzer, toujours à l’harmonica, y joue aux côtés du saxophoniste Paul Alexis. Mais entretemps, dans un autre établissement scolaire de la ville, à l’Athénée plus précisément, quelques étudiants (Pierre Robert, Roger Claessen, Georges Leclercq…) ont eux aussi découvert le jazz et décidé de monter leur propre orchestre, un orchestre qu’ils appelleront la Session d’une Heure et dont l’influence sera déterminante dans la carrière de Jacques Pelzer.
Lorsque la guerre éclate, Jacques Pelzer suit sa famille à Toulouse ; c’est là qu’il se fait offrir son premier saxophone : un alto, comme Pete Brown, comme Willie Smith (Jacques racontera plus tard qu’il s’est “fait les lèvres” en jouant et rejouant le solo de Smith sur Margie de Jimmy Lunceford), comme Johnny Hodges surtout, qui sera son premier modèle.
De retour à Liège, il devient membre de la Session d’une Heure. Le répertoire de la Session va du dixieland (qu’il n’apprécie pas vraiment, d’autant que dans la formule orchestrale orléanaise type, il n’y a guère de place pour l’alto !) à Duke Ellington, Django Reinhardt ou Gus Deloof, et là, il est à son affaire.
En 1943, la Session, uniforme impeccable, cravates en cachemire, petite casquette anglaise, remporte le tournoi organisé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, tandis qu’à Liège, elle devient la seule formation amateur qui puisse concurrencer les orchestres professionnels. Surprise-parties (qui, à cause du couvre-feu, se prolongeaient jusqu’au matin), galas, cours de danse, se multiplient ; Pelzer grave avec la Session ses premiers acétates (et notamment un On the sunny side of the street comprenant un très beau solo d’alto “à la Hodges”). Mais Roger Claessen reste un grand amateur de dixieland, et lorsque la Session s’oriente davantage dans ce sens, Pelzer reprend ses billes. Entretemps, il a trouvé son maître à Liège même : Raoul Faisant alors au centre d’un “noyau swing” percutant (au sein duquel Jacques rencontre un adolescent de son âge, guitariste, qui deviendra son alter ego bien des années plus tard : René Thomas !). Pelzer, comme Thomas, comme Jaspar, comme Sadi, a tout à apprendre de Faisant : phrasé, colonne d’air, inflexions. Pour lui aussi, Faisant sera le “Père” ! En même temps, toujours grand consommateur de disques, il découvre Benny Carter qui supplantera chez lui Johnny Hodges en influence.
Quand les Américains arrivent en 1944, Pelzer est prêt à les recevoir. Il en épatera plus d’un, blanc ou noir, qui retrouve dans la musique de ce jeune Européen un peu de son pays : “…Quand il jouait pour les Noirs (soit à la Croix-Rouge américaine, soit dans leurs cantonnements), on les voyait s’approcher peu à peu de lui, l’entourer, oubliant même la danse, et ne quittant la scène qu’à la dernière note. Et pourtant, Dieu sait si ces gens-là s’y connaissent.” (Rythme Futur, décembre 1946). C’est alors l’époque des premières tournées pour les Américains – pendant les vacances scolaires, car Jacques est toujours étudiant. Le plus lointain de ces voyages, il l’entreprend avec Léo Souris, direction Plsen, Tchécoslovaquie ! Déjà presque une vedette à Liège, Pelzer commence à se faire un nom sur le plan national, surtout après avoir intégré les Bob-Shots (en 1945, il rejoint Bobby Jaspar, Pierre Robert, André Putsage, etc.). Le premier acétate des Bob-Shots permet d’entendre un Pelzer cartésien et visiblement fort heureux de l’être : pourtant, l’heure du grand tournant est proche. Quand Pierre Robert reçoit de son frère Cyril, installé aux États-Unis, les premiers disques bop, Pelzer est envoûté par la nouvelle musique : pendant de longs mois, il s’évertue à comprendre ce que joue Parker, à décortiquer ces envolées magiques, passant et repassant, pour ce faire, les disques de Bird à vitesse ralentie ! A force de travail, il méritera bientôt ce titre de “premier alto be-bop européen” que lui décernera Django. Dans ses tentatives de jouer bop, il est soutenu par le batteur André Putsage qui s’essaie, lui, aux débordements de Kenny Clarke et rend ainsi plus crédible encore l’image sonore du nouveau style produite par l’alto. Les concerts des Bob-Shots suscitent bon nombre de commentaires dont la plupart concernent Pelzer. A la fin de la période Bob-Shots (vers 1948), il jamme aussi souvent que possible avec René Thomas, mais avant de songer à une nouvelle association, il faut terminer ses études. Il se fait plus rare aux répétitions comme aux jams et un beau jour, il se retrouve pharmacien ! Moins assuré que Jaspar, qui devient professionnel dès la fin de Bob-Shots, il fera un début de carrière dans “sa” branche et ouvrira une pharmacie au Thier-à-Liège. Mais très vite, il comprendra que “sa” branche, désormais, est bien davantage faite de blue notes que de tubes d’aspirines.
