ARNO : Lettre à Donald Trump (2016)

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HINTJENS, Arnold Charles Ernest alias ​ARNO (né en 1949)
Arno

Monsieur Trump,
Hier sur CNN, tu as catalogué Bruxelles de « hellhole ». À vrai dire, ça m’a fait rire, parce que je n’ai jamais fait l’expérience d’une telle fournaise. Cela fera bientôt 33 ans que j’habite dans « the capital of Europe », et je ne compte pas décamper d’aussitôt. Même un chien enrhumé le sentirait à des kilomètres : Bruxelles, c’est ma ville. Dans ma vie, j’ai habité un peu partout : à Londres, à Amsterdam, à Paris. Et en hiver, je m’exile souvent à la mer pour quelques jours. Mais la ville d’Ostende n’est rien d’autre que la fille de Bruxelles. Difficile donc de dire que je m’éloigne vraiment.
Nous sommes plus d’un million à habiter dans cette ville où l’on rencontre le monde entier et où toutes les nationalités se côtoient et s’entremêlent. Parfois, je rentre chez moi le soir sans me souvenir dans quelle langue s’est déroulée ma dernière conversation. J’étais à New York l’année passée d’ailleurs. En terrasse à la Meat Factory, le menu était bilingue anglais-français : je m’y suis senti comme chez moi.
Je ne pense pas que tu sois passé souvent par Bruxelles. Pour pas mal de Flamands et de Wallons, ça vaut également, en fait : ils pensent qu’ils doivent échanger leurs billets contre une monnaie étrangère quand ils descendent du train à la Gare Centrale. Bruxelles est une ville qui en inspire plus d’un : cela explique aussi pourquoi tant d’artistes atterrissent ici. Lemmy de Mötorhead y a habité. Quand Edith Piaf voulait sortir, elle venait à Bruxelles. Le chanteur de Joy Division y est tombé amoureux. On peut y être connu ou célèbre et pourtant rester anonyme. En tout cas, on m’adresse plus souvent la parole ici qu’à Paris. Il m’est arrivé de voir passer Madonna en vélo Rue Dansaert, et de remarquer David Bowie assis tout seul à une table en terrasse : personne ne le dérangeait. Bryan Ferry donnait ses interviews à l’Archiduc, sans être submergé par les foules. Faut l’essayer ailleurs qu’à Bruxelles, ça. Nous n’avons pas de « Star System » comme le vôtre aux Etats-Unis. Pour beaucoup de jeunes créatifs, Bruxelles est le nouveau Berlin : un lieu où ils peuvent se développer. Cinéma, salles de concert, théâtre, danse… toute la ville est culture.
Autre chose : Bruxelles est une des rares villes au monde où l’on peut consommer de l’alcool dès le petit matin. Pas dans un café, hein : dans une poissonnerie. Quand je sors avec des amis étrangers, ils n’en croient pas leurs yeux : c’est du jamais vu pour eux. Je connais des cafés et des bars dont les propriétaires ont paumé la clé de la porte d’entrée il y a des années. Nous avons notre cul dans une énorme motte de beurre ici, mec.
En même temps, je ne mentirai pas : Bruxelles est probablement la ville la plus laide au monde. C’est un gros bordel, et ça pue la merde. Mais c’est l’odeur d’une bonne merde. Quand j’ai déménagé vers Bruxelles, je me suis souvent réveillé avec un gros mal de tête – et ce n’était pas à cause de l’alcool, parce qu’à l’époque, je ne buvais pas encore. C’était à cause de l’odeur. Bruxelles est une « sale beauté ». Oui, il y a plein de trucs qui ne tournent pas rond ici, chaque grande ville a ses problèmes. Il y a beaucoup de jeunes chômeurs d’origine étrangère, il y a du racisme partout : chez les blancs-bleus belges, mais aussi dans d’autres communautés. Des gros cons, on en trouve partout : aucune communauté ne pourra en revendiquer l’exclusivité. Pour moi, la rue appartient à tous ceux qui ont deux narines, qu’il soit Juif, Arabe, Eskimo ou Africain. Peut-être as-tu peur de tous ces gens, et est-ce pour cela que tu dis que Bruxelles est l’enfer ?
Car en toute franchise : je trouve que toi, tu es un bonhomme dangereux, un psychopathe. Un type qui se met à bander dès qu’on lui accorde un peu d’attention. Quelqu’un qui verrait bien un retour aux années 1930, aussi, une époque à laquelle il y a avait une grosse crise et où tout le monde avait peur. S’est alors profilé un type moustachu en Allemagne, suivi d’un autre avec une moustache plus impressionnante encore, en Russie. Hitler et Stalin : tu les connais, n’est-ce pas ? Ta drôle de chevelure montre selon moi clairement que tu as été taillé dans le même bois.
Les Américains que je connais habitent New York, Los Angeles, Miami et Washington, et ils ne sont pas du tout impressionnés par ton discours. Mais il y a apparemment beaucoup d’Américains assez crédules qui adhèrent à tes propos ultraconservateurs. Quand les choses vont mal et que les gens ne sont pas rassurés, il est beaucoup plus facile de leur faire croire que tout est de la faute de l’autre. L’Histoire se répète, et on sait jamais comment une vache finira par attraper un lièvre. Mais ce que je sais, c’est que beaucoup d’Américains ont assassiné des populations entières de villages vietnamiens, et qu’il y a eu plus d’attentats à Paris qu’à Bruxelles. Et aussi que dans n’importe quelle grande ville américaine, chaque jour, plus de personnes sont tuées que chez nous. Tout ça « grâce » à la loi sur la possession d’armes – soutenue par les Républicains, d’ailleurs. S’il devait y avoir un « hellhole » sur cette Terre, il serait bien là me semble-t-il.
Tout le rapportage sur Bruxelles et Molenbeek dans les médias étrangers est d’ailleurs sérieusement sous influence. Il y a quelques semaines, un journaliste néerlandais est venu faire un reportage dans ma rue. Il disait que tous les magasins ferment leur porte à 18h pour des raisons de sécurité. C’est du bullshit pure souche. À la longue, on a l’impression que nous vivons dans une zone de guerre. C’est mauvais pour les cafés et les restos. Juste après les attentats à Paris, le chiffre d’affaires à Bruxelles a chuté de 85%. Je voulais donner une tournée générale dans un café, mais il n’y avait personne – bizarre. Quand à Bruxelles, il y a un truc qui merde, c’est la faute aux politiques : des gens aux grosses moustaches et aux drôles de chevelures.
Pour le moment, je donne beaucoup d’interviews à l’étranger, et tout le monde me demande quelle est la situation à Molenbeek. Molenbeek est devenue plus célèbre que la Belgique. Et quand je réponds que là aussi, il y a de l’eau qui sort des robinets, oui, on me regarde bizarrement. S’il y a des crapules qui se baladent à Molenbeek, il ne faut pas avoir pitié d’eux, non. Mais 95% de la population est constitué de gens accueillants et propres sur eux-mêmes. On y trouve plein de chouettes coins.
Juste une dernière chose : j’espère que tu sais que Jésus était Bruxellois ? James Ensor en a fait un beau petit tableau : la Joyeuse Entrée du Christ à Bruxelles. On peut l’admirer dans un musée à Los Angeles. Faudrait que t’ailles voir ça.
Salut en de kost,

Arno


Citez-en d’autres…

CONRADT : Histoires des bains et bassins de natation de Liège, du 17ème siècle à nos jours

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L’auteur liégeois Marcel Conradt s’était déjà plongé dans l’histoire de sa ville en retraçant notamment celles de ses théâtres, de son Grand Bazar, de sa place Saint-Lambert, de ses hôtels ou de ses quais de la Meuse et de la Dérivation.

Cité Miroir, espace Rosa Parks (Liège, BE)

Son nouvel ouvrage – publié aux Editions de la Province de Liège – nous plonge cette fois dans les “Histoires des bains et bassins de natation de Liège, du 17e siècle à nos jours”. Logique, quand on sait que Marcel Conradt a notamment été un des premiers “bébés-nageurs” de Liège…”

CONRADT Marcel, Histoire des bains et bassins de natation de Liège, du 17ème siècle à nos jours (Liège, Editions de la Province de Liège, 2016, épuisé)

Lire la suite de l’article de Martial GIOT sur RTBF.BE (12 janvier 2016)…

Petit bassin de la Sauvenière en 1956 (Liège, BE)

Plus de sport…

THONART : Encyclopédies et syndrome de la berceuse (2015)

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Longtemps, je me suis couché de bonne heure […], ma nourrice toute en suaves cotonnades, piquées de sueur laiteuse, me chantant doucement, du fond de sa gorge ronde et rassurante, une berceuse qui m’arrachait à moi-même, à mon être diurne, fébrile des propos tenus ou inquiet face à la fin du jour, brune et définitive. Les rimes de l’apaisante barcarolle, pour me distraire de l’échéance nocturne, tantôt disaient les merveilles du celtique Merlin, du Moïse conquérant ou de la trouble Shéhérazade, tantôt parlaient à mes sens et ramenaient mon âme tourmentée à la joliesse de mes pieds nus sous l’édredon débordant ou à ma nubile joue, sur laquelle elle posait un dernier baiser avant de disparaître.

Projet de bandeau pour l’interface de walloniebruxelles.org, ancêtre de wallonica.org

Nous sommes tous des Marcel inquiets (Proust, pas Cerdan), pourrait-on déduire du penchant naturel de l’Homme à soigner son angoisse existentielle par la création d’artefacts, qu’ils soient artistiques, mythiques ou scientifiques. Ainsi, de toute éternité, l’humain a-t-il posé des jalons devant lui -entre lui (sujet en mal de connaissance) et le monde qui est (objet hors mesure de sa connaissance)-, créé des formes intermédiaires, modèles explicatifs ou vertiges hypnotiques. De la sorte naissent philosophies, sciences et religions, dissertant chacune sur les fins ultimes, chacune tentant d’élucider l’Etre au départ de leur discours. De même, c’est pareillement que naissent les Arts, miroirs lacunaires de l’Etre tant courtisé, substituts formalisés et inspirés de lambeaux d’existences.

