PETERS : Qui est cette femme ? (2013, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

PETERS Paula, Qui est cette femme ?
(technique mixte, 70 x 50 cm, 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

© esneux.be

Paula PETERS est diplômée des ateliers de l’Académie des Beaux-arts de Liège en peinture et en gravure. Elle a fréquenté les ateliers de la Province de Liège, à Tilff, a effectué des stages de céramique, tournage et sculpture. Paula Peters est également animatrice d’ateliers créatifs pour enfants. Depuis 2000, elle a participé à de nombreuses expositions, essentiellement en région liégeoise.

Le travail de Paula Peters est inspiré par la complexité humaine où se côtoie “ombre et lumière”, mais sans chercher à représenter tel ou tel personnage. Leur essence est représentée par des veines semblables à des rivières ou des routes. Il s’agit pour l’artiste de créer à partir d’une ouverture totale, d’exprimer des émotions, de combiner des techniques différentes (offset, vernis mou, aquatinte, eau forte, pointe sèche) et d’entrer ainsi dans le monde du vivant. Cette estampe représente une silhouette féminine qui se détourne et s’éloigne du monde actuel.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Paula Peters ; esneux.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ROUWETTE : N°136 (2013, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

ROUWETTE Fabian, N°136
(photographie, 40 x 33 cm, 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Fabian Rouwette © galerie-photo.com

Diplômé en 1992 de l’Académie Royale des Beaux-Arts de Liège, en Peinture monumentale, Fabian ROUWETTE (né en 1974) enseigne ensuite les arts plastiques à l’Athénée de Welkenraedt–Verviers. Il devient photographe à temps plein à partir de 2007, activité qu’il décrit en ces termes : “Photographier c’est pour moi un moyen d’essayer d’être tout le temps plus présent.”

Fabian Rouwette utilise pour ses prises de vue, très souvent en intérieur et dans des bâtiments abandonnés, une chambre phtographique. Cet un outil dont le principe a peu évolué depuis le sténopé : une entrée de lumière au travers d’un objectif, un système d’obturation permettant de contrôler le temps durant lequel passe la lumière et un support (film) pour capturer l’image. Ce support est une plaque photographique. “Tandis qu’en numérique on prend vite l’habitude de n’être pas limité par le nombre de vues qu’on peut faire, avec le 4X5 on part, parfois pour la journée, avec à peine quelques châssis. Ce simple fait, pour moi, est décisif. Je fais trois ou quatre vues sur la journée, voir aucune. Tout devient important. C’est intense mais on peut prendre le temps de bien goûter à ce qu’on fait. Lorsque je reviens de prises de vues, je me souviens de chaque sujet : la façon dont j’ai cadré, mes doutes, mon emballement, le temps de pose…”(d’après GALERIE-PHOTO.COM)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Fabian Rouwette ; galerie-photo.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VANESCH : Mer du Nord (2001, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

VANESCH Jean-Louis, Mer du Nord
(photographie, 53 x 70 cm, 2001)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jean-Louis Vanesch © contretype.org

Après des études de photographie à l’Institut Supérieur des Beaux-Arts Saint-Luc de Liège, Jean-Louis VANESCH (né en 1950) expose dès 1983. Parmi de nombreuses expositions, on peut en épingler quelques-unes. En 2005, ses photographies sont montrées à “L’esquisse des Ombres” à Rouje (Québec) et à la Galerie provinciale de Wégimont. En 2006, il participe à l’exposition “A l’image de rien” à Contretype, à Bruxelles et à “Photo-Fiction” au Comptoir du Livre, à Liège. En 2007, il présente une sélection de photographies dans le cadre de l’exposition “Le jardin des résistances”, avec Paul den Hollander, Daniel Desmedt et Lucia Radochonska à l’Espace Photographique Contretype. En 2008, il prend part à l’exposition collective “Cf.(Natuur, Nature)” au Centre De Markten, Bruxelles. Fin 2009, sa première monographie est publiée aux Editions Yellow Now. (d’après CONTRETYPE.ORG)

Cette grande photographie en noir et blanc montre de manière spectaculaire un homme seul face à la mer. Le point de vue en plongée accentue la masse imposante des eaux agitées surplombant le spectateur. L’horizon est hors champ, la mer envahit l’espace visuel.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Louis Vanesch ; contretype.org | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

WINAND : Hide’N’Seek 1 (Guantanamo) (2016, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

WINAND Frédéric, Hide’N’Seek 1 (Guantanamo)

 (photographie numérique sur plexiglas, 42 x 60 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

10610684_683042701791143_3690741658951306639_n
© Frédéric Winand

Frédéric WINAND est né le 15 février 1990 à  Liège, où il réside actuellement. Il obtient une licence d’arts plastiques et visuels à l’Ecole Supérieure des Arts Saint-Luc où il présente, pour clôturer ses trois années d’études, Utopitev, une balade photographique au travers de la nuit. Depuis lors, il poursuit ses recherches sur la nuit et le noir, les interactions entre les humains et les corps célestes, le vide et le plein, le plein de vide, le temps et la distance, les années-lumière, les jeux et les mots, les jeux de mots, et la solitude des étoiles. (F. Winand)

La photo est floue. A tel point que le spectateur doit l’observer un certain temps avant de discerner un personnage, vêtu d’une chemise orange. Le texte “propriété du gouvernement des états-unis d’amérique. quelque part, à cuba” vient alors nous éclairer : ce qui est caché, flou, oublié, ce sont les détenus de la prison de Guantanamo.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Frédéric Winand | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

WENDELSKI : Forêt de Hambach, en bordure du camp, septembre 2013 (2013, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

WENDELSKI Marc, Forêt de Hambach, en bordure du camp, septembre 2013 
(photographie, 74 x 60 cm, 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Marc+Wendelski
Marc Wendelski © liegephotobookfestival.be

Né en 1978, Marc WENDELSKI est diplômé en photographie de l’Institut Supérieur des Beaux-Arts Saint-Luc de Liège. Il participe aux Rencontres photographiques d’Arles dès 2000. En 2008, il a publié “Nage Libre” aux éditions Yellow Now et participé aux expositions “Corps de ville” à la Biennale Architecture et Photographie de La Cambre et à l’exposition “Espèces d’architecte | l’Alibi Documentaire” au Centre Wallonie-Bruxelles à Paris. Plus récemment, il a illustré la revue Art&fact n°29 “L’architecture au XXe siècle à Liège”. (d’après WBARCHITECTURES.BE)

Cette photo fait partie d’une série réalisée par Marc Wendelski à la forêt d’Hambach. Cette région, presque primaire, a subi une importante déforestation due aux activités minières. De nombreux activistes se relaient dans cette ZAD (zone à défendre) afin d’empêcher sa destruction programmée.

 

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Marc Wendelski ; liegephotobookfestival | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LAMBERT : Être moi toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert (2020)

Temps de lecture : 3 minutes >

Marine bij stormweer (1909)

“Léon SPILLIAERT est né en 1881 à Ostende. Son père y tenait une parfumerie réputée. L’univers de la ville portuaire occupa une place centrale dans l’œuvre du peintre, tandis que ses lectures d’auteurs symbolistes et son attrait pour la philosophie nietzschéenne ont nourri la teneur de son regard. Après un bref passage à l’Académie des Beaux-Arts de Bruges, Léon Spilliaert développa une esthétique empreinte d’angoisse. À partir de 1902, il illustre une série de livres pour l’éditeur bruxellois Edmond Deman qui lui permet de nouer des liens avec des artistes et des écrivains renommés tels que Rodin et Verhaeren. Grâce à ce dernier, Spilliaert expose quelques dessins aux côtés de Picasso dans une galerie parisienne. Sa santé fragile l’oblige régulièrement à rentrer à Ostende auprès de sa famille. Il y fréquente Ensor, Crommelynck et le jeune Permeke, et y fait la connaissance de Stefan Zweig, qui lui achète plusieurs dessins. Le confinement auquel le contraignent certaines périodes de convalescence l’amène à travailler l’autoportrait et à explorer la vie silencieuse des objets et des lieux. La période de création qui fera la postérité de Spilliaert se concentre sur une dizaine d’années avant la Première Guerre mondiale. Son imaginaire y témoigne d’une exceptionnelle puissance poétique, traversée par la sublimation de la noirceur. En 1916, il épouse Rachel Vergison avec laquelle il s’installe à Bruxelles. En 1917, naît leur unique enfant, Madeleine. Le couple retourne à Ostende de 1922 à 1935 avant de se réinstaller définitivement à Bruxelles où Spilliaert meurt en 1946. Ces trente années furent celles d’une forme d’équilibre trouvé (bonheur conjugal et paternel, associé à de fidèles amitiés), qui contrebalançait l’inclinaison naturelle du peintre à l’inquiétude. Parallèlement, de multiples expositions et rétrospectives vinrent asseoir sa reconnaissance en Belgique. Un mystère cependant demeure : le génie qui caractérisait les visions de ses débuts semblait l’avoir quitté.”

Extrait de LAMBERT Stéphane, Être moi toujours plus fort. Les paysages intérieurs de Léon Spilliaert (Paris : Arléa, 2020)

ISBN 9782363082237

Ostende, début XXe. Un jeune peintre mélancolique, Léon Spilliaert, scrute la mer à travers l’obscurité. Il porte un nom flamand ; admire son compatriote Ensor ; est hanté par la géométrie instable de sa ville natale et par la vie secrète des apparences et des ombres.
Un siècle plus tard, Stéphane Lambert revient sur ses terres, et entreprend à son tour ce même voyage géographique où les pensées se confondent à l’univers trouble du peintre. Car l’art est toujours un miroir poreux. Stéphane Lambert, par la grâce de ses intuitions et de son regard, saisit la quintessence du pouvoir hypnotique de l’œuvre de Spilliaert.” [ARLEA.FR]

“[…] L’essai campe une scène fondatrice, aurorale, de nature géographique, plus exactement psychogéographique : la naissance de Spilliaert à Ostende, un lieu à la lisière de la terre ferme et de l’eau. De même que la ville d’Ostende est construite sur deux éléments antagonistes — la terre et l’eau —, le peintre des espaces nocturnes et vides, de l’errance nimbée de fantastique, navigue entre solidité terrienne et évanescence aqueuse. Comme si la singularité du lieu où il naquit, passa sa jeunesse et une grande partie de sa vie adulte s’était réverbérée dans son caractère, dans son être-au-monde… Richement ponctué par des œuvres de Spilliaert (datées des années 1901-1910, à l’exception de Troncs noueux de 1938), construit sur l’alternance des deux voix, l’essai restitue le voyage de Spilliaert sur les terres de l’inquiétante étrangeté. Étrangeté de la mer du Nord, de l’Océan disait-il, étrangeté de l’existence, opaque comme le flux et le reflux des marées, des sensations, rapport trouble au monde du dehors et au monde intérieur : l’intranquillité de la mer, son appétit d’ogre ( « chaque tempête réclame son âme à dévorer ») résonne avec celle de Spilliaert qui, questionnant l’essence des choses, des êtres, des paysages, mettra en forme le réel perçu en le nimbant d’irréalité. Début du 20e siècle : un tremblement d’irréalité décolle les étants, les matières d’eux-mêmes et fait de Spilliaert le spectateur d’un monde par rapport auquel il demeure étranger. Début du 21e siècle : sur les traces de Spilliaert, à Bruxelles, à Ostende, Stéphane Lambert fait l’expérience d’une faille entre soi et le monde, d’un dénivelé irrelevable entre le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible. C’est sur cette faille que l’art se construit. Sœur de celle de Pessoa, l’intranquillité comme tonalité des dessins, des lavis se traduit dans des paysages désorientés, mangés par l’obscurité, désertés par l’humain, dans des autoportraits rongés par le doute. […]” [Véronique BERGEN – LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET]
Dans nos pages, de Stéphane Lambert également : Mark Rothko. Rêver de ne pas être (2011).


Plus d’arts visuels…

LEGROS : Forêt désenchantée (2015, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LEGROS Sophie, Forêt désenchantée
(photographie, 40 x 50 cm, 2015)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

sophie-legros
Sophie Legros © lesmuseesdeliege.be

Enseignante en peinture à l’ESAVL (Beaux-arts de Liège), Sophie LEGROS (née en 1976) voyage dans différentes disciplines artistiques (peinture, dessin, sculpture, installation) et recourt à la couleur pour travailler des surfaces et interroger notre perception au monde.

L’artiste a réalisé une intervention sur cinq arbres de même nature (chênes verts) : ici un chêne mécanisé recouvert de papier reflétant, un chêne commercialisé recouvert de cellophane. Cette photographie fonctionne comme un paysage peint. L’image nous donne à voir des matières et des couleurs qui semblent avoir été insérées par retouches sur l’image. Les revêtements fonctionnent comme un camouflage (acrylique sur papier) qui se perd dans l’environnement, ou dématérialise une partie de l’arbre, ou encore comme un trompe l’œil (chêne vert recouvert de papier sur lequel est dessiné au fusain l’écorce d’un bouleau).

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Sophie Legros ; lesmuseesdeliege.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VRUNA : Limites (2003, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

VRUNA Graziella, Limites
(photographies et broderies, n.c., 2003)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

vruna
© art-liege.be

Née à Liège en 1975, Graziella VRUNA vit et travaille dans cette même ville. Diplômée de l’Académie des Beaux –Arts de Liège en peinture, elle poursuit ses recherches en art textile et en dessin, tout en participant à des expositions personnelles et collectives.

“Un intérêt particulier est accordé à l’aspect dual entre vide et plein, opacité et transparence. Travail qui découle d’un temps compté ou absent. Capture d’une réalité mystérieuse et fugitive soulignée par le fil qui tente de la retenir. Les photos saisissent des instants : progression, succession, déroulement, écoulement, glissement, transformation ou disparition. Elles sont utilisées comme un canevas, une toile de fond. Dans ce dialogue improbable entre matériaux, la photo absorbe et révèle la frontière, le contour, la limite dessinée par le fil.” (G. Vruna)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Graziella Vruna ; art-liege.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Bois d’Avroy (Cointe, Liège)

Temps de lecture : 5 minutes >

© Philippe Vienne

Le Bois d’Avroy est à la fois un vestige d’un domaine privé boisé et d’un ancien charbonnage. Il constitue un maillage écologique entre le Bois-l’Evêque et le terril Piron. Sa surface, d’environ cinq hectares, est actuellement divisée en quatre parcelles privées.

Histoire

Historiquement, l’antique forêt d’Avroy est défrichée dès le Xe siècle dans la vallée et dès le XVIe sur les hauteurs, pour faire place aux cultures et pâturages. Sur les collines de Cointe et Saint-Gilles, divers lieux-dits rappellent l’existence de cette forêt d’antan, laquelle portait à certains endroits un nom spécifique : le Bois l’Évêque, le Bois d’Avroy, le Bois Saint-Gilles,…

© Philippe Vienne

Au début du XXe siècle, le domaine du Bois d’Avroy sera morcelé entre la famille de Laminne et la houillère du Bois d’Avroy. La villa de Laminne est édifiée plus ou moins à la même époque sur une parcelle d’une superficie de quatre hectares provenant du morcellement du grand ensemble de trente-cinq hectares que constituait le domaine du Bois d’Avroy. Abandonnée dans le courant des années 1970, dégradée par un incendie dans les années ’80, la propriété restera à l’abandon jusqu’au début des années ’90 quand elle sera acquise par un promoteur qui fera raser la villa en ruine.

Du Bois d’Avroy originel, il ne reste donc plus que la partie aujourd’hui menacée par un projet immobilier et une petite portion comprise entre la ruelle des Waides et la rue Bois Saint-Gilles, derrière l’internat. Comme la plupart des allées tracées autour de la villa sont restées visibles, le domaine est fréquenté par les promeneurs du quartier depuis son abandon dans les années ’70.

La cellule “Initiatives Citoyennes” du Comité de Quartier de Cointe a réalisé un dossier et introduit une demande à la Ville de Liège pour la création de trois promenades balisées. Il s’agit de répondre à une demande de plus en plus forte d’itinéraires de promenades et de valoriser le patrimoine historique et naturel du quartier. Un quatrième itinéraire pourrait inclure le Bois d’Avroy, d’autant plus facilement qu’existe, juste en face, un sentier communal vestige de l’ancienne rue du Terris et des maisons ouvrières (aujourd’hui disparues) qui la bordaient.

Faune et flore
© Sibylle Horion

Comme nous l’avons vu précédemment, le bois d’Avroy est très récent. Le fait qu’il n’y ait plus eu d’entretien sur le terrain a permis à la végétation, et à la faune avec elle, de s’installer et se développer en toute quiétude. Les arbres morts, par exemple, fournissent un logis pour de nombreuses espèces (chouette hulotte, pics, chauves-souris) mais sont également une source de nourriture pour les insectes saproxyliques et les champignons qui les réduisent en terreau fertile pour les autres plantes alentours.

Le bois accueille des espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes, etc.) et des espèces en danger (crapauds alyte accoucheurs, coléoptères lucarne cerf-volant, etc.).

Maillage (ou réseau) écologique

“Le réseau écologique est “l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales, dans le respect de leurs exigences vitales, et permettant d’assurer leur survie à long terme”.

Il est visible à nos yeux (une vallée, un fleuve, une bande boisée) ou non (le corridor de migration d’une espèce de papillon), mais il correspond à une réalité écologique.

Ce maillage/réseau comprend trois types de zones :

ZONES CENTRALES : elles regroupent des milieux présentant un grand intérêt biologique où toutes actions menées devraient être en faveur de la conservation de la nature.