En 1950, Bobby Jaspar est à Paris, bientôt rejoint par de nombreux musiciens belges (tous ceux, en fait, qui ont choisi de ne jouer que du jazz, chose impensable en Belgique). Jacques Pelzer, s’il n’émigre pas vraiment, séjourne très fréquemment à Paris lui aussi, où il fait le tour des clubs. Il rencontre tous ceux qui seront ses partenaires et ses amis dans les années qui vont suivre. Entretemps, il découvre Lee Konitz et se met à explorer l’univers cool avec la même passion que l’univers bop quelques années auparavant. Un enregistrement de 1953 rend compte de cette nouvelle orientation. Loin d’être le signe d’un manque de personnalité, elle témoigne d’une recherche constante de matériaux propres à faire émerger, une fois réunis, un style original. Paris, Liège (et les fameuses jams de la Laiterie d’Embourg !), Bruxelles, Anvers, les Pays-Bas, l’Allemagne : Jacques Pelzer devient bientôt davantage que “l’indétrônable saxophone-alto belge”, une des figures marquantes du jazz européen en pleine expansion. Il grave plusieurs disques (avec René Thomas, Jean Fanis, Herman Ssandy, etc.), participe à de nombreux galas, jams, radios, se lie avec Kenny Clarke et ChetBaker et, en Belgique, fait office de leader pour la nouvelle génération (Robert Jeanne, Felix Simtaine, etc.). En 1955, à la demande de Léo Souris, il effectue un premier voyage en Afrique : il en revient fasciné ! L’Afrique exercera dès lors sur lui une attraction telle qu’il y retournera à de nombreuses reprises, se ressourçant à la musique noire, en particulier à la musique des pygmées qu’il découvre avec Benoît Quersin. “Il y avait deux endroits au monde où on pouvait aller : New York et l’Afrique : la jungle en béton et la jungle naturelle. Bobby a choisi la jungle en béton, moi j’ai fait l’Afrique…” (Histoire du jazz à Liège, Médiathèque de la Province de Liège, 1987). Jouant le jeu jusqu’au bout, Pelzer enregistre même quelques disques avec des musiciens et des chanteurs africains, à Léopoldville (Kinshasa).
Comme Jaspar, il s’est mis à un second instrument : la flûte, et il est devenu incontournable sur la scène belge, au même titre que Jack Sels et quelques autres. A la Rose Noire de Bruxelles comme au Ringside d’Anvers ou au Seigneur d’Amay de Liège, l’école moderne s’est désormais imposée dans le milieu – de plus en plus clos – du jazz. Les vieux maîtres (Faisant, Ingeveld, Robert, …) sont déjà presque oubliés. Pelzer ouvrira lui-même certains clubs (le Birdland à Liège, par exemple), répliques éphémères des temples new-yorkais. Parmi les jeunes musiciens belges, il s’associera volontiers au trompettiste Milou Struvay, au pianiste Joël Van Droogenbroeck, au bassiste Freddy Deronde.