Ainsi la Musique. Que Vladimir Jankelevitch évoque le ‘mélisme descendant’ de Debussy, que ce dernier ait puisé chez Maeterlinck la matière de son Pelléas, que le philosophe français explore en quoi la musique nous élève “au dessus de ce qui est” (La musique et l’ineffable, 1961), en vérité, de quoi parlons-nous ici ? D’un temps substitué, d’un noble artefact qui nous ravit, au plein sens du terme, d’une berceuse de plus qui nous hypnotise, nous distrait des trépidations quotidiennes et nous rend une respiration plus régulière. Alors que, comme un anonyme l’a raconté :

Socrate, pourquoi joue​s-tu de la lyre avant de mourir?
Pour jouer de la lyre avant de mourir.

Words, words, words…” Comme le soulignait le Barde, au travers des lèvres d’Hamlet, toute l’activité de l’Homme se réduirait dès lors à des ‘mots’, des formes intermédiaires, médiatrices entre nous et l’objet convoité de notre conna​issance, baptisée dès lors la connaissance médiate (merci à Jacques Dufresne) à la différence de la connaissance immédiate que nous laissent miroiter des Spinoza (“l’idée vraie“) ou des Epicure.

Retour à la berceuse. Lors, on pourrait baptiser Syndrome de la berceuse cette propension de l’homme à créer des formes, élucidantes ou hypnotisantes, entre son entendement (et ses sens) et la réalité dont il veut prendre connaissance. Elucidantes lorsqu’elles le rapprochent d’une connaissance immédiate, lorsque leur structure formelle laisse transparaître l’objet de la connaisssance ; hypnotisantes, lorsqu’elles sont leur propre fin et servent de masques pseudo-euphorisants. Ainsi la berceuse du petit Marcel revêt-elle ces deux qualités ambivalentes (comme beaucoup de nos créations) : l’emmène-t-elle en Orient dans les senteurs des Mille et une nuits, l’enfant hypnotisé s’endormira paisiblement ; le ramène-t-elle au confort de son lit familier et à la tendresse d’un baiser, la nuit du petit n’en sera que meilleure. La morale, c’est le choix entre les deux manières. Whatever works…

Va savoir… L’ensemble de ces formes, de ces artefacts forgés de nos mains seules, constitue les savoirs de l’humanité ; il est des grands et des petits savoirs, des savoirs pratiques, techniques, d’autres spirituels ou artistiques ; il est des savoirs honteux, révoltants, il en est d’autres qui réconcilient, qui apaisent. Il est des savoirs que d’aucuns disent inspirés et que d’autres savent inspirants. Il est des savoirs qui égarent, d’autres qui éclairent. La grandeur de l’Homme, d’où qu’il soit, réside dans les savoirs qu’il a générés et dans la dignité qui s’y révèle. Les collecter avec sérieux, c’est s’adonner à l’amour de l’Homme pour lui-même, travailler à son respect et révéler son immanente universalité.

Enter l’Encyclopédie. De tout temps (à Sumer déjà!), des hommes se sont levés pour collecter, identifier, structurer, indexer et publier ces savoirs, tous les savoirs disponibles. Tous, car la censure est stérile et tout est publiable : c’est une simple question de hiérarchisation, de jugement éditorial. Aujourd’hui, l’héritage en ligne des Diderot et d’Alembert est partagé entre

      • les encyclopédies papier portées en ligne et (souvent) payantes ;
      • les encyclopédies promotionnelles, destinées à augmenter la fréquentation du site concerné et, partant, à justifier les ventes d’espace publicitaire ;
      • les initiatives encyclopédiques gratuites et structurées.

L’Encyclopédie de l’Agora​, créée à l’initiative du philosophe québécois Jacques Dufresne, relève de la troisième classe d’encyclopédies. Recommandée par la Bibliothèque Nationale de France, elle est gratuite, francophone et interactive. Plus de 10 millions de visiteurs la consultent chaque année. Pendant plusieurs années, deux interfaces permettaient à l’internaute de la visiter : l’interface québécoise, pilotée par une équipe basée en Estrie, à deux pas de l’Université de Sherbrooke, et feu l’interface wallonne, alors gérée au départ de Liège, en Wallonie (Belgique).

Aujourd’hui, wallonica.org reprend le flambeau et cherche des ressources, contenus comme moyens financiers. A bon entendeur !

Patrick Thonart


Plus de prises de parole en Wallonie…

THONART : Mère-Courage et les Grands-Vents (2015)

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DOTREMONT Christian, Écriture en forme de roue et roue en forme d’écriture (1979)

Il était une fois une liane au passé dodu,
Elle avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus :
La marâtre araignée, au sécateur, l’avait blessée
Et de ses bourgeons, désormais…
Elle faisait un bonsaï.

C’était pour elle un problème de taille.

La belle enroulée était de formes bien roulée
Et, sur les troncs haut montés, elle n’eut cesse de grimper,
Mais la nuit restait noire et froid le point du jour.
Las, si de l’enfance elle passa aux rudeurs de l’amour,
Ce n’est pas dans des histoires de fesses
Qu’on quitte ses nattes et ses tresses.

Plus tard, elle porta la vie, pleine et riante,
Comme un défi à la Géante,
A la Gorgone et ses serpents,
A la Mère… monstre sans dents.
Et la liane si fluide et ses si roulés drageons,
Partirent s’attacher au plus lointain des troncs.

L’heure était belle, l’heure était calme,
Elle rafraîchissait leur front avec des palmes.
C’était loin, c’était beau, c’était le voyage,
Et du fantôme de la Goule, elle ne voyait plus la rage.
Mais, elle le savait, la rage était sienne
Et des glaces naissantes, elle se voulut la Reine.

Et les Grands-Vents se sont levés,
Et les humeurs furent retournées,
Et le grand tronc fut démoellé,
Et la tribu fut dispersée :
La liane, seule, dure de sa rage,
Se fit appeler la Mère-Courage.

Rampante sans tronc, elle se dressait
Quand l’entrechat la déroulait.
Chacun sa Mère, la Danse en est.
Printemps sans fruit, elle cuisinait
Sous le regard des chats gourmets.
Chacun sa Mère, la Cuisine le sait.

Car Mère-Courage était donneuse,
Mais, sous les ans, poussait fibreuse,
Et, dans son ventre de chaud plaisir,
Séchait le miel, à se tarir.
Or… au creux des lèvres, vivait un bois,
Malgré le vent, malgré le froid.

Espoir de vie, stupeur de Foi,
Quand le Printemps dépend d’un doigt.
Douceur des sens, révolution
Face aux faux monstres du cabanon.
C’est donc l’orgasme, ce sont les spasmes
Qui jettent lumière sur les fantasmes.

C’est l’arrogance du Gai Sourire,
Et c’est la Joie malgré le pire,
La belle sueur au point du jour.

Lunaire Pardon, vrai pour toujours,
Un souffle fondant sur la Flamme,
En quatre mots : “Mère, tu es Femme !”
Enfin…

Un cri puissant qui tue les Vents,
C’est la rivière née du dedans.
C’est la clairière pour la Forêt,
C’est le clairon du vrai Après.

Et la Liane s’est déliée…


Plus de littérature…

«Ugly Belgian Houses», le livre et le site qui compilent les audaces architecturales en Belgique

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© Hannes Coudenys

“Hannes COUDENYS a parcouru la Belgique en quête des maisons les plus laides, qu’il a publiées sur son blog. Son travail vient de paraître en livre. L’architecte anversois Renaat Braem, qui avait été l’élève de Le Corbusier, égratignait la Belgique comme étant « le pays le plus laid du monde ». Un avis sans appel, que nuance l’artiste allemand David Helbich, auteur d’une page Facebook et d’un livre « Belgian Solutions », dans une série de documentaires sur l’architecture belge diffusés en mai sur Canvas  : « La question n’est pas de savoir si Bruxelles a une identité, c’est une mosaïques d’identités »…

Pourtant, force est de constater que le pays est à l’avenant de la capitale, où l’architecture frise parfois le mauvais goût, voire le très mauvais goût ou l’absurde bien de chez nous. Un simple coup d’œil au Tumblr du blogueur flamand Hannes Coudenys suffit à nous en convaincre : en Belgique, le laid tient le haut du pavé. Et comme le Belge a une brique dans le ventre, les rues sont bordées d’édifices vilains ou surprenants.

ISBN 9789089315199

Suivant le même chemin que David Helbich à la recherche de l’improbable dans nos rues, Hannes Coudenys a parcouru notre plat royaume à la recherche des maisons les plus laides ou surréalistes, qu’il a photographiées sans relâche pendant 4 ans pour les publier dans son Tumblr et sur son compte Instagram. Son travail vient d’être repris dans un livre (vendu depuis ce mercredi dans le prestigieux concept store parisien Colette), intitulé Ugly Belgian Houses – Don’t try this at home…”

Lire la suite de l’article d’Anne-Sophie LEURQUIN sur LESOIR.BE (21 mai 2015)


Plus de presse…

L’ombre de l’extrême droite en Wallonie : le CEPIC

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Isoloirs © ULB

Plusieurs organisations néofascistes ou d’ultradroites ont été citées dans le cadre des enquêtes sur les « années de plomb » belges. « RésistanceS », en collaboration avec le mensuel belge « Avancées », vous propose une courte présentation de celles-ci.

Le Centre politique des indépendants et cadres chrétiens (CEPIC)

Le CEPIC se définissait comme un mouvement politique « en réaction à l’organisation et à la structuration de l’aile démocrate-chrétienne » (centre-gauche) du parti social-chrétien. Constitué de différents courants réactionnaires (conservateur, bourgeois et national-libéral) du PSC, il fut actif de 1972 à 1982 avec le soutien dès ses débuts du président Charles-Ferdinand Nothomb. Ses animateurs, qui se retrouvaient au Cercle des Nations, se prenaient pour des « croisés » de la civilisation occidentale. Ils défendaient un programme économique ultralibéral pour s’opposer à l’esprit « collectiviste » de l’époque.

Dirigé par Paul Vanden Boeynants (qui en deviendra son président en 1977), le baron Benoît de Bonvoisin, Jean-Pierre Grafé, José Dessertes, feu Jean Breydel, Cécile Goor, Joseph Michel, Paul Vankerkhoven et bien d’autres, le CEPIC, lors de son premier congrès en 1975, reçut les encouragements de Léo Tindemans (le premier ministre CVP de l’époque).