ZONES DE DÉVELOPPEMENT : elles regroupent des milieux présentant un intérêt biologique moindre que les précédents, mais ont toutefois un bon potentiel écologique valorisé par une gestion adéquate.

ZONES DE LIAISON : ce sont des milieux de faibles surfaces ou présentant un caractère linéaire dans le paysage. Ces zones sont, avant toute chose, des habitats pour de très nombreuses espèces sauvages indigènes et forment le maillage écologique du territoire. Leur nombre, leur qualité et leur continuité sont déterminants pour réaliser de véritables liaisons écologiques entre les zones centrales et les zones de développement. Ce qui permet le brassage génétique des populations. Par exemple, pour la vie sauvage, les bords de routes et de chemins de fer sont des chemins d’accès aux îlots de nature. Ces rubans de végétation sont d’excellents corridors biologiques, par où transitent de nombreuses espèces sauvages.” (d’après biodiversite.wallonie.be)

Il existe plusieurs niveaux de réseaux écologiques :

  • niveau européen : Natura 2000, Life ;
  • niveau régional
  • niveau communal : PCDN

La colline de Cointe est encore bien préservée de la bétonisation. Protéger le bois d’Avroy permet de maintenir un couloir biologique entre le terril Piron, le parc de Cointe et le Bois l’Évêque en passant par les champs et les jardins privés.

Le couvert forestier de Cointe forme une couronne qui permet la circulation des espèces. La création de petits couloirs végétalisés entre les différentes zones faciliterait un brassage génétique des différentes espèces qui y habitent.

Au maillage écologique, nous pouvons associer la notion de “maillage vert” qui a un sens plus social. “En Wallonie, le Projet de Schéma de Développement de l’Espace Régional (SDER) adopté en 2013 stipule que chaque citoyen wallon doit atteindre à pied en moins de 10 minutes (de l’ordre de 700 mètres maximum) un espace vert (un parc, ou un jardin public, un potager collectif, un terrain de jeu…) et cela qu’il habite en ville ou à la campagne. Chaque Wallon devrait pouvoir accéder à des espaces de ressourcement tels qu’un massif forestier ou un paysage rural en moins de 30 minutes à pied, 10 minutes à vélo (de l’ordre de 2km maximum) ou 5 minutes en transports en commun.” (d’après “La Ville en herbe”)

La Ville de Liège a déclaré vouloir s’inscrire dans ce maillage vert en plantant 20.000 arbres d’ici 2030.

Nous avons tous remarqué en ce printemps de confinement à quel point les espaces verts sont importants pour notre bien-être ! En plus d’apporter fraîcheur, renouvellement de l’air et absorption des eaux, les arbres nous apportent une multitude de bienfaits au niveau physique et psychologique.

© Chris LVN
Bienfaits de se promener dans un bois

Se promener dans un bois améliore notre santé : renforcement du système immunitaire, stabilisation des systèmes cardiaque et nerveux, amélioration de l’humeur, de l’énergie, de la concentration et de la créativité. Lorsque nous nous promenons dans un bois, tous nos sens sont en éveil : vue, ouïe, odorat, toucher et goût… Laissons-nous, le temps de cette balade, oublier nos obligations quotidiennes. Respirons profondément et émerveillons-nous de la générosité de la Nature.

Sources

Cet article est extrait du livret distribué par le Collectif “Sauvons le Bois d’Avroy” dans le cadre du cycle de promenades “Marches à l’ombre”, organisé par l’asbl Barricade, en août 2020.


D’autres mondes en notre monde…

MAURY : Sans titre (1987, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MAURY Jean-Pierre, Sans titre
(série “Sept abstraits construits”)
(sérigraphie, 62 x 52 cm, 1987)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jean-Pierre Maury © arteeshow.com

Après des études de journalisme et de sciences politiques, Jean-Pierre MAURY (né en 1948) entreprend une formation artistique à l’Institut Saint-Luc à Bruxelles où il enseignera par la suite. Il poursuit depuis 1968 une recherche qui trouve sa place dans le développement de la mouvance construite. Après 1978, sa réflexion s’est exercée uniquement sur un élément plastique minimal : le croisement de deux lignes. Il fut cofondateur et coéditeur de la revue “MESURES art international” aux côtés de Jean-Pierre Husquinet, Jo Delahaut et Victor Noël. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

Sérigraphie issue d’un recueil collectif intitulé “Sept abstraits construits” rassemblant des estampes de Marcel-Louis Baugniet, Jo Delahaut, Jean-Pierre Husquinet, Jean-Pierre Maury, Victor Noël, Luc Peire et Léon Wuidar (imprimeur et éditeur : Heads & Legs, Liège). Lors de sa parution, en novembre 1987, le recueil complet fut présenté à la Galerie Excentric (Liège, BE) dans le cadre d’une exposition intitulée “Constructivistes Belges”. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Pierre Maury ; arteeshow.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CAPONY : 1 hour 4 minutes (2016, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

CAPONY Valentin, 1 hour 4 minutes
(pointe sèche, 40 x 30 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

vcapony
Valentin Capony © wbi.be

Né en 1990, Valentin CAPONY est diplômé des Beaux-arts de Saint-Etienne (2011, France), puis de ceux de Bruxelles (2013). Il s’initie à la gravure et à la philosophie autant qu’à la graphie chinoise lors d’un échange scolaire en Chine. Il explique “questionner la place du corps et de l’image dans des processus de répétition”.

Cherchant à éloigner la gravure de l’illustration, il développe une esthétique du vide dans laquelle le geste artistique se compare au geste répétitif de l’ouvrier par les techniques de gravure et les processus d’impression. 

Le titre de l’image reprend le temps qu’il a fallu pour la réaliser. L’artiste cherche ici à faire ressentir un temps passé ou présent, un moment pris à percevoir dans la contemplation de l’image, moment qui relate une action, un geste pur.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Valentin Capony ; wbi.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

SCHENK : Au Nord (2005, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SCHENK Colette, Au Nord
(technique mixte, n.c., 2005)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Colette Schenk © cultureplus.be

Née à Francorchamps le 26 mai 1945, Colette SCHENK a suivi des études d’infirmière graduée de 1963 à 1966. Elle pratique le métier depuis 1978. Dans l’intervalle, elle s’initie à l’art photographique. De 1986 à 1992, elle participe à l’association Jazz Amor, organisation de concerts et festivals de jazz. En 1997-1998, elle s’initie à la mosaïque et à la peinture. En janvier 1999, elle découvre la gravure lors d’un stage. Elle devient alors élève de Daniel Sluse jusqu’en mars 2000, puis de Chantal Hardy. Elle participe dès lors à diverses expositions, collectives ou personnelles, et obtient plusieurs prix (prix des exposants   à Villers-le-Temple en 2003, prix “Chic and Cheap” au parcours d’artistes en 2008, prix “Jean-Claude Vandormael” de la Ville de Liège en 2008).

Cette gravure minimaliste évoque un ciel nuageux qui occupe la majeure partie de la composition. Le bas de l’image présente une série de traits marron foncé, qui pourraient être des piquets émergeant des dunes de la mer du Nord. Sous-jacente à ce paysage très sage, la technique de collagraphie utilisée pour le ciel laisse poindre de larges coups de pinceau, nerveux et désordonnés, qui créent une tension à peine perceptible.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Colette Schenk ; cultureplus.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

SORDAT : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SORDAT Marie, Sans titre
(photographie, 40 x 60 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

633
Marie Sordat © ascenseurvegetal.com

Photographe, enseignante, commissaire d’exposition, Marie SORDAT est née en  1976 en France, mais vit et travaille en Belgique. Depuis 2004, ses images sont publiées et présentées en festivals, musées et galeries. En 2012, la série MotherLand” intègre la Bibliothèque nationale de France et reçoit la sélection du jury du Prix Virginia pour les femmes photographes. Sa monographie EMPIRE” est parue aux Editions Yellow Now en 2015. Depuis 2011, elle enseigne la photographie à l’INSAS où elle organise des séminaires et des rencontres avec les grands photographes belges.

“Cette photographie fait partie de la série “Cendres” ( 2009 ). Je ne légende jamais précisément les images car pour moi c’est le titre de la série qui donne sa “couleur” à une photographie. Dans mon travail, “Cendres” représente le premier chapitre d’une longue trilogie en noir et blanc qui s’est terminée en 2015 et qui évoque la perte des repères personnels et l’attrait pour un monde fantomatique afin de fuir une certaine violence. Cette silhouette est apparue sous le pont de Brooklyn à New-York, et équipée d’un petit appareil argentique très peu performant, j’ai saisi cet instant fugace. Etant donné le peu de lumière, c’est une image qui a ensuite demandé beaucoup de travail au tirage pour isoler le personnage du fond de la ville et nous permettre de nous identifier à sa solitude.” (Marie SORDAT)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Marie Sordat ; ascenseurvegetal.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LECOUTURIER : Sans titre (2014, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LECOUTURIER Jacky, Sans titre
(photographie, 41 x 41 cm, 2014)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

lecouturier
Jacky Lecouturier © lesoir.be

Après des études de photographie à l’Ecole supérieure de l’Image “Le 75”, Jacky LECOUTURIER (né en 1948) devient lui-même professeur dans cette école dès 1972, année durant laquelle il réalise sa première exposition personnelle. Lors de ses pérégrinations en France, en Italie ou en Corse, Jacky Lecouturier a capté ces instants où nos sens sont soudainement mis en alerte par le cadre naturel d’un paysage. (d’après OUT.BE)

Cette image appartient à une série de photographies prises en Corse. Elles ont été exposées à la galerie Détour à Namur et à la galerie Quai 4 à Liège. Emmanuel d’Autreppe parle de cette série en ces mots : “Il faudrait dire en une phrase – ou en quelques photos – l’aube rose qui jaunit les murs de brique rouge, dire en une phrase le lever et le coucher, le pain et le vin, la douceur et le sec, expliquer comment les nuages prennent la forme d’une betterave, saisir ce qui fait une ville et défait les familles, se demander pourquoi Waremme plutôt qu’ailleurs, et partout ailleurs se demander : pourquoi pas Waremme ?, il faudrait dire en une phrase les gens et leurs accents, les bêtes et leurs odeurs, les gosses et leurs espoirs, on pourrait ne jamais se coucher et faire s’entendre le murmure du pavé, le coulis des feuilles, le bruit du monde et celui du caillou… Serré comme un poing, en une phrase silencieuse ou en quelques photos désertées. Le photographe a raison, lui, de croire que ce n’est pas impossible.”

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jacky Lecouturier ; lesoir.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

BRITTE : Erosion 21 (2015, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BRITTE Kevin, Erosion 21
(eau-forte, 76 x 56 cm, 2015)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Kevin Britte © award.renecarcan.be

Né en 1985, Kevin BRITTE est un artiste belge dont le travail cherche à “démontrer l’intérêt que l’homme aurait en ayant une meilleure connaissance de son environnement.” Sa pratique artistique laisse une grande place à l’action des éléments naturels. Sa série “Erosion” lui a valu de remporter le XXIVe prix de la Gravure de la Fédération Wallonie-Bruxelles en 2015.

“Dans ce travail traitant de l’érosion, la seule utilisation de phénomènes naturels comme outils de création est le moyen le plus direct et honnête de, non pas en donner une illustration, mais d’en capter le processus. Pour ce faire les plaques, après avoir été vernies sur place, sont plongées un certain temps dans une rivière, avant d’être retirées et mordues à l’acide.” (Kevin Britte)

“Le travail artistique de Kevin Britte ménage un espace d’expression pour les forces naturelles bien plus qu’il n’exprime le geste de l’artiste. En mettant en place une technique qui lui permet de capter le mouvement de l’eau au fond des rivières, les plaques de zinc immergées sont en même temps marquées par l’érosion des sédiments, ce qui donne une image immobile du courant et du mouvement, autant que de l’imprévisible ballet des bulles d’air, micro-organismes, résidus et autres animaux passant par là. De même que la surface de l’eau a été pour l’humain la seule manière de voir son reflet, les gravures de Kevin Britte agissent de la même manière, utilisant les profondeurs pour réfléchir l’imagination et l’inconscient.” (d’après CVLTNATIONBIZARRE.COM).

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Kevin Britte ; award.renecarcan.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

GODIN : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

GODIN François, Sans titre
(impression numérique, 30 x 40 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Né en 1979, François GODIN se lance dans l’illustration dès la fin de ses études à Saint-Luc Liège et multiplie les expériences et les rencontres (pochette de disques, dessins pour magazines jeunesses et des éditions Milan, deux livres jeunesse, des affiches…).

Evoquant les affiches des années 60, la composition de l’image joue avec la notion d’espace (avec les objets reconnaissables) et la notion d’image plane (avec l’aplat de couleur violette et les jambes qui s’étirent comme deux formes centrales). L’auteur suggère des formes, et s’arrête juste au moment où le spectateur est capable d’en imaginer la suite. Ainsi deux points, un “V” et un arc de cercle figurent un visage, quelques traits un fauteuil…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © François Godin | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

RADU : J’accuse (2020)

Temps de lecture : 2 minutes >

© Patrick Williot 2020

Je m’appelle Félix Radu. Je suis un jeune comédien et auteur.
J’écris depuis longtemps. Longtemps, à 24 ans, ça signifie pratiquement la moitié d’une vie, finalement. Au début, j’écrivais parce que j’étais tout seul. J’étais petit, timide, et avais pour unique ami mon carnet de poésie, « Les Contemplations » de Victor Hugo, et mon ombre (que j’épiais au soleil #Shakespeare, toi-même tu sais).
J’ai donc, par une admiration sans bornes pour le romantisme, commencé à tenir un stylo afin de parler d’amour. Je rédigeais, ici et là, des poèmes pour les filles dont j’étais amoureux. Je dois avouer qu’ils n’ont jamais vraiment eu le succès escompté. Peut-être surestimais-je la rime « Belle-Gazelle » qui était, à l’époque, mon plus grand classique…

Félix RADU sur son site personnel FELIXRADU.COM

J’accuse le temps d’excès de vitesse,
J’accuse la mort de faux et d’usage de faux,
J’accuse le silence de refus de coopérer,
J’accuse les départs d’abandons,
Et les chagrins de coups et blessures.
J’accuse l’amour et les séparations d’associations de malfaiteurs
Et l’habitude de violence conjugale
J’accuse la poésie de ne pas exister
Et la beauté pour ses absences répétées
J’accuse les sourires de vol à mains armés,
Et les yeux de voyeurisme pervers
J’accuse mon coeur de tapage nocturne
Et la mélancolie pour harcèlement.
J’accuse mon ombre d’atteinte à la vie privée.
J’accuse la tendresse de ne pas figurer dans la loi
J’accuse la bêtise pour injure envers l’humanité,
J’accuse la haine et la colère !
J’accuse l’univers pour non assistance à personne en danger
J’accuse mes parents pour homicide involontaire
Et plaide coupable pour les enfants qu’un jour j’aurai.
J’accuse la curiosité de détournement de mineur
J’accuse les religions pour outrage à l’absurde
J’accuse l’ivresse de pots de vin
Et la mémoire de trahison.
J’accuse l’histoire d’aujourd’hui pour plagiat sur celle d’hier,
J’accuse l’esprit pour évasion répétée,
Et l’art pour l’y aider.
J’accuse les hommes d’incohérence
Les larmes de tentative de noyade
Et la solitude d’isolement forcé

J’accuse la peur d’enlèvement
Et l’espoir pour cumul des fonctions.
J’accuse la révolte de ne pas aller voter
J’accuse les traditions de despotisme éperdu
J’accuse les poètes de mourir
Et leurs écrits d’être restés.

En portant ces accusations, j’ignore si je me mets sous le coup de l’opinion public. Et c’est involontairement que je m’y expose. Quant aux choses que j’accuse, je les connais très bien, je les ai des déjà vues, et ai pour elles la plus haute des rancunes et des haines. L’acte que j’accomplis ici n’est pas bien révolutionnaire, et n’empêchera pas le monde de tourner tel qu’il est. Mais, je rejoins cependant Zola sur ce point et c’est sur ces mots que je terminerai : Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en commentaires, et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends.

Félix Radu (juillet 2020)


S’esbaudir encore (avec émotion souvent)…

OOST : Sans titre (2009, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

OOST Jean-Jacques, Sans titre
(linogravure, 46 x 60 cm, 2009)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jean-Jacques Oost © artotheek.be

Né en 1963, Jean-Jacques OOST s’est progressivement construit un projet d’expression très personnel tourné principalement vers la représentation du nu féminin. Son style graphique est à la fois naïf et riche de détails issus de son excellent sens de l’observation. Il prend le temps de s’imprégner de son travail et sait très bien ce qu’il veut faire. Son approche du nu s’affine et s’affirme d’œuvre en œuvre, nous offrant une vision primitive, à la fois naïve et troublante, de la sexualité féminine. (d’après FREMOK.ORG)

Ce nu féminin de Jean-Jacques Oost est représenté d’une manière fortement expressive : trait épais, clair-obscur brutal et fonds tourbillonnant. Seule la délicate application d’un coloris rose vient adoucir l’ensemble. L’aspect naïf du dessin, présent notamment dans la représentation d’un visage hiératique au sourire esquissé, est peut-être contredit par la tête de lapin évoquant avec humour le logo du magazine Playboy.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean-Jacques Oost ; artotheek.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

MONARD : George Sand, écrivain si connu, si méconnu (CHiCC, 2019)

Temps de lecture : 3 minutes >

George Sand © poesielemagny.fr

George Sand… écrivain si connu, si méconnu… Que sait-on d’elle ? Elle s’habillait en homme, fumait en public, scandalisait par ses liaisons (Musset et Chopin). Les manuels de littérature, au chapitre du romantisme, la réduisent à trois romans champêtres, alors qu’elle fut un auteur particulièrement prolifique (70 romans , une centaine d’oeuvres diverses) sans compter 23 volumes de correspondance…

George Sand, de son vrai nom Aurore Dupin, naît à Paris le 1er juillet 1804. Par son père, elle descend du Maréchal Maurice de Saxe, lui-même fils du roi de Pologne, et par sa mère -“une pauvre fille du pavé de Paris“- d’un oiseleur : double ascendance qui la marqua toute sa vie.

A 4 ans, elle découvre le domaine de Nohant, propriété de sa grand-mère Marie-Aurore de Saxe ; celle-ci décide d’élever sa petite-fille, au décès de son fils. La petite Aurore reçoit une instruction solide, rare pour les filles au XIXe siècle. Elle a 17 ans quand, au décès de sa grand-mère, elle apprend qu’elle est sa seule héritière.

Nohant © maison-george-sand.fr

Aurore épouse un avocat, (le baron) Casimir Dudevant. Deux enfants naissent, mais les dissensions dans ce couple mal assorti surgissent. En 1830, Aurore obtient de son mari de vivre la moitié du temps à Paris, l’autre à Nohant : elle veut gagner son indépendance par l’écriture mais aussi pallier les ressources insuffisantes de ses terres.

A Paris, elle entame un travail de “journaliste” et co-écrit un roman avec Jules Sandeau. De retour à Nohant, elle rédige son premier roman, “Indiana” qui ne peut être édité sous son vrai nom ; elle choisit George Sand. Suivront d’autres ouvrages dits féministes où elle dénonce le mariage forcé, les violences faites aux femmes. En 1836 , elle se sépare officiellement de son mari.

Des rencontres avec Lammenais, Michel de Bourges, Pierre Leroux l’ouvrent aux problèmes sociaux, à la condition ouvrière, aux idées républicaines et socialistes. Ses romans tels que “Le Meunier d’Angibault”, “Le Compagnon du Tour de France “, “Consuelo” apparaissent comme la mise en oeuvre du programme de Leroux. Sa position est de plus en plus engagée, affichant des idées ardemment démocratiques.

En 1848, George Sand se réjouit de la mise en place d’un gouvernement républicain : son enthousiasme est de courte durée. L’arrivée au pouvoir de Napoléon III, la répression, le sang versé, la censure l’éloignent définitivement de l’action militante. Elle se retire à Nohant et écrit alors la partie la plus célèbre de son oeuvre, ses romans champêtres, optimistes et buccoliques. Elle meurt à Nohant, entourée de tous les siens, à l’âge de 72 ans.

d’après Andrée MONARD


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte d’Andrée MONARD a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en octobre 2019 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

LEKEU : Fantaisie sur deux airs populaires angevins (V. 24, 1892)

Temps de lecture : 10 minutes >

© Galerie Wittert – ULiège

“Si le Pays de Liège a trouvé en Joseph Jongen un remarquable artisan, le Pays de Verviers a peut-être recélé et perdu un authentique génie.

Il y a un peu plus d’un siècle (1870), naissait à Heusy, dans une petite maison rurale, un grand musicien dont la mort prématurée nous a sans doute privé d’immenses chefs-d’oeuvre. L’enfance de Guillaume LEKEU fut particulièrement heureuse. Le cercle familial faisait plaisir à voir, tant le bonheur y rayonnait. Et c’est très jeune, comme il se doit, que celui qui signait toujours affectueusement ses lettres à ses parents, Vosse bouzou (en wallon : ‘jeune veau espiègle’), manifesta les plus sérieuses dispositions pour la musique. Pour des raisons professionnelles, le père Lekeu, drapier de son état, transplante sa petite famille à Poitiers d’abord, à Angers ensuite.

Guillaume poursuit ses études générales. Il passe brillamment son baccalauréat. Mais voici qu’un terrible coup de foudre le terrasse, l’exalte dans sa quinzième année : Beethoven, le Vieux, le Dieu. La partition de poche des derniers quatuors du maître de Bonn ne le quitta plus. Elle restera son bréviaire. Il compose, bien sûr, parce qu’il sait qu’il ne peut être que compositeur. L’art et la philosophie continuent cependant à le passionner.

Sa famille s’étant cette fois fixée à Paris, il rencontre le critique Théodore de Wizewa, fondateur d’une revue wagnérienne, et le médecin esthète Jean Cantacuzène. Avec ses deux nouveaux amis, il parcourt la Suisse, l’Allemagne, il foule pour la première fois le sol sacré de Bayreuth lors du Festival de 1889. Wagner en deviendra son deuxième dieu. Au retour, il est accepté comme élève par César Franck. L’enseignement qu’il en retirera est incalculable. Hélas, une seule petite année plus tard, le 8 novembre 1890, la mort du maître fait du jeune Lekeu un orphelin spirituel. Son désarroi est terrible. Heureusement, Vincent d’lndy, qui devait avoir subodoré le génie sous-jacent du jeune homme, le prend sous sa vigilante férule. Le 13 avril 1890 est aussi une date capitale dans la trop courte vie de Lekeu. Il rencontre à Verviers un autre illustre compatriote : Eugène Ysaye. Ce sera la commande de la célèbre Sonate pour violon et piano, au lyrisme échevelé, aux délicieuses longueurs, au franckisme transcendé déjà par une originalité tellement personnelle. D’aucuns pensent d’ailleurs que la fameuse Sonate de Vinteuil, ce contrepoint sonore d’un des plus grands romans de ce siècle, Du côté de chez Swann, de Marcel Proust, ne peut être que la sonate de Lekeu. Suprême référence. Déjà les chefs-d’oeuvre succèdent aux chefs-d’oeuvre. C’est le Trio à clavier, les Trois poèmes (sur des textes de l’auteur), le bouleversant Adagio pour cordes, et la Fantaisie sur deux airs populaires angevins.

A Angers, où les parents de Lekeu s’étaient installés en 1888, Guillaume s’était lié d’amitié avec un des membres les plus actifs de la vie musicale angevine, M. de Romain, qui devait d’ailleurs faire jouer toutes les oeuvres de son jeune ami. On raconte que c’est par hasard lors d’un dîner, que Lekeu entendit deux chants populaires locaux qui le séduisirent. Ce fut l’origine de cette oeuvre lumineuse, à l’orchestration chatoyante, tellement pré-debussyste, et bien au-delà de l’esthétique franckiste, qui reste peut-être jusqu’à ce jour son oeuvre symphonique la plus jouée. La Fantaisie fut créée par Eugène Ysaye lui-même à Bruxelles, en juin 1893, et à Verviers quelques mois plus tard, sous «ma noble direction (début), dans un concert très sélect», comme l’écrit Lekeu à son ami Alexandre lissier.


Orchestre Philharmonique de Liège – Dir. Pierre Bartholomée

Le quatuor à clavier, commandé à nouveau par Ysaye, sera sera son chant du cygne inachevé. La légende veut que c’est en mangeant une crème glacée que Guillaume Lekeu a contracté le typhus qui devait l’emporter si jeune. Le 29 décembre 1894, à Angers, Guillaume écrivait à Robert Brussel : «Mon cher ami, voici quinze jours que je vous ai quitté et, depuis lors, je suis malade, à mon désespoir et au très vif ennui de mes parents. Il n’y a rien de dangereux là-dedans (…), mais c’est désagréable. Je ne veux quitter Angers qu’après ma guérison complète (…). Ce sera, je l’espère, dans dix ou douze jours, ou plus tôt.» Injure du sort. Trois semaines après cette lettre, il était mort. Il fut inhumé dans le petit cimetière d’Heusy, son village natal. C’est ainsi que disparut, le lendemain de ses 24 ans, le plus grand musicien que la terre wallonne ait porté depuis César Franck. Si Beethoven était mort à 24 ans, il ne nous aurait laissé aucune symphonie, aucun des sept grands concertos, aucune des sonates pour violon et piano, pour violoncelle et piano, aucun des quatuors, aucune des 32 sonates pour piano… Beethoven ne serait guère plus pour nous qu’un entrefilet dans nos histoires de la musique, que le nom d’un jeune musicien à la mode, prometteur, trop tôt disparu. A 24 ans, Claude Debussy ne nous aurait laissé de ‘consistant’ qu’une seule oeuvre, admirable il est vrai, mais unique, «La Damoiselle élue». Wagner à cet âge n’en était qu’à ses premiers balbutiements. La Tétralogie, Tristan, Parsifal seraient restés à jamais dans les limbes d’une création avortée. A 24 ans, Guillaume Lekeu nous avait donné des chefs d’oeuvre. Déjà le talent laissait poindre l’éclair du génie : Guillaume Lekeu ne demeure pour nous, hélas, que la plus prometteuse des potentialités. Ce qu’il nous réservait, ce qu’il nous aurait donné si la camarde ne l’avait fauché en plein épanouissement, nul jamais ne le saura. Peut-être, qui sait, notre vingtième siècle musical en eût été différent…”

d’après Patrick BATON (programme du concert de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège, dirigé par Pierre BARTHOLOMEE, un 11 décembre du siècle dernier, avec comme solistes Frédéric LODEON et Pierre AMOYAL dans le double concerto de Brahms – collection privée)


L’oeuvre de Lekeu (d’après CLASSIQUENEWS.COM)

Apprentissage : les premiers essais d’écriture.

[…] Lekeu démontre des velléités de composition dès 1885 (Choral pour violon et piano, puis en 887, Morceaux égoïstes…), soit dès ses 15 ans, en particulier pendant ses vacances familiales à Verviers. L’inspiration aborde déjà les poèmes de Hugo, Lamartine (La fenêtre de la maison paternelle, Les pavots), Shakespeare et Goethe sans omettre Baudelaire (Les deux bonnes sœurs) sur le métier desquels le jeune compositeur apprend et réussit les noces délicates, exigeantes de la poésie et de la musique : les mélodies de Lekeu informent sur cette éloquence du cœur et de l’âme qui sont la clé de son écriture. Postromantique, le goût de Lekeu est surtout symboliste, avec, inclination visionnaire, une sensibilité pour les évocations mortifères, lugubres, parfois glaçantes… qui en fin de cycle, inspirera ses propres textes.

Admirateur de Beethoven, Lekeu s’essaie à la forme du quatuor : des nombreuses tentatives dès 1887, remonte le plus achevé (Méditation en sol mineur : énoncé par trois reprises d’un cri de douleur apaisé par une foi finalement salvatrice). Le jeune compositeur poursuit également ses leçons de violon auprès de son professeur Octave Grisard dont le Quatuor crée sa Méditation (après l’avoir débarrassé de ses erreurs d’harmonie). Toujours, Lekeu pourra compter sur l’appui et la collaboration de ses proches, plus âgés et expérimentés que lui dans la maîtrise de l’art. A l’automne 1887, l’écriture occupe désormais toute sa pensée ; le Molto adagio complète la Méditation, exprimant les sentiments chers au caractère du jeune homme : recueillement et profondeur (avec en exergue des citations des Evangiles de Matthieu et Marc sur le Christ au le mont des Oliviers, “mon âme est triste à en mourir”).

Les Morceaux égoïstes (septembre 1887-mai 1888) expriment au piano l’expérience d’une âme sensible désireuse de communiquer sa propre aventure émotionnelle dans une langue mélodique et harmonique, personnelle : en témoigne surtout le Lento doloroso, traversée hypnotique entre songe et cauchemar, d’une âpreté funèbre prenante inspiré d’un poème de Gustave Kahn : “les pleurs sont la langue où ce sont rencontrés / les retours muets d’étranges contrées”. Un sommet de profondeur glaçante que contrepointe totalement l’esprit irrévérencieux et provoquant de la Berceuse et Valse, comportant des références hommages pleins d’humour à Gounod, Delibes, Chopin, etc. De 1888, année d’approfondissement et de maturation, surgit dans sa totalité cohérente (février) l’admirable Quatuor en 6 mouvements V60, dédié à l’ami poitevin, pilier de toujours, Marcel Guimbaud. Entité poétiquement juste, d’un caractère enjoué et lumineux où perce l’originalité inclassable de son Capriccio (4e mouvement et le plus court de la série). De même, fasciné par la fugue, Lekeu parvient à sublimer dans le final, la rigidité de cette forme en un lyrisme libre et personnel. Puis se succèdent, la Sonate pour violoncelle en fa (terminée par D’Indy dans un style trop scolaire et mesuré pour servir de conclusion à la fougue initiale de Lekeu), Quatre séquences (V65) prodigieusement énoncées dans leur maladresse parfois explicite mais dont la sincérité saisit ; adagio malinconico puis allegro molto quasi presto, aux références baudelairiennes ; superbe lento assai (le plus développé et le plus original composé selon la correspondance à minuit). Enfin épilogue qui reprend le thème principal, le même que pour son Trio à clavier.

1889 : la classe de Franck

En 1889, Lekeu poursuit son exploration musicale en abordant l’écriture orchestrale avec l’Introduction symphonique aux Burgraves (avril) : tentative incomplète qui démontre une connaissance très aiguë des thèmes wagnériens. C’est l’été 1889, la fin du Lycée et pour le jeune compositeur encore autodidacte, l’horizon d’une nouvelle carrière musicale d’emblée orientée vers la composition dont le maître choisi est César Franck. Dès septembre, Lekeu se confronte donc aux exercices du Pater Seraphicus : la Première Etude Symphonique concentre les avancées du jeune Lekeu alors disciple de Franck, qui bravant l’ordre de mesure de son maître, ose cependant l’orchestration, lui qui vient de débuter son apprentissage parisien.

La Deuxième Etude Symphonique est inspirée par le Hamlet de Shakespeare (trois parties). En août 1890 sont achevées les deux premières parties : désespérance complexe du héros, pur amour démuni impuissant d’Ophélie (V19 et V22). Le 8 novembre 1890, Franck décède à la suite d’un accident de fiacre : son enseignement n’aura duré qu’un an et demi.

Le Trio à clavier

Sous la direction de Franck, Lekeu, doué d’une fièvre souvent impulsive, apprend la discipline et le contrôle : de 1891, datent des partitions mieux construites, plus profondes encore dans leurs choix dramatiques et expressifs. Trio pour piano, violon et violoncelle (Trio à clavier en ut mineur V70, janvier 1891) : le solide fugato du premier mouvement révèle l’apport du maître Franck à son jeune disciple. Douleur, espoir, rêverie, mélancolie, cri et malédiction… Lekeu y exprime tous ses chers thèmes empruntés aux Romantiques comme aux Symbolistes dont il fait une synthèse très originale. D’autant qu’en conclusion, comme un accomplissement salvateur, le compositeur développe finalement, le “lumineux développement de la bonté”, un parcours spirituel personnel que n’aurait pas renié son maître Franck, lequel avant de mourir, avait témoigné son enthousiasme face à la partition (que Lekeu lui dédiera naturellement en hommage). Solide et consciencieux, ce Trio comporte le métier d’un élève respectueux, certainement encore choqué par la perte de son maître si vénéré.

La Sonate pour piano de 1891 prolonge encore ce devoir de profondeur et de structure auquel l’a initié Franck. C’est un clair hommage aux œuvres pour piano de Franck (Prélude, choral et fugue). Même enracinement franckiste pour le célèbre et régulièrement joué : Adagio pour quatuor d’orchestre (avril 1891) qui porte aussi les vers de Georges Vanor : “Les fleurs pâles du souvenir”. Liberté inouïe de l’écriture (harmonique et mélodique), Lekeu a trouvé sa voie et son langage propre dans cet Adagio, antichambre d’une carrière qui s’annonce particulièrement juste et inspirée ; après la mort de Franck, Lekeu se rapproche de D’Indy, autre élève du Maître et véritable pilier dans la continuation de sa jeune vocation musicale.

A partir de 1891, les compositions de Lekeu sont liées à des événements vécus à Verviers : Epithalame pour le mariage de son ami Antoine Grignard (avril 1891 : la seule partition composée pour l’instrument de son maître, l’orgue dans laquelle il reprend le thème d’Ophélie).

Andromède

Suivent la printanière Chanson de mai (printemps 1891) sur un texte de son oncle Jean, le Chant lyrique pour choeur et orchestre destiné à la Société royale d’Emulation qui la crée le 2 décembre 1891 : partition ambitieuse, jouant de l’éclat partagé dialogué entre voix et fanfare, qui préfigure le grand défi du Prix de Rome auquel Lekeu se présente à Bruxelles la même année. D’Indy stimule le jeune créateur qui passe la première épreuve (écriture d’une fugue à quatre voix et d’un choeur avec orchestre) ; à l’été, Lekeu entre en loge d’écriture sur le thème d’Andromède dont l’arrogante beauté insulte les Néréïdes, filles de Neptune, lequel alors par vengeance lâche sur l’Ethiopie, un monstre affreux semant mort, destruction, désespoir. La cantate de Lekeu – poème lyrique et symphonique pour soli, choeur et orchestre, évoque la supplique des prêtres afin qu’ils désignent une victime expiatoire : Andromède ; la mise à mort de la jeune femme, libérée cependant par Persée… enfin, la victoire finale de l’harmonie dans un épithalame triomphal. Malgré ses espoirs, Lekeu n’obtient le 12 septembre 1891, que le 2e Prix : de fureur, il ne se présente pas à la remise. Il critique la partialité des juges : tous membres des conservatoires royaux de Gand et de Liège dont les élèves ont… naturellement obtenu le Premier Prix et le Premier second prix. Franckiste et parisien, Lekeu l’expatrié a été sévèrement sanctionné. Evidemment, la prière d’Andromède est le point capital d’un drame parfaitement écrit dont le thème de Persée, séquence finale, apporte un éclairage apaisé et salvateur. Tout Lekeu y est condensé dans une science désormais libre et originale, apportant les bénéfices d’un tempérament autonome qui sait ce qu’il doit à Beethoven et Wagner, surtout ses maîtres d’Indy et Franck.