En 1959, commence l’aventure de Comblain dont Jacques Pelzer sera l’un des plus fidèles participants. “Si un jour, je ne pouvais pas jouer à Comblain, j’en serais malade” confie-t-il à un journaliste. C’est également l’époque où il travaille de plus en plus en Italie (où il enregistre d’ailleurs quelques disques avec Amedeo Tommasi et Dino Piana), et où il s’associe de manière plus régulière encore avec René Thomas, de retour des U.S.A. dès 1961 ; le quartette Thomas-Pelzer, auquel participent alternativement des musiciens comme Benoît Quersin, Daniel Humair, René Urtreger, Jacques Thollot, Vivi Mardens et d’autres musiciens français, italiens ou allemands, fait les beaux soirs de Comblain (certaines versions de Theme for Freddy restent dans toutes les mémoires). Comblain est aussi l’occasion définitive de rencontrer les plus grands maîtres américains ; Bill Evans, Canonball Adderley, Coltrane, Lee Konitz. Pelzer les accueille volontiers chez lui, les amitiés se nouent et Liège devient une ville plutôt bien fréquentée. Parmi les grands moments de cette période, on retiendra un concert à Gand avec Bud Powell, un autre au Ringstad avec Thelonious Monk, la soirée des 25 ans de jazz en Wallonie, l’enregistrement de l’album Meeting (René Thomas), les jams au Jazz In de Liège, dont il est le maître d’oeuvre, et bien sûr le premier voyage aux États-Unis dans le quintette de Chet Baker ! Chet (qui a auparavant joué avec Bobby Jaspar, René Thomas, Francy Boland, etc.) apprécie en effet de plus en plus le style de Pelzer qui, en retour, vénère la musique du trompettiste.
1964 : Chet Baker (Flugelhorn, Vocal), Jacques Pelzer (Alto Sax, Flute), Rene Urtreger (Piano), Luigi Trussardi (Bass) & Franco Manzecchi (Drums).
C’est le départ d’une tournée de trois mois qui est pour lui l’ultime consécration : combien d’Européens peuvent se vanter d’avoir joué au Plugged Nickel de Chicago ? Depuis quelques temps, il s’exprime sur un troisième instrument, le soprano, remis à l’honneur par John Coltrane et sur lequel il dispense une musique plus moderne encore, plus libre. Pendant son séjour aux U.S.A., il est en admiration devant la nouvelle école free et la musique d’Ornette Coleman : “C’est génial, racontera-t-il, pour créer une musique semblable, qui prenne un tel essor, il fallait être un génie. Je me reporte vingt ans en arrière à l’apparition du Bird“. Et une nouvelle fois, Jacques Pelzer change de cap et pendant quelques années, il entre carrément dans la New Thing avec une sincérité qui fait parfois défaut à certains adeptes du free de l’époque (et surtout avec derrière lui un background musical qui lui permet de jouer “libre” sans pour autant jouer n’importe quoi).
Ses expériences les plus profondes dans la sphère free, c’est à nouveau en Italie qu’il va les vivre, aux côtés du grand Steve Lacy ; il révèle au public belge le trompettiste Mongezi Fesa et le bassiste Johnny Dyani lors du First International Jazz Event à Liège en 1969 ; il rencontre à plusieurs reprises Don Cherry, Kent Carter, Archie Shepp et quelques-uns des plus authentiques musiciens free, dans ce Paris soixante-huitard ouvert à l’esthétique libertaire. Cependant, Pelzer va s’écarter du free, il en gardera une certaine “souplesse d’esprit” et une profonde expérience humaine. Ce qui motive son retrait, ce ne sont pas seulement les diatribes de Chet Baker contre le free (“They call that music !“) ni le désastre financier que représente pour un musicien le fait de jouer cette musique qui met en fuite public et organisateurs, c’est aussi et peut-être surtout la difficulté de se trouver des partenaires capables de vraiment jouer le jeu.
Les années 70 sont là : c’est l’époque de Weather Report et de la première génération jazz-rock. Les jeunes reprennent un premier contact avec les sons du jazz via Chick Corea et John Mc Laughlin. A l’anarchie succèdent l’hyperorganisation et les groupes fixes. Pour Pelzer, ce nouvel état d’esprit se concrétise à travers le groupe Open Sky Unit. En effet, tout en renouant avec la tradition aux côtés de Chet Baker, de René Thomas (c’est l’époque Thomas-Pelzer Limited) ou de Vince Benedetti, il partage l’itinéraire de quelques jeunes musiciens (son cousin Steve Houben, sa fille Micheline, le pianiste américain Ron Wilson et quelques autres) qui l’entraînent dans un univers musical nouveau, influencé par les rythmes binaires, la musique soul et l’électricité. Fini le saxophone en plastique et l’improvisation sauvage : Open Sky Unit joue un répertoire structuré, programmé, où la place de chacun est bien définie (même si l’improvisation et la spontanéité restent au rendez-vous). C’est avec O.S.U. que Jacques Pelzer rend, en janvier 1975, un dernier hommage à son alter ego René Thomas, mort de jazz comme Bobby Jaspar 12 ans auparavant, comme Raoul Faisant en 1969. Lui seul sort rescapé de ce naufrage. Au milieu des années 70, il entreprend une nouvelle tournée aux U.S.A. avec Chet Baker (et ils donnent ensemble un concert au Carnegie Hall). Pelzer a retrouvé alors une musique de sa génération, il ne la quittera plus : un “mainstream” mitigé de bop et de cool et, dans son cas, parsemé d’évocations de Benny Carter.