Cette aile droite du PSC était liée au mensuel d’extrême droite « Nouvel Europe magazine » et au Front de la jeunesse (FJ). En 1982, le président du PSC Gérard Deprez ordonna la dissolution du CEPIC. Une partie de ses membres restèrent au parti catholique, une autre s’en ira au PRL et une troisième mit sur pied une nouvelle formation politique, le Parti libéral chrétien qui devra ensuite changer de nom sous la pression du PRL.

Il faut dire que le nom du CEPIC, associé à l’extrême droite, revenait régulièrement à la une de l’actualité dans le cadre d’investigations sur des dossiers dits « chauds ». Paul Latinus, le chef du groupe secret néonazi WNP, avait même été protégé par certains de ses leaders. Plus tard, le Parti des forces nouvelles (un groupuscule néonazi issu du Front de la jeunesse) accusera le CEPIC de lui avoir piqué son programme politique écrit en 1975, d’avoir confisqué « l’énergie militante des nationalistes » et détourné les « résultats des actions » du FJ d’après l’article « Au royaume pourri de Belgique » publié dans son mensuel « Forces Nouvelles », n° 80, en 1990.

Aujourd’hui, les anciennes gloires du CEPIC se sont éparpillées dans la nature. Certaines ont définitivement abandonné la politique. D’autres poursuivent le combat. Ainsi, à l’heure actuelle on retrouve des “cepistes” dans les directions des principaux partis d’extrême droite. « L’esprit Cepic » se retrouve également dans le journal politico-satirique « Pan ».

Continuer la lecture du dossier de RésistanceS…


Plus de contrat social…

THONART : WWF. L’acronyme qui ment… (2014)

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On nous a menti : WWF n’est pas l’acronyme qu’on croit et Brigitte Bardot est une crypto-contrepéteuse. Ce qui est réellement en voie de disparition, semblerait-t-il, ce sont les vrais WWF (AKA “Words, Words, words Fans” ou, plus précisément, les Sermomani occidentalis Gotlibae : la fraternité des obsédés textuels, ceux-là même qui prisent tant ce blogue).

On avait retrouvé les traces d’un des derniers spécimens européens (aujourd’hui disparu) et des ornithologues avaient pu, à l’époque, le photographier en plein exercice délibératoire :

Desproges en écriture

En voie de disparition ? Oui, car, de nos jours et de nos jeunes, qui se souvient du rire de Dali, pourtant salvateur comme l’était son contrepet surréaliste “Je suis fou du chocolat Lanvin” ? Qui essaie encore de caser, dans les dîners les plus branchés où le gratin dauphinois coule à flots, une merveille combinatoire comme “Rien de tel qu’un petit coup de vin pour faire passer le riz” ? Qui, dans les mêmes circonstances, fait sonner le bouchon d’une bouteille de chez Taurino en évoquant l’écho des Pouilles ? Qui, ensuite, lorsqu’on en vient à parler bouillabaisse, ne manque pas d’évoquer la fragilité de la peau de mérou qui, à feu trop vif, pète ? Qui, enfin, alors que les alcools sont sortis et que la calotte en prend pour son grade, aura la malice d’entonner “Il court, il court, le furet” ?

Qu’on ne me dise pas que parmi nos ados, soucieux de se faire extruder les points noirs dans les salles obscures, gavés qu’ils sont par les sept Marvels immondes, que parmi eux, donc, il y en aurait encore qui comprennent la vraie supériorité de Superman, le seul qui a une bouille incroyable.

Qui, finalement, peut encore se délecter de la première de couverture (un “collector”) d’un magazine féminin de mes jeunes années, proposant aux ménagères besogneuses le subliminal “Tricotez vous-même votre poncho” ?

Peut-être l’honorable Stéphane de Groodt (“Je s’appelle Groot“), preuve vivante -et belge- de la résilience d’une fraternité bien mise à mal par la Télé-Réalité (il est vrai, par ailleurs, que le seul rire de Maïtena Biraben pourrait susciter toutes les résiliences), à ceci près que l’homme pratique plus le calembour que le contrepet.

Le contrepet. Nous y voilà. Comment en arrive-t-on aujourd’hui, au XXIe siècle, à militer en faveur de l’art du contrepet qui, au siècle dernier, était l’apanage quasi exclusif d’anciens boy-scouts aux shorts élimés, de vieux célibataires à la sueur âcre et de quelques académiciens caustiques en mal d’une dernière grivoiserie avant la momification ?

Pas question ici de jouer les nostalgiques du “grundlich” à la française, de faire valoir l’exception culturelle en terre hexagonale ou l’identité linguistique des Français (les Anglo-Saxons ne pratiquent que rarement le contrepet ; on leur connaît un sympathique I’ve got my soul full of hope mais c’est tout ; les Belges, de leur côté, sont entrés dans la légende avec une contrepèterie, surréaliste comme il se doit : Demain, il fera beau et chaud). Ceci, malgré la forte tentation de jouer la gauloiserie comme dernier rempart contre le politiquement correct.

Non, plus simplement, le contrepet n’est que le cinquième remède d’un pentapharmakon (4 + 1) qui permet à l’Honnête Homme de rester vigilant face aux langues de bois (xyloglottes, donc). Pour marcher debout, être heureux et dignes, il nous revient donc :

      1. de ne pas craindre les dieux car ils ne fréquentent pas les mêmes trottoirs que nous ;
      2. de laisser la mort en dehors de nos préoccupations puisque nous ne pouvons la concevoir (idem pour un plombier qui serait disponible le dimanche, préciserait Woody Allen) ;
      3. de ne pas craindre la douleur par anticipation car, une fois réellement ressentie, elle est peu de chose (sauf peut-être la douleur provoquée par le rapprochement violent et inconsidéré entre un orteil et un pied de lit en bois, le premier dimanche matin qui suit la sortie du Beaujolais nouveau) ;
      4. d’abandonner l’idée que le plaisir peut être infini (à part la relecture de l’intégrale des Dingodossiers) ;

Autant pour le Tétrapharmakon d’Epicure (dans la belle édition de Marcel Conche chez PUF, 2003). Il reste à l’Honnête Homme (qui peut être une femme) à…

      • (5) ​traquer l’ouverture pour un vibrant contrepet, un calembour mortifère ou un pataquès qui déride, dans tous les discours ampoulés (merci les Lumières) car c’est d’un contrepet bien placé que le vrai révolutionnaire mettra le fat au sol.

Qui plus est, comme le signalait Audiard : “Les cons, ça ose tout ; c’est même à ça qu’on les reconnaît“. Alors, toutes les vigilances sont bonnes pour désarmer les diseurs de bonne morale, les vendeurs d’avenir et les prédicateurs de bas étage, en bref, les stimulateurs de douleurs rectales ou, plus précisément, les orchidoclastes patentés.

C’est une vigilance qui exige une certaine maîtrise de la langue de Ronsard et de San Antonio, une culture chaque jour nourrie de l’expérience, une agilité combinatoire aiguisée et, surtout, une réelle jubilation à manipuler cet outil, tant galvaudé par les discours dominants, qu’est le Meccano magnifique de nos mots et de leur sens.

C’est aussi un activisme constant qui ne doit fléchir devant aucune autorité : il nous revient de dire crûment quand le roi est nu !

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | source : collection privée | commanditaire : wallonica.org | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : N.A.


D’autres prises de parole en Wallonie…

LIEGE : la Bibliothèque des Chiroux ouvre une artothèque (RTBF, 2014)

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Un nouveau service est offert aux usagers de la Bibliothèque des Chiroux, gérée par la Province de Liège: celui d’une Artothèque. Il propose à n’importe quel affilié à la bibliothèque d’emprunter, gratuitement et pour une durée de 2 mois, une œuvre d’un artiste contemporain.

Il existe déjà des artothèques en France, en Flandre, et une autre, Wolubilis, créée à Bruxelles en 1972. Mais l’Artothèque des Chiroux est une première en Wallonie, avec actuellement près de 80 œuvres d’artistes. Le principe est simple, il permet d’emporter gratuitement une œuvre d’art, aussi facilement que d’emporter un livre, un CD ou un DVD: c’est ce que propose désormais l’Artothèque, intégrée à la Bibliothèque des Chiroux à Liège. “Il suffit d’avoir payé sa cotisation annuelle de 6 euros“, explique Frédéric Pâques, bibliothécaire en charge du projet. “Ensuite, une personne vous montre les œuvres, et vous donne une explication si vous le souhaitez. Vous signez alors un document spécifiant la valeur de l’œuvre, en vous engageant à la rembourser si elle est détériorée ou volée. Et vous repartez avec l’œuvre, tout simplement.

Des artistes de différentes disciplines

Près de 80 œuvres d’artistes, illustrateurs, graveurs, photographes, dessinateurs, sont disponibles au prêt. La condition première d’une acquisition est que l’œuvre soit liée à l’imprimé, car l’Artothèque est installée dans une bibliothèque. Il n’y a donc pour le moment pas de peinture ou sculpture à emprunter. On trouve des artistes largement reconnus tels Jacques Charlier, Jo Delahaut, André Stas, Jean-Pierre Ransonnet, Marcel-Louis Baugniet… Egalement des artistes qui n’ont plus à faire leurs preuves, comme les photographes Pol Pierart, Thomas Chable ou Jean-Paul Brohez. Et enfin, des artistes plus jeunes, que le public des Chiroux pourra vraiment découvrir: Laurent Impeduglia, Benjamin Monti, Aurélie William-Levaux…

Pour Paul-Emile Mottard, député provincial en charge de la Lecture publique, l’objectif est d’amener le public des lecteurs vers les arts plastiques. “Nous souhaitons fidéliser nos lecteurs par ce nouveau service. Ensuite, nous voulons également amener à nous un public de non-lecteurs, intéressés par les arts ou qui ont envie d’essayer. Et enfin, notre préoccupation est aussi d’aider les artistes, en achetant des œuvres mais aussi en les montrant, dans un lieu qui n’est pas aussi spécifique ou pointu qu’une galerie d’art ou un musée, mais un lieu ouvert aux cultures, au même titre que les livres, la musique ou le cinéma.

Une collection en devenir

Un budget annuel de 15 000 euros est prévu pour continuer les acquisitions. La collection se veut représentative des différents courants de la création contemporaine, et est amenée à se développer. Elle a d’abord été constituée à partir d’artistes de la province de Liège, pour ses débuts, mais devrait s’ouvrir à des artistes d’autres horizons dans les mois qui viennent.

Lire l’article d’Alain Delaunois sur RTBF.BE (18 novembre 2014)…

Artothèque de la Bibliothèque des Chiroux, 15 rue des Croisiers, 4000 Liège. Ouvert le vendredi de 13 à 18h et le samedi de 9 à 15h. Un catalogue des oeuvres est mis en ligne avec des mises à jour régulières.


Plus d’oeuvres disponibles dans l’Artothèque…

Hommage à Christine…

Temps de lecture : 4 minutes >

Ce toit tranquille où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée !
O récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !

J’ai pondu ça pour toi, ce matin, au petit-déjeuner. Je me suis arrêté quand, ô miracle, j’ai réalisé qu’on allait réussir à te coincer quelques quarts d’heure avec nous, ici au Trurlgrrlgtr. Je suppose que Valérie a dû te ligoter assez fermement pour que ne repartes pas à une manif, dans un jardin ou une bibliothèque et je remarque qu’on a décroché les lustres : tu ne pourras donc pas t’y suspendre dans la posture du yogi en fleur d’hiver, la numéro 666, si bien nommée…

Pour fêter ça, un haiku :

Christine est assise
Instant fragile et pourtant
Rhapsodie !

Je n’ai pas trouvé d’autre mot que rhapsodie pour t’honorer : un foisonnement généreux de variations, sur un thème central néanmoins, et dans le respect de l’harmonie. J’aime ça chez toi. Alors, brièvement, quelques variations rhapsodiques avec un sms (un authentique sms de toi !) en ouverture de jeu. Je cite :

Ce dimanche manif de la Citadelle à Vottem, départ 14h (enfin sans doute un peu après) à l’enclos des fusillés / ce lundi au Beau-Mur (19h30), séminaire sur​ Démocratie et internet / ce mercredi à l’art. 23 (18h30), audit citoyen de la dette à Liège et au Beau-Mur formation sur les organisations internationales…

C’est une plaisanterie mais c’est aussi un hommage : non seulement tu es descendue du perchoir de la salle Kurth (ou Gothot) pour marcher avec nous mais tu as marché devant nous, montrant l’exemple aux traînards politiques que nous sommes tous.

Marcher à côté de toi, c’est aussi traduire, et le plaisir n’est jamais très loin (in memoriam mon petit séminaire jubilatoire, si élégamment intitulé “comment assumer le fait effroyable que l’on ne naît pas traducteur professionnel ? ou pathologie de la capilligénose chez le traducteur mâle“).

Pour le plaisir des mots, donc, des extraits de souffrance et de plaisir partagés :

Le Sagrantino
Les Canaiolo, Cesanese et autres Ciliegiolo sont des cépages cultivés en grandes quantités dans des régions aussi étendues que tout le centre-ouest de l’Italie ; ce serait manquer de respect à leur égard que de déclarer le Sagrantino « deuxième cépage le plus prestigieux de la région » : les volumes produits dans cette variété restent trop limités. Jusqu’il y a peu, on ne trouvait du Sagrantino qu’aux abords de villages comme Montefalco et Bevagna ou à différents endroits dans les environs de Perugia, en Ombrie. A l’heure où nous écrivons, la surface totale plantée de Sagrantino n’excède pas les 120 hectares ; ce chiffre devrait néanmoins augmenter fortement dans l’avenir.

L’économique reste une vraie douleur rectale, mais il a aussi fait notre quotidien de gens du passage :

Huit milliards pour huit minutes
Liège pousse un soupir de soulagement. Le projet relatif à la construction d’une ligne à grande vitesse entre la “Cité ardente” et la frontière allemande verra bel et bien le jour, projet comprenant l’aménagement d’un tunnel de 12 milliards de francs à Soumagne. Que les Allemands ne soient pas disposés à investir dans une ligne en site propre entre la frontière et la ville de Cologne, c’est un fait et qui oserait encore revenir à la charge. Liège l’a voulu, Liège l’a eu, “son” TGV, gare comprise. Que la construction d’une ligne en site propre entre Liège et la frontière allemande coûte huit milliards de plus que la modernisation de la ligne existante alors qu’elle représente un gain de temps de huit minutes, c’est un fait et qui oserait encore s’indigner de la facture?

Pire encore que la macro-économie, la science à l’européenne :

Le rapport expose la méthodologie commune aux deux équipes, et présente ensuite les conclusions respectives pour chaque région. Cette démarche a été ado​ptée dans un souci de clarté. La situation propre à chaque région est déjà très complexe en soi, et elle exige que les détails soient examinés à des degrés différents en fonction des effets et des influences découverts. Les exigences inhérentes à une évaluation de ce type, examinant l’aide humanitaire sur un spectre de plusieurs années et en de nombreux endroits, sont très différentes de celles qui sont propres à un projet d’évaluation conventionnelle. Par conséquent, la méthodologie et son raisonnement sous-jacent sont expliqués de manière détaillée. Il était en fait nécessaire d’adopter une méthodologie qui soit modulable en fonction des contraintes et des occasions, ce que reflète sa présentation.

Rien compris ! Revenons à ce qui fait sens, avec la Grande Montagne :

Quand je danse, je danse ; quand je dors, je dors ; et même quand je me promène solitairement dans un beau verger, si mes pensées se sont occupées de choses étrangères à la promenade pendant quelque partie du temps, une autre partie du temps je les ramène à la promenade, au verger, ​à la douceur de cette solitude et à moi.
La Nature a maternellement observé ce principe, à savoir que les actions qu’elle nous a enjointes pour notre besoin nous fussent très agréables également, et elle nous y convie non seulement par la raison, mais aussi par le désir…

Montaigne traduit en français moderne… au départ du japonais ! Il est de ces passages quelquefois surprenants.

Autre traduction du japonais qui fait sens, pour le plaisir encore, un des haikus les plus érotiques que j’aie rencontrés. Il est composé par une japonaise. Je te le livre

t’attendant
un, deux, trois pétales
sur le siège

Un des plus tragiques maintenant, écrit par un français rescapé des tranchées :

En pleine figure,
La balle mortelle.
On a dit : au coeur – à sa mère.

Mais, hauts les cœurs : le tragique, l’érotique, l’économique, le formel, le goûtu, le poétique, Christine est sur tous les fronts, du clavier à la rue ! J’en oublierais presque qu’elle nous a formés et, dans mon cas, à trois choses.

Pour la première, Montaigne encore :

Composer notre manière de vivre est notre devoir, et non pas composer des livres, et gagner non des batailles et des provinces, mais l’ordre et la tranquillité pour notre conduite. Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre, c’est de vivre à propos.

Pour la deuxième, Shakespeare pour qui le roi est nu :

Words, words, words…

OK, William, mais autant pour le jeu ; pensez à cette question qui nous taraude tous, nous linguistes : l’occis mort est-il un pléonasme ?

Même dans le silence des idées, j’entends le chant des signes.

Enfin, pour la troisième, les mots d’une amie burkinabée dont je n’ai plus de nouvelles depuis deux semaines : “ton amitié est gravée au revers de mon poumon“. Que dire de plus, Christine, que ton amitié est gravée au revers de mon poumon. Merci à toi

[prononcé à l’ULG, à l’occasion du départ à la retraite professionnelle de Christine PAGNOULLE]

THONART : Rhapsodie à la courtisane (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

 

Ce doigt tranquille, où perchent des mots d’ombre,
Entre tes reins palpite, entre tes bombes,
Minuit le juste y compose de jeux
Ma mère, ta mère, toujours recommencées !
O récompense après une pansée
Qu’un long regard sur le calme du pieu !

La vulgarité naît-elle du sacrilège ou de la médiocrité de pensée ? Dira-t-on de ce pastiche qu’il est vulgaire parce qu’il singe un des poèmes les plus respectables de la littérature française (pastiche iconoclaste), parce que sa thématique est ouvertement sexuelle (pastiche indécent), parce qu’il cumule acte sexuel et irrespect de la mère (pastiche immoral), parce qu’il sent l’audace un peu désuète d’après-guerre (pastiche cinquante-et-un) ou parce que, après l’avoir lu, l’esprit n’a pas progressé d’un iota, qu’il n’y a pas ‘avant’ et ‘après’ sa lecture (médiocrité) ?

Hola !“, pourrait s’écrier Donatien Alphonse François, “soit, le texte est maladroit car quel vit peut se dire tranquille, qui n’a pas encore renoncé à l’exercice du plaisir d’homme ?” Mais quels fantômes (nos ‘mots d’ombre’) n’écrasons-nous pas avec ce doigt dressé, alors que nous fouillons, palpitants, les reins de la courtisane aimée ? Au zénith de la Lune, quand la tresse est défaite, quels jeux sombres et troubles ne mélangent-ils pas le souvenir de consolations gagnées au sein laiteux de nos mères avec l’apaisement réel, posé sur notre torse par les gestes de la belle, gestes répétés en abîme depuis la nuit des nuits. Quelle audace aussi, accessible aux seuls amants qui vivent la confiance, d’évoquer une ‘pansée’ là où d’autres évoqueraient l’acte d’amour : pardi, le plus raffiné des rois du Siam souffle comme une bête quand il prend sa femelle (titre qu’elle seule peut s’accorder). Et il n’a pas aimé dans la chair celui qui ne connaît cette certitude d’être le ‘Roi du monde’, alors qu’après l’amour, la repue pose la tête au creux de son épaule pour regarder la Lune au-dehors. Enfin, du pieu au doigt, la boucle est bouclée…

Je t’encule, salope magnifique,
Et je puise à la fleur de ton cul
Le printemps de ma trique.

Alors, pas de disgrâce non plus pour ces trois vers naïfs où le seul plaisir des gros mots crée la poésie autrement réservée aux seuls amants d’expérience ? Si, au pilori ! Jouer avec les mots, même avec métrique, qu’il s’agisse de contrepéter​ ou de dire avec verdeur que le Roi est nu, tout cela n’est rien si l’on ne génère un moment de passage pour l’esprit (avant et après). Pour rendre le propos plus évident, suit un des haïkus érotiques les plus délicieux qui soient, écrit par une japonaise, dame  Akiko Sakaguchi :​

t’attendant
un, deux, trois pétales
sur le siège

Bon anniversaire, Divin Marquis !

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction | source : collection privée | commanditaire : wallonica.org | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Marquis de Henri Xhonneux et Roland Topor (1989) © Roland Topor.


Plus de libertés en Wallonie…

A quoi bon, une encyclopédie ?

Temps de lecture : 2 minutes >

Entreprendre aujourd’hui l’édition d’une encyclopédie (fut-ce sous la forme d’un simple blogue encyclopédique), c’est proposer des fils d’Ariane, que l’on désire éclairés, dans le labyrinthe de la Toile : tout ou presque est là, qui peut faire viatique à l’homme qui marche éveillé. Dans la droite ligne du travail de partage des savoirs entrepris dès 1998 par le philosophe Jacques Dufresne (QC) et son Encyclopédie de l’Agora (avec laquelle nous avons collaboré pendant plus de dix ans), wallonica.org se veut tant éditeur de connaissances liées à son terroir, la Wallonie (BE), que marchepied vers d’autres gisements de savoirs en ligne : vous avez le droit de savoir-s !

Si le purin coule vers le bas, pourquoi vivons-nous dans la vallée ?

C’est Terry Gilliam (L’Obs, n°2661) qui met le doigt sur une des préoccupations de wallonica.org, à savoir une inquiétude de la pensée libre devant la prolifération des diktats à l’emporte-pièce qui font le quotidien du web 2.0 (et leur écho dont résonnent sans fin les réseaux sociaux). Car, enfin, le Café du Commerce n’est pas le Jardin d’Epicure : d’abord émerveillés par le potentiel du web, aurions-nous trop vite déterré les espoirs pacifistes de Paul Otlet et d’Henri La Fontaine (plus de savoirs partagés, moins de guerres) ? Aurions-nous espéré en vain l’émergence du CRAC, le Citoyen Responsable, Actif et Critique (s’est ajouté par la suite le S de Solidaire) ? Godot ?

Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter.

Beckett, encore. Alors, on chante ? Oui, pour mieux servir. Puisque l’Übermensch n’est pas pour demain et que la complexité fait loi, wallonica.org veut faire oeuvre utile en contribuant à cet archipel naissant sur la Toile, ces îlots de savoirs que des hommes et des femmes éditent en ligne. Le mot ‘éditer’ vaut ici son pesant de pèket : il s’agira de fédérer l’existant (relier contenus internes et externes), de faciliter l’accès aux savoirs (vulgariser les contenus experts), d’organiser la découverte (structurer la navigation), d’épauler les CRACS (permettre une lecture critique) et de maîtriser la publication (les options éditoriales sont le fruit d’un jugement personnel et l’internaute ne peut contribuer sans le contrôle d’un modérateur). Alors, on danse ? Oui, car n’est pas Diderot qui veut. Mais chacun peut faire sien le mot de Montaigne (Essais, III, 13) :

Notre bel et grand chef-d’oeuvre, c’est vivre à propos.

Dont acte…

wallonica.org est une encyclopédie citoyenne, indépendante, dédiée aux contenus francophones, wallons et assimilés. Initialement publiée sur walloniebruxelles.org, elle est désormais accessible à l’adresse wallonica.org. A terme, wallonica.org a pour vocation de devenir une société encyclopédique, active tant dans le domaine de l’éducation permanente, du marketing culturel d’intérêt public que de la promotion des savoirs wallons. A bon entendeur…

wallonica.org est un portail encyclopédique francophone, disponible pour tous les internautes, librement, gratuitement, sans publicité ni capture d’identité. Ses contenus sont édités par une équipe de contributeurs cooptés qui préfère “l’humanisme du lien” à l’exhaustivité : certains articles sont des compilations critiques de savoirs présents ailleurs sur la Toile, vers lesquels ils renvoient. C’était donc ça…“, s’exclame l’internaute ravi.


Au fil du blog…

THONART : La lumière est si joyeuse (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

La lumière est si joyeuse,
Là, ce matin,
Qu’elle viendrait lever
Ce petit voile amer
Devant ton sourire.

Je le sais.

Et, ici, mon cœur,
Dans l’attente amère de toi,
S’il embrasse d’autres cœurs,
Comme autant de pâles possibles,

Mon cœur reste une écluse fermée,
Toutes poutrelles levées :
Peu en fuit,
Tout reste à baigner
Cette pierre douce en son sein,
Une pierre que tu as posée
et
Qui reste bouillante de ton soleil…

Patrick THONART


Plus du même…

THONART : Il était plusieurs fois… (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

Il était plusieurs fois
Un Ours aux mille doigts
Qui de sa Belle
Caressait le Printemps

Il était une dernière fois
Une Renarde aux abois
Partagée entre son cœur et…
Ce qu’il y avait dedans

La Belle n’était pas peureuse
Et savait tracer son chemin
La Belle avait été heureuse
Mais ne savait ouvrir demain

Les deux s’étaient aimés
Et ils s’aimaient encore
Mais une page a tourné
Et a montré la Mort

C’était un jour froid sans oiseaux
Enlacés au bord de la clairière
Les amants s’étonnaient du mystère
D’une paix qui sentait le caveau

Lors d’une sente surgit la blême Araignée
Dont les fils entrenoués et bien ternes
Traînaient un cube blanc, aux arêtes aiguisées
Qu’elle posa sur une souche, devant la caverne

Qui pouvait croire qu’un si petit animal
Dans le cœur de la Rousse sèmerait le Mal
Et qu’à l’Être aimé tous les mots adressés
D’un carré blanc seraient désormais frappés

L’Ours enrageait de voir que chez sa Belle
Chaque attention se traduisait en censure
Et que les paroles qu’il attendait d’Elle
De sa tristesse augmentait la présure

Pourtant, les yeux de Dame Goupil savaient raconter
Le souvenir vif de leurs peaux ajustées
Et la confiance et la tendresse cent fois répétées
Et les doigts sur la table furtivement noués

Mais chaque mouvement de ses lèvres ourlées
Du carré blanc maudit était durement barré
S’en était à se demander
Si le Héron, son mari, s’en voyait aussi gratifié

Peau blanche et cheveux rouge, la Renarde peinait,
Se débattait, râlait et, dans tous les sens, se raidissait
Venant ici, partant par là, elle disait blanc, elle disait noir
Et la trame de tous ses contraires disait bien son désespoir

Penaud de l’abandon, l’Ours griffait les murs de sa caverne
Triste Printemps où les branches d’arbre sont toutes en berne :
Il ne savait si elle courait pour s’éloigner de leur amour
Ou si, un jour, de la clairière, elle aurait bouclé le tour…

conte préparé par Patrick Thonart


Du même auteur…

THONART : Les armoires alignées (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >
(c) Christian DOTREMONT : L’ours du sens (1974)

 

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fermées.
Pourtant, à travers chacune,
filtre un rayon de Lune :
les serrures verrouillées
finissent toutes par rouiller.

Dans la colle d’une queue d’aronde,
poissent les crins d’une bête immonde.
Derrière le bahut,
dépasse la corde d’un pendu.
Dans ce tiroir sans fond,
grouillent des araignées sans nom.
Au lieu de l’huile dans la charnière,
coule le fiel d’une goule amère.
Sur le fauteuil défoncé,
ce n’est pas l’ombre de ta psyché
mais le reflet d’une âme damnée.
Et le bruissement dans les placards,
ce sont tes morts et les cafards.

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fermées.
Pourtant, à travers chacune,
filtre un rayon de Lune :
les serrures verrouillées
finissent toutes par rouiller.

Il n’y a pas de Jugement dernier,
il n’y a jamais assez de clefs.
On se croirait dans du Kafka
sauf que ton Procès… c’est toi.
Alors, à plein doigts,
touche ton émoi
(juste sous le cœur),
et vis enfin ta vraie peur :
plonge les mains dans le coffre noir
et sors la vieille boîte à musique,
celle que tu prenais
pour un Géant d’Afrique.

Les armoires alignées,
dans la pièce occultée,
sont toutes si bien fermées.
Pourtant, à travers chacune,
filtre un rayon de Lune :
les serrures verrouillées
finissent toutes par rouiller…

Patrick Thonart


Plus du même…

THONART : La larme de l’Ours l’avait trahi (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

La larme de l’ours l’avait trahi.

Débordée de son œil rougi,
Elle allumait sa joue

De la lueur du feu nourri.

Dans sa caverne, dans son abri,
L’Ours brûlait le sapin inutile,

Et le vent avait compris
Tout le chagrin de son ami.
“Une escarbille, sans doute”,
Disait Martin un peu contrit.

Et le vent avait conté,
La belle Renarde rencontrée,
Tous les fastes et les flambeaux
A chaque fenêtre du château,

Alors que Martin marchait,
Martin marchait dans sa forêt.

Patrick Thonart

  • L’illustration est © Pierre ALECHINSKY, Linolog I (1972)

D’autres du même…

THONART : A la kermesse des notables (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

A la kermesse des notables,
Tout le monde se met à table.
Maître Héron au cou trop fin
Donne du jabot avec entrain.

Mais à la kermesse des nantis,
Plus personne ne sourit
Et les regards sans vie
Se reflètent dans l’argenterie.

Maîtresse Renarde au cœur fourbu
Sent dans sa chair la vie perdue
De Cendrillon qui pleure son dû
Au milieu des polkas de ventrus.

Dans une clairière au ciel trop bas,
L’ours endeuillé fait les cent pas.
Dans une main du crêpe noir,
Dans l’autre, une fleur… Espoir

Patrick Thonart

  • L’illustration est d’Henri EVENEPOEL, La promenade du dimanche au Bois de Boulogne (1899) © La Boverie

D’autres du même…

THONART : Un jour viendra, couleur d’orange (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Un jour viendra, couleur d’orange…

Appuyé contre son chêne
L’ours éteint sa pipe
Et rentre changer de slip
Lourde est son haleine
Et lourd est son pas

Si un jour ma Reine…
Non, il ne doit pas…

Chaque jour dans sa peine
L’ours à la rivière
Se rince les arrières
Souillés par la frousse
Qu’elle n’arrive pas

Si un jour ma Belle…
Non, il ne doit pas…

C’est mât de misaine
Quand le matin chante
Que l’ours joyeux bande
Et offre son ventre
Où elle peut s’asseoir

Si un jour ma Tendre…
Non, il ne doit pas…

Coudes sur le rocher
L’ours vise la trouée
Où l’herbe est couchée
Là elle est passée
Et elle l’a aimé

Si un jour ma Femelle…
Non, il ne doit pas…

Sombre dans la caverne
L’ours racle son humeur
Une plaie au cœur
Cette airelle crevée
Qui ne se ferme pas

Si un jour mon Aimée…
Non, il ne doit pas…

Si,

Demain, dès l’aube
L’ours va préparer
Chaque matin aux paupières sablées
Chaque moment où elle peut arriver
Chaque instant où il l’entendra
Chaque chant d’oiseau et sa joie
Chaque sourire qu’elle lui donnera
Et tous les demains qu’il lui bâtira
De ses bras

Et l’ours fixe la clairière
En espoir d’amour
Qu’Elle œuvre toujours
A son Joyeux Retour

Chaque jour…

Patrick Thonart


D’autres du même…

THONART : L’Ours titube dans la Forêt (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

L’Ours titube dans la Forêt
Il a les yeux brûlés
Il marche dos à la clairière
Où il l’a vue passer

Poil momifié et ventre sec
Elle s’agitait ivre et malade
De ces baies noires
Trop fermentées

Le cœur à sang il a hurlé
Gueule au zénith il a pleuré
Et chaque larme était une loupe
Que le Soleil a transpercée

Patrick Thonart


D’autres du même…

THONART : L’Ours lève la truffe (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

L’ours lève la truffe
Au vent du matin inquiet

Il sort la langue
Aux odeurs du printemps trompeur

L’hiver a fondu comme sa douleur passée
Et la rivière gonfle des neiges liquides
Comme son corps aujourd’hui palpite
Des sangs nouveaux et de l’appel d’amour

Ce matin la renarde a frôlé
De sa gorge dardée d’aubépine
Son dru pelage tout encore embrumé
Pour que son cœur retrouve racine

Pourtant…

Pourtant l’ours hume le vide
Dans sa caverne, les murs sont éraflés
De ses pattes trop lourdes – lourdes
De son ventre qu’il ne peut laisser chanter

Pourtant l’ours craint le vide
Dans sa clairière, les pierres sont dénudées
Du soleil gris qui les a raclées
Du regard vide des isolés

Pourtant l’ours combat le vide
Dans sa forêt, les troncs l’attendent
Et leurs fûts droits montrent le sens
De la vie droite vers quoi ils tendent

Mais…

Le printemps a menti :
Il n’était pas tout l’été

Alors, mon Amour,
Je marque le pas
Et j’attends le tien
Pour m’apaiser dans ton sein

Patrick Thonart

  • L’illustration est Qui avance de printemps en tout temps vif © Christian Dotremont – Karel Appel (1982)

D’autres du même…

THONART : L’œil de l’Homme est dans le lac (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >
ALECHINSKY Pierre, La mer noire (1988-90) © Musée Granet

L’œil de l’Homme est dans le lac,
ses larmes sont lentes.
La Lune est sur le lac,
elle dit son attente.

Patrick Thonart


Plus de littérature…

THONART : Le matin du Bon Jour (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Le matin du Bon Jour
Il n’y aura plus rien
Rien que l’ours au soleil
Sur le dos
Et elle
En tendre charrue
Qui creuse le creux de son flanc

Il y aura le pain chaud des peaux cuites
La cannelle au nez
et
Le miel au ventre

Le matin du Bon Jour
Seuls les oiseaux
Raconteront le monde

Le matin du Bon Jour
C’est le lent demain du Soir
Où elle posera sa valise
En souriant

Patrick Thonart

  • L’illustration est © Pierre Alechinsky, Soleil (1950)

D’autres du même…

THONART : L’ours, la renarde et le héron (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

Ayant boité tout l’été,
L’Ours se trouva fort dépourvu,
Quand la Renarde lui apparut.

Rousse de poil et
Rose de muqueuse,
Princesse Goupil n’était pas gueuse.

Belle et menue,
Elle jouait encore au cerceau,
Qu’un grand oiseau la sortit du ruisseau.

Évadée de son terrier,
La belle garçonne n’était pas roulure,
Elle savait goûter une fière allure.

Messire Héron n’en manquait guère.
Lors, quand d’un castel il hérita,
La belle poilue lui emboîta le pas.

A poils et à plumes,
Longtemps, les nuits furent de fête,
Jusqu’à ce que le chœur des grenouilles lui tournèrent la tête.

Sa tête à lui, mais à elle pas,
Dame Renart n’a que faire des batraciens,
Qui, face au grand Butor, s’agitent comme des chiens.

Alors que lui, dans sa superbe,
Piétant noblement dans l’herbe,
Se délectait de chaque croâ, comme il se doit.

On connaît l’échine des renardes,
Qui, devant l’adversité,
Le museau savent baisser, sans s’abaisser.

Mais ces femelles ont le cœur rude
(elles, toutes, si faussement prudes)
Et le malheur elles savent tourner, en un heur qui leur sied.

Lors donc, la Belle vécut,
De Longues-Pattes gérant les écus,
Par là gagnant sa paix, au beau milieu des échassiers.

Face à ce clinquant contrat,
Où la rousse ne perdait pas,
Cupidon, déçu, ne sut que faire et délaissa la belle fermière.

Le héron même le sait,
Il n’est pas de chantante rivière,
Qui d’eau n’ait besoin et qui, sèche, ne livre plus rien.

Il en va ainsi de l’amour qui,
Faute d’être bien arrosé,
Quand s’éteint la fête des corps, s’en vient à sentir la mort.

Or, un jour que la Renarde se promenait,
Aux côtés d’une grenouille qui sans tête coassait,
Elle avisa un Ours bourru qui de vrai amour ne voulait plus.

Le plantigrade était en rade mais,
Perclus de peines de cœur,
Martin n’en voulait pas moins chanter les fleurs.

La roussette en l’entendant,
Ne put qu’avec lui partager le chant,
Et de l’amour sentant l’odeur, elle sentit s’ouvrir le cœur.

Hola, hola, fit la Fée bleue,
Tout ceci n’est qu’histoire de queues,
Et de l’amour où la vie danse, ce n’est ici que l’apparence.

La belle Renarde a son caractère,
Et d’une magique marraine n’a que faire,
Ce qu’elle veut vraiment savoir, c’est là où la mène son devoir.

Pas son devoir de religieuse,
Pas les doctrines de la marieuse,
Mais son devoir envers la vie, celui aussi qu’elle souhaite pour sa fille.

Alors, elle dit à l’Ours d’attendre,
Avec force caresses et baisers tendres :
Un jour, bientôt, elle saura et, peut-être, elle le voudra.

Et voilà Noël pour le Martin,,
Mi-joyeux, mi-chagrin,
Qui ne sait rien de ce que sera demain.

Et voilà Noël pour les châtelains,
Mi-ennuyeux, mi-assassin,
Où la Renarde ne sent plus rien.

La fête est triste, sans âtre au cœur,
Mais l’Ours vivra, il chantera,
Et la belle, rose de rosée, ne pourra que l’entendre l’aimer.

fable préparée par Patrick Thonart

Plus du même auteur…

THONART : Tu as jeté sur moi (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Tu as jeté sur moi
Le voile de la Tristesse.
Mais quand, face au soleil,
Tu souris de nous deux,
Entre les mailles disjointes,
Je vois briller tes yeux.

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Maya Deren par © Alexander Hackenschmied.


Plus de littérature…

THONART : Pleurs (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >
DOTREMONT, Christian : Question insidiaire (1978)

De tout ce qui me sera demain
Je ne demande qu’un sein
A ma joue formé
Et de mes larmes baigné

Et je… l’enfant… y pleurerai
Et la femme qui le porte
Je pourrai enfin
Comme un homme
L’aimer


Plus de littérature…

THONART : Bohémien sans répit (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >
DOTREMONT Christian (1922-1979)

Bohémien sans répit,
ma paix ne trouve
qu’entre les cuisses
de la Bourgeoise
qui me subjugue…
de sauvagerie,
dans son lit-cage


Plus de littérature…

THONART : L’ours et la renarde se regardaient (2014)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

L’Ours et la Renarde se regardaient
Et de leurs yeux se caressaient
Une Lune farouche les avait mariés
Et de Tous les Débuts, une graine avait germé

Patrick THONART


Plus du même…

THONART : La belle histoire de Petite-Fille et du Cœur de Hérisson (2011)

Temps de lecture : 9 minutes >

Il était une fois une petite fille qui était petite et qui était une fille.

Comme une petite fille, elle avait de belles boucles qui coulaient de chaque côté de son visage et des petits trous de nez tout ronds. Comme une fille petite, elle était toute menue et n’avait pas des boutons comme les garçons (beurk !).

Comme une fille, elle était courageuse le jour et un peu peureuse la nuit. Comme une petite, elle voulait faire la Grande sans vraiment savoir comment.

Elle avait l’air d’une petite fille, l’odeur d’une petite fille et si on l’avait mangée, elle aurait eu le goût d’une petite fille.

Aussi l’appela-t-on… “Petite-Fille”.

Or, il se fit que Petite-Fille et les siens emménagèrent dans une chaumière avec une belle cheminée, au coin d’un bois si beau et mystérieux que, le jour, Petite-Fille voulait y jouer, et si profond que, la nuit, elle avait peur d’y entrer.

Voilà qu’un jour, qui devenait un soir, Petite-Fille jouait au drone américain qui bombardait l’Irak. Elle ramassait des pommes de pin et les jetait en l’air… en avançant vers le Grand Sentier, à l’orée du bois.

Ce chemin encombré, Petite-Fille l’avait toujours vécu comme une invitation : peut-être menait-il à une vraie clairière au creux du bois…

Était-ce exprès que le jeu attirait Petite-Fille vers le Sentier ou était-ce Petite-Fille qui profitait du jeu pour explorer le Mystère ?

Elle avait déjà dépassé les deux bosquets de noisetiers qui en gardaient l’entrée. Elle se dirigeait maintenant vers le Vieil Arbre, au pied duquel un drôle de tas de feuilles et de branches débordait sur le chemin.

A mesure qu’elle avançait, ce dernier se faisait sentier plus sombre, les taillis formant une arche trop étroite, même pour Petite-Fille, qui se prit les cheveux dans les branches fines d’un chêne torturé.

Baissant la tête pour se protéger, elle vit son propre visage dans une flaque d’eau, à ses pieds. Dans le reflet, sa tête était couronnée de cheveux captifs dans les doigts de l’arbre. Elle se fit peur elle-même ; elle s’assit et pleura en frissonnant.

Ce faisant, Petite-Fille n’avait pas réalisé qu’elle était en fait assise sur le tas de branches, au pied du Vieil Arbre. A travers ses larmes, elle ne comprit pas immédiatement d’où venait une berceuse rauque que l’arbre lui soufflait dans les oreilles.

Accablée d’angoisse, elle ne sentit pas tout de suite ses petits bras et ses petites jambes s’engourdir peu à peu et, bientôt, elle dormit profondément, affalée sur le tas de feuilles et de branches entremêlées.

Une à une, les dernières pommes de pin lui tombèrent des mains…

Une fois éteints les pleurs de Petite-Fille, le calme fut vite de retour dans la Forêt et chacun reprit les tâches qui lui revenaient : le Vent caressait les branches les plus hautes, celles qui voyaient la lumière, et les Insectes continuaient dans l’ombre à ronger une à une les feuilles tombées au pied des Grands Troncs.

Sous le corps inerte de Petite-Fille, qui ronflait doucement, les feuilles se mirent à bouger en craquant, laissant le passage à un gros hérisson… aux yeux rouges.

L’animal n’était pas habile mais il n’hésita pas à grimper de ses fines griffes sur la poitrine d’oiseau de l’enfant, pour atteindre le bord de la bouche entr’ouverte.

Il renifla l’haleine de Petite Fille en éclairant l’intérieur de la bouche avec ses yeux luisants et, d’un seul coup, plongea dans la gorge offerte, s’enfonçant jusqu’au cœur de la malheureuse endormie.

Arrivé près du petit organe palpitant, il le dévora et pris sa place, paf, sans autre forme de procès !

Du coup, l’enfant se réveilla avec une drôle de boule dans la poitrine, pour se trouver nez à nez avec… un castor.

L’animal lui demanda si tout allait bien. Petite-Fille sursauta : parler avec un castor, c’est déjà pas courant, mais répondre à une question de castor, ça ne devait pas être très normal non plus.

Toujours affairé, le castor s’était, quant à lui, gentiment interrompu lorsqu’il avait visé une petite fille dormant sur un mauvais tas de bois (et le castor s’y connaissait) avec une drôle de lumière à l’endroit du cœur.

Pratique, il s’inquiétait de savoir si la jeune fille était toujours comme ça -auquel cas il passerait son chemin et reprendrait son travail- ou si la luminosité étrange qui baignait la poitrine de Petite-Fille n’était pas naturelle -auquel cas il passerait également son chemin, incompétent qu’il était en matière de sorcellerie. Simplement, le castor était d’un naturel poli.

Mais Petite-Fille ne l’entendait pas comme ça. “Les castors, avait expliqué sa Mère, sont des modèles pour nous : ils construisent des barrages, vivent cachés dans des galeries et savent toujours s’échapper par des tunnels secrets lorsqu’ils sont menacés”.

L’enfant, qui n’était pas née de la dernière pluie, rassura le castor et lui proposa ses services. Accepterait-il de lui montrer quelques-uns de ses secrets pour se protéger, auquel cas Petite-Fille deviendrait son esclave pendant un an et un jour ?

Pendant que le castor, surpris, réfléchissait à la proposition, Petite-Fille dû s’assoir à nouveau, tant sa poitrine lui brûlait, comme si des picots perçaient le revers de ses poumons. Était-elle malade ? Allait-elle mourir ? Le castor accepta vite l’arrangement, voyant l’effet que l’idée de le servir avait sur la petite.

Aussi, pendant un an et un jour, Petite-Fille aida-t-elle le castor, étudiant en cachette ses tunnels, ses barrages, ses remparts et ses barrières. Elle s’accoutuma aussi à l’animal, lui découvrant une bonhomie qu’elle ne lui supposait pas. Pourquoi tant de précautions si le castor n’avait pas d’ennemi ? A la question, le castor répondait invariablement, sa pipe en bouche : “je travaille tous les jours depuis que je travaille tous les jours. C’est comme ça. On me respecte ; ma vie n’est pas dangereuse. Seule l’eau peut pourrir mes réserves et mes barrages la retiennent suffisamment. Seul le gel peut bloquer mes accès, aussi ma maison en compte-t-elle beaucoup, mais pas trop. Pour le reste, la noyade ne me fait pas peur, je sais nager.”

Au terme de leur accord, le castor libéra Petite-Fille et elle reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui, elle avait beaucoup appris et la douleur dans sa poitrine avait diminué chaque jour jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La route était longue depuis la rivière et Petite-Fille fut vite lasse de marcher à la nuit tombée, sans voir où elle mettait les pieds. Alors elle s’appuya contre un arbre et se mit à pleurer de fatigue et d’angoisse.

On le sait, le Vieil Arbre a des frères répandus dans toute la Forêt et c’est un de ceux-ci qui chanta à nouveau la berceuse rauque. Bientôt, l’enfant fut profondément endormie…

Elle dormit tant et fort qu’elle ne sentit pas des serres s’agripper à sa cuisse et un bec de rapace se frotter contre sa veste de peau, à hauteur de son foie. Était-elle en danger ?

L’oiseau qui avait abordé l’enfant était un des Rois de la Nuit. Mais il n’était pas bien méchant et, content qu’il était d’une visite impromptue sur son territoire, il lâcha un petit pet sonore qui eut tôt fait de réveiller Petite-Fille : prout.

Petite-Fille se frotta les yeux puis réalisa qu’elle n’était pas seule. Arrimé sur sa cuisse, un Grand-Duc regardait alternativement la lueur rouge à l’endroit de son cœur et la lumière bleue de la Pleine Lune.

“Bonjour, tenta-t-elle, peux-tu te bouger un peu, s’il te plaît ? Tes serres commencent à percer ma jupe et j’ai peur d’avoir mal, la nuit.”

Elle trouvait important d’être très polie avec l’oiseau car sa mère lui avait expliqué : “les hiboux sont très savants, ils connaissent des millions de choses différentes, tellement que, quelquefois, ils perdent les plumes de la tête”.

Bien élevé, le hibou se posa sur une branche basse et la salua du chef (Petite-Fille put alors voir combien celui-ci devait être savant, tant son crâne était pelé).

Rusant comme une enfant qu’elle était, Petite-Fille fit au grand oiseau la même proposition qu’au castor, avec au cœur la même douleur qui renaissait : survivrait-elle cette fois ? Son cœur lui crèverait-il les poumons avant qu’elle n’ait fini d’étudier tout et le reste, au service du Grand-Duc ?

Le hibou accepta vite la proposition, inquiet du rougeoiement qui augmentait dans le torse de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant étudia-t-elle auprès du grand oiseau, s’étonnant du peu de livres et de grimoires qu’elle déterra de sous les crottes et les pelotes de déjection qui jonchaient son arbre. Où cachait-il toute sa science, s’il était si savant ? A la question, le Grand-Duc répondait invariablement, en tournant la tête à 180 degrés : “j’étudie tous les jours le Soleil et la Lune, depuis qu’il éclaire mes jours, depuis qu’elle éclaire mes nuits. Je ne sais pas combien d’arbres il y a dans la Forêt mais je sais reconnaître les Frères du Vieux Chêne qui t’ont endormie. C’est comme ça. Ils me respectent ; ma vie n’est pas dangereuse. Pour le reste, le ciel ne me fait pas peur, je sais voler.”

Au terme du contrat, l’oiseau accompagna Petite-Fille qui reprit son chemin, après l’avoir bien remercié : à travailler près de lui à la lueur de la Lune, elle avait beaucoup appris et la lumière sur sa poitrine avait pâli jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

La petite connaissait la Nuit maintenant et elle ne se laissa plus piéger par les Frères du Vieil Arbre. Ce n’était pas le cas d’un ours énorme qu’elle vit dormir sur une pierre, aux abords d’une clairière, au pied d’un grand arbre torturé. La berceuse rauque assommait aussi les vieux mâles plantigrades, lui sembla-t-il.

Forte de son expérience (deux ans et deux jours, maintenant), elle s’approcha doucement de l’énorme masse velue, guettant tout soubresaut des grandes pattes aux griffes rentrées par le sommeil. Elle remarqua aussi des cicatrices sur son flanc et la douceur des coussinets sur lesquels la bête avait l’habitude de déambuler dans la Forêt. Sa mère lui avait expliqué : “l’ours en rut est fort de ses grandes pattes, puissant dans l’étreinte et, des cris de son printemps, il réveille toute la Forêt”.

Bizarrement, l’envie de refaire sa proposition à l’animal endormi éveilla sa douleur et c’est la poitrine rougeoyante, mais sans peur, qu’elle éveilla l’ours en lui chuchotant à l’oreille qu’elle le servirait un an et un jour, hibernation comprise, s’il lui confiait le secret de sa vigueur.

Éveillé d’un œil, l’ours accepta, un peu ébloui par le feu qu’il voyait couver dans la poitrine fraîche de l’enfant.

Aussi, pendant un an et un jour, l’enfant marcha-t-elle aux côtés du grand velu : à chaque fois surprise de sa douceur quand il lui parlait, un peu comme à ses oursons, et à chaque fois étonnée de sa force quand il devait lever un arbre qui gênait l’entrée de sa caverne. D’où tirait-il toute sa force, s’il était si vigoureux ? Pas de sa colère, il n’en avait pas. De son sommeil, peut-être (l’ours faisait beaucoup la sieste) ? A la question, le plantigrade répondait invariablement, en léchant du miel : “je porte des troncs tous les jours, quand je ne dors pas. C’est facile quand on sait comment il faut se mettre pour les soulever : c’est pas les muscles, c’est la manière. C’est comme ça. Et les arbres, ils me respectent ; ma vie n’est pas difficile. Pour le reste, la terre ne me fait pas peur, je sais creuser.”

Le terme échu, Petite-Fille repartit, après l’avoir bien remercié : à marcher près de lui, dans l’odeur forte de son pelage, elle avait beaucoup appris et les picotements de son cœur s’étaient tus jusqu’à disparaître enfin. Maintenant, il lui fallait rentrer, Maman allait s’inquiéter.

Petite-Fille se hâta sur la trace que l’ours lui avait indiquée. Elle trottinait toute en joie, plus mûre de ces trois ans et trois jours passé dans la Forêt. La promenade avait été suffisamment riche en rencontres et il fallait rentrer maintenant.

Mais le chemin était long et, épuisée par toutes ces émotions, elle ne prit garde et s’endormit au pied du Vieil Arbre qui attendait son retour, tout près de sa maison. La berceuse rauque flottait autour d’elle et devint un brouillard fin qui l’enveloppa complètement.

Que se passait-il ? La lueur sur son torse perdait de la vigueur. Petite-Fille se sentait tellement soulagée, tout en rêvant à ses trois Mentors. Le Castor, le Grand-Duc et l’Ours, qui regardaient sa poitrine en souriant. Elle sentit comme un petit animal qui quittait son corps sans forcer et puis, pfuuuit, plus rien.

Au réveil, elle sursauta : le Vieil Arbre était au-dessus d’elle mais il restait immobile et avait ouvert ses branches et laissait maintenant passer la lumière du Soleil.

Petite-Fille posa la main sur le sol, à côté d’elle, et elle sentit que quelque chose bougeait. Vérification faite, un petit hérisson la regardait, couché sur le dos et lui offrant la douceur de son pelage. Elle lui fit une petite caresse puis se leva, pressée de retrouver les siens.

Quand Petite-Fille sortit du bois, elle sentit le soleil sur ses hanches. Elle se retourna une dernière fois vers le Sentier puis repris la direction de chez elle. Maman allait s’inquiéter…

La maison était là mais… que s’était-il passé ? Plusieurs tuiles manquaient sur l’annexe, le bardage était couvert de lichen par endroits et, dans le potager, les herbes étaient hautes. Où était Maman ? Pourquoi ces rideaux tirés et ce chien attaché, qu’elle ne connaissait pas. “Maman, cria-t-elle, Maman, où es-tu ?”.

Petite-Fille courut tout autour de la demeure, en quête d’une ouverture ou d’un regard de sa Mère, qui écarterait les tentures pour la reconnaître. Ses belles jambes se griffaient aux chardons mais elle n’en avait cure. “Maman”, cria-t-elle encore.

C’est alors que la porte d’entrée grinça et s’entrouvrit. Une vieille femme sortit, se glissant le long du mur. Rassurée par le sourire de la jeune femme qui la regardait, elle s’avança vers le fauteuil et l’invita à s’assoir près d’elle, sous la véranda : “viens, Petite Femme, dit la vieille en clignant ses yeux de Mère, tu es enfin revenue”.

Alors, Petite Femme n’y tint plus, elle pressa le visage de sa mère contre sa poitrine ronde et bientôt son corsage fut mouillé de leurs bonnes larmes partagées. Émue comme l’enfant qui cherche toujours les bras de la Mère, Petite Femme raconta longuement son aventure et expliqua à sa Mère que même les hérissons avaient un cœur grand comme ça. Et qu’ils ne piquaient pas si souvent !

Les soirées furent longues à se dire tout ce qui n’avait pas encore été dit et ce n’était qu’à la dernière braise que chacune montait dormir.

Le mois suivant, un gentil couvreur aux beaux bras musclés et au cœur généreux vint réparer les tuiles tombées. Ce fut l’amour au premier regard chez les deux femmes. Petite Femme sortit la première de sa réserve et épousa le garçon six mois plus tard. La Mère les bénit, débordant déjà de tendresse pour ses futurs petits-enfants. Elle leur raconterait l’histoire du hérisson.

Toute la maisonnée fut désormais bien en vie et le potager donna à nouveau de beaux potirons qui, minuit venu, se changeaient en… potirons.

KONIEC (prononcer [konièts])

Un conte préparé par Patrick Thonart (2011)

  • L’illustration est © Spencer Byles

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THONART : Quelque part dans la forêt (2011)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Quelque part dans la forêt,
Un ours se lèche une plaie,
Il s’est légèrement blessé le flanc,
Sur un chemin qu’il connaissait pourtant.

Adossé au rocher, il sourit.

C’est au retour de l’amour,
Que, les yeux plein de son miel, à elle,
Il a laissé la branche marquer son aisselle,
Pour toujours…

Patrick Thonart


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THONART : Il était une fois une Méchante Reine… malgré elle (2011)

Temps de lecture : 2 minutes >

Il était une fois,
Une Méchante Reine…
Malgré elle.

Elle ne sentait jamais sous les aisselles
Et, trop fière de sa vertu,
Elle ne sortait jamais les poubelles.

Le vernis sombre qui lui laquait le cœur
Masquait, le jour, ses plus belles humeurs.
Il éclatait chaque soir en cristaux blessants
Qui, très lentement, lui pourrissait le sang.

Pourtant, elle avait été charmante
Et, plus jeune, sans doute fraîche et ardente.

Mais aujourd’hui, ses petits la disaient Folcoche,
Tant ils pensaient dans leurs blessures
Qu’à chaque morsure de la Vipère,
Ils perdaient un peu plus de leur Mère.

Comme il se doit, elle avait marié,
Avant que sa bonté fut avariée,
Un Roi déchu au barbu collier.
L’histoire ne dit s’il était bon
Mais, reclus dans ses quartiers,
L’homme sans bras, au Salon, ne paraissait pas.

Ils avaient dû connaître l’amour,
Et la tendresse au point du jour.
Ils avaient dû connaître la sueur,
Qui, du sexe, est la trace du bonheur.
Ils s’étaient même reproduits
(Personne ne dit s’ils ont joui).

Or, un soir que grondait l’orage,
La sauvagerie s’est invitée,
Comme un nègre riant,
Au travers de l’oreiller.

Quelques mois plus tard passés,
Fleur de Lotus leur en est née.

A l’aube surprise, elle naquit belle et bien tournée,
Comme une femme déjà formée.
Le sein haut et la fesse négresse.
Elle était fine et sans bassesse.

Mais, si la Belle de ses atouts était déjà bien mûre,
La Reine ne lui laissa que de l’enfant la stature.

Dans l’étang où trop elle se mirait, sans âge, elle se lamentait :
Contre le pouvoir de Mère, elle ne pouvait aller,
Qui, dans le jardin sans délice, voulait l’enfermer.

A quoi bon se battre quand on est bonne fille ?
Elle fit donc sa guenille, du tissu de sa maladie,
Et, au monde déçu, son vrai sourire elle ne montra plus.

Les années passèrent, sans autres joies que délétères.
Et, si, dans beaucoup de contes, elle avait joué,
Ceux-là n’étaient pas de fée.

Pourtant, dans son cœur nébuleux, vivait encore le feu,
De cette nuit sabbatique où luisait la braise d’Afrique.
Elle le sentait, sans oser le dire.
Elle le masquait, craignant le pire.
Elle ne savait que faire de ce Printemps,
Elle qui ne croyait plus aux mots du dedans.

Alors, comme un pantin trop maquillé,
Fleur de Lotus s’est approchée,
Des nénuphars où elle est née.
Au bord de l’eau, profonde et sans mémoire
-où dans ses rêves noirs elle devait plonger-
Elle s’est soudain mise à danser…

Et le menuet trop pathétique dont la Reine ordonnait la musique,
D’un tourne-cuisse s’est mué, en un ballet sauvage, timide mais gai,
Et il l’a regardée.

Patrick Thonart


Plus du même auteur…

AREALISME : Second manifeste de l’Aréalisme (2011)

Temps de lecture : 2 minutes >
© frederic robert georges

L’Aréalisme est né en nous du fait du ressenti et de la prise de conscience d’une intériorité puissante à laquelle notre expression artistique est soumise.

Depuis cette intériorité, ici au cœur où se tient notre conscience et notre inconscience, chaque oeuvre nous révèle une partie de notre identité, une partie de qui nous sommes totalement.

Pour nous, chaque oeuvre est l’avatar d’un état intime spontané, proche de notre moi fondamental. Ces œuvres ne sont que des écrans de notre être et de son ego et ne font qu’ afficher la réalité visible choisie par notre monde intérieur. Aussi nous aimons les qualifier d’aréalistes, car pour quiconque d’autre, l’essence de ce qu’elles montrent ne peut être d’abord qu’absente ou incomplète, et ensuite ne pourra se révéler, que métissée et unique, refécondée par l’attention de celui qui lui porte son regard.

Ces œuvres que nous aimons nommer aréalistes, peuvent être des formes de contemplations du réel visible et sont des prétextes à l’exploration de nos sentiments, d’un état intérieur toujours présent en nous.

Pour nous, créer des œuvres, développe et nourrit nos mondes intérieurs, mais aussi rappelle leurs existences, rappelle nos individualités, nos climats intérieurs, nous ramène à nous-même, et agit comme un guide vers notre intériorité, vers ce qui existe en nous. Ces œuvres-avatars agissent aussi chez nous comme des mémoires, comme des outils qui nous permettent de nous reconnecter vers notre identité fondamentale.

La qualité “aréaliste” de nos œuvres dépend de la qualité de notre état de contemplation … de la qualité de notre sentiment intérieur… de sa puissance poétique à relier notre monde extérieur et notre monde intérieur et à être un passage, un véhicule qui conduit notre public à goûter à sa propre intériorité.

Pour qu’un artiste se découvre aréaliste et y trouve ainsi sa cohérence, peut-être suffit-il qu’il se ressente et s’invente comme tel.

Ainsi soit l’image.

Second manifeste de l’Aréalisme par Frédéric Robert Georges,
Hans Verhaegen, Isabelle Elias Art et Philippe Graton
(Bruxelles, le 29 octobre 2011)


Voir plus… du réel ?

JANSSENS : Sans titre (2006, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

JANSSENS Ann Veronica, Sans titre
(photo-lithographie, 54,5 x 73 cm, 2006)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

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Plasticienne belge, née à Folkestone (Royaume-Uni) en 1956, Ann Veronica Janssens vit et travaille à Bruxelles. Elle poursuit depuis la fin des années 1970 une œuvre expérimentale qui privilégie les installations créées en fonction du lieu où elles sont établies et l’emploi de matériaux simples ou immatériels, tel que la lumière, le son ou le brouillard artificiels. L’observateur est confronté à une expérience sensorielle fugitive de l’instabilité qu’elle soit visuelle, physique, temporelle.

Ses productions en deux dimensions établissent des liens entre ses interventions artistiques et les images qui y ressemblent dans l’univers. Cette image se rattache à son travail sur les éclipses. Bien que l’image semble abstraite, elle réfère à un évènement réel. L’artiste joue entre le fictif, l’abstrait et le figuratif.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Ann Veronica Janssens ; Sophie Crepy | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques