PASTICHE, s. m. (Pein.) tableau peint dans la maniere d’un grand artiste, & qu’on expose sous son nom. Les pastiches, en italien pastici, sont certains tableaux qu’on ne peut appeller ni originaux, ni copies, mais qui sont faits dans le goût, dans la maniere d’un autre peintre, avec un tel art que les plus habiles y sont quelquefois trompés. Mais d’abord il est certain que les faussaires en Peinture contrefont plus aisément les ouvrages qui ne demandent pas beaucoup d’invention, qu’ils ne peuvent contrefaire les ouvrages où toute l’imagination de l’artiste a eu lieu de se déployer. Les faiseurs de pastiches ne sauroient contrefaire l’ordonnance, ni le coloris, ni l’expression des grands maîtres. On imite la main d’un autre, mais on n’imite pas de même, pour parler ainsi, son esprit, & l’on n’apprend point à penser comme un autre, ainsi qu’on peut apprendre à prononcer comme lui.
Le peintre médiocre qui voudroit contrefaire une grande composition du Dominiquain ou de Rubens, ne sauroit nous en imposer plus que celui qui voudroit faire un pastiche sous le nom de Georgéon ou du Titien. Il faudroit avoir un génie presque égal à celui du peintre qu’on veut contrefaire, pour réussir à faire prendre notre ouvrage pour être de ce peintre. On ne sauroit donc contrefaire le génie des grands hommes, mais on réussit quelquefois à contrefaire leur main, c’est-à-dire leur maniere de coucher la couleur, & de tirer les traits, les airs de tête qu’ils répé-toient, & ce qui pouvoit être de vicieux dans leur pratique. Il est plus facile d’imiter les défauts des hommes que leurs perfections. Par exemple, on reproche au Guide d’avoir fait ses têtes trop plates : elles manquent souvent de rondeur, parce que leurs parties ne se détachent point & ne s’élevent pas assez l’une de l’autre. Il suffit donc, pour lui ressembler en cela, de se négliger & de ne point se donner la peine de pratiquer ce que l’art enseigne à faire pour donner de la rondeur à ses têtes.
Jordane le Napolitain, que ses compatriotes appelloient ilfapresto ou dépêche-besogne, étoit, après Teniers, un des grands faiseurs de pastiches, qui jamais ait tendu des pieges aux curieux. Fier d’avoir contrefait avec succès quelques têtes du Guide, il entreprit de faire de grandes compositions dans le goût de cet aimable artiste, & dans le goût des autres éleves de Carache. Tous ses tableaux qui représentent différens événemens de l’histoire de Persée sont peut-être encore à Gènes. Le marquis Grillo, pour lequel il travailla, le paya mieux que les grands maîtres dont il se faisoit le singe, n’avoient été payés dans leur tems. On est surpris en voyant ces tableaux, mais c’est qu’un peintre qui ne manquoit pas de talens ait si mal employé ses veilles, & qu’un seigneur génois ait fait un si mauvais usage de son argent.
Il est bien plus aisé d’imiter les portraits & les paysages que l’ordonnance, parce qu’il ne s’agit que de contrefaire la main. La copie qu’André del Sarto fit du portrait de Léon X. peint par Raphaël, trompa Jules-Romain lui-même, quoique ce peintre en eût fait les habits.
Le Loir (Nicolas) copioit si bien à force d’étude les paysages du Poussin, qu’il est difficile de distinguer la copie d’avec l’original.
On rapporte que Bon Boullogne saisissoit à merveille la maniere du Guide. Il fit un excellent tableau dans le goût de ce maître, que monsieur, frere de Louis XIV, acheta sur la décision de Mignard pour un ouvrage du peintre italien ; cependant le véritable auteur ayant été découvert, Mignard déconcerté dit plaisamment pour s’excuser, « qu’il fasse toujours des Guides, & non pas des Boullognes ».
Pour découvrir l’artifice des pastiches, on n’a guere de meilleur moyen que de les comparer attentivement avec l’expression & l’ordonnance du peintre original, examiner le goût du dessein, celui du coloris & le caractere du pinceau. Il est rare qu’un artiste qui sort de son genre ne laisse échapper quelques traits qui le décelent.
Louis de Jaucourt (1704-1779)
PROJET ENCCRE : “C’est un véritable monument du siècle des Lumières qui s’ouvre au public. À l’occasion du tricentenaire de la naissance de d’Alembert, la célèbre Encyclopédie de Diderot, d’Alembert et Jaucourt (le troisième éditeur de l’ouvrage, qu’on oublie toujours de citer !) est désormais accessible en ligne sur le site de l’Académie des sciences dans la première édition critique jamais réalisée.”
Dans cette Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encyclopédie (ENCCRE), chaque encyclopédiste est gratifié d’une notice complète. Voici celle de Louis de Jaucourt :
Louis, chevalier de JAUCOURT (circa 1704-1780)
Le chevalier de Jaucourt est une figure méconnue bien que centrale de l’Encyclopédie. Il en est le principal collaborateur, puisqu’il a donné plus de 17 000 articles et qu’il a porté les derniers volumes de textes, en rédigeant plus de la moitié des articles à une époque où, D’Alembert ayant démissionné de la direction, Diderot, considérablement occupé par le travail sur les Planches, ne pouvait pas diriger seul les derniers volumes. En fait, Jaucourt en a été l’infatigable éditeur et il a signé jusqu’au dernier article de l’ouvrage. C’est pourquoi les connaisseurs, dont le grand historien Jacques Proust, parlent de l’Encyclopédie de Diderot, d’Alembert et Jaucourt.
Homme de lettres et de sciences, érudit, apte à circuler entre les savoirs avec élan, voire hardiesse, Jaucourt apparaît aujourd’hui comme une figure exemplaire de l’aventure encyclopédique. Vraisemblablement né à Paris d’une famille huguenote contrainte à la conversion, Jaucourt étudie en Suisse, en Angleterre puis en Hollande avant de rentrer en France. Attiré par l’entreprise avant même qu’elle n’existe, comme en témoigne sa Vie de Mr Leibnitz (1734 et 1747), dans laquelle il appelle de ses vœux une refonte du projet encyclopédique leibnizien, Jaucourt ne pouvait que s’enthousiasmer, lors de la parution du premier volume de l’Encyclopédie, pour un tel ouvrage, alors devenu projet collectif.
C’est dans l’Avertissement du tome II de l’Encyclopédie que ce nouveau collaborateur est présenté :
M. le Chevalier de Jaucourt, que la douceur de son commerce & la variété de ses connoissances ont rendu cher à tous les gens de Lettres, & qui s’applique avec un succès distingué à la Physique & à l’Histoire Naturelle, nous a communiqué des articles nombreux, étendus, & faits avec tout le soin possible. On en trouvera plusieurs dans ce Volume, & nous avons eu soin de les désigner par le nom de leur Auteur. Ces articles sont les débris précieux d’un Ouvrage immense, qui a péri dans un naufrage, & dont il n’a pas voulu que les restes fussent inutiles à sa patrie. (Enc., II, p. j)
On doit à Jaucourt plusieurs milliers d’articles de géographie, dans lesquels il insère souvent la biographie d’une figure locale d’importance, donnant ainsi à l’Encyclopédie une nouvelle dimension biographique et historique. Mais, comme Diderot, il s’occupe de toutes sortes de domaines et de savoirs : jurisprudence, morale, histoire, économie, politique, belles-lettres, peinture, cuisine, description des métiers, ainsi qu’histoire naturelle ou médecine, art qu’il avait étudié auprès de Boerhaave, obtenant le titre de docteur sans jamais exercer. Sans doute la multiplicité de ses contributions a-t-elle amené l’Encyclopédie à se tourner de plus en plus vers les sciences expérimentales et morales.
Dès la parution du premier volume, Jaucourt offre ses services. La lettre du 10 septembre 1751 par laquelle Diderot le remercie de lui avoir transmis des articles montre combien l’apport de ce nouveau contributeur a paru important au principal directeur. Pour mesurer l’ampleur et la variété de l’écriture jaucourtienne, il faut entrer dans un réseau intertextuel complexe. Car Jaucourt n’a guère donné d’articles de son propre cru. En érudit de l’âge classique, soucieux à la fois de la rigueur et de l’ampleur des points de vue, il a recours aux grands auteurs et aux traités spécialisés, et il pratique l’extrait et la compilation de façon constante et intensive. Ses sources sont multiples, mais on note son attachement particulier à Voltaire, à Montesquieu et à Rousseau.
Issu d’une grande famille de la noblesse protestante, Jaucourt a été un soutien discret mais efficace de l’entreprise encyclopédique, et sa signature qui figure systématiquement, semble-t-il, à la fin de ses articles, avait aussi la fonction de rappeler à ses adversaires que l’Encyclopédie avait en Jaucourt un contributeur de haute lignée, familier de Montesquieu et auquel Voltaire portait une estime qu’il exprime plusieurs fois dans sa correspondance. Le dévouement de Jaucourt à l’Encyclopédie a été rare : il a même vendu sa maison pour payer ses copistes, et l’acheteur en a été Le Breton lui-même !
Homme des Lumières, sa hardiesse doit aussi beaucoup à ses convictions protestantes et à son appartenance à une communauté persécutée. C’est Jaucourt qui fait entendre dans l’Encyclopédie la dénonciation de l’esclavage (ESCLAVAGE, Enc., V, p. 934a-939a), de même qu’il produit l’un des premiers textes ouvertement abolitionnistes publiés en France, l’entrée Traite des nègres (Enc., XVI, p. 532b-533a). On lui doit aussi, entre autres, les fermes plaidoyers contre la guerre (Guerre, Droit naturel & Politique, Enc., VII, p. 995b-998a), la superstition (SUPERSTITION, Enc., XV, p. 669b-670a), ou l’Inquisition (INQUISITION, Enc., VIII, p. 773b-776a). Il faut d’ailleurs signaler que ce sont essentiellement les articles de Jaucourt qui, avec ceux de Diderot, ont été censurés par le libraire Le Breton […]. Au tome VIII, dans le dernier avertissement de l’Encyclopédie, Diderot rend à Jaucourt l’hommage qui lui est dû :
Jamais le sacrifice du repos, de l’intérêt & de la santé ne s’est fait plus entier & plus absolu. Les recherches les plus pénibles & les plus ingrates ne l’ont point rebuté. Il s’en est occupé sans relâche, satisfait de lui-même, s’il pouvoit en épargner aux autres le dégoût. Mais c’est à chaque feuille de cet Ouvrage à suppléer ce qui manque à notre éloge ; il n’en est aucune qui n’atteste & la variété de ses connoissances & l’étendue de ses secours. (Enc. , VIII, p. j)
Après l’Encyclopédie, Jaucourt poursuivit son entreprise historique commencée dans le Dictionnaire raisonné. Si l’on en croit D’Alembert, Jaucourt, en 1777, soit 2 ans avant sa mort survenue à Compiègne (Oise actuelle) le 3 février 1780 (registre de la paroisse Saint-Jacques de Compiègne où l’acte de sépulture précise qu’il a été inhumé le surlendemain dans le cimetière de la paroisse), âgé d’environ 74 ans (sic), travaillait encore à un « Dictionnaire historique » qui ne vit pas le jour.
Très symboliquement, c’est Jaucourt qui signe le tout dernier article du dictionnaire (ZZUÉNÉ) en le complétant d’une ultime citation, extraite de Bacon. On peut y voir un triple hommage : à la compilation, puisque le dernier mot de l’œuvre est emprunté ; à l’inspirateur lointain de l’Encyclopédie mis en avant par les éditeurs dès les textes préliminaires (l’Encyclopédie se referme sur elle-même !) ; enfin, par le contenu même de l’extrait, à l’idée des Lumières comme entreprise philosophique collective.
Repérer la répartition des différentes signatures de Jaucourt au cours des volumes permet de discerner des étapes distinctes dans sa participation à l’Encyclopédie… [lire la suite dans l’interface d’ENCCRE…]
Marie Leca-Tsiomis, François Pépin et Alain Cernuschi (2017)
Le PASS JAUCOURT, mais qu’est-ce donc ? L’opiniâtreté du chevalier de Jaucourt nous a inspirés et, à la lecture de sa biographie, nous avons réalisé combien l’édition d’un blog encyclo comme wallonica.org ne peut qu’être le travail, non seulement d’une équipe, mais d’un réseau d’équipes. Notre objectif est d’animer un archipel de centres d’éditions wallons et bruxellois et de partager avec eux la visibilité de notre plateforme. Notre proposition : avec le PASS JAUCOURT, vous (votre organisation) devenez un centre d’édition de wallonica.org et vous gérez l’édition de vos articles de A à Z, après une formation sur nos méthodes éditoriales et sous réserve de notre validation régulière. Pour obtenir un PASS JAUCOURT et devenir un de nos éditeurs, il vous suffit de nous contacter et que nous tombions d’accord.
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Savoir documenter…
- Historiciser le mal : une édition critique de Mein Kampf
- LEVY : LXIV – La légende d’août (1883)
- LEVY : I – La légende de janvier (1883)
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- LEVY : XLVI – La légende de juin (1883)
- GILLET, Jacques (1931-2022) & ARCHIDOC
- FREYENS : Guide de la Fagne (Marabout, 1955)
- DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)
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