Jean Leclère est né à Mons en 1917. Il prend des leçons particulières de piano à partir de cinq ans. Dès sa petite enfance, il a l’attention attirée par les orchestres de danse que diffusent les radios anglaises. Il écoute de plus en plus de disques et, dès 1933, il se passionne pour le jazz : grâce à l’association Hot and Swing qui a mis sur pied un système de prêts de disques, il découvre un grand nombre d’orchestres et de solistes américains ou européens. Il monte sa propre collection.
Admirateur de Fats Waller, Earl Hines et Art Tatum, il forme un premier orchestre amateur en 1937. En 1941, Leclère met sur pied les fameux Dixie Stompers. Formation au répertoire middle-jazz dans un premier temps, les Dixie seront – à partir des années 50 surtout, lorsque Albert Langue en aura repris la direction – un des premiers groupes belges à incarner le Revival, à essayer de retrouver le répertoire et l’esprit des pionniers néo-orléanais (improvisation collective, etc.). Leclère remporte avec les Dixie Stompers les tournois de Bruxelles (1941), Scheveningen, Liège (1946 et 1947) et enregistre en leur compagnie quelques acétates (sur le premier d’entre eux, on trouve un batteur du nom de… Willy Staquet ! future star belge de l’accordéon musette).
En 1948, Leclère est chargé de constituer un orchestre qui représentera la Belgique au Premier Festival International de Nice : il renforce quelques pupitres de son propre orchestre avec des solistes des Bob-Shots (la seule formation be-bop du pays), constituant ainsi un ensemble hétérogène, d’autant plus bigarré que, sur la scène de Nice, Toots Thielemans et le saxophoniste américain Lucky Thompson se joindront au groupe. A défaut d’un groupe soudé, le public niçois eut droit à une jam au top niveau ! Attiré par le be-bop en tant qu’auditeur, intéressé par le jeu de Bud Powell et de Jimmy Jones, Jean Leclère ne sera pourtant jamais un bopper à part entière.
En 1949, il entre comme vibraphoniste dans le Jump College et enregistre quelques titres avec cet orchestre en 1951, puis, pendant les années 50, il dirige différentes formations, tantôt à tendance jazz affirmée, tantôt plus proches de la variété. Il travaille et enregistre à l’occasion avec Freddy Sunder et Charlie Knegtel, notamment en 1953. En 1960, au Festival d’Ostende, il se produit d’abord au piano dans une formation de jeunes (Rousselet, Sirntaine, … ) présentant un répertoire inspiré du bop ; puis à la tête d’un septette middle-jazz où il joue du vibraphone. Puis, petit à petit, Leclère disparaît de la scène jazz.
Sadi est né à Andenne le 23 octobre 1927. Chanteur, bongoïste, showman, arrangeur-compositeur, «Fats» Sadi Lallemand, alias Sadi, fut surtout le premier Européen à s’imposer comme vibraphoniste. Il fait partie de cette poignée de musiciens belges connus dans le monde entier. Sadi affronte le public dès l’âge de neuf ans : avec l’aide de son père, il a mis au point un numéro de music-hall dans lequel il joue du xylophone. C’est vers 1938 qu’il découvre le jazz, à travers les disques de Louis Armstrong. Enthousiasmé, il essaie d’adapter les phrases d’Armstrong à son instrument, mais il comprend rapidement que, s’il veut arriver à un résultat valable, il lui faut faire l’acquisition d’un vibraphone.
Entretemps, il a découvert les enregistrements de Lionel Hampton auquel il va s’identifier pendant quelques années. C’est ainsi qu’en 1941, à l’âge de quatorze ans, Sadi est un des premiers musiciens belges, sinon le premier, à adopter le vibraphone comme instrument principal. Pendant l’Occupation, il s’applique à domestiquer son instrument, en parfait autodidacte, tout en continuant à collectionner les 78 tours de Hampton. De sorte que, à la Libération, c’est un musicien d’un niveau plus qu’honorable qui fait son apparition dans le monde du jazz belge. Devenu professionnel, il joue pour les Américains ; il a monté son propre combo, le Sadi ‘s Hot Five dans lequel il engage bientôt un jeune pianiste, Jean Fanis, qui sera, bien des années plus tard, un de ses fidèles compagnons de route.