A Liège, qu’il n’aura jamais quitté vraiment (ce qui lui aura peut-être valu d’être moins connu que Jaspar et Thomas, mais également, comme il le dit lui-même, d’être toujours en vie !), il se produit avec ses anciens compagnons Robert Grahame, Jean Linsman, Jon Eardley ou avec des musiciens plus jeunes. En 1980, il participe, bien entendu, au projet Saxo 1000 mis sur pied en hommage à Jaspar et Thomas à l’occasion du millénaire de la ville de Liège, et il fait partie du premier contingent d’instructeurs du Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège. Cette période (qui va de la mort de Thomas au milieu des années 80) est jalonnée de hauts et de bas surprenants, de tristes moments où l’on pourrait penser que Jacques Pelzer est au bout du rouleau, et de lumineux démentis où réapparaît le “premier saxophone alto be-bop européen“.
En 1982, il s’associe au guitariste Jacques Pirotton qui devient son partenaire privilégié : en duo, “The Two J.P’s” proposent une musique faite d’équilibre, tantôt exubérante, tantôt recueillie, qui permet à Jacques de retrouver un peu de sa complicité passée avec René Thomas. Invité à participer à diverses séances d’enregistrements (Stella Levitt, Jean-Pierre Gebler…), honoré par la RTBF d’un superbe film de montage réalisé par Michel Rochat (“Sax en fugue“), il n’a cependant pas dit son dernier mot : petit à petit, il reprend du poil de la bête dès 1986, c’est un Pelzer proprement régénéré qui, malgré de nombreux problèmes, notamment d’ordre économique – une vie consacrée au seul jazz n’a jamais été le gage d’une retraite aisée ! – redevient le grand musicien qui avait conquis le monde du jazz au cours des quatre décennies précédentes. En free-lance, en duo avec Jacques Pirotton ou à la fête de son quartette (avec Pirotton et le plus souvent Bart de Nolf (b) et Micheline Pelzer (dm)), assisté ou non de ses amis de toujours (Chet jusqu’à sa mort en 1988, Barney Wilen, Dave Liebman et tant d’autres aux quatre coins du monde des notes bleues), ayant retrouvé cette vigueur qui est une de ses “lignes de conduite” d’aujourd’hui, il part reconquérir l’Europe : Italie, France, Suisse, Finlande, Jack The Hipster n’a pas fini d’étonner un monde qui est peut-être en train de redécouvrir le jazz, ce jazz pour lequel tant de ses amis sont morts.
Jean-Pol Schroeder
Oeuvres
Jacques Pelzer enregistre en 1943 et 1944 avec la Session d’une Heure (Acétates), de 1946 à 1949 avec les Bob-Shots (enregistrements privés, Olympia, Pacific).
Leader ou co-leader :
Jacques Pelzer, Marionette / Lady Bird / How high the moon (acetate, Bxl, 1952)
Jacques Pelzer, I only have eyes for you / You go to my head (acetate, Bxl, 1952)
Jacque Pelzer / Bobby Jaspar, Out of Nowhere / Pennies from heaven (acetate, 1953)
Jacques Pelzer, Modern Jazz Sextet (Innovation ILP2, 1955)
Jacques Pelzer / Herman Sandy, Jazz for Moderns (Fiesta IS10043, 1956)
Jacques Pelzer and his Young stars, Jazz in Little Belgium (Decca 123259, 1958)
Fin des années 50, Jacques Pelzer enregistre une série de 78 tours en Afrique, avec des musiciens autochtones : “Tu es la plus belle, ma doudou“
Jacques Pelzer, All stars à Antibes (Barclay BLP84081, 1960)
Jacques Pelzer, Featuring Dino Piana (Cetra LPP6, 1961)
René Thomas / Jacques Pelzer : Giganti del Jazz vol.*** (1961)
Pelzer, Sadi, Toots : Europe Jazz (film de Paul Davis, Sofidoc, 1961)
Thomas / Pelzer : T.P.L. (Vogel 003, 1974)
Jacques et Micheline Pelzer : Song for René (Duchesne DD8003, 1975)
Participation aux enregistrements :
Helen Merril (Comblain-la-Tour 1960)
Léo Souris (Comblain-la-Tour 1960)
Amadeo Tommasi (1960)
René Thomas (1963)
Georges Joyner (1964)
Freddy Sunder (1968)
Jon Eardley (1969)
Chet Baker (1977)
Saxo 1000 (1980)
Jean-Christophe Renault (1981)
Jean-Pierre Gebler (1981)
Guy Cabay (1987)
[INFOS QUALITE] statut : validé, à actualiser | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Michel Herr | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Chaque dernier dimanche du mois ! Une jam réalisée par un bouquet de musiciens sur un thème choisi par leur soin et ponctuée d’interventions de musiciens du public désireux de se joindre à eux. Concrètement ; un musicien sera invité par le club à venir expérimenter une formation élaborée par ses soins, sur un thème précis tel qu’un artiste spécifique, ou encore un style, une année, un album…
Le Centre d’Art Contemporain du Luxembourg Belge écrit : “Les photographies de Jean-Jacques Symul dépassent les anecdotes locales pour devenir des évocations intemporelles, elles ne sont plus l’indice d’un site donné, mais l’évocation de tous les lieux possibles et la condensation lente des souvenirs qu’ils peuvent faire naître.“
Jean-Jacques SYMUL est né à Liège en 1952. Dès 1984, il enseigne la photographie à l’Académie des Beaux-Arts de sa ville. Il a bénéficié de plusieurs expositions personnelles et figure dans diverses collections publiques… Il vit aujourd’hui à Xhoris, sur la commune belge de Ferrières.
Philip CATHERINE est un guitariste de jazz belge. Né à Londres en 1942, d’un père belge et d’une mère anglaise, Philip Catherine n’est pas le premier musicien de la famille : son grand-père s’est fait un nom comme premier violon à l’Orchestre Philharmonique de Londres. Il n’est donc pas étonnant que Philip, qui passe la majeur partie de sa jeunesse en Belgique, ait reçu dès son plus jeune âge des leçons de piano. A l’âge de quatorze ans, il découvre la guitare et la musique de Django Reinhardt qui le bouleversent et le font basculer dans l’univers du jazz. A peine adolescent, il commence à fréquenter les musiciens belges et à se joindre, encore timidement, aux jam sessions. En 1958 -l’année de l’exposition- on le retrouve à la Rose Noire, le poumon du jazz belge d’alors ; il y entend tous les grands maîtres américains et il participe à 16 ans à une jam aux côtés du saxophoniste Sonny Stitt et du batteur suisse Daniel Humair. A dater de ce jour, on sait dans le milieu du jazz belge, qu’un nouveau musicien est né, avec lequel il va falloir compter.
L’année suivante (1959), quand commence la grande aventure de Comblain, on peut lire dans le programme du festival, à la rubrique “Grandes vedettes du jazz belge” en dessous des noms de Jacques Pelzer, Christian Kellens, Sadi, etc… celui de Philip Catherin (sic), le plus jeune guitariste belge.
En 1960, il jouera au premier Festival d’Ostende et sera de nouveau à l’affiche de Comblain. Après avoir remporté divers tournois amateurs et joué aux côtés de musiciens chevronnés, il fait désormais partie intégrante du” milieu” jazz. Il n’a pas encore 20 ans !
En 1960, il entre pour la première fois dans un studio d’enregistrement afin d’y graver, en compagnie de Frans André, Roger Vanhaverbeke, Rudy Frankel et Jack Say un Nuages bien évidemment inspiré de Django.
En 1961, Jazz Hot et Jazz Magazine signalent la prestation à Comblain d’un “jeune talent prometteur”. Mais un autre guitariste belge est au programme cette année-là (et les suivantes). René Thomas, qui revient des Etats-Unis où il a joué avec Sony Rollins et avec le gotha du jazz new-yorkais.
Thomas sera après Reinhardt, le second grand inspirateur de Philip Catherine, et, comme il va désormais rester en Belgique la plupart du temps, son jeune disciple aura maintes fois l’occasion de s’abreuver au lyrisme fougueux qui caractérise son jeu.
