VIROUL : Alan Turing, un génie sacrifié (CHiCC, 2020)

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Alan Turing © k-actus.net

Alan TURING est de ces génies tardivement reconnus. Son travail scientifique, aujourd’hui considéré comme majeur, s’est développé sur une quinzaine d’années, de 1936 à 1952 environ.

Alan Mathison Turing est né le 23 juin 1912 à Londres. En 1931, il a 19 ans, il intègre le King’s College de l’Université de Cambridge où il trouve un milieu favorable pour étudier les mathématiques. Il va s’y épanouir, car personne là-bas ne raille son homosexualité, son apparence décalée. Chacun, dit-on là-bas, doit être ce qu’il est.

Seules les mathématiques pures et appliquées procurent à Alan un sentiment d’épanouissement. Il pénètre avec passion dans le monde solitaire et virtuel qui va devenir le sien. Il sera diplômé en 1933.

En 1936, Alan Turing débarque à New York à l’Université de Princeton où se côtoient John von Neumann et Albert Einstein, tous les grands noms de la science et notamment ceux qui ont fui le nazisme.

Turing démontre que certains problèmes mathématiques ne peuvent être résolus. Pour cela, il postule l’existence théorique d’une machine programmable, capable d’effectuer vite toutes sortes de calculs.

Cette machine est composée d’un “ruban” supposé infini, chaque case contenant un symbole parmi un “alphabet fini”, d’une “tête de lecture/écriture” ; d’un “registre d’états” ; d’une “liste d’instructions”.

L’ordinateur – théorique – est né ! Même si elle reste purement abstraite, cette “machine de Turing”, passée sous ce nom à la postérité, est un saut crucial vers les fondements de l’informatique.

Enigma M4 at The Alan Turing Institute © Clare Kendall.

En 1939, Alan Turing, revenu enseigner à Cambridge, s’engage dans l’armée britannique où il travaille à Bletchley Park au déchiffrement des messages de la marine allemande. Pour ses communications radio, le IIIe Reich utilise un engin cryptographique sophistiqué baptisé Enigma.

Poursuivant les travaux des Polonais qui avaient déjà découvert le mécanisme de la machine infernale, Alan Turing et les autres mathématiciens construisent donc un appareil destiné à passer en revue extrêmement rapidement les différents paramètres possibles d’Enigma.

Tous les renseignements issus des codebreakers étaient frappés du sceau “ultra”, plus confidentiel encore que “top secret”, un niveau de protection créé spécialement pour Bletchley. Tous ceux qui y travaillaient étaient soumis à l’Official Secret Act, un texte drastique qui leur interdisait toute allusion à leur activité, et ce, en théorie, jusqu’à leur mort.

En janvier 1943, Turing quitte l’Angleterre et rejoint les laboratoires de télécommunication Bell dans le New Jersey où le savant Claude Shannon travaille au codage de la parole. Turing propose quelques mois plus tard un prototype de machine à voix artificielle, ayant pour nom de code Delilah.

Après la guerre, Alan Turing travaille au National Physical Laboratory et conçoit un prototype de calculateur électronique, l’ACE (Automatic Computing Engine), qui prend du retard dans sa réalisation.

Aussi il rejoint l’Université de Manchester qui avait construit en 1948 le premier ordinateur programmable opérationnel, le Mark 1. Turing participe à la programmation et se passionne pour l’intelligence artificielle.

En 1950, Alan Turing publie, dans Mind, son article “Computing Machinery and Intelligence”. Dans cet article, il défend des positions “révolutionnaires”. Il se propose d’examiner la question : Les machines peuvent-elles penser ? Il élabore un test qui valide l’intelligence d’une machine, le “test de Turing”. Selon lui, si une machine dialogue avec un interrogateur (qui ne la voit pas) et arrive à lui faire croire qu’elle est un être humain, nous devrions dire d’elle qu’elle pense. Dans cette mesure, à la question a priori “Les machines peuvent-elles penser ?”, Turing substitue la question empirique : “Une machine peut-elle gagner au jeu de l’imitation ?”. Le prix Loebner, créé en 1990, est une compétition annuelle récompensant le programme considéré comme le plus proche de réussir le test de Turing.

En 1952, il propose un modèle mathématique de morphogenèse. Il fait paraître un article, “The Chemical Basis of Morphogenesis” (Philosophical Transactions of the Royal Society, août 1952), où il propose trois modèles de formes (Turing patterns). Les structures spatiales formées par le mécanisme physico-chimique très simple qu’il a suggéré s’appellent depuis des  “structures de Turing”.

Il faudra attendre quarante ans après Turing pour obtenir la première mise en évidence expérimentale d’une structure de Turing. Ce mécanisme, très simple, de formation de motifs est devenu un modèle emblématique, invoqué pour expliquer de nombreuses structures naturelles, en particulier vivantes.

Il est conscient du manque de preuves expérimentales. Son but est davantage de proposer un mécanisme plausible, et de montrer tout ce qu’il permet déjà d’expliquer, malgré sa simplicité. Les exemples donnés par Turing sont les motifs tachetés comme la robe du guépard, l’hydre et la phyllotaxie des feuilles en rosette.

Élu membre de la Royal Society, Turing éprouve de graves difficultés quand la révélation de son homosexualité provoque un scandale en 1952. C’est un crime pour la justice britannique. Le procès est médiatisé. Hugh Alexander fait de son confrère un brillant portrait, mais il est empêché de citer ses titres de guerre par le Secret Act”.

Alan Turing © diacritik.com

Alan Turing, qui n’a jamais réellement caché son homosexualité, a longtemps couru à un niveau olympique, pratiquant très régulièrement la course à pied pour calmer ses pulsions sexuelles. Pour éviter l’enfermement, il est contraint d’accepter la castration chimique, mais sa carrière est brisée.

Il meurt à 42 ans. L’autopsie conclut à un suicide par empoisonnement au cyanure. Il n’existe pas de certitude à cet égard, la pomme n’ayant pas été analysée.

La figure d’Alan Turing a mis du temps à émerger dans l’inconscient collectif. Le rôle de Bletchley Park et de ses employés qui décodaient plus de 3.000 messages nazis par jour n’a été rendu public que tardivement, dans les années 70, lorsque les dossiers ont été déclassifiés. Il faudra attendre 2013 pour que Turing sorte enfin des oubliettes de l’Histoire et soit réhabilité par la reine Elisabeth II.

La loi qui a brisé la carrière de Turing, après avoir envoyé Oscar Wilde en prison, ne fut abrogée en Angleterre qu’en 1967. C’est en 1972 que la loi de dépénalisation de l’homosexualité est promulguée en Belgique. L’OMS déclarera avoir retiré l’homosexualité de la Classification internationale des maladies le 17 mai 1990.

Le Britannique Alan Turing (1912-1954), père de l’informatique, co-inventeur de l’ordinateur, visionnaire de l’intelligence artificielle, a eu droit à tous ces signes posthumes, comme autant de regrets de n’avoir compris de son vivant à quel point il était important. Décerné chaque année (1966), un prix qui porte son nom est considéré comme le Nobel de l’informatique.

Des palmarès, comme celui du magazine Time en 1999, l’ont classé parmi les 100 personnages-clés du XXe siècle. Il a été choisi pour illustrer le verso des futurs billets de 50 livres à partir de la fin de l’année 2021.

Claude VIROUL


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Claude VIROUL a fait l’objet d’une conférence organisée en mars 2020 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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BUXTON : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

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BUXTON Annabelle, Sans titre
(impression numérique, 30 x 40 cm, 2016)

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Annabelle Buxton © lespetitsplatons.com

“Née en 1986 à Basingstoke, j’apprends à tailler mes crayons à l’Ecole Estienne et vide mes pots d’encre à l’Ecole supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg (HEAR). Passionnée d’images, inspirée par la peinture flamande, Buster Brown, les lanternes magiques et la couleur des chamallows, j’imagine des histoires farfelues et poétiques à la lisière entre illustration et images séquentielles. Je travaille régulièrement pour la presse (XXI), les revues de bande-dessinées (Nobrow, Nyctalope) la publicité (crème Simon) et l’édition jeunesse. Après mon premier album “Le Tigre blanc” paru aux éditions Magnani, j’ai travaillé pour les éditions des Petits Platons (“Le rhinocéros de Wittgenstein”) et Actes Sud Junior (livre-tapis les jouets, Archicube, La Pointeuse Botanique…)”
(d’après ANNABELLEBUXTON.COM)

Cette image fait partie du premier port-folio édité par Ding Dong Paper (collectif d’éditeurs liégeois constitué de François Godin et Damien Aresta). Elle illustre bien l’univers d’Annabelle Buxton et “ses personnages loufoques, animaux mutants et autres cabanes sur pilotis.”

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Annabelle Buxton ; lespetitsplatons.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CHAPUT : Le Retour du cafard (s.d., Artothèque, Lg)

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CHAPUT Nicolas dit Chap’s, Le Retour du cafard
(sérigraphie, 70x 50 cm, s.d.)

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Chap’s, alias Nicolas CHAPUT, est né en 1979 à Liège. Influencé dès l’enfance par l’imagerie des fifties, d’un grand-père architecte et d’un père photographe, il baigne très tôt dans un univers de l’image et de l’esthétique. Après des études d’arts plastiques, d’illustration et de bandes dessinées à Saint- Luc Liège, il complète sa formation en animation et en sérigraphie. Il poursuit sa carrière en créant “Spleen Ville”, un univers qu’il décline sous plusieurs formes. La musique est une part essentielle de son oeuvre (vieux blues, jazz, country, rock).  (d’après WATTITUDE.BE)

A travers cette fausse affiche de film catastrophe des années 50, Chap’s s’empare d’une imagerie vintage, entre hommage et parodie, adoptant “un style graphique qu’il revisite à l’aide de ses propres codes : une touche de polar, de blues, de rockabilly et de science-fiction kitsch. Une iconographie esthétique, décorative et dynamique.” (d’après SPECTACLE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Nicolas Chaput | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

BELGEONNE : Insolente force (2010, Artothèque, Lg)

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BELGEONNE Gabriel, Insolente force
(eau-forte, n.c., 2010)

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gabrielbelgeonne
Gabriel Belgeonne © laprovince.be

Formé à l’Académie de Mons, Gabriel BELGEONNE (né en 1935) y est professeur à partir de 1976, puis professeur à l’E.N.S.A.V. La Cambre où il enseigne la gravure aux côtés de Jean-Pierre Point (sérigraphie). Belgeonne a reçu de nombreux prix et a même représenté la Belgique, en 1989, lors de la Biennale de Sao Paulo. Aujourd’hui à la retraite de l’enseignement, il continue à graver assidûment et à faire la promotion d’autres graveurs, notamment avec l’association Tandem, créée en 1971 (d’après ESTAMPE.FR).

Cette estampe est l’une des deux eaux-fortes de Gabriel Belgeonne que possède l’Artothèque. Elle illustre cette réflexion sur l’artiste :  “Rester fidèle à un idéal de pureté picturale et de simplicité ne signifie nullement un renoncement à la richesse des sensations et des matières employées. Mais c’est l’humilité de l’artiste à l’égard de la forme qui est importante et caractéristique. La couleur tenue sans cesse dans une gamme de simplicité acquiert alors une sorte de saveur métaphysique “ (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Gabriel Belgeonne ; laprovince.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

HAMAL : La place de Bronckart (CHiCC, 2018)

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Place de Bronckart (vue aérienne) © André Drèze

L’histoire de la place de Bronckart et des rues avoisinantes : une raison et/ou un intérêt particulier sont les incitants qui peuvent vous décider à écrire un livre sur un sujet précis ; en l’occurrence ici la place de Bronckart (initialement dénommée place des Guillemins, de 1857 à 1885) et les rues directement avoisinantes: Fabry, Dartois, Simonon, de Chestret, de Rotterdam (de la Paix), des Ixellois (du Midi), Sainte-Véronique et la place du même nom, Hemricourt et la dernière née, la rue de Sélys.

Le fait […] d’y avoir ses bureaux en sont les raisons principales mais il y a aussi une curiosité permanente pour l’histoire de Liège, grande ou petite et de découvrir – ou redécouvrir – un certain nombre d’aspects oubliés ou méconnus.

Victor Rogister, Maison Piot, rue de Sélys

Ceci d’autant plus qu’entre le clos de Guillemins, acheté en 1798 par Marguerite Fabry-Bertoz, et la place de Bronckart que nous connaissons aujourd’hui, il fallut plus d’une centaine d’années et bien des péripéties, notamment devant le Conseil communal de Liège. Les derniers immeubles de la place ne seront érigés qu’au début du XXe.

Par contre de nombreuses précisions inédites ont été trouvées sur le contexte particulier qu’a connu le couvent des Guillemins durant la seconde moitié du XVIIIe siècle et les circonstances qui ont conduit à sa disparition.

Il en va ainsi, par exemple, de la Papeterie de la Station située au bout de la rue du Plan Incliné, à cheval entre la rue Hemricourt et la rue de Chestret, et sur une des extrémités de l’actuelle rue de Serbie qui n’existait pas encore. Serrurier-Bovy y eut ses ateliers et magasins fin du XIXe – début du XXe siècle.

Place de Bronckart © itsalichon.com

Dans un passé plus récent, qui se souvient encore que la première implantation des Hautes Etudes Commerciales et Consulaires (HEC) se trouvait rue Fabry au n°12 et leur premier mobilier dessiné par l’architecte Arthur Snyers.

Plus tragiquement, nous savons enfin ce qui s’est réellement passé fin 1944 début 1945, plusieurs immeubles de la rue Dartois étant détruits par des bombes, et de découvrir les immeubles qui existaient avant dont une réalisation inconnue de l’architecte Clément Pirnay.

Mais au-delà des textes, ce sont les illustrations qui sont importantes, la plupart d’entre elles sont inédites. Enfin, nous aurions pu dans le cadre du présent ouvrage, nous étendre plus longuement sur l’architecture tant extérieure qu’intérieure des immeubles de la place de Bronckart et des rues concernées et ce d’autant plus que des architectes de renom y ont laissé des traces comme Paul Jaspar, Clément Pirnay, Arthur Snyers et Victor Rogister. Le temps et l’espace nous ont manqué.

Olivier HAMAL

“Place de Bronckart à Liège. Petites et grandes Histoires”. Co-édition des Presses Universitaires et des Editions de la Province de Liège avec le soutien de l’Agence Wallonne du Patrimoine.

 


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Olivier HAMAL a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en novembre 2018 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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BALLARATI : Enjoy Ecuador Quito (2014, Artothèque, Lg)

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BALLARATI Cédric, Enjoy Ecuador Quito
(photographie, 40 x 60 cm, 2014)

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Cédric Ballarati © helium3.be

Cédric BALLARATI est né en 1980. Il vit à Maastricht, aux Pays-Bas. Il explore différents champs artistiques – l’architecture, la photographie et l’écriture – qui se font écho l’un à l’autre et parfois se fondent dans son travail.

Cédric Ballarati définit son travail en ces termes : “Au travers des couleurs vives, c’est une ode à la richesse de la vie. Ici et là-bas, le quotidien en fête, le mouvement et les échanges. Car quoi qu’il en soit, nous ne sommes qu’en transit, alors autant voyager joyeusement…” Le procédé photographique consiste à utiliser un temps de pose long pour suggérer l’idée de mouvement par le flou. Le contraste très fort et la saturation des couleurs augmentent encore l’impression d’énergie qui se dégage de cette image.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Cédric Ballarati ; helium3.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ENGLEBERT : Quelques visions pour un avenir liégeois radieux (CHiCC, 2019)

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Vue de Liège © Philippe Vienne

Où en est l’idée de faire de Liège une métropole régionale ?