Ysaye entre en scène

Après la déception du Prix de Rome 1891, Lekeu reçoit néanmoins plusieurs commandes : le Larghetto pour violoncelle et orchestre, seule oeuvre concertante aboutie et d’une séduction mélodique tenace (de Joseph Jacob, violoncelliste du Quatuor Ysaye, février 1892) ; la Sonate pour violon et piano demandée par Eugène Ysaye, lequel après l’écoute de la prière d’Andromède créée dans sa version de chambre au cercle des XX à Bruxelles, le 18 février 1892, avait été saisi par le talent du jeune compositeur. Les Trois pièces pour piano (avril 1892) sont commandées par l’éditeur liégeois Muraille : pleines de vie et d’entrain, elles rappellent la vivacité parfois caustique du musicien dans ses lettres. Suivent au printemps 1892, la Fantaisie sur deux airs angevins (dont la mise en forme pour orchestre est favorisé par le très gaulois d’Indy, auteur de la Symphonie cévenole et très soucieux d’affirmer la richesse de la musique française à travers ses idiomes provinciaux) ; il en découle aussi une version pour pour piano à quatre mains : évocation d’un couple pris entre l’ivresse d’un bal et l’abandon intime dans la nature d’une fin d’après midi sous le clair de lune. Les dernières opus de Lekeu sont des mélodies formant cycle, Trois Poèmes créés le 7 mars 1893 à Bruxelles pour le Cercle des XX lors d’un concert organisé autour d’Eugène Ysaye, lequel interprète en outre, la Sonate pour violon et piano dont il est le dédicataire. Dans les poèmes, la mort n’est que songe et l’ivresse amoureuse fait planer sur la nuit (Nocturne), un charme unique qui dévoile une originalité totalement assumée et développée. D’autant que Lekeu en une intuition de coloriste génial ajoute ici la sonorité du quatuor à cordes, bien avant Fauré (la Bonne chanson) et Chausson (la Chanson perpétuelle). L’ultime pièce reste la Berceuse datée de novembre 1892. Lekeu a alors sur le métier le Quatuor à clavier ; il décède à Angers le 21 janvier 1894, peu avant son 24e anniversaire.”

Lire l’article complet sur CLASSIQUENEWS.COM…


RIC 351

En 1994, RICERCAR éditait un coffret qui réunissait une quasi intégrale de l’œuvre de Guillaume Lekeu (1870-1894) ce prodigieux compositeur mort prématurément à l’âge de 24 ans. Admirateur de Beethoven et de Wagner, disciple de Franck, protégé d’Ysaÿe, Lekeu avait, dans ses dernières compositions, ouvert une voie nouvelle qui n’était ni française, ni germanique. C’est à ce périple, depuis les premières compositions écrites à 15 ans aux chefs d’œuvre de 1893, que nous invite cette nouvelle édition. À cette occasion, Jérôme Lejeune a complètement remanié et augmenté le texte de présentation qui propose une analyse chronologique des œuvres. L’écoute de ces compositions dans cet ordre aide à comprendre la façon dont se développe le talent du compositeur, et les citations d’extraits de son abondante correspondance permettent de deviner encore mieux l’état d’esprit de ce jeune homme passionnant et bouleversant qui avait mis en exergue de son Adagio pour Quatuor d’Orchestre cette simple phrase : “Les fleurs pâles du souvenir…”. (coffret 8 CD RICERCAR RIC 351, 2015)


Plus de musique…

DRUEZ : L’architecture et le culte protestant en région liégeoise : les temples comme témoins d’une identité (CHiCC, 2018)

Temps de lecture : 4 minutes >

Liège, Quai Godefroid Kurth © Philippe Vienne

Un patrimoine architectural, à la fois immobilier et mobilier, a fait l’objet d’une étude basée sur des enquêtes de terrain. Un ouvrage de 400 pages en est né, abondamment illustré et dont la conférencière est co-auteur.

La Réforme réside dans les 95 thèses de Martin Luther contre les pratiques du clergé catholique (indulgences, simonie, luxe,…). Publiées en 1517, elles connaissent une diffusion rapide en Allemagne puis au-delà. En Principauté de Liège, la conception d’un Etat incompatible avec une pluralité des croyances engendre une répression contre “l’hérésie”.  Mais des communautés clandestines sont fondées ainsi que des mouvements d’émigration.

La Réforme engendre plus de 30 dénominations ou groupements ecclésiaux reposant sur un socle commun et, suite à l’édit de Tolérance promulgué par Joseph II dans les Pays-Bas, la liberté religieuse en Principauté en 1795 (réunion à la France – déclaration des droits de l’homme) et la Constitution belge en 1831, un patrimoine immobilier du culte (bâtiments divers appelés “temples”) marque l’environnement bâti de notre pays.

Le culte protestant se base sur un maillage dense en Province de Liège et les constructions ou “aménagements” interviennent au fil de l’évolution des communautés sans élaborer une construction théologique significative du culte. Il n’existe donc pas de traité d’architecture protestante ni d’architecte qui aurait fait autorité en la matière ou aurait imposé son style, bien que l’on constate le recours fréquent et systématique à des architectes protestants et qu’il est fait appel de manière récurrente aux mêmes noms.

Liège, Quai Marcellis © Philippe Vienne

La période de l’âge d’or de la construction de ces temples s’étend du milieu du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres, ils empruntent les styles de leur époque moyennant de nombreuses variantes : bâtiments assez monumentaux du XIXe – de style néclassique jusqu’en 1890 et néo-médiéval fin XIXe – mais parfois maisons mitoyennes aménagées ou simplement modifiées quant à la façade. Par exemple : maison privée (Liège – Académie) – chalet en bois (Stockay) – style “chrétien” (Amay) – Art déco (Liège-Marcellis), etc.

Ces bâtiments ont deux fonctions : une vitrine et un outil missionnaire destiné à prolonger l’oeuvre d’évangélisation (survie et croissance de la communauté) et, d’autre part, répondre à des besoins fonctionnels et organisationnels. En fait, les temples du XIXe se caractérisent souvent par leur caractère monumental, comme à Seraing, poursuivant deux buts : prévoir un accroissement présumé des adeptes car la fréquentation augmente et sortir de l’ombre (être vus, d’où la présence parfois d’une tour axiale (Seraing) ou latérale (Grâce-Hollogne) ou d’un clocheton qui sonne le dimanche matin.

Seraing, rue Ferrer © Philippe Vienne

C’est dans l’aménagement intérieur que les temples se démarquent le plus des églises catholiques. La centralité de la parole de la Bible modifie la perception du cufte, soit axé sur son enseignement et la prédication, ce au milieu des croyants rassemblés, et deux sacrements sont retenus, le baptême (par aspersion ou immersion) et la cène (consubstantiation et non transsubstantiation chez les catholiques). Le Christ est présent mais on ne reçoit pas son corps et son sang. Cette notion de rassemblement engendre un mobilier spécifique : une table de communion profane proche des fidèles sur laquelle est posée la Bible et une chaire latérale face à eux. Pas de culte sans musique. Le mobilier est simple, non luxueux mais de qualité, dans une recherche d’économie de moyens, sans autres éléments décoratifs. Les
matériaux intérieurs sont le bois, la pierre, la brique, le fer. Les chaises ou bancs sont alignés ou encerclent la table avec parfois une galerie, le tout favorisant toujours cette notion de “rassemblement”.

Nous retiendrons que le style simple et dépouillé des lieux de culte lui confère une grandeur qui impressionne et où la foi domine. Les temples sont aussi des lieux de vie avec, en annexes, des salles de classe et de projection, des théâtres, des jardins pour repas en commun. Les temples constituent une formidable ouverture sur l’Histoire, la spiritualité, la sociologie, la culture d’une minorité religieuse peu médiatisée. Lieu de conservation d’archives, ils sont aussi les gardiens d’une mémoire écrite.

Aujourd’hui, la minorité protestante ne présente plus le même visage que celui des grands bâtisseurs de temples ; elle est composée de communautés multi-culturelles et multi-ethniques, parfois moins stables et à la sensibilité patrimoniale moins marquée par rapport à la société et à l’espace. On peut donc s’interroger sur l’ avenir de la mémoire que représentent les édifices du cufte protestant. Mais, si ces édifices venaient à disparaître, leur présence immatérielle se perpétuerait à travers les nombreuses rue du Temple (Herstal, par exemple).

d’après Laurence DRUEZ


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Laurence DRUEZ a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en mars 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

HANOCQ : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

HANOCQ Patrick, Sans titre
(acrylique sur papier, 49 x 44 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Patrick Hanocq © Creahm

Avant de bénéficier d’une reconnaissance pour son œuvre peinte, Patrick HANOCQ a acquis une première notoriété grâce à ses activités de danseur et d’acteur au sein des ateliers du Cejiel et du Créahm. Ses toutes premières réalisations sont figuratives. Très rapidement, toutefois, il se construit un vocabulaire abstrait et une méthode de travail caractéristiques : un procédé de quadrillage qui consiste à apposer des signes aux feutres ou aux pastels sur des fonds colorés à l’acrylique. (d’après ARTWIGO.COM)

Cette composition très colorée est composée de masses colorées architecturées par un réseau de traits clairs. Est-ce un plan de ville imaginaire, de plan concentrique, dont les faubourgs envahiraient joyeusement et anarchiquement l’espace ? Ce dessin fait partie d’une suite d’images présentant toutes les mêmes caractéristiques, que l’artiste a répétées de très nombreuses fois.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Patrick Hanocq  ; creahm.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

DESNOS : textes

Temps de lecture : 4 minutes >

Robert DESNOS (1900-1945)

A la mystérieuse

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant
Et de baiser sur cette bouche la naissance
De la voix qui m’est chère?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués
En étreignant ton ombre
A se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas
Au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante
Et me gouverne depuis des jours et des années,
Je deviendrais une ombre sans doute.
O balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps
Sans doute que je m’éveille.
Je dors debout, le corps exposé
A toutes les apparences de la vie
Et de l’amour et toi, la seule
qui compte aujourd’hui pour moi,
Je pourrais moins toucher ton front
Et tes lèvres que les premières lèvres
et le premier front venu.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé,
Couché avec ton fantôme
Qu’il ne me reste plus peut-être,
Et pourtant, qu’a être fantôme
Parmi les fantômes et plus ombre
Cent fois que l’ombre qui se promène
Et se promènera allègrement
Sur le cadran solaire de ta vie.

(​1926, paru dans Corps et biens, 1930)

​​​


Mais je bois goulûment les larmes de nos peines
Quitte à briser mon verre à l’écho de tes cris

Poème à Florence (extrait, 1929)


Les espaces du sommeil

Dans la nuit il y a naturellement les sept merveilles du
monde et la grandeur et le tragique et le charme.

Les forêts s’y heurtent confusément avec des créatures de
légende cachées dans les fourrés.

Il y a toi.

Dans la nuit il y a le pas du promeneur et celui de l’assassin
et celui du sergent de ville et la lumière du réverbère et celle de
la lanterne du chiffonnier.

Il y a toi.

Dans la nuit passent les trains et les bateaux et le mirage
des pays où il fait jour. Les derniers souffles du crépuscule et les
premiers frissons de l’aube.

Il y a toi.

Un air de piano, un éclat de voix.

Une porte claque. Une horloge.

Et pas seulement les êtres et les choses et les bruits matériels.

Mais encore moi qui me poursuis ou sans cesse me dépasse.

Il y a toi l’immolée, toi que j’attends.

Parfois d’étranges figures naissent à l’instant du sommeil et
disparaissent.

Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes
apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d’artifice charnus.

Des pays inconnus que je parcours en compagnie de créatures.

Il y a toi sans doute, ô belle et discrète espionne.

Et l’âme palpable de l’étendue.

Et les parfums du ciel et des étoiles et le chant du coq d’il y
a 2.000 ans et le cri du paon dans des parcs en flamme et des
baisers.

Des mains qui se serrent sinistrement dans une lumière
blafarde et des essieux qui grincent sur des routes médusantes.

Il y a toi sans doute que je ne connais pas, que je connais
au contraire.

Mais qui, présente dans mes rêves, t’obstines à s’y laisser
deviner sans y paraître.

Toi qui restes insaisissable dans la réalité et dans le rêve.

Toi qui m’appartiens de par ma volonté de te posséder en
illusion mais qui n’approches ton visage du mien que mes yeux
clos aussi bien au rêve qu’à la réalité.

Toi qu’en dépit d’un rhétorique facile où le flot meurt sur
les plages, où la corneille vole dans des usines en ruines, où le
bois pourrit en craquant sous un soleil de plomb,

Toi qui es à la base de mes rêves et qui secoues mon esprit
plein de métamorphoses et qui me laisses ton gant quand je
baise ta main.

Dans la nuit, il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de
la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d’êtres.

Dans la nuit il y a les merveilles du mondes.

Dans la nuit il n’y a pas d’anges gardiens mais il y a le
sommeil.

Dans la nuit il y a toi.

Dans le jour aussi.

(Corps et biens, 1930)

Je chante ce soir non ce que nous devons combattre
Mais ce que nous devons défendre.

Les plaisirs de la vie.
Le vin qu’on boit avec les camarades.
L’amour.
Le feu en hiver.
La rivière fraîche en été.
La viande et le pain de chaque repas.
Le refrain que l’on chante en marchant sur la route.
Le lit où l’on dort.
Le sommeil, sans réveils en sursaut, sans angoisse du lendemain.

Le loisir.
La liberté de changer de ciel.
Le sentiment de la dignité et beaucoup d’autres choses
Dont on ose refuser la possession aux hommes.

J’aime et je chante le printemps fleuri.
J’aime et je chante l’été avec ses fruits.
J’aime et je chante la joie de vivre.
J’aime et je chante le printemps.
J’aime et je chante l’été, saison dans laquelle je suis né.

(Chant pour la belle saison, 1938)

Né à Paris en 1900, Robert DESNOS est mort du typhus le 8 juin 1945, au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libérée par l’Armée rouge…

Citez-en d’autres :

OTTE : Le sauvetage des vestiges de la Place Saint-Lambert à Liège (CHiCC, 2018)

Temps de lecture : 3 minutes >

Fouilles de la place Saint-Lambert © Lily Portugaels

“Archéologues et historiens furent plongés au cœur d’un véritable combat, en juin 1977, en faveur des fouilles entreprises pour sauvegarder les vestiges de l’histoire de Liège. Jamais alors je n’aurais imaginé devoir m’allonger entre la lame d’un bulldozer et un sarcophage carolingien afin d’éviter son arasement. Tous les niveaux de pouvoir – communal, régional, national – étaient contre ces défenseurs du passé mais, soutenus par la presse et par la population, ils purent enfin faire changer d’avis les politiciens versatiles au vu de l’importance des découvertes.

En effet, ces fouilles, au départ, n’avaient reçu aucune autorisation. Avec l’architecte Claude Strebelle, un caisson souterrain fut conçu où ces vestiges seraient enfin sauvegardés. Le premier juin 1977, sans autorisation officielle donc, Mlle Danthine, Mme Gheury, le professeur Stiennon, M. Otte et une fidèle équipe entamèrent le bitume. Des prédécesseurs avaient découvert, en 1907, les restes d’un habitat rubané (néolithique, VIe millénaire) sous des fondations romaines. En fait, ce site constitue les témoins du passé de Liège car des traces d’ occupation datent de circa 5.350 ans avant notre ère.

Il semble que des nomades aient occupés les lieux et, voyageant puisque nomades, se soient réinstallés en l’endroit avant de devenir sédentaires. Un immense bâtiment romain y fut construit par la suite, en terrasses, afin de contrer la faible pente de la Place. Cette villa romaine pose un problème car, en général, ce genre d’importante construction romaine se situait sur une hauteur entourée de terres arables, ce qui n’est pas le cas de lieu. La réutilisation de la villa à l’époque mérovingienne est également attestée (transformations et agrandissements, Ve siècle).

V. Tahon, Ruines de la cathédrale Saint-Lambert © Musée Curtius

Par après, des maisons furent bâties au nord de la villa tout en respectant son orientation topographique, une cuve baptismale fut installée dans un bâtiment cruciforme greffé sur la villa romaine sur son flanc nord (église mérovingienne). De la céramique et des petits objets, monnaie, fragment de calice, pince à épiler sacerdotale, placent l’ensemble des ces bâtiments mérovingiens entre les VI e et VIIe siècles. Après l’assassinat de l’évêque Lambert, vers 705, toutes ces constructions furent détruites, la villa arasée et le baptistère comblé. Le successeur de Lambert, l’évêque Hubert, y fit construire une vaste église dédicatoire en l’honneur de son prédécesseur. Les raids normands auraient incendié cette construction et la cathédrale, dite de Notger (XIe siècle), détruisit tous les vestiges antérieurs. Ce magnifique édifice fut saccagé à la fin du XVIIIe et ses ruines arasées en 1820.