Il part ensuite pour Bruxelles où il retrouve Raoul Faisant. Celui-ci l’avait entendu jouer du xylophone quelques années auparavant et lui avait dit qu’il l’engagerait dès qu’il saurait jouer du vibraphone ! Sadi habite quelques mois chez les Faisant (qui hébergent également René Thomas) et il parfait son éducation musicale au contact de celui qu’il appellera toujours “Le Père”. A cette époque, Sadi, qui travaille aussi avec le pianiste Vicky Thunus, est déjà un musicien coté et le périodique “Jazz” parle de lui dès 1945 comme du “Hampton belge”. En 1946, il suit Faisant à Liège et joue avec lui ; en même temps, il se mêle de plus en plus à une bande d’étudiants fous de jazz (Jacques Pelzer, Bobby Jaspar,… ) en train de devenir la coqueluche de la ville.
Sadi est bientôt membre à part entière des Bob-Shots, jouant du vibraphone (mais aussi du piano de temps à autre) sans négliger à l’occasion de chanter l’un ou l’autre thème, son plus grand plaisir étant de pasticher Louis Armstrong ou Fats Waller, comme en témoigne un acétate récemment redécouvert. Les membres des Bob-Shots étant encore étudiants pour la plupart, Sadi ne peut se contenter de ce seul orchestre et il travaille parallèlement avec Vicky Thunus, Gus Deloof, Raoul Faisant, René Thomas, etc. un peu partout en Belgique et aux alentours. Mais c’est au sein des Bob-Shots qu’il se sent vraiment chez lui ; c’est avec eux qu’il reçoit, en 1947, le choc du be-bop !
Stupéfaction, sur certains des disques de Parker et de Gillespie, on entend un vibraphoniste et quel vibraphoniste ! Milt Jackson séduit presque immédiatement Sadi. Comme Pelzer s’attaque à la tâche épuisante (mais passionnante !) de comprendre et de reproduire les chorus du Bird, Sadi suit à la trace la moindre idée de Milt Jackson, partageant avec ses compagnons le mérite d’avoir été un des premiers Européens à oser s’attaquer au bop : c’est la période de l’Océan (club où se produisaient les Bob-Shots version bop). Hélas, l’ère des Bob-Shots touche à sa fin, et la musique qu’ils jouent désormais ne plait pas à tout le monde, c’est le moins qu’on puisse dire.
En 1949, Sadi se produira encore en leur compagnie (avec Franey Boland au piano) au Festival de Paris, au même programme que Charlie Parker et Miles Davis, et il enregistre quelques 78 tours qui permettent de se faire une idée de la richesse et de la fluidité auxquelles était parvenu son jeu dès avant 1950. Mais, en réalité, les Bob-Shots n’existent déjà plus en tant qu’orchestre régulier. Sadi joue surtout en Allemagne, avec Thunus notamment, une musique qui n’a plus grand chose à voir avec le jazz et moins encore avec le bop. L’éphémère popularité du jazz, suite à la Libération, n’est déjà plus qu’un souvenir.
En 1951, Sadi part pour Paris, espérant pouvoir s’y consacrer au jazz, comme Bobby Jaspar et Benoît Quersin quelque temps auparavant. Ses débuts dans la capitale française seront plutôt difficiles : le vibraphone n’est pas le genre d’instrument qu’on transbahute sans problèmes d’une jam à l’autre, là où se font et se défont les amitiés et les contrats. Sadi se retrouve isolé et sans travail. Il finit par trouver un engagement dans un orchestre “typique”, mais pour y jouer des bongos. Il a néanmoins un pied dans l’étrier et, en 1952, il entre dans la formation d’Henri Renaud au Boeuf sur le Toit, cette fois comme vibraphoniste.
Petit à petit, il s’intègre au milieu du jazz parisien et, en avril 1953, il est appelé par Django Reinhardt pour une séance d’enregistrement (qui sera en fait la dernière du grand guitariste, mort quelques semaines plus tard). La même année, il travaille au fameux Ringside, lieu de passage des grands jazzmen U.S. Puis il part pour Monte-Carlo avec Jack Dieval ; il y retrouve Bobby Jaspar, revenu en France depuis peu, et il le rejoint dans l’orchestre d’Aimé Barelli pour une longue tournée des villes françaises. C’est le départ d’une période faste. La réputation de Sadi est désormais bien établie : il est le meilleur vibraphoniste européen! Son nom apparaît dans presque tous les numéros de Jazz Hot et il se retrouve premier dans les référendums, catégorie “autres instruments”.