“Etre une métropole, c’est remplir une mission, exercer une fonction, répondre à des besoins multiples, pour une et même plusieurs régions ; c’est aussi refuser de se laisser porter par une décision extérieure, c’est choisir son destin, consentir aux efforts financiers nécessaires. N’est pas une métropole qui veut, mais il faut aussi vouloir l’être.”

C’est ainsi que, dès 1964, à l’époque du colloque “Liège en l’an 2000”, Olivier Guichard, délégué général à l’aménagement du territoire de la République française définissait la métropole. La France, au 1er janvier 2018, en comptera dix-neuf dont dix-sept de droit commun (Bordeaux, Brest, Dijon, Grenoble, Lille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulouse et Tours) et deux à statut particulier (Aix-Marseille et Paris).

Mon projet, hier et aujourd’hui

Le projet présenté au cours du colloque “Liège en l’an 2000” avait été ratifié par l’ensemble des membres de l’association avant d’être exposé à l’important public présent. Il comportait un plan global de circulation tirant parti du réseau ferré qui irrigue la ville et sa région en y superposant différentes voies et systèmes nouveaux pour assurer la mobilité des habitants et des usagers. Routes et autoroutes, métros lourd et léger, téléphériques, trottoirs roulants, rues réservées aux piétons permettaient à quiconque, par dessus les voies ferrées, tous les déplacements sans contrainte.

Le projet repensait complètement les réseaux de transport en commun (T.E.C.). Les circuits empruntés par ces derniers étaient tous conçus en boucle plutôt qu’en ligne. Il est bien connu que tous les circuits établis selon une boucle fonctionnent partout de manière optimale. Il suffit de songer à la Circle Line à Londres, à la Maranouchi Line à Tokyo et tout simplement au tram 4 à Liège pour en être convaincu. Jamais à ma connaissance, aucun spécialiste n’a tenté de dresser une carte des TEC dans une ville en se basant sur cette idée qui pourtant, si elle était appliquée et généralisée, faciliterait grandement la circulation dans la ville et dans son agglomération.

Projet Safège Liège © safege.org

Des systèmes nouveaux de transports en commun utilisaient, selon les distances à desservir, deux types de boucles : des grandes et des petites. Pour les grandes boucles, un métro suspendu appelé Safège, mis au point par la firme française éponyme, et pour les petites des cabines de la taille d’une 2CV Citroën à 4 places assises circulant sur le sol ou sur des rails surélevés, ces engins nouveaux se déplaceraient à la demande de manière automatique comme il en est des ascenseurs. Lorsque les pentes étaient fortes et particulièrement longues, des téléphériques comme il en existe dans les stations de sport d’hiver, étaient proposés.

Un usage différent de l’automobile était préconisé : interdites d’accès dans la ville, les voitures devaient être rangées dans de vastes parcs à étages à l’endroit des gares et au périmètre des centres denses. De là, les automobilistes empruntaient des navettes ou des TEC pour rejoindre leur destination.

Il faut rappeler qu’avant la Seconde Guerre, les rues dans les villes servaient principalement et presqu’exclusivement à la circulation. Le stationnement y était toléré, mais il n’était pas admis qu’un habitant de la rue puisse laisser sa voiture en permanence devant chez lui et s’arroger le droit d’occuper la voirie comme cela est devenu le cas aujourd’hui. Ce droit, moyennant une redevance annuelle, a progressivement été reconnu et s’est généralisé à la ville entière. Lorsque les maisons familiales ont été remplacées, durant les années 60, par des bâtiments à appartements, les artères quelles qu’elles fussent se sont révélées insuffisantes pour garer les voitures et des emplacements ont été prévus pour elles au détriment des espaces verts.

Des mesures auraient du être prises à cette époque pour contraindre les propriétaires de véhicules à justifier de garages sous leur “building” : les rues sont faites pour circuler et non pour être encombrées ou obstruées, sinon la circulation devient très difficile et même impossible. Ceci devient le cas pour beaucoup de rues et il est étonnant que les pompiers n’exigent pas le retour à la situation antérieure, comme ils exigent la fermeture des bâtiments quand ceux-ci ne satisfont plus aux nouvelles normes. En effet, le stationnement des voitures tout au long, et même de chaque côté des rues, est de plus en plus admis ; l’espace pour circuler se trouve alors réduit à 2m50 et il interdit certaines manœuvres aux grands véhicules ou aux bus.
Faut-il rappeler que de telles règles existent, notamment au Japon, où le stationnement dans les rues est strictement interdit ?

Quant aux surfaces importantes des différentes gare existant encore à l’époque, elles étaient couvertes par de vastes dalles étagées qui supportaient des logements nouveaux et des équipements publics mal répartis dans la ville. Ces derniers donnaient naissance à des activités nouvelles dans les quartiers environnants.

C’est ainsi qu’au-dessus des Guillemins, des logements et un ensemble de locaux pour le Ministère des Finances étaient prévus, facilitant ainsi des relations directes entre les fonctionnaires locaux et leurs homologues bruxellois.

Lire plus dans les actes du colloque “La Fabrique des Métropoles”
(Liège, 2017)

Jean ENGLEBERT


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean ENGLEBERT a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en janvier 2019 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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CHiCC – Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE)

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La CHiCC, de son nom complet Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy, a été créée le 23 septembre 1986.

Sous l’impulsion de son premier président, Emile DEGEY, elle a publié plusieurs brochures (aujourd’hui malheureusement épuisées mais disponibles, pour la plupart, sur wallonica.org) consacrées à l’histoire du quartier. Parmi celles-ci, une “Petite histoire de Cointe”“Nos rues et lieux-dits”“La Houillerie à Cointe, Fragnée, Sclessin”… 

Les conférences de la CHiCC

© Philippe Vienne

A côté de cela, elle organise un cycle de conférences mensuelles qui sont régulièrement publiées dans nos pages. Et, depuis la saison 2020-2021, des tables de conversation (anglais, espagnol) et, occasionnellement, des ateliers d’écriture et des concerts. Les activités de la CHiCC se déroulent habituellement en la Chapelle Saint-Maur.

Le programme 2023-2024

      • Mercredi 30 août 2023 à 20 heures : Jean-Pierre DECHESNE, Osmose entre l’évêché de Liège et le Pays de Liège,
      • Mercredi 20 septembre à 20 heures : Henri DELEERSNIJDER, Vers un nouvel ordre mondial ?
      • Mercredi 18 octobre à 20 heures : Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN, Décembre 1944 : le bombardement de la ville de Liège et ses conséquences pour le dépôt des Archives de l’Etat,
      • Mercredi 15 novembre à 20 heures : Laurent BRÜCK, Urbanisme à Liège dans les années 60,
      • Mercredi 13 décembre à 20 heures : Période de fêtes – pas de conférence,
      • Mercredi 17 janvier 2024 à 20 heures : René POISMANS, Organisation mondiale du commerce (OMC) – Volet agricole : pourquoi, comment et pour qui ?
      • Mercredi 21 février à 20 heures : Jean KATTUS, Lire, le meilleur remède
      • Mercredi 20 mars à 20 heures : Alexandre DELRÉ, Réussir sa vie avec un handicap,
      • Mercredi 17 avril à 20.00 : Patrick THONART et Philippe VIENNE, 20 ans après, l’encyclopédie wallonica.org court toujours…
      • Mardi 14 MAI à 20.00 : Thierry MARTHUS, Les châteaux de la Renaissance française,
      • Mercredi 19 JUIN à 20.00 : Béatrice MASUY, Historique des espaces verts de Cointe.

La CHiCC, partenaire de wallonica.org

La CHiCC est partenaire de wallonica.org depuis 2020 et nous partageons en nos pages les différentes publications de l’asbl. L’édition dans la wallonica d’un ouvrage d’Emile DEGEY sur les rues de Cointe a été l’impulsion pour nous, qui a permis de développer notre topoguide… La CHiCC et wallonica.org mutualisent également leur visibilité sur les réseaux sociaux, comme le montre l’illustration ci-dessous : le texte d’une conférence de la CHiCC publié dans la wallonica puis relayé sur la page FaceBook de l’association a touché 1.485 personnes en plus !

Infos pratiques

Le bureau de la CHiCC se tient à votre disposition pour tout renseignement :


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SCHURGERS : Le long de l’Ourthe, insolite et changeante, d’hier à aujourd’hui (CHiCC, 2019)

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La vallée de l’Outre à Colonster © WBT – Joseph Jeanmart

La vallée de l’Ourthe est bien connue pour ses paysages grandioses, ses richesses naturelles et son patrimoine remarquable. Je propose une croisière de sa source à sa confluence et un pèlerinage dans le temps, c’est avant tout juste une balade. Quelle longue vie jusque Liège ! Peu de cours d’eau peuvent se prévaloir d’un parcours aussi varié.

L’Ourthe a tracé une artère Sud-Nord importante et s’offre un voyage dans les régions et dans le temps. Née en Ardenne, elle passe successivement en Calestienne, en Famenne et dans le Condroz pour terminer sa vie dans le sillon mosan.

Mais elle nous fait aussi voyager dans le temps, en taillant dans le sol. Les paysages et les pierres nous racontent cette longue histoire. En effet, au départ, il y a l’Ourthe occidentale et l’Ourthe orientale. La zone des sources est constituée de prairies humides dans les hauts plateaux d’Ardenne.

La confluence, près de Nisramont, donnera naissance à l’Ourthe. La vallée s’enfonce. Dans cette première partie elle traverse l’Ardenne et ses forêts, elle y dessine de grands méandres et ses versants sont abrupts. La Famenne l’accueille à Marcourt. C’est une dépression schisteuse, l’Ourthe s’étale, serpente au creux des prairies.

En Calestienne, l’Ourthe a creusé dans ce massif calcaire, pendant des millénaires, de nombreux phénomènes karstiques, tels des grottes. Il y a peu d’alluvions, les vallées sont plus encaissées, comme à Durbuy. Dans le Condroz, on observera une alternance de terrains calcaire et de grès. Cette région est réputée pour ses nombreuses carrières.

L’histoire industrielle de la Vieille-Montagne est liée aux derniers kilomètres de l’Ourthe. Elle entre ainsi dans le sillon mosan. Sur ses terrains tendres, elle s’étale et sa plaine alluviale est large. Elle entrait alors par de multiples ramifications dans les faubourgs de Liège. Son trajet a été simplifié à plusieurs reprises et son tracé actuel n’existait pas avant 1900.

Elle est canalisée à partir du pont de Fragnée, appelée “la Dérivation”, et finalement rejoint la Meuse au pont Atlas. Mais cette rivière autrefois sauvage était plus romantique que navigable. Elle a été l’objet de nombreux projets. Sous la domination hollandaise, en 1828, on imagina la canalisation de l’Ourthe au-delà de La Roche pour la relier à la Moselle dans le but de faire la jonction Meuse-Rhin afin d’améliorer les échanges commerciaux. Ce projet n’a jamais abouti. Quelques vestiges sont encore visibles dont ceux d’un souterrain à Bernistap (Houffalize).

La jeune Belgique, en 1845, lance un nouveau projet pour améliorer la navigation, un canal parallèle à l’Ourthe entre Liège et La Roche. On ne le réalisera que jusqu’à Comblain. La ligne de chemin de fer inaugurée en 1866 fut le début du déclin de la navigation sur l’Ourthe.

De nombreux vestiges entre Liège et Comblain-au-Pont sont encore visibles. Mais tout au long de son parcours, on rencontrera d’autres éléments d’archéologie industrielle ou de génie civil, vestiges d’activités économiques, car l’Ourthe a été longtemps le seul axe de communication. Elle a favorisé les activités industrielles de la région: moulins, scieries, turbines, carrières, industries métallurgiques (sidérurgie, zinc), forges, laminoirs…

Aujourd’hui tranquille, son cadre bucolique et ses paysages variés chargés d’histoire en font une destination touristique privilégiée. Le tourisme tire également parti de la rivière : ses rives accueillent randonneurs et cyclistes, et pêcheurs et kayaks se partagent la rivière. Je vous invite à la découvrir, elle vous ravira !

Odette SCHURGERS


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Odette SCHURGERS a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC en février 2019 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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TUNSTRÖM : L’Oratorio de Noël (1986)

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ISBN 978-2-8686-9929-9

Jauchzet, frohlocket, auf preiset die Tage !
Rühmet, was heute der Höchste ge-than…

Ce livre est la beauté en sabot ; la preuve à chaque brin d’herbe que la Grande Santé est l’avers des abysses de la tristesse ; l’évidence à chaque bûche fendue avec force qu’au sommet rugueux de la pyramide des larmes, repose la lumière du cœur et que les deuils les plus sages sont aussi des couloirs de folie douce. La souriante brutalité du Grand Nord à tous les étages, une narration foisonnante, une des écritures les plus subtilement modernes et exactes que l’on puisse goûter dans un roman qui est, en fait, une fausse épopée, qui est plutôt une mise en abyme du premier drame de l’histoire, revisité dans chacune des vies qui l’ont suivi. Ce n’est pas tant l’Oratorio de Noël que l’Art de la Fugue. A lire, à goûter avec une saine émotion…

TUNSTRÖM Göran, L’Oratorio de Noël (Arles : Actes Sud, 1986, traduit du suédois par Marc de Gouvenain et Lena Grumbach)


Piétinée par un troupeau de vaches, Solveig, la soprano, ne pourra prendre sa place à Sunne dans L’Oratorio de Noël. Autour de ce drame fondateur va s’orchestrer, dans la Suède de notre siècle, le destin de trois générations de Nordensson — leurs tribulations, leurs rêves, leurs souffrances, leurs transgressions et leurs désirs visionnaires qui, au fil du récit, se déploient en un véritable oratorio. Car tel est le motif de ce roman foisonnant, intense et lyrique, qui nous entraîne aux confins de l’éblouissement, de la folie, de la mort et de l’amour, et qui valut à Göran Tunström la consécration en Suède, lors de sa parution en 1983, puis en France.

Marc de Gouvenain (Actes Sud)


“À la fois poète et romancier, Göran Tunström (1937-2000) est considéré comme un écrivain majeur de la littérature suédoise de la fin du XXe siècle. Sa carrière littéraire s’est étendue sur presque quatre décennies, mais il n’a réellement été connu du grand public qu’en 1996, lorsque son œuvre L’Oratorio de Noël (Actes Sud, 1986) a été adaptée au cinéma. Il est reconnu pour son exploration complexe des relations interpersonnelles. On lui doit une vingtaine d’œuvres comprenant des romans, une dizaine de recueils de poésie, des nouvelles ainsi que des témoignages et des pièces radiophoniques.” [source : ACTES-SUD.FR]


Dès les premières pages de L’Oratorio de Noël, nous savons que nous allons être emportés par un fort courant romanesque aux confins de l’éblouissement, de la folie, de la mort et de l’amour. Trois générations de Nordensson, que dominent trois hommes — Aron, Sidner et Victor —, nous prennent en effet à témoins des inoubliables transgressions auxquelles leurs rêves, leurs talents, leurs ambitions et leurs désirs visionnaires vont les entraîner. Mais les femmes ne sont pas absentes de ces tribulations pathétiques, et en particulier Solveig, l’épouse d’Aron, qui meurt dès les premières pages, piétinée par un troupeau de vaches sous les yeux de son fils, et qui va les hanter tous, au point parfois de les conduire à l’irréparable. Et L’Oratorio de Noël. de Bach dans tout cela ? Au premier degré, c’est l’un de ces sujets où la communion des personnages soudain s’exalte. Mais très vite la symbolique s’impose. Car le roman de Tunström se construit, s’épanouit, s’amplifie comme un oratorio. La Suède nous avait habitués à des livres forts et passionnants. Cette fois elle nous propose l’un de ces grands romans européens dont Kundera dit qu’ils ont engagé le dialogue avec la philosophie. Un dialogue inoubliable.

Hubert Nyssen / Bertrand Py (Actes Sud)


La paix est sur eux maintenant, comme tant d’autres fois, ils sont ensemble, entourés de l’air de Noël de Bach.
Pour commencer, tu vas me pousser, Sidner.
Et il pose ses mains sur le porte-bagages, appuie ses pieds nus dans le gravier, la pousse un bon coup. Solveig s’assied sur la selle, et la voilà partie, les rayons chantent, du gravier et des petits cailloux giclent et elle engloutit dans ses poumons tout l’été des arbres et des bords du chemin, aspire les odeurs des reines-des-prés, du gaillet jaune et des marguerites, et Sidner coupe à travers la cour, arrive en haut du talus abrupt juste au-dessus du virage et crie : « Salut… » et voit les vaches, voit son père, voit que Solveig essaie de freiner, voit la chaîne qui saute, voit qu’elle ne réussit pas éviter, voit les premières vaches s’écarter devant cette flèche qui file, voit que celles qui trottinent derrière n’ont pas le temps, la voit tomber droit en plein dans la grotte de chair, de cornes et de sabots doubles, la voit tomber et rester étendue, tandis qu’elle est piétinée, piétinée, et longtemps encore après qu’elle n’est plus – « Il existe, note Sidner dans son journal Des Caresses, des instants qui ne cessent jamais. »


Savoir lire…

HALMES : L’axe du 3e millénaire à Liège (CHiCC, 2019)

Temps de lecture : 6 minutes >

Panorama vers la gare, la tour des finances et la Boverie, depuis Cointe © Philippe Vienne

Depuis le début du 3ème millénaire, l’axe Guillemins-Boverie jusqu’aux quais de la Dérivation connaît un profond renouvellement. Des architectures résolument modernes y sont développées. Appel est fait à des architectes de renom qui s’y distingueront aux côtés de bureaux d’ingénierie de réputation internationale. Cette promenade nous emmènera le long de ce nouvel axe contemporain.

Tout d’abord, la gare des Guillemins. La nouvelle construction est rendue nécessaire par la volonté d’accueillir les trains à grande vitesse dans la cité mosane et par la vétusté de l’ancienne gare. C’est l’architecte Santiago Calatrava Valls qui est retenu pour réaliser ce qui deviendra la gare blanche, la cathédrale de verre. Relevant de l’architecture organique, la construction se caractérise par la ligne courbe. Calatrava la voit comme “la belle endormie au pied de la colline”.

65.000 m3 de béton, 10 000 tonnes d’acier et 3 ha de verre seront nécessaires à la construction. Cette prouesse d’ingénieurs se réalisera sans interruption du trafic ferroviaire. Les 39 arcs de 160 m seront placés par-dessus les voies, à l’aide de vérins, au cours de poussages successifs. Le pont haubané d’accès, à l’arrière de la gare, représente lui aussi un défi pour les ingénieurs : son tablier est courbe et en déclivité.

La gare et l’esplanade © Philippe Vienne

Il s’agit d’une gare, mais avant tout d’un signe architectural. Calatrava la voit comme le signe de l’ouverture de Liège sur son avenir. La belle endormie ne demande qu’à se réveiller. Gare sans façade, les nouveaux Guillemins sont tout en transparence. Depuis Cointe, nous pouvons aisément la traverser et aboutir à la nouvelle esplanade dessinée par le bureau Dethier. Cette place triangulaire avec ses bassins, ses jets d’eau, ses bambous et autres plantations, est aussi le lieu de passage des bus et bientôt du tram.

La tour des finances depuis le parc de la Boverie © Philippe Vienne

Second bâtiment d’importance : la tour des finances. Sur notre trajet vers cette plus haute tour de Wallonie, évoquons le futur Paradis Express, un nouvel éco-quartier avec toitures verdurisées, avec bâtiments de hauteurs dégradées, depuis la tour jusqu’à la gare pour évoquer les collines environnant Liège. La Design Station Wallonia, vitrine de la promotion du design en Wallonie, se veut un signe architectural fort dans le quartier avec son porte-à-faux au-dessus de la voirie.

La tour des finances – ou tour Paradis – domine le paysage avec ses 28 étages et ses 136 m de hauteur. Faite de béton et de verre, sa forme évoque un bateau descendant la Meuse. Elle est l’œuvre du bureau d’architecte Jaspers-Eyers. S’y regroupent plus de 1.000 fonctionnaires.

“La Belle Liégeoise” et la Tour cybernétique © Philippe Vienne

En nous dirigeant vers le parc de la Boverie, se dessine devant nous le nouveau boulevard urbain. S’étendant du pont de Fragnée jusqu’à l’Évêché, il rend les quais de Meuse aux Liégeois en ralentissant la circulation, par l’aménagement de nouveaux espaces verts et d’une promenade pour la circulation douce le long du fleuve.

La passerelle La Belle Liégeoise a été inaugurée le 5 mai 2016. Cette “belle Liégeoise” désigne Anne Josèphe Terwoigne de Méricourt. Originaire de chez nous, elle s’est distinguée pendant la Révolution française par sa lutte pour les droits démocratiques et les droits des femmes. Deux cents ans après sa mort, les autorités liégeoises ont voulu rendre hommage à une femme qui s’est battue pour la liberté.

La passerelle, réalisée par le bureau Greisch, est constituée d’une structure d’acier sur laquelle est posée un plancher de bois. Elle est d’une longueur de 294 m dont 163 au-dessus du fleuve. Deux descentes conduisent vers le parc dont l’une est particulièrement destinée aux usagers à mobilité réduite.

Tour cybernétique de Nicolas Schöffer © Philippe Vienne

Jetons au passage un regard à la tour de Schöffer, un chef d’œuvre de l’art cybernétique. Réalisée en 1961, classée au patrimoine exceptionnel de Wallonie en 2009, elle a été restaurée, par le bureau Greisch également, qui la dote des technologies les plus modernes. La tour s’anime à nouveau depuis 2016 de mouvements, de sons aléatoires et de lumières.

Le musée de la Boverie, lui aussi, a connu une rénovation qui lui donne une nouvelle vie. Conçu en 1905 pour l’Exposition universelle, le Palais des Beaux-Arts sera un des seuls bâtiments qui lui survivront. Œuvre des architectes Hasse et Soubre, il relève de l’éclectisme et s’inspire du Petit Trianon. Sa rénovation est décidée en 2013 en vue d’en refaire le musée des Beaux-Arts de Liège, en collaboration avec le Louvre.

La Boverie © visitezliege.be

La travail est confié à l’architecte Rudy Ricciotti, connu pour son travail particulier du béton et son souci d’inscrire son œuvre dans le cadre qui lui est propre. C’est ainsi que peu sera modifié à l’extérieur du bâtiment historique dont le sol sera creusé afin d’y dégager un espace pour les collections permanentes. Une grande salle vitrée de 1200 m2 sera construite à l’est du bâtiment, là où se trouvait un mur aveugle. Cette salle est soutenue par 21 colonnes de béton travaillées comme des arbres, des arbres du parc que les hautes fenêtres peuvent refléter. Au sud est ajouté un plan d’eau, miroir à la fois du bâtiment et de la verdure environnante.

De l’autre côté de la Dérivation, se détachent les arcs de couleur rouge de la Médiacité. Construit sur les friches de l’Espérance-Longdoz, cet ensemble architectural avait pour but de rendre une nouvelle vie à un quartier précédemment voué à l’activité industrielle, ce que rappelle la Maison de l’Industrie et de la Métallurgie toute voisine. Ce projet, né au début des années 2000 comme un complexe de cinémas, mettra un certain temps à voir sa réalisation. Et c’est largement modifié qu’il verra le jour, associant à cet endroit une galerie commerciale, une patinoire et les nouvelles installations de la RTBF.

Médiacité © Philippe Vienne

Chargé du projet de la Médiacité, le bureau Jaspers et Eyers fera appel à un architecte de réputation internationale, Ron Arad, pour donner à la construction sa touche de modernité. C’est lui qui concevra le passage de 360 m qui serpente à travers la galerie, terminé par les arcs de couleur rouge, qui en fait l’originalité. La couverture de cette voie est faite d’une structure métallique de poutres entrecroisées recouvertes d’un matériau léger, isolant et transparent.

La patinoire voisine est accessible par l’intérieur de la galerie. De dimensions olympiques, il s’agit de la plus grande patinoire de Wallonie. De l’extérieur, elle fait penser à une baleine, car elle est couverte de milliers d’écailles d’aluminium dont le rôle est de donner la brillance, mais surtout d’assurer l’isolation notamment acoustique.

Tout à côté s’érige Médiarives, le nouveau site de la RTBF. Ce bâtiment a été voulu tout en sobriété et en transparence, comme se veut le service public. Il comprend bureaux et studios, dont le plus grand studio de Wallonie (500 places) où l’on enregistre entre autres l’émission “The Voice”.

Nous avons ainsi parcouru cet axe du 3e millénaire, où les réalisations les plus modernes s’inscrivent dans un paysage urbain riche de son passé centenaire et où les voies de circulation automobile s’interrompent pour laisser place à des espaces verts et à des promenades piétonnières.

Brigitte HALMES


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Brigitte HALMES a fait l’objet d’une conférence organisée en avril 2019 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

PINELLI : Heinz von Furlow 1929 Porquerolles (2014, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

PINELLI Joe G., Heinz von Furlow 1929 Porquerolles (2014)
[dessin aux bâtons d’huile ; 40 x 50 cm]

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Joe_G_Pinelli
Joe G. Pinelli © PLG

Joe G. (Giusto) PINELLI (né en 1960) est un illustrateur, dessinateur et scénariste de bande dessinée.  Il arrive à Liège à la fin des années 1970, pour y suivre le cours de bande dessinée de Jacques Charlier à l’Académie Royale des Beaux-Arts. Lorsqu’il commence à réaliser ses premières bandes dessinées, il décide de se raconter, de mettre en image son quotidien. De nombreux extraits de ces récits autobiographiques, sont publiés dans des fanzines, tant en Belgique qu’en France ou encore aux Pays-Bas. Son graphisme libéré et tendu en fait l’un des auteurs importants de la Bande dessinée indépendante.

Ce dessin aux bâtons d’huile fait partie de l’œuvre du peintre fictif Hans Von Furlow, créé par Joe G. Pinelli et évoqué notamment dans son album Féroces Tropiques (Dupuis, sur scénario de Thierry Bellefroid). A travers la biographie d’un autre peintre fictif, celle de Kurt Hix, Pinelli évoque en filigrane la première guerre mondiale et plus tard, dans une série de fanzines, la montée du nazisme…

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © PLG | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ISBN : 2-9505628-2-5

Que cigares – unicamente puros (volume 3/3, PLG, 1993, épuisé)
“Même rage de témoigner dans l’urgence (que Cassavetes), avec cette suprême élégance qui consiste à ne jamais faire de tri en fonction des critères de convenances et de bonnes manières.”

Evariste Blanchet

REGGIANI : Le temps qui reste (2002)

Temps de lecture : 2 minutes >

Serge REGGIANI en 1974 © Getty Images

Combien de temps…
Combien de temps encore
Des années, des jours, des heures, combien ?
Quand j’y pense mon cœur bat si fort…
Mon pays c’est la vie.
Combien de temps…
Combien…

Je l’aime tant, le temps qui reste…
Je veux rire, courir, parler, pleurer,
Et voir, et croire
Et boire, danser,
Crier, manger, nager, bondir, désobéir.
J’ai pas fini, j’ai pas fini,
Voler, chanter, partir, repartir
Souffrir, aimer
Je l’aime tant le temps qui reste.

Je ne sais plus où je suis né, ni quand
Je sais qu’il n’y a pas longtemps…
Et que mon pays c’est la vie
Je sais aussi que mon père disait :
Le temps c’est comme ton pain…
Gardes-en pour demain…

J’ai encore du pain,
J’ai encore du temps, mais combien ?
Je veux jouer encore…
Je veux rire des montagnes de rires,
Je veux pleurer des torrents de larmes,
Je veux boire des bateaux entiers de vin
De Bordeaux et d’Italie
Et danser, crier, voler, nager dans tous les océans
J’ai pas fini, j’ai pas fini,
Je veux chanter
Je veux parler jusqu’à la fin de ma voix…
Je l’aime tant le temps qui reste…

Combien de temps…
Combien de temps encore ?
Des années, des jours, des heures, combien ?
Je veux des histoires, des voyages…
J’ai tant de gens à voir, tant d’images..
Des enfants, des femmes, des grands hommes,
Des petits hommes, des marrants, des tristes,
Des très intelligents et des cons,
C’est drôle, les cons, ça repose,
C’est comme le feuillage au milieu des roses…

Combien de temps…
Combien de temps encore ?
Des années, des jours, des heures, combien ?
Je m’en fous, mon amour…
Quand l’orchestre s’arrêtera, je danserai encore…
Quand les avions ne voleront plus, je volerai tout seul…
Quand le temps s’arrêtera..
Je t’aimerai encore,
Je ne sais pas où, je ne sais pas comment…
Mais je t’aimerai encore…
D’accord ?

La même, chantée par un Serge REGGIANI vieillissant (paroles : Jean-Loup DABADIE ; musique : Alain GORAGUER) :


Plus d’arts de la scène…

CRUTZEN : Le Docteur Candèze : aliéniste, entomologiste éminent, photographe de génie et conteur charmant… (CHiCC, 2020)

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Ernest Candèze, “Le ballon photographique” © Musée de la Vie Wallonne, Liège

Le Docteur Candèze (Liège 1827 – Glain 1898) : aliéniste, entomologiste éminent, photographe de génie et conteur charmant…

Ernest Candrèze © J. Malvaux

Né à Liège le 22 février 1827, Ernest CANDEZE découvre, dès ses études secondaires, le monde des insectes au cours des fréquentes balades nature organisées par un de ses professeurs.

En 1845 il entame des études de médecine à l’Université de Liège. Il y rencontre Félicien Chapuis, jeune Verviétois passionné d’entomologie. Les deux garçons consacrent tous leurs temps libres à chasser et étudier les insectes.

Quand ils ne trouvent réponse à leurs questions, ils vont interroger leur professeur de zoologie, Théodore Lacordaire, et rapidement une profonde amitié les unit tous les trois. Conscient du sérieux, de la motivation et du talent des deux jeunes gens, Lacordaire leur conseille de s’intéresser aux larves, domaine jusqu’alors inexploré. Rapidement ils deviennent experts dans l’art de les débusquer, de les élever et de les caractériser, elles et tous les stades qui conduisent à l’insecte adulte.

En 1852, ils obtiennent leur diplôme de médecin et partent huit mois en stage dans les hôpitaux parisiens. A leur retour, ils publient un Catalogue des Larves des Coléoptères”dans les Mémoires de la Société des Sciences de Liège”, qui reçoit un excellent accueil dans le monde entomologique.

Chapuis rentre alors à Verviers s’occuper du cabinet médical familial. Candèze, lui, fasciné par les lamellicornes, se consacrerait volontiers à leur étude. Mais, quelques années plus tôt, Lacordaire a entamé la rédaction d’un ouvrage rassemblant l’ensemble des connaissances sur les 80.000 espèces de coléoptères, et il ne dispose que de peu de données sur les élatérides, une famille qui n’a fait l’objet que de rares études sommaires.

Athous haemorrhoidalis (Elatéride) © A.Lous

Par amitié, le Docteur Candèze finit par accepter de combler ce manque, et contacte l’ensemble des sociétés entomologiques européennes pour solliciter les collections que leurs membres auraient rassemblées. En six ans, il publie une Monographie des Elatérides”, un ouvrage en quatre tomes totalisant deux mille pages et huit cents illustrations. A nouveau, le travail est fort apprécié dans la communauté scientifique. Candèze, reconnu comme le spécialiste de cette famille d’insectes, est alors bombardé de spécimens de partout dans le monde, qui l’occuperont jusqu’à la fin de sa vie d’entomologiste.

Ernest Candèze, “Périnette, histoire de cinq moineaux”, Hetzel © antiqbook.com

Au cours de ses balades dans la région spadoise, il rencontre à plusieurs reprises Pierre Hetzel, le célèbre éditeur de littérature pour la jeunesse. Les deux hommes sympathisent et Hetzel convainc Candèze de rédiger un roman de vulgarisation entomologique. Aventures d’un Grillon” paraît en 1877. Il sera suivi de La Gileppe” en 1879, et Périnette, Histoire de cinq moineaux” en 1886.

Le Docteur Candèze fut membre de nombreuses sociétés savantes. Parmi elles, il y a l’Académie royale de Belgique – classe des Sciences, dont il fut directeur en 1873 et la Société entomologique de France, dont il fut membre honoraire à partir de 1882.

Une autre de ses passions fut la photographie. Épris de voyages et d’excursions, il conçoit un appareil photographique portable qui l’affranchit des inconvénients du matériel existant – poids et encombrement. Le Scénographe qui, replié, tient dans une poche et ne pèse que 400g, rencontre un vif succès commercial. De plus, il invente un obturateur permettant d’atteindre le centième de seconde, prouesse nécessaire pour être le premier à obtenir des clichés nets à partir d’un train lancé à toute vapeur. Il réalise également des photos aériennes à partir d’un ballon captif.

Le Docteur Candèze fut aussi le fondateur de l’Association belge de Photographie,en 1874. Il en fut le seul membre à remplir les trois fonctions de vice-président, de président et de commissaire. Durant de nombreuses années, il fut président de la section liégeoise de l’Association.

De profession, le Docteur Candèze était aliéniste, c’est-à-dire psychiatre. Il exerçait à la Maison de Santé Notre-Dame-de-Lumière, établissement de qualité internationalement reconnue, situé en Glain. En 1855, il épouse Elise Abry, la fille du directeur, qui lui donne cinq enfants. On sait relativement peu de son activité médicale, juste quelques articles parus dans la presse, relatant des procès où il intervint en tant qu’expert ou témoin.

A la mort de Thomas Abry, par ailleurs premier bourgmestre de Glain, il assure la direction de la maison de santé jusqu’en 1892. Il arrête alors toute activité et fonde le Cercle des Entomologistes Liégeois, où il se consacre à intéresser et former les jeunes à l’entomologie. Il décède à Glain le 30 juin 1898.

André CRUTZEN


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de André CRUTZEN a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MYNCKE : Man’s story (2012, Artothèque, Lg)

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MYNCKE Charles, Man’s story
(impression numérique, 50 x 40 cm, 2012)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

myncke
Charles Myncke © be.linkedin.com

Charles MYNCKE est un jeune artiste belge issu d’Arts², l’école supérieure des arts de Mons. Il touche à plusieurs techniques artistiques : peinture, sculpture, installations, interventions de street art et impressions digitales. Il se distingue par une esthétique accessible, une thématique large, et une patte indéniable. Son travail se base en général sur un sujet concret et en travestit l’image, le code esthétique et le contexte afin d’ouvrir un miroir à deux sens sur une époque, une idée ou un thème. (d’après LESMUSEESDELIEGE.BE)

Cette impression laser est issue de la série “Cover Myself”, présentée notamment à la Biennale de la Gravure de Liège en 2015. Ici, Charles Myncke puise son inspiration dans les affiches des films américains de série B ou des couvertures de magazines d’aventures d’après-guerre. Elles en reprennent les compositions, les clichés et les slogans. Avec beaucoup d’humour, il reprend les codes de ces visuels rétro pour mieux les détourner : on retrouve dans chacune de ses images l’artiste lui-même, dans des autoportraits en pirate, aventurier, gangster ou témoin de scènes de crime, entouré de soldats, de bandits, d’indigènes de contrées lointaines, de robots futuristes et de femmes sexy caricaturales… Les images ainsi mises en scène, ces univers vintage et décalés donnent à voir le regard enjoué de l’artiste sur cette période, à moins justement que ces pastiches ne soient là que pour en suggérer l’actualité (d’après LESMUSEESDELIEGE.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Charles Myncke ; be.linkedin.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LARDOT : Dame au smartphone (2017, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LARDOT Didier, Dame au smartphone
(photographie, 44 x 60 cm, 2017)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Didier Lardot (né en 1957) est originaire de Bomal et vit à Aisne (Durbuy). Décrivant son appareil photographique comme “la prolongation de ses yeux”, le photographe parcours l’Europe en quête de témoignages et réalise des séries de portraits de rue ou de paysages durant ses voyages ou en Belgique, où il vit.

La pratique de la photographie se rapproche de celle du documentaire, figeant des instants de vie. Didier Lardot se concentre sur des détails, des portraits, des objets qui pourtant, portent en eux une histoire, et racontent quelque chose d’une vie, de l’Histoire, d’une universalité faite de joies et de souffrances.

Ce portrait a été réalisé en Bosnie, en octobre 2017, durant un court séjour à Sarajevo. Le photographe y lie des connaissances et déambule dans la ville à la recherche de portraits. Le titre précise un détail de l’image qui évoque la rencontre d’une certaine modernité qui s’entrecroise avec un passé à la mémoire douloureuse (guerre des Balkans de 1991 à 2001). Le regard de la dame et l’ensemble de la scène, à part le téléphone portable, semblent intemporels, figés dans le temps. Il explique que dans cette ville où persistent des “bâtiments criblés de balles, témoignages de massacres et récits de survivants”, il remarque cette “dame au smartphone” qui semble perdue dans ses pensées. Une lumière rasante, la fumée de cigarette, le sac sur les genoux donnent à la scène une ambiance de profonde tristesse.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Didier Lardot | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

CLOSSET : Sans titre (1986, Artothèque, Lg)

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CLOSSET Brigitte, Sans titre
(gravure, 56 x 38 cm, 1986)

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© Brigitte Closset

Brigitte CLOSSET est née à Liège, en 1958. Elle étudie dans cette même ville à Saint-Luc puis à l’Académie des Beaux-Arts. Elle enseigne la gravure depuis 1981 à Saint-Luc à Liège. (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

Cette image à la limite de la figuration est issue d’une série d’études sur le corps féminin. L’artiste s’affranchit peu à peu du modèle pour créer une composition de lignes, de masses et de matières.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Brigitte Closset ; be.linkedin.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

DICKENSCHEID, Michel (né en 1945)

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Michel DICKENSCHEID est né à Ougrée (Seraing), en 1945.  Né dans une famille éprise de musique classique, il se familiarise pourtant avec le jazz dès sa petite enfance, après avoir entendu par hasard Duke Ellington à la radio. Après quelques essais à la flûte et à la batterie, il découvre les “saxophonistes hurleurs” qui jouent derrière Louis Prima et, sous leur influence, adopte le saxophone-ténor ; il fait la connaissance de Raoul Faisant, qui devient son professeur en même temps que son “idole”. Tournant le dos à la musique yé-yé qui sévit alors, il devient un jazzman affirmé.

Au début des années 70, il monte une petite formation jouant essentiellement de la musique latine et qui tourne principalement en Hollande. Suspicieux à l’égard du be-bop et de ses avatars, Dickenscheid fréquente assez peu les jam-sessions liégeoises. Il participe pourtant avec Steve Houben et Guy Cabay aux répétitions qui donneront naissance au groupe Open Sky Unit (Pelzer) et il travaille quelques temps avec Charles Loos et Jean-Louis Rassinfosse.

Entretemps, il s’intéresse au délicat problème de la prise de son dans le processus musical. Décidé à mettre en pratique ses théories sur ce sujet, il ouvre un studio qui sera l’un des premiers à enregistrer à nouveau des jazzmen belges (Michel Herr, Saxo 1000, Mauve Traffic, etc.) ou résidant en Belgique (Lou Mc Connell, par exemple). Il joue à ce titre un rôle important dans la relance qui caractérise le jazz à cette époque.

Absorbé par ce travail, Dickenscheid délaisse quelque peu son instrument. Au début des années 80, il décide de remonter une petite formation tout à fait insolite pour l’époque, strictement acoustique (ténor, deux guitares, une contrebasse). Il s’y révélera comme le seul héritier de Raoul Faisant sur son terrain de prédilection : le jazz swing (Django Reinhardt, Coleman Hawkins, etc.). Pendant quelques années, il travaillera avec cet ensemble de manière régulière – ses lieux de concerts privilégiés étant le bistrot, la place publique ou la rue plutôt que la salle ou le club.

En 1988, Dickenscheid ralentit ses activités avant de dissoudre cet orchestre unique en son genre (et très populaire dans la région liégeoise). Il demeure néanmoins au cœur du monde musical à deux titres au moins. Tout d’abord, soucieux depuis des années de mettre au point une méthode d’apprentissage de la musique mieux adaptée au phénomène d’improvisation, il s’intègre au travail de la Cool Music School montée par les Jeunesses Musicales. Ensuite, toujours passionné par les problèmes acoustiques, il invente un système d’enregistrement des instruments à vent, qui, s’il laisse indifférents ses compatriotes, a tôt fait d’intéresser les grosses firmes d’instruments de musique ainsi que de nombreux musiciens, qu’ils viennent du jazz ou de la musique classique (Michel Portal, Alexandre Ouzounoff, etc.).

Jean-Paul  Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : cadencesmusic.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

MATHY : Dog Show (2014, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MATHY Vincent, Dog Show
(impression numérique, 23 x 23 cm, 2014)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

VincentMathy
Vincent Mathy

Vincent MATHY, né à Liège en 1971, a suivi les cours de l’école Saint-Luc de Bruxelles. Son dessin, qui mêle techniques traditionnelles et numériques a très vite séduit. Illustrateur de talent, il a publié une trentaine d’albums jeunesse (Gallimard Jeunesse, Albin Michel, Bayard, Milan, L’Ecole des Loisirs …) et de bandes dessinées. Il est notamment co-auteur de la série “Ludo” chez Dupuis. (d’après  GALLIMARD-JEUNESSE.FR)

Cette illustration est une impression numérique limitée à 20 exemplaires réalisée pour thewurstgallery.com. L’image a été exposée avec celles de dizaines d’illustrateurs internationaux à Portland, en 2007. Chaque illustrateur donnait sa vision du “Dog show”. Ici ce sont deux puces qui maîtrisent un chien, sous la menace de leur colt. Le dessin délicat de Mathy évoque son travail d’illustrateur jeunesse, notamment chez Père Castor.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Vincent Mathy ; editionslesfourmisrouges.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

TILLMANS, Wolfgang (né en 1968)

Temps de lecture : 3 minutes >

© Wolfgang Tillmanns – lecho.be

Wolfgang TILLMANS se fait connaître dès le début des années 1990 comme le photographe d’une jeunesse libertaire issue de la génération post-punk et qui se reconnaît dans la musique techno. 

“À l’occasion des raves et des rassemblements gays, il saisit, dans des tirages jet d’encre de grand format, souvent non encadrés, la vulnérabilité des corps et les poses informelles de ses amis, des modèles suivis pendant de nombreuses années au cœur de leur intimité. Sensible à la photographie comme un art social, en lien direct avec le réel, Tillmans revendique une empathie avec ses sujets et un art qui atteint à l’essentiel par l’attention portée à une époque.

Ce faisant, il revisite les genres traditionnels : portraits, natures mortes, paysages. Wolfgang Tillmans n’a cessé de s’interroger sur la technique photographique. En témoignent ses images agrandies et recadrées à l’aide d’un photocopieur ou ses photographies abstraites réalisées dans la chambre noire, sans caméra, à l’aide d’un seul faisceau lumineux. Depuis 1992, il conçoit lui-même la présentation de ses expositions. Créant des constellations de photographies suspendues, collées au mur, présentées sur table sans hiérarchie prédéfinie, il utilise l’espace comme un laboratoire où le collectif des images fait écho à la communauté humaine. Il vit et travaille à Londres et Berlin.” [en savoir plus sur FONDATIONLOUISVUITTON.FR]

Wolfgang Tillmans à la Tate Gallery © apollo-magazine.com

“Wolfgang Tillmans est un artiste mondialement reconnu et parmi les plus influents de sa génération, qui a repoussé les limites de la photographie et de la création d’image. À travers une grande richesse technique et la variété des sujets, c’est avant tout la notion de visibilité qui parcourt son œuvre. À l’heure de la saturation totale des images, l’artiste soulève des questions essentielles : qu’est-ce qui est rendu visible et qu’est-ce qui reste caché ? Comment créer des images porteuses de sens ? À partir de quand un phénomène devient-il perceptible ? Quel est le lien entre ce que nous percevons et ce que nous connaissons ? Quel est l’impact des nouvelles technologies sur notre manière de voir le monde ?

Ces interrogations sont révélatrices de la portée politique de son travail. Depuis ses premières œuvres qui témoignent des nouveaux paradigmes sociaux et culturels poussés par une génération marquée par la crise du SIDA et la chute du Mur, Tillmans a toujours fait preuve d’une conscience politique aiguë. Depuis plusieurs années, son engagement dépasse la pratique artistique et se manifeste dans un véritable activisme social en faveur de la démocratie et des droits des minorités, à travers sa fondation Between Bridges et les différentes campagnes pro-européennes dont il est à l’origine.” [d’après WIELS.ORG]
En savoir plus sur le site de Wolfgang Tillmans…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Wolfgang Tillmans ; lecho.be ; apollo-magazine.com


Plus d’arts des médias…

WOUTERS, Liliane (1930-2016)

Temps de lecture : 7 minutes >

À l’enfant que je n’ai pas eu
mais que d’un homme je reçus
septante fois sept fois et davantage, à l’enfant sage
dont je formai le souffle et le visage
sept fois septante fois, dans un ventre pareil
au mien, par des nuits rouges de soleil,
par des jours cristallins d’aurore boréale,
à l’enfant dont je porte en moi les initiales
secrètes, ainsi que ton nom, Yahvé,
enfant conçu, toujours inachevé,
qu’on me fait, que je fais, à chaque fois que j’aime,
qui se défait en moi pour donner un poème,
à l’enfant qui ne viendra pas
clore mes yeux, choisir l’ultime drap,
marcher derrière mon poids d’os, de cendres,
me regarder dans la fosse descendre,
à cet enfant je lègue devant Dieu, devant
les hommes et mon chien, devant le jour vivant
(qui n’est que parce que je suis et qui mourra
comme je meurs) je lègue, pour autant que se pourra,
pour autant qu’il en fasse usage en lieu et place
de moi, ses père et mère en un seul être pris,
je lègue tous mes biens de chair, d’esprit,
de temps toujours compté et d’illusoire espace :

le coin de ciel que j’ai scruté en vain,
l’arpent de terre où j’usai mes semelles,
les quatre murs entre quoi je me tins,
les six cloisons qui leur seront jumelles;
l’argent qui m’est entre les doigts filé
— pour le plaisir que j’eus à le répandre —,
le faux savoir qu’on me crut refiler
— pour le bonheur d’aussitôt désapprendre — ;

les jours passés que je n’ai pas vécus,
les jours vécus près desquels suis passée,
le temps mortel à quoi j’ai survécu,
l’heure éternelle et pourtant effacée ;

l’amour jeté dont j’ignorais le prix,
l’amour donné à qui ne sut le rendre,
l’amour offert qu’aussitôt je repris,
l’amour perdu qu’on voit dehors attendre.

