[RTBF.BE, 8 mai 2018] Marie-Thérèse Dinant (73 ans), Simone Leclere (82 ans), et Germaine Meunier (90 ans) vivent encore à deux pas du lavoir de la Petite Chairière, à Vresse-sur-Semois. Elles y ont toutes trois fait leur lessive jusque dans les années 60. De leur maison, elles amènent alors le linge en brouette jusqu’à cette cabane de pierres. “C’est la fontaine du village en fait,explique Marie-Thérèse, avec un abreuvoir extérieur où les gens venaient faire boire leurs bêtes, et d’où l’eau coule ensuite vers le lavoir, à l’intérieur.” C’est une petite pièce, avec trois bacs en pierre qui se suivent dans la longueur : un bac de lavage, et deux bacs de rinçage… Il n’y a pas de porte, encore moins de chauffage, c’est plutôt spartiate.
“En hiver, il fallait amener de l’eau chaude pour les mains, parce que l’eau était glacée, se souvient Simone en nous montrant ses mains usées, et parfois il gelait quand on pendait le linge, alors il était tout dur quand on allait le chercher.” Marie-Thérèse et Simone sont encore capables de reproduire les gestes qu’elles faisaient autrefois. “On se mettait à genoux, ici, le long du bac, sur une planche en bois pour que ce soit un petit peu plus confortable. On lavait le linge, puis on le mettait dans le bac de rinçage. On plaçait un drap dans le fond du bac pour ne pas ramasser les saletés, et on rinçait à grande eau. Ensuite, il fallait tordre tout ça. Si c’était un grand drap, on s’y mettait à deux.“
Un vrai lieu de vie
Mais, à l’époque, on ne lave pas tout le linge au lavoir. Le blanc est d’abord passé dans une lessiveuse à champignon, l’ancêtre de nos machines à laver. Les parents de Marie-Thérèse Dinant en ont reçu une en cadeau de mariage, au début des années 40. Elle la décrit comme une bassine en tôle, avec une cheminée en son centre, coiffée d’une sorte de champignon troué, comme sur un arrosoir. “Dans le fond, on mettait de l’eau et du savon, puis on mettait le linge autour du cylindre, et on faisait chauffer. En chauffant, l’eau montait dans le tuyau, sortait par le champignon et arrosait tout le linge. On mettait ça sur le feu une bonne heure. Ensuite, on amenait la bassine au lavoir pour le rinçage. On savonnait les tâches qui restaient avec une brosse à chiendent, puis on jetait le linge dans le bac de rinçage.“
La tâche était ardue mais Germaine Meunier, la doyenne de 90 ans, garde un bon souvenir de ce temps-là : “C’était gai d’aller à la fontaine, parce qu’il y avait d’autres personnes, on se parlait, on se donnait des nouvelles. Je me souviens de Suzanne, elle prenait toujours la meilleure place !“C’est un vrai lieu de vie en somme, un endroit de rencontre au centre du village, presqu’exclusivement réservé aux femmes. D’après Marie-Thérèse Dinant, les hommes ne venaient presque jamais, si ce n’est pour conduire la brouette pleine de linge. “Ils avaient leur travail, aux champs, à la ferme. Mais je ne sais pas si les femmes auraient aimé que les hommes viennent, c’était leur quartier !“
Du bleu pour du linge plus blanc
Les femmes avaient sans doute leurs secrets… Et elles avaient aussi leurs trucs, leurs techniques pour un linge impeccable : ajouter des petites boules de bleu indigo ou étaler le linge dans l’herbe, sur la rosée du matin. Enfin, dans les années 50, Marie-Thérèse et sa mère connaissent leur première machine électrique mais c’est toujours assez basique. “C’était une machine en bois, avec un mouvement de rotation. Il fallait ajouter de l’eau chaude et du savon, on laissait tourner une heure puis on enlevait le linge et on le rinçait au lavoir comme pour la lessiveuse.“
Pour le rinçage et l’essorage, les dames de Vresse-sur-Semois devront attendre les années 60. Elles bénéficieront alors enfin de l’assistance des machines à laver automatiques venues d’Allemagne ou des Etats-Unis. Jusque là, il fallait une journée entière uniquement pour faire la lessive, sans compter le repassage. Autant dire que ça a changé leur vie. “Maman me disait : ‘J’embrasserais bien ma machine’. C’était un soulagement, et puis, ensuite, avec l’aspirateur, le mixeur, etc. Ça a vraiment libéré la femme !” Ca n’empêche pas Germaine Meunier d’être nostalgique : “Je regrette cette période-là, oui, parce que maintenant, je suis seule avec ma machine !” C’est à peine si elle n’envie pas leurs grands-mères qui, elles, lavaient encore directement leur linge dans la Semois…
Autrefois, faire la lessive se disait faire la buée ou faire la bue, termes à l’origine de l’étymologie de buanderie et de buerie. Dès le XIIe siècle, la lessive du gros linge s’effectue une fois l’an, après les fêtes de Pâques. Puis, les lessives sont devenues plus fréquentes. Au début du XIXe siècle, on parle des grandes lessives ou grandes buées qui s’effectuaient au printemps et à l’automne. Après un long et dur travail de préparation et de coulées du linge dans les buanderies, le linge était rincé au lavoir.
Les grandes lessives d’autrefois s’effectuaient généralement aux époques où il y avait peu de travaux aux champs. Au XIXe siècle, les lessives prenaient plusieurs formes :
les grandes lessives ou grandes buées (bugado du celte bugat, lessive) étaient des opérations d’envergure, qui avaient lieu une fois à l’automne et une fois au printemps. On comprend pourquoi les trousseaux de l’époque était aussi volumineux. Dans les familles aisées, une grande buée pouvait compter, en moyenne, 70 draps, autant de chemises, et des dizaines de torchons et de mouchoirs. C’était l’occasion de s’entraider entre voisines ;
les petites lessives ou petites buées avaient lieu une fois par semaine, généralement le lundi, pour des petites quantités de linge, essentiellement des vêtements. Le linge était lavé chez soi puis on venait le rincer au lavoir.
Les familles plus aisées faisaient appel aux lavandières, des laveuses professionnelles, qui allaient au lavoir tous les jours. En fonction du volume de linge à laver, les grandes buées duraient plusieurs jours, généralement trois appelés Purgatoire, Enfer et Paradis :
au premier jour, nommé Purgatoire, avait lieu le triage puis le trempage. Dans un cuvier, on disposait le linge en couches. Une fois rempli, le cuvier était rempli d’eau froide. Le linge y trempait toute la nuit pour éliminer un maximum de crasse ;
le deuxième jour, nommé Enfer, on vidait l’eau de trempage, puis on procédait au coulage en arrosant régulièrement le cuvier avec de l’eau de plus en plus chaude, puis bouillante, parfois parfumée avec des plantes aromatiques (lavande, thym, ortie, laurier selon les régions), l’eau s’écoulant par la bonde au fond du cuvier. Ce jour était appelé l’Enfer à cause des vapeurs qui se dégageaient du linge bouilli une bonne demi-journée et touillé de temps à autre à l’aide d’un grand pieu solide ;
le troisième jour, nommé Paradis, le linge refroidi était conduit au lavoir pour y être battu (le battoir permettait d’extraire le maximum d’eau de lessive), rincé et essoré. Quand ce travail était terminé, le linge était alors ramené au foyer pour y être séché. Le linge retrouvait sa pureté originelle, d’où le nom de Paradis donné à cette journée.
Ces grandes lessives d’autrefois donnaient lieu à de grandes fêtes, avec repas festifs, souvent préparés par les grands-mères…
Pour en savoir plus (e.a. les techniques de lavage), visitez espritdepays.com
L’un des traits principaux de ces dissertations était une mélancolie chérie et caressée ; un autre, un jaillissement opulent et excessif de “beau langage” ; un autre, la tendance à empiler à tire-larigot des mots et des phrases particulièrement prisés jusqu’à ce qu’ils soient usés jusqu’à la corde […] On peut remarquer, en passant, que l’on trouvait là la moyenne habituelle de dissertation, dans lesquelles le mot “enchanteur” est exagérément caressé et l’expérience humaine décrite comme “une page de la vie”…
Voilà le décor tel que posé par Mark Twain dans Les aventures de Tom Sawyer (1876), lorsqu’il décrit le terrible soir de l’Examen, au cours duquel les enfants du village doivent, les uns après les autres, se lever, venir à l’avant de la scène sous le regard d’avance mécontent du Maître et réciter quelques poèmes ou dissertations dont l’originalité littéraire n’est pas le plus grand atout. En quelques traits limpides, Twain montre la vanité de l’exercice et règle son compte à l’usage répété des clichés littéraires. C’est également la préoccupation principale d’Hervé Laroche, comme il l’explique dans l’introduction de son jubilatoire Dictionnaire des clichés littéraires, que nous avons reproduite ci-après…
Vingt ans après…
Vingt ans après sa première parution, ce dictionnaire a été augmenté d’une petite centaine d’entrées. Les entrées déjà existantes ont été revues et parfois étendues. Mais, le lecteur doit s’ en douter, les clichés ne se renouvellent pas à la même vitesse que le vocabulaire des adolescents. Par essence, le cliché dure ; il est une forme de la permanence littéraire. Il s’agit donc plus d’un approfondissement que d’un renouvellement.
Certes, il y a bien quelques tendances qu’on peut se risquer à pointer. Les téléphones ont largement accédé au vrombissement qui était auparavant l’apanage des autos. Après les nécessaires épreuves qu’impose la vie dans un roman, le personnage cherche aujourd’hui à se reconstruire. C’est sans doute dans le registre de l’imprécis délibéré que le cliché connaît sa plus nette extension. Si l’imperceptible, l’indicible, l’indéfinissable sont depuis longtemps des incontournables du cliché, ils reçoivent aujourd’hui le renfort du vague, de l’approximatif et de l’improbable. De l’indéfinissable au vague, il y a sans doute un glissement : le flou prend peut-être le pas sur l’inaccessible (qui, rassurons-nous, se porte toujours bien). On peut se risquer à voir là l’expression d’une époque qu’on nous dit être en manque de repères, ou quelque chose de cet ordre.
Mais le constat le plus évident, c’est que, vingt ans après, on avance toujours comme un automate, alors qu’il n’y a plus d’automate depuis longtemps et qu’aujourd’hui les robots dansent bien mieux que moi (il faut avouer que ce n’est pas difficile). On s’emmitoufle toujours dans de vieux plaids, on noircit toujours des carnets ou des cahiers. On gravit toujours les escaliers au lieu de les monter et on les dévale au lieu de les descendre. On s’appuie toujours contre les chambranles des portes dans des moments difficiles. Ça palpite toujours énormément, et les songes restent préférables aux simples rêves.
Certains clichés s’épuisent doucement. L’entropie littéraire est implacable, quoique lente. Ils ont évolué vers leur forme figée et peinent désormais à nimber le texte d’une ineffable aura poétique. Sans doute d’autres ont-ils tout simplement disparu. Je ne me suis pas soucié d’en faire l’inventaire, rebuté par ce travail d’entomologiste.
Et puis, pour une large part, cela a été fait dans un ouvrage phénoménal auquel je tiens à rendre un hommage appuyé. Cet ouvrage n’existait pas lors de la première édition de ce dictionnaire, ou du moins l’encre n’en avait-il pas encore séché. Il s’agit du Dictionnaire des cooccurrences de Jacques Beauchesne, paru en 2001 chez Guérin, et étendu ensuite par les filles de l’auteur, après sa disparition prématurée en 2009. L’entreprise de Jacques Beauchesne peut être comprise comme une tentative de noyer le cliché dans la langue, tout comme on peut noyer le poisson (chose en principe impossible, mais pourtant accomplie quotidiennement par des millions de gens). Le Dictionnaire des cooccurrences comprend environ 5000 entrées, toujours des substantifs. À chaque substantif sont associées une liste d’adjectifs et une liste de verbes. Prenons par exemple effroi, puisque c’est le sentiment qui m’a saisi lorsque j’ai découvert le Dictionnaire des cooccurrences (et aussi parce que cette entrée est relativement brève) :
Cliché : biaisé, classique, commode, dépassé, éculé, en vogue, facile, habituel, inusable, outré, persistant, raciste, réducteur, répandu, ressassé, sexiste, simpliste, tenace, usé, vieux. Employer, emprunter, éviter, sortir, véhiculer un/des -(s) (+ adj.) ; avoir recours, recourir à un/des -(s) ; abuser, sortir un/des -(s) ; accumuler, combattre, éviter les -(s) ; tomber dans les -(s).
Les voilà donc, les clichés, dissimulés dans les plis de ce Dictionnaire des cooccurrences, ayant reçu leurs papiers légaux leur conférant la qualité fort sérieuse de cooccurrence apparemment inoffensifs. Voire utiles. Car le Dictionnaire des cooccurrences est une entreprise dépourvue de la moindre ironie : il s’agit d’offrir à tout écrivant un outil permettant de ne pas chercher ses mots ou, plus exactement, de les trouver rapidement et efficacement. L’auteur en a d’ailleurs réalisé une version simplifiée pour les enfants et les écoles. Outil modeste, outil besogneux, d’une ambition folle/généreuse/immense/ manifeste/ tenace, d’un sérieux absolu/imperturbable/inébranlable, il a le charme des entrepreneurs ou aventuriers qui ne doutent de rien sans pour autant être sûrs de tout. Je le recommande chaleureusement, quoique son prix conséquent ne le mette pas facilement à la portée de l’ écrivain désargenté.
Malheureusement (ou heureusement pour moi), si ce Dictionnaire des cooccurrences constitue indéniablement une solide base de travail, indispensable pour se mettre le pied à l’étrier du cliché, il a ses limites. Tout d’abord, il procède à partir des substantifs, confinant les adjectifs et les verbes dans un rôle de comparse, et négligeant les adverbes, pourtant si précieux. Ensuite et surtout, du fait de son principe même, qui est de fournir des associations nom-adjectif et nom-verbe, les clichés sont livrés démontés, en kit. On voit tout le travail qui attend un auteur pour composer des ensembles plus longs et plus élaborés, ne serait-ce que pour arriver à des choses aussi simples que Plongé dans un abîme de tristesse ou Les gouttes de pluie tambourinaient sur les vitres dans un bruit d’enfer. On mesure les efforts nécessaires pour produire un bijou comme :
Pas une nuit où je ne me réveille en sursaut, trempé, suffoquant, avec le cœur qui tremble et déraille comme une chaîne de vélo.
Cette seconde édition trouve là sa raison d’être (en dehors de la vanité de l’auteur). Poussé dans mes retranchements par cette redoutable machine à fabriquer du cliché ordinaire, j’ai pensé qu’il fallait, désormais, encourager l’audace et la créativité. Cependant, la créativité en matière de cliché est une affaire délicate : par définition, un cliché n’est pas créatif, et si une formulation est créative, ce n’est pas un cliché. Ce qui peut être créatif, ce sont des assemblages inédits de clichés, des associations surprenantes, des accumulations paroxystiques, comme : La chape de plomb qui irradiait de lui jusque-là avait perdu de son pouvoir nocif.
EAN 9782363083135
Dans les entrées du dictionnaire, ces exemples nouveaux sont annoncés par un “Plus audacieux” ou équivalent. Ils sont évidemment tous authentiques, à quelques minimes modifications près. Il s’agit toujours de livres publiés chez des éditeurs reconnus et presque tous sont tirés de livres ayant connu un grand succès, souvent primés ou distingués. Les autres exemples, s’ils sont bien entendu inspirés par des lectures accumulées, sont en revanche le plus souvent de mon cru.
De plus, pour permettre aux lecteurs qui le désirent de tester leurs capacités en tentant d’imiter les auteurs virtuoses, un exercice spécifique a été ajouté. Comme il ne faut pas se dissimuler la difficulté d’une telle ambition, deux exercices plus simples sont également proposés. Les trois exercices, dont la difficulté croissante est soigneusement étalonnée, forment un ensemble qui ajoute une dimension ludique au projet pédagogique qui fonde cet ouvrage : donner à tout auteur, débutant ou confirmé, les ressources nécessaires pour former de beaux clichés, ceux qui ravissent les éditeurs, les critiques et les lecteurs.
[LEMONDE.FR, 10 février 2017] Le musée new-yorkais autorise le téléchargement [gratuit] en haute définition des photos d’une partie de ses collections. Certes, il ne s’agit que d’une partie du million et demi de pièces conservées par le Metropolitain Museum of Art – seul musée américain à pouvoir soutenir la comparaison avec le Louvre. D’abord, parce que toutes n’ont pas encore été numérisées – elles peuvent l’être à la demande, mais alors il faut payer les frais. Ensuite, parce que les plus récentes ne sont pas encore tombées dans le domaine public – l’institution new-yorkaise couvre tous les champs de l’histoire de l’art, jusqu’aux contemporains.
Mais les autres, celles dont l’auteur est décédé depuis plus de soixante-dix ans, ou celles dont le musée possède le copyright, sont désormais téléchargeables en haute définition et utilisables à l’envi. Il est donc possible d’imprimer un tee-shirt à l’effigie de Joséphine-Eléonore-Marie-Pauline de Galard de Brassac de Béarn, princesse de Broglie (une merveille peinte par Ingres vers 1851), mais aussi de la projeter lors d’une leçon ou d’une conférence, ou de la reproduire dans un livre d’histoire de l’art, sans encourir la venue des huissiers.
Bien sûr, le Met n’est pas le premier musée à s’ouvrir ainsi. Comme le rappelle le New York Times, qui a relayé l’information, la National Gallery de Washington ou le Rijksmuseum d’Amsterdam l’ont précédé, mais à une échelle bien moindre : 45 000 images pour la première, 150 000 pour le second. Le communiqué du Met précise que ces photographies peuvent être téléchargées sans requérir une autorisation préalable pour n’importe quel usage, qu’il soit commercial ou non. Mais c’est évidemment cette dernière option, celle qui permet notamment une destination éducative, qui a présidé à ce choix.
La chose ne surprendra que ceux qui méconnaissent à quel point les musées anglo-saxons, et même les institutions privées comme le Met, portent haut leur rôle d’éducation du public. Comme l’a relevé le site de La Tribune de l’art, son directeur, Thomas Campbell, l’a souligné : “La mission principale du musée est d’être ouvert et accessible à tous ceux qui souhaitent étudier et apprécier les œuvres d’art dont il a la charge. Améliorer l’accès à la collection du musée répond aux intérêts et aux besoins de notre public du XXIe siècle en offrant de nouvelles ressources à la créativité, aux connaissances et aux idées…”
Et La Tribune de l’art de comparer cette belle déclaration d’intention avec les conditions imposées par les musées français, et notamment ceux de la Ville de Paris, qui ne sont clairement ni à leur honneur ni à l’avantage commun.
La Fondation Thalie présente le travail de l’artiste française Eva JOSPIN (née en 1975) pour la première fois à Bruxelles du 15 avril au 23 septembre 2023. L’exposition Panorama propose une déambulation poétique à travers son œuvre sculpturale, une invitation à la rêverie aux accents rousseauistes entre fragments de paysages et éléments d’architecture fantaisistes. Entre les mains adroites de l’artiste s’unissent en effet les ouvrages de l’homme et de la nature, depuis le Balcon dont les ferronneries ouvragées ont revêtu un habit de lianes finement découpées jusqu’à la Grotte de carton qui convoque conjointement l’imaginaire de la folie architecturale et celui des jardins paysagés du XVIIIe siècle.
Inspiré par les fontaines monumentales de la Rome antique qui devinrent à la Renaissance des ornements en vogue au sein des parcs et jardins, le théâtre de rocaille d’un Nymphée de plus de trois mètres de long trône en majesté au cœur de l’exposition, révélant toute la maestria de l’artiste. Le regard y chemine à travers les strates d’un paysage à échelle réduite, auquel le carton sculpté – son matériau de prédilection – donne l’aspect de la roche.
Propices aux échappées mentales et au vagabondage de l’imagination, les forêts qui ont fait la renommée d’Eva Jospin tiennent également une place importante dans le parcours, déclinées en de multiples médiums et formats. Tissées de fils de soie, comme dans les broderies sylvestres qui ornent l’espace bibliothèque, elles témoignent du talent de coloriste de l’artiste. Ciselées en bas-relief dans le carton, elles imposent à la sculpture une minutie et un souci du détail plutôt propre au dessin, qui sert d’ailleurs de matrice à l’ensemble des recherches plastiques d’Eva Jospin.
Alors que notre époque est celle d’une crise sans précédent du vivant, ces œuvres vides de présence humaine et pourtant pleines de récits, dans lesquelles la nature se révèle autre et autrement, nous engagent à réenchanter notre rapport au monde. Silencieux et sensibles, ces décors composites, où se côtoient le végétal, le minéral et le bâti, invitent à la méditation, au rêve, et à prendre le temps, salutaire, de la contemplation.
Diplômée de l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Eva Jospin (1975, Paris) compose depuis une quinzaine d’années des paysages forestiers et architecturaux qu’elle développe dans différents médiums. Lauréate du Prix de l’Académie des Beaux-Arts en 2015 et pensionnaire de la Villa Médicis à Rome en 2017, elle a bénéficié de nombreuses expositions d’envergure internationale, notamment au Palais de Tokyo (Inside, 2014), au Palazzo Dei Diamanti à Ferrare en 2018, au Museum Pfalzgalerie à Kaiserslautern en 2019, à la Hayward Gallery en 2020, au Het Noordbrabants Museum à Den Bosch (Paper Tales, 2021) et plus récemment au Musée de la Chasse et de la Nature à Paris pour une exposition carte blanche au sein des collections permanentes (Galleria, 2021). L’artiste dévoile par ailleurs plusieurs installations monumentales et immersives dans le cadre de commandes spécifiques au centre de la cour carrée du Louvre (Panorama, 2016), à l’abbaye de Montmajour (Cénotaphe, 2020), signe la création d’un incroyable ensemble de panneaux brodés pour le défilé haute couture de la Maison Dior en 2021, Chambre de Soie, puis réalise, à nouveau pour la Maison Dior, le décor monumental du défilé prêt-à-porter printemps-été 2023 (Nymphées, 2022).
Eva Jospin créé également des œuvres pérennes telle que l’installation Folie, au Domaine de Chaumont-sur-Loire inaugurée en 2015, La Traversée à Beaupassage en 2018, Paris et Le Passage à Nantes en 2019. En 2022, Eva Jospin inaugure Microclima, une nouvelle installation pérenne imaginée comme un jardin d’hiver au sein du magasin Max Mara Piazza del Liberty à Milan.
Grâce au travail acharné de plusieurs historiens de l’art, le public belge connaît et reconnaît aujourd’hui le talent d’Anna Boch. Récemment, le musée Ianchelevici (La Louvière) a fait preuve d’une belle prise de position en mettant en relief l’artiste Cécile Douard, peintre à la vie aussi fascinante que sa peinture. À Ypres, c’est l’œuvre de Louise De Hem qui est l’objet d’une attention particulière depuis plusieurs années. Ces personnalités féminines ne sont pas des cas isolés. Terre de croisements, la Belgique accueille des artistes de talent, hommes et femmes, tout au long de l’époque contemporaine. Petit pays à l’échelle de l’Europe, le territoire correspond sur le plan artistique à un vaste champ d’investigation encore largement en friche.
Proposer une exposition sur les femmes artistes de la Belle Époque constitue un solide coup de pouce pour la mise en chantier de nouvelles recherches subsidiées. L’occasion est donnée de voir des œuvres largement méconnues, rarement montrées, et de révéler des créatrices pour la plupart oubliées au-delà de leur localité d’origine. En 1999, un événement remarquable orchestré par le musée des Beaux-Arts d’Anvers et le musée d’Art moderne d’Arnhem avait déjà créé une impulsion en ce sens.
S’il ne date pas d’hier, l’intérêt sérieux pour la participation des femmes au secteur des arts plastiques reste un phénomène relativement récent : c’est principalement à partir des années 1970 que la recherche féministe a révélé l’existence d’une contribution féminine significative dans ce secteur, et ce, dès les temps anciens. Des études approfondies ont mis en relief de nombreuses personnalités engagées – peintres, sculptrices, architectes, illustratrices, photographes, cinéastes ou encore collectionneuses – auxquelles des monographies, des expositions et des romans sont aujourd’hui consacrés. En toute logique, les chercheuses américaines et anglaises, pionnières dans le domaine des Gender Studies, se sont d’abord intéressées au milieu des avant-gardes, mais aussi aux artistes anglo-saxonnes. Centre névralgique des arts à l’époque moderne, la France a très tôt fait l’objet de multiples essais ; pensons aux études et aux événements consacrés à Camille Claudel, à Séraphine ou à Sonia Delaunay. Dernièrement, deux personnalités qui font la jonction entre l’Allemagne et la France ont été remises en lumière auprès du public francophone : Paula Modersson-Becker, d’une part, et Charlotte Salomon, d’autre part. Ce fait est à saluer car, même en histoire de l’art, le poids de la découpe du monde en États-nations continue à peser sur la recherche, notamment pour des critères d’octroi de subsides. Les artistes, hommes et femmes, ont pourtant l’âme vagabonde…
Entre les deux mon cœur balance
Femme ou artiste ?
Très courante au XIXe siècle, l’expression “femme artiste” – “woman artist” en anglais – évoque l’image d’une balance à fléau en oscillation permanente, incapable de trouver son point d’équilibre. La formule définit un profil identitaire double et conflictuel : a priori, une femme artiste n’est ni tout à fait femme, ni tout à fait artiste. Les critiques d’art et les écrivains expriment volontiers l’impossibilité d’une relation harmonieuse entre ces deux états. Et pour cause, suivant la vision romantique qui prévaut alors, l’artiste représente l’intellect, la puissance créatrice, la singularité, l’esprit d’invention, la force. La femme évoque des principes bien différents, et même antagonistes, tels que les instincts, la procréation, la grâce, la délicatesse ; son corps la modèle comme réceptacle.
Dire d’une artiste qu’elle est bien “féminine” constitue un lieu commun du discours. Derrière cette observation se profile l’idée rassurante que l’intéressée respecte le cadre de pensée réservé aux femmes. À la fin du XIXe
siècle, certains auteurs annoncent l’avènement d’un champ d’action spécifique, “l’art féminin” dans lequel les femmes pourraient œuvrer sans concurrencer leurs confrères et développer leur sensibilité. Aujourd’hui, dans un autre ordre d’idées, la question de savoir s’il existe une façon d’aborder la création artistique avec un regard spécifiquement féminin suscite fréquemment le débat. Pour certains, “l’art n’a pas de sexe” ; pour d’autres, toute production artistique se ressent nécessairement du sexe de son auteur.
Au XIXe siècle, dire d’une peintre qu’”elle peint comme un homme” équivaut à reconnaître qu’elle travaille de manière aussi efficace que ses confrères et sur le même terrain. Cet éloge concédé à grand-peine n’engage finalement pas à grand-chose et s’accompagne régulièrement de considérations douteuses. Perçues avec méfiance, celles qui peignent avec talent se retrouvent suspectées de tous les vices – usurpatrices, hommasses, traînées ou inverties. D’aucuns estiment même que trop de pratique artistique nuirait à leur mission naturelle, celle de donner la vie. Ainsi, en 1903, un journaliste du Soir met en garde les femmes qui font de l’art leur profession : le décès d’une sculptrice bruxelloise récemment accouchée s’expliquerait par un excès d’énergie consacrée à l’étude et à la création, au détriment de la force nécessaire à la maternité. De plus en plus affirmées et nombreuses à la Belle Époque, les femmes cultivées qui se manifestent dans l’espace public suscitent l’imaginaire le plus débordant.
Amateurisme ou professionnalisme ?
D’autres expressions, telles que “dame artiste” ou “peintresse”, apparaissent régulièrement sous la plume des critiques et chroniqueurs de l’époque. Elles permettent une fois encore de rassembler toutes les artistes, de les réunir pour dessiner un ensemble cohérent. Cette façon de les présenter voile une grande diversité de situations professionnelles originales.
Au sens strict, une “dame artiste” est une mondaine qui s’adonne à la peinture et au dessin avec un certain savoir-faire, mais sans prétention artistique. Ses connaissances reflètent le raffinement de son éducation et traduisent son statut privilégié. Son sens esthétique ajoute à son charme, pour autant qu’elle reste à l’écart de toute ambition personnelle. À la Belle Époque, le profil presque caricatural de la “dame artiste” nuit à l’ensemble de la communauté féminine qui participe aux Salons : coiffées du statut de “dame”, les artistes perdent de leur crédibilité car elles se retrouvent assimilées à des amatrices mettant leur pinceau au service de bonnes œuvres.
La jeune Anna Boch fait partie des demoiselles encouragées dès l’enfance à développer une sensibilité picturale qui sied à son rang social. À l’âge adulte, elle sort du schéma attendu en manifestant le souhait de devenir une
peintre à part entière. Plusieurs de ses consœurs belges effectuent le même parcours, en dépit des dissensions qui s’en suivent avec leur famille. En son temps, Émile Claus met en garde les parents d’Yvonne Serruys (épouse de Pierre Mille) : si la jeune fille bénéficie de leçons de haut niveau, elle deviendra peintre. C’est finalement la sculpture qui aura sa préférence et qui la conduira à Paris. Les codes de bienséance respectés par la haute bourgeoisie sont contraignants, ils le sont plus encore au sein de la noblesse. Alix d’Anethan quitte elle aussi la Belgique pour la France et y travaille régulièrement la fresque. Cette amie intime de Pierre Puvis de Chavannes n’hésite pas à aller à l’encontre du devoir de réserve demandé à une baronne.
Issu de l’ancien français, le terme “peintresse” apparaît de manière péjorative sous la plume de certains critiques de la Belle Époque, dont Émile Verhaeren et Edmond Picard, chevilles ouvrières de la revue L’Art moderne. En septembre 1884, durant deux semaines consécutives, la une de ce journal est consacrée aux “peintresses belges” qui prennent part au Salon de Bruxelles. Edmond Picard avance masqué, sous le couvert de l’anonymat, pour critiquer ces femmes qui sortent de leur rang et prétendent au professionnalisme. Les partis pris sexistes qu’il développe peuvent surprendre de la part d’un acteur de l’avant-garde ; un esprit éveillé ne l’est cependant pas sur tous les fronts. Le propos incendiaire de l’avocat, véritable plaidoirie pour le maintien des femmes dans la sphère privée, suscite un tollé général du côté des intéressées, qui adressent de nombreuses lettres à la rédaction. Picard s’en prend précisément aux femmes qui exposent dans les Salons officiels. Dans le même temps, il lui arrive ponctuellement d’encourager des femmes qui participent au réseau des avant-gardes.
Au XIXe siècle, ainsi que les sociologues de l’art l’ont bien montré, la concurrence est rude dans le milieu des artistes. Leur nombre va croissant au fil des décennies alors que la protection sociale est quasiment nulle. Intégrer le circuit des Salons ne nécessite pas d’être en possession d’un diplôme en arts. La disparition du système corporatif entraîne l’arrivée de gens de tous horizons dans le circuit des expositions, et parmi eux des femmes qui ne viennent pas forcément de familles d’artistes. Libres d’exposer, elles ne sont pas pour la cause prises au sérieux mais plutôt présentées comme des concurrentes dangereuses, dont la présence décrédibilise le milieu des arts. Beaucoup d’artistes femmes persévèrent. Marie Collart (épouse du lieutenant-colonel Henrotin) vend régulièrement et attire des collectionneurs et des marchands internationaux. Son fils rapporte cependant qu’elle pratique des prix trop bas et lui demande de conserver ses œuvres plutôt que de les laisser partir ainsi. À cela, elle répond simplement que “tout acquéreur devient un défendeur.“
Mariage ou célibat ?
Pierre angulaire dans la vie des femmes de ce temps, le mariage interfère avec la pratique professionnelle. Cette étape signe très souvent l’arrêt total de la participation au circuit de l’art et, au-delà, l’arrêt de toute production. Les maris qui ont une ouverture d’esprit suffisante pour encourager leur compagne restent très rares. Dans les dynasties d’artistes, la nécessité fait loi et les femmes qui peuvent contribuer à l’entreprise familiale sont plus facilement prises en considération. À Liège, la famille Van Marcke parvient à se faire un nom grâce à un large éventail de services : portraits photographiques, paysages pittoresques, peintures décoratives, peintures sur porcelaine et natures mortes. Julie Palmyre Robert, venue de Paris, joue un rôle pivot et contribue largement aux succès de l’entreprise ; veuve du peintre Jules Van Marcke, elle épouse ensuite le photographe Joseph Van Marcke, peut-être pour garantir la cohésion de la cellule familiale.
Le culte romantique du génie inspiré supporte mal la concurrence et la répartition des tâches entre deux têtes pensantes. Les couples de créateurs tels que Juliette Trullemans et Rodolphe Wytsman ou Hélène du Ménil et Isidore De Rudder restent des figures atypiques. Durant la fin-de-siècle, un nombre significatif de femmes artistes belges très douées évoluent à l’ombre d’un homme de lettres, acteur de la modernité. Ces femmes bénéficient d’un train de vie élevé grâce à leurs époux et jouissent d’une liberté de mouvement plus grande que la plupart de leurs consœurs. Leur attitude contribue à la réussite sociale de leur mari et à sa reconnaissance dans les milieux mondains. Leur travail personnel est respecté et même salué, mais rarement montré au-delà du cercle amical ; il reste donc méconnu et sous-évalué.
Pour une femme peintre aspirant au professionnalisme, ne pas se marier revient à laisser “l’artiste” prendre le dessus sur “la femme”. Ce choix doit être mûrement réfléchi car le mariage est gage d’une certaine sécurité financière et permet aussi de protéger sa réputation morale. Une peintre célibataire se verra facilement suspectée de mener une vie libre et inconvenante ; elle devra lutter sans cesse pour se construire une image de sérieux et de droiture. Lorsqu’elle reçoit la Légion d’honneur, Euphrosine Beernaert évoque les sacrifices qu’elle a choisi de faire pour poursuivre une carrière. Beaucoup de ses consœurs font une croix sur leur vie affective pour pouvoir vivre leur vocation. Certaines aussi vivent une relation amoureuse dans le plus grand secret. Jenny Montigny fait partie de celles-là.
Le monde à portée de main
Par monts et par vaux
Moins libres de leurs mouvements que leurs confrères, les femmes artistes qui ont l’occasion de circuler et de voir du pays ne sont pas rares pour autant. Et, par chance, leurs déplacements laissent de multiples traces dans les archives. Des documents et mentions parfois très ténues témoignent de réalités diversifiées – excursions, visites de musées, voyages d’étude, longs périples et exils – qui nourrissent le travail. Porter le regard bien au-delà de la sphère privée apparaît indispensable pour progresser et pratiquer son art.
Cette forme d’émancipation se révèle d’autant plus nécessaire que la peinture de ce temps se donne pour principe de “coller au réel”. En d’autres termes, si une peintre représente la mer, le désert ou les ondulations d’un corps, cela signifie qu’elle les a vus de ses yeux et a eu le loisir de les étudier sous tous les angles.
Des artistes venues des quatre coins de la Belgique cherchent ainsi à voir et à savoir. Elles se déplacent à l’étranger, notamment pour y présenter leurs réalisations ou pour y parfaire leur formation. Paris coûte cher et se vit à différents rythmes suivant les moyens financiers. En partance pour un court séjour, Cécile Douard note les impressions éprouvées sur le quai de la gare : “Combien je me sentais indépendante et grande fille ce matin-là !“17. Louise De Hem se rend à l’académie Julian, chaperonnée par sa mère, afin de suivre un cours d’après modèle réservé aux demoiselles et fréquenté par un public cosmopolite. Louise Héger est logée par une famille amie pour pouvoir peindre dans l’atelier féminin d’Alfred Stevens, où se retrouve une petite troupe de talents belges – Alix d’Anethan, Georgette Meunier, Berthe Art en font partie.
À l’inverse, des peintres européennes visitent régulièrement le territoire belge et y envoient leurs œuvres. Un registre de cartes d’étude conservé aux musées royaux des Beaux-Arts de Belgique permet d’épingler les noms d’artistes belges et étrangères qui viennent y copier des toiles de maîtres. Les Salons de la capitale attirent quelques fois des exposantes renommées. À la fin du siècle, le groupe des XX présente des créations signées Mary Cassatt, Louise Breslau ou encore Berthe Morisot. Plusieurs artistes venues de pays limitrophes se fixent pour un temps à Bruxelles et participent de manière remarquée à la vie artistique locale. Active à la moitié du XIXe siècle, la peintre allemande Frédérique O’Connell, née Miethe, s’y fait une solide réputation avant de monter à Paris. Le tout Bruxelles s’arrache ses portraits et commente ses soirées spirites ! Sa manière d’être étonne et dérange, tout comme les audaces de la peintre française Joséphine Rochette (épouse de Luigi Calamatta), elle aussi installée à Bruxelles avec son époux quelques temps plus tôt.
Joséphine Rochette fait partie des femmes qui ont l’occasion de séjourner longuement en Italie, terre d’art et d’histoire considérée comme une destination phare pour les peintres et les sculpteurs. En phase avec l’esprit académique, cette fille d’archéologue y étudie les modèles antiques et renaissants. Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, le regard porté sur l’Italie par les artistes connaît une profonde mutation. Ceux et celles qui se rendent sur place s’intéressent surtout à l’étude de la lumière et des paysages ou encore à la vie populaire. Voyageuses aguerries, Anna Boch, Louise Héger et Juliette Trullemans se mettent principalement en quête de paysages. Beaucoup d’autres contrées retiennent les artistes de ce temps, mais cerner l’incidence de ces voyages sur leurs créations reste souvent difficile faute de témoignages précis.
Si loin, si proche
La nécessité intérieure de sortir du cadre est peut-être le point commun de toutes ces femmes aux expériences de vie très différentes. Celles qui choisissent de se spécialiser dans le domaine du paysage – genre très coté au tournant du siècle – n’expriment-elles pas de manière éloquente ce besoin intense de respiration et de prise de distance pour se retrouver ? Leur soif d’indépendance n’échappe pas au public de l’époque ni à leur entourage. Comment une “dame” peut-elle sortir par tous les temps, tremper les pieds et le bas de sa robe dans la boue ? Surtout, comment peut-elle se retrouver isolée sur des chemins de traverse, aux prises avec l’inconnu ?
Surveillées tant qu’elles sont en âge de se marier, les paysagistes circulent rarement seules. Louise Héger organise ses sorties en fonction des disponibilités de ses contacts, proches ou lointains ; elle joue les demoiselles de compagnie, un rôle qui lui impose de longs moments loin de ses pinceaux mais qui lui ouvre aussi des destinations rêvées. Parmi les nombreuses paysagistes encore à redécouvrir, Marguerite Verboeckhoven livre de fines notations symbolistes de bords de mer, œuvres qui nécessitent certainement de longues heures de travail en plein air, parfois même en nocturne.
Porter le regard au loin n’est pas la seule manière d’augmenter l’étendue de son champ de vision. Au XIXe siècle, la pudeur impose aux femmes des classes aisées d’ignorer les réalités de leur propre corps, bridé et corseté. Certaines se risquent sans doute à observer en secret leur nudité, d’autres luttent ouvertement pour accéder à l’étude du modèle dévêtu. L’enjeu est de taille à une époque où la peinture narrative se fonde sur une connaissance approfondie de l’anatomie. Pour mémoire, les étudiants masculins passent des heures à travailler d’après le nu en académie. L’idée qu’une jeune fille puisse faire de même en effarouche plus d’un, car toucher au corps revient à ouvrir le champ infini du désir : les témoignages relatifs à la liberté de mœurs observée dans les cours de nu réservés aux garçons sont éloquents sur ce point.
Des trésors d’ingéniosité sont nécessaires aux femmes artistes qui veulent représenter l’humain. À partir des années 1880, l’offre en matière d’étude d’après le modèle nu s’accroît significativement. Quelques étudiantes parviennent même à suivre des cours de nu dans des institutions officielles mais les réticences sont fortes. Cécile Douard fait ainsi une incursion très remarquée à l’académie de Mons. Travailler d’après le modèle masculin reste très difficile pour une femme, même à Paris, et celui-ci n’est jamais que partiellement dénudé. En peinture et en sculpture, le portrait mis à part, la représentation de l’homme demeure un thème d’accès malaisé.
Ouvrir le champ des possibles
Le public et les experts du XIXe siècle ne peuvent s’empêcher de jouer les censeurs quand ils analysent la production des “peintresses”. Encouragées à s’en tenir aux compositions florales, aux portraits d’enfants, aux notations à l’aquarelle, elles n’en restent fort heureusement pas là et abordent un large répertoire de sujets, de techniques et de formats. Les femmes qui (s’)exposent doivent veiller à se faire accepter du milieu sans se
laisser influencer outre mesure. Pour ce faire, elles se construisent une image de sérieux et évitent de se démarquer ouvertement. Observer leurs travaux avec un regard genré permet néanmoins de percevoir de multiples pas de côté, des prises de risque et des angles de vision parfois clairement liés à leurs expériences de femmes. La soif de découverte, de reconnaissance
et de liberté s’exprime plutôt de manière indirecte, par exemple via leurs choix iconographiques. À l’époque romantique, elles mettent volontiers en lumière des personnalités féminines entreprenantes et positives – héroïnes de romans, figures mythologiques, historiques et religieuses. De cette façon, elles présentent au public des modèles de femmes inattendus.
Durant la période réaliste, certaines artistes se risquent à proposer des images de femmes et d’enfants en net décalage avec celles de leurs confrères. Soutenue par Arthur Stevens, la toute jeune Marie Collart est acceptée au Salon de Paris avec une Fille de ferme occupée à répandre du lisier. Atterré, un critique d’art français s’interroge : une demoiselle de bonne famille peut-elle décemment se complaire dans la fange à peindre de grossières paysannes entourées de porcs ? Fascinée par les charbonnages, Cécile Douard obtient l’autorisation de descendre dans la mine pour y observer les ouvriers et les ouvrières à l’œuvre. Sous son pinceau, les travailleuses anonymes se métamorphosent en héroïnes titanesques abruties de labeur. Fait rarement mis en évidence, sa grande toile figurant trois glaneuses d’escarbilles ne représente pas trois adultes, mais bien deux adultes suivies d’une fillette âgée d’une dizaine d’années, peut-être moins. Très courant à l’époque, le travail des enfants est un sujet presque inexistant dans la peinture belge d’alors.
Tout comme Cécile Douard, la peintre hollandaise Marie Heijermans, active à Bruxelles, témoigne de la vie des petites gens. En 1897, elle peint Victime de la misère, une œuvre coup de poing qui met en scène la détresse d’une adolescente prostituée, figurée nue dans une chambre sordide, avec un client en arrière-plan. Dans une veine beaucoup plus solaire, qui s’écarte sans complexe du réalisme social, Louise De Hem et Jenny Montigny parviennent à évoquer l’enfance avec une acuité étonnante.
À la Belle Époque, plusieurs créatrices apportent une contribution singulière au domaine de l’image imprimée, de l’illustration et du dessin. La contrainte de réalisme visuel n’étant pas de mise ici, elles peuvent plus facilement envisager leurs supports de prédilection comme espaces d’expérimentation et de transgression. Léontine Joris et Claire Duluc s’inventent des pseudonymes masculins, sans doute pour accroître leur liberté de mouvement. La première aborde le domaine de l’affiche et l’art de la caricature – secteur où les femmes sont très peu représentées – sous le nom de Léo Jo. La seconde exerce sa verve caustique sous divers noms d’emprunt – Étienne Morannes, Monsieur Haringus – et illustre les livres de son mari, l’écrivain Eugène Demolder. Très intéressée par la gravure et la gouache, Louise Danse (épouse de Robert Sand) met volontiers en scène des figures féminines maniérées à la sensualité palpable. Personnalité secrète et volontaire, Marthe Massin contribue à la construction de l’image de son mari, le poète Émile Verhaeren, qu’elle représente volontiers quand il est plongé dans ses pensées ou occupé à écrire. En dépit de sa réserve et de sa discrétion “toutes féminines”, sa posture est audacieuse : elle choisit un homme pour modèle privilégié et s’invite dans son intimité de créateur.
Le champ des arts décoratifs est aussi régulièrement investi de manière originale par des femmes de ce temps. Gabrielle Canivet (épouse de Constant Montald), met son inventivité picturale au service de la reliure d’art, domaine alors en vogue. Hélène du Ménil (épouse d’Isidore De Rudder) connaît une véritable reconnaissance oficielle – fait rare pour une artiste belge – grâce à la réalisation de broderies figuratives éblouissantes de finesse. Se basant sur des cartons dessinés par son mari, elle exprime son goût pour l’expérimentation en développant des procédés de broderie et en soignant la recherche ornementale.
La minutie et les qualités techniques dont elle fait preuve se retrouvent d’une tout autre manière dans les enluminures néo-gothiques de Marie-Madeleine Kerger et Agnès Desclée, sœurs bénédictines de Maredret. Restées dans leur abbaye durant la première guerre mondiale, ces deux artistes éprouvent le besoin de traduire visuellement les événements qui se passent à l’extérieur. De manière tout à fait étonnante, elles insèrent de petites scènes d’actualité dans certaines de
leurs créations, dont la lettre pastorale du Cardinal Mercier de Noël 1914. Sous leurs pinceaux, nous retrouvons des évocations de combats sans pitié, de nombreuses figures masculines de soldats vêtus et dessinés à la manière gothique, le tout traité avec un souffle patriote ! La liberté d’invention dont elles font montre tient paradoxalement aux limitations dans lesquelles elles travaillent. L’observation directe cède le pas à la construction symbolique et favorise une mise en lumière alternative.
[THEGUARDIAN.COM, traduit par COURRIERINTERNATIONALCOM et publié intégralement par PRESSEGAUCHE.ORG, 30 mai 2023] Quand elles se fourvoient, les intelligences artificielles “hallucinent”, disent leurs concepteurs. Cet emprunt au vocabulaire de la psychologie leur permet de renforcer le mythe de machines douées de raison et capables de sauver l’humanité. Alors qu’elles sont de “terrifiants instruments de spoliation”, affirme l’essayiste Naomi Klein, dans cette tribune traduite en exclusivité par Courrier international.
“Au milieu du déluge de polémiques inspirées par le lancement précipité des technologies dites “d’intelligence artificielle” (IA), une obscure querelle fait rage autour du verbe “halluciner”. C’est le terme qu’emploient les concepteurs et défenseurs des IA génératives pour caractériser certaines des réponses totalement inventées, ou objectivement fausses, formulées par les robots conversationnels, ou chatbots.
En récupérant un terme plus communément utilisé dans les domaines de la psychologie, du psychédélisme ou dans diverses formes de mysticisme, les apôtres de l’IA reconnaissent certes le caractère faillible de leurs machines, mais, surtout, ils renforcent le mythe favori de cette industrie : l’idée qu’en élaborant ces grands modèles de langue [LLM] et en les entraînant grâce à tout ce que l’humanité a pu écrire, dire ou représenter visuellement, ils sont en train de donner naissance à une forme d’intelligence douée d’une existence propre et sur le point de marquer un bond majeur pour l’évolution de notre espèce.
Si les hallucinations sont effectivement légion dans le monde de l’IA, elles ne sont toutefois pas le produit des chatbots, mais des esprits fiévreux de certains grands pontes de la tech. Les IA génératives mettront fin à la pauvreté dans le monde, nous disent-ils. Elles vont résoudre le problème du dérèglement climatique. Et elles vont redonner du sens à nos métiers et les rendre plus intéressants.
Il existe bien un monde où les IA génératives pourraient effectivement être au service de l’humanité, des autres espèces et de notre maison commune. Encore faudrait-il pour cela qu’elles soient déployées dans un environnement économique et social radicalement différent de celui que nous connaissons.
Nous vivons dans un système conçu pour extraire le maximum de richesses et de profits – à la fois des êtres humains et de la nature. Et dans cette réalité où le pouvoir et l’argent sont hyper-concentrés, il est nettement plus probable que les IA se transforment en terrifiants instruments de vol et de spoliation.
Je reviendrai sur ce point, mais, dans un premier temps, il est utile de réfléchir au but que servent les charmantes hallucinations des utopistes de l’IA. Voici une hypothèse : sous leur vernis brillant, ces jolies histoires permettent de dissimuler ce qui pourrait se révéler le plus vaste pillage, et le plus conséquent, de l’histoire de l’humanité. Car ce que l’on observe, c’est que les entreprises les plus riches de l’histoire sont en train de faire main basse sur l’entièreté des connaissances humaines consignées sous forme numérique et de les enfermer dans des produits propriétaires, parmi lesquels bon nombre porteront préjudice à des hommes et femmes dont le travail aura été utilisé – sans leur consentement – pour fabriquer ces machines.
C’est ce que la Silicon Valley appelle couramment “disruption” – un tour de passe-passe qui a trop souvent fonctionné. On connaît le principe : foncez dans le Far West réglementaire ; clamez haut et fort que les vieilles règles ne peuvent pas s’appliquer à vos nouvelles technologies. Le temps de dépasser l’effet de nouveauté et de commencer à mesurer les dégâts sociaux, politiques et économiques de ces nouveaux jouets, la technologie est déjà si omniprésente que les législateurs et les tribunaux jettent l’éponge.
Voilà pourquoi les hallucinations sur tous les bienfaits qu’apporteront les IA à l’humanité prennent tant d’importance. Non seulement ces belles promesses tentent de faire passer un pillage à grande échelle comme un cadeau, mais en plus elles contribuent à nier les incontestables menaces que constituent ces technologies.
Comment justifie-t-on le développement d’instruments qui présentent des risques aussi catastrophiques ? Généralement, en affirmant que ces outils recèlent d’immenses bénéfices potentiels. Sauf que la plupart de ces bénéfices relèvent de l’hallucination, du mirage. Examinons-en quelques-uns.
Hallucination n° 1 : les IA résoudront la crise climatique
Parmi les qualités des IA, l’idée qu’elles pourront d’une manière ou d’une autre trouver une solution à la crise climatique figure presque invariablement en tête de liste. L’ancien PDG de Google Eric Schmidt résume cette conception dans un entretien paru dans The Atlantic, où il affirme qu’en matière d’IA, le jeu en vaut la chandelle : “Quand on pense aux principaux problèmes dans le monde, ils sont tous très compliqués – le changement climatique, les organisations humaines, etc. Et donc, je milite toujours pour que les gens soient plus intelligents.”
Selon cette logique, l’absence de solution aux grands défis de notre époque – tels que la crise climatique – serait donc liée à un déficit d’intelligence. Sauf que cela fait des décennies que des gens très intelligents, bardés de doctorats et de prix Nobel, pressent les gouvernements de prendre des mesures impératives. Si leurs très judicieux conseils n’ont pas été écoutés, ce n’est pas parce qu’on ne les comprend pas. C’est parce qu’en suivant leurs recommandations, les gouvernements risqueraient de perdre des milliards et des milliards de dollars dans l’industrie des énergies fossiles et que cela ferait vaciller le modèle de croissance fondé sur la consommation, qui est la clé de voûte de nos économies interconnectées. L’idée qu’il vaut mieux attendre que des machines formulent des solutions plus acceptables et/ou profitables n’est pas un remède au mal, mais un symptôme de plus.
Balayez ces hallucinations et il apparaît nettement plus probable que le déploiement des IA contribuera au contraire à activement aggraver la crise climatique. D’abord parce que les immenses serveurs qui permettent à ces chatbots de produire des textes et des créations artistiques instantanés sont une source énorme et croissante d’émissions de CO2. Ensuite, parce qu’à l’heure où des entreprises comme Coca-Cola investissent massivement dans les IA génératives pour doper leurs ventes, il devient parfaitement évident que l’objectif n’est pas de sauver le monde, mais d’inciter les gens à acheter toujours plus de produits émetteurs de carbone.
Enfin, cette évolution aura une autre conséquence, plus difficile à anticiper. Plus nos médias seront envahis de deepfakes et de clones, plus les informations se transformeront en zone de sables mouvants. Lorsque nous nous méfions de tout ce que nous lisons et voyons dans un environnement médiatique de plus en plus troublant, nous sommes encore moins bien équipés pour résoudre les problèmes les plus pressants de l’humanité.
Hallucination n° 2 : les IA assureront une bonne gouvernance
Il s’agit ici d’évoquer un avenir proche dans lequel politiciens et bureaucrates, s’appuyant sur l’immense intelligence cumulée des IA, seront capables de “détecter des besoins récurrents et d’élaborer des programmes fondés sur des éléments concrets” pour le plus grand bénéfice de leurs administrés.
Comme pour le climat, la question mérite d’être posée : est-ce par manque d’éléments concrets que les responsables politiques imposent des décisions aussi cruelles qu’inefficaces ? Est-ce qu’ils ne comprennent vraiment pas le coût humain qu’impliquent les réductions budgétaires du système de santé en pleine pandémie ? Ne voient-ils pas le bénéfice pour leurs administrés de créer des logements non soumis aux règles du marché quand le nombre de sans domicile ne cesse d’augmenter ? Ont-ils vraiment besoin des IA pour devenir “plus intelligents” ou bien sont-ils juste assez intelligents pour savoir qui financera leur prochaine campagne ?
Ce serait merveilleux si les IA pouvaient effectivement contribuer à rompre les liens entre l’argent des entreprises et la prise de décision de politiques irresponsables. Le problème est que ces liens sont précisément la raison pour laquelle des entreprises comme Google et Microsoft ont été autorisées à déployer leurs chatbots sur le marché en dépit d’une avalanche de mises en garde. L’an dernier, les grandes entreprises de la tech ont dépensé la somme record de 70 millions de dollars [65 millions d’euros] pour défendre leurs intérêts à Washington.
Alors qu’il connaît pertinemment le pouvoir de l’argent sur les politiques du gouvernement, Sam Altman, le PDG d’OpenAI – concepteur de ChatGPT –, semble halluciner un monde complètement différent du nôtre, un monde dans lequel les dirigeants politiques et les industriels prendraient leurs décisions sur la base des données les plus pertinentes. Ce qui nous amène à une troisième hallucination.
Hallucination n° 3 : les IA nous libéreront des travaux pénibles
Si les séduisantes hallucinations de la Silicon Valley semblent plausibles, la raison en est simple. Les IA génératives en sont pour l’heure à un stade de développement qu’on pourrait qualifier de “simili-socialisme”. C’est une étape incontournable dans la méthode désormais bien connue des entreprises de la Silicon Valley. D’abord, créez un produit attractif et mettez-le à disposition gratuitement ou presque pendant quelques années, sans apparent modèle commercial viable. Faites de nobles déclarations sur votre objectif de créer une “place publique” [Elon Musk à propos de Twitter] ou de “relier les gens”, tout en propageant la liberté et la démocratie. Puis, voyez les gens devenir accros à votre outil gratuit et vos concurrents faire faillite. Une fois le champ libre, faites de la place pour la publicité, la surveillance, les contrats avec l’armée et la police, la boîte noire des reventes de données utilisateurs et les frais d’abonnement croissants.
Des chauffeurs de taxi en passant par les locations saisonnières et les journaux locaux, combien de vies et de secteurs ont-ils été décimés par cette méthode ? Avec la révolution de l’IA, ces préjudices pourraient paraître marginaux par rapport au nombre d’enseignants, de programmeurs, de graphistes, de journalistes, de traducteurs, de musiciens, de soignants et tant d’autres professionnels menacés de voir leur gagne-pain remplacé par du mauvais code.
Mais n’ayez crainte, prophétisent les apôtres de l’IA – ce sera merveilleux. Qui a envie de travailler de toute manière ? Les IA génératives ne signeront pas la fin du travail, nous dit-on, seulement du travail “ennuyeux”. Pour sa part, Sam Altman imagineun avenir où le travail “recouvre une notion plus large ; [où] ce n’est pas quelque chose que l’on fait pour manger, mais pour laisser parler sa créativité, comme une source de joie et d’épanouissement.”
Il se trouve que cette vision de l’existence qui fait la part belle aux loisirs est partagée par de nombreux militants de gauche. Sauf que nous, gauchistes, pensons également que si gagner de l’argent n’est plus le but de l’existence, il faut d’autres moyens pour satisfaire à nos besoins essentiels, tels que la nourriture et le logis. Dans un monde débarrassé des métiers aliénants, l’accès au logement doit donc être gratuit, de même que l’accès aux soins, et chaque individu doit se voir garantir des droits économiques inaliénables. Et soudainement, le débat ne tourne plus du tout autour des IA, mais du socialisme.
Or nous ne vivons pas dans le monde rationnel et humaniste que Sam Altman semble voir dans ses hallucinations. Nous vivons dans un système capitaliste où les gens ne sont pas libres de devenir philosophes ou artistes, mais où ils contemplent l’abîme – les artistes étant les premiers à y plonger.
Alors que les géants de la tech voudraient nous faire croire qu’il est déjà trop tard pour revenir en arrière et renoncer aux machines qui supplantent les humains, il est bon de rappeler qu’il existe des précédents légaux démontrant le contraire. Aux États-Unis, la Commission fédérale du commerce (FTC) [l’autorité américaine de la concurrence] a contraint Cambridge Analytica, ainsi qu’Everalbum, propriétaire d’une application photographique, à détruire la totalité de plusieurs algorithmes entraînés avec des données et des photos acquises de manière illégitime.
Un monde de deepfakes et d’inégalités croissantes n’est pas une fatalité. Il est le résultat de choix politiques. Nous avons les moyens de réglementer les chatbots qui vampirisent aujourd’hui nos existences et de commencer à bâtir un monde où les promesses les plus fantastiques des IA ne seront pas que des hallucinations de la Silicon Valley.”
Nous vous parlons d’un temps que les moins de vingt ans… En 1960, le Patrimoine de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique publiait ses Carnets du Service Educatif. Le numéro 11 était consacré à… la crevette grise (à télécharger dans la DOCUMENTA). Son auteur, Sylvain LEFEVERE, était assistant à l’IRSN et a déployé des trésors de pédagogie pour donner goût aux savoirs contenus dans l’opuscule. Jugez-en vous-même ci-dessous…
“Chers amis à terre,
Chacun de vous connaît les crevettes appétissantes, les pittoresques bateaux crevettiers, l’attroupement fébrile lors des ventes aux enchères à la minque [terme employé en Belgique pour désigner la ‘halle à marée’] ainsi que les pêcheurs crevettiers à la peau tannée par le vent et le soleil.
La crevette grise est très prolifique, quelle que soit la plainte répétée par la presse : “Les pêches crevettières ne rapportent plus rien.” Les jeunes femelles portent une ponte de douze à quinze cents œufs ; les plus vieilles crevettes par contre pondent neuf mille à quatorze mille œufs.
Mais, bien plus, des biologistes ont constaté que les crevettes peuvent pondre deux et même trois fois par an en mer du Nord allemande, pour autant que les conditions atmosphériques s’y prêtent. Le climat peut donc expliquer les mauvaises pêches. En outre, une ou plusieurs pontes réussissent parfois médiocrement. Les larves font partie du plancton et vivent donc dans les couches de surface où les changements climatiques sont les plus violents. Des répercussions néfastes ne se remarquent pas avant deux ans, les crevettes atteignant une taille commerciale au courant de la deuxième année. Fort heureusement, la Nature a prévu une grande prolifération.
Permettez-moi de laisser la parole au savant : le nom scientifique de la crevette, Crangon vulgaris signifie : Crevette commune. La crevette est un arthropode et plus particulièrement un crustacé. Tous les arthropodes ont une carapace dont les segments se soudent à la manière d’un soufflet d’accordéon. La croissance des crustacés s’effectue par petites étapes, car la carapace ne grandit pas. Au cours d’une vie de trois ans, la crevette change plus de trente fois de carapace.
Comme crustacés à grande queue (Macroures) je citerai, outre les crevettes, le cardinal des mers : le homard (Hontarus gammarus Linné), la langoustine (Nephrops norvegicus Linné), la langouste (Palinurus elephas Fabricius), le palémon variable (Palaemonetes varians Leach) qui est la crevette transparente des eaux saumâtres. Ajoutons : le bernard-l’hermite (Pagurus bernhardus Linné) qui protège son abdomen mou dans une coquille de Buccin ou de Pourpre ; le diogène (Diogenes pugilator Roux), petit bernard-l’hermite dont la pince gauche est plus grande et qui préfère la coquille de Nafica.