1961 sera une année décisive à plus d’un titre. En effet, c’est alors que Philip Catherine est remarqué par l’organiste Lou Bennett (fixé alors à Paris et qui jouera très régulièrement avec René Thomas également). Bennett l’engage dans son trio pour une tournée européenne qui étendra sa réputation hors des frontières de la Belgique.
Avec ce trio (dont le batteur sera selon les circonstances Billy Brooks, Oliver Jackson, Vivi Mardens, etc.), Philip jouera notamment en première partie de Thelonius Monk, en tournée en Europe ; et c’est encore au sein de ce trio qu’il réapparaîtra à Comblain en 1962.
Entretemps, il continue à jammer à Bruxelles et à Anvers notamment, avec les meilleurs jazzmen belges. Ainsi, il rencontre le saxophoniste Jack Sels, avec lequel il enregistre en 1961 et en 1963 et Sadi, pour qui il éprouvera toujours une vive admiration. Parmi les (trop rares) musiciens de sa génération, Philip Catherine travaillera notamment avec le pianiste Jack Van Poll (Comblain 1963 : “belle association guitare/piano de deux garçons qui, d’année en année, se rodent et font des progrès sensibles” pourra-t-on lire dans Jazz Mag). A cette époque il est toujours étudiant et obtiendra une licence en Sciences Economiques.
La seconde moitié des années 60 sera pour lui une période de labeur intense : en plus de ses études et de son travail sur l’instrument, il se met à la composition. Son nom apparaît moins fréquemment sur les affiches et dans la presse, mais il a décidé de travailler afin de donner à sa musique une consistance que la seule fréquentation des jam ne peut lui apporter. Et puis c’est le service militaire. Lorsqu’il en sort enfin, il est bien décidé à se consacrer exclusivement à sa musique. Il se sent prêt et n’a guère plus d’attirance pour le monde de l’économie. Il passe donc le cap du professionnalisme à une époque où ce choix suppose un sérieux goût du risque, le jazz n’étant pas alors une musique particulièrement lucrative !
A la fin des années 60, il travaille avec Marc Moulin dans le groupe Casino Railways, un des premiers orchestres montés par la nouvelle génération et, en 1970, il enregistre pour Warner son premier album (produit par Sacha Distel) pour lequel il fait appel au trombone Jiggs Wiggham, rencontré lors d’un séjour dans l’orchestre de Peter Herboltzheimer ; pour compléter la formation, trois musiciens belges, Marc Moulin (p), Freddy Deronde (b) et Freddy Rottier (dm). Ce disque, composé exclusivement de compositions originales, porte déjà les marques d’un nouvel esprit musical ; passionné par le jazz, Philip n’est cependant pas insensible à la nouvelle musique qui “branche” les jeunes depuis quelques années déjà, le rock. Et lorsque apparaîtra une forme musicale mélangeant jazz et rock, au moment où, précisément, il devient musicien professionnel, il y adhérera presque aussitôt.
Tandis qu’il jouait avec Lou Bennett, il avait été remarqué par un jeune violoniste français qui allait rapidement devenir une des figures de proue du jazz et du jazz-rock européen, Jean-Luc Ponty. Lorsqu’il monte son groupe Expérience, Ponty prend contact avec Philip Catherine : “Quand j’ai décidé d’ajouter un guitariste à mon groupe, j’ai pensé à lui parce qu’il était un des rares musiciens possédant un” background” jazz à avoir assimilé également ce que la musique pop avait apporté au son et à l’approche de l’instrument“.
C’est ainsi que Philip Catherine se retrouve au centre d’un des groupes-clés du début des années 70, aux côtés de Ponty (vln), Joachim Kuhn (keyb), Peter Warren (b) et Oliver Johnson (dm). Le jazz-rock de l’Expérience est une musique relativement libertaire.
L’album “Open Strings” qu’il enregistre en 1971 avec ce groupe le fait accéder définitivement au peloton de tête des jeunes musiciens européens.
Mais, soucieux d’aller plus loin encore, il décide en 1972 d’aller suivre les cours de la fameuse école de Berklee, à Boston (US). Il s’embarque pour les Etats-Unis où il travaillera notamment avec le compositeur Michael Gibbs qui modifiera sensiblement sa conception de la musique.