À l’enfant que je n’ai pas eu,
que pourtant j’ai, de ma semence
formé, dedans ma chair conçu,
dont chaque étreinte parfait l’existence,
à cet enfant je lègue pour le mieux mais surtout pour
le pire, ce que m’a prêté le jour :

le moi dont à crédit je fais usage
à des taux qui dépassent mes moyens,
dont je n’ai pu choisir ni le visage,
ni le sexe (il faut prendre ce qui vient) :

un cerveau creux dans une tête pleine,
un corps trop mou sur des os trop puissants,
un sang trop vif pour une courte haleine,
un cœur trop doux pour ce furieux sang,

des pieds qui n’ont soulevé que poussière,
des bras surpris d’avoir étreint le vent,
des genoux pris au piège des prières,
des mains restant vides comme devant;

des yeux fermés sur un côté des choses,
— cette moitié qui fait à tous défaut —,
des yeux ouverts sous leurs paupières closes
et dans le noir voyant plus qu’il n’en faut.

À l’enfant que je n’ai pas eu
je lègue enfin, pour qu’il en tienne
bien compte, pour qu’il s’en souvienne
par contumace, lorsque sera décousu
l’ourlet de mon passage sur l’étoffe ancienne :

les quinze choses que jamais je n’ai pu faire :
courber le front devant plus grand que moi,
marcher sur plus petit, montrer du doigt,
crier avec la foule, ou bien me taire,
reconnaître parmi les Blancs le Noir,
choisir dix justes, nommer un coupable,
trouver telle attitude convenable,
lire un autre que moi dans les miroirs,
conjuguer l’amour à plusieurs personnes,
résister à la tentation, blesser exprès,
rester dans l’indécis, dire Cambronne
au lieu de merde, qui est plus français.

Liliane Wouters, Tous les chemins mènent à la mer (Les Eperonniers, 1997)

© RTBF.BE

A écouter : A l’enfant que je n’ai pas eu lu par Laurence VIELLE (RTBF.BE/AUVIO)


A l’Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique, Liliane WOUTERS a occupé le fauteuil n° 12…

“Elle naît à Ixelles, le 5 février 1930. Furnes est le berceau de sa famille maternelle, la seule qu’elle connaisse. Après l’école primaire et un quatrième degré à Ixelles, à partir de l’automne 1944, elle est interne dans une section francophone à l’école normale de Gijzegem, près d’Alost. Toute jeune, elle s’essaie déjà à l’écriture. Elle sera institutrice dans sa commune natale, de 1949 à 1980. Elle voyage beaucoup à travers l’Europe, l’Afrique, le Canada et le Proche-Orient. Elle vivait à Ixelles (BE).

Elle envoie ses premiers vers à Roger Bodart qui la conseille et la guide. Il préface d’ailleurs son premier recueil La Marche forcée (1954) qui connaît le succès et est abondamment couronné : prix des Scriptores Catholici (1955), prix Émile Polak, décerné par l’Académie (1956), prix Renée Vivien (1955), prix Nuit de la poésie à Paris en 1956 (ce dernier par un jury comprenant Aragon et Cocteau). C’est un livre foisonnant, aux strophes ardentes, nourries à la fois d’échos du Moyen Âge et d’une certaine modernité. Ses cadences soutenues par la rime disent à la fois un réalisme magique et une mystique éclairée qui doivent beaucoup à la puissance et au baroque nordiques. Des accents d’épopée y sous-tendent une certaine angoisse devant la vie, l’amour et la mort.

De six en six ans paraissent alors Le Bois sec (1960) et Le Gel (1966). Le premier remporte le Prix triennal de littérature, le second, le prix Louise Labé. La respiration s’y fait plus rapide, la langue plus incisive et maîtrisée, le débit plus heurté. La précarité de l’existence s’y mêle à un certain mépris du monde. L’émotion est partout contenue, souvent camouflée sous un humour grinçant. Parfois, une crispation de la langue souligne le sentiment de solitude, la crainte de la mort, l’inanité de l’existence, malgré la présence de “longs textes qui aussi sont des hymnes à la vie“. Cette poésie de la voracité et du combat, on la retrouve encore dans L’Aloès (1983) qui reprend l’essentiel des recueils précédents et beaucoup d’inédits. De la sorte, on peut suivre l’évolution de la thématique de Liliane Wouters et ce que l’on a appelé sa ‘rudesse guerroyeuse’ empreinte de lyrisme. Attestation aussi d’une constante recherche de soi à travers les labyrinthes de l’existence, l’inlassable plongée vers le bonheur et la vérité, l’inexorable déchirement (notamment à l’instant de la mort). Tout cela cependant nimbé d’une insatiable soif d’espérance évoquée par l’aloès :

Une fois tous les cent ans
l’aloès fleurit. Mon temps
connaît la même fortune.

En 1990, paraît Journal du scribe. Ce scribe est un peu le symbole de l’écrivain, l’archétype de l’être qui dérange par le message qu’il délivre. L’écrivain s’interroge. À quoi sert l’écriture? Donne-t-elle pouvoir de démiurge? N’est-elle que le principe qui crée les êtres, venus d’ailleurs, allant ailleurs? De plus, le scribe synthétise toutes les croyances et est essentiellement préoccupé par les mystères (qui sommes-nous? d’où venons-nous? où allons-nous?).

Cette poésie (le plaisir de la langue, le lyrisme) et ses interrogations (métaphysiques, voire sociales), on les retrouve omniprésentes – avec souvent une pointe de fantaisie – au cœur de tout le théâtre de Liliane Wouters. D’abord dans Oscarine ou les Tournesols (1964), une pièce empreinte d’une originalité douce-amère, puis dans La Porte (1967), une tragi-comédie du trépas, dans Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare (1971) où Williame, une femme, se prend, par mythomanie ou quête d’identité, pour le grand écrivain anglais, fait le tour de l’amour et d’elle-même dans un univers où s’animent des statues, où sévit le pouvoir, où la passion et la féerie déploient leurs fastes.

Après une adaptation de La Célestine (1981) de Fernando de Rojas et deux pièces en un acte, voici La Salle des profs (1983, prix André Praga, décerné par l’Académie en 1984), œuvre souvent jouée et qualifiée de ‘théâtre-vérité’. C’est une radiographie de l’enseignement comportant douze moments et qui évoque avec ironie et tendresse les problèmes des instituteurs, passionnés au début de leur carrière, mais se retrouvant confrontés à la médiocrité, à la banalité de chaque jour.

D’autres pièces encore : L’Équateur (1984) – un bateau franchit la ligne qui symbolise la mort et ses cinq occupants se révoltent ou se confessent dans un huis clos assez cruel ; Charlotte ou la Nuit mexicaine (1993) – évocation de la démence de la fille de Léopold Ier, veuve de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique fusillé par les révolutionnaires en 1867 ; Le jour du narval (1991), une œuvre baroque qui se passe dans une cité nordique, fait allusion à la Bible (David et Bethsabée) et met en scène des gens écrasés par les puissants et le destin.

À côté de la poésie et du théâtre – mais ces deux disciplines, chez Liliane Wouters, ne forment qu’un tout – se développent deux autres activités, celles de traductrice et d’anthologiste. Ainsi a-t-elle beaucoup traduit (poèmes et pièces de théâtre) du néerlandais en français, réussissant la gageure de conserver aux textes leurs cris, leurs cadences, leurs musiques. Son choix s’est souvent porté sur des textes du Moyen Âge : Les belles heures de Flandre (1961), qui a remporté le prix Auguste Michot décerné par l’Académie, Guido Gezelle (1965), Bréviaire des Pays-Bas (1973), Reynart le Goupil (1974). Ces travaux lui ont valu le prix Sabam 1965 et le Prix triennal de traduction de la Communauté flamande de Belgique. Parmi ses anthologies : Panorama de la poésie française de Belgique (1976)Ça rime et ça rame (1985), spécialement destinée aux jeunes et, réalisée avec Alain Bosquet, La poésie francophone de Belgique, quatre tomes reprenant des textes de poètes nés entre 1804 et 1962. Tous les chemins conduisent à la mer, un ensemble des poèmes de Liliane Wouters, avec une préface de Jean Tordeur, a été publié aux Éditions des Éperonniers. Intitulé Changer d’écorce, un second ensemble, thématique, est paru en 2001 aux Éditions La Renaissance du Livre, avec une préface de Françoise Mallet-Joris et une postface d’Yves Namur cependant qu’en 2000 était publié chez PHI Le Billet de Pascal, un recueil inédit.

2000 est d’ailleurs à noter d’une pierre blanche, c’est l’année où Liliane Wouters reçut trois distinctions importantes : en Yougoslavie, le Prix international de poésie de La clé d’or, à Paris, la Bourse Goncourt de poésie et à Bruxelles le Prix quinquennal de littérature.

Liliane Wouters a été élue membre de l’Académie, le 9 mars 1985, au fauteuil de Robert Goffin. Le Prix Montaigne de la Fondation F.V.S. de Hambourg lui a été attribué en 1995. Depuis 1996 Liliane Wouters est membre de l’Académie européenne de poésie. Elle est aussi membre honoraire de l’Académie royale et langue et de littérature néerlandaises. Liliane Wouters est décédée le 28 février 2016.”

D’après l’article Liliane Wouters sur ARLLFB.BE où figure également la bibliographie complète de l’auteure…


Citer encore…

MARRE : Homme sous l’eau (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MARRE Matthieu, Homme sous l’eau
(photographie, 20 x 25 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Matthieu MARRE est photographe. Il a suivi un cursus universitaire en ethnologie et en anthropologie. Il s’intéresse à l’intime où il espère déceler une sincérité des choses. Il attend de la photographie un regard décalé des évidences qui nous sont données. C’est un regard amoureux empreint d’une distance. En 2015, il publie L’oublié” aux éditions Yellow Now (Liège). En 2016, il intègre le studio Hans Lucas.

Cette photographie est tirée d’une série intimiste. Matthieu Marre y montre des images du quotidien. “C’est une photo de mon père. Cette photo me plaît car il a une posture bien à lui sur cette image. Je l’apprécie également car on dirait un homme en lévitation” (M. Marre). “Il semble y avoir peu à dire des photographies de Matthieu Marre, qu’elles ne disent elles-mêmes mieux que les mots. Ainsi en va-t-il de certaines images, de certains univers dont la grâce sans prétention peut vous toucher à la manière d’un petit coup de foudre ou d’une révélation, et susciter en vous un désir de contemplation, d’observation voire de recueillement timide et silencieux, ample toutefois dans sa respiration.” (d’après YELLOWNOW.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Matthieu Marre | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

HAREM : Plans reconstitués (2003, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

HAREM Habib, Plans reconstitués
(gravure – techniques mixtes, n.c., 2003)

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HHabib dans l'atelierBW
Habib Harem © cultureplus.be

Né à Agadir le 23 janvier 1953, Habib HAREM fait ses études d’arts plastiques à l’Institut Saint-Luc à Saint-Gilles. Il est professeur d’arts plastiques à l’Institut Sainte Marie à Saint-Gilles et à l’Institut du Sacré-Coeur de Nivelles. Plusieurs expositions personnelles de gravure et de peinture luis sont consacrées en Belgique (Bruxelles, Liège, Nivelles) et il particpe à de très nombreuses expositions de gravure internationales (Liège, Sarcelles, Rijeka, Zagreb, Cadaquès, Ljubljana, Cracovie, Yamanashi…) (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

“Depuis plus de trente ans, Habib Harem explore fasciné le moment de l’émergence, il donne à toucher la première lumière, il grave le temps et prospecte l’espace, il invente des rythmes et des lignes, il couche des plages de pâleur, des champs veloutés de suie, de grands nappés silencieux. Prince acharné de la matière, il s’y enfonce avec tous ses sens au point qu’il voudrait effacer l’idée même du papier : que le papier soit pour sa seule impression, que l’artiste n’existe que pour l’unique empreinte de son art. ” (d’après CULTUREPLUS.BE).

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Habib Harem ; culturelles.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ANGELI : Monochrome Irrégulier ocre/jaune (1998, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

ANGELI Marc, Monochrome Irrégulier ocre/jaune (pochoir -tempéra, pigments et matériaux naturels, n.c., 1998)

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Marc Angeli © art-info.be

Né à Bruxelles en 1954, Marc ANGELI étudie la peinture et le dessin à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Il reçoit le prix Jules Raeymackers, (Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts, Bruxelles). Professeur de peinture à l’Ecole Supérieure des Arts Ville de Liège (1977-2014), il participe en outre à maintes expositions personnelles et collectives en Belgique et à l’étranger. Nombre d’œuvres de l’artiste ont été acquises par des collections publiques, institutionnelles et privées.

Depuis la fin des années 80, l’artiste poursuit une démarche picturale singulière, une peinture proche de son histoire utilisant des matériaux naturels qui résonnent en lui et révèlent son rapport nostalgique à la nature. Dans cette œuvre, pigments en poudre et couleurs minérales sont mélangés de manière artisanale et sensuelle à des éléments organiques : pollen, œuf, curcuma et miel. Par cette démarche sensible et l’exploration de techniques anciennes qui se réfèrent à l’histoire de la peinture, Marc Angeli nous donne à voir, à découvrir de nouvelles textures et vibrations surprenantes et inattendues. (Texte de Graziella VRUNA).

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GILET : Wald (2007, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

GILET Martina, Wald
(xylogravure, 60 x 50 cm, 2007)

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Martina GILET est née à Bonn en 1963. Elle effectue des études d’ingénieur en tannerie en Allemagne, est diplômée en 1985. Elle s’installe à Pepinster en Belgique en 1996, puis suit les cours de peinture et de gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Verviers, dont elle est diplômée en 2010. Aujourd’hui elle travaille principalement la gravure, mais aussi la peinture, les photos et les pastels (d’après CULTUREPLUS.BE).

Cette gravure sur bois aux teintes vertes et blanches rappelle la peinture impressionniste, autant par son thème que par sa tendance à la picturalité. Le spectateur distingue les formes représentées, identifie les motifs floraux et végétaux, mais goûte également à la matérialité de la couleur. L’artiste travaille sur les superpositions des plages de couleurs qui se révèlent par transparence.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Martina Gilet ; cultureplus.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

GOFFIN : Sans titre (2013, Artothèque, Lg)

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GOFFIN François, Sans titre
(photographie, 40 x 40 cm, 2013)

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François Goffin © contretype.org

François GOFFIN est né en 1979, dans le Condroz. Il fait des études de photographie au 75 à Bruxelles, “mais ça démarre surtout après”, avec sa première exposition à la galerie Contretype à Bruxelles. Il expose la même année notamment au Centre culturel de Marchin et à la Biennale de la Photo d’architecture à La Cambre. En 2007, il prend part à l’exposition Et le bonheur !” (Biennale de photographie en Condroz) et expose au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris et au Museu de Arte Brasileira de Sao Paolo (Brésil) dans le cadre de l’exposition CO2 – Bruxelles à l’infini initiée par Contretype. En 2008, il remporte avec la série “Réminiscence” le Prix Médiatine 2008 et expose la série Les choses simples au Centre culturel de Namur. En 2009 paraît sa première monographie aux Editions Yellow Now. (d’après CONTRETYPE.ORG)

“L’air de rien, François Goffin fait ses images ; ou pour être plus précis, on peut dire qu’il les recueille sur le chemin d’une vie qui est la sienne. Mais ces choses vues, ces endroits, ces visages, regardent aussi les autres. […] Pour lui, ce sont les événements les plus normaux en apparence qui sont les plus étranges. Les plus sidérants, même. Dans ce travail, pas d’invention, de reconstitution, mais une attention nerveuse et joyeuse à ce qui est. Une image peut-être en effet regardée comme un seul vers de poésie, ou une petite phrase glanée au hasard d’un livre. Un seul regard pour de multiples résonnances spirituelles.” (d’après VINALMONT.BE)

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DORIGNAC, Georges (1879-1925)

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Georges Dorignac, “Femme nue accroupie” (1914)© J.L. Lacroix

On peut s’étonner du peu de notoriété de l’artiste depuis sa mort en 1925, tant son œuvre est puissante et singulière, d’une grande modernité pour l’époque. Cela s’explique par le fait qu’il soit décédé prématurément, à l’âge de 46 ans, qu’il a détruit de nombreuses de ses œuvres parce qu’il en était insatisfait et qu’il a suivi son propre chemin artistique, sans suivre les courants d’alors comme le cubisme. Il a toujours souhaité être un artiste indépendant et libre”, explique Saskia Ooms, responsable de la conservation du Musée de Montmartre. (lire plus…)

Georges Dorignac, “Portrait de femme au chignon (L’Amie)” (1912) © Laurent Lecat

À partir de 1912, Dorignac délaisse la couleur et le pointillisme chers à son ami Signac et exécute une série de dessins au fusain représentant des portraits en cadrages serrés souvent réduits à des têtes, et à des masques, des nus féminins et des figures de travailleurs champêtres ou citadins.  Cette “œuvre au noir”, comme une alchimie pleine d’une énergie farouche, comme une magie noire envoûtante, comme un sombre vaudou, dessine des visages de femmes d’un noir intense. Non pas des têtes négroïdes mais de celles-là mêmes qu’on retrouve à ces Vierges romanes veillant dans certaines cryptes, sortes de puissances chtoniennes, idoles des mondes souterrains, sortes de Déméter pétries dans le fusain, gardiennes sacrées venues des profondeurs originelles, des entrailles de la terre. Dorignac prétendait qu’il laissait “un lambeau de (lui)-même dans chacune de ses œuvres”: quelle sombre mélancolie a-t-elle pu lui inspirer ces figures de basalte quand il hantait, famélique, chargé de famille, le Montparnasse des rapins ? Dans la fièvre, il dessine des masses sculptées dans le bitume, corps d’ébène monumentaux, proches de la plastique de Rodin qu’il admirait et qui disait de lui “Dorignac sculpte ses dessins” . [en lire plus sur LEFIGARO.FR, article du 4 avril 2019…]

Georges Dorignac, “Femme assise” (1913) © Laurent Lecat

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Musée de Grenoble ; Galerie Malaquais (Paris)


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HUGO : textes

Temps de lecture : 16 minutes >

HUGO, Victor (1802-1885)

La légende des siècles, IV. En Grèce ! (extr.)

​[…] Sentir l’être sacré frémir dans l’être cher,
Apercevoir un astre à travers une chair,
Voir à travers le cœur humain l’âme divine,
Achever ce qu’on voit avec ce qu’on devine,
C’est croire, c’est aimer. […]


L’homme qui rit (extr.)

Vous rayonnez sous la beauté ;
C’est votre voile.
Vous êtes un marbre, habité
Par une étoile.


Choses vues (extr., 1855)

Etranger ? Que signifie ce mot ? Quoi ? Sur ce rocher j’ai moins de droits que dans ce champ ? Quoi ? J’ai passé ce fleuve, ce sentier, cette barrière, cette ligne bleue ou rouge visible seulement sur vos cartes, et les arbres, les fleurs et le soleil ne me connaissent plus ? Quelle ineptie de prétendre que je suis moins homme sur un point de la terre que sur l’autre ! Vous me dîtes : “Nous sommes chez nous et vous n’êtes pas chez vous !” Où ? Ici ? Vous n’avez qu’à y creuser une fosse et vous verrez que la terre m’y recevra tout aussi bien que vous.


Les contemplations (extr., 1856)

Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l’or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j’arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.


Le mot (Toute la lyre, 1888)

Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
Tout peut sortir d’un mot qu’en passant vous perdîtes.
Tout, la haine et le deuil ! – Et ne m’objectez pas
Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas… –
Ecoutez bien ceci :
Tête-à-tête, en pantoufle,
Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
Vous dites à l’oreille au plus mystérieux
De vos amis de cœur, ou, si vous l’aimez mieux,
Vous murmurez tout seul, croyant presque vous taire,
Dans le fond d’une cave à trente pieds sous terre,
Un mot désagréable à quelque individu ;
Ce mot que vous croyez que l’on n’a pas entendu,
Que vous disiez si bas dans un lieu sourd et sombre,
Court à peine lâché, part, bondit, sort de l’ombre !
Tenez, il est dehors ! Il connaît son chemin.
Il marche, il a deux pieds, un bâton à la main,
De bons souliers ferrés, un passeport en règle ;
– Au besoin, il prendrait des ailes, comme l’aigle ! –
Il vous échappe, il fuit, rien ne l’arrêtera.
Il suit le quai, franchit la place, et caetera,
Passe l’eau sans bateau dans la saison des crues,
Et va, tout à travers un dédale de rues,
Droit chez l’individu dont vous avez parlé.
Il sait le numéro, l’étage ; il a la clé,
Il monte l’escalier, ouvre la porte, passe,
Entre, arrive, et, railleur, regardant l’homme en face,
Dit : – Me voilà ! je sors de la bouche d’un tel. –
Et c’est fait. Vous avez un ennemi mortel.


Trois ans après (Les contemplations, 1856)

Il est temps que je me repose ;
Je suis terrassé par le sort.
Ne me parlez pas d’autre chose
Que des ténèbres où l’on dort !

Que veut-on que je recommence ?
Je ne demande désormais
A la création immense
Qu’un peu de silence et de paix !

Pourquoi m’appelez-vous encore ?
J’ai fait ma tâche et mon devoir.
Qui travaillait avant l’aurore,
Peut s’en aller avant le soir.

A vingt ans, deuil et solitude !
Mes yeux, baissés vers le gazon,
Perdirent la douce habitude
De voir ma mère à la maison.

Elle nous quitta pour la tombe ;
Et vous savez bien qu’aujourd’hui
Je cherche, en cette nuit qui tombe,
Un autre ange qui s’est enfui !

Vous savez que je désespère,
Que ma force en vain se défend,
Et que je souffre comme père,
Moi qui souffris tant comme enfant !

Mon oeuvre n’est pas terminée,
Dites-vous. Comme Adam banni,
Je regarde ma destinée,
Et je vois bien que j’ai fini.

L’humble enfant que Dieu m’a ravie
Rien qu’en m’aimant savait m’aider ;
C’était le bonheur de ma vie
De voir ses yeux me regarder.

Si ce Dieu n’a pas voulu clore
L’oeuvre qu’il me fit commencer,
S’il veut que je travaille encore,
Il n’avait qu’à me la laisser !

Il n’avait qu’à me laisser vivre
Avec ma fille à mes côtés,
Dans cette extase où je m’enivre
De mystérieuses clartés !

Ces clartés, jour d’une autre sphère,
Ô Dieu jaloux, tu nous les vends !
Pourquoi m’as-tu pris la lumière
Que j’avais parmi les vivants ?

As-tu donc pensé, fatal maître,
Qu’à force de te contempler,
Je ne voyais plus ce doux être,
Et qu’il pouvait bien s’en aller ?

T’es-tu dit que l’homme, vaine ombre,
Hélas! perd son humanité
A trop voir cette splendeur sombre
Qu’on appelle la vérité ?

Qu’on peut le frapper sans qu’il souffre,
Que son cœur est mort dans l’ennui,
Et qu’à force de voir le gouffre,
Il n’a plus qu’un abîme en lui ?

Qu’il va, stoïque, où tu l’envoies,
Et que désormais, endurci,
N’ayant plus ici-bas de joies,
Il n’a plus de douleurs aussi ?

As-tu pensé qu’une âme tendre
S’ouvre à toi pour se mieux fermer,
Et que ceux qui veulent comprendre
Finissent par ne plus aimer ?

Ô Dieu ! vraiment, as-tu pu croire
Que je préférais, sous les cieux,
L’effrayant rayon de ta gloire
Aux douces lueurs de ses yeux ?

Si j’avais su tes lois moroses,
Et qu’au même esprit enchanté
Tu ne donnes point ces deux choses,
Le bonheur et la vérité,

Plutôt que de lever tes voiles,
Et de chercher, cœur triste et pur,
A te voir au fond des étoiles,
Ô Dieu sombre d’un monde obscur,

J’eusse aimé mieux, loin de ta face,
Suivre, heureux, un étroit chemin,
Et n’être qu’un homme qui passe
Tenant son enfant par la main !

Maintenant, je veux qu’on me laisse !
J’ai fini ! le sort est vainqueur.
Que vient-on rallumer sans cesse
Dans l’ombre qui m’emplit le cœur ?

Vous qui me parlez, vous me dites
Qu’il faut, rappelant ma raison,
Guider les foules décrépites
Vers les lueurs de l’horizon ;

Qu’à l’heure où les peuples se lèvent
Tout penseur suit un but profond ;
Qu’il se doit à tous ceux qui rêvent,
Qu’il se doit à tous ceux qui vont !

Qu’une âme, qu’un feu pur anime,
Doit hâter, avec sa clarté,
L’épanouissement sublime
De la future humanité ;

Qu’il faut prendre part, cœurs fidèles,
Sans redouter les océans,
Aux fêtes des choses nouvelles,
Aux combats des esprits géants !

Vous voyez des pleurs sur ma joue,
Et vous m’abordez mécontents,
Comme par le bras on secoue
Un homme qui dort trop longtemps.

Mais songez à ce que vous faites !
Hélas! cet ange au front si beau,
Quand vous m’appelez à vos fêtes,
Peut-être a froid dans son tombeau.

Peut-être, livide et pâlie,
Dit-elle dans son lit étroit :
«Est-ce que mon père m’oublie
Et n’est plus là, que j’ai si froid ?»

Quoi! lorsqu’à peine je résiste
Aux choses dont je me souviens,
Quand je suis brisé, las et triste,
Quand je l’entends qui me dit : «Viens !»

Quoi! vous voulez que je souhaite,
Moi, plié par un coup soudain,
La rumeur qui suit le poète,
Le bruit que fait le paladin!

Vous voulez que j’aspire encore
Aux triomphes doux et dorés !
Que j’annonce aux dormeurs l’aurore !
Que je crie : «Allez ! espérez !»

Vous voulez que, dans la mêlée,
Je rentre ardent parmi les forts,
Les yeux à la voûte étoilée…
— Oh ! l’herbe épaisse où sont les morts !


La pente de la rêverie
“Obscuritate rerum verba saepe obscurantur.”
(GERVASIUS TILBERIENSIS)

Amis, ne creusez pas vos chères rêveries ;
Ne fouillez pas le sol de vos plaines fleuries ;
Et quand s’offre à vos yeux un océan qui dort,
Nagez à la surface ou jouez sur le bord.
Car la pensée est sombre ! Une pente insensible
Va du monde réel à la sphère invisible ;
La spirale est profonde, et quand on y descend,
Sans cesse se prolonge et va s’élargissant,
Et pour avoir touché quelque énigme fatale,
De ce voyage obscur souvent on revient pâle !

L’autre jour, il venait de pleuvoir, car l’été,
Cette année, est de bise et de pluie attristé,
Et le beau mois de mai dont le rayon nous leurre,
Prend le masque d’avril qui sourit et qui pleure.
J’avais levé le store aux gothiques couleurs.
Je regardais au loin les arbres et les fleurs.
Le soleil se jouait sur la pelouse verte
Dans les gouttes de pluie, et ma fenêtre ouverte
Apportait du jardin à mon esprit heureux
Un bruit d’enfants joueurs et d’oiseaux amoureux.

Paris, les grands ormeaux, maison, dôme, chaumière,
Tout flottait à mes yeux dans la riche lumière
De cet astre de mai dont le rayon charmant
Au bout de tout brin d’herbe allume un diamant !
Je me laissais aller à ces trois harmonies,
Printemps, matin, enfance, en ma retraite unies ;
La Seine, ainsi que moi, laissait son flot vermeil
Suivre nonchalamment sa pente, et le soleil
Faisait évaporer à la fois sur les grèves
L’eau du fleuve en brouillards et ma pensée en rêves !

Alors, dans mon esprit, je vis autour de moi
Mes amis, non confus, mais tels que je les vois
Quand ils viennent le soir, troupe grave et fidèle,
Vous avec vos pinceaux dont la pointe étincelle,
Vous, laissant échapper vos vers au vol ardent,
Et nous tous écoutant en cercle, ou regardant.
Ils étaient bien là tous, je voyais leurs visages,
Tous, même les absents qui font de longs voyages.
Puis tous ceux qui sont morts vinrent après ceux-ci,
Avec l’air qu’ils avaient quand ils vivaient aussi.
Quand j’eus, quelques instants, des yeux de ma pensée,
Contemplé leur famille à mon foyer pressée,
Je vis trembler leurs traits confus, et par degrés
Pâlir en s’effaçant leurs fronts décolorés,
Et tous, comme un ruisseau qui dans un lac s’écoule,
Se perdre autour de moi dans une immense foule.

Foule sans nom ! chaos ! des voix, des yeux, des pas.
Ceux qu’on n’a jamais vus, ceux qu’on ne connaît pas.
Tous les vivants ! – cités bourdonnant aux oreilles
Plus qu’un bois d’Amérique ou des ruches d’abeilles,
Caravanes campant sur le désert en feu,
Matelots dispersés sur l’océan de Dieu,
Et, comme un pont hardi sur l’onde qui chavire,
Jetant d’un monde à l’autre un sillon de navire,
Ainsi que l’araignée entre deux chênes verts
Jette un fil argenté qui flotte dans les airs !

Les deux pôles ! le monde entier ! la mer, la terre,
Alpes aux fronts de neige, Etnas au noir cratère,
Tout à la fois, automne, été, printemps, hiver,
Les vallons descendant de la terre à la mer
Et s’y changeant en golfe, et des mers aux campagnes
Les caps épanouis en chaînes de montagnes,
Et les grands continents, brumeux, verts ou dorés,
Par les grands océans sans cesse dévorés,
Tout, comme un paysage en une chambre noire
Se réfléchit avec ses rivières de moire,
Ses passants, ses brouillards flottant comme un duvet,
Tout dans mon esprit sombre allait, marchait, vivait !
Alors, en attachant, toujours plus attentives,
Ma pensée et ma vue aux mille perspectives
Que le souffle du vent ou le pas des saisons
M’ouvrait à tous moments dans tous les horizons,
Je vis soudain surgir, parfois du sein des ondes,
A côté des cités vivantes des deux mondes,
D’autres villes aux fronts étranges, inouïs,
Sépulcres ruinés des temps évanouis,
Pleines d’entassements, de tours, de pyramides,
Baignant leurs pieds aux mers, leur tête aux cieux humides.

Quelques-unes sortaient de dessous des cités
Où les vivants encor bruissent agités,
Et des siècles passés jusqu’à l’âge où nous sommes
Je pus compter ainsi trois étages de Romes.
Et tandis qu’élevant leurs inquiètes voix,
Les cités des vivants résonnaient à la fois
Des murmures du peuple ou du pas des armées,
Ces villes du passé, muettes et fermées,
Sans fumée à leurs toits, sans rumeurs dans leurs seins,
Se taisaient, et semblaient des ruches sans essaims.
J’attendais. Un grand bruit se fit. Les races mortes
De ces villes en deuil vinrent ouvrir les portes,
Et je les vis marcher ainsi que les vivants,
Et jeter seulement plus de poussière aux vents.
Alors, tours, aqueducs, pyramides, colonnes,
Je vis l’intérieur des vieilles Babylones,
Les Carthages, les Tyrs, les Thèbes, les Sions,
D’où sans cesse sortaient des générations.

Ainsi j’embrassais tout : et la terre, et Cybèle ;
La face antique auprès de la face nouvelle ;
Le passé, le présent ; les vivants et les morts ;
Le genre humain complet comme au jour du remords.
Tout parlait à la fois, tout se faisait comprendre,
Le pélage d’Orphée et l’étrusque d’Évandre,
Les runes d’Irmensul, le sphinx égyptien,
La voix du nouveau monde aussi vieux que l’ancien.

Or, ce que je voyais, je doute que je puisse
Vous le peindre : c’était comme un grand édifice
Formé d’entassements de siècles et de lieux ;
On n’en pouvait trouver les bords ni les milieux ;
A toutes les hauteurs, nations, peuples, races,
Mille ouvriers humains, laissant partout leurs traces,
Travaillaient nuit et jour, montant, croisant leurs pas,
Parlant chacun leur langue et ne s’entendant pas ;
Et moi je parcourais, cherchant qui me réponde,
De degrés en degrés cette Babel du monde.

La nuit avec la foule, en ce rêve hideux,
Venait, s’épaississant ensemble toutes deux,
Et, dans ces régions que nul regard ne sonde,
Plus l’homme était nombreux, plus l’ombre était profonde.
Tout devenait douteux et vague, seulement
Un souffle qui passait de moment en moment,
Comme pour me montrer l’immense fourmilière,
Ouvrait dans l’ombre au loin des vallons de lumière,
Ainsi qu’un coup de vent fait sur les flots troublés
Blanchir l’écume, ou creuse une onde dans les blés.

Bientôt autour de moi les ténèbres s’accrurent,
L’horizon se perdit, les formes disparurent,
Et l’homme avec la chose et l’être avec l’esprit
Flottèrent à mon souffle, et le frisson me prit.
J’étais seul. Tout fuyait. L’étendue était sombre.
Je voyais seulement au loin, à travers l’ombre,
Comme d’un océan les flots noirs et pressés,
Dans l’espace et le temps les nombres entassés !

Oh ! cette double mer du temps et de l’espace
Où le navire humain toujours passe et repasse,
Je voulus la sonder, je voulus en toucher
Le sable, y regarder, y fouiller, y chercher,
Pour vous en rapporter quelque richesse étrange,
Et dire si son lit est de roche ou de fange.
Mon esprit plongea donc sous ce flot inconnu,
Au profond de l’abîme il nagea seul et nu,
Toujours de l’ineffable allant à l’invisible…
Soudain il s’en revint avec un cri terrible,
Ébloui, haletant, stupide, épouvanté,
Car il avait au fond trouvé l’éternité.

Proses philosophiques – Du génie (1860-1865)

Vous êtes à la campagne, il pleut, il faut tuer le temps, vous prenez un livre, le premier livre venu, vous vous mettez à lire ce livre comme vous liriez le journal officiel de la préfecture ou la feuille d’affiches du chef-lieu, pensant à autre chose, distrait, un peu bâillant. Tout à coup vous vous sentez saisi, votre pensée semble ne plus être à vous, votre distraction s’est dissipée, une sorte d’absorption, presque une sujétion, lui succède, vous n’êtes plus maître de vous lever et de vous en aller. Quelqu’un vous tient. Qui donc ? ce livre.

Un livre est quelqu’un. Ne vous y fiez pas.

Un livre est un engrenage. Prenez garde à ces lignes noires sur du papier blanc ; ce sont des forces ; elles se combinent, se composent, se décomposent, entrent l’une dans l’autre, pivotent l’une sur l’autre, se dévident, se nouent, s’accouplent, travaillent. Telle ligne mord, telle ligne serre et presse, telle ligne entraîne, telle ligne subjugue. Les idées sont un rouage. Vous vous sentez tiré par le livre. Il ne vous lâchera qu’après avoir donné une façon à votre esprit. Quelquefois les lecteurs sortent du livre tout à fait transformés. Homère et la Bible font de ces miracles. Les plus fiers esprits, et les plus fins et les plus délicats, et les plus simples, et les plus grands, subissent ce charme. Shakespeare était grisé par Belleforest. La Fontaine allait partout criant : Avez-vous lu Baruch ? Corneille, plus grand que Lucain, est fasciné par Lucain. Dante est ébloui de Virgile, moindre que lui.

Entre tous, les grands livres sont irrésistibles. On peut ne pas se laisser faire par eux, on peut lire le Koran sans devenir musulman, on peut lire les Védas sans devenir fakir, on peut lire Zadig sans devenir voltairien, mais on ne peut point ne pas les admirer. Là est leur force.

Je te salue et je te combatsparce que tu es roi, disait un grec à Xercès.

On admire près de soi. L’admiration des médiocres caractérise les envieux. L’admiration des grands poètes est le signe des grands critiques. Pour découvrir au delà de tous les horizons les hauteurs absolues, il faut être soi-même sur une hauteur.

Ce que nous disons là est tellement vrai qu’il est impossible d’admirer un chef-d’œuvre sans éprouver en même temps une certaine estime de soi. On se sait gré de comprendre cela. Il y a dans l’admiration on ne sait quoi de fortifiant qui dignifie et grandit l’intelligence. L’enthousiasme est un cordial. Comprendre c’est approcher. Ouvrir un beau livre, s’y plaire, s’y plonger, s’y perdre, y croire, quelle fête ! On a toutes les surprises de l’inattendu dans le vrai. Des révélations d’idéal se succèdent coup sur coup. Mais qu’est-ce donc que le beau ?

Ne définissez pas, ne discutez pas, ne raisonnez pas, ne coupez pas un fil en quatre, ne cherchez pas midi à quatorze heures, ne soyez pas votre propre ennemi à force d’hésitation, de raideur et de scrupule. Quoi de plus bête qu’un pédant ? Allez devant vous, oubliez votre professeur de rhétorique, dites-vous que Dieu est inépuisable, dites-vous que l’art est illimité, dites-vous que la poésie ne tient dans aucun art poétique, pas plus que la mer dans aucun vase, cruche ou amphore ; soyez tout bonnement un honnête homme ayant la grandeur d’admirer, laissez-vous prendre par le poëte, ne chicanez pas la coupe sur l’ivresse, buvez, acceptez, sentez, comprenez, voyez, vivez, croissez !

L’éclair de l’immense, quelque chose qui resplendit, et qui est brusquement surhumain, voilà le génie. De certains coups d’aile suprêmes. Vous tenez le livre, vous l’avez sous les yeux, tout à coup il semble que la page se déchire du haut en bas comme le voile du temple. Par ce trou, l’infini apparaît. Une strophe suffit, un vers suffit, un mot suffit. Le sommet est atteint. Tout est dit. Lisez Ugolin, Françoise dans le tourbillon, Achille insultant Agamemnon, Prométhée enchaîné, les Sept chefs devant Thèbes, Hamlet dans le cimetière, Job sur son fumier. Fermez le livre maintenant. Songez. Vous avez vu les étoiles.

Il y a de certains hommes mystérieux qui ne peuvent faire autrement que d’être grands. Les bons badauds qui composent la grosse foule et le petit public, et qu’il faut se garder de confondre avec le peuple, leur en veulent presque à cause de cela. Les nains blâment le colosse. Sa grandeur, c’est sa faute. Qu’est-ce qu’il a donc, celui-là, à être grand ? S’appeler Michel Cervantes, François Rabelais ou Pierre Corneille, ne pas être le premier grimaud venu, exister à part, jeter toute cette ombre et tenir toute cette place ; que tel mandarin, que tel sorbonniste, que tel doctrinaire fameux, grand personnage pourtant, ne vous vienne pas à la hanche, qu’est-ce que cela veut dire ? Cela ne se fait pas. C’est insupportable.

Pourquoi ces hommes sont-ils grands en effet ? ils ne le savent point eux-mêmes. Celui-là le sait qui les a envoyés. Leur stature fait partie de leur fonction.

Ils ont dans la prunelle quelque vision redoutable qu’ils emportent sous leur sourcil. Ils ont vu l’océan comme Homère, le Caucase comme Eschyle, la douleur comme Job, Babylone comme Jérémie, Rome comme Juvénal, l’enfer comme Dante, le paradis comme Milton, l’homme comme Shakespeare, Pan comme Lucrèce, Jéhovah comme Isaïe. Ils ont, ivres de rêve et d’intuition, dans leur marche presque inconsciente sur les eaux de l’abîme, traversé le rayon étrange de l’idéal, et ils en sont à jamais pénétrés. Cette lueur se dégage de leurs visages, sombres pourtant, comme tout ce qui est plein d’inconnu. Ils ont sur la face une pâle sueur de lumière. L’âme leur sort par les pores. Quelle âme ? Dieu.

Remplis qu’ils sont de ce jour divin, par moments missionnaires de civilisation, prophètes de progrès, ils entr’ouvrent leur cœur, et ils répandent une vaste clarté humaine ; cette clarté est de la parole, car le Verbe, c’est le jour. — Ô Dieu, criait Jérôme dans le désert, je vous écoute autant des yeux que des oreilles l — Un enseignement, un conseil, un point d’appui moral, une espérance, voilà leur don ; puis leur flanc béant et saignant se referme, cette plaie qui s’est faite bouche et qui a parlé rapproche ses lèvres et rentre dans le silence, et_ce qui s’ouvre maintenant, c’est leur aile. Plus de pitié, plus de larmes. Éblouissement. Ils laissent l’humanité derrière eux. Voir les autres horizons, approfondir cette aventure qu’on appelle l’espace, faire une excursion dans l’inconnu, aller à la découverte du côté de l’idéal, il leur faut cela. Ils partent. Que leur fait l’azur ? que leur importe les ténèbres ? Ils s’en vont, ils tournent aux choses terrestres leur dos formidable, ils développent brusquement leur envergure démesurée, ils deviennent on ne sait quels monstres, spectres peut-être, peut-être archanges, et ils s’enfoncent dans l’infini terrible, avec un immense bruit d’aigles envolés.

Puis tout à coup ils reparaissent. Les voici. Ils consolent et sourient. Ce sont des hommes.

Ces apparitions et ces disparitions, ces départs et ces retours, ces occultations brusques et ces subites présences éblouissantes, le lecteur, absorbé, illuminé et aveuglé par le livre, les sent plus qu’il ne les voit. Il est au pouvoir d’un poète, possession troublante, fréquentation presque magique et démoniaque, il a vaguement conscience du va-et-vient énorme de ce génie ; il le sent tantôt loin, tantôt près de lui ; et ces alternatives, qui font successivement pour lui lecteur l’obscurité et la lumière, se marquent dans son esprit par ces mots : — Je ne comprends plus. — Je comprends.

Quand Dante, quittant l’enfer, entre et monte dans le paradis, le refroidissement qu’éprouvent les lecteurs n’est pas autre chose que l’augmentation de distance entre Dante et eux. C’est la comète qui s’éloigne. La chaleur diminue. Dante est plus haut, plus avant, plus au fond, plus loin de l’homme, plus près de l’absolu.

Schlegel un jour, considérant tous ces génies, a posé cette question qui chez lui n’est qu’un élan d’enthousiasme et qui, chez Fourier ou Saint-Simon, serait le cri d’un système : — Sontce vraiment des hommesces hommesci ?

Oui, ce sont des hommes ; c’est leur misère et c’est leur gloire. Ils ont faim et soif ; ils sont sujets du sang, du climat, du tempérament, de la fièvre, de la femme, de la souffrance, du plaisir ; ils ont, comme tous les hommes, des penchants, des pentes, des entraînements, des chutes, des assouvissements, des passions, des pièges ; ils ont, comme tous les hommes, la chair avec ses maladies, et avec ses attraits, qui sont aussi des maladies. Ils ont leur bête.

La matière pèse sur eux, et eux aussi ils gravitent. Pendant que leur esprit tourne autour de l’absolu, leur corps tourne autour du besoin, de l’appétit, de la faute. La chair a ses volontés, ses instincts, ses convoitises, ses prétentions au bien-être ; c’est une sorte de personne inférieure qui tire de son côté, fait ses affaires dans son coin, a son moi à part dans la maison, pourvoit à ses caprices ou à ses nécessités, parfois comme une voleuse, et à la grande confusion de l’esprit auquel elle dérobe ce qui est à lui. L’âme de Corneille fait Cinna ; la bête de Corneille dédie Cinna au financier Montoron.

Chez de certains, sans rien leur ôter de leur grandeur, l’humanité s’affirme par l’infirmité. Le rayon archangélesque est dans le cerveau ; la nuit brutale est dans la prunelle. Homère est aveugle ; Milton est aveugle. Camoëns borgne semble une insulte. Beethoven sourd est une ironie. Esope bossu a l’air d’un Voltaire dont Dieu a fait l’esprit en laissant Fréron faire le corps. L’infirmité ou la difformité infligée à ces bien-aimés augustes de la pensée fait l’effet d’un contrepoids sinistre, d’une compensation peu avouable là-haut, d’une concession faite aux jalousies dont il semble que le créateur doit avoir honte. C’est peut-être avec on ne sait quel triomphe envieux que, du fond de ces ténèbres, la matière regarde Tyrtée et Byron planer comme génies et boiter comme hommes.