Il semble que la sacralité d’un lieu, étalée sur des périodes différentes, l’ait emporté sur la logique architecturale et que ce lieu, sauvé in extremis, soit le cœur historique de notre ville. Une fois de plus, mais cette fois avec un certain succès, il a fallu défendre les témoins de notre passé contre les prédateurs. En effet, tous les bâtiments encadrant la place en surface furent rasés : le Gymnase, le joli théâtre à l’italienne, le Tivoli, la rue Sainte-Ursule et toutes ces maisons du XVIIe et du XVIIIe restées intactes jusqu’en 1980. Liège, que d’erreurs n’a-t-on pas commises en ton nom et au nom d’une prétendue “modernité” !”

d’après Marcel OTTE

En 2000, le chœur de la cathédrale saint-Lambert avait été reconstitué pendant quelques semaines… © Claude Warzée

 

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Marcel OTTE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en avril 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC…

GOOSSENS : Errance 13 (2012, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

GOOSSENS Véronique, Errance 13
(technique mixte, 45 x 35 cm, 2012)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

©veroniquegoossens.be

Née en 1956, Véronique GOOSSENS est diplômée en Arts Plastiques (illustration, BD) de l’Institut Saint-Luc à Bruxelles. Diverses formations à Etterbeek, Ixelles et Boitsfort (sections dessin, gravure), au CAD (section publicité), au Kromatic (section connaissance des couleurs) et dans divers ateliers de peinture à Bruxelles. Depuis 1980, son parcours est pluriel : elle illustre de dessins, de BD et de peintures des histoires, articles, affiches, dépliants, présentoirs, couvertures de livres, panneaux didactiques, carnets de voyages, jeu multimédia. (d’après ARTOTHEQUE.BE)

“L’œuvre gravée que je présente ici fait partie d’une série appelée Errance. Cette démarche se nourrit de vides délibérés, de libres doutes, de réponses abruptes, imprévues. Les individus, les couples, les entités, les singularités y émergent, comme d’une marée noire, du chaos où ils ont été conçus. Malgré eux, ils narrent une histoire que l’on ne devine qu’à moitié, celle de toutes les intimités.” (d’après VERONIQUEGOOSSENS.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © veroniquegoossens.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CLEEREN : Nuage (2018, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

CLEEREN Michel, Nuage
(série “Patience”)
(photographie, 40 x 56 cm, 2018)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Photographe depuis 1980, Michel CLEEREN (né en 1958) mène en parallèle sa recherche personnelle, une profession d’enseignant à l’I.A.T.A. à Namur et une activité de photographe de plateau pour le cinéma (exemple Les convoyeurs attendent de Benoît Mariage encore avec Benoît Poelvoorde – sélection Cannes 2000). Il expose ses photographies en Belgique, mais aussi à Shenyang (Chine), en France et en Angleterre.

Tirée de la série de photographies intitulée Patience”, cette image figurative invite à la contemplation et la rêverie. Son poids poétique résulte non seulement du thème du ciel, mais également de la manière de jouer avec les épaisseurs de l’image. Les grains, les flous emmènent l’image vers la peinture, l’étrangeté et le souvenir (cette coloration du tirage monochrome d’un oxyde transporté par le vent et la pluie, incruste, dans l’intervalle, des sédiments ambiants et l’altération du tirage donne une substance et une pesanteur que seul le temps peut faire)…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Michel Cleeren | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VAN MALLEGHEM : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

VAN MALLEGHEM Sébastien, Sans titre
(technique mixte, 38 x 24 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

AVT_Sebastien-Van-Malleghem_6510
Sébastien Van Malleghem © babelio.com

Né en 1986, Sébastien VAN MALLEGHEM est un photographe indépendant, né en Belgique en 1986. Axé sur des projets de longue haleine, il a suivi pendant quatre ans le quotidien nocturne des policiers et poursuivra son reportage sur la justice dans les prisons belges durant plus de trois ans. Il terminera sa trilogie à propos de la Justice en travaillant sur le monde criminel. En parallèle, Sébastien photographie la Scandinavie entre 2013 et 2016, un travail qui va aboutir sur la publication d’un livre en 2017. (d’après 24H01.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Sébastien Van Malleghem ; babelio.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Après la police, le second champ d’investigation de Sébastien Van Malleghem a été les prisons. “Ce travail témoigne d’un reportage autofinancé depuis 2011 au sein d’une dizaine d’établissements pénitentiaires, dans le prolongement d’une étude de plusieurs années consacrée à la Police belge et à son travail de terrain. Prisons a pour but d’ouvrir le regard sur les détenus; de mettre la lumière sur les carences d’un système judiciaire et carcéral obsolète et pourtant inscrit, encore aujourd’hui, dans le pays qui m’a enseigné les idéaux de justice et d’humanité.” (Van Malleghem) Le résultat est un travail épuré où la folie des uns et la détresse des autres transpirent avec une puissance qui se passe d’artifices. Ses images respirent le malaise. (d’après 6MOIS.FR).

D’autres œuvres sont disponibles à l’Artothèque Chiroux…

Le Code noir (1685)

Temps de lecture : 14 minutes >

SAVOIA Sylvain, Les esclaves oubliés de Tromelin (2015) © Dupuis – Aire libre

Conçu pour donner un cadre juridique à l’exercice de l’esclavage dans les Antilles, le CODE NOIR (1685) fait de l’esclave un être “meuble”, susceptible d’être acquis par un maître au même titre qu’un bien.

“Le Code noir est le nom qui est donné au milieu du XVIIIe siècle à un ensemble de textes juridiques réglant la vie des esclaves noirs dans les îles françaises, en particulier l’ordonnance de soixante articles, portant statut civil et pénal, donné en mars 1685 par Louis XIV, complétée par des déclarations et des règlements postérieurs.

Il existe deux versions du Code noir. La première est préparée par le ministre Colbert (1616 – 1683) et terminée par son fils, le Marquis de Seignelay (1651-1690). Elle est promulguée en mars 1685 par le roi Louis XIV et inscrite au conseil Souverain de Saint-Domingue le 6 mai 1687, après le refus du Parlement de l’enregistrer. La seconde est rédigée sous la régence du Duc d’Orléans et promulguée au mois de mars 1724 par le roi Louis XV, alors âgé de treize ans. Les articles 5, 7, 8, 18 et 25 du Code noir de 1685 ne sont pas repris dans l’autre version.

Ce statut est appliqué aux Antilles en 1687, puis étendu à la Guyane en 1704, à La Réunion en 1723 et en Louisiane en 1724. Il donne aux esclaves et aux familles d’esclaves des îles d’Amérique un statut civil d’exception par rapport au droit commun coutumier de la France de cette époque, et donne aux maîtres un pouvoir disciplinaire et de police proche de celui alors en vigueur pour les soldats, avec des châtiments corporels. Il exige des maîtres qu’ils fassent baptiser et instruire dans la religion catholique, apostolique et romaine tous leurs esclaves, leur interdit de les maltraiter et réprime les naissances hors mariage d’une femme esclave et d’un homme libre. Il reconnaît aux esclaves le droit de se plaindre de mauvais traitements auprès des juges ordinaires et des gens du roi, de témoigner en justice, de se marier, de protester, de se constituer un pécule pour racheter leur liberté. Mais il y est écrit : « En ce sens, le Code noir table sur une possible hégémonie sucrière de la France en Europe. Pour atteindre ce but, il faut prioritairement conditionner l’outil esclave ». Le Code noir légitime les châtiments corporels pour les esclaves, y compris des mutilations comme le marquage au fer…”

[Collection privée]


Quelques extraits du “Code noir” sélectionnés par la BnF :
Article 1er

Voulons que l’édit du feu Roi de Glorieuse Mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles ; ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.

Article 2

Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans huitaine au plus tard les gouverneurs et intendants desdites îles, à peine d’amende arbitraire, lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

Article 3

Interdisons tout exercice public d’autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine qui aura lieu même contre les maîtres qui lui permettront et souffriront à l’égard de leurs esclaves. […]

Article 12

Les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves et non à ceux de leurs maris, si le mari et la femme ont des maîtres différents. […]

Article 16

Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour ou la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys ; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l’arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu’ils ne soient officiers et qu’il n’y ait contre eux encore aucun décret. […]

Article 35

Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort, si le cas le requiert. […]

Article 38

L’esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l’aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lys sur une épaule ; s’il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d’une fleur de lys sur l’autre épaule ; et, la troisième fois, il sera puni de mort. […]

Article 44

Déclarons les esclaves être meubles et comme tels entrer dans la communauté, n’avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d’aînesse, n’être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort et testamentaire…

Le texte intégral, révisé sous Louis XV et publié par les Imprimeries Royales en 1727, est disponible sur le site de la Bibliothèque Nationale de France (BnF) [GALLICA.BNF.FR]


“Le Code noir est le texte juridique le plus monstrueux de l’histoire moderne…”

Promulgué par Louis XIV en 1685, le Code noir réglemente l’esclavage des Noirs aux Antilles, en Louisiane et en Guyane. Pour en savoir plus sur cette infamie légale, le magazine Historia a rencontré Louis Sala-Molins, exégète impitoyable du texte et pourfendeur de toutes les hypocrisies abolitionnistes.

H. Qu’est-ce que le Code noir et quels en sont les principes ?

L.S-M. C´est à l´initiative de Colbert, l’homme des grandes réglementations, que l’on va produire des mémoires sur la situation des esclaves et des plantations. Deux rédacteurs – Charles de Courbon, comte de Blénac, et Jean-Baptiste Patoulet – vont s´y atteler en s’inspirant des pratiques esclavagistes des Espagnols en terre d’Amérique. Le Code, promulgué par Louis XIV en 1685, se compose de soixante articles qui gèrent la vie, la mort, l’achat, la vente, l’affranchissement et la religion des esclaves. Si, d´un point de vue religieux, les Noirs sont considérés comme des êtres susceptibles de salut, ils sont définis juridiquement comme des biens meubles transmissibles et négociables. Pour faire simple : canoniquement, les esclaves ont une âme ; juridiquement, ils n’en ont pas.

Les soixante articles peuvent être compartimentés en fonction de thématiques allant de la religion unique, qui condamne le concubinage, impose le baptême et régit le mariage et l’inhumation des esclaves, à la réglementation de leurs allées et venues, de leur nourriture et de leur habillement, en passant par l’incapacité de l’esclave à la propriété ; son incapacité juridique ; sa responsabilité pénale ; les délits de fuite et de recel ; la justice et le maître face aux esclaves ; l’esclave en tant que marchandise ; l’affranchissement et ses conséquences ; les fautes impliquant le retour à l’esclavage. Les principes essentiels de ce code établissent la déshumanisation de l’esclave, tant sur le plan juridique que civil, et la contrainte théologique qui s’exerce sur sa volonté. Avec la mise en place du Code noir, Louis XIV abandonne complètement l’esclave à son maître. La chosification et la bestialisation sont totales. Le roi se limite à adresser une recommandation à ses sujets pour qu’ils ne malmènent pas leur “propriété” qui est aussi leur “patrimoine”.

H. Dans quel contexte politico-économique apparaît-t-il ?

L.S-M. Le Code noir s’inscrit dans une période de raidissement du catholicisme contre-réformiste. C´est l’époque de la révocation de l’édit de Nantes auquel se substitue l’édit de Fontainebleau. C’est aussi une période de mainmise des jésuites sur des hommes et des femmes qui entourent Louis XIV. Politiquement et économiquement parlant, Colbert désire terminer son travail de réglementation juridique et commerciale. En effet, dans les colonies antillaises, les colons n’en font qu’à leur tête. Il apparaît donc urgent de contenir cet esprit frondeur en réaffirmant la souveraineté de l’Etat dans les terres lointaines. Lorsque le Code est établi, le commerce colonial de la France subit la rude concurrence du commerce britannique. Il faut faire mieux ou au moins aussi bien que les Anglais. En ce sens, le Code noir table sur une possible hégémonie sucrière de la France en Europe. Pour atteindre ce but, il faut prioritairement conditionner l’outil esclave.

H. Quel mode opérationnel l’esclavagisme emprunte-t-il avant qu’on le théorise et qu’on le légalise ?

L.S-M. Sous Louis XIII et Richelieu, la France en est encore à lorgner sur les pratiques esclavagistes bien huilées de la partie espagnole de l’île de Saint-Domingue. Avant la codification, les Français improvisent au coup par coup. La marchandisation des esclaves se fait de façon brutale. Elle obéit à la loi du marché. Le Code noir prétend réglementer une gestion dont le bon plaisir du maître est la clé. Un bon plaisir qui se retrouve dès lors subordonné à celui du roi, avec les conséquences suivantes : le bon plaisir du roi étant légalisé, les caprices de tel ou tel maître deviennent réprimables. Notons qu’ils ne seront jamais réprimés. On en arrive à une aberration : pour la première fois dans l’histoire moderne cohabitent les mots droit et esclavage dans un ensemble homogène de lois. Je considère le Code noir comme le texte juridique le plus monstrueux de la modernité.

H. Les hommes d’Eglise du XVIIe siècle se réfèrent à la Bible pour légitimer l´esclavage. Quels arguments mettent-ils en avant ?

L.S-M. Il y a en effet un florilège de textes bibliques légitimant l’esclavage auxquels hommes d’église et érudits se réfèrent. Les théologiens font grand cas, aujourd’hui, des passages de la Bible où il est question de l’affranchissement des esclaves des Hébreux tous les sept ans (Genèse XVII, 12-13, 23 et 27 ; Exode XXI, 1-21 ; Deutéronome XV, 12-18). En revanche, ils taisent ce passage du Lévitique (Lévitique XXV, 44-66), qu’ils évoquaient alors constamment parce qu’il légitime l’esclavage au sens le plus fort : interdiction aux juifs de mettre des juifs en esclavage, mais ordre aux juifs de se procurer des esclaves, et dans les nations qui les entourent et chez les enfants des hôtes résidant chez eux, qu’ils soient nés ailleurs ou en territoire juif : “Ils seront votre propriété et vous les laisserez en héritage à vos fils après vous pour qu’ils les possèdent à titre de propriété perpétuelle. Vous les aurez pour esclaves. Mais sur vos frères, les enfants d’Israël, nul n’exercera un pouvoir arbitraire.” Voilà pour le principe. Mais quel rapport entre la Bible et les Noirs africains ?

L’africanisation de Canaan apparaît comme une autre clé de légitimation. Les origines de la légende noire de Canaan remontent à l´époque de Noé. Celui-ci décide, après le Déluge, de planter une vigne. Il en tire du vin, le boit, se saoule, et se met tout nu. Un de ses trois fils, Cham, l’aperçoit ainsi dévêtu. Il rigole et part raconter ce qu’il a vu à ses frères. Ces derniers prennent un voile, vont à reculons vers leur père pour ne pas le voir et couvrent sa nudité. Puis ils lui racontent les moqueries dont il a été l’objet. Noé est furieux. Il décide de maudire Cham. Problème : il l’a déjà béni. Alors il décharge toute sa colère sur Canaan, le fils de Cham. Il condamne Canaan à être l’esclave de ses frères. C’est la première fois que le mot “esclave” apparaît dans la Bible. Une vieille tradition rabbinique, très tôt reprise par les exégètes chrétiens, risque une géographie post-diluvienne de l’éparpillement des hommes sur terre en partant des trois enfants de Noé : aux descendants de Sem (les Sémites), les rives orientales et méridionales de la Méditerranée ; à ceux de Japhet (les Japhétites), les rives septentrionales et occidentales de cette mer ; à ceux de Cham (les Chamites), les terres inconnues de l’Afrique, aussi loin qu’elles s´étendent. Fils unique de Cham, Canaan devient la souche de toute la population noire… Conclusion : les Noirs héritent tout naturellement de l’esclavage. Aussi simple que cela, et pour l’exégèse juive et pour l’exégèse chrétienne. Dans cette tradition blanco-biblique, l’esclavage des Noirs est parfaitement légitimé et la traite apparaît dès lors comme un moyen providentiel de christianisation.

H. Dans votre ouvrage Le Code noir ou le calvaire de Canaan , vous dites qu’à l´orée de la philosophie, l’esclavage est donné comme allant de soi. Est-ce à dire que l’asservissement est un corollaire des sociétés issues de la culture gréco-romaine ?

L.S-M. La thématique de l’asservissement est banale chez Platon. Dans les Lois, il fait apparaître l’esclave dans un chapitre concernant… les objets perdus. Que faire quand on trouve un esclave perdu ? On le rend tout simplement à son maître. La question de l’esclavage est acceptée et non raisonnée chez Platon. Elle est argumentée chez Aristote qui défend tranquillement l’existence d’un esclavage naturel, à ne pas confondre avec celui dont la source est la captivité pour faits de guerre ou de razzia. Pour Aristote, en toute logique, les fils des esclaves par captivité naissent aussi naturellement esclaves que ceux des esclaves naturels. Et la philosophie ne s’en porte pas plus mal… On s’aperçoit à les lire que ce qui préoccupe ces penseurs, ce n’est pas de savoir si l’esclavage est juste ou injuste, mais d’éviter que la vertu du maître ne périclite au contact de la nature résolument vicieuse de l´esclave.

H. Vous parlez de l’obscénité du silence des philosophes des Lumières sur la question de l’esclavage. Pourquoi ce mutisme ?

L.S-M. Les Lumières se moquent du catéchisme qui pose le principe de “tout homme image de Dieu” induisant une égalité fondamentale. Net et clair en langage d’aujourd’hui : les Noirs portent le péché de Canaan, et sont donc légitimement esclaves ; mais, “images de Dieu“, ils sont anthropologiquement aussi parfaits que les Blancs et parfaitement évangélisables.

Ce schéma est en radicale contradiction avec le soubassement épistémologique des philosophes des Lumières. En leur temps, la science anthropologique, c´est Buffon. Avec Buffon apparaît une rude hiérarchisation des races. Les Noirs jouent des coudes avec les orangs-outans pour occuper le palier le plus bas de la pyramide des races. Buffon voit dans le Blanc une perfection éthique, esthétique, physique. Quand les philosophes évoquent la perfectibilité et la dégénérescence, ils parlent pour le Blanc de perfectibilité morale. Pour les Noirs, anthropologiquement dégénérés, il s’agit d´une perfectibilité qui leur permette de se blanchir. Ce qui pour les Blancs est d’ordre purement moral est pour les Noirs d’ordre anthropologique. Les Lumières critiquent ici et là les excès des violences inutiles perpétrées par les négriers, mais à aucun moment elles ne remettent clairement en question et jusqu’au bout le principe de l’esclavage des Noirs. Il y a comme une incapacité, pour ces gens de lettres cimentés dans les schémas de Buffon, de voir les Noirs autrement qu’en dégénérescence et en attente d´un improbable mouvement vers l’accomplissement parfait du Blanc.

Prenez le cas de Diderot et de Raynal. Malgré leurs belles paroles, ils ne sont pas les derniers à toucher des dividendes sur l’esclavage. Ils montrent par leur pratique qu’on peut pleurer sur le triste sort fait aux esclaves noirs tout en engageant de l’argent dans les compagnies négrières et en touchant des bénéfices.

Autre exemple : Condorcet. Réputé pour avoir combattu l’esclavage, il propose pourtant un moratoire de soixante-dix ans entre la date où on décrète que l’esclavage est une monstruosité et le moment où l’esclave va être traité comme un homme. Il demande aussi qu’il y ait quinze ans pendant lesquels le travail de l’esclave dédouanera le maître des frais d’achat et de formation de l’esclave avant son affranchissement. Pour rassurer les maîtres qui s’inquiètent de savoir qui va travailler leurs terres, Condorcet arguë que les esclaves affranchis ne savent rien faire d´autre que les travaux agricoles. Les anciens maîtres pourront continuer à les exploiter commodément. Notre grand penseur a l’élégance de leur rappeler que les travaux des champs pouvant être faits par n’importe qui, les salaires y sont beaucoup plus bas que partout ailleurs… Je sais bien qu’il est de bon ton de s’extasier sur l’abolitionnisme de Condorcet. Si, au pays des aveugles, le borgne est roi, au pays des esclavagistes en jabot et dentelles, il n’est pas interdit d’admirer la rhétorique retorse de celui qui peste contre l’esclavage, mais demande soixante-dix ans pour l’abolir, qui déclare plus tard, en chorus avec les Amis des Noirs, vouloir la fin de la traite, non celle de l’esclavage, et conclut qu’il serait sage d´affranchir les métis, au sang rédimé par le sang des Blancs, et que les Noirs pourront toujours attendre. Je n’invente rien. Condorcet a écrit en 1788 Réflexions sur l’esclavage des nègres. Il suffit de lire.

H. Parlez-nous de la théorie des climats, qui là encore justifie l’esclavage de façon extravagante…

L.S-M. Pour la France, cette théorie naît au XVIIIe siècle avec Montesquieu. Mais, deux siècles avant, l’écrivain espagnol Las Casas ironise sur les fondements de la théorie posés par Ptolémée de Lucques au XIVe siècle. Ce dernier se livre à des calculs sur les rapports entre les astres et les hommes, les saisons et les hommes, les régions et les hommes. Ptolémée de Lucques affirme par exemple que les Indiens vivent dans des latitudes et des longitudes qui influent sur leur psychologie, il en va de même pour les Noirs.

Et d’ajouter que l’intensité de l’ensoleillement a un impact direct sur l’assoupissement des esprits. Las Casas s’amuse au XVIe siècle à faire tourner le globe terrestre. Il en conclut qu’en France, si l’on s’en tient à ces calculs longitudinaux, les Francs-Comtois feraient de bons esclaves !

Pour Montesquieu, le climat fait les hommes. Les hommes font les lois, mais ils les font en fonction de ce qu’exigent les climats. Il conclut que s´il y a un esclavage naturel, c’est climatiquement chez les Noirs qu’on le trouve. Le gouvernement qui leur convient est la tyrannie, seule à même de les mettre au travail. Pour les climats tempérés, il préconise la République ! La théorie des climats chez Montesquieu et la hiérarchisation des races chez Buffon relèvent de la même logique. Sous l’influence de ces deux critères, les Lumières se fourvoient complètement. Je regrette que les philosophes de ce temps n’aient pas gardé un œil critique sur ce que pouvait l’égalité adamique qui permettait de mettre de côté toutes ces foutaises.

H. A partir de quel moment, d’un point de vue politique, commence-t-on à condamner l’esclavage ?

L.S-M. L’un des déclics, c’est l’implantation de l’Angleterre en Inde. A partir de ce moment, il va y avoir une réflexion d’ordre économique de laquelle naîtra une dérive idéologique. En acquérant d’autres sources de travail, de main-d’oeuvre, d’exploitation et de commerce, l’Angleterre peut s’offrir quelques velléités humanistes du côté de ses îles. On passe alors rapidement à la physiocratie et à l’idée selon laquelle on peut récupérer autant de biens par un travail salarié que par un travail d’esclave. On en arrive même à se demander si l’esclavage ne coûte pas plus cher que le travail salarié. Cela coïncide en France avec la poussée pré-révolutionnaire et révolutionnaire. Les Amis des Noirs s’engagent nettement contre la traite, l’abbé Grégoire en tête. Mais il s’agit d’un abolitionnisme par étapes et purement raciste, nous l’avons vu chez Condorcet.

Quid de l’abolition décrétée par la Convention en février 1794 ? Elle vient après la révolte des esclaves noirs de Saint-Domingue en 1791, après que Toussaint-Louverture a arraché, les armes à la main, l’abolition dans son île en 1793, et alors que l’Angleterre pousse de toutes ses forces pour s’implanter dans la région. “Citoyens, c’est aujourd’hui que l’Anglais est mort ! Pitt et ses complots sont déjoués ! L’Anglais voit s’anéantir son commerce.” Ça, c’est le commentaire de Danton. Le commerce, donc, et pas la morale…

H. Dans quel climat idéologique intervient l’abolition de 1848 ?

L.S-M. L´Angleterre contrôle la mer et impose une politique d’abandon de la traite. La France rechigne mais se résigne sous la pression. Cela étant, le débat sur l’abolition ne concerne que les érudits et n’intéresse pas l’opinion. Victor Schoelcher n’est pas, dès le départ, partisan de l’abolition immédiate. Il propose, lui aussi, un moratoire. Mais, en se rendant aux Antilles, il prend conscience des conditions de vie déplorables des esclaves et de la réalité du marronnage. Il craint l’explosion et donne l’alerte. En rentrant en France, il prône l’abolition sans délai.

H. Quelle place occupe aujourd’hui le Code noir dans les manuels scolaires ?

L.S-M. Une place minime, et c’est bien ce que je déplore…”


“Né en Catalogne en 1935, Louis Sala-Molins vit en dictature franquiste jusqu’à vingt ans et, à cet âge, il a la chance de pouvoir quitter son pays. Sa formation universitaire le conduit en Italie, en France et en Allemagne. C’est à la Sorbonne d’abord -où il a la chance et l’honneur d’être l’assistant puis le successeur de Vladimir Jankélévitch– et, en fin de parcours, à Toulouse, au plus près de sa Catalogne natale, qu’il exerce sa charge de professeur de philosophie politique. Ses recherches et l’essentiel de ses publications portent sur les partouzes de la philosophie, de la théologie et du droit dans le confort douillet du dogmatisme. Il essaie de comprendre deux épisodes, particulièrement longs et ragoûtants, parmi les plus scandaleux de ces coucheries : l’inquisition romaine et ses réglementions, contemporaines du Moyen Age, de la Renaissance et de la Modernité ; la traite de signe chrétien, l’esclavage des Noirs et leurs codifications, contemporaines des Lumières. A ces réglementations et à ces codifications il a consacré plusieurs de ses ouvrages. Louis Sala-Molins est professeur émérite de philosophie politique à l’Université de Paris I et de Toulouse II. Il a publié, entre autres : Le Code Noir ou le calvaire de Canaan (Paris : PUF, 1987). [d’après BABELIO.COM]


D’autres contrats sociaux à débattre…

THIRY, Georges (1903-1994)

Temps de lecture : 4 minutes >

René Magritte par Georges Thiry en 1958 © Tous droits réservés

Georges THIRY (1903 à Welkenraedt – 1994 à Ethe-Virton) est un photographe liégeois autodidacte, grand ami des surréalistes et ayant fait l’objet en 2001 d’une rétrospective au Musée de la Photographie à Charleroi. Georges Thiry a réalisé entre autres des photos de ses confidentes et amies prostituées. Ces magnifiques images en noir et blanc, où l’humour et la tendresse sont constamment présents, confèrent aux portraits une exceptionnelle dimension d’humanité…


Le Musée de la Photographie, Centre d’art contemporain de la Fédération Wallonie-Bruxelles à Charleroi, a été inauguré en 1987 dans l’ancien carmel de Mont-sur-Marchienne. Il est le plus vaste et un des plus importants musées de la photographie en Europe (6.000 m²), avec une collection de 80.000 photographies dont plus de 800 en exposition permanente et la conservation de 3 millions de négatifs.


Bruxelles vers 1950 © Fonds Georges Thiry

“Ami des Surréalistes belges, il aimait les artistes en général et les prostituées en particulier. Les portraits qu’il a fait des premiers, les notoriétés comme René Magritte, Paul Nougé, Christian Dotremont ou Louis Scutenaire, ont certainement contribué à sa reconnaissance. Quant aux secondes, les belles inconnues, les filles de joie, elles sont restées dans l’ombre discrète des savants contre-jour qu’il affectionnait.

Illustres ou non, tous ses modèles bénéficiaient du même traitement : il les photographiait de préférence chez eux, à leur aise dans leur décor familier. Pour les prostituées, ce dernier se confond souvent avec le lieu de travail, généralement une chambre où elles posent sans artifice, fumant une cigarette, réajustant un bas… Parfois, elles se prêtent au jeu d’une petite saynète improvisée dans l’arrière-cour : Finette en peignoir, Finette lisant un livre, Finette montrant ses fesses

Dans l’histoire de la photographie, ils ne sont pas si nombreux à avoir franchi le seuil des maisons closes avec un appareil photo. On connaît, au XIXe siècle, quelques images d’Eugène Atget, un reportage sur les maisons closes d’Albert Brichaut, les séries photographiques de Bellocq à Storyville, puis quelques années plus tard, les facéties érotiques de Monsieur X, les filles de la nuit de Brassaï, enfin les travaux de Jane Evelyn Atwood ou de Christer Stromholm. Une poignée de photographes pour une poignée d’images… sans compter toutes ces photographies anonymes prises dans le secret des alcôves que nous ne connaîtrons jamais.

Georges Thiry fait donc partie de ces rares initiés qui ont su gagner la confiance des prostituées. Il était le client photographe, suffisamment ami de ces dames pour qu’elles s’offrent à l’objectif sans minauder, ni jouer les prostituées. D’ailleurs, il ne les photographiait pas pour ce qu’elles avaient à vendre, le sexe, mais pour ce qu’elles étaient réellement, au-delà des étiquettes, saisissant des moments rares d’abandon comme cette femme en contre-jour, fumant une cigarette devant la fenêtre, le regard perdu… C’est cette confiance établie entre le photographe et ses modèles, cette sincérité de part et d’autre, cette impression, souvent, de bonne humeur partagée qui font le prix de ces images dénuées de voyeurisme.

© Yellow Now

A ce titre, le fonds Georges Thiry (ces quelques centaines de négatifs retrouvés par la galerie Lumière des roses et cet autre millier de négatifs déposé au Musée de la Photographie de Charleroi) est un ensemble exceptionnel.

De la photographie, Georges Thiry disait simplement : « Voilà ma petite passion ». Des filles qu’il fréquentait, des portraits tendres et superbes qu’il faisait d’elles, il aurait pu dire de même.”

d’après ARTLIMITED.NET


ISBN 9782873401542

Emmanuel d’Autreppe, André Stas et Marc Vausort, Georges Thiry (1904-1994). La photographie et autres petites passions (Yellow Now  / Musée de la Photographie de Charleroi, 2001) : “Georges Thiry apparaît comme un phénomène dans le monde de la photographie en Belgique; un cas à part, hors norme. Première rétrospective de son oeuvre, l’exposition présentée [en 2001] au Musée propose un choix de près de 400 photographies. Une véritable redécouverte, car pour la première fois tous les aspects de son travail photographique seront exposés. Il y a des portraits d’artistes ou écrivains: Broodthaers, Magritte, Dotremont, Mariën, Bellmer, Tzara ou Ponge et de prostituées ou de gens de la rue…”


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, correction et iconographie | sources : artnet.net | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart  | crédits illustrations : © Fonds Georges Thiry | Remerciements à Eric Dederen.


En voir plus…

LANNEAU : La vie à Liège entre les deux guerres (CHiCC, 2018)

Temps de lecture : 4 minutes >

© rtbf.be

En 1918, Liège sort meurtrie tant moralement que matériellement. Le vieux gouverneur Delvaux de Fenffe peut saluer la délivrance alors que le Roi et la Reine visitent la Cité Ardente le 29 novembre. Le bilan matériel est lourd pour la province : 1.202 fusillés, 3.127 immeubles incendiés, la population passant de 173.800 habitants en 1914 à 163.000 en 1920. L’économie est touchée, les entreprises ne pouvaient fonctionner sans autorisation (arrêté de 1917) et les Allemands avaient démonté, pillé ou détruit des installations et du matériel.

Le secteur charbonnier, moins touché, est vieilli et la reconstruction de l’appareil industriel ne s’accompagne pas d’une rationalisation réelle du secteur sidérurgique. Dans l’entre-deux-guerres, l’industrie recule. Les séquelles psychologiques -souvenirs de la tragédie pieusement entretenus- font que la Ville rebaptise des lieux (place Foch, rue Clémenceau, place du Vingt-Août), construit des monuments (Mémorial interallié début 1928) en mémoire et engendre une farouche germanophobie. La francophilie se fait débordante et le Président Poincaré remet la Croix de la Légion d’honneur (obtenue en 1914). On célèbre le 14 juillet, les réceptions franco-belges se multiplient, on diffuse la pensée et les arts français. Telle est l’atmosphère de Liège dans ces premières années de l’après-guerre.

Quant à la politique locale, historiquement Liège est dominée par le parti libéral (bourgmestre libéral de 1830 à 1940), doit composer avec les catholiques mais aussi avec les socialistes depuis l’élargissement du droit de suffrage en 1895. L’évolution, résumée, sera la suivante :

  • 1921 : Parti ouvrier belge (POB) 38%, catholiques 31%, libéraux 29%, bipartite libéraux -catholiques ;
  • 1926 : situation financière difficile ; recul libéral de 2 sièges, recul idem  des socialistes (parti communiste apparaît) et gain de 2 sièges pour les catholiques. Bipartite reconduite et Xavier Neujean est bourgmestre. A la Province, majorité socialiste (gouverneur socialiste).
Reconstruction du Pont des Arches © MET

Dans les années vingt, la Ville et la Province construisent une politique de préoccupations sociales (écoles, bibliothèques, activités d’éducation populaire, intercommunales -ALE, CILE-, logements sociaux). Suite aux inondations du 1er janvier 1936, 42 stations de pompage sont construites  (de 1931 à 1938). En 1930, l’Exposition internationale à Liège ne séduit pas pleinement (7 millions de visiteurs contre 12 attendus) mais donne à Liège l’occasion de mener de grands travaux : on reconstruit le Pont des Arches et le pont Maghin, on rénove les gares du Palais et des Guillemins, on crée le pont de Coronmeuse, le pont-barrage de Monsin et on entreprend les travaux du canal Albert (10 ans de travaux, 12.000 ouvriers).

En 1930, Liège est une ville active et dynamique, 5 journaux quotidiens, théâtres, nombreux cinémas, musées et galeries, le Val-Benoît (1931 à 1937). Néanmoins, la population étudiante est en stagnation par rapport à 1914 et subit une diminution des étudiants étrangers dans les années 1930. Un déclin est entamé, le krach de Wall Street (1929) engendre, vers 1931, une déflation : les salaires et allocations diminuent, le chômage devient massif en 1932 et 1933, les charges pour la Ville et l’assistance publique sont multipliées par 40 en 3 ans et, en 1934, le budget communal est déficitaire de 8 millions.

En 1940, le mali du budget ordinaire sera de plus de 80 millions. Les grands secteurs économiques liégeois sont touchés, plusieurs banques disparaissent. Le secteur minier est recentré (pertes d’emplois) et, à l’été 1932, un mouvement social très dur sévit (arrestation de Julien Lahaut). En 1936, Hitler viole traités de Versailles et Locarno en remilitarisant la Rhénanie et s’installe chez nous le parti fasciste de Léon Degrelle [Rex], les partis traditionnels reculent, les communistes gagnent 15% et les rexistes 22%. La bipartite POB-PL de 1932 n’est pas reconduite mais bien une coalition inédite de type “Front populaire” (POB et communistes). 1936 est marquée par d’importants mouvements de grève et incidents pour l’obtention des congés payés, la semaine des 40 heures, augmentation des salaires et liberté syndicale. En 1938, “Liège devait être la citadelle du rexisme, elle a été son Waterloo” dira Georges Truffaut suite à l’échec des rexistes, une tripartite libéraux-socialistes et catholiques est décidée.

Les anciens Bains de la Sauvenière © mnema.be

Depuis les années 30, Liège a lancé de grandes opérations urbanistiques dont Truffaut fut le principal artisan (décédé en 1942 au Royaume-Uni) : le nouveau pont de Longdoz, les Bains de la Sauvenière, le Lycée Léonie de Waha, le port autonome, le Grand Liège et l’Exposition internationale de l’Eau (mai 1939) qui fermera “provisoirement” en signe de deuil suite à l’explosion des ponts d’Ougrée et du Val-Benoît, faisant 17 morts et des dizaines de blessés, mais ne rouvrira jamais. Ces ponts, minés, ont été touchés par la foudre. Le 1er septembre 39, la guerre éclate et la Belgique se proclame neutre, mais Liège prend fait et cause pour la France contre la politique de Léopold III. Le bourgmestre Neujean et l’échevin Buisseret ont choisi Paris et non Berlin. Dans cette course folle des événements, les Liégeois savent d’où viendra le danger. Le 10 mai 1940, les armées allemandes envahissent la Belgique et neutralisent le fort d’Eben-Emael, supposé imprenable. Elles s’installent à Liège le soir du 11. L’Occupation a commencé.

Catherine LANNEAU


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Catherine LANNEAU a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en février 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

 

ORWELL : textes

Temps de lecture : 18 minutes >

George Orwell (1903-1950) au micro de la BBC

Ce qui importe avant tout, c’est que le sens gouverne le choix des mots et non l’inverse. En matière de prose, la pire des choses que l’on puisse faire avec les mots est de s’abandonner à eux.

La novlangue de George Orwell,
un instrument de domination

Comment la langue peut-elle devenir un instrument de domination ?” C’est la question que se pose George Orwell dans “1984” avec la [le ?] novlangue imposée par le pouvoir. Jean-Jacques Rosat, professeur de philosophie et éditeur, explique comment Orwell tente de nous prévenir des dangers du prêt-à-parler.

Il y a 70 ans paraissait le roman 1984, de George Orwell, l’un des récits les plus bouleversants du XXe siècle. Dans ce livre, un régime totalitaire modifie le langage pour s’assurer du contrôle des masses. George Orwell y  montre comment les mots peuvent devenir un instrument de domination.

Afin de s’assurer le contrôle des esprits, les autorités ont créé cette novlangue (newspeak), censée remplacer l’anglais traditionnel (oldspeak).

Jean-Jacques Rosat, professeur de philosophie, éditeur et spécialiste d’Orwell : “Il y a deux volets dans cette entreprise. Le premier concerne le langage courant. Il est extrêmement appauvri, il n’y a plus de distinction entre les mots et les verbes. On déshabille les mots de toutes les significations secondaires. C’est presque un monosyllabe, une idée.

Et puis un deuxième volet, plus intéressant, l’invention d’un certain nombre de mots qu’Orwell appelle des “blanket words”, des mots-couvertures. Ce sont des mots très généraux comme par exemple “crimethink”, “pensée criminelle”ou “oldthink”, ”vieille pensée” qui vont recouvrir tout un ensemble de concepts anciens pour pouvoir les étouffer et les remplacer. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que ce n’est pas de la censure. La censure ça consiste à interdire de prononcer un mot. Le but là, c’est de vous enlever cette pensée de la tête.

Socialiste libertaire, George Orwell est proche du parti travailliste. Il s’engage aux côté des brigades internationales lors de la guerre civile espagnole. Pour écrire 1984, Orwell s’inspire de l’expérience stalinienne en URSS et de la propagande du IIIe Reich en Allemagne. Mais il regarde aussi chez lui au Royaume-Uni, à son époque. Dans un essai publié en 1946, La Politique et la langue anglaise, il montre comment le discours politique ambiant appauvrit la langue et en corrompt le sens.

Jean-Jacques Rosat : “En politique, on voit très bien à quoi ça s’applique, c’est les phrases toutes faites. Un journaliste vous pose une question et vous avez des éléments de langage tout faits qui vont constituer un acte de communication mais certainement pas un acte de pensée, de réflexion. Les jargons, les phrases toutes faites, les métaphores toutes faites. Tout ce vocabulaire-là empêche de penser, c’est un vocabulaire automatique.

Orwell est un écrivain, pas un théoricien politique. Mais la novlangue qu’il invente dans 1984 est une mise en garde universelle contre l’instrumentalisation du langage. Il donne des conseils au lecteur pour ne pas se laisser manipuler par les mots.

Jean-Jacques Rosat : “Pensez à ce que vous dites, essayez de ne dire que des choses que vous pensez et qui ont du sens. Défiez-vous farouchement de toutes les mécaniques de langage dans lesquelles c’est la langue qui pense à votre place, donc d’autres que vous qui pensent à votre place. Si vous faites ce travail sur vous-même, ça ne changera pas la société du jour au lendemain mais c’est une condition pour la démocratie et pour une société humaine.

Lire l’article original de Yann LAGARDE sur FRANCECULTURE.FR (article du 7 juin 2019)


Les principes du novlangue

(Appendice à 1984, Paris : Gallimard, 1950 pour la traduction française)

Le novlangue a été la langue officielle de l’Océania. Il fut inventé pour répondre aux besoins de l’Angsoc, ou socialisme anglais.
En l’an 1984, le novlangue n’était pas la seule langue en usage, que ce fût oralement ou par écrit. Les articles de fond du Times étaient écrits en novlangue, mais c’était un tour de force qui ne pouvait être réalisé que par des spécialistes. On comptait que le novlangue aurait finalement supplanté l’ancilangue (nous dirions la langue ordinaire) vers l’année 2050.
Entre-temps, il gagnait régulièrement du terrain. Les membres du Parti avaient de plus en plus tendance à employer des mots et des constructions grammaticales novlangues dans leurs conversations de tous les jours. La version en usage en 1984 et résumée dans les neuvième et dixième éditions du dictionnaire novlangue était une version temporaire qui contenait beaucoup de mots superflus et de formes archaïques qui devaient être supprimés plus tard.
Nous nous occupons ici de la version finale, perfectionnée, telle qu’elle est donnée dans la onzième édition du dictionnaire.
Le but du novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc, mais de rendre impossible tout autre mode de pensée.
Il était entendu que lorsque le novlangue serait une fois pour toutes adopté et que l’ancilangue serait oublié, une idée hérétique – c’est-à-dire une idée s’écartant des principes de l’angsoc – serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots.
Le vocabulaire du novlangue était construit de telle sorte qu’il pût fournir une expression exacte, et souvent très nuancée, aux idées qu’un membre du Parti pouvait, à juste titre, désirer communiquer. Mais il excluait toutes les autres idées et même les possibilités d’y arriver par des méthodes indirectes. L’invention de mots nouveaux, l’élimination surtout des mots indésirables, la suppression dans les mots restants de toute signification secondaire, quelle qu’elle fût, contribuaient à ce résultat.
Ainsi le mot libre existait encore en novlangue, mais ne pouvait être employé que dans des phrases comme « le chemin est libre ». Il ne pouvait être employé dans le sens ancien de « liberté politique » ou de « liberté intellectuelle ». Les libertés politique et intellectuelle n’existaient en effet plus, même sous forme de concept. Elles n’avaient donc nécessairement pas de nom.
En dehors du désir de supprimer les mots dont le sens n’était pas orthodoxe, l’appauvrissement du vocabulaire était considéré comme une fin en soi et on ne laissait subsister aucun mot dont on pouvait se passer. Le novlangue était destiné, non à étendre, mais à diminuer le domaine de la pensée, et la réduction au minimum du choix des mots aidait indirectement à atteindre ce but.
Le novlangue était fondé sur la langue que nous connaissons actuellement, bien que beaucoup de phrases novlangues, même celles qui ne contiennent aucun mot nouveau, seraient à peine intelligibles à notre époque.

Les mots novlangues étaient divisés en trois classes distinctes, connues sous les noms de vocabulaire A, vocabulaire B (aussi appelé mots composés) et vocabulaire C. Il sera plus simple de discuter de chaque classe séparément, mais les particularités grammaticales de la langue pourront être traitées dans la partie consacrée au vocabulaire A car les mêmes règles s’appliquent aux trois catégories.
Vocabulaire A. – Le vocabulaire A comprenait les mots nécessaires à la vie de tous les jours, par exemple pour manger, boire, travailler, s’habiller, monter et descendre les escaliers, aller à bicyclette, jardiner, cuisiner, et ainsi de suite… Il était composé presque entièrement de mots que nous possédons déjà, de mots comme : coup, course, chien, arbre, sucre, maison, champ. Mais en comparaison avec le vocabulaire actuel, il y en avait un très petit nombre et leur sens était délimité avec beaucoup plus de rigidité. On les avait débarrassés de toute ambiguïté et de toute nuance. Autant que faire se pouvait, un mot novlangue de cette classe était simplement un son staccato exprimant un seul concept clairement compris. Il eût été tout à fait impossible d’employer le vocabulaire A à des fins littéraires ou à des discussions politiques ou philosophiques. Il était destiné seulement à exprimer des pensées simples, objectives, se rapportant en général à des objets concrets ou à des actes matériels.
La grammaire novlangue renfermait deux particularités essentielles. La première était une interchangeabilité presque complète des différentes parties du discours. Tous les mots de la langue (en principe, cela s’appliquait même à des mots très abstraits comme si ou quand) pouvaient être employés comme verbes, noms, adjectifs ou adverbes. Il n’y avait jamais aucune différence entre les formes du verbe et du nom quand ils étaient de la même racine.
Cette règle du semblable entraînait la destruction de beaucoup de formes archaïques. Le mot pensée par exemple, n’existait pas en novlangue. Il était remplacé par penser qui faisait office à la fois de nom et de verbe. On ne suivait dans ce cas aucun principe étymologique. Parfois c’était le nom originel qui était choisi, d’autres fois, c’était le verbe.
Même lorsqu’un nom et un verbe de signification voisine n’avaient pas de parenté étymologique, l’un ou l’autre était fréquemment supprimé. Il n’existait pas, par exemple, de mot comme couper, dont le sens était suffisamment exprimé par le nom-verbe couteau.
Les adjectifs étaient formés par l’addition du suffixe able au nom-verbe, et les adverbes par l’addition du suffixe ment à l’adjectif. Ainsi, l’adjectif correspondant à vérité était véritable, l’adverbe, véritablement.
On avait conservé certains de nos adjectifs actuels comme bon, fort, gros, noir, doux, mais en très petit nombre. On s’en servait peu puisque presque tous les qualificatifs pouvaient être obtenus en ajoutant able au nom-verbe.
Aucun des adverbes actuels n’était gardé, sauf un très petit nombre déjà terminés en ment. La terminaison ment était obligatoire. Le mot bien, par exemple, était remplacé par bonnement.
De plus, et ceci s’appliquait encore en principe à tous les mots de la langue, n’importe quel mot pouvait prendre la forme négative par l’addition du préfixe in. On pouvait en renforcer le sens par l’addition du préfixe plus, ou, pour accentuer davantage, du préfixe doubleplus. Ainsi incolore signifie « pâle », tandis que pluscolore et doublepluscolore signifient respectivement « très coloré » et « superlativement coloré ».
Il était aussi possible de modifier le sens de presque tous les mots par des préfixes-prépositions tels que anté, post, haut, bas, etc.
Grâce à de telles méthodes, on obtint une considérable diminution du vocabulaire. Étant donné par exemple le mot bon, on n’a pas besoin du mot mauvais, puisque le sens désiré est également, et, en vérité, mieux exprimé par inbon. Il fallait simplement, dans les cas où deux mots formaient une paire naturelle d’antonymes, décider lequel on devait supprimer. Sombre, par exemple, pouvait être remplacé par inclair, ou clair par insombre, selon la préférence.
La seconde particularité de la grammaire novlangue était sa régularité. Toutes les désinences, sauf quelques exceptions mentionnées plus loin, obéissaient aux mêmes règles. C’est ainsi que le passé défini et le participe passé de tous les verbes se terminaient indistinctement en é. Le passé défini de voler était volé, celui de penser était pensé et ainsi de suite. Les formes telles que nagea, donnât, cueillit, parlèrent, saisirent, étaient abolies.
Le pluriel était obtenu par l’adjonction de s ou es dans tous les cas. Le pluriel d’œil, bœuf, cheval, était, respectivement, œils, bœufs, chevals.
Les adjectifs comparatifs et superlatifs étaient obtenus par l’addition de suffixes invariables. Les vocables dont les désinences demeuraient irrégulières étaient, en tout et pour tout, les pronoms, les relatifs, les adjectifs démonstratifs et les verbes auxiliaires. Ils suivaient les anciennes règles. Dont, cependant, avait été supprimé, comme inutile.
Il y eut aussi, dans la formation des mots, certaines irrégularités qui naquirent du besoin d’un parler rapide et facile. Un mot difficile à prononcer ou susceptible d’être mal entendu, était ipso facto tenu pour mauvais. En conséquence, on insérait parfois dans le mot des lettres supplémentaires, ou on gardait une forme archaïque, pour des raisons d’euphonie.
Mais cette nécessité semblait se rattacher surtout au vocabulaire B. Nous exposerons clairement plus loin, dans cet essai, les raisons pour lesquelles une si grande importance était attachée à la facilité de la prononciation.
Vocabulaire B. – Le vocabulaire B comprenait des mots formés pour des fins politiques, c’est-à-dire des mots qui, non seulement, dans tous les cas, avaient une signification politique, mais étaient destinés à imposer l’attitude mentale voulue à la personne qui les employait.
Il était difficile, sans une compréhension complète des principes de l’angsoc, d’employer ces mots correctement. On pouvait, dans certains cas, les traduire en ancilangue, ou même par des mots puisés dans le vocabulaire A, mais cette traduction exigeait en général une longue périphrase et impliquait toujours la perte de certaines harmonies.
Les mots B formaient une sorte de sténographie verbale qui entassait en quelques syllabes des séries complètes d’idées, et ils étaient plus justes et plus forts que ceux du langage ordinaire.
Les mots B étaient toujours des mots composés. (On trouvait, naturellement, des mots composés tels que phonoscript dans le vocabulaire A, mais ce n’étaient que des abréviations commodes qui n’avaient aucune couleur idéologique spéciale.)
Ils étaient formés de deux mots ou plus, ou de portions de mots, soudés en une forme que l’on pouvait facilement prononcer. L’amalgame obtenu était toujours un nom-verbe dont les désinences suivaient les règles ordinaires. Pour citer un exemple, le mot « bonpensé » signifiait approximativement « orthodoxe » ou, si on voulait le considérer comme un verbe, « penser d’une manière orthodoxe ». Il changeait de désinence comme suit : nom-verbe bonpensé, passé et participe passé bienpensé ; participe présent : bonpensant ; adjectif : bonpensable ; nom verbal : bonpenseur.
Les mots B n’étaient pas formés suivant un plan étymologique. Les mots dont ils étaient composés pouvaient être n’importe quelle partie du langage. Ils pouvaient être placés dans n’importe quel ordre et mutilés de n’importe quelle façon, pourvu que cet ordre et cette mutilation facilitent leur prononciation et indiquent leur origine.
Dans le mot crimepensée par exemple, le mot pensée était placé le second, tandis que dans pensée-pol (police de la pensée) il était placé le premier, et le second mot, police, avait perdu sa deuxième syllabe. À cause de la difficulté plus grande de sauvegarder l’euphonie, les formes irrégulières étaient plus fréquentes dans le vocabulaire B que dans le vocabulaire A. Ainsi, les formes qualificatives : Miniver, Minipax et Miniam remplaçaient respectivement : Minivéritable, Minipaisible et Miniaimé, simplement parce que véritable, paisible, aimé, étaient légèrement difficiles à prononcer. En principe, cependant, tous les mots B devaient recevoir des désinences, et ces désinences variaient exactement suivant les mêmes règles.
Quelques-uns des mots B avaient de fines subtilités de sens à peine intelligibles à ceux qui n’étaient pas familiarisés avec l’ensemble de la langue. Considérons, par exemple, cette phrase typique d’un article de fond du Times : Ancipenseur nesentventre Angsoc. La traduction la plus courte que l’on puisse donner de cette phrase en ancilangue est : « Ceux dont les idées furent formées avant la Révolution ne peuvent avoir une compréhension pleinement sentie des principes du Socialisme anglais. »
Mais cela n’est pas une traduction exacte. Pour commencer, pour saisir dans son entier le sens de la phrase novlangue citée plus haut, il fallait avoir une idée claire de ce que signifiait angsoc. De plus, seule une personne possédant à fond l’angsoc pouvait apprécier toute la force du mot : sentventre (sentir par les entrailles) qui impliquait une acceptation aveugle, enthousiaste, difficile à imaginer aujourd’hui ; ou du mot ancipensée (pensée ancienne), qui était inextricablement mêlé à l’idée de perversité et de décadence.
Mais la fonction spéciale de certains mots novlangue comme ancipensée, n’était pas tellement d’exprimer des idées que d’en détruire. On avait étendu le sens de ces mots, nécessairement peu nombreux, jusqu’à ce qu’ils embrassent des séries entières de mots qui, leur sens étant suffisamment rendu par un seul terme compréhensible, pouvaient alors être effacés et oubliés. La plus grande difficulté à laquelle eurent à faire face les compilateurs du dictionnaire novlangue, ne fut pas d’inventer des mots nouveaux mais, les ayant inventés, de bien s’assurer de leur sens, c’est-à-dire de chercher quelles séries de mots ils supprimaient par leur existence.
Comme nous l’avons vu pour le mot libre, des mots qui avaient un sens hérétique étaient parfois conservés pour la commodité qu’ils présentaient, mais ils étaient épurés de toute signification indésirable.
D’innombrables mots comme : honneur, justice, moralité, internationalisme, démocratie, science, religion, avaient simplement cessé d’exister. Quelques mots-couvertures les englobaient et, en les englobant, les supprimaient.
Ainsi tous les mots groupés autour des concepts de liberté et d’égalité étaient contenus dans le seul mot penséecrime, tandis que tous les mots groupés autour des concepts d’objectivité et de rationalisme étaient contenus dans le seul mot ancipensée. Une plus grande précision était dangereuse. Ce qu’on demandait aux membres du Parti, c’était une vue analogue à celle des anciens Hébreux qui savaient – et ne savaient pas grand-chose d’autre – que toutes les nations autres que la leur adoraient de « faux dieux ». Ils n’avaient pas besoin de savoir que ces dieux s’appelaient Baal, Osiris, Moloch, Ashtaroh et ainsi de suite… Moins ils les connaissaient, mieux cela valait pour leur orthodoxie. Ils connaissaient Jéhovah et les commandements de Jéhovah. Ils savaient, par conséquent, que tous les dieux qui avaient d’autres noms et d’autres attributs étaient de faux dieux.
En quelque sorte de la même façon, les membres du Parti savaient ce qui constituait une bonne conduite et, en des termes excessivement vagues et généraux, ils savaient quelles sortes d’écarts étaient possibles. Leur vie sexuelle, par exemple, était minutieusement réglée par les deux mots novlangue : crimesex (immoralité sexuelle) et biensex (chasteté).
Crimesex concernait les écarts sexuels de toutes sortes. Ce mot englobait la fornication, l’adultère, l’homosexualité et autres perversions et, de plus, la sexualité normale pratiquée pour elle-même. Il n’était pas nécessaire de les énumérer séparément puisqu’ils étaient tous également coupables. Dans le vocabulaire C, qui comprenait les mots techniques et scientifiques, il aurait pu être nécessaire de donner des noms spéciaux à certaines aberrations sexuelles, mais le citoyen ordinaire n’en avait pas besoin. Il savait ce que signifiait biensex, c’est-à-dire les rapports normaux entre l’homme et la femme, dans le seul but d’avoir des enfants, et sans plaisir physique de la part de la femme. Tout autre rapport était crimesex. Il était rarement possible en novlangue de suivre une pensée non orthodoxe plus loin que la perception qu’elle était non orthodoxe. Au-delà de ce point, les mots n’existaient pas.
Il n’y avait pas de mot, dans le vocabulaire B, qui fût idéologiquement neutre. Un grand nombre d’entre eux étaient des euphémismes. Des mots comme, par exemple : joiecamp (camp de travaux forcés) ou minipax (ministère de la Paix, c’est-à-dire ministère de la Guerre) signifiaient exactement le contraire de ce qu’ils paraissaient vouloir dire.
D’autre part, quelques mots révélaient une franche et méprisante compréhension de la nature réelle de la société océanienne. Par exemple prolealiment qui désignait les spectacles stupides et les nouvelles falsifiées que le Parti délivrait aux masses.
D’autres mots, eux, étaient bivalents et ambigus. Ils sous-entendaient le mot bien quand on les appliquait au Parti et le mot mal quand on les appliquait aux ennemis du Parti, de plus, il y avait un grand nombre de mots qui, à première vue, paraissaient être de simples abréviations et qui tiraient leur couleur idéologique non de leur signification, mais de leur structure.
On avait, dans la mesure du possible, rassemblé dans le vocabulaire B tous les mots qui avaient ou pouvaient avoir un sens politique quelconque. Les noms des organisations, des groupes de gens, des doctrines, des pays, des institutions, des édifices publics, étaient toujours abrégés en une forme familière, c’est-à-dire en un seul mot qui pouvait facilement se prononcer et dans lequel l’étymologie était gardée par un minimum de syllabes.
Au ministère de la Vérité, par exemple, le Commissariat aux Archives où travaillait Winston s’appelait Comarch, le Commissariat aux Romans Comrom, le Commissariat aux Téléprogrammes Télécom et ainsi de suite.
Ces abréviations n’avaient pas seulement pour but d’économiser le temps. Même dans les premières décennies du XXe siècle, les mots et phrases télescopés avaient été l’un des traits caractéristiques de la langue politique, et l’on avait remarqué que, bien qu’universelle, la tendance à employer de telles abréviations était plus marquée dans les organisations et dans les pays totalitaires. Ainsi les mots : Gestapo, Comintern, Imprecorr, Agitprop. Mais cette habitude, au début, avait été adoptée telle qu’elle se présentait, instinctivement. En novlangue, on l’adoptait dans un dessein conscient.
On remarqua qu’en abrégeant ainsi un mot, on restreignait et changeait subtilement sa signification, car on lui enlevait les associations qui, autrement, y étaient attachées. Les mots « communisme international », par exemple, évoquaient une image composite : Universelle fraternité humaine, drapeaux rouges, barricades, Karl Marx, Commune de Paris, tandis que le mot « Comintern » suggérait simplement une organisation étroite et un corps de doctrine bien défini. Il se référait à un objet presque aussi reconnaissable et limité dans son usage qu’une chaise ou une table. Comintern est un mot qui peut être prononcé presque sans réfléchir tandis que Communisme International est une phrase sur laquelle on est obligé de s’attarder, au moins momentanément.