Pendant deux ou trois ans, il est de tous les coups, de tous les enregistrements, jouant aux côtés de Martial Solal, Kenny Clarke, Don Byas, Bobby Jaspar, Christian Chevalier, Stéphane Grapelli. Il travaille également dans la formation-laboratoire d’André Hodair et chante dans les Blue Stars, le groupe vocal de Blossom Vearie. En 1955, il monte pour la Rose Rouge un big band hors du commun (avec entre autres Jaspar, JeanLouis Chautemps, Jay Cameron, Roger Guérin) ; big band qui, chose rarissime en Europe, se produit tous les soirs. Cette nouvelle expérience révèle à ceux qui l’ignoraient encore ses qualités de compositeur et d’arrangeur. Sa réputation s’étend désormais jusqu’aux Etats-Unis où son disque obtient quatre étoiles dans la revue Metronome et est publié sous le label Blue Note ; il est classé dans le poll de Down beat.
A la fin des années 50, il joue et enregistre quelques très belles plages avec Lucky Thompson à Cologne et il revient en Belgique, en 1959, pour le premier Festival de Comblain-La-Tour. Mais, de nouveau, les temps changent : Paris voit sa grande époque jazz se terminer peu à peu et le jazz en général se prépare à la chute libre. De plus en plus, les jazzmen doivent se “reconvertir”, dans la variété surtout. En 1961, Sadi quitte Paris et revient à Bruxelles où, peu de temps après, il entre dans l’orchestre d’Henri Segers à la RTB ; il y restera jusqu’à sa dissolution en 1965.
Entretemps, Sadi a renoué avec ses anciens compagnons et a monté un quartette à son nom, avec Jean Fanis, Roger Van Haverbeke et Vivi Mardens ou Al Jones à la batterie. Encore très présent dans les studios d’enregistrement, il grave quelques plages avec un European All Stars (Solal, Mangelsdorff, Goykovich,…), avec Don Byas et en dirigeant également plusieurs séances à son nom. En 1965, il retrouve le temps d’un concert son vieil ami Raoul Faisant, tristement confiné lui aussi dans la variété. Dès 1965, Sadi envisage de monter un show à l’américaine ; ce n’est qu’en 1969 que la RTB diffusera le premier “Sadi Show”. De 1969 à 1974, quatre shows seulement seront montés et Sadi abandonne la partie.
Toujours aux frontières de la variété, il est engagé par Caterina Valente pour une tournée mondiale (Amérique, Afrique, Japon, Russie). Entretemps, il est passé de la RTB à la BRT, dans l’orchestre dirigé par Etienne Verschueren. Il y restera de nombreuses années, participant aux tournées des solistes de l’orchestre. Parallèlement, il garde toujours un quartette qui grave quelques beaux disques. Sur l’un d’eux figure une composition de Sadi qui sera utilisée par Claude Nougaro pour sa chanson “Maîtresse”.
Mais, de plus en plus, la lassitude s’empare de lui. Découragé par le peu d’intérêt que suscite la musique pour laquelle il s’est battu toute sa vie, déçu de la manière dont les pouvoirs publics et les médias négligent le jazz, ébranlé par la mort de son épouse, il se retire tout doucement de la scène, limitant ses apparitions au strict minimum. Lorsqu’il reçoit le questionnaire initial envoyé aux musiciens en préparation de ce dictionnaire, à la question “Quels sont vos projets ? “, il répond amèrement : “Dormir. Cette époque ne me convient plus”. Triste conclusion d’une des trois ou quatre plus brillantes carrières de jazzmen belges.
Il reçoit un Django d’Or en 1996 et est élu “vibraphoniste européen de l’année” en 1998, à l’issue d’un référendum organisé par les radios de la RTBF et de la VRT. Mais il décide néanmoins, cette même année 1998, de ne plus se produire sur scène. Affaibli par la maladie d’Alzheimer, il meurt à l’hôpital de Huy d’une infection nosocomiale, le 20 février 2009.
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : J. Knaepen | remerciements à Jean-Pol Schroeder
Musicien de jazz belge, Guy Cabay pratique le vibraphone, le chant et le piano. Musicien autodidacte, il s’essaie d’abord à la batterie puis au piano; il rencontre ensuite Raoul Faisant et Maurice Simon et apprend les premiers rudiments de jazz. En 1966, après avoir vu Gary Burton à Comblain, il tombe amoureux du vibraphone, instrument qu’il adoptera deux ans plus tard.
