HERRERA, Carmen (1915-2022)

Temps de lecture : 5 minutes >

[LIBERATION.FR, 15 février 2022] Mieux vaut tard que jamais. Cette expression est particulièrement vraie en ce qui concerne la peintre Carmen HERRERA, décédée le 12 février à 106 ans dans son loft de Manhattan.

Travaillant incognito pendant toute sa carrière, exposant sans relâche mais sans vendre aucune toile, la pionnière de l’abstraction géométrique a connu le succès tardivement, à la suite d’une exposition collective à la Latin Collector Gallery à New York en 2004. C’est à cette période qu’elle vend sa première œuvre à l’âge de 90 ans. Pour aller jusque sur les cimaises du Whitney Museum qui lui consacre une rétrospective en 2016. Ses tableaux et sculptures, joyeux cocktail de triangles, de rectangles, de lignes brisées et de couleurs contrastées ont alors rencontré un très grand succès aux enchères et dans les foires. Le fait d’être une femme latino-américaine dans le milieu de la peinture minimaliste volontiers sexiste explique son succès tardif.

Continuant sa peinture comme si de rien était, Carmen Herrera n’a été ni arrêtée ni freinée par le manque de reconnaissance. Coûte que coûte, elle a continué à peindre par “amour de la ligne pure”, comme elle l’a confié au New York Times en 2009, considérant que “la gloire était quelque chose de vulgaire”. “C’est comme un bus, que j’ai attendu pendant près de cent ans”, a-t-elle aussi déclaré.

Gemini (2007) © Sheldon Museum of Art

La recherche des couleurs et des formes pures

Née à La Havane en 1915, l’artiste grandit dans une famille progressiste : son père est le fondateur d’El Mundo à Cuba et sa mère, féministe, exerce le métier de reporter. C’est à Paris et à La Havane que Carmen Herrera étudie l’art, l’histoire de l’art et l’architecture. Pendant la guerre, étudiante à l’Art Students League de New York (1942-1943), elle rencontre Barnett Newman et Ellsworth Kelly, grandes figures de l’expressionnisme abstrait. Dans les années 50, l’artiste cubano-américaine expose au Salon des réalités nouvelles à Paris, un vivier de l’abstraction, de l’art concret et de l’art géométrique. Si elle vit entre La Havane et Paris dans les années 30 et 40, elle s’installe définitivement à New York en 1954. Et persévère sans fléchir, vivant de peu, soutenue financièrement par son mari, dans sa recherche des couleurs et des formes pures. En 2004, son style est comparé par un critique du New York Times à celui de Piet Mondrian, Ellsworth Kelly et Lygia Clark  : sa réussite éclate enfin. Aujourd’hui, ses toiles font partie des collections du Moma, de la Tate Modern ou du Walker Art Center de Minneapolis. A Paris, en 2021, deux de ses tableaux ont été remarqués dans l’exposition Elles font l’abstraction au Centre Pompidou.

Clémentine Mercier


© Richard Drew – AFP

[CONNAISSANCEDESARTS.COM] La galerie Lisson a annoncé la mort de Carmen Herrera qu’elle exposait depuis 2010. Elle est décédée “paisiblement dans son sommeil” à 106 ans dans son appartement de New York.

Toute sa vie passionnée par l’art abstrait et les figures géométriques, son travail, en tant que femme artiste, n’a pas été reconnu avant les années 2000. “Il en aura fallu du temps, grand Dieu, ils auront attendu longtemps“, a-t-elle pu déclarer, visiblement peu rancunière. Encore active pendant ces vingt dernières années, où sa cote sur le marché de l’art a explosé, elle prévoyait une exposition chez Lisson en mai prochain pour son anniversaire.

La beauté de la ligne droite

Je crois que je serai toujours en admiration devant la ligne droite, sa beauté est ce qui me fait continuer à peindre.” Carmen Herrera s’est inspirée toute sa vie de la ligne rigoureuse. Pendant 80 ans, elle a proposé des œuvres structurées, sobres et colorées. Elle s’oppose à une vision sensitive de la peinture. Ses peintures témoignent d’un travail sérieux de l’espace et des séparations sur la toile. Elle commençait par des dessins à l’échelle sur papier-calque, annotait des mesures et finalement reproduisait le rendu final à l’acrylique sur la toile. Le conservateur Jonathan Watkins, un des premiers à lui proposer une exposition dans la galerie anglaise Ikon en 2009, résumait : “Nous avons eu la chance de travailler avec quelqu’un qui était à la fois intransigeant sur le plan esthétique et si généreux.”

Régime végétarien ou presque

Carmen Herrera est née à La Havane à Cuba en 1915. Son père rédacteur en chef du journal El Mundo meurt en 1917 pendant la révolution. Sa mère, également journaliste, pionnière et engagée dans le féminisme, lui a servi de modèle. Elle commence des études d’art à Cuba puis à Paris. Francophone, elle y vivra à nouveau avec son mari Jesse Loewenthal pendant l’après-guerre. De retour à New York dans les années 50, elle y est restée pour le reste de sa longue vie. Interrogée sur son secret de longévité une fois passée le centenaire, elle évoque le régime végétarien et un verre de scotch quotidien. “Rien d’extraordinaire”, résume-t-elle. “Faire ce qu’on aime, et le faire tous les jours. C’est ce que je fais. Je me lève, je petit-déjeune et je me mets à travailler.

La reconnaissance à 89 ans

C’est par hasard quand une autre artiste se désiste pour l’exposition sur l’abstraction géométrique latino-américaine à la Latin Collector Gallery de TriBeCa à New York en 2004 que les œuvres de Carmen Herrera sont vues sous une lumière nouvelle et plus vaste. Elle est alors âgée de 89 ans. Le réputé Whitney Museum of American Art lui consacre une importante rétrospective en 2016, Carmen Herrera : Lines of Sight. Ses œuvres se trouvent maintenant dans plusieurs collections permanentes de musées, dont le Guggenheim d’Abu Dhabi, le MoMA à New York et la Tate Modern à Londres. Elle expose d’imposantes structures d’aluminium dans le City Hall Park de New York nommées Estructurales monumentales en 2019.

Elle n’est pas naïve quant à l’oubli de son art par l’histoire et les professionnels pendant de si longues années. Son statut de femme est clairement ce qui l’a écarté de la notoriété. Elle raconte dans un documentaire qui lui est consacré en 2015, The 100 years show, qu’une femme galeriste lui a un jour dit qu’elle était une meilleure peintre que beaucoup de ses contemporains masculins les plus célèbres, mais  “qu’il n’y aurait pas de spectacle parce que vous êtes une femme“. L’artiste a déclaré: “Je suis sortie de là comme si quelqu’un m’avait tapé dessus. Une femme à une femme ?

Flight of Colours (1949) © Sheldon Museum of Art

Un monde d’hommes… et Georgia O’Keeffe

Son œuvre se rapporte au mouvement esthétique abstrait de l’hard edge, typique de l’art américain à succès dans la seconde moitié du XXème siècle. Elle est aussi l’une des premières à utiliser la peinture acrylique à base de solvants à cette époque. Des artistes, hommes et blancs, qui effectuaient un travail très similaire comme Ellsworth Kelly et Barnett Newman bénéficiaient eux d’une visibilité tout autre. “Tout était contrôlé par les hommes, pas seulement l’art. Je connaissais [le peintre] Ad Reinhardt et il était terriblement obsédé par Georgia O’Keeffe et son succès. Il la détestait. Je la détestais  ! Georgia était forte, et ses peintures étaient exposées partout, et il était jaloux.” dénonce-t-elle en 2016 une fois que sa voix était davantage entendue à force que son art soit vu et respecté.

Louise Bernard


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, édition et iconographie | sources : liberation.fr ; connaissancedesarts.com | contributeur : Philippe Vienne & Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Lines of Sight © Whitney Museum ; © Sheldon Museum of Art ; © Richard Drew – AFP.


Plus d’arts visuels en Wallonie…

VERA : Veinte años (1935)

Temps de lecture : 2 minutes >
https://gladyspalmera.com/coleccion/el-diario-de-gladys/kabiosile-maria-teresa-vera/
Maria-Teresa VERA (1895-1967)

Veinte años est une habanera composée en 1935 par la célèbre chanteuse Maria-Teresa VERA sur des paroles de Guillermina ARAMBURU. Interprétée depuis par de très nombreux chanteurs (en général sur un rythme de boléro),  elle a accédé au statut de tube planétaire grâce à l’interprétation de Omara Portuondo dans le film Buena Vista Social Club…” [source : Fabrice Hatem]

Qué te importe que te amé [Que t’importe que je t’aime]
Si tù no me quieres ya, [Si tu ne m’aimes plus]
El amor que ya ha pasado [L’amour qui s’en est allé]
No se debe recordar. [Ne doit pas revenir]

Fui la ilusion de tu vida [Je fus l’illusion de ta vie]
Un dia lejano ya [Un jour déjà lointain]
Hoy represento al pasado [Je ne suis plus que le passé]
No me puedo recordar [Je ne peux pas m’y faire]
Hoy represento al pasado [Je ne suis plus que le passé]
No me puedo recordar. [Je ne peux pas m’y faire]

Si las cosas que uno quiere [Si les choses que l’on désire]
Se pudieran alcanzar [Pouvaient être atteintes]
Tu me quisieras lo mismo [Tu m’aimerais comme avant]
Que veinte años atras. [Comme il y a vingt ans]

Con que tristeza miramos [Avec quelle tristesse nous voyons]
Un amor que se nos va [Un amour qui s’éloigne]
Es un pedazo del alma [C’est un morceau de l’âme]
Que se arranca sin piedad. [Qui s’arrache sans pitié.]
Es un pedazo del alma [C’est un morceau de l’âme]
Que se arranca sin piedad. [Qui s’arrache sans pitié.]

Si las cosas que uno quiere [Si les choses que l’on désire]
Se pudieran alcanzar [Pouvaient être atteintes]
Tu me quisieras lo mismo [Tu m’aimerais comme avant]
Que veinte años atras. [Comme il y a vingt ans]

Con que tristeza miramos [Avec quelle tristesse nous voyons]
Un amor que se nos va [Un amour qui s’éloigne]
Es un pedazo del alma [C’est un morceau de l’âme]
Que se arranca sin piedad. [Qui s’arrache sans pitié.]
Es un pedazo del alma [C’est un morceau de l’âme]
Que se arranca sin piedad. [Qui s’arrache sans pitié.]

Et un joli hommage plus récent, “Isaac et Nora chantent Veinte años” (2019) :


Plus de musique…

CASTRO : textes

Temps de lecture : < 1 minute >
Fidel CASTRO (1926-2016) à La Havane en 1979 (c) Getty Images

Sans le pouvoir, les idéaux ne peuvent être réalisés ; avec le pouvoir, ils survivent rarement.


Citer encore…