A son retour, il s’associe à un noyau de musiciens avec lesquels il va jouer pendant de longues années, dans des formules”à géométrie variable”…
La première de ces formules c’est tout simplement le groupe Pork Pie, une des formations les plus importantes du jazz-rock européen des années 70. Avec le saxophoniste américain Charlie Mariano (musicien de tendance bop au départ mais qui a modifié son jeu au contact notamment de la musique indienne), avec le pianiste hollandais Jasper Van’t Hof (le premier spécialiste européen du synthétiseur), et avec une rythmique composée soit des Français Jean-François Jenny-Clarke et Aldo Romano, soit des Américains John Lee et Gerry Brown, Philip Catherine va, au sein de Pork Pie, sillonner l’Europe et enregistrer plusieurs albums dans lesquels se reconnaît une génération lassée des standards et du bop. Pour lui, c’est vraiment le grand départ ; on va le retrouver désormais aux quatre coins du monde discographique jazz : dans les albums de Chris Hinze, de Peter Herboltzheimer, de l’European Jazz Ensemble, de Marc Moulin, d’Erb Geller (version fusion), de Placebo, de Joachim Kühn, de Toots Thielemans, mais aussi dans ses propres albums : September Man en 1974, avec le personnel de Pork Pie augmenté du trompettiste Palle Milkkelborg et Guitars, avec au second clavier Rob Franken, qui, en 1975 sera le premier gros succès discographique de Philip Catherine ; on y trouve la composition “Homecoming” qui conforte sa réputation de compositeur, et un hommage à René Thomas intitulé tout simplement…René Thomas !
Il ne perd toutefois pas le contact avec le jazz pur : au contraire, il retrouve l’univers des standards et du swing dans quelques albums enregistrés sous le label Steeplechase aux côtés de pointure comme Dexter Gordon (Something Different, en 1975 : cet album est également remarquable en ce que Dexter utilise ici pour la première fois un guitariste comme sideman), Kenny Drew (Morning en 1975-un trio sans batterie avec notamment une version quintessenciée d’Autumn Leaves et In Concert en 1977), Niels-Henning Oersted Pedersen – un de ses partenaires privilégiés (Jaywalkin en 1975, Double Bass en 1976 – avec Sam Jones et Billy Higgins, Live vol. 1 et 2, puis plus tard, The Viking en 1983, etc.).
Si ses albums personnels et son travail dans le cadre du jazz-rock lui valent l’adhésion du public jeune, ses prestations comme sideman jazz lui garantissent l’estime du public jazz traditionnel. Mais évoluer ainsi dans deux univers parallèles n’est pas de tout repos : le public n’aime guère le changement et quand Philip Catherine – non sans quelque provocation – sert à l’un la nourriture de l’autre, rien ne va plus : ainsi on se souviendra de l’accueil pour le moins mitigé réservé aux standards joués dans un esprit très jazz avec NHOP au festival rock de Bilzen, comme aux compositions quasi hendrixiennes servies au public jazz de Gouvy l’année suivante ! Ce n’est de toute façon pas cela qui l’arrêtera, bien décidé qu’il est à jouer sur deux tableaux les musiques qu’il aime.
Début 1976, il fait une incursion plus précise encore dans la sphère rock en remplaçant pour une tournée le guitariste Jan Akkerman au sein du groupe Focus. La même année, retour inattendu à la musique acoustique au sein d’un duo aujourd’hui historique avec le guitariste Larry Coryell. A travers toute l’Europe, mais aussi aux Etats-Unis ou au Brésil, le duo parfois renforcé du pianiste Joachim Kühn, fait un malheur : cinq étoiles dans le Down Beat pour l’album Twin House. Le duo est considéré comme le “duo le plus prometteur” dans le Record World 1977 Jazz Winners aux USA (un deuxième album de ce même duo sortira en 1978 sous le titre Splendid). Le succès remporté par l’association Coryel/Catherine attire l’attention d’une des deux ou trois légendes du jazz encore en activité. Charlie Mingus, qui décide d’engager les deux guitaristes pour l’enregistrement de son album Three or Four Shades of Blues, dans lequel intervient également un troisième spécialiste des nouvelles cordes du jazz, John Scofield…
[à suivre]
[INFOS QUALITE]statut : en construction | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Sophie Adans | crédits illustrations : De Standaard | remerciements à Jean-Pol Schroeder