Biographie
Dès avant 1970, Guy Cabay a participé à quelques petits groupes Dixieland ou middle-jazz. En 1973, il termine une licence en musicologie à l’Université de Liège. La même année, il participe aux débuts du groupe Open Sky Unit (Pelzer, Houben…), mais quitte l’orchestre peu de temps après et part pour l’Italie : il prépare un doctorat sur la musique médiévale. En 1975, il forme avec Steve Houben le groupe Merry-Go-Round (répertoire de standards) qui jouera notamment aux Pays-Bas à plusieurs reprises.
Avec Jean-Louis Rassinfosse et Félix Simtaine, il accompagne le chanteur Jean Vallée, notamment en U.R.S.S. Guy Cabay met ensuite le jazz en veilleuse et commence à enseigner dans le secondaire. Il collabore à une émission dialectale à la RTB, se met à écrire, puis à chanter des chansons en wallon sur des rythmes de bossa avec une coloration jazz évidente. Le succès est considérable auprès du grand public. Il enregistre plusieurs albums selon cette formule, invitant chaque fois de grands musiciens de jazz à participer à l’entreprise (Bill Frisell, Toots Thielemans, Steve Houben, Larry Schneider).
Parallèlement, il joue dans l’Act Big Band de Félix Simtaine (dès 1979) en quartette avec Bruno Castellucci (dms), Evert Verhees (b) et Kevin Mulligan (g), en sideman aux côtés de Jacques Pelzer. En 1981, il fonde le groupe Lemon Air (jazz latin avec Herr, Houben, Mulligan, Rousselet…). Fin 1982, début 1983, il joue dans Steve Houben Plus Strings, pour lequel il écrit plusieurs arrangements. Il enseigne au séminaire de jazz du Conservatoire de Liège, monte le groupe Mysterioso avec le pianiste américain Dennis Luxion, enregistre de nouveaux disques, instrumentaux cette fois, dirige un trio avec Benoît Vanderstraeten (b) et André Charlier (dms) et enseigne au Conservatoire de Bruxelles. Il écrit également pour le cinéma, pour la scène et pour la télévision.
En 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, il adapte avec Daniel Droixhe des chants révolutionnaires wallons de cette époque. La même année, il monte un nouveau quintette avec le trombone Phil Abraham, le claviériste Benoît Sourisse, le guitariste Yannick Robert et sa rythmique habituelle (Vanderstraeten / Charlier).
Elu “meilleur vibraphoniste belge” en 1998 et 1999, Guy Cabay, devant l’insistance de ses fans wallons, sort en 1999 un nouvel album de chansons en wallon (“The BièsseTof“), mélangeant nouvelles compositions et réarrangements d’anciennes, et combinant toujours textes en wallon sur des rythmes jazz et brésiliens. En 2000, à l’occasion de la reconstitution éphémère du chœur de la Cathédrale Saint-Lambert à Liège, il publie un album intitulé “De la pierre à la toile, les misères de la Cathédrale, en quatre tableaux et deux rawètes”.
En 2005 sort l’album “On the jazz side of my street” pour lequel il est entouré, entre autres, de Jacques Pirotton, Benoît Vanderstraeten, Bruno Castellucci, Steve Houben, mais aussi le quatuor à cordes Héliotrope. En 2013, Guy Cabay crée un spectacle piano-voix qu’il présente dans son village natal de Polleur (“Carrousel Village, djazzeries et brésileries autour de mon clocher“). L’année suivante (2014), il sort l’album Wah-Wah Samba, toujours fidèle à son double ancrage wallon et brésilien. En novembre, il se produit au Festival de Stavelot Jazz avec le Spa-Sao Paulo quartet qui inclut son fils, Arnaud. En 2015, il compose des musiques additionnelles pour le film Problemski Hotel de Manu Riche (sorti en DVD en 2016).
Discographie non exhaustive
1980 : Christine Schaller, Real Life (ML Car80062)
1997 : Guy Cabay, Guy Cabay & Li Grand Cayon (CD Amon Laca 97004)
1999 : Guy Cabay, The Bièsse Tof (CD Amon Laca Alac22)
2005 : Guy Cabay Quartet, On the Jazz Side of my Street (CD IGL 181)
2006 : Guy Cabay Quartet et al., Artists from Wallonia and Brussels : That’s all Jazz ! (CD WBM 156)
2007 : Chrystel Wautier Trio : Between Us (CD EG031)
2014 : Guy Cabay, Wah-Wah Samba
[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Igloo Records | remerciements à Jean-Pol Schroeder