[RTBF.BE, rubrique FAKY, 15 juin 2023] Quinze mille litres d’eau pour produire un kilo de viande de bœuf. C’est un chiffre qui ressort depuis plusieurs années lorsqu’on veut parler de l’impact de la production de viande sur l’environnement. Deux études – l’une publiée en 2007 et l’autre en 2012 – sont à l’origine de ce calcul. Un chiffre qui comprend toute l’eau nécessaire à l’élevage de l’animal, y compris l’eau de pluie tombée sur le champ où la vache paît.
“Produire de la viande, cela consomme énormément d’eau. On estime que pour un kilo de viande de bœuf, il faut plus de 15.000 litres d’eau. C’est 150 fois plus que pour un kilo de légumes.” Le 28 mai dernier, le JT de la RTBF fait le point sur l’impact environnemental de la production de viande et cite cette estimation, maintes fois reprise par ailleurs par exemple, par le journal Le Monde en 2015 ou Futura sciences le 6 avril dernier.
Une moyenne globale
Ce chiffre a été publié dès 2007 dans une étude coécrite par le scientifique Arjen Hoekstra de l’Université de Twente aux Pays-Bas. Le chercheur a ensuite continué ses recherches et publié un chiffre similaire en 2012. Il a utilisé une méthode agréée par la FAO, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture des Nations Unies. Cette méthode a ensuite été reprise par l’organisation Water Footprint Network qui se charge de communiquer à propos de l’empreinte eau de l’activité humaine afin de préserver l’or bleu.
Dans son calcul, Hoekstra fait une moyenne pondérée de l’utilisation de l’eau dans la production de viande de manière globale, pour tous les pays du monde. Mais comme le soulignent les scientifiques de l’INRA, l’Institut national français de la recherche agronomique en 2013, “il y a de fortes différences d’un pays à l’autre, allant par exemple de 11.000 litres au Japon à 37.800 litres au Mexique. Cette variation est liée aux précipitations et à l’évapotranspiration locale, aux systèmes de production et à la productivité animale.“
L’eau de pluie prise en compte
Car oui, dans ce calcul de 15.000 litres d’eau pour 1 kg de bœuf, les scientifiques comptent plusieurs types d’eaux, y compris celle venant du ciel, autrement dit la pluie qui sert à faire pousser les aliments des animaux. Chez nous, cette nourriture provient en grande partie de l’herbe des prairies.
C’est ce qu’explique Jérôme Bindelle, professeur de gestion du pâturage et d’élevage pour l’agroécologie à Gembloux Agrobiotech de l’Uliège. “Cela comprend ce que l’animal va boire mais aussi ce qui va servir à nettoyer les étables, ce qui va servir à dépolluer les eaux qui seraient contaminées et aussi ce qui va servir à produire les plantes que le bovin va consommer c’est-à-dire, le fourrage, l’herbe des prairies, les céréales et les tourteaux, les concentrés que l’animal va manger tout au long de sa vie.“
Ces 15.000 litres d’eau comprennent donc différentes catégories d’eaux en fonction de leur provenance et de leur utilité :
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- L’eau verte est celle qui tombe du ciel sur les champs et sur les prairies, l’eau de pluie.
- L’eau bleue est celle que l’on consomme, que l’on va aller pomper dans les rivières ou dans les nappes phréatiques via des captages.
- L’eau grise est celle qui est utilisée pour les processus de dépollution.
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Et chez nous, c’est principalement l’eau verte, autrement dit la pluie, qui sert à produire les plantes que le bovin va consommer.
Jérôme Bindelle a lui-même repris les calculs de ses confrères hollandais. “Si on fait le total de la consommation de ces trois eaux, on est plus ou moins sur les mêmes valeurs. Mais il faut se rendre compte que la proportion d’eau verte, en particulier dans les systèmes avec des herbivores, des animaux qui consomment de l’herbe en pâturage, est très importante : elle représente entre 90 et 95% de l’eau consommée.“
Autrement dit, la quasi-totalité de l’eau utilisée par les vaches qui sont en pâturage est celle “qui est tombée sur un champ ou sur une prairie et qui va être utilisée par la plante pour pousser et va être évaporée par celle-ci“, explique le professeur de l’Uliège. “Donc, ce n’est pas de l’eau qui est retirée au cycle de l’eau par le processus d’élevage.“
C’est en partie ce qui fait bondir les fédérations d’éleveurs lorsque ce chiffre ressort. Jérôme Bindelle n’est quant à lui pas étonné de cette estimation pour laquelle il comprend le calcul. Mais il souligne qu’il est important de préciser que “la grande majorité de cette eau n’est pas de l’eau que l’on puise dans les nappes phréatiques ou que l’on dépollue. C’est de l’eau qui, de toute façon, va tomber sur une prairie et sera réévaporée, quelle que soit la végétation qui est dessus donc on ne prive pas les nappes phréatiques de cette eau-là.“
Des chiffres très différents en fonction des méthodologies
En fonction de la méthode de calcul de cette “empreinte eau”, d’autres résultats sont disponibles, comme on peut le voir dans ce tableau publié par l’INRA, en 2013 :
À l’extrême, il y a l’étude de Pimentel et Pimentel en 2013, qui compte 200.000 litres d’eau pour la production d’un kilo de bœuf. Mais la méthodologie précise n’est pas spécifiée, note l’INRA qui constate que ce calcul se base sur “un système sur parcours extensifs, qui demande une grande surface et donc une grande quantité d’eau verte par kg de viande produit.“
Ainsi, paradoxalement, plus l’espace donné aux vaches est grand et plus elles y restent longtemps, plus cette quantité d’eau (de pluie) le sera aussi… ce qui peut paraître contradictoire vu que la pression exercée par les animaux sur l’environnement est moins importante quand ils sont moins nombreux sur une prairie. Nous ferons le point sur cette pression chez nous plus loin dans cet article.
Paradoxalement, les cultures irriguées ont une empreinte eau moins importante
À l’autre extrême, il y a le chiffre de 58 à 551 litres nécessaires à la production d’un kg de bœuf, un chiffre publié par Ridoutt en 2012 et qui correspond à la production de viande en Australie et où l’eau utilisée au nourrissage des bêtes est de l’eau bleue. Il s’agit donc d’eau irriguée, prélevée dans les nappes phréatiques ou les rivières, “ce qui conduit à une réduction d’eau douce disponible“, écrit l’INRA, contrairement aux modèles se basant sur le pâturage.
Si l’on résume, plus l’élevage est “naturel” en laissant paître les vaches sur des prairies, plus la quantité d’eau nécessaire est importante car c’est toute l’eau de pluie qui est comptabilisée dans la production de nourriture pour la vache. Or, elle tombera quoi qu’il advienne et sera ensuite “évapotranspirée” par les plantes ou retournera à la nature via les déjections bovines.
En revanche, en comptant tous les types d’eau, l'”empreinte eau” globale est moins importante dans les élevages plus industriels et où leur nourriture est essentiellement composée d’aliments concentrés et de céréales fourragères qui ont besoin d’irrigation et de pesticides pour pousser. Mais il s’agit essentiellement d’eau bleue. Donc plus l’élevage est intensif, plus il puise dans les réserves d’eau mais cela n’apparaît pas dans cette “empreinte eau“.
Quel type de culture chez nous ?
La question est donc de savoir quel type de viande nous consommons : celle qui est produite avec des bêtes qui paissent ou bien celle qui est produite grâce à des plantes irriguées ? “Chez nous, c’est une production mixte“, répond Jérôme Bindelle. “La majeure partie de la nourriture des bovins vient des prairies, que ce soit en pâturage direct pendant la saison ou un affouragement à l’auge de foin ou d’ensilage d’herbe qui aurait été conservé pour l’hiver.“
Et puis, il y a quelques compléments qui sont donnés. “Par exemple, les bovins, en engraissement, reçoivent quelques compléments pendant la dernière phase de leur cycle de production. Certaines fermes utilisent aussi de l’ensilage de maïs en plus de l’herbe pour avoir plus de fourrages pour leurs animaux.“
La plupart de ces compléments viennent de chez nous, précise le professeur, à l’exception de certains tourteaux. “Le lin ou le soja sont importés mais cela reste une part peu importante de l’alimentation des animaux.“
Peu de pression sur les champs
Fannie Jenot est chargée de mission pour C-durable qui s’occupe d’aller dans les fermes pour calculer leur score environnemental sur base de la biodiversité, du bien-être animal et du climat. “L’un des éléments les plus importants qui permet de savoir si un élevage est plutôt intensif ou extensif est le chargement en bovin à l’hectare“, explique la chargée de mission.
“On estime que l’impact de la ferme sur la biodiversité est très défavorable si elle a un chargement de 2,6 UGB (Unité de gros bétail par hectare, autrement dit une vache, ndlr) par hectare. Et on estime qu’elle est favorable ou qu’elle n’a pas d’impact entre 1,8 et 1,4.” Or en Wallonie, la moyenne ne dépasse pas 2,6 vaches par hectares. “En 2018, la moyenne est de 2 UGB par hectare fourrager avec la charge la plus basse à 1,5 et la plus élevée à 2,7.“
Reste à savoir si cette viande est celle que nous consommons chez nous. Selon Statbel, la Belgique est plus qu’autosuffisante en viande bovine : 247.122 tonnes équivalent carcasse (os, tendons, graisse compris) de viande bovine ont été produites en 2021 et 177.356 tonnes équivalent carcasse ont été mises sur le marché.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les Belges consomment uniquement la viande produite chez nous car si la Belgique exporte 158.997 tonnes équivalent carcasses, elle importe aussi 89.231 tonnes équivalent carcasse. Bien que nous soyons autosuffisant en viande de bœuf, celle que nous consommons vient en partie d’ailleurs. Cependant, les données ne permettent pas d’identifier l’origine des viandes échangées.
En conclusion, le chiffre de 15.000 litres par kilo de viande bovine est exact selon une méthodologie qui comprend l’eau de pluie. Et c’est ce qui est paradoxal dans la méthode de calcul de cette empreinte eau. Plus les vaches paissent longtemps, sans être agglutinées dans les prairies, plus l’empreinte eau est grande.
Marie-Laure Mathot et Marine Lambrecht, rtbf.be
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | source : rtbf.be, rubrique FAKY | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Le sillon belge ; © INRA.
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