Comme brachyoures, crustacés à courte queue, nous connaissons les crabes : le tourteau comestible (Cancer pagurus Linné) ; le crabe enragé (Carcinus maenas Linné) ; le crabe nageur (Pofiunus holsatus Fabricius) et le pinnothère (Pinnotheres pisum Linné) que vous avez probablement déjà vu, car il vit en commensal entre les valves de la moule (Mytilus) ou de la buccarde (Cardium).
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Après tous ces renseignements scientifiques, je puis encore vous apprendre que la crevette est répandue dans une très grande aire géographique : les côtes est et ouest de l’Amérique et les côtes nord-ouest de I’Europe à partir de la mer Blanche jusqu’à la Méditerranée par la baie de Finlande. Malgré cette énorme étendue géographique, la pêche aux crevettes grises ne se pratique que dans les pays riverains de la mer du Nord (a l’exception de quelques ports français).
En tant que crevettier belge, je contribue annuellement à l’apport de deux mille tonnes de crevettes. Une belle crevette pèse environ 1 à 2 grammes. Il faut compter que le poids commercial représente seulement 30-50 % de la capture. Voilà qui fournit la preuve de la fécondité de la crevette.
Ce m’est un grand plaisir, chers amis, d’avoir écrit une introduction pour ce petit livre concernant la crevette et l’industrie de la crevette.”
Avant Jules César, l’année romaine commençait au 1er mars ; le mois dont nous racontons la légende occupait par conséquent le cinquième rang ; on l’appelait quintilis (cinquième) pour cette raison. L’année même de la mort de Jules César, 44 ans avant Jésus-Christ, Marc-Antoine, voulant honorer la mémoire du conquérant des Gaules, fit remplacer le nom de quintilis par celui de Julius (Jules). De Julius nous avons fait juillet.
Juillet nous amène les grandes chaleurs. Le 19 de ce mois finit Messidor, dans le calendrier républicain, et commence Thermidor, nom dérivé du grec et qui veut dire chaud. C’est en juillet, en effet, qu’ont lieu, dans notre hémisphère, les températures les plus élevées. C’est en juillet que commencent les jours caniculaires, pendant lesquels, disent les proverbes, il faut se métier des ardeurs du soleil. A cette époque de l’année, la belle étoile qu’on nomme Sirius se lève et se couche en même temps que le soleil ; les croyances populaires attribuaient à la présence de cette étoile les chaleurs plus vives de juillet, et, comme Sirius fait partie de la constellation du Chien, en latin canis, dont le diminutif est canicula (petite chienne), l’époque des températures élevées fut appelée canicule.
En juillet, les Grecs célébraient une de leurs plus grandes fêtes : les Panathénées, en l’honneur de Minerve. Le nom de ces fêtes, formé de deux mots grecs : pan, tout, et Athéné, Minerve, indiquent qu’elles étaient suivies par tous les adorateurs de la déesse.
En juillet le Soleil entre dans la constellation de l’Écrevisse (Cancer). D’où vient ce nom : l’Écrevisse ? Les anciens disaient à tort, et on le répète parfois encore aujourd’hui, que l’écrevisse “marche à reculons et obliquement.” Le soleil, arrivé le 21 juin au plus haut point de sa course, commence, à partir de cette époque, à redescendre, à rétrograder, à marcher à reculons : de là le nom d’Écrevisse donné à la constellation dans laquelle le Soleil entrait il y a deux mille ans, vers le 21 juin.
En juillet comme en juin ; les travailleurs des champs redoutent l’abondance des pluies et manifestent leurs craintes à peu près dans les mêmes termes que pour le mois précédent :
Quand il pleut à la Saint-Calais,
Il pleut quarante jours après.
S’il pleut le jour de Saint-Benoît,
Il pleuvra trente-sept jours plus trois.
S’il pleut le jour de saint-Victor,
La récolte n’est pas d’or.
Nous sommes, en effet, en pleine moisson des céréales et la pluie peut contrarier la rentrée des récoltes ; à partir du 15 juillet on coupe les seigles, les orges, les avoines d’hiver et les blés dans le midi de la France…
Albert LEVY (1844-1907) était un physicien français, directeur du service chimique à l’Observatoire de Montsouris (en 1894). Il a écrit sous son nom ainsi que sous le pseudonyme de “A. Bertalisse”. Nous avons retranscrit ici le texte de plusieurs de ses “tableaux” : les légendes du mois de…
Ostende, 1888, Ensor invente l’art moderne. Il peint la violence sociale et ses tumultes intérieurs. Il fait de la révolte ouvrière un miroir où se reflète sa silhouette de paria. Il a 28 ans. Il cloue une toile immense sur le mur de son grenier, toile de lin, 2 m. 58 sur 4 m. 31. Il l’apprête avec une sous-couche de blanc de plomb. Et il peint son chef d’œuvre à grands coups de spatule. La peinture en tube est trop chère ; il a demandé à un peintre en bâtiment des laques en pots de 10 kilos. Il étale la peinture non diluée à grands traits. Il doit dérouler sa toile par terre tant elle est haute et il peint à genoux comme un anti-Michel-Ange qui peignait couché. Ensor travaille la couleur au couteau, comme une matière. Et ce sera la méga-toile, la toile méga culte, L’entrée du Christ à Bruxelles, parodie de l’entrée du Christ à Jérusalem.
C’est une bombe. Une bombe formidable qui explose dans l’histoire de l’art : une symphonie du chaos, une immense bouffonnerie, une toile carnaval qui annonce en fanfare l’expressionnisme. C’est notre défilé national, le seul qui vaille, le défilé monstrueux d’une société grotesque dominée par une banderole où il est écrit sur fond rouge, en haut, en grand : “Vive la sociale”. Comme un deuxième titre, un appel à la sédition et une satire de la révolution…
Le Christ, juché sur son âne, reconnaissable à son auréole, est minuscule au milieu de la mêlée, dans le tumulte des revendications politiques et sociales. Le visage du Christ – autoportrait d’Ensor – est presque caché dans son halo jaune. Sa main levée bénit le défilé des clowns grotesques. Le fleuve de la foule en liesse, formidable multitude en rangs compacts, menace littéralement de piétiner le spectateur de la toile. Ou de l’emporter. Terrible sentiment d’être balayé par ce torrent de visages tuméfiés, de bonhommes ventrus, de spectres vaudous, de masques devenus visages.
Choc de mes 17 ans. A la droite des clairons et des grosses caisses de l’orchestre doctrinaire, le bourgmestre et les échevins sont en costume de clown. Un évêque mitré, avec son bâton de tambour-major de majorette, mène la foule vers l’avant, comme une marée qui va déborder et envahir le monde. Ensor a peint une satire sociale, politique et religieuse comme le faisaient Bosch et Brueghel dont il est l’héritier dans la grande tradition flamande du fantastique.
Bleus, rouges, verts, blancs sonnent la charge brutale des rétines, couleurs vierges, primaires, indemnes. Le gentil nuancier impressionniste et symboliste est aboli, c’est le triomphe du spectre premier. Multiplicité des couleurs, confusion délibérée de la composition, abandon de la perspective : Ensor écrit à Verhaeren qu’il lui fallait des effets extrêmes pour réussir. Il a réussi. Ensor a réussi à peindre la musique. Il a suscité dans l’œil l’effet d’un musique sur un tympan. Il a peint une fanfare assourdissante ! Contre le ‘Beau idéal‘, il a peint le ‘Vrai ressenti.‘
La toile a 50 ans d’avance. Il a créé, à lui tout seul, dans son grenier, le trait d’union entre le XIXe et le XXe siècle. Son œuvre est un pont qui même aux expressionnistes allemands de Die Brücke, à Munch, Nolde, Kandinsky, Klee, Chagall. Sans Ensor, il n’y a ni Pollock ni Basquiat. La toile est un choc. Mais un échec. Personne ne veut l’exposer. En 1898, elle sera vaguement visible lors d’une exposition rétrospective d’Ensor à Paris. Échec cuisant.
L’Ostendais reste un paria dix ans encore. Aigri, il ne se séparera jamais du sommet de son art. Il en fera des copies plus petites mais l’original incompris restera chez lui toute sa vie. La toile est restée enroulée pendant 30 ans dans son atelier mansardé d’Ostende. Il n’a pu l’étirer qu’en 1917, au-dessus de son harmonium, lorsqu’il a déménagé dans sa nouvelle maison de la Vlaanderenstraat.
Douze ans après la mort d’Ensor en 1948, la toile refera le voyage de Paris pour l’exposition Les sources du XXe siècle présentée au Musée National d’Art Moderne en novembre 1960. André Malraux voit la toile très abîmée qui s’écaille et tombe en scories. Il note que, chaque matin, devant la méga-toile détériorée, les services d’entretien balayent de la poussière de chef d’œuvre.
Le Paul Getty Museum de Los Angeles va acquérir et restaurer L’entrée du Christ à Bruxelles et l’associer pour toujours à la chanson Desolation Row de Bob Dylan. On a laissé filer notre défilé national à Los Angeles, les gars. Pas de doute, on est bien belges. Mais c’est le seul défilé national qui vaille. Vive la sociale, bordel !
Jean-Paul Mahoux
Cette chronique est extraite de Peindre la musique, inédit, préparatoire à la nouvelle Obscure Ostende (à paraître, qui sait…)
[LESOIR.BE, 16 mai 2016] De face, de profil ou de trois quarts, chapeauté, casqué ou masqué, masculin, féminin ou squelette, blanc, rose ou rouge, vieux ou jeune, mille visages envahissent la toile et égarent les regards. Où est le fils de Dieu qui donne son nom au tableau L’entrée du Christ à Bruxelles peint en 1888 par James Ensor ?
Perdu au milieu de la foule qui lui vole le premier rôle ! Égaré sur un âne gris ! Seule son auréole jaune permet de le remarquer parmi les personnes qui semblent rassemblées non pour une cérémonie religieuse mais une fête carnavalesque qui se tiendrait un 1er mai. La large banderole rouge renseigne “Vive la sociale” et non “Vive le Christ”. Seul un petit panneau sur le côté applaudit un Jésus, roi de Bruxelles.
Mais que diable le prophète, qui a les traits du peintre, vient-il faire à Bruxelles, perdu dans une mascarade ? Le socialisme a-t-il remplacé le christianisme au point que si Jésus revenait aujourd’hui, il le ferait sous la banderole “Vive la sociale”? Ensor ferait-il un pied nez à la religion et à sa figure majeure ? Absolument ! Ensor n’a jamais tu ses critiques contre l’Église.
Comme il n’a jamais caché son ironie par rapport à la condition humaine. L’homme est selon lui vaniteux, le monde absurde et la réalité laide. Ce regard sombre sur l’existence est bien présent dans ce tableau. Le fils de Dieu est un simple quidam perdu dans la foule. Jésus est un pauvre hurluberlu parmi des humains plus grotesques les uns que les autres, pantins grimaçants et parfois même squelettes qui ne sont mus que par la jalousie, la cupidité, le désir, l’hypocrisie et bien d’autres défauts. Ils ne se soucient même pas de la venue du Sauveur. Seul le responsable de la ville semble se rendre compte qu’il arrive à Bruxelles, mais la foule reste indifférente, suivant un pitre avec une mitre et un bâton à l’avant du tableau.
Masques et squelettes servent la vision du monde du peintre tout en ayant une origine très pratique. Ils manifestent l’enfance du peintre. Le petit James a grandi à Ostende où le carnaval est une fête importante et dans une maison familiale dont le rez-de-chaussée est un magasin étrange où la mère Ensor vend des masques et des tas d’objets étonnants. Au-delà de l’histoire du peintre belge (1860-1949), les masques et visages grinçants d’Ensor s’ancrent dans l’histoire de la peinture belge tant ils héritent des œuvres de Bosch et Breughel.
La belle insolence d’Ensor lui vaudra quelques problèmes. Son tableau est d’abord refusé au Salon du Cercle artistique avant-gardiste des XX, dont il est pourtant l’un des membres fondateurs. Le tableau est jugé trop audacieux par sa forme pré-expressionniste et ses couleurs radicales, ainsi que par son fond iconoclaste. On parle même d’exclure Ensor du cercle tant il est contestataire, anarchiste même !
Le peintre ostendais vécut mal ces refus, lui qui était déjà si critique par rapport à l’humanité. Il écrit ces mots : “Mes concitoyens, d’éminence molluqueuse, m’accablent. On m’injurie, on m’insulte : je suis fou, je suis sot, je suis méchant, mauvais…” Les critiques n’améliorèrent pas son caractère misanthrope. Son mépris pour le genre humain ne fit que croître. Pourtant, le monde finira par reconnaître son génie. Ensor est appelé le “prince des peintres”, il est fait baron et, face à ces honneurs venus si tard, sans doute trop tard, le “prince” abandonne la peinture pour se tourner vers la musique.
Nous vous parlons d’un temps que les moins de vingt ans… En 1960, le Patrimoine de l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique publiait ses Carnets du Service Educatif. Le numéro 9 était consacré au… hareng (à télécharger dans la DOCUMENTA). Son auteur, Sylvain LEFEVERE, était assistant à l’IRSN et a déployé des trésors de pédagogie pour donner goût aux savoirs contenus dans l’opuscule. Jugez-en vous-même ci-dessous…
Un banc de harengs vous écrit :
“Chers amis,
Nous avons la réputation d’être des poissons sociables. En effet, nous passons une grande partie de notre existence réunis en un immense groupe, que I’on appelle un banc de harengs. Ne croyez pas que nous restons toujours groupés sans nous quitter d’une nageoire. Nous aussi, nous aimons batifoler de temps à autre, happant une larve par-ci, pourchassant un copépode par-là. Mais, malheureusement nous avons tellement d’ennemis, que nous sommes obligés de nous réunir en bancs. Dès que nous apercevons un requin, un cabillaud, un colin, un marsouin ou un oiseau, houp, nous voilà rassemblés !
Ensemble, nous nous sentons en sécurité et nous devenons même intrépides. Les grands harengs peuvent s’échapper à une vitesse de 100 mètres à la minute ; mais en bancs nous préférons foncer sur I’ennemi pour le renverser. C’est la raison pour laquelle ces animaux rapaces se gardent de nous attaquer de front. Mais quels dégâts ne provoquent-ils pas dans notre arrière-garde, composée de plus jeunes harengs, moins rapides ! De plus, notre témérité coûte annuellement la vie à des milliers de nos congénères, qui s’accrochent par les ouïes dans les mailles de filets, ou selon I’expression technique “se maillent” dans les filets tendus par vos pêcheurs.
Voilà pourquoi, chaque année, des milliards de harengs passent dans I’estomac des humains. Or, une plus grande quantité encore est broyée en farine pour le bétail. Maints hectolitres d’huile de hareng sont transformés en graisses et, surtout en Allemagne, incorporés dans la margarine comme source de vitamines A et D. Que d’hectolitres d’huile encore sont employés dans les savonneries, les tanneries et les fabriques de linoléum !
Nous sommes des poissons de I’hémisphère septentrional froid. Nous n’aimons pas les courants marins chauds. Le Gulfstream, cet énorme courant chaud en provenance du golfe du Mexique, se ramifie fortement à travers notre aire d’habitation, l’Atlantique Nord et la mer du Nord. Ces transgressions d’eau chaude nous obligent à rester dans d’étroites zones froides, ce qui engendre évidemment la formation de bancs.
L’expérience, acquise par les harengs âgés nous est très précieuse. Comment les jeunes harengs pourraient-ils mieux trouver les plus riches prairies de plancton que sous la conduite des aînés ? Le plancton forme notre plat de résistance : nous apprécions surtout les copépodes, petits crustacés, et les sagittas, menus vermoïdes, encore appelés chétognathes. Comme ce plancton est ballotté et refoulé au gré des courants marins et qu’il se déplace parfois sur des kilomètres de distance, nous sommes forcés d’aller à la recherche de notre menu préféré. De petits groupes de harengs poussés par la faim confluent pour former un banc. Notre banc est parfois obligé de faire de véritables migrations afin de trouver sa nourriture.
Les harengs âgés sont également les meilleurs guides pour nous aider à retrouver les frayères où chaque année tous les harengs d’une même race et
âgés de trois à dix-huit ans se rassemblent pour frayer. Ces migrations vers les lieux de ponte se font par bancs massifs qui mesurent des kilomètres de long. C’est lors de ces rassemblements que les filets et les chaluts de vos pêcheurs ramènent le plus de harengs. Dans la mer du Nord, certaines races pondent au large et d’autres, qui préfèrent frayer dans des eaux moins salées, près de la côte.
L’alose elle, cette originale parente au corps bouffi, choisit son lieu de ponte en eau douce ! Pourtant elle passe bel et bien le reste de sa vie dans I’eau de mer, comme nous. Autrefois, l’alose venait frayer dans l’Escaut jusqu’à Termonde pendant le mois de mai. C’est pourquoi les Flamands la nomment “meivis” ou “poisson de mai”. Mais depuis plusieurs années l’alose ne visite plus ni le Rhin, ni la Meuse, ni l’Escaut, parce que les eaux de ces fleuves sont polluées par les industries riveraines.
Un autre cousin, le pilchard, fraie dans l’Atlantique du nord, où la teneur en sel est toujours plus forte qu’en mer du Nord. Pourtant, les jeunes du pilchard, qui s’appellent sardines, se hasardent parfois dans la partie méridionale de la mer du Nord par le Pas-de-Calais.
En revanche, l’esprot, un autre cousin encore, vient presque annuellement pondre dans vos eaux territoriales entre La Panne et Blankenberge, où l’élément est saumâtre. Qui ne connaît ce menu poisson, qui, délicieusement fumé, prend le nom de sprat ?
Au fait, nous [ne] sommes [pas] peu fiers de notre nom latin : Clupea harengus Linnaeus, 1758. Clupea est le nom latin de l’alose déjà connue au temps des Romains, dans le Pô et la Saône, où elle vient encore frayer annuellement. En 1758, le biologiste suédois LINNÉ latinisa le haut-allemand “harinc”, qui devint “harengus” ; nous nous appelons donc littéralement : alose du type hareng.
De tout temps, la famille des clupéides a eu une grande valeur commerciale. Pourquoi ? Tout bonnement parce que nous avons l’habitude de traîner un certain temps aux frayères où dès lors, on peut nous pêcher en masse. D’ailleurs, au moyen âge, nous constituions déjà une source fort importante
de revenus pour la côte flamande.
Cliquez sur l’image pour accéder au téléchargement…
L’histoire naturelle du hareng est extrêmement intéressante pour le monde scientifique ; notre histoire lointaine est liée à l’origine de tout poisson osseux. Les plus anciens poissons osseux fossiles ressemblent très fort à la larve du hareng. On les a trouvés dans les terrains siluriens d’Ecosse, de Norvège et du Canada, vieux de 300 millions d’années. Les ossements fossiles du hareng, auquel vous vous intéressez, ont été découverts à une époque plus proche dans les terrains crétacés, qui datent de 120 millions d’années.
Après vous avoir écrit tant de curiosités à notre sujet, nous vous souhaitons, chers amis, bonne lecture. Et avant de finir, nous tenons à vous rappeler que
nous constituons pour l’homme une riche source de graisses, d’albumines, de vitamines et d’oligoéléments. Enfin, n’oubliez pas non plus que, pendant la seconde guerre mondiale, nous avons contribué à sauver de la famine une bonne partie du peuple belge.”
Signé : Un banc de harengs de la mer du Nord méridionale
Comment comprendre l’espace
qui me sépare de l’arbre,
si son écorce dessine les lignes
qui manquent à ma pensée.
Comment comprendre la parenthèse
qui va du nuage à mes yeux,
si les figures du vent
délient le temps serré de ma petite histoire ?
Comment comprendre le cri pétrifié
qui gèle toutes les paroles du monde,
si de même qu’il n’est qu’un seul silence
il n’est au fond qu’une seule parole ?
Je ne comprends pas la distance.
L’ultime preuve en est l’espace absurde
qui sépare en deux vies
ton existence et la mienne.
[JOSE-CORTI.FR] La notice biographique de Roberto Juarroz (1925-1995) ci-dessous a été établie par Michel Camus et publiée dans Douzième Poésie Verticale (Paris : La Différence, 1993).
Né le 5 octobre 1925 à Coronele Dorrego dans la province de Buenos Aires en Argentine, Roberto JUARROZ a suivi des études de lettres et de philosophie à l’Université de Buenos Aires où il s’est spécialisé dans les sciences de l’information et de la bibliothécologie.
De 1958 à 1965, il a dirigé la revue de création Poesía = Poesia (20 numéros) où il s’est révélé fin découvreur et subtil traducteur de poètes étrangers, notamment Antonin Artaud. Pendant des années, il a collaboré à des dizaines de journaux, revues, et périodiques argentins et étrangers en tant que critique littéraire et cinématographique. Entre 1971 et 1984, il a été directeur du Département de Bibliothécologie et de Documentation à l’Université de Buenos Aires. Contraint à l’exil sous le régime de Peron, il fut pendant quelques années expert de l’Unesco dans une dizaine de pays de l’Amérique latine.
Roberto Juarroz a reçu le “Grand Prix d’Honneur pour la poésie” de la Fundacion Argentina de Buenos Aires. Il a également reçu plusieurs prix étrangers parmi lesquels le Prix Jean Malrieu à Marseille en mai 1992, et le Prix de la Biennale Internationale de Poésie de Liège (Belgique) en septembre 1992.
Toute l’œuvre de Roberto Juarroz porte le même titre : Poésie Verticale, chaque tome étant simplement numéroté pour être distingué des autres. Titre unique suggérant abruptement la verticalité de la transcendance “bien entendu incodifiable”, précise-t-il dans un entretien. Aussi est-il un des rares poètes contemporains à défendre haut et fort une métapoésie par où passe l’infini “bien entendu sans nom”, une vision poétique proche de Novalis pour qui “la poésie est l’absolu réel”, mais témoignant aujourd’hui d’un nouveau sens du sacré “bien entendu sans théologie.” Pour Roberto Juarroz, il n’y a pas de haute poésie sans “méditation transcendentale du langage”. La poésie, dira-t-il, est la vie non fossilisée ou défossilisée du langage.
Aujourd’hui, Roberto Juarroz est traduit en plusieurs langues. Avant que Roger Munier ne devienne en France son traducteur attitré, Fernand Verhesen fut, à Bruxelles, son premier traducteur en français et son premier éditeur (Editions Le Cormier) de 1962 à 1972.
“Le poète argentin, Roberto Juarroz est mort à Buenos Aires à l’âge de soixante-neuf ans. Quand il donnait lecture publique de ses poèmes – ce qui arrivait de plus en plus souvent ces dernières années – Roberto Juarroz ne se privait pas d’entourer sa parole de gestes éloquents, non pour marquer le tempo des mots, mais pour littéralement souligner le sens de tel ou tel vers. Il affirmait ainsi spontanément, la main s’alliant à l’esprit avec parfois quelque ironie, combien l’effort d’élucidation était au cœur de sa poésie jusqu’à en constituer le mouvement même.
D’emblée, Juarroz avait engagé son œuvre dans ce qu’il faut bien nommer un chemin d’éveil. Son pari initial n’étant nullement le fruit d’un raisonnement, mais l’expression d’un élan irrépressible, l’intuition aussi d’un questionnement qui trouverait toujours en sa propre puissance de dévoilement le sursaut de sa renaissance. Le titre unique, qui dès 1958 engageait tous les livres à venir, avait valeur d’injonction : Poésie verticale.
Trente-sept années durant, Juarroz a gardé le cap sans jamais dévier de la trajectoire qu’il s’était assigné. Pour lui, la relation décisive, à la fois problématique et féconde, confrontait l’espace de la poésie et l’esprit de la réalité. “La poésie, affirmait-il, est une tentative risquée et visionnaire d’accéder à un espace qui a toujours préoccupé et angoissé l’homme : l’espace de l’impossible qui parfois semble aussi l’espace de l’indicible“. C’est cet “impossible“, c’est cet “indicible“qui ont orienté la quête de Roberto Juarroz, celle-ci étant vécue comme une pérégrination de son propre destin à travers le langage.
Poème après poème, recueil après recueil (les volumes successifs se distinguant par leur seul numéro), le défi prenait forme et contrait la malédiction commune. “L’homme a été obstinément trompé et divisé, constatait-il. Sa capacité d’imaginer, son pouvoir de vision, sa force de contemplation ont été relégués dans la marge du décoratif et de l’inutile. La poésie et la philosophie se sont séparées à certaines moments catastrophiques de l’histoire de la pensée. Le destin du poète moderne est de réunir la pensée, le sentiment, l’imagination, l’amour, la création. Et cela comme forme de vie et comme voie d’accès au poème, qui doit façonner cette unité.“
À l’évidence, la poésie se trouve ici dotée d’une vertu d’assomption, mais cette élévation, voire cet arrachement, n’a pas le ciel pour but, plutôt la réalité cachée, le supplément de réalité que le poème ajoute au réel. Ou, pour citer Octavio Paz, le supplément d’”instants absolus“. Car la voix de Juarroz est porteuse d’une plénitude fragile. On dirait qu’il a fait de la pensée la musique de ses poèmes et que ses questions découvrent des harmonies secrètes, des dissonances recluses et d’infinis silences.
Seule la musique
peut occuper le lieu de la pensée
Ou son non-lieu
son propre espace,
son vide plein.
La pensée est une autre musique.
Vouées à l’abrupt, issues du vertige et y retournant comme s’il s’agissait d’une source intense et lucide, les improvisations rigoureusement maîtrisées de Juarroz ont fonction d’effraction : elles dérangent, déroutent, détonnent. Surtout, elles ne se satisfont ni de lueurs ni d’éclats, c’est la lumière dans son entier qu’elles entendent rejoindre. Car l’obscurité n’est pas fatale, car l’énigme est à pénétrer, car la poésie est un mystère qui doit être éveillé.
Entre effroi et révélation, Roberto Juarroz s’est doté d’un destin exemplaire, jusqu’à entrer dans la fraternité de l’inconnu.”
Extrait de VELTER A., Roberto Juarroz, La Poésie comme élévation (Le Monde, 4 avril 1995)
[RTBF.BE, rubrique FAKY, 15 juin 2023] Quinze mille litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf. C’est un chiffre qui ressort depuis plusieurs années lorsqu’on veut parler de l’impact de la production de viande sur l’environnement. Deux études – l’une publiée en 2007 et l’autre en 2012 – sont à l’origine de ce calcul. Un chiffre qui comprend toute l’eau nécessaire à l’élevage de l’animal, y compris l’eau de pluie tombée sur le champ où la vache paît.
“Produire de la viande, cela consomme énormément d’eau. On estime que pour un kilo de viande de bœuf, il faut plus de 15.000 litres d’eau. C’est 150 fois plus que pour un kilo de légumes.” Le 28 mai dernier, le JT de la RTBF fait le point sur l’impact environnemental de la production de viande et cite cette estimation, maintes fois reprise par ailleurs par exemple, par le journal Le Monde en 2015 ou Futura sciences le 6 avril dernier.
Une moyenne globale
Ce chiffre a été publié dès 2007 dans une étude coécrite par le scientifique Arjen Hoekstra de l’Université de Twente aux Pays-Bas. Le chercheur a ensuite continué ses recherches et publié un chiffre similaire en 2012. Il a utilisé une méthode agréée par la FAO, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies. Cette méthode a ensuite été reprise par l’organisation Water Footprint Network qui se charge de communiquer à propos de l’empreinte eau de l’activité humaine afin de préserver l’or bleu.
Dans son calcul, Hoekstra fait une moyenne pondérée de l’utilisation de l’eau dans la production de viande de manière globale, pour tous les pays du monde. Mais comme le soulignent les scientifiques de l’INRA, l’Institut national français de la recherche agronomique en 2013, “il y a de fortes différences d’un pays à l’autre, allant par exemple de 11.000 litres au Japon à 37.800 litres au Mexique. Cette variation est liée aux précipitations et à l’évapotranspiration locale, aux systèmes de production et à la productivité animale.“
L’eau de pluie prise en compte
Car oui, dans ce calcul de 15.000 litres d’eau pour 1 kg de bœuf, les scientifiques comptent plusieurs types d’eaux, y compris celle venant du ciel, autrement dit la pluie qui sert à faire pousser les aliments des animaux. Chez nous, cette nourriture provient en grande partie de l’herbe des prairies.
C’est ce qu’explique Jérôme Bindelle, professeur de gestion du pâturage et d’élevage pour l’agroécologie à Gembloux Agrobiotech de l’Uliège. “Cela comprend ce que l’animal va boire mais aussi ce qui va servir à nettoyer les étables, ce qui va servir à dépolluer les eaux qui seraient contaminées et aussi ce qui va servir à produire les plantes que le bovin va consommer c’est-à-dire, le fourrage, l’herbe des prairies, les céréales et les tourteaux, les concentrés que l’animal va manger tout au long de sa vie.“
Ces 15.000 litres d’eau comprennent donc différentes catégories d’eaux en fonction de leur provenance et de leur utilité :
L’eau verte est celle qui tombe du ciel sur les champs et sur les prairies, l’eau de pluie.
L’eau bleue est celle que l’on consomme, que l’on va aller pomper dans les rivières ou dans les nappes phréatiques via des captages.
L’eau grise est celle qui est utilisée pour les processus de dépollution.
Et chez nous, c’est principalement l’eau verte, autrement dit la pluie, qui sert à produire les plantes que le bovin va consommer.
Jérôme Bindelle a lui-même repris les calculs de ses confrères hollandais. “Si on fait le total de la consommation de ces trois eaux, on est plus ou moins sur les mêmes valeurs. Mais il faut se rendre compte que la proportion d’eau verte, en particulier dans les systèmes avec des herbivores, des animaux qui consomment de l’herbe en pâturage, est très importante : elle représente entre 90 et 95% de l’eau consommée.“
Autrement dit, la quasi-totalité de l’eau utilisée par les vaches qui sont en pâturage est celle “qui est tombée sur un champ ou sur une prairie et qui va être utilisée par la plante pour pousser et va être évaporée par celle-ci“, explique le professeur de l’Uliège. “Donc, ce n’est pas de l’eau qui est retirée au cycle de l’eau par le processus d’élevage.“
C’est en partie ce qui fait bondir les fédérations d’éleveurs lorsque ce chiffre ressort. Jérôme Bindelle n’est quant à lui pas étonné de cette estimation pour laquelle il comprend le calcul. Mais il souligne qu’il est important de préciser que “la grande majorité de cette eau n’est pas de l’eau que l’on puise dans les nappes phréatiques ou que l’on dépollue. C’est de l’eau qui, de toute façon, va tomber sur une prairie et sera réévaporée, quelle que soit la végétation qui est dessus donc on ne prive pas les nappes phréatiques de cette eau-là.“
Des chiffres très différents en fonction des méthodologies
En fonction de la méthode de calcul de cette “empreinte eau”, d’autres résultats sont disponibles, comme on peut le voir dans ce tableau publié par l’INRA, en 2013 :
À l’extrême, il y a l’étude de Pimentel et Pimentel en 2013, qui compte 200.000 litres d’eau pour la production d’un kilo de bœuf. Mais la méthodologie précise n’est pas spécifiée, note l’INRA qui constate que ce calcul se base sur “un système sur parcours extensifs, qui demande une grande surface et donc une grande quantité d’eau verte par kg de viande produit.“
Ainsi, paradoxalement, plus l’espace donné aux vaches est grand et plus elles y restent longtemps, plus cette quantité d’eau (de pluie) le sera aussi… ce qui peut paraître contradictoire vu que la pression exercée par les animaux sur l’environnement est moins importante quand ils sont moins nombreux sur une prairie. Nous ferons le point sur cette pression chez nous plus loin dans cet article.
Paradoxalement, les cultures irriguées ont une empreinte eau moins importante
À l’autre extrême, il y a le chiffre de 58 à 551 litres nécessaires à la production d’un kg de bœuf, un chiffre publié par Ridoutt en 2012 et qui correspond à la production de viande en Australie et où l’eau utilisée au nourrissage des bêtes est de l’eau bleue. Il s’agit donc d’eau irriguée, prélevée dans les nappes phréatiques ou les rivières, “ce qui conduit à une réduction d’eau douce disponible“, écrit l’INRA, contrairement aux modèles se basant sur le pâturage.
Si l’on résume, plus l’élevage est “naturel” en laissant paître les vaches sur des prairies, plus la quantité d’eau nécessaire est importante car c’est toute l’eau de pluie qui est comptabilisée dans la production de nourriture pour la vache. Or, elle tombera quoi qu’il advienne et sera ensuite “évapotranspirée” par les plantes ou retournera à la nature via les déjections bovines.
En revanche, en comptant tous les types d’eau, l'”empreinte eau” globale est moins importante dans les élevages plus industriels et où leur nourriture est essentiellement composée d’aliments concentrés et de céréales fourragères qui ont besoin d’irrigation et de pesticides pour pousser. Mais il s’agit essentiellement d’eau bleue. Donc plus l’élevage est intensif, plus il puise dans les réserves d’eau mais cela n’apparaît pas dans cette “empreinte eau“.
Quel type de culture chez nous ?
La question est donc de savoir quel type de viande nous consommons : celle qui est produite avec des bêtes qui paissent ou bien celle qui est produite grâce à des plantes irriguées ? “Chez nous, c’est une production mixte“, répond Jérôme Bindelle. “La majeure partie de la nourriture des bovins vient des prairies, que ce soit en pâturage direct pendant la saison ou un affouragement à l’auge de foin ou d’ensilage d’herbe qui aurait été conservé pour l’hiver.“
Et puis, il y a quelques compléments qui sont donnés. “Par exemple, les bovins, en engraissement, reçoivent quelques compléments pendant la dernière phase de leur cycle de production. Certaines fermes utilisent aussi de l’ensilage de maïs en plus de l’herbe pour avoir plus de fourrages pour leurs animaux.“
La plupart de ces compléments viennent de chez nous, précise le professeur, à l’exception de certains tourteaux. “Le lin ou le soja sont importés mais cela reste une part peu importante de l’alimentation des animaux.“
Peu de pression sur les champs
Fannie Jenot est chargée de mission pour C-durable qui s’occupe d’aller dans les fermes pour calculer leur score environnemental sur base de la biodiversité, du bien-être animal et du climat. “L’un des éléments les plus importants qui permet de savoir si un élevage est plutôt intensif ou extensif est le chargement en bovin à l’hectare“, explique la chargée de mission.
“On estime que l’impact de la ferme sur la biodiversité est très défavorable si elle a un chargement de 2,6 UGB (Unité de gros bétail par hectare, autrement dit une vache, ndlr) par hectare. Et on estime qu’elle est favorable ou qu’elle n’a pas d’impact entre 1,8 et 1,4.” Or en Wallonie, la moyenne ne dépasse pas 2,6 vaches par hectares. “En 2018, la moyenne est de 2 UGB par hectare fourrager avec la charge la plus basse à 1,5 et la plus élevée à 2,7.“
Reste à savoir si cette viande est celle que nous consommons chez nous. Selon Statbel, la Belgique est plus qu’autosuffisante en viande bovine : 247.122 tonnes équivalent carcasse (os, tendons, graisse compris) de viande bovine ont été produites en 2021 et 177.356 tonnes équivalent carcasse ont été mises sur le marché.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les Belges consomment uniquement la viande produite chez nous car si la Belgique exporte 158.997 tonnes équivalent carcasses, elle importe aussi 89.231 tonnes équivalent carcasse. Bien que nous soyons autosuffisant en viande de bœuf, celle que nous consommons vient en partie d’ailleurs. Cependant, les données ne permettent pas d’identifier l’origine des viandes échangées.
En conclusion, le chiffre de 15.000 litres par kilo de viande bovine est exact selon une méthodologie qui comprend l’eau de pluie. Et c’est ce qui est paradoxal dans la méthode de calcul de cette empreinte eau. Plus les vaches paissent longtemps, sans être agglutinées dans les prairies, plus l’empreinte eau est grande.
Tony Liégeois est né à Liège en 1940, dans une famille d’amateurs de jazz. Il se met, dès l’âge de dix ans, à l’étude de la batterie (en autodidacte essentiellement). En 1957, il rencontre le pianiste Maurice Simon et le bassiste Georges Leclercq avec lequel il commence à se produire en Belgique et en Allemagne.
Au début des années 60, il fait partie des Daltoniens de José Bedeur, puis du Trio Troisfontaine qui en émerge. Il effectue des tournées avec le trio et des prestations aux festivals de Comblain, Antibes, Prague… ainsi qu’au Jazzland de Paris. Il joue également dans le quartette Grahame-Busnello. Devenu professionnel, il travaille parallèlement dans le commercial, notamment à l’Eden (Liège).
De plus en plus introduit dans le milieu jazz international par René Thomas et Busnello, il rencontre les plus grands batteurs américains : Elvin Jones, Jack De Johnette, Art Taylor et perfectionne son jeu à leur contact. À la dissolution du trio (1967), Tony Liégeois arrête la musique jusqu’en 1970. Il accompagne alors occasionnellement des musiciens comme Chet Baker, J. R. Monterose, Dusko Goykovich, René Thomas, etc. et joue dans les groupes Karma (Jazz-rock), Marry-Go-round (avec Steve Houben et Guy Cabay), etc.
Il part ensuite pour la France. Après son retour, il travaille en dilettante avec ses anciens compagnons (Troisfontaine, Linsman, Grahame etc) ou avec la jeune génération.
Pierre HOUCMANT (1953-2019) s’inscrit à 19 ans à l’Institut Supérieur des Beaux-arts Saint-Luc de Liège, où il suit les cours du photographe Hubert Grooteclaes jusqu’en 1974. La photographie commerciale ne le séduit guère. Seule la photographie créative l’attire. Occupé par une série qu’il a nommée “Interversions”, il expose beaucoup à l’étranger. Toutefois, la fréquentation de plasticiens influencés par Marcel Duchamp fait basculer ses intérêts vers des réalisations où le concept prime sur l’émotion. Au début des années 1990, il s’intéresse à l’image du corps qu’il fragmente. Parallèlement, il réalise une série de portraits d’écrivains.
Cette photographie fait partie de la série “Interversions”. Elle présente des portraits de femmes fragmentés, reliés à des éléments plastiques. La poésie de la composition laisse au regardeur le soin d’imaginer une narration ou la rêverie de la contemplation. C’est un tirage argentique sur papier baryté.
Jean Lerusse découvre le jazz dans les années 50. Il étudie la trompette et monte un sextette de type hard-bop où l’on trouve entre autres le guitariste Robert Grahame et le batteur Félix Simtaine ; il passe à la contrebasse et joue en trio avec Jean-Marie Troisfontaine et Willy Doni. En 1962, il entre dans le trio Fléchet qui se produit au Festival de Comblain plusieurs années consécutives. Il joue dans le quartette de Robert Jeanne jusqu’en 1969 (nombreux concerts à l’étranger dans le cadre de la Fédération Européenne des Orchestres de jazz amateurs).
Entretemps, Lerusse est devenu un des principaux bassistes liégeois, accompagnant aussi bien René Thomas ou Jacques Pelzer que des musiciens américains de passage. En 1975, reprise du quartette Jeanne ; il travaille aussi avec le guitariste John Thomas et monte en 1978 le groupe éphémère Pirogue, orienté vers la bossanova (avec, parmi d’autres, Robert Jeanne et le guitariste Paul Helias). Par la suite, sa vie professionnelle lui prenant de plus en plus de temps, il finit par cesser complètement toute activité musicale. En 1986, il réapparaît soudain en jam, non plus à la basse mais au bugle et à la trompette qui avaient été ses premiers instruments (…).
Jean-Pol SCHROEDER
Jean Lerusse s’est éteint le 9 août 2013 des suites d’une “grave” maladie. Il était né à Liège en 1939. Parallèlement à des études en médecine et un cursus en solfège, il apprend la trompette. A la fin des années 50, il monte un premier groupe qui se produit dans les cercles universitaires. Il a 20 ans lorsque débutent le festival de Comblain-la-Tour et les jam sessions liégeoises autour de Jacques Pelzer et René Thomas. En 1960, autour des stars principautaires, les débutants et les amateurs se côtoient, s’accompagnent, échangent leurs idées.
Les contrebassistes ne sont pas légion au Pays de Liège. Nécessité faisant loi, Jean passe à la contrebasse, un instrument qu’il maîtrise vite et bien. Avec Léo Fléchet et Félix Simtaine, il forme le home band du festival des bords de l’Ourthe. Alors qu’il suit une spécialisation en gynécologie-obstétrique, il intègre le quartet de Robert Jeanne en 1962, ossature du futur quintet de René Thomas qui tournera en Champagne-Ardenne et en Lorraine dans les années 65-69. Il n’est pas rare à cette époque de le voir quitter Reims ou Metz en 2CV, après un concert, la volute de la contrebasse dépassant gaillardement par l’ouverture de la capote. Il aura cette formule d’anthologie : “Je suis contrebassiste amateur et gynécologue professionnel, mais j’aurais tellement voulu faire le contraire !”
Au cours des années 70, avec Léo Fléchet ou Michel Herr et Félix Simtaine, il accompagne les nombreux solistes de passage en Belgique (Barney Wilen, JR Monterose, Lennart Johnson, Jon Eardley, Eddie Lockjaw Davis, Slide Hampton, Art Taylor, Jon Thomas, Lou McConnell…). Absorbé par ses obligations professionnelles, il s’éloigne des scènes pour réapparaître, sûr de lui mais au bugle et à la trompette (à valves), à l’occasion de deux festivals Jazz à Liège (1986).
A ma connaissance, Jean Lerusse n’a jamais enregistré. Dans sa Belgian Jazz Discography, Robert Pernet épingle néanmoins la présence de Jean lors d’une session avec René Thomas (Liège, 10 octobre 1968, AMC 16001).
En 2010, Jean Lerusse avait rédigé Le Jazz Pour Tous, une œuvre didactique destinée à faire comprendre les canons du jazz aux jeunes musiciens. Ce testament n’a malheureusement jamais trouvé d’éditeur. Pour le jazz en Belgique, c’est à nouveau une grande figure du jazz qui s’en va. Il était, pour moi, le compagnon de cinquante années de passions. See You, My Friend !
“Le fait de parler des lieux, c’est parler de l’humain” explique Eva NIELSEN (née en 1983). L’artiste franco-danoise brouille depuis plusieurs années les repères du paysage et de la peinture. Depuis 2010, elle met en scène des lieux à la fois familiers et étranges : une zone périurbaine désertée, une ferme abandonnée… Architectures de béton, stores, mobiliers urbains, tramés par la sérigraphie, structurent le territoire de la nature, comme celui de la toile. Malgré leur architecture marquée par la modernité, ces lieux semblent n’appartenir à aucun espace-temps déterminé. Eva Nielsen donne là une forme possible aux espaces anonymes, aux “non-lieux”, dont Marc Augé a souligné dans sa recherche d’une “anthropologie de la surmodernité” combien ils sont aujourd’hui les lieux de passage obligés d’un paysage mondialisé. Semblant être de nulle part, sans présence humaine, les paysages dépeints par Eva Nielsen pourraient être cet entourage immédiat que nous ne voyons plus. S’attachant à représenter une utopie moderne abandonnée, ses peintures résonnent comme un futur dans le passé, un retour de demain sur le présent.
Cette “surmodernité” est aussi celle de la peinture aujourd’hui. Eva Nielsen explore les frontières entre photographie et peinture, entre peinture et impression mécanique, un enjeu qu’elle sait être devenu une quête au long cours de l’histoire de l’art depuis Andy Warhol et Gerhard Richter. Les tableaux sont réalisés à partir de photographies, documentés par des marches et des explorations, aussi bien européennes qu’américaines. Pour accentuer le contraste entre le noir et blanc de l’impression photographique et cette tonalité sourde et lumineuse héritée du paysage scandinave, Eva Nielsen travaille chaque œuvre en deux temps, celui de la sérigraphie et celui des aquarelles, des encres, des acryliques. Elle fait, cependant, de la sérigraphie un usage unique, à rebours de ses capacités de reproduction. Elle n’en conserve que l’effet esthétique de la trame mécanique, tout comme elle a parfois expérimenté l’imprimante pour ses dessins préparatoires.
Peindre aujourd’hui pose la question du temps long dans une époque de l’instantané et du tout-image. Tout voir, est-ce ne rien voir ? À ses paysages architecturés, l’artiste a ajouté récemment la maladie du “voir”. Sa dernière série Lucite (2015-…) tient son nom d’une allergie à la lumière. L’horizon de ses peintures s’est ostensiblement voilé. Le statut du regardeur est redoublé : nous sommes en position de voyeur, à la fois du tableau, et de la maison de l’autre, que l’on tente d’apercevoir à travers le treillage qui recouvre la surface de la toile. Le voilage rejoint également un motif emblématique de l’histoire de l’art, le pli, théorisée par Gilles Deleuze, thème baroque par excellence, mais devenu ici le pli d’un grillage bon marché.
Au moyen de la sérigraphie, Eva Nielsen trompe l’œil avec des effets qui subliment la nature et le bâti. “Ce panorama zéro semblait contenir des ruines à l’envers”, note Robert Smithson à propos de Passaic, ville sans histoire du New Jersey dont les monuments ordinaires (ponts, parkings ou bacs à sable) lui inspirent en 1967 un texte fondateur sur le chaos des cités à l’épreuve du temps. Eva Nielsen l’a lu et approuvé, tout comme Manhattan Transfer de Dos Passos. Élevée dans le 91, elle qui transite entre Paris et Yerres connaît par cœur ces zones intermédiaires peuplées d’architectures précaires.
Des perspectives de non-lieux
Ses “odyssées suburbaines” forment par sédimentation des “spectrogéographies”. Autrement dit, des perspectives furtives de non-lieux. Sa méthode “vandale” varie et si, à l’origine, la sérigraphie masquée par des bandes de ruban adhésif précédait la peinture, l’inverse est devenu vrai. Personnelle ou d’emprunt, l’image source imprimée à même la toile, sur des chutes d’organza ou de cuir, est maculée d’huile, d’acrylique, d’aquarelle ou d’encre de Chine.Si bien que le regard ne sait plus où se poser, fouillant la surface et le fond en quête d’indices, perdant sur tous les plans, faute de mise au point.
Eva Nielsen ne lui facilite pas la tâche. Ses effets de textures ajoutent des filtres, sortes de vitres embuées ou de moustiquaires à trous qui, tels des souvenirs-écrans, cachent plus qu’ils ne montrent la scène : un paysage désolé hanté par des machines du futur déjà hors d’usage, des cabanes sinistres ou, depuis peu, des humains.Ses mondes hallucinés portent des noms savants, tels Thalweg, Zoled ou Polhodie…
Insolare est à l’avenant. Mené avec la commissaire Marianne Derrien dans le cadre du programme BMW Art Makers (programme qui permet aux artistes et curateurs de montrer et produire une création expérimentale à travers le prisme de l’image contemporaine), ce projet tâte le “terrain hostile” des marais de Camargue. Ce site naturel où la vie stagne et grouille se mue en collages humides pleins de sel, de coups de soleil. Désireuse de montrer une réalité “tant rurale qu’industrielle”, les créations de l’artiste offre une visibilité sur “la qualité vitale” des marais de Camargue.
Jacques Froidevaux, Hubert Froidevaux et Miguel-Angel Morales composent le collectif PLONK & REPLONK fondé en 1995 dans le Jura suisse. Dès 1997, le trio détourne des cartes postales Belle Epoque… Fait peu connu, leur collection de gâteaux est l’une des plus importantes du Vieux-Continent. L’ajout d’une touche absurde, notamment dans leurs légendes, confère aux œuvres une portée critique et humoristique.
Leurs fameux photomontages d’inspiration rétro ont contaminé les formats les plus divers: livres, affiches, cartes postales, autocollants, cimaises, animations, théâtre. Parmi leurs influences, on peut citer Erik Satie, Alphonse Allais, Glen Baxter, Gary Larson ou Pierre Dac. Fait peu connu, leur collection de gâteaux est l’une des plus importantes du Vieux-Continent. Pur produit d’un Arc jurassien en lévitation, Plonk & Replonk étonne donc son monde par l’amour irraisonné que ses membres vouent à ce plan d’eau notoire qu’est le lac Léman. Cette passion apparaissait dans toute sa démesure en 2008 déjà dans l’exposition qu’ils lui consacrèrent sans retenue au Musée du Léman, à Nyon. Aux dernières nouvelles, Plonk & Replonk s’apprêtent à commercialiser le Léman sous la forme d’une eau minérale gazeuse naturelle aux miraculeuses vertus diurétiques et conditionnée en pratiques jéroboams de cinq litres. (d’après PLONKREPLONK.CH)
Plonk & Replonk est déjà bien présent dans wallonica.org :
OSIM : ORGANISATIONS DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE ISSUES DES MIGRATIONS
“Une OSIM (Organisation de solidarité internationale issue des migrations) est une organisation constituée par des personnes immigrées et/ou issues de l’immigration, (…), effectuant des activités au Nord et/ou au Sud, dont les finalités sont totalement ou partiellement orientées vers la solidarité internationale et le développement en faveur des populations, dans un ou plusieurs pays (…), dont principalement le pays d’origine.“
DIASPORA
La diaspora est un mot d’origine grecque qui renvoie à la dispersion, la dissémination. Le terme recouvre la dispersion d’un peuple à travers le monde. Peuvent être retenues trois caractéristiques essentielles :
la conscience et le fait de revendiquer une identité ethnique ou nationale,
l’existence d’une organisation politique, religieuse ou culturelle du groupe dispersé (vie associative),
l’existence de contacts sous diverses formes, réelles ou imaginaire, avec le territoire ou le pays d’origine.
DIVERSITÉ
La diversité désigne ce qui est varié, divers. Appliquée à une entreprise, elle désigne la variété de profils humains qui peuvent exister en son sein (origine, culture, âge, sexe/genre, apparence physique, handicap, orientation sexuelle, diplômes, etc.). Dans une organisation qui se veut inclusive, la diversité cherche à se décliner dans toutes les fonctions et aux différents niveaux de l’organisation. La diversité culturelle est le constat de l’existence de différentes cultures au sein d’une même population. Selon l’UNESCO, la diversité culturelle est “source d’échanges, d’innovation et de créativité (…). En ce sens, elle constitue le patrimoine mondial de l’humanité (…). La défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine.“
INTERCULTURALITÉ ET MULTICULTURALITÉ
L’interculturalité désigne l’ensemble des relations et interactions entre des cultures différentes. Le concept implique des échanges réciproques. L’interculturalité est donc fondée sur le dialogue, le respect mutuel et le souci de préserver l’identité culturelle de toute personne. La multiculturalité désigne la coexistence de plusieurs cultures dans une même société. Le multiculturalisme est également une doctrine qui met en avant la diversité culturelle comme source d’enrichissement de la société.
APPROPRIATION CULTURELLE
L’appropriation culturelle était au départ un terme qui renvoyait à un processus d’utilisation d’éléments d’une culture par une autre culture. Au départ, non polémique, il désignait tout autant l’exportation de la fête d’Halloween dans les pays européens que le fait que des objets d’art appropriés pendant le temps colonial soient dans les musées des anciennes métropoles coloniales. Rapidement, le terme est devenu plus péjoratif pour désigner un processus d’emprunt entre les cultures qui s’inscrit dans un contexte de domination et d’exploitation. Il s’opposerait à un phénomène sociologique courant qui veut que les cultures entrent en contact les unes avec les autres et s’abreuvent les unes des autres, faisant de la culture une matière mouvante et malléable dans le temps. Les contacts entre cultures seraient alors désignés par le terme d’interculturalité. Au-delà de la question sémantique, il s’agit d’être conscient que les cultures ne constituent pas des blocs monolithiques, qu’elles interagissent les unes avec les autres et que dans le même temps, elles entretiennent également des rapports de pouvoir entre elles. L’appropriation de certains éléments culturels peut ainsi être le reflet d’un rapport de colonisation entre peuples ou d’images réappropriées dans un cadre connoté négativement.
Selon le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX), “l’antiracisme vise à combattre le racisme sous toutes ses formes en s’opposant aux discriminations, aux haines, aux préjugés, aux inégalités qu’il suscite. L’antiracisme revendique l’égalité des droits et des chances pour tous. Il refuse toute tentation de domination politique, sociale, culturelle d’une communauté sur une autre.”
BLACK LIVES MATTER #BLM
Le mouvement est né en 2013, après l’acquittement de George Zimmerman, le coordinateur d’une surveillance de voisinage blanc qui a tué par balles Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans non armé. Il a été lancé par trois femmes afro-américaines impliquées dans les mouvements communautaires : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Le mouvement s’est répandu à travers les États-Unis dans un premier temps, et dans le reste du monde par la suite notamment grâce aux réseaux sociaux. C’est un mouvement décentralisé. Il existe en Belgique une branche qui se nomme Belgian Network for Black Lives, lancée à l’été 2020, dans le contexte des manifestations faisant suite à la mort de George Floyd aux États-Unis.
PERSONNE ALLIÉE
Une personne alliée est une personne qui ne subit pas un système oppressif mais qui va s’associer aux personnes qui en sont victimes pour le combattre. Être une personne alliée suppose un travail d’introspection sur qui l’on est, ce que l’on représente et la place que l’on occupe dans la société (ex. prendre conscience de sa blanchité, de l’eurocentrisme). Le fait d’être une personne alliée ne s’arrête pas au travail d’introspection, il va plus loin en ce sens qu’il signifie aussi que la personne se positionne en faveur de mesures pour apporter des changements interpersonnels, sociaux et institutionnels en faveur de l’égalité.
Terme popularisé par la chercheuse Peggy McIntosh, l’expression de “privilège blanc” renvoie à l’ensemble des avantages invisibles mais récurrents dont bénéficient les personnes blanches uniquement parce qu’elles sont blanches. Les personnes blanches n’ont pas à subir de discrimination en tant que Blancs, mais elles possèdent également des avantages a priori invisibles par rapport aux personnes racisées. Cette expression met par ailleurs en avant le fait que le racisme reste une relation entre groupes sociaux, l’avantage des uns dépendant du désavantage des autres. En se basant sur sa propre expérience, Peggy McIntosh a relevé vingt-six privilèges blancs dans le cadre de son article, parmi lesquels se trouvent une estime de soi différente, un statut social par défaut plus élevé, un meilleur pouvoir d’achat, un meilleur accès au marché du travail, une plus grande liberté de circulation et d’expression jusqu’aux sparadraps qui sont de couleur rose clair.
BLANCHITÉ OU BLANCHITUDE
Ces termes renvoient au fait d’appartenir à la prétendue race dite “blanche”. Le concept de blanchité fait ressortir que le fait d’être une personne “blanche” est une construction sociale au même titre qu’être une personne “noire” ou “arabe”. Par conséquent, être une personne blanche, c’est aussi subir une forme de racisation qui, dans ce cas précis, octroie avant tout des privilèges.
LA FRAGILITÉ BLANCHE
On évoque dans de nombreux mouvements antiracistes le concept de fragilité blanche, développé par la sociologue Robin J. Di Angelo, pour faire référence à un état émotionnel, généralement inconscient, dans lequel se trouvent les personnes blanches lorsqu’une personne racisée juge et critique leurs comportements comme racistes. Cet état émotionnel se traduit par des émotions comme la peur, la colère, la culpabilité et/ou peut amener la personne blanche à minimiser le ressenti des personnes racisées ou à arrêter la conversation. La fragilité blanche révèle que les personnes blanches sont rarement confrontées au racisme, et donc ressentent un sentiment d’inconfort lorsque la question est abordée.
RACISME ANTI-BLANC
Le racisme anti-blanc toucherait spécifiquement les personnes blanches. Toutefois, les préjugés raciaux des personnes faisant partie des groupes minoritaires ne sont pas historiquement chargés et n’émanent pas d’un système. Interrogé sur l’utilisation du terme “racisme anti-blanc”, le directeur d’Unia Patrick Charlier disait ainsi : “L’utilisation du terme ‘racisme anti-blanc’ est trompeur, car il laisse entendre que c’est une forme de racisme qui est équivalente au racisme à l’égard des personnes d’origine étrangère, ce qui est très loin d’être le cas sur un plan sociologique et structurel. Il tend à relativiser les problèmes de racisme auxquels sont confrontées les personnes issues des minorités.”
Selon Alexandra Pierre, “la thèse d’un racisme ‘anti-blanc’ correspondait plus à une peur, ou une perception d’une domination sociale et politique des minorités, qui cache une peur de perdre son statut privilégié.“
SUPRÉMATIE BLANCHE
Idéologie selon laquelle les valeurs culturelles et les normes des peuples d’origine occidentale sont supérieures à celles des autres groupes humains. La suprématie blanche se manifeste dans l’Histoire (colonisation, etc.) et dans les institutions (justice, éducation, etc.) construite par ces nations. Elle se décline dans les habitudes, les structures sociales, les croyances, les stéréotypes. Selon Alexandra Pierre, “il faut distinguer le concept de ‘suprématie blanche’ du mouvement des suprémacistes blancs. Ces derniers ne sont évidemment pas étrangers à l’idée de domination blanche. Cependant, dans leur cas précis, ils l’incarnent de manière brutale, consciente et assumée, individuellement ou à travers des organisations politiques d’extrême droite.“
MYTHE DU SAUVEUR BLANC
Le “white saviorism” est un terme que l’on peut traduire par le “complexe du sauveur blanc”. Il est né dans le cadre d’une critique du «volontourisme» (ou tourisme humanitaire) et s’est considérablement amplifié depuis l’émergence des réseaux sociaux en recouvrant des aspects plus larges. Ce terme a ainsi fait largement débat dans le cadre des campagnes de l’ONG britannique Comic Relief qui a envoyé des célébrités anglaises présentées comme des héros dans les pays africains pour ses opérations de récolte de fonds. Suite aux accusations de “white saviorism”, l’ONG a arrêté cette campagne et a décidé de renforcer son action antiraciste en dédiant des fonds pour lutter contre le racisme en Grande-Bretagne. Le “sauveur blanc” désigne ainsi le fait de mettre au centre de l’action les humanitaires blancs qui en profitent pour poser “en héros” et entourés de “pauvres petits enfants” présentés comme passifs sur les photos qu‘ils publient ensuite sur les réseaux sociaux. C’est donc une forme d’expérience émotionnelle, sincère ou déguisée, qui permet de valider des privilèges et de soigner son image. C’est là que se situe la frontière entre le volontouriste désintéressé qui vient pour offrir son aide “gratuitement”, et les white saviors qui y cherchent une valorisation sociale et personnelle en étalant leur bonté à la vue du plus grand nombre. Ceux-là croient faire une bonne action mais agissent bien souvent sans discernement et sans tenir compte des véritables besoins des populations locales. Ce faisant, ils ne leur sont pas d’un grand secours, et peuvent même leur causer du tort.
Dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée par les Nations Unies en 1965, la discrimination est définie comme “toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.“
Cette convention se décline en Belgique par trois lois fédérales qui constituent la législation anti-discrimination : la loi “Genre”, la loi “Antiracisme” et la loi “Anti-discrimination”. Cette législation condamne tant la discrimination que le harcèlement, le discours de haine ou les délits de haine envers une personne ou un groupe de personnes.
Par ailleurs, elle distingue 19 critères de discrimination, dont 5 critères raciaux, sur base desquels la discrimination est interdite et punissable : la prétendue race, la nationalité, la couleur de la peau, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique. Parmi les motifs de discrimination interdits par la loi générale relative aux “autres critères de discrimination”, on trouve deux autres critères qui font partie de l’antiracisme au sens large : les convictions religieuses ou philosophiques et la langue.
ACTIONS POSITIVES PARFOIS APPELÉES “DISCRIMINATIONS POSITIVES”
En Belgique, la législation utilise le terme d’”actions positives” plutôt que “discrimination positive”. L’action positive est définie dans la loi de 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, comme un ensemble de “mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser les désavantages liés à l’un des critères protégés [la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique], en vue de garantir une pleine égalité dans la pratique“. Les actions positives sont également inscrites dans la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination de 2007, dite loi anti-discrimination.
NON-MIXITÉ (CHOISIE)
Pratique qui consiste à organiser des rassemblements réservés aux personnes appartenant à des groupes discriminés en excluant la participation de personnes appartenant à des groupes considérés comme potentiellement discriminants ou oppressifs et/ou à réserver la parole aux personnes opprimées en excluant les membres de groupes dominants qui risquent de monopoliser la parole ou de ne pas accorder de crédit à leurs propos.
La pratique de la non-mixité fait souvent l’objet de débats : pour certains, elle permet l’émancipation des personnes et la liberté de parole, pour d’autres, elles recréent une forme de discrimination.
QUOTAS
Les quotas sont une des formes que peuvent prendre les actions positives. Ils représentent ici un seuil minimal institué par la loi, chiffré, qui vise à normaliser la présence d’un groupe sous-représenté dans un espace donné. Il est important de rappeler que les quotas n’ont pas vocation à être éternels, ils constituent une étape afin de lutter contre les plafonds de verre et les discriminations. La fonction des quotas est à terme de faire disparaître les structures de pouvoir qui excluent les personnes sur base de leur genre et/ou de leur “prétendue race” ou origine.
L’instauration de quotas tant pour les femmes dans les instances de décision que pour les personnes racisées fait souvent l’objet d’intenses débats, car ils contreviendraient à la notion même d’égalité. Force est de constater que pour les femmes, les quotas ont fait un peu de chemin comme on peut le constater dans la législation électorale qui instaure l’obligation de constitution de listes électorales équilibrées en terme de sexe ou dans l’obligation faite aux associations d’avoir un tiers de membres de leur CA du même sexe. D’autres propositions de lois sont actuellement en discussion entre autres pour imposer des quotas de genre dans les comités de direction des entreprises publiques.
La question des quotas pour les personnes racisées est par contre moins consensuelle. On lui oppose l’interdiction de recensement ethnique en Belgique, qui pourrait pourtant être contourné comme le proposait les Assises de l’interculturalité en se basant sur la nationalité de la personne à la naissance ou celle de ses parents qui se trouvent inscrites dans le registre national.
STIGMATISATION
La stigmatisation est le processus social et la forme de contrôle social par lequel une personne est “mise à l’écart de la société à cause de différences considérées comme contraires aux normes de la société.“
STÉRÉOTYPE
“Un stéréotype est une image préconçue, une représentation simplifiée d’un individu ou d’un groupe humain. Il repose sur une croyance partagée relative aux attributs physiques, moraux et/ou comportementaux, censés caractériser ce ou ces individus. Le stéréotype remplit une fonction cognitive importante : face à l’abondance des informations qu’il reçoit, l’individu simplifie la réalité qui l’entoure, la catégorise et la classe.” Il peut être valorisant ou dévalorisant et permettent à l’individu de classer rapidement de nombreuses informations.
PRÉJUGÉ
“Un préjugé est une opinion préconçue portant sur un sujet, un objet, un individu ou un groupe d’individus. Il est forgé antérieurement à la connaissance réelle ou à l’expérimentation : il est donc construit à partir d’informations erronées et, souvent, à partir de stéréotypes.“
INTERSECTIONNALITÉ
Cette notion est issue d’analyses qui tiennent compte du fait que les différentes catégories sociales impliquent diverses formes d’oppressions qui ont chacune un impact sur les personnes concernées. C’est ainsi que tout individu se trouve à la croisée de différentes identités qui le caractérisent comme son origine géographique, ethnie, religion, orientation sexuelle, classe sociale, âge, la “race”, l’état de santé, aspect ou sexe. L’intersectionnalité permet de visibiliser les minorités dans les minorités, de penser la multiplicité des discriminations et d’éviter le cloisonnement des luttes en analysant la manière dont les différents systèmes d’oppression s’articulent et se renforcent mutuellement. À l’origine, le concept a été créé en 1989 par l’avocate nord-américaine Kimberlé Crenshaw pour parler de la situation particulière des femmes noires qui se retrouvent à l’intersection de plusieurs discriminations, sexistes et racistes.
XÉNOPHOBIE
“Hostilité systématique manifestée à l’égard des étrangers ou des personnes perçues comme telles.” Le racisme et la xénophobie sont deux termes qui ont émergé au même moment. Pourtant, ils ne désignent pas les mêmes réalités : la xénophobie est un terme d’origine grec qui désigne la haine ou le rejet de l’étranger. Alors que le mot racisme vise plutôt les origines des personnes et induit un classement des personnes en fonction de leur prétendue race.
RROMOPHOBIE
Selon Unia, les Rroms constituent aujourd’hui la plus grande minorité ethnique en Europe et sont la cible d’une discrimination systématique à l’école, au travail et dans la vie quotidienne. “La Rromophobie se définit comme la haine ou la peur des personnes perçues comme étant Rroms, Tsiganes ou ‘du voyage’ et implique l’attribution négative de l’identité d’un groupe. La Rromophobie est donc une forme de racisme, taillée dans la même étoffe que celui-ci. Elle entraîne marginalisation, persécution et violences.“
NÉGROPHOBIE OU RACISME ANTI-NOIRS
Selon le réseau Canopé, “le racisme anti-Noirs définit les attitudes, comportements et discours d’hostilité à l’égard des ‘personnes noires’, terme d’assignation qu’il faut considérer dans toute sa subjectivité et son hétérogénéité.“
ISLAMOPHOBIE
L’islamophobie peut se définir comme la peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport. Qu’elle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, l’islamophobie est une violation des droits de l’homme et une menace pour la cohésion sociale.
ANTISÉMITISME
Attitude de racisme ou d’hostilité systématique envers les Juifs, les personnes perçues comme telles ou leur religion.
MICRO-AGRESSIONS
Échanges quotidiens qui envoient des messages dénigrants à certaines personnes en raison de leur appartenance à un groupe. Une micro-agression fait partie du spectre général des agressions et peut être implicite, voire invisible pour les autres. Le pouvoir des micro-agressions réside dans le fait qu’elles sont invisibles et donc qu’il est parfois difficile de percevoir nos propres actions comme discriminatoires.
La colonisation est une entreprise de mise sous tutelle d’un territoire par un autre Etat ou territoire. Le pays colonisateur exerce sur sa colonie une domination politique, militaire et économique au détriment des populations locales.
La colonisation a été justifiée par l’élaboration d’une image pseudo-scientifique des peuples colonisés par les anthropologues/ethnologues européens. L’évolutionnisme et le racisme “scientifique” ont permis de justifier les violences perpétrées durant la seconde vague de colonisation dans la deuxième moitié du 19e siècle, la “civilisation” devant être apportée aux peuples colonisés.
DÉCOLONISATION
La décolonisation désigne le processus par lequel un pays ou une région colonisée (re)devient indépendant. Mais selon une seconde acceptation, la décolonisation concerne la décolonisation des mentalités, des discours, des savoirs, de l’espace public, etc. En effet, les systèmes de pensées ayant justifié la colonisation ont tendance à persister dans l’organisation des sociétés actuelles (aussi bien dans les populations des ex-pays colonisateurs que dans les populations des ex-pays colonisés) et ce, malgré que nous soyons dans une ère a priori post-coloniale au sens premier du terme. En ce sens, la décolonisation vise à déconstruire ces mythes persistants qui ont des effets concrets sur les individus (ex : eurocentrisme, mythe du sauveur blanc, racisme).
NÉO-COLONIALISME
On parle de néo-colonialisme pour évoquer les formes recomposées que prennent aujourd’hui les rapports coloniaux, généralement au niveau politique et économique.
Les ex-puissances coloniales cherchent à maintenir par des moyens détournés la domination économique et culturelle sur leurs anciennes colonies (ex : politiques commerciales de l’Union européenne, exploitation des ressources naturelles et ressources humaines, hégémonie culturelle…). Ce terme tend à s’étendre à des États qui n’ont pas ou peu participé formellement à la colonisation, voire ont subi celle-ci, mais en reproduisent les mécanismes de domination (notamment les États-Unis et la Chine…).
POST COLONIALISME
Selon l’université de Lausanne : “Le terme de post-colonialisme est créé au moment de la décolonisation. Au départ, il désigne une période historique, le moment qui suit la décolonisation d’un pays auparavant colonisé. Par la suite, il est utilisé pour désigner le courant critique qui traite des effets matériels, mais surtout symboliques et discursifs de la colonisation, au sein d’un nombre important de disciplines (en littérature comparée, histoire, anthropologie, études du développement, etc.).“
MISSION CIVILISATRICE
Durant l’expansion coloniale, la notion de “mission civilisatrice” apparaît comme la théorie qui considère que les nations européennes sont “supérieures” et ont pour devoir – ou auraient reçu la mission – de civiliser des civilisations non européennes considérées comme “inférieures”. Cette conception se retrouve dans tous les pays européens qui s’engagent dans la colonisation. En Angleterre, l’écrivain Rudyard Kipling l’a décrit dans son poème The white man’s burden (“le fardeau de l’homme blanc”), qui insiste sur la lourde tâche qui attend l’Européen dans sa mission d’apporter la civilisation au reste du monde.
Selon Pernille Røge qui s’intéresse à la colonisation française, “le concept de ‘mission civilisatrice’ renvoie aux présupposés éthiques de la colonisation. Il stipule la supériorité de la civilisation française sur toutes les autres civilisations et assigne aux Français la tâche, ou plutôt la ‘mission’, d’amener ces civilisations inférieures au niveau de la civilisation française. (…) Ce discours est alimenté par des préjugés raciaux et des dichotomies telles que ‘Noir’ et ‘Blanc’, ‘sauvage’ ou ‘barbare’ et ‘civilisé’, apparaissent alors comme autant de moyens mis en œuvre par le colonisateur pour justifier la domination des colonisés“.
ETHNOCENTRISME.
Étymologiquement, l’ethnocentrisme évoque l’idée de centrage et de fixation sur ses propres valeurs et/ou repères culturels et normatifs. L’ethnocentrisme suggère également une incapacité ou une difficulté à prendre distance à l’égard de ses propres représentations. Ce manque de distance provoque une projection de ses propres représentations sur autrui ; autrement dit, le regard ethnocentré observe et évalue les goûts, pratiques et représentations d’autrui à travers les “lunettes” de sa propre culture.
COLONIALITÉ
Ce concept émerge en Amérique Latine sous la houlette de plusieurs académiques qui crée un réseau pluridisciplinaire sur le sujet au début des années 2000. Le postulat de base consiste à voir dans le moment de l’arrivée des Européens en Amérique Latine en 1492 le point de bascule vers la mise sur pied d’un système-monde fondé sur l’économie capitaliste et la racialisation des groupes sociaux. Cette théorie se différencie du post-colonialisme qui fait débuter 300 ans plus tard ce point de bascule.
EUROCENTRISME
L’eurocentrisme est une forme d’ethnocentrisme, qui renvoie au fait d’analyser des situations uniquement d’un point de vue européen ou, plus largement, occidental, voire de considérer son modèle de société comme supérieure aux autres. L’auteur égyptien Samir Amin a forgé ce concept dans les années 1970, pour lequel l’eurocentrisme n’est pas seulement une vision du monde mais un projet global, homogénéisant le monde sur un modèle européen sous prétexte de « rattrapage » pour les pays non occidentaux.
Photographe indépendant depuis 1974 et réalisateur de documentaires, Baudoin LOTIN (né en 1953) vit et travaille à Maizeret (Andenne). Il expose ses photographies (Belgique, Canada, Espagne, Les rencontres d’Arles en France, Mexique). Il participe à des missions photographiques (comme Tbilissi 3 en Géorgie). Il poursuit un travail sur le Mexique publié aux Presses Universitaires de NamurMexique : Photographies (1985) et El silencio de la Palabras : Petites histoires mexicaines(2003). Lauréat d’une bourse du Ministère de la Communauté Française de Belgique et d’une Bourse des amis de l’Unesco (Louvain-la-Neuve), du Prix national Photographie ouverte (Charleroi), Baudoin Lotin a également participé à la création de galeries et d’ateliers pour la photographie (1981 -2012).
Cette photographie, que l’on pourrait croire en noir et blanc, est en couleur. Saisissant un contraste de lumière entre la pénombre d’un intérieur et la lumière provenant de l’extérieur, le photographe donne au dispositif du rideau devant la fenêtre un aspect sculptural. L’image évoque un moment vide auquel on ne sait quel sens donner, et l’imagination peut l’étirer jusqu’à un rideau de théâtre… une fenêtre sur le monde, une ouverture vers le connu ou l’inconnu.
[LAICITE.BE, 05 juillet 2023] Les constats sont nombreux qui justifient la nécessité de généraliser une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) de qualité auprès de tous les jeunes et les enfants. Aujourd’hui pourtant, on observe encore de grandes résistances face à l’Evras.
L’éducation relationnelle, affective et sexuelle est, depuis toujours, un sujet sensible, qu’il s’agisse de celle qui se fait à l’école ou dans les familles, de manière formelle ou informelle. Entre celles et ceux qui trouvent qu’on en dit trop, pas assez, pas correctement, ou encore pas au bon âge… des débats animés agitent les nombreux acteurs concernés. L’éducation sexuelle, qui existe depuis plus de 50 ans en Belgique, répond pourtant à des préoccupations sociales essentielles et à un enjeu de santé publique. La législature actuelle a vu la Fédération Wallonie-Bruxelles, la Région wallonne et la Cocof vouloir garantir l’accès à l’Evras pour toutes et tous les élèves grâce à un Accord de coopération qui les engage. Le Conseil d’État vient de se prononcer positivement sur le projet. Tous les signaux sont donc au vert. Posons dès lors enfin les premiers jalons de la généralisation de l’Evras en milieu scolaire !
Historiquement, en Belgique, l’éducation sexuelle a été instituée pour répondre aux besoins de prévention liés aux infections sexuellement transmissibles (IST) ainsi qu’aux grossesses non-désirées. Au cours des années, les questions liées à la santé sexuelle et aux relations amoureuses ont évolué. L’éducation sexuelle s’est elle aussi adaptée afin de correspondre à ces changements importants de paradigmes, comme la dépénalisation partielle de l’avortement dans les années 90, la légalisation du mariage pour les homosexuels et homosexuelles en 2003. Aujourd’hui, d’autres enjeux sont enfin pris en considération : ceux du sexisme (60 % des jeunes Belges subissent des pressions pour se conformer à l’image stéréotypée de l’homme ou de la femme), des violences sexuelles (un ou une Belge sur deux a déjà été exposé à une forme de violence sexuelle), ou encore de l’inceste, de la pornographie, du harcèlement, des stéréotypes de genre, etc. Ces chiffres montrent que les jeunes sont, dans une grande majorité, susceptibles d’être un jour victimes de ces violences, et ce risque est d’autant plus important pour celles et ceux qui appartiennent à des minorités sexuelles ou de genre. Les jeunes bisexuel (le) s et homosexuel (le) s sont par exemple deux à dix fois plus souvent concerné(e) s par les violences intrafamiliales et 1/3 des jeunes transgenres évitent d’exprimer leur expression de genre (vêtement, coiffure, apparence, etc.) par peur des conséquences négatives.
Pour faire des choix libres et responsables
Ces différents constats, loin d’être exhaustifs, justifient déjà pleinement la nécessité de généraliser une éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (Evras) de qualité auprès de tou (te) s les jeunes et les enfants. Cette Evras vise à les outiller pour qu’ils ou elles puissent facilement faire des choix responsables qui respectent leur intégrité, leur bien-être et celui des autres. Comme à son origine, l’Evras constitue une politique de prévention destinée à améliorer la santé publique, mais en élargissant ses domaines de compétences au-delà de la sphère de la santé purement physique. C’est d’ailleurs toute la révolution de l’Evras : une approche globale et positive du relationnel, de l’affectif et de la sexualité.
En permettant aux enfants et aux jeunes d’accéder à cette éducation au sein de leur parcours scolaire, l’Evras assure par ailleurs une mission d’égalité des chances : l’ensemble des enfants et des jeunes peut ainsi obtenir des réponses adaptées aux questions qu’ils et elles se posent. Comme sur les autres sujets, cette mission de l’école ne se substitue en aucun cas à l’éducation des parents : elle permet de compléter les informations données au sein des familles, d’offrir un espace de parole bienveillant aux enfants et aux jeunes et, dans certains cas, de dépasser les tabous qui survivent dans certaines familles, qu’ils soient d’origine générationnelle, religieuse, culturelle, etc.
Dans tous les cas, les thématiques abordées lors des animations Evras et la manière dont elles sont présentées doivent toujours être adaptées aux jeunes qui y prennent part : non seulement parce que les animateurs et animatrices professionnel (le) s adaptent leurs propos à l’âge des élèves à qui ils et elles s’adressent, mais surtout parce qu’ils et elles partent du questionnement des élèves pour construire les animations. Ainsi, celles-ci ne devancent jamais les questions qui ont émergé au sein du groupe ; même si certains sujets sont systématiquement abordés à titre de prévention, comme le harcèlement, les infections sexuellement transmissibles ou encore la contraception. Ces réponses vont d’ailleurs toutes dans le sens du bien-être physique et psycho-social des jeunes et, surtout, suivent les recommandations de référentiels nationaux et internationaux reconnus (notamment ceux de l’OMS, d’Amnesty International ou encore de Child Focus).
Aujourd’hui pourtant, on observe encore de grandes résistances face à l’Evras. Les objectifs d’autonomisation des jeunes, de réduction des inégalités et d’amélioration de la santé publique en matière de sexualité, qui en constituent le cœur, doivent pourtant nous rassembler autour de sa défense : parce qu’elle permet à toutes et tous d’opérer des choix libres et éclairés dans leur vie relationnelle, affective et sexuelle, dans le respect de soi et des autres. Parce qu’elle permet aux jeunes de s’outiller contre certaines violences, et aux animateurs et animatrices de repérer des situations problématiques. Mais aussi parce que la généralisation de l’Evras, telle que pensée aujourd’hui en Belgique, est une mission de protection de la santé et du bien-être de l’enfance ; une mission nécessaire et essentielle.
Signataires : FAPEO (Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel), CODE (Coordination des ONG pour les Droits de l’Enfant), Solidaris, Mutualité chrétienne, Child Focus, Susann Wolff, professeure de psychologie clinique à l’UCL et à l’ULB, Eveline Jacques, psychothérapeute, Amnesty, Prisme, Centre d’Action Laïque (CAL), CHEFF, Sofélia, Fédération des Centres de Planning et de Consultations (FCPC), Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial (FCPPF), Fédération Laïque des Centres de Planning Familial (FLCPF), O’YES
Cette carte blanche a été publiée sur lalibre.be le 30.06.2023…
Jean Linsman est né à Ans, en 1939, dans une famille de musiciens. Il étudie la trompette au Conservatoire de Liège. Il découvre Chet Baker et Gerry Mulligan, vers 1958, puis Clifford Brown, qui deviendra un de ses principaux modèles. Il travaille le jazz seul pendant un an, puis pénètre dans le milieu des jazzmen liégeois (fin 1959) et entre dans les Daltoniens de José Bedeur. Dès cette époque, il joue dans le style hard-bop, qui restera son langage musical privilégié.
En 1962, passé professionnel, il travaille dans l’orchestre de Janot Moralès, joue également sur les bateaux qui descendent le Rhin, avec Maurice Simon (1963-1964) et, entre les croisières, jamme avec Pelzer, Thomas, etc. En 1965, il quitte Moralès et se consacre de plus en plus au jazz. Au cours de ses pérégrinations, il a l’occasion de “jammer” avec des musiciens aussi prestigieux que Johnny Griffin, Tommy Flanagan ou Albert Mangelsdorff. De 1967 à 1969 : retour au “métier” en Allemagne et en Suisse où il rencontre Heinz Biegler, Franco Ambrosetti et Isla Eckinger ; il joue en leur compagnie puis, en 1969, rentre à Liège et y devient le principal trompettiste jazz.
Dès 1970, il arrête complètement tout travail commercial. L’année suivante, il doit abandonner la trompette suite à un accident. Fin 1972, sous l’influence de René Thomas, Linsman se remet au jazz, à la guitare basse ! Il se produit sur cet instrument dans le trio Fléchet et surtout dans le groupe T.P.L. (Thomas-Pelzer Limited) et en trio avec René Thomas et le batteur américain Art Taylor. Petit à petit, il se remet à la trompette et monte un sextette pour lequel il écrit de superbes arrangements (1976-1978). Par la suite, il joue en free-lance, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas.
En Belgique, il participe à des gigs occasionnels avec Pelzer, Grahame, etc. ainsi qu’avec le trompettiste et pianiste américain Vince Bendetti et le saxophoniste suédois Lennart Jonson. Il travaille avec la jeune génération, monte un trio avec le guitariste Stéphane Martini et le bassiste Sal La Rocca et joue régulièrement avec les pianistes Eric Vermeulen et Johan Clement, les bassistes Hein Van de Geyn, Bart de Nolf et Sal La Rocca, et les batteurs Dré Pallemaerts et Rick Hollander.
Par définition, le racisme est une idéologie fondée sur la croyance qu’il existe une hiérarchie entre les groupes humains, les prétendues “races”. Le racisme englobe les comportements et attitudes hostiles qui découlent de
cette idéologie, à l’égard d’un individu ou d’une catégorie d’individus.
La loi belge du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie reconnaît deux types de discriminations :
Directe : la situation qui se produit lorsque, sur la base de l’un des critères protégés [la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique], une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable,
Indirecte: la situation qui se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner, par rapport à d’autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l’un des critères protégés.
Le racisme est également un phénomène systémique, c’est-à-dire qu’il ne peut être réduit aux seules interactions individuelles. En effet, le racisme fait également partie des institutions et de la socialisation. On parle alors de
racisme systémique quand plusieurs dimensions du racisme (historique, structurelle et individuelle) coexistent et se renforcent mutuellement. Cette forme de racisme a pour effet de perpétuer les inégalités vécues par les personnes racisées notamment en matière d’accès au logement et aux services publics.
Le racisme systémique, parce qu’il est plus insidieux, peut paraître plus difficile à percevoir. La Commission canadienne des droits de la personne et de la jeunesse le définit comme “la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination.”
RACISME D’ÉTAT
D’après le philosophe Michel Foucault, le racisme d’État désigne “un racisme lié au fonctionnement d’un État qui est obligé de se servir de la race, de l’élimination et de la purification de la race, pour exercer son pouvoir souverain” (exemples : L’Allemagne nazie, l’Afrique du Sud sous l’apartheid, les États-Unis lors de la ségrégation raciale sous les lois Jim Crow…).
Dans le contexte francophone de l’antiracisme contemporain, l’expression a été reprise par certains mouvements pour désigner la manière dont les États modernes sont structurés, sous couvert d’égalité formelle, par un racisme “institutionnel” qui dépasse les intentions et les idéologies.
RACISME CULTUREL
Aujourd’hui, les individus ne sont plus ciblés uniquement sur base de leur couleur de peau, mais également sur base de leur culture et la prétendue incompatibilité de celle-ci avec la culture nationale. Dans son rapport de 2013, Unia indique ainsi que le tabou sur le racisme scientifique n’a pas mis fin au racisme, mais a plutôt fait évoluer les mots utilisés pour mettre plus en avant des “identités culturelles” incompatibles car trop différentes. Le rapport d’Unia va plus loin en précisant : “Ce ‘nouveau’ racisme est en mesure de présenter le comportement raciste comme une attitude ‘raisonnable’, ‘logique’ ou même ‘naturelle’ en ces temps modernes : pour éviter les conflits entre groupes dans une société devenant toujours plus diverse, il est important de respecter les ‘seuils de tolérance’ de l’autre et de conserver une ‘distance culturelle’. Dans la forme la plus extrême du ‘racisme culturel’, la cohabitation est même totalement impossible, car les différences culturelles entre les différents groupes dans la société seraient tout simplement insurmontables.“
Ce discours permettrait ainsi de justifier les discriminations et mauvais traitements des “groupes racisés” en invoquant des normes et valeurs propres à ces groupes : “Les Roms vivent du vol et ne veulent pas mettre leurs enfants à l’école“, “Les Africains ne veulent simplement pas travailler dur“, etc.
Présupposant l’existence de groupes humains nommés “races”, la notion de “race” appliquée aux êtres humains apparaît dans la seconde moitié du 18e siècle et postule, par analogie avec les races d’animaux d’élevage, que les membres de chaque “race” ont en commun un patrimoine génétique.
Le fait d’attribuer aux descriptions physiques spécifiques à des groupes humains des aptitudes intellectuelles et des qualités morales différentes se forge dans le cours du 19e siècle, et vient classifier les différentes “races” en installant la suprématie de la “race blanche”. De nombreux auteurs du 19e siècle qui développent l’idéologie raciste recherchent la pureté de la “race”, en évitant que les groupes humains ne se mélangent. L’idéologie raciste a servi à justifier la colonisation, le régime d’apartheid tout comme en Afrique du Sud ainsi que la Shoah en Allemagne nazie.
Depuis plusieurs décennies, de nombreuses études scientifiques fondées sur la génétique ont montré l’ineptie du concept de race, qui n’est pas pertinent pour caractériser des groupes humains. En effet, la diversité génétique est plus importante entre les individus d’une même population qu’entre les groupes. Ainsi le projet scientifique “Génome humain” lancé en 1988 et finalisé en 2003, qui avait pour objectif d’établir le séquençage du génome humain, démontre qu’il n’existe que peu de variation entre l’ADN de deux êtres humains pris au hasard : leurs séquences d’ADN sont semblables à 99,9%. Il existe bien des variations au sein de l’espèce humaine mais ces groupes, nommés population ou sous-espèce, peuvent être identifiés par des caractéristiques morphologiques ou moléculaires différentes. Seulement, aucun marqueur génétique ne permet de classer des groupes humains différents encore moins de créer une hiérarchie entre ces derniers.
Le consensus scientifique rejette donc aujourd’hui les arguments biologiques qui pourraient légitimer la notion de race. Bien que le concept de race ne revête aucune réalité biologique, on peut bel et bien parler de “prétendue race” ou “soi-disant race” et de racisme au sens sociologique du terme. Lorsqu’on parle de “prétendue race”, on se réfère à la construction sociale qui structure encore nos relations sociales aujourd’hui en se fondant sur la notion non scientifique de “race” et continue d’impacter la position sociale des personnes racisées. La prétendue race en tant que construction sociale reste donc un concept pertinent. La “soi-disant race” fait partie en Belgique des critères de discriminations reconnus dans l’arsenal législatif belge en son article 4 de la loi du 10 mai 2007.
RACISATION OU RACIALISATION, PERSONNE RACISÉE
Le processus de racisation est défini dans le Lexique du racisme publié par le Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (Montréal) en 2006 comme “le processus social par lequel une population est catégorisée par sa race.“. La racisation est également un “processus politique, social et mental d’altérisation.” Ce lexique du racisme recommande ainsi l’utilisation du terme “groupe racisé“, plutôt que de “groupe racial“, “race” ou “minorité visible“, comme terme adéquat pour parler de groupes “porteurs d’une identité citoyenne et nationale précise, mais cibles du racisme.” On parle alors de “personnes racisées” pour désigner les individus rattachés volontairement ou non à ces groupes.
ETHNICITÉ
L’ethnicité est une construction sociale divisant les individus en groupes sociaux sur base de caractéristiques spécifiques, telles que le sentiment de partager une ascendance commune, les comportements, la langue, les intérêts politiques et économiques, l’histoire, l’appartenance (ancestrale ou actuelle) à une zone géographique, etc. L’ethnicité est donc liée à l’existence d’un patrimoine culturel commun. Le terme d’ethnie, comme celui de tribu, ont toutefois été introduits dans le vocabulaire courant pour désigner spécifiquement les systèmes existant dans les pays colonisés afin de les dénigrer et ne pas leur reconnaître le statut de nation, qui associe l’idée de peuple avec celle d’un État.
[CNCD.BE, 15 décembre 2020] L’idée de produire un lexique à destination du secteur des ONG et acteurs institutionnels impliqués dans la coopération au développement est née d’une réflexion interne au secteur des acteurs de la coopération non gouvernementale, dans le cadre de ce que l’on appelle le Cadre stratégique commun des organisations – ONG et acteurs institutionnels – actives en Belgique. Dans ce cadre, 78 ACNG (Acteurs de la Coopération Non Gouvernementale) actives en Belgique que ce soit en matière d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, de plaidoyer, de 1e et 2e ligne ont réfléchi pendant plusieurs mois sur les enjeux de décolonisation, ce qui a abouti à la construction de ce lexique.
Dans le cadre de ces réflexions, il s’est rapidement avéré que le langage, le choix des mots constituait un élément essentiel pour pouvoir adopter une réflexion décoloniale. Certains mots, comme ceux de personnes racisées, ont amené de nombreuses questions entre les organisations, avec des compréhensions différentes selon les personnes ou les organisations.
Néanmoins, les mots ne sont jamais anodins. Ils permettent de révéler des structures de domination ou au contraire, les renforcent et les instituent. Une réflexion sur les mots que l’on utilise, ainsi que sur les images que les organisations véhiculent, est centrale pour ne pas reproduire des stéréotypes et être un allié structurel des organisations qui en Belgique luttent contre le racisme.
Afin d’avancer dans ce débat, ce lexique a été construit. Il offre une vision claire sur les termes les plus utilisés lorsqu’on s’intéresse aux questions de décolonisation et de diversité. Ce lexique a été établi par les deux organisations référentes du CSC Nord : le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand 11.11.11.
Les objectifs de ce lexique sont doubles :
Renforcer la compréhension dans les ACNG des termes utilisés dans les débats sur la décolonisation, la diversité, l’intersectionnalité, etc.
Permettre aux ACNG de s’approprier ce langage et de l’utiliser dans les outils et dispositifs qu’ils mettent en place.
Cliquez ici pour télécharger le document…
Ce lexique vise donc à outiller les organisations ainsi que leurs travailleurs et travailleuses, afin de mieux comprendre certains concepts de plus en plus utilisés pour désigner les rapports de domination, d’exclusion, de stigmatisation dont sont victimes les personnes racisées. Il ne postule pas à l’exhaustivité, et ne reflète qu’une partie des discussions qui anime le secteur. La recherche d’un nouveau vocabulaire pour refléter de nouvelles façons de voir et construire le monde est un processus toujours en cours et ne constitue qu’une étape dans un processus plus large de décolonisation de ce secteur.
Le potentiel transformatif du langage
Comme le disait l’écrivain Frantz Fanon, “la langue est une technologie de pouvoir.” Elle reflète et forme notre vision du monde. Les mots ne sont pas seulement des étiquettes que l’on met sur la réalité, ils sont en soi des catégories qui façonnent la réalité, les mots ne désignent pas la réalité, ils en sont une interprétation. Les mots délimitent ce qui est pertinent, ce qui est utile, ce qui fait sens pour notre appréhension du monde. Ils sont profondément ancrés dans la culture qui nous imprègne. La langue n’est donc jamais neutre.
En ce sens, la création et l’utilisation de nouveaux mots issus de mouvements sociaux ont un potentiel de transformation réelle de ce qui est considéré comme pertinent ou pas. Néanmoins, l’utilisation de nouveaux mots contient en soi un potentiel qui ne pourra se réaliser que si les structures, les mentalités à la base des discriminations changent réellement.
Pour intégrer ces termes dans notre réseau de contenus wallonica.org et pouvoir y faire référence, nous avons éclaté le document en plusieurs articles, que voici : [en construction]
Née en 1991, Léa MAUPETIT est une illustratrice française, vivant et travaillant à Paris. Après avoir obtenu son diplôme en typographie en 2015, Léa a développé son propre style d’illustration, basé sur le travail des couleurs vives et lumineuses, avec des compositions pleines de vie et d’humour. Ses clients sont issus de différents horizons tels que le textile et le motif (Des Petits Hauts, Smallable), l’identité visuelle (East Village Marcher, Daphnis et Chloe), la presse (The New York Times, L’Instant Parisien, Milk Magazine, Scoop Magazine, Doolittle), les éditeurs de livres (Milan), etc.
Cette image est tirée d’un ensemble publié par l’éditeur liégeois Ding Dong Paper en 2016. Deux mains enserrent un bouquet de fleurs aux formes exubérantes. Une phrase, “Sorry I’m late”, laisse au spectateur le soin d’imaginer l’histoire qui se cache derrière le bouquet.
[RADIOFRANCE.FR/FRANCULTURE, 18 juin 2023] En été, après une averse, on se prend souvent à emplir ses poumons de l’odeur qui se dégage du sol. Cette odeur, c’est le pétrichor, une fragrance caractéristique dont les composants proviennent à la fois de la végétation et du sol.
Après des jours de sécheresse, les premières gouttes de pluie tombent sur un sol écrasé de chaleur. Lorsque l’averse cesse, vous vous surprenez à vous emplir les poumons, nez tendu, narines dilatées, pour vous imprégner de cette odeur qui émane soudain du sol. Cette odeur caractéristique, typique de l’été et des températures élevées, est nommée “pétrichor”, un néologisme créé à partir du grec ancien et qui signifie “sang de pierre” (prononcé [pétrikor]). On doit ce nom à deux scientifiques australiens, la chimiste Isabel Joy Bear, et le minéralogiste Roderick G. Thomas, qui, en 1964, tentent de comprendre pour la première fois pourquoi la pluie, qui n’a pas d’odeur, peut soudain dégager un parfum si enivrant. Ils ne sont pas les premiers scientifiques à se poser la question : en avril 1891 déjà, la revue The Chemical News publiait un article signé Thomas Lambe Phipson, dans lequel ce dernier décrivait “l’odeur émise par les sols après une forte pluie” , qu’il avait observé pour la première fois “dans le sol crayeux de Picardie”. Selon lui, cette odeur était due “à la présence de substances organiques étroitement liées aux huiles essentielles des plantes”, les sols poreux absorbant “la fragrance émise par des milliers de fleurs.”
Une huile végétale pour protéger les plantes
L’intuition de Thomas Lambe Phipson sera confirmée par l’étude des deux scientifiques australiens. Publiée dans la revue Nature, elle explique les mécanismes chimiques à l’œuvre et le lien entre chaleur, pluie, et plantes. Le pétrichor est dû à plusieurs facteurs, parmi lesquels on retrouve une huile végétale, sécrétée par les plantes pour se protéger et pour signaler le ralentissement de la croissance des racines et de la germination des graines lorsque le temps est trop chaud. Cette huile végétale s’accumule rapidement, sur les feuilles d’abord, mais aussi dans les roches poreuses, voire le bitume qui recouvre les routes.
Lorsque la pluie se met enfin à tomber, c’est cette huile végétale, longtemps accumulée, qui se trouve libérée. Les premières gouttes de pluie, en venant s’écraser sur le sol, se vaporisent sous forme d’aérosol, emportant avec elle une partie de la sève végétale et la libérant dans l’air.
Une odeur créée par des bactéries
L’odeur du pétrichor n’est pas uniquement due à cette huile végétale, mais également à un autre composé, nommé géosmine. C’est à cette molécule que l’on doit la fragrance terreuse et musquée qui s’élève d’un sol encore chaud après la pluie. Elle est produite par de très nombreux micro-organismes présents dans le sol, essentiellement les actinobactéries et les cyanobactéries telluriques : c’est notamment ce composé organique volatil, qui donne à la terre labourée ou mouillée son odeur particulière.
Pour l’être humain, l’odeur est d’autant plus saisissante qu’il y est particulièrement sensible : notre nez est capable de détecter la géosmine en suspension dans l’air à des concentrations extrêmement faibles de moins de cinq parties par milliard (ppb). Cette même molécule, très appréciée lorsqu’on la détecte dans l’atmosphère, nous paraît paradoxalement intolérable une fois décelée dans l’eau : c’est la géosmine qui confère parfois à celle-ci son goût terreux, voire boueux, unanimement abhorré.
L’odeur du pétrichor, évidemment, ne se ressent pas avec la même intensité selon que l’on soit en ville, à la campagne ou encore en forêt : s’il y a beaucoup moins de bactéries, et donc de géosmines, dans les zones urbanisées, il y a en revanche beaucoup plus d’ozone présent dans l’air. C’est notamment le cas par temps orageux, où l’ozone créé par les décharges électriques des éclairs dans le ciel est porté par les vents : ce gaz, qui donne une odeur distinctive à l’air et qui peut parfois évoquer l’eau de Javel, crée un contraste encore plus saisissant et rend l’odeur du pétrichor plus distincte encore.
Une odeur devenue parfum
Reste à savoir pourquoi l’odeur de l’huile végétale et de la géosmine combinées nous plaît tant une fois qu’elle a été libérée par la pluie. Les raisons précises pour lesquelles cette fragrance nous est si agréable restent floues. L’hypothèse la plus communément admise part simplement du fait que le pétrichor, avec son odeur terreuse et végétale, est associé à une odeur positive pour l’environnement, et par extension pour l’être humain.
Sans surprise, le pétrichor est désormais un élément couramment utilisé en parfumerie. Bien avant que la science n’établisse son origine, il était déjà extrait de la terre, à Kannauj, en Inde, pour créer un parfum nommé mitti attar, ou parfum de la Terre. Depuis, il est devenu un composé commun des maisons de parfumerie, et se décline dans de célèbres parfums, tel Après l’ondée de Guerlain. Même si rien ne vaudra jamais, évidemment, l’odeur de la pluie après l’orage…
Jean Leclère est né à Mons en 1917. Il prend des leçons particulières de piano à partir de cinq ans. Dès sa petite enfance, il a l’attention attirée par les orchestres de danse que diffusent les radios anglaises. Il écoute de plus en plus de disques et, dès 1933, il se passionne pour le jazz : grâce à l’association Hot and Swing qui a mis sur pied un système de prêts de disques, il découvre un grand nombre d’orchestres et de solistes américains ou européens. Il monte sa propre collection.
Admirateur de Fats Waller, Earl Hines et Art Tatum, il forme un premier orchestre amateur en 1937. En 1941, Leclère met sur pied les fameux Dixie Stompers. Formation au répertoire middle-jazz dans un premier temps, les Dixie seront – à partir des années 50 surtout, lorsque Albert Langue en aura repris la direction – un des premiers groupes belges à incarner le Revival, à essayer de retrouver le répertoire et l’esprit des pionniers néo-orléanais (improvisation collective, etc.). Leclère remporte avec les Dixie Stompers les tournois de Bruxelles (1941), Scheveningen, Liège (1946 et 1947) et enregistre en leur compagnie quelques acétates (sur le premier d’entre eux, on trouve un batteur du nom de… Willy Staquet ! future star belge de l’accordéon musette).
En 1948, Leclère est chargé de constituer un orchestre qui représentera la Belgique au Premier Festival International de Nice : il renforce quelques pupitres de son propre orchestre avec des solistes des Bob-Shots (la seule formation be-bop du pays), constituant ainsi un ensemble hétérogène, d’autant plus bigarré que, sur la scène de Nice, Toots Thielemans et le saxophoniste américain Lucky Thompson se joindront au groupe. A défaut d’un groupe soudé, le public niçois eut droit à une jam au top niveau ! Attiré par le be-bop en tant qu’auditeur, intéressé par le jeu de Bud Powell et de Jimmy Jones, Jean Leclère ne sera pourtant jamais un bopper à part entière.
En 1949, il entre comme vibraphoniste dans le Jump College et enregistre quelques titres avec cet orchestre en 1951, puis, pendant les années 50, il dirige différentes formations, tantôt à tendance jazz affirmée, tantôt plus proches de la variété. Il travaille et enregistre à l’occasion avec Freddy Sunder et Charlie Knegtel, notamment en 1953. En 1960, au Festival d’Ostende, il se produit d’abord au piano dans une formation de jeunes (Rousselet, Sirntaine, … ) présentant un répertoire inspiré du bop ; puis à la tête d’un septette middle-jazz où il joue du vibraphone. Puis, petit à petit, Leclère disparaît de la scène jazz.
Le Centre Henri Pousseur propose un concert placé sous le signe du désir et de l’exaltation de la couleur. Du célèbre Prélude à l’après-midi d’un faune de Claude Debussy au Treize couleurs du soleil couchant du compositeur Tristan Murail, l’Ensemble Fractales entraîne l’auditeur vers une musique teintée par des nuances subtiles et des textures sonores électroniques. Les trois compositeurs belges Michel Fourgon, Claude Ledoux et Eric Bettens rejoignent le programme de cette soirée unique.
En préambule du concert, le musicologue Jean-Marc Onkelinx donnera une conférence sur la musique de Claude Debussy et introduira ce voyage au cœur du symbolisme musical…
Au programme
(Salle polyvalente “La Scène”) :
Claude Debussy, Prélude à l’après-midi d’un faune
Claude Ledoux, Un ciel fait d’herbes II
Michel Fourgon, Trois Instantanés pour piano
Couleur Claire (Instantané n°2, 2003)
Werner Concept (Instantané n°3, 2003)
An Drei Nein (Instantané n°16, 2023) – Création avec électronique live
Eric Bettens, Les caprices de Vénus
Tristan Murail, Treize couleurs du soleil couchant