Plusieurs films ont été tournés au départ de 1984…

De même, les associations provoquées par un mot comme Miniver étaient moins nombreuses et plus faciles à contrôler que celles amenées par ministère de la Vérité.
Ce résultat était obtenu, non seulement par l’habitude d’abréger chaque fois que possible, mais encore par le soin presque exagéré apporté à rendre les mots aisément prononçables.
Mis à part la précision du sens, l’euphonie, en novlangue, dominait toute autre considération. Les règles de grammaire lui étaient toujours sacrifiées quand c’était nécessaire. Et c’était à juste titre, puisque ce que l’on voulait obtenir, surtout pour des fins politiques, c’étaient des mots abrégés et courts, d’un sens précis, qui pouvaient être rapidement prononcés et éveillaient le minimum d’écho dans l’esprit de celui qui parlait.
Les mots du vocabulaire B gagnaient même en force, du fait qu’ils étaient presque tous semblables. Presque invariablement, ces mots – bienpensant, minipax, prolealim, crimesex, joiecamp, angsoc, veniresent, penséepol… – étaient des mots de deux ou trois syllabes dont l’accentuation était également répartie de la première à la dernière syllabe. Leur emploi entraînait une élocution volubile, à la fois martelée et monotone. Et c’était exactement à quoi l’on visait. Le but était de rendre l’élocution autant que possible indépendante de la conscience, spécialement l’élocution traitant de sujets qui ne seraient pas idéologiquement neutres.
Pour la vie de tous les jours, il était évidemment nécessaire, du moins quelquefois de réfléchir avant de parler. Mais un membre du Parti appelé à émettre un jugement politique ou éthique devait être capable de répandre des opinions correctes aussi automatiquement qu’une mitrailleuse sème des balles. Son éducation lui en donnait l’aptitude, le langage lui fournissait un instrument grâce auquel il était presque impossible de se tromper, et la texture des mots, avec leur son rauque et une certaine laideur volontaire, en accord avec l’esprit de l’angsoc, aidait encore davantage à cet automatisme.
Le fait que le choix des mots fût très restreint y aidait aussi. Comparé au nôtre, le vocabulaire novlangue était minuscule. On imaginait constamment de nouveaux moyens de le réduire. Il différait, en vérité, de presque tous les autres en ceci qu’il s’appauvrissait chaque année au lieu de s’enrichir. Chaque réduction était un gain puisque, moins le choix est étendu, moindre est la tentation de réfléchir.
Enfin, on espérait faire sortir du larynx le langage articulé sans mettre d’aucune façon en jeu les centres plus élevés du cerveau. Ce but était franchement admis dans le mot novlangue : canelangue, qui signifie « faire coin-coin comme un canard ». Le mot canelangue, comme d’autres mots divers du vocabulaire B, avait un double sens. Pourvu que les opinions émises en canelangue fussent orthodoxes, il ne contenait qu’un compliment, et lorsque le Times parlait d’un membre du Parti comme d’un doubleplusbon canelangue, il lui adressait un compliment chaleureux qui avait son poids.
Vocabulaire C. – Le vocabulaire C, ajouté aux deux autres, consistait entièrement en termes scientifiques et techniques. Ces termes ressemblaient aux termes scientifiques en usage aujourd’hui et étaient formés avec les mêmes racines. Mais on prenait soin, comme d’habitude, de les définir avec précision et de les débarrasser des significations indésirables. Ils suivaient les mêmes règles grammaticales que les mots des deux autres vocabulaires.
Très peu de mots du vocabulaire C étaient courants dans le langage journalier ou le langage politique. Les travailleurs ou techniciens pouvaient trouver tous les mots dont ils avaient besoin dans la liste consacrée à leur propre spécialité, mais ils avaient rarement plus qu’une connaissance superficielle des mots qui appartenaient aux autres listes. Il y avait peu de mots communs à toutes les listes et il n’existait pas, indépendamment des branches particulières de la science, de vocabulaire exprimant la fonction de la science comme une habitude de l’esprit ou une méthode de pensée. Il n’existait pas, en vérité, de mot pour exprimer science, toute signification de ce mot étant déjà suffisamment englobée par le mot angsoc.
On voit, par ce qui précède, qu’en novlangue, l’expression des opinions non orthodoxes était presque impossible, au-dessus d’un niveau très bas. On pouvait, naturellement, émettre des hérésies grossières, des sortes de blasphèmes. Il était possible, par exemple, de dire : « Big Brother est inbon. » Mais cette constatation, qui, pour une oreille orthodoxe, n’exprimait qu’une absurdité évidente par elle-même, n’aurait pu être soutenue par une argumentation raisonnée, car les mots nécessaires manquaient.
Les idées contre l’angsoc ne pouvaient être conservées que sous une forme vague, inexprimable en mots, et ne pouvaient être nommées qu’en termes très généraux qui formaient bloc et condamnaient des groupes entiers d’hérésies sans pour cela les définir. On ne pouvait, en fait, se servir du novlangue dans un but non orthodoxe que par une traduction inexacte des mots novlangue en ancilangue. Par exemple la phrase : « Tous les hommes sont égaux » était correcte en novlangue, mais dans la même proportion que la phrase : « Tous les hommes sont roux » serait possible en ancilangue. Elle ne contenait pas d’erreur grammaticale, mais exprimait une erreur palpable, à savoir que tous les hommes seraient égaux en taille, en poids et en force.
En 1984, quand l’ancilangue était encore un mode normal d’expression, le danger théorique existait qu’en employant des mots novlangues on pût se souvenir de leur sens primitif. En pratique, il n’était pas difficile, en s’appuyant solidement sur la doublepensée, d’éviter cette confusion. Toutefois, la possibilité même d’une telle erreur aurait disparu avant deux générations.
Une personne dont l’éducation aurait été faite en novlangue seulement, ne saurait pas davantage que égal avait un moment eu le sens secondaire de politiquement égal ou que libre avait un moment signifié libre politiquement que, par exemple, une personne qui n’aurait jamais entendu parler d’échecs ne connaîtrait le sens spécial attaché à reine et à tour. Il y aurait beaucoup de crimes et d’erreurs qu’il serait hors de son pouvoir de commettre, simplement parce qu’ils n’avaient pas de nom et étaient par conséquent inimaginables.
Et l’on pouvait prévoir qu’avec le temps les caractéristiques spéciales du novlangue deviendraient de plus en plus prononcées, car le nombre des mots diminuerait de plus en plus, le sens serait de plus en plus rigide, et la possibilité d’une impropriété de termes diminuerait constamment.
Lorsque l’ancilangue aurait, une fois pour toutes, été supplanté, le dernier lien avec le passé serait tranché. L’Histoire était récrite, mais des fragments de la littérature du passé survivraient çà et là, imparfaitement censurés et, aussi longtemps que l’on gardait l’ancilangue, il était possible de les lire. Mais de tels fragments, même si par hasard ils survivaient, seraient plus tard inintelligibles et intraduisibles.
Il était impossible de traduire en novlangue aucun passage de l’ancilangue, à moins qu’il ne se référât, soit à un processus technique, soit à une très simple action de tous les jours, ou qu’il ne fût, déjà, de tendance orthodoxe (bienpensant, par exemple, était destiné à passer tel quel de l’ancilangue au novlangue).
En pratique, cela signifiait qu’aucun livre écrit avant 1960 environ ne pouvait être entièrement traduit. On ne pouvait faire subir à la littérature prérévolutionnaire qu’une traduction idéologique, c’est-à-dire en changer le sens autant que la langue. Prenons comme exemple un passage bien connu de la Déclaration de l’Indépendance :
« Nous tenons pour naturellement évidentes les vérités suivantes : Tous les hommes naissent égaux. Ils reçoivent du Créateur certains droits inaliénables, parmi lesquels sont le droit à la vie, le droit à la liberté et le droit à la recherche du bonheur. Pour préserver ces droits, des gouvernements sont constitués qui tiennent leur pouvoir du consentement des gouvernés. Lorsqu’une forme de gouvernement s’oppose à ces fins, le peuple a le droit de changer ce gouvernement ou de l’abolir et d’en instituer un nouveau. »
Il aurait été absolument impossible de rendre ce passage en novlangue tout en conservant le sens originel. Pour arriver aussi près que possible de ce sens, il faudrait embrasser tout le passage d’un seul mot : crimepensée. Une traduction complète ne pourrait être qu’une traduction d’idées dans laquelle les mots de Jefferson seraient changés en un panégyrique du gouvernement absolu.
Une grande partie de la littérature du passé était, en vérité, déjà transformée dans ce sens. Des considérations de prestige rendirent désirable de conserver la mémoire de certaines figures historiques, tout en ralliant leurs œuvres à la philosophie de l’angsoc. On était en train de traduire divers auteurs comme Shakespeare, Milton, Swift, Byron, Dickens et d’autres. Quand ce travail serait achevé, leurs écrits originaux et tout ce qui survivait de la littérature du passé seraient détruits.
Ces traductions exigeaient un travail lent et difficile, et on pensait qu’elles ne seraient pas terminées avant la première ou la seconde décennie du XXIe siècle.
Il y avait aussi un nombre important de livres uniquement utilitaires – indispensables manuels techniques et autres – qui devaient subir le même sort. C’était principalement pour laisser à ce travail de traduction qui devait être préliminaire, le temps de se faire, que l’adoption définitive du novlangue avait été fixée à cette date si tardive : 2050.


Citez-en d’autres :

SCHREIDEN : Poor Lonesome Cowboy (1987, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SCHREIDEN Luc, Poor Lonesome Cowboy
(photographie, 30 x 45 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Luc Schreiden © be.linkedin.com

Lors de ses études en Psychologie à l’Université de Liège, Luc SCHREIDEN suivi tous les cours accessibles auprès de Philippe Dubois, professeur spécialisé en photographie, vidéo et cinéma. En 1983, il réalise une première série noir et blanc sous son impulsion. Un reportage sur la côte Ouest des Etats‐Unis en 1990 constitue un point de repère dans son parcours. Au fil des années, il a compilé des épreuves argentiques puis numériques qui se déclinent en recherches personnelles, portraits et captures d’instants particuliers. En parallèle, il exerce en tant que psychologue et enseigne comme Maître de Conférences dans le master en psychothérapie ULg – UCL. Les deux facettes de son activité côtoient de près la nature humaine.

Cette photographie est tirée d’une série réalisée aux Etats-Unis en 1990. C’est un portrait étonnant d’un homme vendant des chevaux à bascule. Il semble perdu le long d’une route à l’orée d’une zone désertique. Le décalage entre ces chevaux de bois et les mythes de la conquête de l’Ouest crée un effet à la fois dérisoire et humoristique.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Luc Schreiden ; Linkedin | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

MULS : Au Bar (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MULS Isa, Au Bar
(aquatinte, 42 x 37 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

isamuls
© isamuls.blogspot.com

Née en 1976, initiée à l’Académie de Saint-Gilles (Bruxelles), Isa MULS poursuit actuellement ses recherches graphiques aux Ateliers Mommen et sa formation en gravure à la RHoK académie d’Etterbeek.

Pour cette œuvre, Isa Muls utilise la technique de l’aquatinte à l’ancienne – sa technique de prédilection. On saupoudre la plaque de cuivre avec de la colophane avant de la plonger dans l’acide. Ce sont ces grains qui donnent aux noirs une profondeur particulière. Au Bar a été inspirée à l’artiste par une photographie de Weegee, photographe new-yorkais très actif des années 30 à 60. Une femme dans un bar entourée d’hommes : collègues, amis ou clients ? Peu importe. Ce qui compte finalement, c’est qu’elle porte ces bas merveilleux.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Isa Muls ; isamuls.blogspot.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques