SCHRADER : Déconstruire les mots de l’extrême droite

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[EDL.LAICITE.BE, 15 mars 2024] Les mots sont des armes redoutables, et de la bouche de l’extrême droite, ils peuvent être à double tranchant. Un constat alarmant : l’usage de terminologies qui recouvrent en réalité des prises de position extrêmes est devenu banal. Pour planter le décor, nous profitons de l’expertise de la journaliste Isabelle Kersimon. Elle a analysé les termes utilisés aujourd’hui par l’extrême droite et qui ont investi le champ sémantique.

KERSIMON Isabelle, Les mots de la haine : glossaire des mots de l’extrême droite (2023)

Dans son ouvrage abondamment documenté, Isabelle Kersimon répertorie par thématique des termes et des expressions utilisées de plus en plus couramment, dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans la sphère sociale. Des mots pour certains banalisés et que l’autrice analyse pour en révéler la part d’idéologie d’extrême droite qu’ils véhiculent. “Mâle alpha“, “néoféminisme“, “fake news“, “politiquement correct“, “gauchisme culturel“, “élite“, “tyrannie des minorités“, “islamo-gauchisme“, “égalitarisme“, “théorie des minorités“, “repentance“, “victimaire“, “insécurité culturelle“, “communautarisme“, “déni“, “tyrannie du bien“, autant de mots choisis au hasard d’une longue liste, qui s’articule autour de thématiques, pour mieux mettre en perspective le sens profond que ces terminologies revêtent.

Une banalisation du langage de l’extrême droite

En 2007 sortait un Dictionnaire de l’extrême droite, sous la direction d’Erwan Lecœur, qui évoquait déjà les thématiques du racisme ou de l’antisémitisme en France depuis l’affaire Dreyfus. Quinze ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? “Il y a des termes et des expressions, des syntagmes qui n’existaient pas en 2007“, explique l’autrice. “Le langage de l’extrême droite ne s’était pas banalisé et “mainstreamisé” à cette époque. Aujourd’hui, il y a une volonté d’euphémiser les choses. Marine Le Pen, par exemple, qui se déclare “anti-woke” à l’Assemblée : ce n’est pas du tout son terrain d’action, mais elle choisit cela tactiquement pour séduire une autre partie de l’électorat dont elle a besoin par rapport à ses ambitions aux élections européennes de 2024 et présidentielles de 2027. Il y a un phénomène d’appropriation par l’extrême droite de thèmes comme la laïcité, la notion de République aussi, alors qu’on sait à quel point l’extrême droite est antirépublicaine. Or Marine Le Pen et Éric Zemmour glorifient la République. Mais de quelle République parlent-ils ? C’est la question. De quoi parlent-ils quand ils parlent de laïcité ? C’est ce que j’essaie de faire comprendre.”

L’autrice explique d’ailleurs avoir créé un néologisme, celui de “néolaïques“, faisant référence aux personnalités qui se revendiquent de la laïcité en lien avec l’islam : “L’un de leurs paradoxes est d’avoir abandonné une lutte historique et motrice de la laïcité – la défense de l’école publique – et de soutenir des personnalités connues pour leurs idées anti-laïques, au nom d’un combat commun fantasmé comme une nouvelle résistance face à un envahisseur invisible, protéiforme et menaçant : l’islamité. Les néolaïques ont développé et répandu, en réaction aux massacres du 13 novembre, une panique morale empruntée de terreur et de paranoïa dans une surenchère croissante de violence verbale, en entretenant une confusion fautive et dangereuse entre les questions de laïcité, d’islamité et de terrorisme djihadiste.

Une importance historique exagérée

Dans son édition de fin 2022-début 2023, Philosophie magazine titrait “Peut-on encore parler de racisme, de sexisme et d’identités de genre sans se fâcher ?” et évoquait la “dynamique conflictuelle de l’espace public“, s’inquiétant d’une tentation de l’absence de débat entre réactionnaires (lisez “traditionalistes”) et progressistes… Après tout, la démocratie n’est-elle pas précisément dans la possibilité du débat ? Mais d’après Isabelle Kersimon, pas de complaisance pour les discours réactionnaires ou traditionalistes, qui ne sont, selon elle, que l’articulation de thématiques d’extrême droite : “Je pense à ceux qui se revendiquent comme “pour les traditions” : c’est quand même tout le propos de l’extrême droite et de l’ultradroite. Or la première des traditions auxquelles l’extrême droite veut revenir, c’est la place de la femme dans la société. C’est pourquoi je commence mon livre par le féminisme et les attaques dont il est l’objet parce que c’est le premier de leurs objectifs pour refonder une société telle qu’ils la rêvent : celui de renvoyer les femmes à leur condition d’avant. Elle va dire “mais non, on défend les féministes”, et va prendre en exemples des féministes qui sont mortes. Mais celles d’aujourd’hui ? L’extrême droite va dire ce qu’affirment Alain Soral et Éric Zemmour depuis des années : “Les vraies féministes ne font pas la guerre des sexes, elles respectent les hommes.” Mais c’est une entourloupe doublée du fait qu’ils vont qualifier de néoféministes celles qui sont féministes. Or historiquement, les néoféministes étaient anti-suffragettes, elles étaient réactionnaires, précisément. C’est tout le dévoiement de l’extrême droite, qui fait croire que si elle existe, c’est en réaction à ce qui se passe en face. Or c’est faux, l’extrême droite ne dévie pas de sa route, peu importe ce qui se passe autour. Mais elle laisse entendre le contraire : “Les féministes sont allées trop loin, tout comme les Juifs et les lois mémorielles, les Noirs et leur racisme…” Alors que simplement elle a toujours été là.

© DR

Une fascination pour George Orwell

S’il est connu pour ses deux célèbres dystopies, 1984 et La Ferme des animaux, qui dénoncent les totalitarismes et la mort de toute liberté d’expression, George Orwell s’est également intéressé au pouvoir de la langue et de la sémantique. Dans 1984, une novlangue est créée par l’État pour mieux asseoir son pouvoir, qui rend impossible l’expression de toute idée susceptible de critiquer ce pouvoir. Paradoxalement, aujourd’hui, l’extrême droite se réclame de plus en plus du fameux romancier britannique. Comme le rappelle Isabelle Kersimon, quand Éric Zemmour a été condamné pour appel à la discrimination raciale, le député de la droite radicale Lionnel Luca a évoqué la mise en cause de la liberté d’expression dans une société que certains aimeraient voir devenir orwellienne…

L’autrice de citer également la création d’orwell.tv, la Web-télé créée par l’ancienne chroniqueuse Natacha Polony, qui finalement s’appellera polony.tv faute d’avoir obtenu les droits pour utiliser le nom de l’écrivain. Pourquoi l’auteur de 1984, qui a précisément consacré son œuvre à dénoncer les travers des totalitarismes, est-il si souvent mentionné ? Isabelle Kersimon l’explique par le fait que de nombreux extrémistes de droite vivent dans une “alt-réalité” faite de complots, de remise en cause des médias, de paranoïa. L’exemple de l’assaut du Capitole ou des théories du complot lors de la pandémie de Covid en sont les exemples les plus connus. “Dans ce monde alt-réel“, écrit la spécialiste de l’extrême droite, “quand les commentateurs médiatiques omniprésents, se revendiquant porte-parole du “pays réel”, se plaignent, ils sont censurés par une société du “déni” qui dissimulerait, à l’aide de sa “doxa”, de sa “bien-pensance” et de son wokisme, l’“insécurité culturelle” et le “grand remplacement”. […] Dans cette alt-réalité, les universités seraient aux mains de chercheurs “antirépublicains”, “complices des islamistes”.

C’est bien là tout le danger aujourd’hui : une inversion de la réalité qui transforme en victimes les puissants et fait le terreau d’une extrême droite qui, comme l’explique dans la préface du livre le professeur de théorie politique à l’ULB Jean-Yves Pranchère, “procède d’un projet politique plus radical consistant à susciter des paniques morales et à exploiter l’intersection des peurs et des haines“. Un processus ô combien pernicieux !

Sabine Schrader, journaliste


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 7 – Les termes liés aux diasporas, à la diversité et à l’inclusivité (CNCD-11.11.11)

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OSIM : ORGANISATIONS DE SOLIDARITÉ INTERNATIONALE ISSUES DES MIGRATIONS

Une OSIM (Organisation de solidarité internationale issue des migrations) est une organisation constituée par des personnes immigrées et/ou issues  de l’immigration, (…), effectuant des activités au Nord et/ou au Sud, dont les finalités sont totalement ou partiellement orientées vers la solidarité internationale et le développement en faveur des populations, dans un ou plusieurs pays (…), dont principalement le pays d’origine.

DIASPORA

La diaspora est un mot d’origine grecque qui renvoie à la dispersion, la dissémination. Le terme recouvre la dispersion d’un peuple à travers le monde. Peuvent être retenues trois caractéristiques essentielles :

      1. la conscience et le fait de revendiquer une identité ethnique ou  nationale,
      2. l’existence d’une organisation politique, religieuse ou culturelle du groupe dispersé (vie associative),
      3. l’existence de contacts sous diverses formes, réelles ou imaginaire, avec le territoire ou le pays d’origine.

DIVERSITÉ

La diversité désigne ce qui est varié, divers. Appliquée à une entreprise, elle désigne la variété de profils humains qui peuvent exister en son sein (origine, culture, âge, sexe/genre, apparence physique, handicap, orientation sexuelle, diplômes, etc.). Dans une organisation qui se veut inclusive, la diversité cherche à se décliner dans toutes les fonctions et aux différents niveaux de l’organisation. La diversité culturelle est le constat de l’existence de différentes cultures au sein d’une même population. Selon l’UNESCO, la diversité culturelle est “source d’échanges, d’innovation et de créativité (…). En ce sens, elle constitue le patrimoine mondial de l’humanité (…). La défense de la diversité culturelle est un impératif éthique, inséparable du respect de la dignité de la personne humaine.

INTERCULTURALITÉ ET MULTICULTURALITÉ

L’interculturalité désigne l’ensemble des relations et interactions entre des cultures différentes. Le concept implique des échanges réciproques. L’interculturalité est donc fondée sur le dialogue, le respect mutuel et le souci de préserver l’identité culturelle de toute personne. La multiculturalité désigne la coexistence de plusieurs cultures dans une même société. Le multiculturalisme est également une doctrine qui met en avant la diversité culturelle comme source d’enrichissement de la société.

APPROPRIATION CULTURELLE

L’appropriation culturelle était au départ un terme qui renvoyait à un processus d’utilisation d’éléments d’une culture par une autre culture. Au départ, non polémique, il désignait tout autant l’exportation de la fête d’Halloween dans les pays européens que le fait que des objets d’art appropriés pendant le temps colonial soient dans les musées des anciennes métropoles coloniales. Rapidement, le terme est devenu plus péjoratif pour désigner un processus d’emprunt entre les cultures qui s’inscrit dans un contexte de domination et d’exploitation. Il s’opposerait à un phénomène sociologique courant qui veut que les cultures entrent en contact les unes avec les autres et s’abreuvent les unes des autres, faisant de la culture une matière mouvante et malléable dans le temps. Les contacts entre cultures seraient alors désignés par le terme d’interculturalité. Au-delà de la question sémantique, il s’agit d’être conscient que les cultures ne constituent pas des blocs monolithiques, qu’elles interagissent les unes avec les autres et que dans le même temps, elles entretiennent également des rapports de pouvoir entre elles. L’appropriation de certains éléments culturels peut ainsi être le reflet d’un rapport de colonisation entre peuples ou d’images réappropriées dans un cadre connoté négativement.

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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 6 – Les termes liés à la justice raciale (CNCD-11.11.11)

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ANTIRACISME

Selon le Mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie (MRAX), “l’antiracisme vise à combattre le racisme sous toutes ses formes en s’opposant aux discriminations, aux haines, aux préjugés, aux inégalités qu’il suscite. L’antiracisme revendique l’égalité des droits et des chances pour tous. Il refuse toute tentation de domination politique, sociale, culturelle d’une communauté sur une autre.”

BLACK LIVES MATTER #BLM

Le mouvement est né en 2013, après l’acquittement de George Zimmerman, le coordinateur d’une surveillance de voisinage blanc qui a tué par balles Trayvon Martin, un adolescent noir de 17 ans non armé. Il a été lancé par trois femmes afro-américaines impliquées dans les mouvements communautaires : Alicia Garza, Patrisse Cullors et Opal Tometi. Le mouvement s’est répandu à travers les États-Unis dans un premier temps, et dans le reste du monde par la suite notamment grâce aux réseaux sociaux. C’est un mouvement décentralisé. Il existe en Belgique une branche qui se nomme Belgian Network for Black Lives, lancée à l’été 2020, dans le contexte des manifestations faisant suite à la mort de George Floyd aux États-Unis.

PERSONNE ALLIÉE

Une personne alliée est une personne qui ne subit pas un système oppressif mais qui va s’associer aux personnes qui en sont victimes pour le combattre. Être une personne alliée suppose un travail d’introspection sur qui l’on est, ce que l’on représente et la place que l’on occupe dans la société (ex. prendre conscience de sa blanchité, de l’eurocentrisme). Le fait d’être une personne alliée ne s’arrête pas au travail d’introspection, il va plus loin en ce sens qu’il signifie aussi que la personne se positionne en faveur de mesures pour apporter des changements interpersonnels, sociaux et institutionnels en faveur de l’égalité.

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[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : cncd-11.11.11 | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : après la mort de G. Floyd, des policiers américains solidaires des manifestants, un genou au sol, en Floride © Eva Marie Uzcategui – AFP | Sur le même thème, voir également notre article sur la novlangue (Orwell)


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 5 – Les termes liés à la “blanchitude” (CNCD-11.11.11)

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PRIVILÈGE BLANC

Terme popularisé par la chercheuse Peggy McIntosh, l’expression de “privilège blanc” renvoie à l’ensemble des avantages invisibles mais récurrents dont bénéficient les personnes blanches uniquement parce qu’elles sont blanches. Les personnes blanches n’ont pas à subir de discrimination en tant que Blancs, mais elles possèdent également des avantages a priori invisibles par rapport aux personnes racisées. Cette expression met par ailleurs en avant le fait que le racisme reste une relation entre groupes sociaux, l’avantage des uns dépendant du désavantage des autres. En se basant sur sa propre expérience, Peggy McIntosh a relevé vingt-six privilèges blancs dans le cadre de son article, parmi lesquels se trouvent une estime de soi différente, un statut social par défaut plus élevé, un meilleur pouvoir d’achat, un meilleur accès au marché du travail, une plus grande liberté de circulation et d’expression jusqu’aux sparadraps qui sont de couleur rose clair.

BLANCHITÉ OU BLANCHITUDE

Ces termes renvoient au fait d’appartenir à la prétendue race dite “blanche”. Le concept de blanchité fait ressortir que le fait d’être une personne “blanche” est une construction sociale au même titre qu’être une personne “noire” ou “arabe”. Par conséquent, être une personne blanche, c’est aussi subir une forme de racisation qui, dans ce cas précis, octroie avant tout des privilèges.

LA FRAGILITÉ BLANCHE

On évoque dans de nombreux mouvements antiracistes le concept de fragilité blanche, développé par la sociologue Robin J. Di Angelo, pour faire référence à un état émotionnel, généralement inconscient, dans lequel se trouvent les personnes blanches lorsqu’une personne racisée juge et critique leurs comportements comme racistes. Cet état émotionnel se traduit par des émotions comme la peur, la colère, la culpabilité et/ou peut amener la personne blanche à minimiser le ressenti des personnes racisées ou à arrêter la conversation. La fragilité blanche révèle que les personnes blanches sont rarement confrontées au racisme, et donc ressentent un sentiment d’inconfort lorsque la question est abordée.

RACISME ANTI-BLANC

Le racisme anti-blanc toucherait spécifiquement les personnes blanches. Toutefois, les préjugés raciaux des personnes faisant partie des groupes minoritaires ne sont pas historiquement chargés et n’émanent pas d’un système. Interrogé sur l’utilisation du terme “racisme anti-blanc”, le directeur d’Unia Patrick Charlier disait ainsi : “L’utilisation du terme ‘racisme anti-blanc’ est trompeur, car il laisse entendre que c’est une forme de racisme qui est équivalente au racisme à l’égard des personnes d’origine étrangère, ce qui est très loin d’être le cas sur un plan sociologique et structurel. Il tend à relativiser les problèmes de racisme auxquels sont confrontées les personnes issues des minorités.”

Selon Alexandra Pierre, “la thèse d’un racisme ‘anti-blanc’ correspondait plus à une peur, ou une perception d’une domination sociale et politique des minorités, qui cache une peur de perdre son statut privilégié.

SUPRÉMATIE BLANCHE

Idéologie selon laquelle les valeurs culturelles et les normes des peuples d’origine occidentale sont supérieures à celles des autres groupes humains. La suprématie blanche se manifeste dans l’Histoire (colonisation, etc.) et dans les institutions (justice, éducation, etc.) construite par ces nations. Elle se décline dans les habitudes, les structures sociales, les croyances, les stéréotypes. Selon Alexandra Pierre, “il faut distinguer le concept de ‘suprématie blanche’ du mouvement des suprémacistes blancs. Ces derniers ne sont évidemment pas étrangers à l’idée de domination blanche. Cependant, dans leur cas précis, ils l’incarnent de manière brutale, consciente et assumée, individuellement ou à travers des organisations politiques d’extrême droite.

MYTHE DU SAUVEUR BLANC

Le “white saviorism” est un terme que l’on peut traduire par le “complexe du sauveur blanc”. Il est né dans le cadre d’une critique du «volontourisme» (ou tourisme humanitaire) et s’est considérablement amplifié depuis l’émergence des réseaux sociaux en recouvrant des aspects plus larges. Ce terme a ainsi fait largement débat dans le cadre des campagnes de l’ONG britannique Comic Relief qui a envoyé des célébrités anglaises présentées comme des héros dans les pays africains pour ses opérations de récolte de fonds. Suite aux accusations de “white saviorism”, l’ONG a arrêté cette campagne et a décidé de renforcer son action antiraciste en dédiant des fonds pour lutter contre le racisme en Grande-Bretagne. Le “sauveur blanc” désigne ainsi le fait de mettre au centre de l’action les humanitaires blancs qui en profitent pour poser “en héros” et entourés de “pauvres petits enfants” présentés comme passifs sur les photos qu‘ils publient ensuite sur les réseaux sociaux. C’est donc une forme d’expérience émotionnelle, sincère ou déguisée, qui permet de valider des privilèges et de soigner son image. C’est là que se situe la frontière entre le volontouriste désintéressé qui vient pour offrir son aide “gratuitement”, et les white saviors qui y cherchent une valorisation sociale et personnelle en étalant leur bonté à la vue du plus grand nombre. Ceux-là croient faire une bonne action mais agissent bien souvent sans discernement et sans tenir compte des véritables besoins des populations locales. Ce faisant, ils ne leur sont pas d’un grand secours, et peuvent même leur causer du tort.

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[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : cncd-11.11.11 | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP | Sur le même thème, voir également notre article sur la novlangue (Orwell)


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 4 – Les termes liés aux discriminations (CNCD-11.11.11)

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DISCRIMINATION

Dans la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale adoptée par les Nations Unies en 1965, la discrimination est définie comme “toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine de la vie publique.

Cette convention se décline en Belgique par trois lois fédérales qui constituent la législation anti-discrimination : la loi “Genre”, la loi “Antiracisme” et la loi “Anti-discrimination”. Cette législation condamne tant la discrimination que le harcèlement, le discours de haine ou les délits de haine envers une personne ou un groupe de personnes.

Par ailleurs, elle distingue 19 critères de discrimination, dont 5 critères raciaux, sur base desquels la discrimination est interdite et punissable : la prétendue race, la nationalité, la couleur de la peau, l’ascendance, l’origine nationale ou ethnique. Parmi les motifs de discrimination interdits par la loi générale relative aux “autres critères de discrimination”, on trouve deux autres critères qui font partie de l’antiracisme au sens large : les convictions religieuses ou philosophiques et la langue.

ACTIONS POSITIVES PARFOIS APPELÉES “DISCRIMINATIONS POSITIVES”

En Belgique, la législation utilise le terme d’”actions positives” plutôt que “discrimination positive”. L’action positive est définie dans la loi de 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, comme un ensemble de “mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser les désavantages liés à l’un des critères protégés [la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique], en vue de garantir une pleine égalité dans la pratique“. Les actions positives sont également inscrites dans la loi tendant à lutter contre certaines formes de discrimination de 2007, dite loi anti-discrimination.

NON-MIXITÉ (CHOISIE)

Pratique qui consiste à organiser des rassemblements réservés aux personnes appartenant à des groupes discriminés en excluant la participation de personnes appartenant à des groupes considérés comme potentiellement discriminants ou oppressifs et/ou à réserver la parole aux personnes opprimées en excluant les membres de groupes dominants qui risquent de monopoliser la parole ou de ne pas accorder de crédit à leurs propos.

La pratique de la non-mixité fait souvent l’objet de débats : pour certains, elle permet l’émancipation des personnes et la liberté de parole, pour d’autres, elles recréent une forme de discrimination.

QUOTAS

Les quotas sont une des formes que peuvent prendre les actions positives. Ils représentent ici un seuil minimal institué par la loi, chiffré, qui vise à normaliser la présence d’un groupe sous-représenté dans un espace donné. Il est important de rappeler que les quotas n’ont pas vocation à être éternels, ils constituent une étape afin de lutter contre les plafonds de verre et les discriminations. La fonction des quotas est à terme de faire disparaître les structures de pouvoir qui excluent les personnes sur base de leur genre et/ou de leur “prétendue race” ou origine.

L’instauration de quotas tant pour les femmes dans les instances de décision que pour les personnes racisées fait souvent l’objet d’intenses débats, car ils contreviendraient à la notion même d’égalité. Force est de constater que pour  les femmes, les quotas ont fait un peu de chemin comme on peut le constater dans la législation électorale qui instaure l’obligation de constitution de listes électorales équilibrées en terme de sexe ou dans l’obligation faite aux associations d’avoir un tiers de membres de leur CA du même sexe. D’autres propositions de lois sont actuellement en discussion entre autres pour imposer des quotas de genre dans les comités de direction des entreprises publiques.

La question des quotas pour les personnes racisées est par contre moins consensuelle. On lui oppose l’interdiction de recensement ethnique en Belgique, qui pourrait pourtant être contourné comme le proposait les Assises de l’interculturalité en se basant sur la nationalité de la personne à la naissance ou celle de ses parents qui se trouvent inscrites dans le registre national.

STIGMATISATION

La stigmatisation est le processus social et la forme de contrôle social par lequel une personne est “mise à l’écart de la société à cause de différences considérées comme contraires aux normes de la société.

STÉRÉOTYPE

Un stéréotype est une image préconçue, une représentation simplifiée d’un individu ou d’un groupe humain. Il repose sur une croyance partagée relative aux attributs physiques, moraux et/ou comportementaux, censés caractériser ce ou ces individus. Le stéréotype remplit une fonction cognitive importante : face à l’abondance des informations qu’il reçoit, l’individu simplifie la réalité qui l’entoure, la catégorise et la classe.” Il peut être valorisant ou dévalorisant et permettent à l’individu de classer rapidement de nombreuses informations.

PRÉJUGÉ

Un préjugé est une opinion préconçue portant sur un sujet, un objet, un individu ou un groupe d’individus. Il est forgé antérieurement à la connaissance réelle ou à l’expérimentation : il est donc construit à partir d’informations erronées et, souvent, à partir de stéréotypes.

INTERSECTIONNALITÉ

Cette notion est issue d’analyses qui tiennent compte du fait que les différentes catégories sociales impliquent diverses formes d’oppressions qui ont chacune un impact sur les personnes concernées. C’est ainsi que tout individu se trouve à la croisée de différentes identités qui le caractérisent comme son origine géographique, ethnie, religion, orientation sexuelle, classe sociale, âge, la “race”, l’état de santé, aspect ou sexe. L’intersectionnalité permet de visibiliser les minorités dans les minorités, de penser la multiplicité des discriminations et d’éviter le cloisonnement des luttes en analysant la manière dont les différents systèmes d’oppression s’articulent et se renforcent mutuellement. À l’origine, le concept a été créé en 1989 par l’avocate nord-américaine Kimberlé Crenshaw pour parler de la situation particulière des femmes noires qui se retrouvent à l’intersection de plusieurs discriminations, sexistes et racistes.

XÉNOPHOBIE

Hostilité systématique manifestée à l’égard des étrangers ou des personnes perçues comme telles.” Le racisme et la xénophobie sont deux termes qui ont émergé au même moment. Pourtant, ils ne désignent pas les mêmes réalités  : la xénophobie est un terme d’origine grec qui désigne la haine ou le rejet de l’étranger. Alors que le mot racisme vise plutôt les origines des personnes et induit un classement des personnes en fonction de leur prétendue race.

RROMOPHOBIE

Selon Unia, les Rroms constituent aujourd’hui la plus grande minorité ethnique en Europe et sont la cible d’une discrimination systématique à l’école, au travail et dans la vie quotidienne. “La Rromophobie se définit comme la haine ou la peur des personnes perçues comme étant Rroms, Tsiganes ou ‘du voyage’ et implique l’attribution négative de l’identité d’un groupe. La Rromophobie est donc une forme de racisme, taillée dans la même étoffe que celui-ci. Elle entraîne marginalisation, persécution et violences.

NÉGROPHOBIE OU RACISME ANTI-NOIRS

Selon le réseau Canopé, “le racisme anti-Noirs définit les attitudes, comportements et discours d’hostilité à l’égard des ‘personnes noires’, terme d’assignation qu’il faut considérer dans toute sa subjectivité et son hétérogénéité.

ISLAMOPHOBIE

L’islamophobie peut se définir comme la peur, ou une vision altérée par des préjugés, de l’islam, des musulmans et des questions en rapport. Qu’elle se traduise par des actes quotidiens de racisme et de discrimination ou des manifestations plus violentes, l’islamophobie est une violation des droits de l’homme et une menace pour la cohésion sociale.

ANTISÉMITISME

Attitude de racisme ou d’hostilité systématique envers les Juifs, les personnes perçues comme telles ou leur religion.

MICRO-AGRESSIONS

Échanges quotidiens qui envoient des messages dénigrants à certaines personnes en raison de leur appartenance à un groupe. Une micro-agression fait partie du spectre général des agressions et peut être implicite, voire invisible pour les autres. Le pouvoir des micro-agressions réside dans le fait qu’elles sont invisibles et donc qu’il est parfois difficile de percevoir nos propres actions comme discriminatoires.

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[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : cncd-11.11.11 | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : photo d’après-guerre prise en Wallonie © DP | Sur le même thème, voir également notre article sur la novlangue (Orwell)


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 3 – Les termes liés à la colonisation (CNCD-11.11.11)

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COLONISATION

La colonisation est une entreprise de mise sous tutelle d’un territoire par un autre Etat ou territoire. Le pays colonisateur exerce sur sa colonie une domination politique, militaire et économique au détriment des populations locales.

La colonisation a été justifiée par l’élaboration d’une image pseudo-scientifique des peuples colonisés par les anthropologues/ethnologues européens. L’évolutionnisme et le racisme “scientifique” ont permis de justifier les violences perpétrées durant la seconde vague de colonisation dans la deuxième moitié du 19e siècle, la “civilisation” devant être apportée aux peuples colonisés.

DÉCOLONISATION

La décolonisation désigne le processus par lequel un pays ou une région colonisée (re)devient indépendant. Mais selon une seconde acceptation, la décolonisation concerne la décolonisation des mentalités, des discours, des savoirs, de l’espace public, etc. En effet, les systèmes de pensées ayant justifié la colonisation ont tendance à persister dans l’organisation des sociétés actuelles (aussi bien dans les populations des ex-pays colonisateurs que dans les populations des ex-pays colonisés) et ce, malgré que nous soyons dans une ère a priori post-coloniale au sens premier du terme. En ce sens, la décolonisation vise à déconstruire ces mythes persistants qui ont des effets concrets sur les individus (ex : eurocentrisme, mythe du sauveur blanc, racisme).

NÉO-COLONIALISME

On parle de néo-colonialisme pour évoquer les formes recomposées que prennent aujourd’hui les rapports coloniaux, généralement au niveau politique et économique.

Les ex-puissances coloniales cherchent à maintenir par des moyens détournés la domination économique et culturelle sur leurs anciennes colonies (ex : politiques commerciales de l’Union européenne, exploitation des ressources naturelles et ressources humaines, hégémonie culturelle…). Ce terme tend à s’étendre à des États qui n’ont pas ou peu participé formellement à la colonisation, voire ont subi celle-ci, mais en reproduisent les mécanismes de domination (notamment les États-Unis et la Chine…).

POST COLONIALISME

Selon l’université de Lausanne : “Le terme de post-colonialisme est créé au moment de la décolonisation. Au départ, il désigne une période historique, le moment qui suit la décolonisation d’un pays auparavant colonisé. Par la suite, il est utilisé pour désigner le courant critique qui traite des effets matériels, mais surtout symboliques et discursifs de la colonisation, au sein d’un nombre important de disciplines (en littérature comparée, histoire, anthropologie, études du développement, etc.).

MISSION CIVILISATRICE

Durant l’expansion coloniale, la notion de “mission civilisatrice” apparaît comme la théorie qui considère que les nations européennes sont “supérieures” et ont pour devoir – ou auraient reçu la mission – de civiliser des civilisations non européennes considérées comme “inférieures”. Cette conception se retrouve dans tous les pays européens qui s’engagent dans la colonisation. En Angleterre, l’écrivain Rudyard Kipling l’a décrit dans son poème The white man’s burden (“le fardeau de l’homme blanc”), qui insiste sur la lourde tâche qui attend l’Européen dans sa mission d’apporter la civilisation au reste du monde.

Selon Pernille Røge qui s’intéresse à la colonisation française, “le concept de ‘mission civilisatrice’ renvoie aux présupposés éthiques de la colonisation. Il stipule la supériorité de la civilisation française sur toutes les autres civilisations et assigne aux Français la tâche, ou plutôt la ‘mission’, d’amener ces civilisations inférieures au niveau de la civilisation française. (…) Ce discours est alimenté par des préjugés raciaux et des dichotomies telles que ‘Noir’ et ‘Blanc’, ‘sauvage’ ou ‘barbare’ et ‘civilisé’, apparaissent alors comme autant de moyens mis en œuvre par le colonisateur pour justifier la domination des colonisés“.

ETHNOCENTRISME.

Étymologiquement, l’ethnocentrisme évoque l’idée de centrage et de fixation sur ses propres valeurs et/ou repères culturels et normatifs. L’ethnocentrisme suggère également une incapacité ou une difficulté à prendre distance à l’égard de ses propres représentations. Ce manque de distance provoque une projection de ses propres représentations sur autrui ; autrement dit, le regard ethnocentré observe et évalue les goûts, pratiques et représentations d’autrui à travers les “lunettes” de sa propre culture.

COLONIALITÉ

Ce concept émerge en Amérique Latine sous la houlette de plusieurs académiques qui crée un réseau pluridisciplinaire sur le sujet au début des années 2000. Le postulat de base consiste à voir dans le moment de l’arrivée des Européens en Amérique Latine en 1492 le point de bascule vers la mise sur pied d’un système-monde fondé sur l’économie capitaliste et la racialisation des groupes sociaux. Cette théorie se différencie du post-colonialisme qui fait débuter 300 ans plus tard ce point de bascule.

EUROCENTRISME

L’eurocentrisme est une forme d’ethnocentrisme, qui renvoie au fait d’analyser des situations uniquement d’un point de vue européen ou, plus largement, occidental, voire de considérer son modèle de société comme supérieure aux autres. L’auteur égyptien Samir Amin a forgé ce concept dans les années 1970, pour lequel l’eurocentrisme n’est pas seulement une vision du monde mais un projet global, homogénéisant le monde sur un modèle européen sous prétexte de « rattrapage » pour les pays non occidentaux.

CNCD-11.11.11


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 2 – Les mots autour de l’institutionnalisation du racisme (CNCD-11.11.11)

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RACISME ET RACISME SYSTÉMIQUE

Par définition, le racisme est une idéologie fondée sur la croyance qu’il  existe une hiérarchie entre les groupes humains, les prétendues “races”. Le racisme englobe les comportements et attitudes hostiles qui découlent de
cette idéologie, à l’égard d’un individu ou d’une catégorie d’individus.

La loi belge du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie reconnaît deux types de discriminations :

      • Directe : la situation qui se produit lorsque, sur la base de l’un des critères protégés [la nationalité, une prétendue race, la couleur de peau, l’ascendance ou l’origine nationale ou ethnique], une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre personne ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable,
      • Indirecte: la situation qui se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner, par rapport à d’autres personnes, un désavantage particulier pour des personnes caractérisées par l’un des critères protégés.

Le racisme est également un phénomène systémique, c’est-à-dire qu’il ne  peut être réduit aux seules interactions individuelles. En effet, le racisme fait également partie des institutions et de la socialisation. On parle alors de
racisme systémique quand plusieurs dimensions du racisme (historique, structurelle et individuelle) coexistent et se renforcent mutuellement. Cette forme de racisme a pour effet de perpétuer les inégalités vécues par les personnes racisées notamment en matière d’accès au logement et aux services publics.

Le racisme systémique, parce qu’il est plus insidieux, peut paraître plus difficile à percevoir. La Commission canadienne des droits de la personne et de la jeunesse le définit comme “la somme d’effets d’exclusion disproportionnés qui résultent de l’effet conjugué d’attitudes empreintes de
préjugés et de stéréotypes, souvent inconscients, et de politiques et pratiques généralement adoptées sans tenir compte des caractéristiques des membres de groupes visés par l’interdiction de la discrimination.”

RACISME D’ÉTAT

D’après le philosophe Michel Foucault, le racisme d’État désigne “un racisme lié au fonctionnement d’un État qui est obligé de se servir de la race, de l’élimination et de la purification de la race, pour exercer son pouvoir souverain” (exemples : L’Allemagne nazie, l’Afrique du Sud sous l’apartheid, les États-Unis lors de la ségrégation raciale sous les lois Jim Crow…).

Dans le contexte francophone de l’antiracisme contemporain, l’expression a été reprise par certains mouvements pour désigner la manière dont les États modernes sont structurés, sous couvert d’égalité formelle, par un racisme “institutionnel” qui dépasse les intentions et les idéologies.

RACISME CULTUREL

Aujourd’hui, les individus ne sont plus ciblés uniquement sur base de leur couleur de peau, mais également sur base de leur culture et la prétendue incompatibilité de celle-ci avec la culture nationale. Dans son rapport de 2013, Unia indique ainsi que le tabou sur le racisme scientifique n’a pas mis fin au racisme, mais a plutôt fait évoluer les mots utilisés pour mettre plus en avant des “identités culturelles” incompatibles car trop différentes. Le rapport d’Unia va plus loin en précisant : “Ce ‘nouveau’ racisme est en mesure de présenter le comportement raciste comme une attitude ‘raisonnable’, ‘logique’ ou même ‘naturelle’ en ces temps modernes : pour éviter les conflits entre groupes dans une société devenant toujours plus diverse, il est important de respecter les ‘seuils de tolérance’ de l’autre et de conserver une ‘distance culturelle’. Dans la forme la plus extrême du ‘racisme culturel’, la cohabitation est même totalement impossible, car les différences culturelles entre les différents groupes dans la société seraient tout simplement insurmontables.

Ce discours permettrait ainsi de justifier les discriminations et mauvais traitements des “groupes racisés” en invoquant des normes et valeurs propres à ces groupes : “Les Roms vivent du vol et ne veulent pas mettre leurs enfants à l’école“, “Les Africains ne veulent simplement pas travailler dur“, etc.

CNCD-11.11.11


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TERMINOLOGIE DÉCOLONIALE – 1 – Les mots autour de la notion de prétendue race (CNCD-11.11.11)

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RACE OU PRÉTENDUE RACE

Présupposant l’existence de groupes humains nommés “races”, la notion de “race” appliquée aux êtres humains apparaît dans la seconde moitié du 18e siècle et postule, par analogie avec les races d’animaux d’élevage, que les membres de chaque “race” ont en commun un patrimoine génétique.

Le fait d’attribuer aux descriptions physiques spécifiques à des groupes humains des aptitudes intellectuelles et des qualités morales différentes se forge dans le cours du 19e siècle, et vient classifier les différentes “races” en installant la suprématie de la “race blanche”. De nombreux auteurs du 19e siècle qui développent l’idéologie raciste recherchent la pureté de la “race”, en évitant que les groupes humains ne se mélangent. L’idéologie raciste a servi à justifier la colonisation, le régime d’apartheid tout comme en Afrique du Sud ainsi que la Shoah en Allemagne nazie.

Depuis plusieurs décennies, de nombreuses études scientifiques fondées sur la génétique ont montré l’ineptie du concept de race, qui n’est pas pertinent pour caractériser des groupes humains. En effet, la diversité génétique est plus importante entre les individus d’une même population qu’entre les groupes. Ainsi le projet scientifique “Génome humain” lancé en 1988 et finalisé en 2003, qui avait pour objectif d’établir le séquençage du génome humain, démontre qu’il n’existe que peu de variation entre l’ADN de deux êtres humains pris au hasard : leurs séquences d’ADN sont semblables à 99,9%. Il existe bien des variations au sein de l’espèce humaine mais ces groupes, nommés population ou sous-espèce, peuvent être identifiés par des caractéristiques morphologiques ou moléculaires différentes. Seulement, aucun marqueur génétique ne permet de classer des groupes humains différents encore moins de créer une hiérarchie entre ces derniers.

Le consensus scientifique rejette donc aujourd’hui les arguments biologiques qui pourraient légitimer la notion de race. Bien que le concept de race ne revête aucune réalité biologique, on peut bel et bien parler de “prétendue race” ou “soi-disant race” et de racisme au sens sociologique du terme. Lorsqu’on parle de “prétendue race”, on se réfère à la construction sociale qui structure encore nos relations sociales aujourd’hui en se fondant sur la notion non scientifique de “race” et continue d’impacter la position sociale des personnes racisées. La prétendue race en tant que construction sociale reste donc un concept pertinent. La “soi-disant race” fait partie en Belgique des critères de discriminations reconnus dans l’arsenal législatif belge en son article 4 de la loi du 10 mai 2007.

RACISATION OU RACIALISATION, PERSONNE RACISÉE

Le processus de racisation est défini dans le Lexique du racisme publié par le Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté  (Montréal) en 2006 comme “le processus social par lequel une population est catégorisée par sa race.“. La racisation est également un “processus politique, social et mental d’altérisation.” Ce lexique du racisme recommande ainsi l’utilisation du terme “groupe racisé“, plutôt que de “groupe racial“, “race” ou “minorité visible“, comme terme adéquat pour parler de groupes “porteurs d’une identité citoyenne et nationale précise, mais cibles du racisme.” On parle alors de “personnes racisées” pour désigner les individus rattachés volontairement ou non à ces groupes.

ETHNICITÉ

L’ethnicité est une construction sociale divisant les individus en groupes sociaux sur base de caractéristiques spécifiques, telles que le sentiment de partager une ascendance commune, les comportements, la langue, les intérêts politiques et économiques, l’histoire, l’appartenance (ancestrale ou actuelle) à une zone géographique, etc. L’ethnicité est donc liée à l’existence d’un patrimoine culturel commun. Le terme d’ethnie, comme celui de tribu, ont toutefois été introduits dans le vocabulaire courant pour désigner spécifiquement les systèmes existant dans les pays colonisés afin de les dénigrer et ne pas leur reconnaître le statut de nation, qui associe l’idée de peuple avec celle d’un État.

CNCD-11.11.11


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CNCD-11.11.11 : terminologie décoloniale

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La langue est une technologie de pouvoir.

Frantz Fanon

[CNCD.BE, 15 décembre 2020] L’idée de produire un lexique à destination du secteur des ONG et acteurs institutionnels impliqués dans la coopération au développement est née d’une réflexion interne au secteur des acteurs de la coopération non gouvernementale, dans le cadre de ce que l’on appelle le Cadre stratégique commun des organisations – ONG et acteurs institutionnels – actives en Belgique. Dans ce cadre, 78 ACNG (Acteurs de la Coopération Non Gouvernementale) actives en Belgique que ce soit en matière d’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire, de plaidoyer, de 1e et 2e ligne ont réfléchi pendant plusieurs mois sur les enjeux de décolonisation, ce qui a abouti à la construction de ce lexique.

Dans le cadre de ces réflexions, il s’est rapidement avéré que le langage, le choix des mots constituait un élément essentiel pour pouvoir adopter une réflexion décoloniale. Certains mots, comme ceux de personnes racisées, ont amené de nombreuses questions entre les organisations, avec des compréhensions différentes selon les personnes ou les organisations.

Néanmoins, les mots ne sont jamais anodins. Ils permettent de révéler des structures de domination ou au contraire, les renforcent et les instituent. Une réflexion sur les mots que l’on utilise, ainsi que sur les images que les organisations véhiculent, est centrale pour ne pas reproduire des stéréotypes et être un allié structurel des organisations qui en Belgique luttent contre le racisme.

Afin d’avancer dans ce débat, ce lexique a été construit. Il offre une vision claire sur les termes les plus utilisés lorsqu’on s’intéresse aux questions de décolonisation et de diversité. Ce lexique a été établi par les deux organisations référentes du CSC Nord : le CNCD-11.11.11 et son homologue flamand 11.11.11.

Les objectifs de ce lexique sont doubles :

      • Renforcer la compréhension dans les ACNG des termes utilisés dans les débats sur la décolonisation, la diversité, l’intersectionnalité, etc.
      • Permettre aux ACNG de s’approprier ce langage et de l’utiliser dans les outils et dispositifs qu’ils mettent en place.
Cliquez ici pour télécharger le document…

Ce lexique vise donc à outiller les organisations ainsi que leurs travailleurs et travailleuses, afin de mieux comprendre certains concepts de plus en plus utilisés pour désigner les rapports de domination, d’exclusion, de stigmatisation dont sont victimes les personnes racisées. Il ne postule pas à l’exhaustivité, et ne reflète qu’une partie des discussions qui anime le secteur. La recherche d’un nouveau vocabulaire pour refléter de nouvelles façons de voir et construire le monde est un processus toujours en cours et ne constitue qu’une étape dans un processus plus large de décolonisation de ce secteur.

Le potentiel transformatif du langage

Comme le disait l’écrivain Frantz Fanon, “la langue est une technologie de pouvoir.” Elle reflète et forme notre vision du monde. Les mots ne sont pas seulement des étiquettes que l’on met sur la réalité, ils sont en soi des catégories qui façonnent la réalité, les mots ne désignent pas la réalité, ils en sont une interprétation. Les mots délimitent ce qui est pertinent, ce qui est utile, ce qui fait sens pour notre appréhension du monde. Ils sont profondément ancrés dans la culture qui nous imprègne. La langue n’est donc jamais neutre.

En ce sens, la création et l’utilisation de nouveaux mots issus de mouvements sociaux ont un potentiel de transformation réelle de ce qui est considéré comme pertinent ou pas. Néanmoins, l’utilisation de nouveaux mots contient en soi un potentiel qui ne pourra se réaliser que si les structures, les mentalités à la base des discriminations changent réellement.

CNCD-11.11.11

Le document complet (illustrations et notes bibliographiques) peut être téléchargé (PDF) ou commandé en version papier sur le site du CNCD-11.11.11. Cliquez ici…


Pour intégrer ces termes dans notre réseau de contenus wallonica.org et pouvoir y faire référence, nous avons éclaté le document en plusieurs articles, que voici : [en construction]


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CENTRE d’ACTION LAÏQUE (Liège) : Manuel d’autodéfense intellectuelle – La novlangue managériale (2020)

Temps de lecture : 11 minutes >

Les mots, nous le savons depuis Orwell ne sont pas neutres : ils véhiculent des idées, des concepts et produisent des effets concrets sur le réel. L’intériorisation de certains discours orientent ainsi notre représentation du monde. Au travers de la répétition d’un vocabulaire chargé d’un sens bien choisi, il arrive qu’à notre insu, nous finissions par intégrer certaines idées sans plus les questionner. Considérés parfois comme des évidences, les mots finissent par opérer de manière déterminée tant sur notre pensée que sur nos manières d’agir.

Dans le monde du travail, une rhétorique bien huilée est ainsi apparue, celle que l’on nomme la novlangue managériale. Articulée au projet néolibéral, elle prescrit un mode d’organisation du travail basé sur une conception utilitariste des humains considérés comme des ressources à mobiliser. Les principes de flexibilité, rentabilité, performance, compétitivité tout en s’appuyant sur le courant du développement personnel constituent les piliers de cette idéologie gestionnaire.

Intégrer la mise en mots et les tournures de phrases de ce discours spécifique, questionner le sens et l’effet délétère des termes considérés comme ordinaires dans le monde du travail relève d’un exercice critique qu’il est intéressant de mettre en œuvre si nous souhaitons que le vocabulaire n’agisse plus à notre insu. C’est l’objectif que ce cahier pédagogique tente de poursuivre à l’aide de petits exercices pratiques.

Ce carnet vous permettra de :

    • Repérer les modes opératoires spécifiques à la novlangue managériale ;
    • Prendre conscience des effets de la novlangue managériale sur votre pensée et vos manières d’agir ;
    • Repolitiser la question de l’organisation du travail.

George Orwell est l’auteur de 1984. Publié en 1949, le livre présente une société totalitaire qui impose l’utilisation d’une novlangue. L’objectif de cette langue est de diminuer le nombre de mots et par extension le nombre de concepts qui permettent aux gens d’analyser et de critiquer le système.


wallonica.org publie ici de larges extraits du Manuel d’autodéfense intellectuelle – La novlangue managériale édité en 2020 par le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège, notre partenaire. Vous trouverez les textes de fond dans nos pages (comme dans la publication du CAL Lg) mais nous vous devrez ouvrir le cahier pédagogique (édité par Hervé Persain) pour découvrir les différents exercices proposés. Le lien vers le document en ligne sera chaque fois disponible. Entraînez-vous et résistez !


« Disruptif, agile, lean management, scaler, plan de sauvegarde, démarche d’excellence… » : cette série de mots et d’expressions bien convenus ont envahi le monde professionnel. Loin d’être neutre, ce type de discours que l’on qualifie de novlangue managériale semble bel et bien destiné à formater notre pensée et discipliner nos comportements au travail. Ce manuel vous propose, à travers de petits exercices ludiques, de débusquer les stratégies, intentions et effets du discours managérial comme producteur d’évidences partagées saisi d’enjeux socio-politiques. À l’issue de chaque exercice, un point théorique est proposé afin de conceptualiser ce qui s’y joue spécifiquement.

Ce fascicule est la deuxième publication d’une collection intitulée « Savoirs résistants » qui poursuit l’ambition suivante : proposer quelques pistes de réflexion, outils et références afin d’alimenter nos luttes pour une société plus égalitaire.


Définitions préliminaires

Qu’est-ce que la novlangue ? Ce concept a été créé par George Orwell dans son roman 1984. Il consiste en une simplification lexicale et syntaxique de la langue, destinée à rendre impossible l’expression des idées subversives et éviter ainsi toute formulation critique envers l’État. Ce concept est passé dans l’usage courant pour désigner un langage destiné à dénaturer la réalité.

Qu’est-ce que la novlangue managériale ? Il s’agit d’un discours qui vise à soutenir l’organisation néolibérale du travail. Cette rhétorique, en adoucissant ou masquant les rapports de domination dans l’entreprise, a pour objectif d’empêcher la critique du système. Elle a une visée performative dans le sens où elle oriente la pensée et les façons d’agir. Ce langage managérial domestique ainsi les esprits à partir d’un système de référence (des mots, des expressions, des tournures de phrase, etc.) qui colonise les imaginaires, pour imposer et faire adhérer les travailleur·euse·s à une vision néolibérale du monde du travail et, par extension, de la société. La célèbre expression de Margaret Tatcher « There is no alternative » (TINA) illustre bien ce rétrécissement des possibles.

Mais comment procède cette rhétorique ? À l’aide des exercices suivants, découvrez les modes opératoires de la novlangue managériale…


Exercice 01 : Es-tu contaminé·e par la novlangue managériale ? Cet exercice permet de montrer la manière dont agit la novlangue managériale sur notre cerveau et notre imaginaire. En invisibilisant, par le langage, les réalités désagréables qu’engendre le néolibéralisme, il s’agit de les rendre acceptables auprès de l’opinion. L’exercice est disponible dans le cahier pédagogique.


MODE OPÉRATOIRE : L’OBLITÉRATION DE SENS

Partant du principe que le langage structure la pensée, cet exercice montre qu’il suffit d’éliminer les mots jugés subversifs pour éliminer le concept associé à ce mot. Les termes gênants ou critiques vis-à-vis de l’organisation néolibérale disparaissent alors pour faire place à un vocabulaire plus complaisant à l’égard du système. Il s’agit donc d’empêcher de penser selon certains termes.

Ainsi remplacer salarié·e par collaborateur·trice permet d’oblitérer la hiérarchisation des positions dans l’organisation ainsi que le lien de subordination existant entre travailleur.euse et employeur.euse (en effet, l’un·e exécute un travail sous l’autorité de l’autre, qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, ainsi que d’en contrôler l’exécution). Utiliser le terme « collaborateur·trice » permet donc de gommer les intérêts contradictoires (et potentiellement conflictuels) qui apparaissent en fonction de votre place dans la pyramide hiérarchique.

Remplacer cotisation sociale par charges sociales permet d’oblitérer le principe de solidarité propre à la cotisation : à savoir un salaire social différé qui sert à tout le monde en cas de maladie, d’accident de travail, de licenciement, etc. Une charge c’est lourd, pesant, l’alléger est donc toujours considéré comme un soulagement.

L’oblitération de sens et l’inversion de sens sont deux modes opératoires qui ont été développés par Alain BIHR dans son ouvrage La novlangue néolibérale, la rhétorique du fétichisme capitaliste (Éditions Syllepse-Page deux, « Cahiers libres », 2017)

MODE OPÉRATOIRE : L’INVERSION DE SENS

Complémentaire à l’oblitération de sens, il ne s’agit plus seulement ici d’adoucir la réalité, mais d’employer des mots inverses à la réalité observée. C’est une méthode dite paradoxante créant une forme de confusion dans notre esprit, elle vise à nier purement et simplement la réalité décrite. Ce dispositif langagier, appelé aussi “principe de double pensée“, bloque à la fois toute possibilité de pensée critique et germe de contestation. Cette violence paradoxale est génératrice de souffrance chez les travailleur·euse·s.

Ainsi, à l’image de “La guerre c’est la paix” dans le roman d’Orwell 1984 un plan de licenciement devient un plan de sauvegarde de l’emploi (exactement le contraire de ce qu’il est pour les personnes licenciées). Un plan d’austérité devient un plan de relance.

Par méthode paradoxante, nous mettons en avant les processus organisationnels qui mettent les travailleur·euse·s dans des situations d’injonctions paradoxales. Une des plus édifiantes consiste à en appeler à l’amélioration du service public en exigeant, dans un même mouvement, la diminution des moyens qui lui sont consacrés : “faire plus avec moins” représente une formule bien connue qui illustre cette méthode.


Exercice 02 : Le langage start-up nation ! Cet exercice permet de montrer comment l’utilisation du franglais, dans la novlangue managériale, véhicule
des valeurs et des codes communs, rentables pour l’entreprise. Il s’agit ici de tics de langage orientés “performance, innovation, efficacité” très inspirés par le mythe de la start-up. L’exercice est disponible dans le cahier pédagogique.


MODE OPÉRATOIRE : UTILISATION IMMODÉRÉE D’ANGLICISMES

Vous l’aurez compris, le langage start-up est un jargon qui sème des anglicismes à tout bout de champ, une espèce de franglais qui finit par ne plus vouloir rien dire.

Pour rappel si vous n’êtes pas au top du new langage start-up nation : une start-up est une entreprise en phase de démarrage (souvent dans les domaines des nouvelles technologies). Bien souvent, elle ne nécessite pas de gros apports en capital de départ, mais elle vise une hyper-croissance rapide (on dit scaler quand on est dans le vent et qu’on veut faire court).

Souvent utilisé dans ces nouvelles entreprises, il s’agit à travers ce langage de se montrer dynamique, innovant, flexible… et surtout rapidement rentable (on dit bankable quand on a la start-up attitude).

Les mythes auxquels se réfèrent les startuppers, ce sont évidemment les success-stories de la Silicon Valley dans le digital. Par exemple, Google, Apple, Facebook et Amazon (on dit les GAFA quand on est « in »). Grâce à ce vocabulaire, la volonté est de créer une appartenance commune à cet esprit start-up outre-Atlantique et ses valeurs d’innovation dans la manière de travailler : cool, récréatif, transversal, flexible, mais surtout très proactif et en amélioration continue (“The sky is the limit” est leur nouveau mantra).

La start-up devient par ailleurs, à travers les discours de certains représentants politiques un projet de société à part entière ! “I want France to be a start-up nation! A nation that thinks and moves like a start-up” déclarait Emmanuel Macron dans un tweet récent.

À travers cette déclaration, il s’agit d’inviter tou·te·s les citoyen·ne·s français·e·s à se rêver entrepreneur·euse·s. Une ambitieuse initiative, le rêve idéal de l’État méritocratique à travers la figure du/de la self made man ou woman !


Exercice 03 : Le bonheur au travail, le nouvel esprit du capitalisme happytoyable. Cet exercice montre à quel point les valeurs du bonheur, du bien-être et de la pensée positive sont convoquées dans la novlangue managériale. Une rhétorique destinée à imposer l’attitude mentale voulue au sein de l’entreprise, selon la devise : un·e travailleur·euse heureux·euse est un·e travailleur·euse rentable ! L’exercice est disponible dans le cahier pédagogique.


MODE OPÉRATOIRE : LA RHÉTORIQUE AUTOUR DE LA PENSÉE POSITIVE ET DU BONHEUR

Récemment, nous avons vu fleurir au travers d’offres d’emploi, de profils de fonction ou même dans la communication concernant la culture de l’entreprise, la notion de bonheur/bien-être au travail. Tout serait-il devenu rose dans le monde de l’entreprise ? Rien n’est moins sûr quand on constate les détériorations des conditions de travail dans beaucoup de secteurs.

À travers ce vocabulaire happycratique (entreprise positive, bienveillante, engageante), il s’agit d’inciter les salarié·e·s à souscrire aux valeurs affichées de l’entreprise et surtout à s’y conformer. Le but de ce langage : exploiter les émotions positives et les mettre au service de l’entreprise et de leur objectif de rentabilité.

Ces discours managériaux enjôleurs présentent le travail dans une perspective de développement personnel, révélateur de l’identité. Il s’agit de se réaliser soi-même en réalisant le projet de l’entreprise. La quête de la croissance personnelle doit ainsi rencontrer l’efficacité organisationnelle.

Les séances de coaching, de team building, d’auto-management ou encore de méditation visent ainsi à encourager l’implication des salarié·e·s et leur motivation. L’idée est donc de se réaliser au travers de son travail. Dans un cadre professionnel présenté comme bienveillant, la novlangue managériale happytoyable joue ainsi sur le registre personnel des salarié·e·s pour effacer la délimitation entre ce que les individus engagent et ce qu’il·elle·s sont. La responsabilité employeur·euse/travailleur·euse s’inverse et brouille, en cas de problème, le caractère organisationnel des dysfonctionnements.

Le bonheur est ici un alibi, une manipulation pour rendre les salarié·e·s à la fois dépendant·e·s de leur travail (la séparation entre la sphère privée et professionnelle devient poreuse) mais aussi dociles à souhait. À l’ère du management humaniste et cool, chacun·e est prié·e de donner le meilleur de soi-même.

MODE OPÉRATOIRE : LA DÉNÉGATION INVERSÉE

La dénégation inversée permet ici de se targuer d’offrir ce qu’on n’a pas ou de se féliciter de ce qu’on ne possède pas.

Ainsi la novlangue managériale est construite au travers d’un vocabulaire se référant souvent à des valeurs morales élevées. L’excellence, l’intégrité, la confiance dressent ainsi l’image d’une communauté agissant d’un bloc, réunie “autour d’une pensée unique, sans fissure“. Comment dès lors, ne pas être d’accord pour se mobiliser en faveur de telles valeurs positives dans le cadre de son travail?

Cette vision idéalisée de l’entreprise correspond rarement à la réalité des pratiques. Ce type de discours peut servir à masquer les rapports de domination dans les organisations et annihiler l’apparition de rapports de force.

Une forme de schizophrénie entre ce qui est annoncé et ce qui se passe réellement au sein de l’entreprise peut alors être vécue par les travailleur·euse·s de manière particulièrement violente.

Comme le résume l’anthropologue Michel Feynie, “les rapports de travail sont en apparence très conviviaux : tutoiement privilégié, embrassades généralisées, appel par le prénom. Les dirigeants semblent ainsi abolir les distances et faire comme si tout le monde était sur un pied d’égalité. Cette absence de distance brouille les repères et va favoriser un management par l’affectivité“.


Exercice 04 : Les figures de style à la mode dans la novlangue managériale. Cet exercice permet de repérer les figures de styles utilisées très souvent par la novlangue managériale. Ces figures de style peuvent être destinées à cacher les désagréments de certaines réalités propres à l’organisation néolibérale du travail. Substituer un mot à un autre revient toujours à modifier le regard et les interprétations
anciennement portés sur le phénomène observé. L’exercice est disponible dans le cahier pédagogique.


THÉORIE GÉNÉRALE : QUELQUES FIGURES DE STYLE…
  • Oxymore : rapprochement de deux mots qui semblent contradictoires.
  • Néologisme : tout mot de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue ou toute acception nouvelle donnée à un mot ou à une expression qui existait déjà dans la langue.
  • Euphémisme : atténuation dans l’expression de certaines idées ou de certains faits dont la crudité aurait quelque chose de brutal ou de déplaisant.
  • Hyperbole : procédé qui consiste à exagérer la réalité pour produire une forte impression.
  • Technicisateur : expression qui valorise l’état ou le statut d’une personne tout en masquant la réalité sociale de cette personne.
  • Anglicisme : tournure, locution propre à la langue anglaise.
  • Sigle : groupe de lettres initiales constituant l’abréviation de mots.

Exercice 05 : Application pratique. Lettre de déclaration d’amour ou de rupture amoureuse en novlangue managériale. Cet exercice permet d’utiliser quelques modes opératoires mis en lumière dans les exercices précédents (oblitération ou inversion de sens, langage start-up, langage happycratique, figures de style) dans un registre où on ne les utilise généralement pas. Cela permet de mettre en évidence la façon dont l’humain est traité, hors d’un cadre professionnel. Objectif ? Vérifier que la novlangue managériale est bien une façon de faire accepter une situation désagréable, pour le meilleur ou pour le pire. L’exercice est disponible dans le cahier pédagogique.


Conclusion

“C’est depuis l’intérieur des mots du pouvoir que l’on peut critiquer la domination dont ils peuvent être porteurs” (Judith BUTLER). Le discours managérial est aujourd’hui omniprésent dans la vie des entreprises, celle des organisations et au cœur de la vie quotidienne des individu·e·s.

Dans ce cadre, il convient de souligner l’importance des mots car c’est avec eux que nous pensons la réalité et que nous façonnons nos représentations du monde. Il est important de rappeler que les mots sont inscrits dans un rapport de force, certains sont davantage plébiscités que d’autres. Or, si tous les mots subversifs envers le néolibéralisme finissent par disparaître, nous ne disposerons plus des concepts nécessaires pour formuler des critiques à son encontre.

Dès lors que faire?

  • Interroger le sens des mots et l’histoire de leur usage au sein du discours managérial. Derrière l’histoire des normes et usages linguistiques, il y a souvent des enjeux de société importants qui apparaissent.
  • Interroger les éléments de langage répétés inlassablement dans les organisations du travail jusqu’à en devenir des expressions consacrées. Il s’agit de questionner les mots et les évidences partagées qu’ils véhiculent.
  • Mettre à jour le rapport de force existant entre les différentes qualifications de la réalité au travail. À travers les mots, ce sont souvent des représentations du réel et des enjeux politiques qui s’affrontent.
  • Éviter la stratégie du perroquet : conserver son autonomie en tant que force énonciatrice en dehors du formatage de la novlangue managériale. À savoir, ne pas intégrer le vocabulaire managérial aveuglément, mais au contraire, cultiver sa spécificité langagière (dans sa capacité à dire et à comprendre son expérience du travail).

Des propositions de réponses aux différents exercices sont disponibles dans le cahier pédagogique sur la novlangue managériale qui fait partie des manuels d’autodéfense intellectuelle édités par le Centre d’Action Laïque de la Province de Liège.


Plus de lectures sur le contrat social ?

Une “écriture excluante” qui “s’impose par la propagande” : 32 linguistes listent les défauts de l’écriture inclusive

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TRIBUNE : “Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral.” Bien que favorables à la féminisation de la langue, plusieurs linguistes estiment l’écriture inclusive profondément problématique.

Présentée par ses promoteurs comme un progrès social, l’écriture inclusive n’a paradoxalement guère été abordée sur le plan scientifique, la linguistique se tenant en retrait des débats médiatiques. Derrière le souci d’une représentation équitable des femmes et des hommes dans le discours, l’inclusivisme désire cependant imposer des pratiques relevant d’un militantisme ostentatoire sans autre effet social que de produire des clivages inédits. Rappelons une évidence : la langue est à tout le monde.

LES DÉFAUTS DE L’ÉCRITURE INCLUSIVE

Les inclusivistes partent du postulat suivant : la langue aurait été “masculinisée” par des grammairiens durant des siècles et il faudrait donc remédier à l’”invisibilisation” de la femme dans la langue. C’est une conception inédite de l’histoire des langues supposant une langue originelle “pure” que la gent masculine aurait pervertie, comme si les langues étaient sciemment élaborées par les locuteurs. Quant à l”invisibilisation”, c’est au mieux une métaphore mais certainement pas un fait objectif ni un concept scientifique.

Nous relèverons simplement ici quelques défauts constitutifs de l’écriture inclusive et de ses principes.

  • La langue n’a pu être ni masculinisée, ni féminisée sur décision d’un groupe de grammairiens, car la langue n’est pas une création de grammairiens — ni de grammairiennes. Ce ne sont pas les recommandations institutionnelles qui créent la langue, mais l’usage des locuteurs. L’exemple, unique et tant cité, de la règle d’accord “le masculin l’emporte sur le féminin” ne prétend posséder aucune pertinence sociale. C’est du reste une formulation fort rare, si ce n’est mythique, puisqu’on ne la trouve dans aucun manuel contemporain, ni même chez Bescherelle en 1835. Les mots féminin et masculin n’ont évidemment pas le même sens appliqués au sexe ou à la grammaire : trouver un quelconque privilège social dans l’accord des adjectifs est une simple vue de l’esprit.
  • Si la féminisation est bien une évolution légitime et naturelle de la langue, elle n’est pas un principe directeur des langues. En effet, la langue française permet toujours de désigner le sexe des personnes et ce n’est pas uniquement une affaire de lexique, mais aussi de déterminants et de pronoms (“Elle est médecin“). Par ailleurs, un nom de genre grammatical masculin peut désigner un être de sexe biologique féminin (“Ma fille est un vrai génie des maths“) et inversement (“C’est Jules, la vraie victime de l’accident“). On peut même dire “un aigle femelle” ou “une grenouille mâle“…

UNE ÉCRITURE EXCLUANTE

La langue n’est pas une liste de mots dénués de contexte et d’intentions, renvoyant à des essences. Il n’y a aucune langue qui soit fondée sur une correspondance sexuelle stricte. Autrement, le sens des mots serait déterminé par la nature de ce qu’ils désignent, ce qui est faux. Si c’était le cas, toutes les langues du monde auraient le même système lexical pour désigner les humains. Or, la langue n’a pas pour principe de fonctionnement de désigner le sexe des êtres : dire à une enfant “Tu es un vrai tyran” ne réfère pas à son sexe, mais à son comportement, indépendant du genre du mot.

  • Les formes masculines du français prolongent à la fois le masculin (librum) et le neutre (templum) du latin et font donc fonction de genre “neutre”, c’est-à-dire par défaut, ce qui explique qu’il intervienne dans l’accord par résolution (la fille et le garçon sont partis), comme indéfini (ils ont encore augmenté les impôts), impersonnel (il pleut), ou neutre (c’est beau). Il n’y a là aucune domination symbolique ou socialement interprétable. Quand on commande un lapin aux pruneaux, on ne dit pas un.e lapin.e aux pruneaux…
  • La langue a ses fonctionnements propres qui ne dépendent pas de revendications identitaires individuelles. La langue ne détermine pas la pensée — sinon tous les francophones auraient les mêmes pensées, croyances et représentations. Si la langue exerçait un pouvoir “sexiste”, on se demande comment Simone de Beauvoir a pu être féministe en écrivant en français “patriarcal”. L’évidence montre que l’on peut exprimer toutes les pensées et les idéologies les plus antithétiques dans la même langue.
  • En français, l’orthographe est d’une grande complexité, avec ses digraphes (eu, ain, an), ses homophones (eau, au, o), ses lettres muettes, etc. Mais des normes permettent l’apprentissage en combinant phonétique et morphologie. Or, les pratiques inclusives ne tiennent pas compte de la construction des mots : tou.t.e.s travailleu.r.se.s créent des racines qui n’existent pas (tou-, travailleu-). Ces formes fabriquées ne relèvent d’aucune logique étymologique et posent des problèmes considérables de découpages et d’accords.
  • En effet, les réformes orthographiques ont normalement des objectifs d’harmonisation et de simplification. L’écriture inclusive va à l’encontre de cette logique pratique et communicationnelle en opacifiant l’écriture. En réservant la maîtrise de cette écriture à une caste de spécialistes, la complexification de l’orthographe a des effets d’exclusion sociale.Tous ceux qui apprennent différemment, l’écriture inclusive les exclut : qu’ils souffrent de cécité, dysphasie, dyslexie, dyspraxie, dysgraphie, ou d’autres troubles, ils seront d’autant plus fragilisés par une graphie aux normes aléatoires.

  • Tous les systèmes d’écriture connus ont pour vocation d’être oralisés. Or, il est impossible de lire l’écriture inclusive : cher.e.s ne se prononce pas. Le décalage graphie / phonie ne repose plus sur des conventions d’écriture, mais sur des règles morales que les programmes de synthèse vocale ne peuvent traiter et qui rendent les textes inaccessibles aux malvoyants.
  • On constate chez ceux qui la pratiquent des emplois chaotiques qui ne permettent pas de produire une norme cohérente. Outre la prolifération de formes anarchiques (“Chere.s collègu.e.s“, “Cher.e.s collègue.s“, etc.), l’écriture inclusive est rarement systématique : après de premières lignes “inclusives”, la suite est souvent en français commun… Si des universitaires militants ne sont pas capables d’appliquer leurs propres préceptes, qui peut le faire ?
  • L’écriture inclusive, à rebours de la logique grammaticale, remet aussi radicalement en question l’usage du pluriel, qui est véritablement inclusif puisqu’il regroupe. Si au lieu de “Les candidats sont convoqués à 9h00” on écrit “Les candidats et les candidates sont convoqué.e.s à 9h00“, cela signifie qu’il existe potentiellement une différence de traitement selon le sexe. En introduisant la spécification du sexe, on consacre une dissociation, ce qui est le contraire de l’inclusion. En prétendant annuler l’opposition de genre, on ne fait que la systématiser : l’écriture nouvelle aurait nécessairement un effet renforcé d’opposition des filles et des garçons, créant une exclusion réciproque et aggravant les difficultés d’apprentissage dans les petites classes.
© Christophe Morin / IP3

Outre ses défauts fonctionnels, l’écriture inclusive pose des problèmes à tous ceux qui ont des difficultés d’apprentissage et, en réalité, à tous les francophones soudain privés de règles et livrés à un arbitraire moral. La circulaire ministérielle de novembre 2017 était pourtant claire et, tout en valorisant fort justement la féminisation quand elle était justifiée, demandait “ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive” : des administrations universitaires et municipales la bafouent dans un coup de force administratif permanent. L’usage est certes roi, mais que signifie un usage militant qui déconstruit les savoirs, complexifie les pratiques, s’affranchit des faits scientifiques, s’impose par la propagande et exclut les locuteurs en difficulté au nom de l’idéologie ?

Tribune rédigée par les linguistes Yana Grinshpun (Sorbonne Nouvelle), Franck Neveu (Sorbonne Université), François Rastier (CNRS), Jean Szlamowicz (Université de Bourgogne) et signée par une trentaine de leurs confrères.

Pour lire la tribune originale (avec les publicités) sur MARIANNE.NET (article du 18 septembre 2020)


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