Ces infirmités vénérables n’inspirent aucun effroi à ceux que l’enthousiasme fait pensifs. Loin de là. Elles semblent un signe d’élection. Être foudroyé, c’est être prouvé titan. C’est déjà quelque chose de partager avec ceux d’en haut le privilège d’un coup de tonnerre. A ce point de vue, les catastrophes ne sont plus catastrophes, les souffrances ne sont plus souffrances, les misères ne sont plus misères, les diminutions sont augmentations. Être infirme ainsi que les forts, cela tenterait volontiers. Je me rappelle qu’en 1828, tout jeune, au temps où *** me faisait l’effet d’un ami, j’avais des taches obscures dans les yeux. Ces taches allaient s’élargissant et noircissant. Elles semblaient envahir lentement la rétine. Un soir, chez Charles Nodier, je contai mes taches noires, que j’appelais mes papillons, à ***, qui, étudiant en médecine et fils d’un pharmacien, était censé s’y connaître et s’y connaissait en effet. Il regarda mes yeux, et me dit doucement : — C’est une amaurose commençanteLe nerf optique se paralyseDans quelques années la cécité sera complète. Une pensée illumina subitement mon esprit. — Eh bien, lui répondis-je en souriant, ce sera toujours ça. Et voilà que je me mis à espérer que je serais peut-être un jour aveugle comme Homère et comme Milton. La jeunesse ne doute de rien.


C’était un de ces hommes qui n’ont rien de vibrant ni d’élastique, qui sont composés de molécules inertes, qui ne résonnent au choc d’aucune idée, au contact d’aucun sentiment, qui ont des colères glacées, des haines mornes, des emportements sans émotion, qui prennent feu sans s’échauffer, dont la capacité de calorique est nulle, et qu’on dirait souvent faits de bois ; ils flambent par un bout et sont froids par l’autre. La ligne principale, la ligne diagonale du caractère de cet homme, c’était la ténacité. Il était fier d’être tenace, et se comparait à Napoléon. Ceci n’est qu’une illusion d’optique. Il y a nombre de gens qui en sont dupes et qui, à certaine distance, prennent la ténacité pour de la volonté, et une chandelle pour une étoile. Quand cet homme donc avait une fois ajusté ce qu’il appelait sa volonté à une chose absurde, il allait tête haute et à travers toute broussaille jusqu’au bout de la chose absurde. L’entêtement sans l’intelligence, c’est la sottise soudée au bout de la bêtise et lui servant de rallonge. Cela va loin. En général, quand une catastrophe privée ou publique s’est écroulée sur nous, si nous examinons, d’après les décombres qui en gisent à terre, de quelle façon elle s’est échafaudée, nous trouvons presque toujours qu’elle a été aveuglément construite par un homme médiocre et obstiné qui avait foi en lui et qui s’admirait. Il y a part le monde beaucoup de ces petites fatalités têtues qui se croient des providences…

extrait de Claude Gueux (1834)


Citez-en d’autres :

PLONK & REPLONK : Les Couleurs de demain. Centrale fonctionnant au géranium enrichi
(2015, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

PLONK & REPLONK, Les Couleurs de demain. Centrale fonctionnant au géranium enrichi
(impression numérique, 40 x 60 cm, 2015)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jacques Froidevaux, Hubert Froidevaux et Miguel-Angel Morales composent le collectif PLONK & REPLONK fondé en 1995 dans le Jura suisse. Dès 1997, le trio détourne des cartes postales Belle Epoque. Leurs fameux photomontages d’inspiration rétro contaminent les formats les plus divers : livres, affiches, cartes postales, autocollants, cimaises, animations, théâtre. Parmi leurs influences, on peut citer Erik Satie, Alphonse Allais, Glen Baxter, Gary Larson ou Pierre Dac. Fait peu connu, leur collection de gâteaux est l’une des plus importantes du Vieux-Continent. L’ajout d’une touche absurde, notamment dans leurs légendes, confère aux œuvres une portée critique et humoristique.

Le montage-photo numérique présente des cheminées de centrale nucléaire surmontée de géraniums et crachant une fumée rose. Jouant avec les différences d’échelles des objets, l’image allie et oppose la nature et l’industrie, les odeurs agréables et celles nuisibles, un univers fantastique et un plus sombre, le tout avec une pointe de sarcasme dans une composition esthétique.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Plonk & Replonk | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VRANCKEN, Roger (1920-2004)

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Guitariste, né à Liège en 1920, il débute en amateur dans les orchestres de Gene Dersin (1937) et de Lucien Hirsch (1938-1939). Il se produit également au Cotton (Liège) dans la formation de Gus Deloof (1939). Puis, ayant décidé de faire de la musique son métier, il signe son premier contrat professionnel avec le Rector’s Club en mai 1940, contrat interrompu aussitôt par l’arrivée des troupes allemandes.

Au début de l’Occupation, Roger VRANCKEN travaille dans différents bars liégeois, notamment avec le pianiste Vicky Thunus. Il effectue ensuite un séjour au sein de l’orchestre de Jean Omer au Bœuf sur le Toit (Bruxelles) et enregistre ses premiers disques avec cet orchestre en 1941. La même année, alors qu’il commence à se faire une certaine réputation dans les milieux du jazz, il sera l’un des premiers guitaristes belges (avec Frank Engelen) à adopter la guitare électrique. De même, fasciné par Django Reinhardt et Eddie Lang, il fera partie de l’avant-garde qui, en Belgique, sortira la guitare du rôle de simple instrument d’accompagnement.

De retour à Liège, il travaille avec Gaston Houssa, Jean Paques, etc. et devient un des piliers du «noyau swing» qui s’est constitué autour du saxophoniste Raoul Faisant. Dans sa passion pour le jazz, il vit avec Faisant (au Mondial, à l’Observatoire, … ) les heures les plus intenses de sa carrière musicale. Il participe ainsi à l’initiation des jeunes Bobby Jaspar, Jacques Pelzer et surtout René Thomas, dont il est un des premiers – et seuls – professeurs. Sous son nom de guerre (Roger Hodge), Vrancken dirige à la même époque son propre quartette (Hodge-Franck Quartet). Il ralentit ses activités la dernière année de l’Occupation puis, à la Libération, il joue pour les troupes anglaises puis américaines, jusqu’en première ligne.

Il participe bientôt au groupe vocal Les Cherokees aux côtés de Bob Jacqmain, Yetti Lee et Luce Barcy, et enregistre avec cet ensemble en compagnie de l’orchestre d’Ernst Van’t Hoff. De retour à Liège, il travaille au Cotton dans une formation mixte jazz-tzigane. Il travaille encore à Anvers et à Charleroi pendant quelque temps puis décide d’arrêter le professionnalisme, ne se produisant plus que très épisodiquement (notamment avec Robert Grahame, dans le café qu’il reprend au cours des années 50).

En 1959, il décide de tenter un come-back à l’occasion du premier festival de Comblain-la-Tour (où il sera accompagné par les jeunes Jean Lerusse, Willy Donni, etc.). Ce sera pour retomber aussitôt après dans un anonymat dont il ne sortira plus, ne reprenant sa guitare que pour quelques répétitions, hélas sans suite, avec la petite formation swing de Michel Dickenscheid. Il décédera à Seraing, en 2004, à l’âge de 84 ans.

Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : anciensdecomblain.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz !

DURO : Je suis un nuage #5 (s.d., Artothèque, Lg)

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DURO Julie-Marie, Je suis un nuage #5
(photographie, 60 x 90 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

© juliemarieduro.com

Née en 1984, Julie-Marie DURO vit et travaille entre Luxembourg et Liège. Après des études en philosophie et journalisme à l’Université de Liège et de Nice, ainsi que quelques années passées dans le secteur privé, elle s’est tournée vers la photographie. Son travail est particulièrement influencé par les narrations documentaires subjectives, les récits de famille et problématiques mémorielles. Elle entreprend actuellement une thèse en Arts et sciences de l’art à l’Université de Liège sur l’indétermination de l’expérience mémorielle au travers des narrations photographiques de l’absence.

Cette photographie fait partie d’une série narrative intitulée Looking for my Japanese Family”. L’auteure part à la recherche d’un mystérieux oncle au Japon, fils de son grand-père et d’une jeune Japonaise. “Fouiller la mémoire individuelle et collective, celle de la famille et puis petit à petit, celle des autres… […] “Looking for my Japanese family” est le récit fragmenté de cette enquête où la réalité cède parfois la place à la fiction ; un récit où s’entremêlent mon parcours et les vies que j’imagine pour cette famille japonaise que je ne connaîtrai peut-être jamais.” (Julie-Marie Duro)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Julie-Marie Duro ; juliemarieduro.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

VIENNE : Les plans inclinés de Liège, de Henri Maus à Calatrava (CHiCC, 2018)

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La gare de Liège-Hauteurs à Ans

LE ou LES plans inclinés ? On dit “rue DU Plan Incliné”. Pourquoi ce nom ? Parce que là débute une longue côte vers Ans ? Mais il existe des côtes un peu partout sans que l’on parle de plan incliné.

Remontons dans le temps, à la création de la Belgique en 1830. Le premier gouvernement est conscient que notre port d’Anvers ne pourra vivre que si les marchandises peuvent y arriver facilement. D’où l’idée de créer un réseau de chemin de fer le reliant au bassin industriel de Liège et à l’Allemagne, en évitant la Hollande, puis plus tard au bassin de Charleroi. Cette entreprise énorme est rapidement décidée. Le réseau aura pour centre Malines, et le premier train roulera entre Bruxelles et Malines en 1835. Le réseau se développe rapidement et, dès 1840, le rail arrive à Ans, appelée Liège-Hauteurs.

Et puis ? Il faut descendre en ville et plusieurs tracés sont proposés. Le plateau d’Ans est à environ 175 mètres d’altitude, la Meuse à 60 :  la difficulté est évidente. L’adhérence et la puissance des locomotives de l’époque ne leur permettent pas de gravir cette rampe de 3%. Le tracé définitif, qui est toujours d’actualité, est bien apparent sur une carte datant d’entre les deux guerres : deux lignes droites de part et d’autre de la gare du Haut-Pré. Les ingénieurs Simons et De Ridder, qui ont en charge l’établissement du réseau, confient à un jeune ingénieur du nom de Henri Maus la tâche de résoudre la difficulté.

Avec l’aide d’Hubert Brialmont, il a l’idée d’appliquer un système de traction par câbles à partir d’une machine fixe. Ce n’est pas la première fois qu’un tel principe est appliqué – il y a des précédents en Angleterre – mais ici, il y a une particularité. Il s’agit en fait de deux plans inclinés : Liège -Haut-Pré et Haut-Pré – Ans reliés par une courbe en faible pente, où se trouve placée une machinerie unique, d’où économie d’énergie et de main d’œuvre. De plus, cette réalisation restera longtemps la plus longue sur une ligne importante. La construction a déjà commencé à la fin de l’année 1838 et les premier trains de marchandises circulèrent le 18 avril 1842. Les trains de voyageurs furent admis le 1er mai 1842. Et c’est en 1843 que la ligne atteignit Verviers et la frontière prussienne !

Un wagon spécial lesté et muni de freins puissants à patins était attelé à l’arrière de la rame. Il agrippait le câble au moyen de ses deux pinces et la poussait jusqu’au Haut-Pré. Là, la rame franchissait la courbe sur son élan puis, par le même système, agrippait le câble pour monter le second plan incliné, jusqu’à Ans. La machinerie avait une puissance de 160 CV, portée plus tard à 248 CV. La corde, initialement en chanvre, fut remplacée par la suite par un câble d’acier. La vitesse était limitée à 20 km/h. A la descente, ce wagon-traîneau freinait le convoi grâce à quatre patins qui pouvaient être appliqués contre les rails.

Vers 1870, la puissance des locomotives est devenue suffisante et commence alors le système des allèges. Une locomotive à l’arrière aide le train à monter jusqu’à Ans puis l’abandonne. Une des premières allèges fut le type 20 Etat. Différents modèles de locomotives se sont succédés, mais le plus célèbre fut le type 98 SNCB, des ex-T16 prussiennes reçues en dédommagement après la Première Guerre ; et les types 99, très semblables, construites par Cockerill, ou La Meuse pour le Nord-Belge, en 1931-1932. Cette dernière compagnie a été reprise par la SNCB le 10 mai 1940, un hasard de l’histoire.

Ces machines étaient munies à l’avant d’un attelage spécial qui pouvait être dételé en marche ce qui n’imposait plus un arrêt à Ans. Un jour est arrivé ce qui devait arriver : le décrochage n’a pas fonctionné et la pauvre allège a été emmenée à 120 km/h. On n’a pu arrêter le train qu’à Voroux-Goreux et la locomotive était hors d’usage !

En 1939, la circulation va être interrompue. Le viaduc du Val-Benoît a été miné par l’armée mais, au mois d’août, la foudre tombe sur le pont qui saute. Depuis 1930, on avait commencé des travaux pour établir une déviation pour les trains de marchandises. Le chantier avait été retardé par manque de finances mais, en travaillant jour et nuit, la ligne 36A sera rapidement terminée. Elle part de Kinkempois et rejoint la ligne 36 à Voroux-Goreux, en passant par le viaduc de Renory, celui du Horloz et une série de tunnels.

L’électrification va tout changer en 1955, mais un événement va avoir une incidence sur les plans inclinés : la grève de l’hiver 1960-1961. Dans un climat insurrectionnel, les voies sont gardées jour et nuit par des militaires en armes car on craint des sabotages.

Revenons aux trains. Les automotrices peuvent monter seules les plans inclinés. Pour les autres trains, c’est une machine de la série 22, ou une série 23, qui sert d’allège. Elle est munie de tampons élargis et d’un système ingénieux : une sorte de lentille placée sur le butoir droit, est remplie d’un liquide relié à un manomètre placé devant le pare-brise de la loco. Il indique ainsi la force appliquée à l’arrière du train, car l’allège n’est plus attelée. Ce système est maintenant abandonné.

Depuis l’apparition des séries 13 et 18 plus puissantes, trois fois celle des 22 puisque aptes à rouler à 200 km/h, les trains qu’elles remorquent peuvent souvent monter sans allège. Les rames sont des rames réversibles et la loco est toujours du côté Bruxelles pour tirer le train plutôt que le pousser. Certaines rames de voitures à deux étages, trop lourdes, ont une loco en permanence à chaque extrémité, commandée à distance par la loco de tête.

La gare des Guillemins conçue par l’architecte Calatrava apparaît (bas-gauche) dans le film de science-fiction “Les Gardiens de la galaxie” de 2014 © Marvel

Et les trains à grande vitesse, ICE ou Thalys que l’on voit régulièrement dans la gare des Guillemins conçue par l’architecte catalan Calatrava ? Munis d’une motrice à chaque extrémité, ils avalent sans sourciller les plans inclinés à 120 km/h jusqu’au Haut-Pré et 140 au-delà, par leur seule puissance. Mais ceci est une autre histoire….

Robert VIENNE


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Robert VIENNE a fait l’objet d’une conférence organisée en mai 2018 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HILGERS : Vol/Migration n°28
(s.d., Artothèque, Lg)

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HILGERS Claire, Vol/Migration n°28
(technique mixte, 65 x 32 cm, s.d.)

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Claire HILGERS est née en 1955 à Berchem-Sainte-Agathe. Après une licence en Sciences économiques, elle se forme à la gravure et à la peinture à l’ Académie des Beaux-Arts de Watermael-Boitsfort. En 1983, elle participe à la création de l’atelier de gravure collectif Razkas qui compte aujourd’hui douze membres.

Les diverses recherches créatives de Claire Hilgers concernent des thèmes récurrents : les souvenirs de lieux ou d’instants vécus, la contemplation d’éléments de la nature dans ses détails infimes, et aussi l’image du corps. Ici, c’est une évocation de la nature à travers les diverses visions d’un héron, mais aussi une réminiscence japonaise, par la disposition verticale et la thématique.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Claire Hilgers | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques