BARTHES : textes

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“Roland BARTHES (France, 1915-1980) est un critique littéraire et sémiologue français. Il devient orphelin de père à l’âge d’un an et va passer son enfance avec sa mère chez ses grands-parents à Bayonne, avant l’installation avec sa mère à Paris lorsqu’il a neuf ans. Il s’intéresse très tôt au théâtre, à la littérature, à la musique et écrit à dix-huit ans un livre qu’il publiera quarante ans plus tard : En marge du Criton.

Après des études de lexicologie et de linguistique, Roland Barthes participe en 1934 à la formation du groupe Défense républicaine anti-fasciste, en réaction aux événements qui ravagent l’Europe. Il souffre à partir de cette même année d’une faiblesse pulmonaire, qui lui vaudra d’être réformé en 1939. Après un premier poste au lycée de Biarritz, il fait plusieurs séjours en sanatorium où il donne des conférences sur des poètes et des philosophes. Il y découvre également la théorie marxiste.

Après avoir rencontré Maurice Nadeau, il publie dans la revue Combat ce qui constituera Le Degré zéro de l’écriture. Il occupe ensuite plusieurs postes – bibliothécaire à l’Institut français de Bucarest, lecteur à l’université d’Alexandrie, conseiller littéraire aux éditions de l’Arche ou encore enseignant à l’université de Rabat. Il s’intéresse à la linguistique et au structuralisme, participe au lancement de plusieurs revues comme Arguments et la Quinzaine littéraire. Essayiste et sémiologue reconnu, il cherche à rompre avec la pensée de Ferdinand de Saussure.

En tant que directeur d’études à l’EHESS et attaché de recherche en sociologie au CNRS, il approfondit ses analyses du mythe et du signe, notamment dans Mythologies. Il continue à publier des écrits importants, comme Le Plaisir du texte (1973), Barthes par Roland Barthes (1975) et Fragments d’un discours amoureux (1977). En 1976, il devient Professeur au Collège de France, où une chaire de sémiologie littéraire lui est consacrée. C’est en sortant d’un cours qu’il sera renversé par une camionnette et meurt ainsi à l’âge de 65 ans. Il est enterré auprès de sa mère, dans le cimetière d’Urt au Pays basque. En 2009, Journal de deuil, un recueil de notes relatives au deuil de sa mère, est édité à titre posthume.” [BABELIO.COM]


Il est un âge où l’on enseigne ce que l’on sait ; mais il en vient ensuite un autre où l’on enseigne ce que l’on ne sait pas : cela s’appelle chercher. Vient peut-être maintenant l’âge d’une autre expérience : celle de désapprendre, de laisser travailler le remaniement imprévisible que l’oubli impose à la sédimentation des savoirs, des cultures, des croyances que l’on a traversées. Cette expérience a, je crois, un nom illustre et démodé, que j’oserai prendre ici sans complexe, au carrefour même de son étymologie, Sapientia : nul pouvoir, un peu de sagesse, un peu de savoir et le plus de saveur possible.

in Leçon (1977)


Bien souvent, c’est par le langage que l’autre s’altère ; il dit un mot différent, et j’entends bruire d’une façon menaçante tout un autre monde, qui est le monde de l’autre.

in Fragments d’un discours amoureux (1977)


Citer encore…

ARDUINA : Serge Darat et Alain van Steenacker, débardeurs à cheval (1997)

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Une profession âpre et passionnante

Combien sont-ils encore en Belgique, les débardeurs à cheval ? Cent cinquante, deux cents ? Question difficile: beaucoup ne sont pas recensés. Arduina en a côtoyé deux sur le lieu de leur travail, en plein effort, un après-midi durant. Tableau d’une profession-passion combinée à l’amour du cheval.

La voiture venait de quitter la route qui file à travers la campagne et se dirigeait vers un des boqueteaux parsemant les prés et les champs légèrement vallonnés. Là opéraient Serge Darat et Alain van Steenacker, deux des derniers débardeurs à cheval du pays.

Cahotant dans les ornières profondes du chemin empierré, le véhicule s’engageait sous les premières frondaisons, quand, juste après la butte d’entrée du petit bois, un hongre apparut, paisible et énorme, relié par sa longe à un arbre et barrant le sentier de toute sa longueur.

Délaissant l’auto, je m’apprêtais à contourner l’animal ; un homme arriva et fit pivoter le quadrupède de façon à ménager un passage. “Serge est là-bas, dit-il, il termine son repas.” Il désignait une petite clairière, un peu plus loin. Sur un tas de bois, un dos massif, arrondi , coiffé de longs cheveux. A l’heure de midi, hommes et bêtes marquaient une pause et prenaient un peu de repos.

Serge Darat se lève pour faire connaissance. Grand, de forte carrure, une barbe de deux jours, le débardeur se veut d’une discrétion coquette sur son âge : tout ce qu’il consentira à dire, c’est qu’il a près de 40 ans. Un autre cheval, un peu moins grand que le premier, est attaché près de lui. Assailli par les mouches et les taons, il paraît nerveux. “Deux belles bêtes, pas vrai ? Nous les nourrissons au grain. Ce matin à 7 heures, ils ont eu droit à 4 kilos d’avoine et d’orge. Nous leur en donnons à nouveau un kilo et demi en milieu de journée, une dernière ration de 4 kilos le soir après le travail, du foin entre 22 et 23 heures, et de la paille pour la litière. En période de travail, ils ont besoin d’accumuler beaucoup d’énergie, qu’ils doivent d’ailleurs absolument dépenser sous peine de complications de santé.

Alain, l’équipier de Serge, nous rejoint. C’est lui qui a libéré le chemin forestier en poussant Julot, magnifique brabançon de 6 ans et 900 kilos. De la même race, Tino, qui appartient à Serge, est un peu plus léger pour le même âge : 750 kilos seulement, mais le poids n’a pas une importance primordiale. D’ailleurs, Serge prétend que Tino est plus fort que son congénère. Question de mental, de confiance en soi…

Surtout respecter l’animal
Serge et Tino (dans le désordre) © Jacques Letihon

Sous les ordres de leurs maîtres, les deux animaux sont occupés au travail depuis quelques jours dans ce petit bois où la commune, propriétaire des lieux, souhaitait faire pratiquer une éclaircie. Le marchand qui a emporté la soumission fait habituellement appel à nos deux débardeurs, raison de leur présence ici. Ceux-ci viennent sur le terrain après le passage d’autres acteurs : le garde-forestier qui a marqué les arbres destinés à la coupe, puis le bûcheron qui les a abattus et élagués. Précédés par l’arrière-train dodelinant de Tino, nous parcourons les deux cent mètres qui nous séparent du lieu de ramassage. La pluie a détrempé le sol, qu’un soleil timide ne parvient pas à sécher. De part et d’autre du chemin forestier sillonné d’ornières, le terrain accuse une forte pente.

De nombreux bois s’allongent entassés sur les côtés : ce sont les bottes, fruits du travail des jours précédents et de la matinée. Le travail de débardage terminé, une machine les tractera jusqu’à la clairière, où ils seront hissés dans des camions pour être conduits à destination. “Certains troncs sont énormes et pèsent facilement huit cent kilos, voire une tonne. Aussi, il ne faut pas demander l’impossible aux chevaux, précise Serge, et surtout les respecter ! A six ans, ils sont en pleine force, mais si l’on n’y prend garde, on pourrait les tuer en une demi-heure. Ceci dit, ils sont capables de travailler sans problème jusqu’à 14 ans voire même au delà. Respecter son cheval, cela signifie aussi qu’il ne faut pas le laisser sur un échec, qu’il ne puisse pas penser ‘ce type est fou pour me demander de tirer seul un poids pareil’. Dans ce cas, nous y mettons les deux chevaux. Une des raisons pour lesquelles je préfère le travail en équipe ! Une autre étant qu’en cas d’accident, il y a toujours quelqu’un de disponible pour chercher du secours.

Nous voici sur le lieu de travail. Alain est déjà à l’ouvrage avec Julot. Des troncs jonchent le sol en déclivité. Serge en a repéré un, quelques mètres en contre-bas. Il y conduit Tino, dont le collier est muni d’une chaîne avec, au bout, un crochet. Il enroule la chaîne autour de l’arbre, la referme au moyen du crochet et examine scrupuleusement le passage à emprunter pour remonter sur le chemin . Le cheval s’impatiente, lève une jambe puis l’autre en soufflant. Et soudain : “Allez Tino, aar, aar ! Tino ! Allez !” La voix formidable, rugueuse, jaillit des entrailles de l’homme, et, répondant aussitôt à l’injonction, l’animal, tous muscles dehors, s’arc-boutant, hisse la masse énorme vers le sommet.

Aar : à gauche. Ye : à droite. Oh : arrête. Recule, un pas : en français dans le texte. Pas compliqué le langage cheval !

Tino obéit à la perfection, enjambe les troncs couchés et semble se faufiler à toute vitesse entre les arbres avec une agilité et une souplesse étonnantes au vu de sa morphologie. Derrière lui, courbé, Serge court, hurle ses ordres, saute pardessus un tronc, évite un amas de branches mortes, dirige de la voix et de la longe. Il participe totalement, on dirait presque qu’il tire avec son cheval. Quelques efforts de cet acabit et les cheveux collent de sueur aux tempes. Le souffle se fait court. Le T-shirt est trempé. Il faut adapter la longueur de la chaîne. Réflexe professionnel. Serge est attentif à tout, et surtout à son cheval. Toujours le respect.

Rien ne prédestinait Serge Darat à exercer la profession de débardeur. Après ses études secondaires, il tâte un peu du droit à l’Université de Liège. Pas longtemps, et sans succès. Puis, en rupture avec le milieu familial, il s’exile en Afrique durant quelques mois. A son retour, comment subsister ? C’est la crise, la fin des années septante. Un copain lui procure un emploi de bûcheron. Serge cherchait du boulot, il trouve des bouleaux. Professionnellement, c’est son premier contact avec le milieu forestier. Il sympathise avec Alain van Steenacker, un gars de son âge, sorti de l’école forestière, bûcheron lui aussi. Mais le bûcheronnage, c’est difficile, c’est dangereux et le corps souffre énormément. Etre débardeur, cela paraît beaucoup plus simple ! La décision est prise en 1985. Alain :

Nous avons eu l’opportunité d’acquérir un cheval et du matériel, puis nous avons fait nos premières armes absolument seuls. Mais nous avons eu la chance d’avoir un très bon cheval pour débuter. Par après, on s’est renseigné, on a pu travailler et observer les méthodes des anciens. C’est ainsi que l’on apprend le métier, sur le tas. Je ne pense pas qu’il existe une école de débardage. En tous les cas, à l’école forestière ce sujet n’est pas abordé.

Lunettes rondes sur le nez, les cheveux courts à 1,80m du sol, Alain parle d’une voix calme, posée. Il s’adresse à son cheval de la même manière, sans crier outre mesure. Et tout au long de l’après-midi s’est imposée l’osmose entre l’homme et l’animal, ce dernier à l’image de celui qui le commande : Tina, nerveux, tout en muscles et en rapidité, avec Serge, courant, gueulant, jurant. Alain, plus doux, réservé, commandant Julot, cheval placide, distrait, aimant le contact avec l’homme au point d’être triste s’il reste deux mois en pâture. Rien d’étonnant, dès lors, d’apprendre que Serge est meilleur pour faire tirer les chevaux, en obtenir le maximum, alors qu’Alain l’est d’avantage pour le débourrage (le dressage préparatoire).

© fotocommunity
L’animal ou la machine

Après avoir tiré, hissé, mis en bottes plusieurs charges, les travailleurs,  humains et équidés, s’accordent quelques minutes de répit, afin de reprendre leur souffle et des forces pour la suite de leur dur labeur. C’est un moment fort apprécié. On profite des charmes de la forêt, on fait parfois silence. Parfois aussi on discute de tout et de rien, de choses banales, d’autres moins, le prochain rendez-vous chez le maréchal-ferrant, par exemple. On médite, comme Serge : “Il n’y a pas d’école, alors la relève, c’est nous…” (un sourire ironique se dessine sur ses lèvres).

Où apprendre le métier ? Il n’y a pas de cours organisés officiellement. Encore moins un diplôme reconnu. Le métier s’apprend en forêt, en le pratiquant  en compagnie d’un débardeur ! Six mois au minimum sont nécessaires pour apprécier les multiples situations qui se présentent dans l’exercice de cette profession qui peut devenir dangereuse si elle n’est pas exercée correctement, en raison des nombreux paramètres qu’il faut maîtriser. Serge se souvient d’un jeune venu à sa rencontre à l’issue d’un concours de débardage. Le garçon de 15 ans, tombé amoureux du métier, souhaitait ardemment devenir débardeur. Le deal fut le suivant : pendant 3 ans, tout en continuant ses études techniques, l’adolescent a passé ses vacances scolaires à travailler en forêt en compagnie du débardeur. A titre gratuit. En contrepartie, à l’issue de l’apprentissage et à titre de défraiement, Serge lui a acheté un cheval , l’a débourré et a fourni un collier. Devenu adulte, ce jeune est débardeur à cheval depuis 10 ans.

Nos débardeurs s’interrogent : leur métier n’est-il pas un peu désuet? Ils sont encore 200 en Belgique, à tout casser, à utiliser un cheval pour leur profession. Utiliser un cheval au vingtième siècle ! Pour le moment, l’animal et la machine se complètent. Le choix dépend de la personnalité. Serge et Alain préfèrent le premier et ne manquent pas une occasion de prouver sa supériorité : un jour, ils remarquent un attroupement au bord de la route où ils circulent, non loin d’un camion finlandais dont les propriétaires font une démonstration de matériel. Ils utilisent de petites machines munies d’un treuil et montées sur chenilles, et dont la pression au sol ridiculement basse préserve la structure du terrain. La discussion s’engage, tant bien que mal, en anglais. Tour en reconnaissant l’efficacité de la mécanique, Serge et Alain soutiennent que leurs chevaux, qui attendent dans le van, font un travail identique en moitié moins de temps. Des paris sont lancés. Les deux compères sortent Julot et Tino et gagnent le pari.

Evidemment, les machines ne sont pas adaptées à tous les types de terrain, mais les animaux ne vont pas partout non plus. Voilà en quoi ils sont complémentaires. Le reste est affaire de goût, goût de la nature par exemple, sans négliger cependant l’aspect financier. Un cheval est moins cher à l’achat, et les frais pour le nourrir correctement, le soigner et le ferrer
ne sont pas excessifs. Par contre, une machine est onéreuse, les remboursements mensuels sont élevés. Comment faire quand la quantité de travail se réduit ou vient à manquer ?

D’autre part, une fois le moteur à l’arrêt et la machine hissée sur la remorque, la journée de travail est terminée. Le cheval réclame beaucoup de temps et d’attention. Il faut le ramener à l’écurie, le soigner, le panser, le nourrir, entretenir son abri, etc. Pas question non plus de partir trop longtemps en vacances. Les contraintes sont donc plus nombreuses.

Cependant, Serge et Alain n’ont pas d’autres maîtres qu’eux. Ils sont totalement libres d’organiser leur emploi du temps comme bon leur semble, en communion avec la nature, et cette liberté-là n’est pas désuète. Alors ils en profitent tant qu’ils le peuvent encore…”

Eddy DANIEL


Plus de presse…

JOLIET Charles, Mille jeux d’esprit
(Paris : Hachette, 1886)

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FONDS PRIMO. Souvenez-vous : il y a quelques semaines, secoués par un généreux donateur (le Fonds PRIMO compte quelque 300.000 images, rien que pour vos yeux), nous décidions de doubler le blog encyclo wallonica.org d’un centre de ressources numériques, à l’adresse déjà interstellaire documenta.wallonica.org. Parmi les pépites partagées par ce désormais compagnon de route, il y a toute une série d’ouvrages ‘océrisés’ (images dont les caractères du texte sont reconnus par votre ordinateur), libres de droits.

Nous allons progressivement les rendre disponibles dans la documenta, en veillant à chaque fois vous les annoncer dans la partie plus journalistique de notre site : le blog. Nous ouvrons le feu avec un ouvrage de la fin du XIXe dont la lecture vous permettra d’affûter cet outil aujourd’hui si galvaudé : votre intelligence.

GREINER Otto, Prometheus (1909) © Fine Arts Museum Ottawa

Prométhée fut puni pour nous avoir donné la possibilité d’utiliser des outils ou, plutôt, pour avoir négligé de nous expliquer que l’outil (ici, l’intellect) n’est qu’un objet intermédiaire (médium) entre nous et ce monde complexe où nous devons vivre. Tout Titan qu’il était, il s’est vu privé de son GSM et attaché sur un rocher bien terrestre où un aigle, divin messager de Zeus, venait tous les soirs lui dévorer le foie, siège de sa révolte. Il est vrai que, petites choses que nous étions face aux super-héros de la mythologie, il n’était alors pas certain que nous serions capables de faire la distinction entre, d’une part, la représentation de la réalité que nous proposent différents outils (ex. les médias), utilisés de main de maître tant par des professionnels que par le beau-frère de Josiane, et, d’autre part, la réalité dont nous devons construire nous-même la connaissance, que nous devons nous approprier en la pratiquant. Finalement, Zeus n’avait pas tout à fait tort de prendre la mouche : ce n’était pas gagné ! En plus, il était assez sympa : il a laissé Hercule libérer le Titan, à condition que ce dernier garde autour du doigt une bague adornée d’un éclat du rocher qui avait été son pilori. Souviens-toi toujours, Prométhée…

Ce n’est pas comme si des médias (ex. les réseaux sociaux) nous présentaient chaque jour une image du monde, saturée en couleurs factices et en nombres exponentiels, comme si nous étions sensibles à la répétition des mêmes informations non vérifiées et que, finalement, nous donnions raison à Guy Debord qui, en 1967 déjà, annonçait que La Société du Spectacle l’emporterait et nous irions puiser nos références dans le ‘spectacle’ plutôt que dans le monde réel (lire à ce propos notre article : Dieu est mort : c’est vrai, je l’ai vu sur les réseaux sociaux…). Où es-tu Hercule ?

Charles JOLIET, “littérateur”

En attendant une meilleure connaissance du monde pour chacun (tiens, ça sert à ça une encyclopédie ?), voici donc un livre que Prométhée n’aurait pas désavoué, en version intégrale, et qui permettait à nos anciens d’entraîner leur intelligence en la désarçonnant. En bonus, vous pourrez lire l’avertissement de l’ouvrage ci-dessous, avant de cliquer sur le lien vers la documenta où nous avons publié le PDF du texte de Charles JOLIET, Mille jeux d’esprit (Paris : Hachette, 1886, 3e éd.). “Amuser la jeunesse avec la Littérature, l’Art et la Science c’est glisser l’Alphabet dans une boite de joujoux” : ce brave Monsieur Joliet aurait pu faire partie de notre équipe !


AVERTISSEMENT

“Pour satisfaire au désir depuis longtemps exprimé par les lecteurs du Journal de la Jeunesse, l’auteur a réuni et condensé, sous le titre de MILLE JEUX D’ESPRIT, un choix des Études publiées dans le Supplément hebdomadaire du Journal. L’Ouvrage comprend Trente-six Chapitres et se divise en deux parties :

    • La Première partie offre les PROBLEMES ET QUESTIONS à chercher et à résoudre.
    • La Seconde partie donne les SOLUTIONS ET LES RÉPONSES. Chacun des Chapitres est précédé des méthodes, règles, principes et exemples qui expliquent et facilitent la Solution des Sujets proposés.
En présentant aujourd’hui cet ouvrage au public, il nous est permis d’en exposer l’origine et le but. Le Journal de la Jeunesse a été fondé le 7 décembre 1872, et son premier Supplément a paru le 19 juin 1875. Ce Supplément est consacré â des Problèmes et Questions ; dont le volume qu’on a sous les yeux contient un résumé complet, destinés à exercer les facultés ingénieuses de l’esprit, et les Noms des Correspondants qui envoient les Solutions et Réponses sont publiés.
Chaque mois, des Concours sur les sujets les plus variés sont ouverts à tous les lecteurs. Outre les Compositions écrites, Narrations, Études, Lettres, Scènes dialoguées, les Concours mensuels s’étendent aux Ouvrages de Couture, Filet, Crochet, Tricot, Broderie, Dentelle, Tapisserie, ainsi qu’aux travaux les plus divers, Dessin, Musique, Cartes de Géographie, Plans, Histoire naturelle, Objets en carton et en bois, Fleurs artificielles, etc. etc. Tels sont les tournois pacifiques de ces Concours dont le plus important est le Concours de Pâques. De magnifiques Ouvrages illustrés, offerts par la Librairie Hachette et Cie, sont décernés aux Concurrents qui obtiennent les premières places, et qui sont classés par séries : Prix, Accessits, Mentions d’honneur et Mentions. Enfin, les Diplômes des Concours sont expédiés à la fin de l’année. Bien que ces Jeux d’esprit n’aient d’autre prétention que d’être des récréations amusantes, l’attrait qui s’attache à tous les problèmes a pour effet d’exiger des recherches instructives, de faire ouvrir des livres.
Amuser la jeunesse avec la Littérature, l’Art et la Science c’est glisser l’Alphabet dans une boite de joujoux. Nous avons pu constater ce résultat par les témoignages des familles des jeunes lecteurs du Journal de la Jeunesse.
Les Problèmes et Questions du Supplément hebdomadaire, alimentés par les Communications de ses correspondants, sont publiés sous le Nom, les Initiales ou le Pseudonyme de leurs auteurs. C’est grâce à ces Communications, toujours accueillies avec faveur, que le Supplément présente une variété et une abondance de sujets dont la source, sans cesse renouvelée, semble inépuisable.

Nous nous faisons ici un devoir et un plaisir de les remercier en leur offrant la Dédicace de ce travail car la meilleure part est leur ouvrage. Paris, 1882.

Charles JOLIET”


Et dans la documenta :


D’autres outils et dispositifs ?

VIVIER : Écrits sur la Grande Guerre (anthologie, 2020)

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“Si Robert VIVIER (1894-1989) était l’académicien, le poète, le romancier et l’analyste de quelques grandes œuvres de la littérature française – L’originalité de Baudelaire (1924), Et la poésie fut langage (1954) ou Lire Supervielle (1972) –, il n’en demeure pas moins qu’il fut, comme tant d’autres, lors de cette Grande Guerre, un simple fantassin sur le front de l’Yser. Un jeune homme d’une vingtaine d’années, confronté au désarroi, à l’angoisse, à la mort et au vide que laissaient ces journées dans la boue et les tranchées. La Plaine étrange dont il est beaucoup question ici, c’est d’abord, comme l’écrit Robert Vivier lui-même, sa manière personnelle de “conserver des paysages” mais surtout de donner un écho à sa vie intérieure. “J’étais trop près du sang et de la mort, écrivait-il, pour vouloir les enclore dans des mots.” On l’aura compris : ces Écrits sur la Grande Guerre, à nouveau accessibles, ne sont pas de simples témoignages historiques, ils sont d’abord de la littérature à part entière.”

Yves Namur,
Secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue
et de littérature françaises de Belgique


VIVIER Robert, Les écrits sur la grande guerre de Robert Vivier, académicien (Bruxelles : De Schorre, 2020)

“C’est une excellente initiative des éditions De Schorre et de la Fondation Max Deauville de Bernard Duwez que d’avoir republié les écrits de Robert Vivier sur la Grande Guerre, tant pour leur valeur documentaire que pour leur qualité littéraire.

Xavier Hanotte note fort justement que l’image que l’on s’est forgée de la guerre, côté belge, a été fortement, et injustement, voilée par l’imagerie populaire (et littéraire) française, alors que les mentalités, les jugements portés sur la guerre et nos soldats, étaient très différents. Et c’est vrai aussi que les textes des auteurs belges francophones sur le sujet sont difficiles à trouver.

Mais l’essentiel de notre propos, c’est la personnalité même de Robert Vivier, écrivain, poète. Il appartient à une lignée de nos auteurs caractérisés par leur retenue, leur limpidité, leur clarté: Fernand Séverin, Odilon-Jean Périer, Hubert Krains, une part d’Edmond Glesener, bien d’autres encore. Une sentimentalité un peu voilée, nuancée souvent par l’humour. Pas de grandes idées, de grandes théories, seulement cette présence constante, dans leur prose comme dans leurs vers, d’une perception aiguë de la beauté de la nature, et d’une profonde pitié pour le malheur et l’incomplétude de la condition humaine.

Robert Vivier, comme le souligne Yves Namur sur la quatrième de couverture, était un jeune homme d’une vingtaine d’années quand il fit la guerre, en tant que simple fantassin. Sont repris ici des poèmes tirés de la Route incertaine (1921), dont Pluie aux tranchées, dont voici les deux tercets. Un bel exemple du regard aigu porté sur les détails matériels, l’image qui fait mouche, la justesse de l’expression et du sentiment, sans la moindre grandiloquence :

Le froid et l’abandon pétrissaient nos vies nues,
Comme on pétrit de la neige à demi fondue,
Par jeu, en y moulant la forme de ses doigts.

A nos fusils, rongés de morsures ténues,
La rouille pullulait comme un poison sournois.
-Taciturnes, nous attendions, sans savoir quoi.

Notons encore ce beau passage, dans Ballade, p.37, avec une sorte d’écho lointain des Trois sœurs de Maeterlinck :

Alors, nous avons pris trois églantines.
Nous les avons mises
A nos bouches vides
Comme trois baisers.
Puis, sans nous reposer,
Nous nous sommes remis à suivre
A la cadence indifférente de notre pas,
Vers la poussière et le hasard et la misère et les combats,
La grand’route, maîtresse fidèle et lasse des soldats.

Nous retrouverons les mêmes notes de sensualité profonde, de pitié et de pessimisme à peine souligné, dans le récit d’une brève rencontre amoureuse avec une jeune Flamande, dans Avec les hommes, p.293 et suivantes. Par contre, dans le poème Un rayon de soleil (1917), p.22, bâti tout entier sur l’opposition entre le paysage de guerre des deux quatrains, et le paysage intime et très 1900 des deux tercets, avec rejet de l’apostrophe au Soleil – qui gouverne ici les couleurs tant des quatrains que des tercets – nous voilà en plein style artiste, très différent des textes en prose de cette anthologie :

Un rayon poussiéreux torture le sommeil
Des soldats affalés sur la paille dorée
Avec l’abandon lourd de barques amarrées,
Par un soir étouffant, plein de meurtres vermeils.

La fatigue et la mort attendent leur réveil,
Et le reflet sanglant des heures effarées
Jaillit encore du bloc d’armes enchevêtrées
Qui grimace au-dessus de leurs têtes…Soleil,

Est-il vrai que ta joie flambe
Sur la chair des rideaux lointains, et que tu sèmes
Des fruits d’ambre aux tapis roux des chambres heureuses
Où des femmes, riant d’être celles qu’on aime,
Ivres de leur fraîcheur que nul remords ne creuse,
Boivent de tout leur corps l’or qui les éclabousse?

Est-il vrai que là-bas la vie ose être douce?

On remarquera ici le nombre élevé des adjectifs, tous très évocateurs, sauf celui du dernier vers, détaché, qui nous ramène en pleine prose, loin de l’atmosphère un peu étouffante, des métaphores poussées jusqu’à l’allégorie, des vers très parnassiens qui précèdent (Delacroix et Baudelaire, sur qui Vivier a travaillé, ne sont pas loin). Mais ceci, vu la date – contemporaine d’autres textes beaucoup plus âpres, plus quotidiens – ne constitue-t-il pas une sorte d’adieu à une vie dont le luxe et la volupté constituent un élément déterminant? Ecoutez seulement cette strophe de Revenant, paru dans un hommage à Marcel Thiry de 1967 :

Les ans s’effondrent et les murs
Car l’insomnie a remis tout en place,
L’infini froid contre la face
Et, sous les songes, le sol dur…

… ou bien encore, dans les Chansons d’un temps, tiré de S’étonner d’être, paru en 1977 :

Pour retrouver Tipperary
Il nous faudrait bien du chemin !
De ces hivers sans lendemain
Nous ne serons jamais guéris.

Ah! la Madelon sur la route
Regardait s’éloigner les hommes
Qui riaient, qui buvaient leur goutte
Ou mouraient, c’était tout comme…

Nous voici proches, ici, de Cendrars et de Mac Orlan, qui ont vécu, eux aussi, durement, ces réalités de la guerre.

Les œuvres en prose ici reprises comprennent d’une part des extraits des Souvenirs de guerre, La plaine étrange (1923) et Avec les hommesSix moments de l’autre guerre (1963). Ces extraits de La plaine étrange définissent assez bien le propos de l’auteur, ainsi à la page 51 :

A la place de ce qui aurait dû être, je n’ai que ces pages où s’affirme le regret d’un tel vide, et où j’ai fixé le cadre de mon attente. Telles quelles, ces notes attestent l’effort fait par mon être d’alors pour prolonger en lui une vie consciente et pour la soustraire, si minime qu’elle fût, au néant. La mort était derrière mon épaule, et j’écrivais vite, sans trop choisir, tout ce qui était dans mes yeux et dans mon cœur, pour en sauver le plus possible. Ce que j’ai sauvé, il faut que je vous le donne. Un fruit qui n’est pas cueilli éclate et se dessèche.. Il fait défaut à son destin.

Voilà. Tout est dit, ou, si pas tout, du moins l’essentiel. Comme nous le disions plus haut, le quotidien, les corvées patates, les relèves, les obus, les tirs de mitrailleuse, les diverses corvées, les jeux de cartes au repos, les granges, les maisons dévastées, les disputes entre les hommes, tout cela, qui est bien peu de chose, prend toute la place, ou presque. Il y a bien ces demi-confidences, ces conversations à fusils rompus, un clin d’oeil parfois, un air d’harmonica… C’est au travers de tout cela que passent ces quelques moments d’éternité qu’il cherche à sauvegarder et à nous transmettre. Cet homme, par exemple, qui se plaint de n’avoir pas vu sa femme depuis sept mois, et de n’en avoir reçu que de maigres nouvelles.

A part cela, il y avait le mal du pays. Étouffé, presque doux, il était notre nourriture de poésie. Le reste de nous-mêmes était englué dans des soucis de gamelle et de paillasse. J’avais aussi, à considérer des jeux de lumière et des effets de couleur, des moments de vie solitaire très intenses.

Et c’est vrai qu’il nous décrira souvent cette sorte de fête des couleurs propagées par les fusées éclairantes, mais aussi les blessures ou la mort de ceux dont la présence était ainsi révélée à l’ennemi. Il nous dira aussi, à la page 64: Depuis longtemps, chacun de nous s’est fait assez élémentaire pour pouvoir entrer par la porte basse de l’âme collective. Et il dit bien: chacun de nous, aussi bien les plus intelligents que les plus humbles. La démarche est la même. Il nous dira aussi, p.63 :

Il m’est arrivé, en rencontrant dans l’ombre l’odeur des haies, de m’étonner comme si je sortais d’un songe.

Faites-y bien attention: c’est qu’ici, en ce moment, pour lui, la réalité même était devenue un songe, éloigné et muet. Et page 74 :

André me dit: Va voir ce qu’il y a. J’arrive. Les fusils contre le parapet Cinq ou six hommes penchés et, à terre, le petit lieutenant, couché, tout pâle, la figure fine comme celle d’une petite fille ; il reniflait doucement. C’était comme s’il reprochait de lui avoir fait du mal.

Voyez comme ici les phrases sont courtes, comme les figures de style, ici, seraient déplacées. Où est donc la réalité? Dans cette vie quotidienne toute banale, où les mots, les simples noms, les noms communs, parlent d’eux-mêmes, sans qu’ils aient presque besoin de verbes. Oui, tout va de soi, la vie s’en va de son corps sans avoir besoin de belles phrases, de périphrases, de paraphrases. C’est seulement la même veste, que l’on retourne, l’envers, et puis l’endroit. Mais qui peut dire où est l’envers, où est l’endroit? Et c’est cela, cette simplicité même, que Robert Vivier a trouvée en cette guerre. L’essentiel. A condition de sauvegarder en nous cette petite étincelle qui si facilement se perd au milieu du reste. Dépêche-toi, Prométhée.

Mais il faut que je m’arrête, je vous citerais toutes les pages de ce livre, qui n’est pas un livre de guerre, mais un livre de vie. Il y aurait tant à dire…

Il y a encore ces extraits de deux ouvrages d’imagination, la mise en scénario de ce que nous venons de dire, avec beaucoup d’art et de sincérité. Fabrice, cette étrange amitié née de la solitude, la volonté de percer un secret, et de se dire. Et puis, le secret n’était qu’un trompe-l’oeil, une illusion d’optique. Avec les hommesSix moments de l’autre guerre, de 1963. Un titre qui dit bien ce qu’il veut dire, encore une fois, le refus de se distinguer, de voir les autres comme des autres. Six moments, et non pas six leçons, ou six paraboles. Les relations entre les hommes et les officiers, entre les Flamands, soldats aussi bien que civils, et les Wallons ou Bruxellois y sont simplement décrites, sans vouloir en tirer de leçons. Et enfin, une belle étude sur trois écrivains de 1918 : Louis Boumal, Marcel Paquot, Lucien Christophe, qui est ici tout à fait à sa place.

Un maître livre. Que les maîtres d’oeuvre en soient remerciés, il était temps, après les multiples célébrations du centenaire, de rappeler ces écrits qui permettront peut-être à quelques-uns de se recentrer au milieu d’une actualité parfois étouffante. Non, la guerre n’est jamais ni fraîche, ni joyeuse, ni éveilleuse d’idéal. La guerre, c’est l’envers de la vie. La vérité de la vie, peut-être.” [AREAW.BE : Association Royale des Écrivains et Artistes de Wallonie-Bruxelles]

Joseph Bodson


VIVIER Robert, né à Chênée (16/05/1894), décédé à Paris (06/08/1989). “Poète, essayiste et romancier, romaniste professeur à l’Université de Liège, Robert Vivier a été frappé par la Grande Guerre dont la violence marquera durablement les questionnements de l’écrivain et de l’humaniste. Ami de toujours de Marcel Thiry avec lequel il partage le goût de la poésie, Robert Vivier a donné à ce genre littéraire ses lettres de noblesse tant auprès des nombreux étudiants qu’il a formés qu’auprès des lecteurs qui se régalaient de ses recueils : Déchirures (1927), Au bord du temps (1936), Chronos rêve (1959), Dans le secret du temps (1972), S’étonner d’être (1977), J’ai rêvé de nous (1983). Grand connaisseur de Baudelaire comme de la Chanson de Roland, spécialiste de la littérature médiévale et moderne de l’Italie, le romancier Vivier a connu deux très gros succès de librairie avec Folle qui s’ennuie (1933) et Délivrez-nous du mal (1936). En épousant Zénita Tazieff, Vivier devint le père adoptif du vulcanologue Haroun Tazieff.” [CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE]


Lire encore…

THONART : Développez votre complexité personnelle grâce à wallonica.org (2020)

Temps de lecture : 31 minutes >

N’acceptez plus les ordres de votre patron sans cuisiner bio“, “Arrêtez de trop réfléchir, ça fatigue votre chien“, “Renouez avec votre chimpanzé intérieur“, “Et si vous tentiez l’empathie avec Djamel Olivier ?“, “Calculez votre budget ménage avec les Accords Toltèques“, “L’art taoïste de s’en foutre“, “Trouvez la clef de vos rêves dans le fond de votre sac“, “Mère dure, fille molle“, “Le pouvoir du moment absent“, “Comment se faire des ennemis“, “Dominé, dominant, dominus, dominici : réveillez votre enfant intérieur avec l’histoire intime de Hildegarde von Bingen“, “Comment le toucher rectal indien m’a sauvé de la noyade : un témoignage“, “Affinez votre Camembert avec le Tarot normand“, “La vérité sur vos angoisses véganes grâce aux soupes amazoniennes“, “J’ai entendu Jésus sans mon Sonotone“, “Entrez en résilience avec Aimé Forecoeur“…

Parce que, depuis la mort éprouvante de son cuisinier privé, le docteur Bob Pierceheart est un adepte du développement personnel, il a souhaité faire de ce livre un guide pratique à destination des dépressifs pour dire NON à la déprime, à la morosité et à la spirale du négatif ; OUI au positif, à la joie, à l’acceptation de soi et à la réussite. Il nous offre ici un manuel pratique et militant, de bonne humeur et d’esprit positif, qu’il résume lui-même sous cette formule : “aime-toi et ton chien t’aimera

Cherchez l’erreur. Il y en a peu. Ces titres d’ouvrages de développement personnel existent tous, à quelques mots près ; la petite présentation marketing est un copier-coller à peine maquillé de la quatrième de couverture d’un livre actuellement très commenté sur les réseaux sociaux. Le drame du cuisinier est authentique. En effet, Shirley MacLaine commence son Out on a Limb (1983) en expliquant combien, survenue dans une de ses villas de la côte californienne, le décès de son cuisinier personnel a motivé l’entrée de l’actrice et danseuse dans la spiritualité New Age : “la mort d’un homme si bon était impossible, c’est bien la preuve qu’il survit aujourd’hui quelque part“. No comment.

Est-ce à dire que le développement personnel est une discipline de charlatans ? Bien sûr que oui ! Bien entendu que non ! Chacun d’entre nous cherche à s’améliorer, à marcher debout avec ses cicatrices et à ressentir la joie de vivre. Montaigne nous invite à sagement essayer d’être à propos ; Nietzche nous recommande d’exercer notre puissance librement, dans toute la force de notre vraie nature ; Paul Diel nous enjoint de ressentir toute la beauté d’une vie où nous sommes satisfaits de l’accord entre ce que nous pensons de nous-même et notre activité réelle. Hors de là, point de salut : le bonheur n’est pas un dû, il naît d’un travail sur soi.

Reste que, là où chacun vit un questionnement, les marchands du temple voient un marché juteux. Dans les librairies, installé à côté des rayons “Philo”, Psycho” ou “Esotérisme”, le rayon “Développement personnel” profite abondamment du pouvoir d’attraction de ses voisins. Le plus trivial des conseils de vie, une fois bien conditionné dans un livre aux chapitres pré-formatés, à la charte graphique pré-formatée, à la préface pré-formatée et à la quatrième de couverture pré-formatée, peut devenir un docte message qui va permettre à l’acquéreur.euse (sic) du livre ainsi conditionné pour la vente…

      • de se référer aux propos de l’auteur dans les discussions de salon ;
      • de participer à des stages payants organisés par le même auteur ;
      • d’attendre de pouvoir acheter l’opus suivant dudit gourou.

Triste caricature d’une triste situation où -et c’est dommage- les vrais inspirateurs, les coaches sérieux et les formateurs engagés le disputent à rien d’autre que de vulgaires vendeurs d’indulgences. Le procédé est connu et il a fait la fortune de l’Église : si tu ne peux gagner ton pain à la sueur de ton front (en d’autres termes, travailler à ton bien-être par toi-même), achète ton paradis en portant la main au portefeuille.

Indulgences : terme qui, à l’origine, désignait la remise d’une pénitence publique imposée par l’Église, pour une durée déterminée, après le pardon des péchés. À la suite d’une lente élaboration, la notion d’indulgence en est venue à signifier aujourd’hui une intercession particulière auprès de Dieu accordée par l’Église en vue de la rémission totale ou partielle de la réparation (ou peine temporelle) qu’on doit acquitter pour les péchés déjà pardonnés. Cet acte de l’Église repose sur le dogme de la « communion des saints », lui-même fondé sur les mérites infinis du Christ mort et ressuscité pour tous. Expression de la solidarité profonde qui lie les croyants en Christ, les indulgences sont aussi une des manifestations de la pénitence exigée de tout pécheur. Longtemps tarifées, pratique qui s’explique par leur sens originel, elles ont été parfois l’objet de trafics contre lesquels s’est élevé en particulier Luther et contre lesquels le concile de Trente a pris des mesures. [UNIVERSALIS.FR]

Acheter n’importe quel livre de développement personnel n’est pas la clef du bonheur, en acheter deux non plus. Lire n’importe quel livre de développement personnel n’est pas la clef de l’ataraxie, en lire deux non plus. Participer à n’importe quel stage de développement personnel n’est pas la clef de la sagesse, participer aux stages suivants non plus. Dans tous ces cas, chercher son bien-être dans un système extérieur à soi, en se conformant à des règles établies par un tiers et ce, à titre onéreux, n’est pas la solution. Ça se saurait ! Sauf que…

© la-commanderie.be

Sauf que tout est bon dans le cochon : nous sommes des êtres doués de raison et nous sommes capables de faire flèche de tout bois, quand il s’agit de nous construire, de lutter contre notre ignorance ou notre aveuglement affectif, d’épanouir ces forces qui dorment encore dans nos muscles ankylosés. Si le but n’est pas de trouver La Vérité mais simplement de pratiquer une vérité qui nous convienne sincèrement, que nous éprouverons dans nos actions, alors n’importe quel ouvrage peut offrir l’étincelle qui fait du bien : “on n’sait jamais“, comme disait Josiane. La qualité de ces objets déclencheurs sur lesquels nous exerçons notre réflexion est alors un choix de vie, ainsi que le traduisait Vladimir Jankélévitch :

On peut vivre sans philosophie, mais pas si bien.


La preuve par cinq

Le lecteur attentif l’aura remarqué. Cette introduction est rédigée autant comme un article de blog rusé que comme l’introduction d’un manuel de développement personnel : cherchez la parenté ! Nos intentions étant pures chez wallonica.org, la convergence n’est que formelle, bien entendu. Nous faisons confiance à la sérendipité ici aussi : quel que soit le phénomène rencontré, il y a toujours matière à travail… sur soi.

Alors, rions un brin et improvisons un manuel de mieux-vivre alladéveloppement personnel“. Le nôtre proposera 5 thèmes de développement qui, bien travaillés, devraient permettre à chacun de moins préjuger et de plus expérimenter : mieux vivre face à la complexité du monde est à ce prix.

Les thèmes sont :

      1. Fermez la TSF !” ou Comment se libérer de la pression extérieure ;
      2. Abandonnez l’essentiel !” ou Comment se débarrasser des idées totalisantes;
      3. Soyez en forme sans les formes !” ou Comment arrêter de vouloir être conforme ;
      4. Goûtez aux plaisirs des sentes !” ou Comment trouver la force dans l’apaisement ;
      5. Ne butinez que les fleurs !” ou Comment la qualité fait gagner du temps.

Le format est nécessairement constant : une introduction explicative (avec illustrations) ; un mantra ; des travaux pratiques et, en bonus, comment utiliser wallonica.org pour optimiser le travail fait.

Prêts à savoir pourquoi vous avez raison de vouloir vous abonner à la lettre d’information hebdo de wallonica.org ? On y va !

Petit baratin d’intro ? “Connu depuis la nuit des temps, le protocole des cinq accords encyclopédiques peut vous aider à améliorer votre transit, à retrouver l’être aimé ou à contacter un plombier le dimanche…“. Plus sérieusement, nous avons tenté de synthétiser ici les cinq grandes actions qui, à notre sens, amènent à penser plus librement, à mieux nous autoriser notre propre complexité et, partant, à mieux cohabiter avec nos frères humains. La progression des exercices est voulue et mène à l’acte suprême : s’abonner à la lettre d’information de wallonica.org. Mais, commençons par le commencement…

1. Fermez la TSF !

1.a. Comment se libérer de la pression extérieure ?

Aujourd’hui, l’abondance d’infos est moins dangereuse par la quantité des informations disponibles (ça, ce n’est plus un scoop depuis un certain temps) que par le fait que “chacun peut trouver trop facilement les informations qui confirment ce qu’il/elle pensait déjà“, insiste le sociologue Gérald Bronner, spécialiste des croyances :

A la boîte de Pandore informative, s’ajoute une évolution qui avait déjà été prédite par Bill Gates dans les années nonante, quand il annonçait les configurations client/serveur : non contents de laisser proliférer les informations de toutes natures, l’homme les laisse aux mains des géants de l’Internet, stockées sur leurs serveurs, et chacun y accède désormais par l’intermédiaire d’un terminal, lieu de passage presque vierge de données. Or, ce terminal n’est autre que notre smartphone et il est… dans notre poche.

Prolifération des données plus proximité intime du terminal d’accès plus modélisation des échanges via réseaux sociaux (“j’aime”, “j’aime pas”, “je partage”…), la formule est explosive et force est de constater, quand on regarde nos frères humains (pas que les ados !) qu’ils passent plus de temps à réagir aux notifications de leurs réseaux sociaux, qu’à réfléchir activement et à publier des informations raisonnées sur des sujets qu’ils maîtrisent. Il est loin le temps des TSF (Transmission Sans Fil : la DAB de nos grands-parents) où la famille choisissait de rester groupée devant le poste radio, à écouter Orson Welles jouer la Guerre des mondes avec des bruitages de casseroles ou Signé Furax, selon l’heure et le continent…

© Gabriela Manzoni

Les Cassandres parmi nous pourraient considérer que, non seulement nous vivons maintenant dans une culture de quatrième de couverture, mais que nous devenons de plus en plus passifs et constamment en attente du stimulus suivant : une notification électronique. Debord aurait-il eu raison en 1967 dans La Société du Spectacle ? Alexander Bard et Jan Söderqvist auraient-ils eu raison de rempiler sur le même sujet avec Les Netocrates (2008) en annonçant le remplacement du prolétariat par le consomtariat, une exigence du Capital qui passe par une nécessaire standardisation des comportements que l’on voudra les plus passifs possible.

Or, la dispersion de l’attention, la dépendance envers les stimuli extérieurs et la passivité ne sont pas vraiment des facteurs de densité personnelle, de bien-être et d’épanouissement. Que faire alors ?

1.b. Mantra

Je me libère de la pression des réseaux,
Je choisis avec soin mes abonnements FaceBook,
Je règle mon téléphone sur silencieux,
Et je jouis de l’info vraiment utile.. pour moi.

1.c. Travaux pratiques

Prendre son smartphone, le régler sur silencieux et le déposer sur une commode située à au moins 1,5 mètre, pour éviter la contamination. Vaquer à toute occupation ne nécessitant pas l’usage dudit smartphone pendant 1 heure, dans un premier temps. Des picotements nerveux peuvent se faire sentir après 15 minutes et plusieurs traces de contusion peuvent apparaître sur les mollets, suite aux collisions avec les tables basses et les chaises qui étaient dans le chemin alors que l’on se déplaçait en fixant intensément le smartphone silencieux pour voir si son écran s’allumait.

Reprendre le smartphone et ne consulter que les sms et appels en l’absence. Les traiter puis reposer le smartphone au même endroit en quittant la pièce pendant 15 autres minutes. Se rappeler que l’on a deux adolescents qui ont peut-être envoyé un message urgent sur Instagram, application que l’on n’utilise soi-même jamais. Rentrer dans la pièce en trombe, marcher sur le chat et constater qu’aucune notification n’est affichée sur l’écran d’accueil. Se rappeler que, pour l’exercice, on a désactivé toutes les notifications et vérifier l’application Instagram pour constater que les enfants vivent bien sans nous.

Reposer le smartphone sur la commode, enfiler son trench et refermer la porte derrière soi en évitant de coincer la queue du chat. Descendre en ville, s’asseoir à une terrasse avec des amis. Ne constater qu’au coucher du soleil que l’on vient de passer 3h57 à parler philo. Rentrer chez soi, mettre le smartphone en charge puis s’apercevoir qu’il n’y a toujours personne qui a appelé. Attendre une heure de plus avant d’ouvrir Messenger…

1.d. Consigne wallonica.org

S’abonner à la page FaceBook de wallonica.org, suivre son compte Twitter et visionner les playlists de sa chaine YouTube… de temps en temps.


2. Abandonnez l’essentiel !

2.a. Comment se débarrasser des idées totalisantes ?
BRANCUSI, La muse endormie (1910)

La nuit, tous les chats sont gris. Le problème, c’est de savoir pourquoi ils boivent.” La boutade est ancienne mais elle reste exemplaire d’un mode de pensée toxique : la généralisation.

Pensons un brin. La beauté unique de La muse endormie de Brancusi, par exemple, tient à la pureté de la forme créée : le sculpteur n’a livré que les lignes simples et sobres de l’idée de “muse”. Qui pourra donner un prénom à cette femme (mais est-ce même une femme ?) ou même imaginer sa date de naissance ? Les critiques parleront d’Art et se régaleront du tour de force : un mortel a réussi à représenter une idée pure. Comme chez Platon, puis chez Aristote, cette idée sublime de la Muse, ce modèle unique et universel, pourra se manifester ensuite dans de multiples avatars faits de chair et d’os, des muses d’artistes dont les noms réels figurent dans les biographies : Jeanne Duval pour Baudelaire, Dora pour Picasso, Gala pour Dali, bref, ces femmes qui ont inspiré tous ceux que la muse habite.

Ah, si la Vie était aussi facile que l’Art ! Quel confort que de penser au quotidien en termes absolus, simples et sublimes ; de parler du bien ou du mal sans devoir transiger ; quelle simplicité de Paradis perdu qu’une réflexion désincarnée sur l’existence, fondée sur des idées générales, voire sur des lieux communs ! “Les impérialistes sont des tigres de papier“, “Les francs-maçons dominent le monde, avec le soutien des Sages de Sion“, “Les Allemands sont militaristes“, “Les Chinois sont fourbes et mangent du riz : la constipation les rend méchants“, “Les femmes sont plus enclines aux changements d’humeur“, “Le sens de l’organisation est une valeur masculine“, “Si vous donnez un sandwich à un sans-abri, il vous engueule parce qu’il préfère de l’argent pour aller boire“… Vous en voulez d’autres : ils sont légions ! Et comment réagirez-vous quand la personne qui vous assène ce genre de généralisation voudra en plus regagner votre sympathie en ajoutant “qu’elle a plusieurs amis arabes” ?

Nous nous sommes compris : si c’est un réflexe naturel que de simplifier une situation pour pouvoir déduire le comportement à adopter, si c’est une méthode commune de désigner et de nommer les éléments d’un problème pour pouvoir en débattre, c’est par contre une preuve d’humanité (d’hominisation ?) que de s’interdire de généraliser (“si Jean-Pierre, mon garagiste, a cette opinion d’extrême-droite, tous les garagistes sont des fachos“) et de refuser d’essentialiser (“les femmes sont par nature des victimes et les hommes sont a priori des prédateurs“. Ces deux mouvements contre-nature de la pensée procèdent d’une hygiène méthodologique urgente ! Comme le commente Elisabeth Badinter (voir notre article L’existence précède l’essence… et lycée de Versailles) :

Armées d’une pensée binaire qui ignore le doute, elles se soucient peu de la ­recherche de la vérité, complexe et souvent difficile à cerner. À leurs yeux, les êtres humains sont tout bons ou tout mauvais. Les nuances n’existent plus. C’est le mythe de la pureté absolue qui domine.

© marieclaire.fr

La simplification est un réflexe de défense bien naturel face à la complexité d’un monde protéiforme, foisonnant et, à nos yeux, paradoxal. Soit. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris les leaders populistes en offrant des visions simplifiées, voire platement binaires, de la société où nous devons vivre ensemble : “votez pour moi, tout sera plus simple sans les autres que nous !“. Or…

Rien n’est plus dangereux qu’une idée, quand on n’a qu’une idée.

Alain (1938)

Ernst CASSIRER enfonce d’ailleurs le clou en établissant combien la fabrication de représentations universelles est un réflexe humain (La philosophie des formes symboliques, 1923) et il avertit d’un danger inhérent à ce comportement mental : l’idée a spontanément tendance a être totalisante. Au quotidien, cela se traduit comme par : “j’ai trouvé une vérité qui me convient, je vais l’appliquer à toute ma lecture du monde“.

Un exemple ? Josiane, ma voisine, a un jour découvert (avec son psy freudien) qu’elle n’aimait que les hommes à moustache, comme son père. Quand elle a rencontré Jean-Pierre, elle a interprété sa faible libido au départ de cette idée : Jean-Pierre était glabre comme un nouveau-né. Eut-elle réussi à penser librement, en écartant ce préjugé sur son propre comportement, elle aurait pu entrevoir d’autres raisons à son manque d’allant au lit et trouver une solution avec un Jean-Pierre qui, le pauvre, s’est fait limoger comme un malpropre, sans autre forme de procès.

Ne pas généraliser pour interagir avec des humains plutôt qu’avec des “classes de gens”, ne pas essentialiser pour se laisser surprendre par les particularités de chacun et se méfier des explications définitives que nous nous servons, des idées totalisantes. Vaste programme !

Et ce n’est pas tout ! Les populistes ont compris le truc, nous en avons parlé, mais les développeurs personnels (coachés par leurs éditeurs, il faut le dire), les gourous mangeurs de graines et les influenceurs complotistes aussi. Généralisation ? Au vu des livres du rayon “Développement personnel”, des cd, dvd, des affiches de séminaires et autres partages sur les réseaux sociaux, une frange importante des auteurs du domaine mettent le pied dans notre porte en évoquant des causes générales, externes et concertées “quelque part”. En option : le “quelque part” peut être situé dans notre passé personnel, dans nos vécus, nos complexes et nos fantômes. Du coup, quand je vois “les gens”, “le Capital”, “votre petite enfance”, “ils” et “eux” sur une quatrième de couverture, je sors mon revolver !

Toujours préférer l’hypothèse de la connerie à celle du complot. La connerie est courante. Le complot exige un esprit rare.

Michel Rocard

Tous les auteurs de développement personnel ? Non ! Car un village peuplé d’irréductibles auteurs honnêtes résiste à la tentation de la simplification !” Il est bien entendu qu’il serait dangereusement généralisateur de condamner globalement les auteurs de ce rayon de librairie : il en est aussi beaucoup qui nous veulent du bien et qui mettent à notre disposition, avec intelligence, des pistes de réflexion, des “pierres à tailler”, des exercices de vie qui nous permettent de nous améliorer au quotidien. Peut-être seront-ils d’ailleurs également présents dans les rayons voisins, aux côtés des Montaigne, des Bakewell, des Morin, des Diel, des Nietzsche et autres Erri De Luca ?

Comment faire alors ? Comment raison garder ? Comment faire la part des choses entre le possible, le probable et le certain ? Comment désactiver notre tendance à remonter vers les idéaux, à nous fonder sur le sublime que nous visons, à simplifier abusivement le monde où nous vivons, comment revenir à une juste acceptation du mystère (“ce que l’on ne pourra expliquer“) et de la complexité. Comment éviter ces dérapages sans, au contraire, nous noyer dans l’affectif, l’impulsif ou la dispersion. Bref, comment rester à propos avec notre existence ?

Votre coach encyclo vous propose la méthode de détox mental du PFSP ! Souvenez-vous des maths de notre enfance : le PGCD (Plus Grand Commun Dénominateur), le PPCM (Plus Petit Commun Multiple), on en a mangé à tous les repas. Ici, le PFSP est le Premier Facteur Satisfaisant Partagé : si j’ai tendance à “trop réfléchir”, à “trop ruminer” et, ainsi, à laisser la porte ouverte pour les dérives mentales précitées, il peut être bon d’arrêter mon analyse d’une situation à la première cause qui soit sincèrement suffisante pour choisir un comportement qui me satisfasse et qui ne soit pas en désaccord avec mon environnement. CQFD.

2.b. Mantra

Je bannis de mes paroles :
“Eux”, “ils”, “on”, “toujours”, “jamais”, “les gens”.
J’arrête de définir en deux dimensions et
Je découvre la profondeur de la réalité.

2.c. Travaux pratiques

Entamer une conversation avec son garagiste sur un génocide récent. Découvrir qu’il s’appelle Jean-Pierre et qu’il vient de se faire plaquer par Josiane. Découvrir que la famille dudit garagiste a dû quitter son pays d’origine suite au conflit en question. Ecouter ses commentaires. Comparer avec la liste des responsables du conflit dressée à table, la veille, au Service Club régional.

S’étonner (intérieurement) du contraste entre, d’une part, les explications de la veille, impliquant l’ONU, les USA, le Président français, les Sages de Sion, Amazon, Bill Gates et FaceBook, et, d’autre part, le récit sobre et poignant de Jean-Pierre dont la première femme a été abattue devant la maison où ils venaient de s’installer au pays, là-bas. Rentrer chez soi après avoir serré très fort la main de Jean-Pierre. Prendre un double Dalwhinnie de décompression devant la fenêtre du jardin.

Choisir un autre génocide et se poser la question sur la meilleure manière de s’informer intelligemment à son propos, au-delà des informations publiées (ou non) par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (ex-Tribunal pénal international). Surfer, lire et réfléchir un peu. Retenir uniquement ce qui sera utile au prochain souper du Service Club pour contrer pacifiquement les éventuelles généralisations. Se poser la question de l’utilité au quotidien de l’information collectée et effacer l’historique enregistré dans le navigateur. Jouer une part de UNO avec les enfants puis prendre un double Dalwhinnie de satisfaction devant la fenêtre du jardin.

2.d. Consigne wallonica.org

Visiter wallonica.org et faire une recherche sur les mots-clefs “jamais”, “toujours”, “les gens” et “à cause que”. Noter le nombre d’occurrence de chaque terme et constater avec satisfaction qu’il y en peu ou pas. Se réjouir que les éditeurs de ce blog encyclo fassent profession de ne pas proposer de généralisations abusives, voire de préférer exposer des points de vue contradictoires qui obligent le visiteur à réfléchir par lui-même et, partant, à améliorer son sens critique.

Constater avec bonheur qu’il y a zéro occurrence d’à cause que et que les mêmes éditeurs s’efforcent donc d’écrire ou de compiler en bon français et ont évité la formule “à cause que” qui est désuète et erronée en français moderne :

Cette locution conjonctive a appartenu à la langue classique. On la lit, entre autres, chez Pascal. Elle fut encore défendue par les grands lexicographes Bescherelle et Littré, qui estimaient qu’elle devait être conservée car elle avait pour elle l’appui de bons auteurs, comme Baudelaire ou Sand, mais elle était déjà considérée comme vieillie par la huitième édition du Dictionnaire de l’Académie française. Les auteurs qui l’utilisent encore à l’heure actuelle le font par affectation d’archaïsme ou de trivialité. On la rencontre ainsi dans le Voyage au bout de la nuit de Céline : « Ils s’épiaient entre eux comme des bêtes sans confiance souvent battues. […] Quand ils vous parlaient on évitait leur bouche à cause que le dedans des pauvres sent déjà la mort. » En dehors de ce type d’emploi, c’est parce que qu’il convient d’employer aujourd’hui. [ACADEMIE-FRANCAISE.FR]

Contacter le Ministère chargé de l’Éducation permanente et réclamer un subside pour l’asbl wallonica.org parce qu’ils le valent bien et que l’activité hebdomadaire des éditeurs du site illustre leur volonté de soutenir des Citoyens Responsables Actifs, Critiques et Solidaires (CRACS).


3. Soyez en forme sans les formes !

3.a. Comment arrêter de vouloir être conforme

Big Brother is watching you“, “Buvez, éliminez“, “Sieg Heil“, “Je ne vais quand même pas sortir en cheveux”, “Ce ne sera plus Noël, s’il n’y a pas de sapin“, “On dit un Orval“, “Il est interdit d’interdire“, “La vraie salade liégeoise, c’est avec de la doucette“, “Les bébés doivent dormir sur le dos“, “Depuis quand écrit-on Pâques sans accent circonflexe, donc ?” : ici également, la liste est longue des injonctions, des pressions sociales, des menaces ou des règles à suivre pour… être conforme. Et encore, dans ces différents exemples, l’injonction (quelle que soit sa pertinence, sa légèreté, sa gravité ou sa violence) vient de l’extérieur, de la pub, des tiers, du groupe, de l’Etat ou de la communauté. Or, nous sommes aussi capables de générer individuellement des règles privées que nous vivons comme collectives, voire universelles, règles que nous nous empressons de respecter, pour être conformes. A quoi ?

Un des exemples les plus terribles de la chose relève désormais de la psychiatrie (regardez autour de vous, vous comprendrez) :

Selon les statistiques, il y a une personne sur cinq qui est déséquilibrée. S’il y a 4 personnes autour de toi et qu’elles te semblent normales, c’est pas bon.

Jean-Claude van Damme

Et voilà que, aux côtés des anorexiques (“esprit pur et sublime, je ne suis pas limité.e par mon corps, je l’annule“) et des boulimiques (“par sécurité, je me réfugie dans mon corps dont la masse me protège“), est récemment apparue une nouvelle catégorie de maladie mentale, l’orthorexie ou manie compulsive de suivre des règles pour gérer son alimentation (à découvrir dans la dernière version de la nomenclature américaine des maladies mentales, la DSM-5 ou Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders). Ça sent le vécu, non ?

Combien de ‘posts’ sur FaceBook, combien d’articles dans les revues féminines… ou masculines, combien de hors-série des mêmes magazines ou de marronniers (ces articles sans intérêt nouveau que les journalistes en mal de copie ressortent toujours aux mêmes périodes : la minceur avant l’été, la franc-maçonnerie en juin, l’économie en septembre, la détox alimentaire après les fêtes…), combien de livres de développement personnel n’alignent pas également des injonctions alimentaires, hors desquelles point de salut : comment mesurer, régir, réguler, planifier, respecter, organiser votre alimentation… bref, comment serez-vous conforme à ce qui se fait, à ce qui doit se faire ?

Les problèmes commencent lorsque, au-delà du bon sens et de la simple hygiène alimentaire, les règles supplémentaires deviennent une condition sans laquelle une alimentation adaptée à la réalité quotidienne (“sorry, plus de carottes bio en rayon aujourd’hui“) n’est pas acceptée ou est source d’insatisfaction, voire de colère ou d’inhibition.

La bonne nouvelle du jour (“Orthorexiques de tous les pays, réjouissez-vous“), c’est qu’un autre profil problématique existe, qui ne rêve que de vous régenter : les orthorecteurs !

Il s’agit d’un néologisme wallonicien, rassurez-vous, mais je ne vous donne pas deux jours avant que vous ne puissiez l’utiliser. Les orthorexiques sont perpétuellement en mal de règles de vie, de régimes à suivre, de prescriptions médicales contraignantes, de justifications de leur comportement, d’auteurs qui confirment leurs choix (“does it ring a bell ?“) et ils sont, comme on dit, des oiseaux pour le chat face aux orthorecteurs. Ces derniers n’ont de cesse que de souligner auprès de leur entourage tout manquement à des règles qui souvent… n’existent pas. Ils rappellent à l’ordre, répètent ce qu’ils ont lu et que vous ne respectez pas, ils sont eux-mêmes un exemple (raide et sec) de ce qu’ils prônent, ils plombent votre deuxième apéro en parlant, par pur hasard, du cancer du foie de leur concierge…

Comment tout ceci est-il possible ? Pourquoi l’alimentation n’est-elle qu’un des domaines parmi tant d’autres où les exemples de ce mécanisme abondent ? Quel jeu à la Eric Berne (Des jeux et des hommes, 1984) se joue ici ? Quelle est la motivation des victimes ? Sur quoi le pouvoir des bourreaux est-il fondé ?

Plus l’oppresseur est vil, plus l’esclave est infâme.

La Harpe, cité par Chateaubriand

Souvenez-vous du thème de travail n°2 où vous avez appris à gérer votre fâcheuse tendance à préférer la simplicité des idées à la profusion de l’expérience. Nous sommes ici au cœur du problème : il est moins angoissant de se conformer à des règles (fussent-elles inventées ou suggérées par les marchands du temple : “vous serez un homme, un vrai, avec cette voiture…“) que de faire face à la réalité, de prendre des décisions et d’en avoir le retour d’expérience en direct. Sublimes que nous sommes, nous adorons faire un sans-faute. Mais au nom de quoi ? De quel inquisitrice, de quel Commandeur, de quelle institutrice, de quel boss, de quels voisins attendons-nous l’approbation ?

Le terrain est idéal, dès lors, pour tous les orthorecteurs de la terre, ravis de pouvoir nous régenter. Et il ne s’agit pas que d’esprits un peu dérangés : la volonté d’être conforme vous fait également embrayer sur les suggestions commerciales (qui sont légions) et consommer, consommer encore (revoilà le consomtariat de Bard et Söderqvist) pour atteindre le bonheur auquel vous avez droit (c’est “eux” qui le disent) :

C’est ici que le développement personnel commercialisé s’avère souvent insuffisant : vous aider à échapper à cet engrenage diabolique, vous proposer et vous coacher à respecter un nouveau cadre de références plus sain, plus joli, plus spirituel, plus bio-responsable (“Vous vous changez : changez de karma !“), c’est encore vous proposer d’être conforme… mais à d’autres règles.

Votre liberté de pensée, c’est notre proposition, ne peut s’accommoder d’un simple changement de dogme. Elle exige un réel sevrage de ce réflexe sécurisant du respect de règles personnelles, inventées ou suggérées : “avec mon certificat de conformité, je suis en sécurité !” C’est un travail quotidien (on n’a pas droit au bonheur -les seventies sont terminées- on y travaille et, un beau matin, on est heureux…). Un travail à l’aveugle ?

Faute d’être conforme à des règles, des codes de morale pré-établis ou des modèles de sainteté dictés par un grand barbu trônant dans le cloud, comment se repérer et savoir qu’on a pris la bonne décision ? Serez-vous surpris que j’invoque à nouveau un trio de pirates bien connu : Montaigne, Nietzsche et Diel ? Tous les trois vous invitent à être votre propre mesure, à ne viser qu’une seule chose : la sincère satisfaction, celle qui traduit votre à propos, l’harmonie entre vos désirs et les possibilités de leur réalisation offerte par le vaste monde. Diel va plus loin en affirmant que le sens de la vie est la satisfaction.

Voilà une suggestion qui implique un changement, un glissement, nécessaire à votre… développement personnel. L’énergie que vous dépensiez à être conforme, vous la consacrerez désormais à nettoyer votre image de vous-même et à l’ajuster à votre activité, vous la dédierez à ressentir combien chacune de vos décisions mène à des actions satisfaisantes pour vous, ou non. Alors, on s’entraîne ?

3.b. Mantra

Par-delà le Bien et le Mal dictés dans les manuels,
Mais dans le respect des lois écrites par les nations,
Je choisirai les décisions par lesquelles
Naîtra mon authentique satisfaction,
Puisque dans la faute est déjà la punition.

3.c. Travaux pratiques

Encoder dans votre moteur de recherche “recette-de-la-dinde-au-whisky-gag” et lire le texte sans faire attention aux fautes d’orthographe du blogueur qui l’a publié. S’amuser de la confusion grandissante du texte au fur et à mesure que le cuisinier boit le whisky en question. Ne pas respecter la recette mais prendre un whisky et improviser une omelette de Noël, à manger seul.e devant la TV puisque c’est votre ex-conjoint qui a les enfants cette année.

Réévaluer votre décision de divorcer qui, après tout, vous rend coupable de ne plus jamais offrir un “Noël en famille” à vos trois enfants. Sur le calepin de la cuisine, dresser la liste des choses qui font un vrai Noël en famille : le sapin qui perd ses aiguilles dans le tapis berbère dès le lendemain, la boîte de boules qui prend de la place dans la cave pendant toute l’année (avec la flèche que le chat a cassée l’année dernière), l’oncle machin qui est toujours bourré à l’apéro et raconte des histoires peu présentables devant les enfants, le budget apéro-entrée-repas-dessert-pousse-café qui nourrirait un autocar de boat people pendant un mois et la tension avec votre conjoint quand vous ramenez ensemble les plats en cuisine…

Mettez “La vie est belle” de Capra (1946) dans le lecteur DVD et répondez une fois pour toutes aux messages de votre frère qui gentiment essaie de vous égayer la soirée en partageant des photos de pubs et visuels impossibles aujourd’hui “Xmas Special” par Messenger. Verser une larme sur le souvenir du dernier Noël avec votre maman. Allumer votre gsm éteint depuis les travaux pratiques du thème de travail n°1. Lire les messages de vos enfants qui disent joyeusement combien ils se réjouissent de passer leur deuxième Noël de l’année près de vous, le lendemain. Etre content de la chaleur de leurs sms.

Sonner chez Josiane-du-palier-d’en-face qui n’a plus retrouvé d’amoureux depuis Jean-Pierre et l’inviter à finir la soirée avec vous. Ouvrir une deuxième bouteille de Chablis et trinquer aux Noëls des enfants perdus en regardant Star Wars 4-5-6 jusque tard dans la nuit, pendant que Josiane ronfle dans le divan, à côté de vous. Etre content d’avoir vécu un Noël différent qui fait du bien quand même.

Mettre un plaid sur Josiane et prendre une lampée de Liqueur du Suédois avant de vous endormir dans votre lit : c’est pour éviter la gueule de bois.

3.d. Consigne wallonica.org

Visiter wallonica.org et ne pas cliquer sur les articles encyclopédiques. Cliquer plutôt sur [Incontournables] et découvrez des articles sélectionnés par l’équipe sans aucune raison objective. Cliquer sur [Savoir-contempler] pour voir des reproductions d’œuvres d’arts visuels choisies par goût personnel par nos éditeurs. Ne pas être gêné de les découvrir sur l’Internet plutôt que dans un musée. En parler quand même à vos amis et/ou partager via les réseaux sociaux (il y a des boutons en marge gauche pour le faire). Cliquer ensuite sur [Savoir-écouter] pour découvrir une sélection purement subjective de pièces musicales et écouter paisiblement. Répéter l’opération avec une des autres catégories. Avoir bon, sans gêne aucune.


4. Goûtez aux plaisirs des sentes !

4.a. Comment trouver la force dans l’apaisement

Les sports extrêmes sont-ils source de bonheur extrême ? Nos copains qui, chaque année (sauf en 2020) prévoient de lancer une cordée au sommet du Mont-Blanc pour Noël, de se marier en sautant d’un bimoteur à Spa La Sauvenière, de rouler à 200 km/h sur l’autoroute E42 aux environs de Mons, de figurer dans le Guinness Book au chapitre “Les plus gros mangeurs de…” et de s’enfiler illico une deuxième portion de bodding bruxellois, de jouer avec Yves Teicher à celui qui interprétera le plus vite “Les yeux noirs“, voire de dire tout haut place du Marché (Liège, BE) que la Jupiler n’a jamais été à la hauteur de la Stella Artois (je parle d’un temps que les moins de vingt ans…) : tous ces flirteurs de la limite sont-ils vraiment fréquentables ?

Et puis, parlent-ils de “bonheur” quand ils racontent leurs exploits, entre la poire et le fromage ? J’entends plus souvent plaisir, j’entends émotion, j’entends amusement ou sensation… rarement bonheur, joie ou satisfaction. J’entends aussi tous ces préfixes hyperboliques (super-, méga-, ultra-, hypra-, over-, hyper– et, en veux-tu, en voilà…) qui donnent au plus banal des sauts à pieds joints des éclats de soleil levant sur l’Olympe (musique : Richard Strauss).

Nous y voilà : que Prométhée roule des mécaniques devant Hercule ou qu’Athéna se la joue grande dame devant Aphrodite, passe encore, c’est leur boulot de divinités mythologiques. Dans ce cas , l’exagération est didactique : grâce aux aventures caricaturales de ces créatures sublimes, nous apprenons à mieux identifier les méandres de notre propre personnalité (lire à ce propos : DIEL, Le symbolisme dans la mythologie grecque). Autre chose est de monter en slip sur le dos d’un cheval furieux ou de risquer l’hypothermie pendant un jogging autour du lac Baïkal par moins 45°… pour pouvoir le raconter à Jean-Pierre et Josiane (qui se sont remis ensemble) !

L’homme s’ennuie du plaisir reçu et préfère de bien loin le plaisir conquis.

Alain, Propos sur le bonheur

La belle et virile affaire que voilà, sur laquelle même nos moralistes les plus distingués semblent s’aventurer avec diligence. Pourtant, le toujours plus ne fait pas l’unanimité et est assimilé par plus d’un auteur à une compensation pour éjaculateurs précoces. Même le surhomme de Nietzsche ne se déploie pas dans l’extrême : il ouvre ses épaules dans une pensée enfin libérée des préjugés et des dogmes et, s’il mange le monde, c’est parce qu’il a arrêté de ruminer avec le troupeau. Rien d’extrême là-dedans.

A la barre : Epicure. Qui mieux que lui peut parler du plaisir : lui qui était malade et connaissait le poids de la souffrance physique, prônait la mesure dans les plaisirs, seul moyen d’en jouir pleinement. Plus précisément, il nous propose un Tétrapharmakon (Gr. “quadruple remède” ; texte à lire dans la belle édition des Lettres et Maximes par Marcel Conche chez PUF, 2003) où il recommande de :

      1. ne pas craindre les dieux car ils ne fréquentent pas les mêmes trottoirs que nous (traduisez : “il n’y a pas de destin“) ;
      2. laisser la mort en dehors de nos préoccupations puisque nous ne pouvons la concevoir (traduisez : “il n’y a pas d’urgence“) ;
      3. ne pas craindre la douleur par anticipation car, une fois réellement ressentie, elle est peu de chose (traduisez : “même pas peur“) ;
      4. abandonner l’idée que le plaisir peut être infini (traduisez : “toujours plus, à quoi bon ?“) .

Ce quatrième remède ne vient-il pas bien à propos, lorsqu’on explore les motivations de nos adeptes du jamais-assez-donc-toujours-plus ? Choisir entre, d’une part, une autoroute déserte où le fan de sports moteurs (homme ou femme : en voiture, Simone !) pourra pousser sa luxueuse voiture au-delà des vitesses autorisées et, d’autre part, un sentier forestier en fin de journée d’été indien, avec de bonnes chaussures, n’est-ce pas choisir entre un plaisir fort bref, voire stérile, et une saute de bien-être qui laissera ses traces dans le cœur et la chair ? Eh bien, à mon sens, la question est pourrie et partisane : je ne pourrais refuser le couvert à un.e ami.e qui choisirait la griserie de la vitesse (“Elk diertje z’n pleziertje !” comme disent nos voisins flamands ou, en bon français : “Chacun son truc“).

Reste qu’il ne s’agira pas de profiter du pousse-café pour essayer de me convaincre du bien-fondé de l’option “extrême” et que je serai surtout curieux de la satisfaction gagnée, de la paix d’âme résultante, de l’ataraxie savourée une fois l’acte commis. Rien à dire de plus sur le bon usage de l’extrême : nous laisserons à chacun ses convictions.

© tintin.com

C’est à ce moment que Jean-Pierre, plâtré jusqu’au nombril et le bras gauche décoré de broches externes (version : pont à arcs supérieurs de Chaudfontaine), tourne -un peu- la tête vers Josiane et marmonne : “Bvous boubvez bvous moquer mais fe fentiment de puiffanfe ! F’est fantaftique…“. Motard chevronné, il a dérapé l’été dernier en évitant un renard qui traversait une route boisée des environs de La Reid (près de la charmille du Haut-Marêt). Merci pour ce réflexe ‘vulpophile’ et merci pour l’explication. Un seul mot de Jean-Pierre et tout s’éclaire : pratiquer l’extrême, c’est éprouver de la puissance grâce à des conditions extérieures qui, par leur scénographie (“Je n’ai besoin de personne en Harley Davidson“), travestissent un simple moment de plaisir en une scène de puissance sublime, voire mythique ! L’Etna, c’est moi !

Votre coach encyclo vous propose dès lors de faire un choix de base : opterez vous pour l’affolement des sens généré par des conditions extérieures hypnotisantes ou pour l’apaisement des sentes où la marche régulière (c’est une image) laissera vos conditions intérieures s’ajuster et votre réelle puissance personnelle se déployer ?

4.b. Mantra

A la course, je préfère la marche et
A l’ecstasy, la joie d’être assouvi.

4.c. Travaux pratiques

Le dimanche matin, vous retourner vers votre partenaire et profiter de son sommeil pour lui annoncer mentalement que vous avez annulé la commande de 7 sauts à l’élastique au départ du viaduc de Beez, le samedi suivant. Poser sur sa table de chevet la réservation d’un gîte champêtre et le mail imprimé où son propriétaire confirme en avoir retiré toutes les revues de votre liste des publications “extrémisantes” (Cosmopolitan, Sports-Moteurs, Marie-Claire, Le Chasseur français, Lui, Playboy, Playgirl, SM-Mag, Business Week et… Femmes d’aujourd’hui, parce qu’on ne sait jamais). Déposer délicatement ses nouvelles chaussures de marche au pied du lit.

Entrouvrir la fenêtre du jardin, respirer la fraîcheur et reprendre une gorgée de votre café. Vous retourner vers votre partenaire et vous souvenir combien il était important de bien “prester” les premières fois où vous avez fait l’amour, un peu comme si l’amour de l’autre en dépendait. Sourire en vous remémorant combien c’était inhibant pour tous les deux et combien tout a été plus facile après que votre beau-fils ado ait lui-même parlé de ses inquiétudes sexuelles à table, devant vous deux, (beaux-)parents tout attendris que vous étiez.

Accrocher votre T-shirt de nuit sur le dossier de la chaise du bureau encombré, dans un coin de votre chambre (télétravail oblige), et revenir sous les draps. Soulever doucement le T-shirt de nuit de votre partenaire. Vous aimer jusqu’à ce que vous commenciez à avoir un peu faim. Manger puis faire la sieste (la conformité peut aussi avoir du bon : c’est dimanche).

4.d. Consigne wallonica.org

Revendre les encyclopédies Universalis et Britannica qui encombrent le grand bureau. Mettre l’argent gagné de côté pour vous offrir un bon resto à deux dès la fin du confinement. Remplacer le signet [WKPédia] de votre navigateur par un lien permanent vers wallonica.org. Utiliser le lien pour afficher les derniers parus ; en faire la page d’accueil de votre navigateur.

Par la pratique, découvrir que wallonica.org ne contient pas tous les savoirs, dans des articles rédigés par les meilleurs experts internationaux ; constater également que vous n’êtes pas toujours d’accord avec les prises de position affichées dans la Tribune libre, que cela vous fait réfléchir et chercher d’autres infos via les liens proposés. Vous en réjouir.


5. Ne butinez que les fleurs !

5.a. Comment la qualité fait gagner du temps
© humanite-biodiversite.fr

C’est dans son Novum Organum (1620) que Francis Bacon utilise l’araignée, la fourmi et l’abeille pour illustrer les différentes formes de pensée : “Les philosophes qui se sont mêlés de traiter des sciences se partageaient en deux classes, savoir : les empiriques et les dogmatiques. L’empirique, semblable à la fourmi, se contente d’amasser et de consommer ensuite ses provisions. Le dogmatique, tel que l’araignée, ourdit des toiles dont la matière est extraite de sa propre substance. L’abeille garde le milieu ; elle tire la matière première des fleurs des champs et des jardins ; puis, par un art qui lui est propre, elle la travaille et la digère. La vraie philosophie fait quelque chose de semblable ; elle ne se repose pas uniquement ni même principalement sur les forces naturelles de l’esprit humain, et cette matière qu’elle tire de l’histoire naturelle, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu’elle l’a puisée dans ces deux sources, mais après l’avoir aussi travaillée et digérée, elle la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés : l’expérimentale et la rationnelle…” (I, 95).

On n’est pas des bœufs” mais la tentation existe de jouer à la fourmi et d’amasser les savoirs en confondant stockage et connaissance, quantité et utilité. Or, forts de toutes nos sciences et nos données, ne nous sommes-nous pas retrouvés fort dépourvus lorsque la crise fut venue ? Pour paraphraser Desproges : “emmagasiner les savoirs, c’est comme se masturber avec une râpe à fromage ; beaucoup de souffrance pour peu de résultat“. Bref, à quoi bon savoir beaucoup si c’est pour connaître peu. La nuance est importante, qui n’a pas échappé à Bacon.

Se transformer en base de données sur pattes pour briller au Trivial Pursuit ou dans les jeux télévisés peut-il être un objectif de vie pour un citoyen responsable ? Est-il raisonnable de parier sur une mémoire organisée en listes et bibliothèques dans le seul espoir de rester critique face à la profusion d’informations qui est notre aquarium quotidien ? Et lorsque vient le besoin d’être actif et solidaire, sont-ce les savoirs purs qui peuvent guider notre expérience avec pertinence ? C’est du vécu : la réponse est clairement non.

L’araignée, de son côté, tisse sa toile avec sa propre matière, sortie de son fondement (allusion de Bacon lui-même, qui assimile la pensée médiévale à ce mode de fonctionnement, dogmatique et non-expérimental). Autiste-acrobate, prédatrice sans appétence, elle ne capturera que les mouches qui traverseront son périmètre. L’image est peu engageante et on voudrait que l’arachnide fasse preuve de plus de curiosité. Discourir en solo sur une vision du monde générée en solitaire n’est donc pas une option vivable pour des penseurs autres que les ermites et les HP diagnostiqués “Asperger”.

A l’inverse, aux yeux de Bacon, l’abeille, animal social s’il en est, a vraiment la cote. Comme lui, on voudrait nos concitoyens à son image, ne butinant que les fleurs mellifères et travaillant par devers elle pour disposer, le moment venu, du miel qui lui est utile : la connaissance est un savoir digéré, le résultat d’un travail personnel (“à la sueur de ton front” dit le mythe).

Alors… ? Notre réalité est complexe. La masse des informations d’où nous tirons au quotidien notre vision du monde est désormais trop énorme, elle nous submerge et, qui plus est, il est des professionnels qui gagnent leur vie en la falsifiant (“Jean-Jacques Crèvecoeur, sors de ce corps !”). C’est tous les jours une déferlante informationnelle qui pousserait facilement à l’orgie, à la boulimie de savoirs.

Etablir que la connaissance de chacun est le résultat d’un impératif travail de digestion est une chose mais, seul, on ne peut tout dévorer : notre raison n’y survivrait pas. Grande lectrice des Accords Mayas, l’abeille de Bacon entretient son développement personnel en butinant les fleurs… mellifères. A son exemple, peut-être pourrions-nous concentrer notre labeur quotidien sur les savoirs dont nous pouvons faire quelque chose. “A tout savoir, labeur est bon“, soit, mais le Gai Savoir nietzschéen -celui qui fonde notre jubilation devant la Vie- demande quand même une présélection critique. Les forestiers parmi nous connaissent la différence entre une bonne flambée de charme et un fugace feu de bouleau. Non, on ne fait pas bon feu de tout bois !

Quelles leçons en tirer ? Celui qui veut tout savoir est invité à refaire les exercices du thème 04 ; celle qui veut faire reconnaître son savoir par tous les diplômes possibles peut se replonger dans le thème 03 ; celui qui veut être initié au savoir suprême peut franchement se taper les entraînements du thème 02 ; celle qui veut faire savoir qu’elle sait tout ne perdrait rien à ce replonger dans le thème 01. Et tous en chœur, nous pouvons veiller à ne consommer notre temps de vie qu’avec des savoirs de qualité, que nous choisirons selon nos besoins réels, à condition qu’après un certain travail nous puissions en faire quelque chose dans notre quotidien… en faisant aussi confiance à la sérendipité.

5.b. Mantra

Que le crique me croque si je ne deviens pas un CRACS,
Je suis désormais Citoyen,
Je suis désormais Responsable,
Je suis désormais Actif,
Je suis désormais Critique et
Je suis désormais Solidaire !

5.c. Travaux pratiques

S’intéresser à un peintre wallon connu. Lancer une requête sur son nom dans votre moteur de recherche préféré. Ne pas consulter les trois premières pages et commencer à lire les résumés de sites à partir de la quatrième. Découvrir que le peintre en question aimait le vélo et que le fabricant de cycles qu’il affectionnait dans sa région avait le même nom que la buraliste dans Fellini Roma. Commander les dvd de Fellini Roma (1972) et de Satyricon (1969) à la médiathèque provinciale et s’amuser de la date du second film : une année érotique. Ressortir son intégrale Gainsbourg et penser à Jane Birkin. Vérifier en ligne s’il existe une intégrale Jane Birkin qui soit également disponible chez votre fournisseur de streaming musical. Se féliciter de ne pas avoir dû acheter cette intégrale en magasin vu la tentation irrésistible de demander à la caissière “Serge, es-tu là ?“. Apprécier l’humour de ladite caissière qui vous répond avec une grosse voix : “Oui, je suis ton père“. Faire une autre requête en ligne pour savoir pourquoi on parle de “toile de serge“. Boucler la boucle en visionnant les toiles proposées dans l’onglet [images] des réponses à votre première requête (celle du peintre). Changer la litière du chat et se servir un Dalwhinnie en branchant le lecteur dvd et en pensant au plaisir d’être cultivé mais que vos dimanches pourraient être plus exaltants si vous aviez déjà envie d’être lundi matin pour agir !

5.d. Consigne wallonica.org

Relire la consigne wallonica.org n°2 et vérifier si cela a donné quelque chose. A défaut, refaire…


Soyez complexe avec wallonica.org !

Fan de wallonica.org, notre invité spécial, le maire de Champignac, actuellement en stage de CNV (Communication Non-Violente) dans la région, aura le dernier mot : “Nageurs et nageuses de tous les pays, mouillez-vous ! Nous étions au bord du lac et, grâce au développement personnel honnête, nous avons fait un grand pas en avant. Reste que de vils gourous (coucou) nous guettent comme le prédateur guette sa proie du haut de l’épée de Damoclès qui menace l’édifice de notre société. Aussi dois-je vous dire en tant que votre maire et, partant, un peu votre père : dénichons ensemble les fourbes z-et les faussaires, comme ça les vrais serfs en seront bien gardés ! Car le danger est réel pour notre liberté individuelle, comme pour notre belle communauté humaine, de nous voir chacun entrer en servitude presque volontaire envers des idées totalisantes et contre toute raison.
Le développement personnel, oui, la servitude volontaire, non !
Aussi, moi, Gustave Labarbe, avec tous mes élus, je dis à tous les zélotes du développement personnel factice, en pointant un doigt de raison vers ces prédicateurs qu’ils couvrent d’un silence complice, voire d’un silence lourd de retentissements tapageurs, je demanderai : pourquoi désignes-tu la racaille qui est dans le clan du voisin et n’aperçois-tu pas l’apôtre qui est dans le tien ?
Dans ce contexte et parce qu’il ne l’est justement pas, je ne peux que soutenir ce manuel de savoir-vivre édité par wallonica.org et je vous confirme que me suis approprié la méthode wallonicienne jusque dans mon travail de maire !
Matin, midi et soir, l’obligation vespérale d’effectuer ces exercices matutinaux s’impose à moi, comme la sardine à l’huile. Dès potron-jacquet, je m’affaire et, d’abord, je me libère de la pression des influenceurs et autres lobbyistes (01) ; après quoi, j’explore les dossiers de mes administrés dans la réalité des faits, sans a priori (02) ; bien conscient des problèmes qu’ils rencontrent au quotidien, je sélectionne les bonnes solutions selon leur pertinence, pas selon les procédures (03) ; après-déjeuner, je descends sur la place de Champignac pour rencontrer mes villageois et, grâce à ma présence et mon entregent, je sens avec joie combien je peux les rassurer (04) ;  de retour à mon bureau, j’ouvre enfin le Journal et je n’y lis que les articles concernant les citoyens de Champignac, avec une exception : les violences policières dans la capitale, sujet qui peut influencer ma manière d’assurer paix et harmonie aux Champignaciens.
Il ne me reste qu’une chose à vous recommander : abonnez-vous à l’infolettre de wallonica.org et n’hésitez pas à contacter leur équipe pour leur proposer des contenus ou des améliorations de la méthode, voire à les soutenir financièrement !”


D’autres orateurs à la Tribune libre de wallonica.org ?

THONART : L’existence précède l’essence… et lycée de Versailles (2020)

Temps de lecture : 6 minutes >
Sartre sur la plage de Nida (Lituanie, 1965) © Antanas Sutkus

Merci Elisabeth (Badinter) ! Sans vraiment vous adresser à moi en direct (mais en quels cénacles serait-ce possible ?), vous avez offert une formulation limpide à un problème qui me tarabustait depuis fort longtemps, a fortiori depuis la lecture passionnante du livre de Wolfram Eilenberger, Le temps des magiciens (2019). Si vous n’avez donné aucune réponse à mes interrogations, vous m’avez aidé à formuler la question et n’est-ce pas là le rôle unique de l’intellectuel, comme le précisait Jürgen Habermas ?

Elisabeth Badinter © lepoint.fr

Que s’est-il donc passé ? Vedette d’une édition spéciale de La grande librairie à vous dédiée, vous présentez votre dernier livre et puis, plus loin, François Busnel embraie sur le féminisme, autre sujet sur lequel vous avez voix au chapitre. Le journaliste creuse habilement le sillon qui vous anime et aborde le néo-féminisme (c’est-à-dire le féminisme d’après #metoo) qui, manifestement, vous agace un peu. Et vous de verser votre pièce au débat [transcription LEJDD.FR] :

…Voilà trois ans que la déferlante MeToo a ouvert la voie à la parole des femmes. Elles ont pu dénoncer publiquement toutes les agressions sexuelles dont elles se disent victimes. Grâce à elles, la honte a changé de camp. Depuis lors, le néo­féminisme a durci le ton et les méthodes. On ne se contente pas des agressions, on ‘balance’ les agresseurs présumés. Ce faisant, les plus radicales qui se proclament activistes ont tourné le dos au féminisme d’avant MeToo. Elles ont déclaré la guerre des sexes, et pour gagner, tous les moyens sont bons, jusqu’à la destruction morale de l’adversaire.

Armées d’une pensée binaire qui ignore le doute, elles se soucient peu de la ­recherche de la vérité, complexe et souvent difficile à cerner. À leurs yeux, les êtres humains sont tout bons ou tout mauvais. Les nuances n’existent plus. C’est le mythe de la pureté absolue qui domine.

À ce premier dualisme s’en ajoute un ­second, tout aussi discutable : les femmes, quoi qu’il arrive, sont d’innocentes victimes -et bien souvent elles le sont, mais pas toujours-, les hommes, des prédateurs et agresseurs potentiels, y compris parfois à l’égard d’autres hommes. Ce qui autorise l’activiste Alice Coffin à déclarer : “Ne pas avoir de mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée… Ça évite que mes enfants le soient aussi”. Et d’inviter les femmes à devenir lesbiennes et à se passer du regard des hommes.

En se fondant sur les statistiques des violences conjugales, on essentialise femmes et hommes dans des postures morales opposées : le bien et le mal, la victime et l’agresseur. Les perverses, les menteuses et les vengeresses n’existent pas. Il n’y a plus qu’à conclure au séparatisme, puisque l’homme est la plus dangereuse menace pour la femme… mais, quant à moi, je refuse d’essentialiser !

Je refuse d’essentialiser” : tout est dit et bien dit ! Ainsi que l’explique Géraldine Mosna-Savoye sur FRANCECULTURE.FR : “Essentialisation, c’est l’insulte suprême aujourd’hui, c’est le terme que j’ai l’impression d’entendre dès qu’on parle de genres, de sexes ou de races, et en général pour mettre fin au débat. Par définition, l’essentialisation est l’acte de réduire un individu à une seule de ses dimensions, ce qui suppose qu’il y a non seulement réduction d’un individu, mais qu’il y a l’idée de le faire malgré l’individu lui-même. Essentialiser, c’est donc poser une étiquette. Mais dans le terme d’essentialiser, il y a plus que l’étiquetage d’un seul individu (on essentialise peu une personne seule, pour elle-même). Dans essentialiser, on entend aussi la généralisation d’un trait naturel : essentialiser, c’est ramener l’individu à un donné stable (un sexe, une couleur de peau, par exemple), pour ensuite l’étendre à toute une catégorie partageant ce même donné, et établir, à partir de là, une hiérarchie entre différentes catégories. Tel le racisme.”

Elisabeth Badinter n’est pas le ‘quart d’une biesse’, dirait-on à Liège, et son engagement est ancien, constant et éclairé, que l’on soit d’accord ou non avec ses convictions. Donc, la voilà qui se fend, pour notre plus grand bénéfice, d’un avertissement portant sur la manière dont nous pouvons penser les choses : plutôt que de stigmatiser les deux camps d’un débat en étiquetant chacune des parties, sur la base de ce qui fait la dissension entre elles (ex. dans le débat sur la condition de la femme, Badinter se refuse à affirmer que tous les hommes sont ceci et que toutes les femmes sont cela par définition), il convient d’ouvrir la voie à une pensée dite ternaire, où les opposés sont dépassés pour permettre une solution partagée. Après tout, ce qui compte, dans ce débat comme dans les autres, c’est de continuer à vivre ensemble.

Soit. Fortuitement, cette volonté de ne pas essentialiser rejoint une querelle de philosophes bien plus ancienne, comme le raconte Géraldine Mosna-Savoye : “Quand j’étais en terminale et que j’ai découvert la philosophie, j’ai découvert presque dans le même temps ce qu’était l’essence et qu’il était de bon ton de la critiquer. Autrement dit, j’ai découvert en même temps : Aristote et Sartre. D’un côté, l’inventeur de l’essence comme substrat nécessaire, opposé au mouvement et aux accidents, et de l’autre, Sartre, pour qui les accidents et le mouvement comptaient plus que l’essence. D’un côté, le vieux philosophe qui essentialisait, et de l’autre, le contemporain qui faisait l’éloge de l’existence contre l’essence. Jamais je n’aurais fini une dissertation avec Aristote, ou Platon d’ailleurs, les rois de la nécessité et des substances unes et immuables, ça aurait été la honte, le contraire du « cool ». Ce qui était bien vu, en revanche, c’était d’achever sa troisième partie par les louanges du mouvement, de la multiplicité, de la diversité, par l’amour des reliefs, des incertitudes, des aléas de la vie.

© Clémentine Mélois

Souvenez-vous : Platon, Aristote et la bande des philosophes idéalistes qui les ont suivis ont passé leur temps (et le nôtre) à essayer d’établir ce qu’était l’Être et à y définir l’essence de toute chose, des idées, des modèles essentiels dont nous ne serions que des avatars : du concept “encyclopédie” stocké dans les nuages éternels, wallonica.org ne serait qu’une des incarnations possibles (mais non des moindres). Avantage : quelque part, il existe un ensemble de choses, de valeurs -voire de dieux- qui sont parfaits, primaux et immuables. Ma voisine Josiane adore : ça la tranquillise ! Inconvénient : nous passons notre vie à penser en termes de conformité à ces modèles.

Un exemple ? Qui a déjà réussi un Noël traditionnel, conforme à l’image d’Epinal que nous en avons et à laquelle nous essayions -jusqu’en 2019- de nous conformer, volontairement ou non ? Ca ne marche jamais : quand ce n’est pas la dinde qui est brûlée, c’est Tonton Alfred qui est complètement cuit…

Enfin le siècle dernier vint et, le premier chez nous, fit sentir dans les pensées une juste mesure” : fi de l’essence, c’est l’existence qui nous façonne (ce renversement est précisément le sujet du livre d’Eilenberger précité, qui analyse les années 1919-1929 pour quatre penseurs : Cassirer, Wittgenstein, Walter Benjamin et Heidegger). Finis les conformismes, nous sommes sujets premiers, originaux et, par nos actes, nous construisons notre individualité subjective dans un monde absurde. Sartre, qui n’en rate jamais une, insiste : “L’existence précède l’essence“. Bref, nous sommes seuls devant un ciel vide… alors, autant vivre heureux (dixit Camus).

La vie me semblait poignante, saturée de ce qu’on désigne par le terme de ‘souffrance’, alors qu’il s’agissait simplement des moyens détournés que prend la vie pour nous rendre uniques.

Jim Harrison, Dalva (1988)

En conclusion : l’essence ou l’existence, qui a gagné le match ? Sommes-nous tenus à l’imitation de modèles angéliques ? Est-ce quand on “se sent vivre” que l’on commence à le faire réellement ?

C’est bien le moment de revenir à la proposition d’Elisabeth Badinter : Aristote-Sartre = match nul, balle au centre. La philosophe ne déclarait-elle pas qu’elle “s’interdisait d’essentialiser“, insistant sur l’action de fonder ou non le débat sur l’essence. A Sartre, le verbe d’action, aux idéalistes, le substantif conceptuel. Captifs de l’ancienne philosophie, Sartre et les existentialistes ne restent-ils pas empêtrés dans les définitions de ce qui est ou n’est pas (comme l’illustre Clémentine Mélois) ? L’approche ternaire, en l’espèce, ne réside-t-elle pas en ceci : essentialiser et exister sont deux procédés de pensée qui nous sont tous deux disponibles, comme les deux pôles d’une ambivalence au coeur de laquelle nous naviguons à vue. A nous de ‘raison garder’ et d’identifier quand nous nous installons trop dans le confort de ces modèles qui nous sont extérieurs, quand nous fondons notre délibération intime sur des ‘arguments d’auteurs’ ou sur des dogmes venus d’ailleurs. A nous également de ‘raison garder’ et de ne pas agir comme des poules sans tête, en projetant nos passions aveuglantes sur le monde où nous évoluons (dans le meilleur des cas). N’est-ce pas là ce qui caractérise une pensée libre ?

Patrick THONART


Parlons-en…

ILLICH : L’école enseigne à l’enfant qu’il doit être inévitablement classé par un bureaucrate

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Ivan Illich à son domicile en 1976 © Bernard Diederich / LIFE

“Aujourd’hui, les mots éducation et école sont devenus quasiment synonymes. Pourtant, l’école ne représente qu’une infime partie de l’histoire de l’éducation. Comment cet amalgame a-t-il pu se produire ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à croire que l’éducation de nos enfants devait relever de la responsabilité de l’État ? Quelles logiques sont à l’oeuvre derrière cette vaste entreprise de normalisation des masses ? En 1972, dans un décor peuplé d’oiseaux, au micro de Roger Kahane, Ivan ILLICH (1926-2002) partageait ses observations, ses analyses après un séjour de quatre années à Puerto Rico. Le tutoiement est de mise.

Il faut substituer une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter. Il faut libérer la jeunesse de cette longue gestation scolaire qui la conforme au modèle officiel. Alors, les nations pauvres cesseront d’imiter cette coûteuse erreur.

Ivan Illich

L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les “autorités” et à obéir aux “institutions”. À cela il faut substituer des échanges, dit Ivan Illich, entre “égaux” et une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter.

A l’école, l’enfant apprend avant tout qu’apprendre est le résultat d’un processus d’une institution officielle. Il apprend que, d’année en année, on acquiert de la valeur, parce qu’on accumule plus de bien non tangible. On apprend que ce qui est valable à apprendre, ce qui servira plus tard à la société, c’est ce qui est transmis par quelqu’un qui est “professionnel”. On apprend qu’enseigner, si on n’est pas professionnellement instituteur, est en quelque sorte moins valable. L’école inévitablement introjecte le capitalisme, la capitalisation du savoir. Parce qu’il est le capitaliste en savoir, qui peut démontrer avec les certificats ce qu’il a accumulé intérieurement et auquel la société reconnait une valeur sociale supérieure.

Ivan Illich

Implacable critique de la société industrielle, Ivan Illich a démontré qu’au-delà d’un certain seuil, les institutions se révèlent contre-productives et a dénoncé la tyrannie des “besoins” dictés par la société de consommation. Il fut l’un des premiers à voir dans l’aide au développement une tactique pour généraliser le productivisme et y acculturer les peuples. À cette idée comme à celle de croissance, véritables “assauts de l’économie contre la condition humaine“, il oppose une ascèse choisie et conviviale, un mode de vie qui entremêle sobriété et générosité.

Pour écouter le podcast de l’émission de Philippe Garbit sur FRANCECULTURE.FR (2 mai 2017)


D’autres discours sur les hommes et/ou les petits d’homme…

De l’intérêt de posséder plus de livres que vous ne pouvez en lire…

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De nombreux lecteurs achètent des livres avec l’intention de les lire uniquement pour les laisser s’attarder sur l’étagère.
Le statisticien Nassim Nicholas Taleb estime que le fait de s’entourer de livres non lus enrichit notre vie, car ils nous rappellent tout ce que nous ne connaissons pas.
Les Japonais appellent cette pratique tsundoku, et elle peut apporter des avantages durables.

Anguille sous roche

“J’aime les livres. Si je vais à la librairie pour vérifier un prix, j’en ressors avec trois livres dont j’ignorais probablement l’existence auparavant. J’achète des livres d’occasion par lots à la vente des Amis de la Bibliothèque, tout en expliquant à ma femme que c’est pour une bonne cause. Même l’odeur des livres me saisit, ce léger parfum de vanille terreuse qui vous envahit quand vous tournez une page. Le problème, c’est que mon habitude d’acheter des livres dépasse ma capacité à les lire. Cela m’amène à me culpabiliser pour les volumes non lus qui se répandent sur mes étagères. Cela vous semble familier ?
Mais il est possible que cette culpabilité soit totalement déplacée. Selon le statisticien Nassim Nicholas Taleb, ces volumes non lus représentent ce qu’il appelle une “anti-bibliothèque”, et il pense que nos anti-bibliothèques ne sont pas des signes de défaillances intellectuelles. Bien au contraire.

Vivre avec une anti-bibliothèque

Taleb a exposé le concept de l’anti-bibliothèque dans son livre à succès The Black Swan: The Impact of the Highly Improbable. Il commence par une discussion sur le prolifique auteur et érudit Umberto Eco, dont la bibliothèque personnelle contenait un nombre stupéfiant de 30.000 livres.

Lorsque Eco accueillait des visiteurs, beaucoup s’émerveillaient de la taille de sa bibliothèque et pensaient qu’elle représentait le savoir de l’hôte – qui, ne vous y trompez pas, était très vaste. Mais quelques visiteurs avisés ont compris la vérité : la bibliothèque d’Eco n’était pas volumineuse parce qu’il avait lu beaucoup de choses ; elle l’était parce qu’il désirait lire beaucoup plus.

C’est ce qu’a déclaré Eco. En faisant un calcul de coin de table, il a découvert qu’il ne pouvait lire qu’environ 25.200 livres s’il lisait un livre par jour, tous les jours, entre dix et quatre-vingts ans. Une “bagatelle”, déplore-t-il, par rapport au million de livres disponibles dans toute bonne bibliothèque.

S’inspirant de l’exemple d’Eco, Taleb en déduit :

Les livres lus ont beaucoup moins de valeur que ceux qui ne sont pas lus. Votre bibliothèque devrait contenir autant de ce que vous ne connaissez pas que vos moyens financiers, les taux d’hypothèque et le marché immobilier actuellement serré vous permet d’y mettre. Vous accumulerez plus de connaissances et plus de livres en vieillissant, et le nombre croissant de livres non lus sur les étagères vous regardera de façon menaçante. En effet, plus vous en savez, plus les rangées de livres non lus sont grandes. Appelons cette collection de livres non lus une anti-bibliothèque.

Maria Popova, dont un article sur Brain Pickings résume admirablement l’argument de Taleb, note que notre tendance est de surestimer la valeur de ce que nous savons, tout en sous-estimant la valeur de ce que nous ne savons pas. L’anti-bibliothèque de Taleb renverse cette tendance.

La valeur de l’anti-bibliothèque découle de la façon dont elle remet en question notre auto-estimation en nous rappelant constamment et de façon désagréable tout ce que nous ne savons pas. Les titres qui tapissent ma propre maison me rappellent que je ne connais pas grand-chose à la cryptographie, à l’évolution des plumes, au folklore italien, à l’usage de drogues illicites sous le Troisième Reich et à l’entomophagie. (Ne gâchez pas tout, je veux être surpris.)

Nous avons tendance à traiter nos connaissances comme des biens personnels à protéger et à défendre”, écrit Taleb. “C’est un ornement qui nous permet de nous élever dans l’ordre. Cette tendance à heurter la sensibilité de la bibliothèque d’Eco en se concentrant sur le connu est donc un parti-pris humain qui s’étend à nos opérations mentales”. Ces mêmes idées inexplorées nous poussent à continuer à lire, à continuer à apprendre, et à ne jamais être à l’aise avec le fait que nous en savons assez. Jessica Stillman appelle cette réalisation l’humilité intellectuelle.

Les personnes qui manquent de cette humilité intellectuelle – celles qui n’ont pas le désir d’acquérir de nouveaux livres ou de visiter leur bibliothèque locale – peuvent éprouver un sentiment de fierté d’avoir conquis leur collection personnelle, mais une telle bibliothèque offre toute l’utilité d’un trophée fixé au mur. Ça devient un “appendice de l’ego” pour la seule décoration. Ce n’est pas une ressource vivante et croissante dont nous pouvons tirer des enseignements jusqu’à l’âge de 80 ans – et, si nous avons de la chance, quelques années plus tard.

BRADBURY R., Farenheit 451 (1953) : le livre est un enjeu…
Tsundoku

J’aime le concept de Taleb, mais je dois admettre que je trouve l’étiquette “anti-bibliothèque” un peu insuffisante. Pour moi, cela ressemble à un dispositif d’intrigue dans une imitation de roman de Dan Brown – “Vite ! Nous devons arrêter les Illuminati avant qu’ils n’utilisent l’anti-bibliothèque pour effacer tous les livres existants”.

Écrivant pour le New York Times, Kevin Mims n’aime pas non plus l’étiquette de Taleb. Heureusement, son objection est un peu plus pratique : “Je n’aime pas vraiment le terme ‘anti-bibliothèque’ de Taleb. Une bibliothèque est une collection de livres, dont beaucoup ne sont pas lus pendant de longues périodes. Je ne vois pas en quoi cela diffère d’une anti-bibliothèque.”

Son label préféré est un mot de prêt du Japon : tsundoku. Tsundoku est le mot japonais qui désigne la ou les piles de livres que vous avez achetés mais que vous n’avez pas lus. Sa morphologie combine tsunde-oku (laisser les choses s’empiler) et dukosho (lire des livres).

Ce mot est né à la fin du 19e siècle comme une satire adressée aux enseignants qui possédaient des livres mais ne les lisaient pas. Bien que cela soit à l’opposé de ce que Taleb voulait dire, aujourd’hui le mot n’est pas stigmatisé dans la culture japonaise. Il diffère également de la bibliomanie, qui est la collecte obsessionnelle de livres pour le plaisir de la collection, et non leur lecture éventuelle.

La valeur du tsundoku

Je suis sûr qu’il y a un bibliomane vantard qui possède une collection comparable à celle d’une petite bibliothèque nationale, mais qui ne fait que rarement l’objet d’une couverture. Malgré cela, des études ont montré que la possession de livres et la lecture vont généralement de pair pour un grand effet.

Une de ces études a montré que les enfants qui ont grandi dans des foyers possédant entre 80 et 350 livres ont amélioré leurs compétences en matière de lecture, de calcul et de technologies de l’information et de la communication à l’âge adulte. Selon les chercheurs, l’exposition aux livres renforce ces capacités cognitives en faisant de la lecture une partie intégrante des routines et des pratiques de la vie.

De nombreuses autres études ont montré que les habitudes de lecture procurent une foule de bienfaits. Elles suggèrent que la lecture peut réduire le stress, satisfaire les besoins de connexion sociale, renforcer les compétences sociales et l’empathie, et stimuler certaines compétences cognitives. Et ce n’est que de la fiction ! La lecture d’ouvrages non fictionnels est corrélée au succès et aux grandes réalisations, nous aide à mieux nous comprendre et à mieux comprendre le monde, et vous donne l’avantage de venir à la soirée des quiz.

Dans son article, Jessica Stillman se demande si l’anti-bibliothèque agit comme un contrepoids à l’effet Dunning-Kruger, un biais cognitif qui conduit les personnes ignorantes à supposer que leurs connaissances ou leurs capacités sont plus performantes qu’elles ne le sont réellement [lire dans wallonica.org : Les ultracrépidariens : ceux qui donnent leur avis sans connaître le sujet]. Comme les gens ne sont pas enclins à apprécier les rappels de leur ignorance, leurs livres non lus les poussent vers, sinon la maîtrise, du moins une compréhension toujours plus grande de la compétence.

“Tous ces livres que vous n’avez pas lus sont en effet un signe de votre ignorance. Mais si vous savez à quel point vous êtes ignorant, vous êtes bien plus avancé que la grande majorité des autres personnes”, écrit Stillman.

Que vous préfériez le terme anti-bibliothèque, tsundoku ou autre chose encore, la valeur d’un livre non lu est son pouvoir de vous faire lire.” [d’après le blog ANGUILLESOUSROCHE.COM (article de la rédaction, sans les pubs, daté du 28 janvier 2020)]


Lire encore ?

WATTS : textes

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Mais le futur n’est jamais là, et ne peut pas devenir une partie de l’expérience réelle avant d’être le présent. Puisque ce que nous savons du futur est constitué d’éléments purement abstraits et logiques – inductions, estimations, déductions – il ne peut pas être mangé, senti, reniflé, vu, entendu ou autrement goûté. Le poursuivre revient à poursuivre un fantôme constamment en fuite, et plus vite vous le pourchassez, plus vite il s’enfuit. C’est pourquoi toutes les affaires de la civilisation vont trop vite, pourquoi à peu près personne n’est content de ce qu’il a et que chacun cherche continuellement à obtenir davantage. Dès lors, le bonheur ne consiste pas en réalités solides et substantielles mais en choses aussi abstraites et superficielles que des promesses, des espoirs et des assurances.

Ainsi l’économie “intelligente” conçue pour produire ce bonheur est un fantastique cercle vicieux, qui doit soit fabriquer sans cesse plus de plaisirs, soit s’effondrer -en provoquant une stimulation constante des oreilles, des yeux et des terminaisons nerveuses par d’incessants fleuves de bruit et de distractions visuelles presque impossibles à éviter. Le parfait “sujet” pour cette économie est la personne qui agace continuellement ses oreilles avec la radio, de préférence en utilisant une variété portable qui peut l’accompagner à toute heure et en tout lieu. Ses yeux zigzaguent sans repos de l’écran de télévision aux journaux et aux magasines, qui le maintiennent sans relâche dans un genre d’orgasme grâce aux apparitions taquines d’automobiles rutilantes, de corps féminins lustrés et autres supports voluptueux, entremêlés de restaurateurs de sensibilité -traitements de choc- tels que des exécutions de criminels “d’intérêt général”, des corps mutilés, des avions écrasés, des combats primés et des immeubles en flammes. Les écrits ou discours qui accompagnent tout cela sont pareillement fabriqués pour asticoter sans satisfaire, pour remplacer toute satisfaction partielle par un nouveau désir.

ISBN 978-2-228-89678-8

Car ce flot de stimulations est destiné à engendrer des appétits toujours plus insatiables, toujours plus forts et plus rapides, des appétits qui nous poussent à accomplir des travaux sans aucun intérêt en dehors de l’argent qu’ils procurent -afin d’acheter davantage de radios prodigues, d’automobiles encore plus rutilantes, de magazines encore plus vernis et de meilleures émissions de télévision, tout ce qui conspire d’une façon ou d’une autre à nous persuader que le bonheur serait juste au coin de la rue si nous en achetions davantage.

En dépit de cet immense remue-ménage et de notre tension nerveuse, nous avons la conviction que dormir est une perte de temps précieux et continuons à poursuivre ces chimères jusque tard dans la nuit. Les animaux consacrent beaucoup de leur temps à somnoler et fainéanter plaisamment, mais parce que la vie est courte, les êtres humains doivent se gaver au fil des années de la plus grande somme possible de conscience, de vigilance et d’insomnie chronique, de manière à s’assurer de ne pas rater la moindre fraction d’effrayant plaisir…

Alan Watts

Extrait de WATTS Alan W. (1915-1973), Éloge de l’insécurité (Paris : Payot & Rivages, 1951, rééd. 2003)


Le Zen ne fait pas la confusion entre spiritualité et penser à Dieu, quand il s’agit de peler des pommes de terre. La spiritualité dans le Zen, c’est juste peler les pommes de terre.

Alan Watts (trad. Patrick Thonart)


D’autres discours sur le monde et notre expérience de Wallons…

THONART : Tite-Belette et sa pelisse (2019)

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Il était une fois très spéciale, un jour de fête au Royaume : Petit-Roi et Petite-Reine allaient présenter leur nouvel enfant aux amis de la famille, réunis dans la grande salle pour festoyer et danser et rire et boire à la santé du nouveau-né et, il faut bien l’avouer, ensuite s’endormir sur les bancs disposés ça et là.

A la table d’honneur, les parents trônaient aux côtés des trois frères et sœurs pour qui des réjouissances identiques avaient été organisées, en son temps. Personne ne pouvait encore imaginer combien cette fête-ci resterait – à raison – dans toutes les mémoires…

Le sens pratique de Petite-Reine avait permis de trouver la juste place pour chacun des convives, en tenant compte des alliances et des détestations qui faisaient le tissu des deux lignées. C’est ainsi qu’elle avait bien veillé à asseoir deux des trois marraines du bébé à chacune des extrémités de la grande table, à distance égale du petit berceau qui trônait au milieu de la salle : Glinda la bonne fée et Aughra la bonne sorcière se détestaient cordialement et personne n’aurait osé s’asseoir entre elles, de peur d’être changé en porcelet au cours d’une de leurs disputes.

La chaise de la troisième marraine, Dame Jehanne, était vide : après avoir honorablement festoyé, elle avait rejoint les cuisines pour accompagner la préparation du gâteau de roses, servi avec les vœux des marraines, comme le voulait la tradition chez ces gens-là.

Près de la grande fenêtre qui donnait sur la Ville, froufroutait Glinda, la marraine-bonne-fée du bébé, toute en bijoux et en dentelles rose pâle. Par un enchantement dont elle avait le secret, les voiles et les rubans de sa tenue voletaient en permanence autour de sa robe scintillante et ce n’est pas sans une certaine jalousie que les autres dames de la tablée évoquaient sa carrière passée.

A l’autre bout de la tablée, tapie derrière une colonne, Aughra, la marraine-bonne-sorcière de l’enfant, se tenait à l’écart de la lumière trop vive des torches : elle n’avait pas peur de l’ombre (souvent, on l’appelait pour entendre les dernières vérités des mourants) et elle n’avait pas peur de la nuit (elle connaissait toutes les étoiles). Elle avait fait plus modestement carrière mais son mauvais caractère l’avait protégée de l’avant-scène.

Un changement de musique appela soudain chacun à faire attention. En se frottant les mains, Petit-Roi se leva et fit le tour de la table, renversant maladroitement au passage une statuette de l’ancêtre Commandeur que Petite-Reine voulait offrir à sa fille, comme elle l’avait fait avec ses autres rejetons.

Il s’éclaircit la voix et annonça à l’assemblée que l’enfant nouveau-né s’appellerait Tite-Belette, ‘Tite” parce qu’elle se sentirait toujours trop petite mais “Belette” parce qu’elle saurait toujours se faufiler. Petite-Reine se leva et, de sa place, ajouta qu’ils en avaient également décidé ainsi parce que Tite-Belette aurait le poils soyeux sur la tête et sur les jambes. Telle était l’annonce des parents.

Glinda se leva alors – sans y être invitée d’ailleurs – et annonça qu’elle ferait deux cadeaux à sa nouvelle filleule. Pour le premier, elle s’approcha du berceau. Tout le monde retenait son souffle quand elle toucha un des rubans volants de sa robe avec sa baguette magique, l’enroula et le posa sur la tête du bébé. Elle se redressa et déclara à l’envi que si les parents voulait un enfant poilu, les poils de sa tête, alors, seraient toujours une fête ! Et à l’instant même, les rubans de sa tenue s’assagirent en des nœuds fort élégants alors que premiers cheveux de la petite, désormais enchantés, adoptèrent une position festive qu’ils ne quittèrent plus jamais.

L’humeur était au beau fixe et on resservit du vin à tous lorsque Glinda fit lentement apparaître son deuxième cadeau, flottant au-dessus du berceau dans un halo de lumière. “Oooh !” s’écria toute l’assemblée, “la pelisse de Leodwin, on la pensait disparue.” L’objet de lumière était magnifique : une pelisse légère comme du fil d’araignée, entièrement recouverte d’yeux ouverts sur une face, capuchon compris.

Tous se tournèrent alors vers Jehanne car c’était elle qui était chargée de la vraie mémoire de la famille. Elle expliqua aux plus jeunes, non sans avoir d’abord lampé un bon coup de vin épais, que la pelisse était magique et puissante et que son premier propriétaire, le roi elfe Leodwin, la portait toujours en son palais, afin de voir tout ce qui pouvait se tramer à son endroit, comme à la bataille où les mille yeux de la pelisse lui permettaient de ne jamais être surpris… jusqu’au jour où un Orc, plus rusé que les autres, compris la source de l’invincibilité du roi et jeta une poudre maléfique sur trois des mille yeux. Il frappa à trois reprises, transperçant ces yeux, la pelisse et le corps du roi au cœur, à l’épaule et au front. Le roi fut enterré au milieu du champ de bataille et tous pensaient la pelisse volée par l’Orc assassin.

Mais elle était là, au vu de tous, flottant au-dessus du berceau innocent d’où les cheveux du bébé commençaient à dépasser ! Ceux qui connaissaient la légende pouvaient d’ailleurs remarquer les trois yeux fermés et cousus, là où le sauvage avait frappé le roi (qui n’était pas petit, celui-là).

Glinda était droite et ne riait plus, sa robe brillante avait maintenant la lumière de l’orage et personne ne bougea quand elle prononça son vœu :

A chacune de tes peurs, la pelisse du Roi te couvrira,
A l’entour, par ses yeux, tout et toujours tu verras,
Le jour, ta curiosité te comblera,
Mais, quand le soir tombera,
Les trois yeux blessés tu oublieras…

La fée se rassit à sa place, comme épuisée par son incantation et la fête semblait atteindre un point mort lorsqu’un grognement fit tourner toutes les têtes dans la même direction. Aughra s’était levée, la colère rentrée faisait friser ses sourcils bien fournis mais personne ne doutait que son vœu adoucirait la lourde destinée annoncée par celui de Glinda (que personne n’avait très bien compris, d’ailleurs). Elle leva la petite baguette de coudrier qu’elle tenait fermement dans sa main gauche et la pointa vers le berceau :

Que ta beauté sauvage raconte ta terrienne puissance,
Que dans le doute tu apprennes à les chevaucher,
Car ceux qui t’aime devineront ta naissance,
Et les autres voudront te la reprocher…

L’assistance restait la lippe pendante : certes, le vœu était beau, bien tourné et, normalement, bénéfique pour l’enfant mais… la pelisse ? Tout le monde chuchotait : “Et la pelisse ?“, “Aughra ne fait rien pour la pelisse ?“, “Elle pourrait quand même alléger le sort de l’autre clinquante donzelle…

Aughra souriait dans sa moustache (qu’elle ne rasait jamais) : elle ne crachait pas sur un petit suspense quand elle voulait jeter des sorts. Elle se leva, reprit sa baguette et la pointa, vers la pelisse cette fois. Un flux presque transparent de lianes et de fleurs en sortit qui atteignit la pelisse en lévitation, l’entoura puis s’évanouit dans les airs, laissant l’objet magique flotter au-dessus du bébé. Si les plus jeunes étaient charmés par la beauté du geste, les plus anciens avaient remarqué que les trois yeux crevés avaient été réparés et retournés au revers. Alors, Aughra, toute en sourire :

Ce que la sauvagerie mauvaise a détruit
La sauvagerie joyeuse a réparé.
En hiver comme en été,
Du manteau, choisis le bon côté !

Personne n’avait compris grand’chose mais tous étaient soulagés car venait le tour de Jehanne… et du gâteau. La bonne marraine n’était ni fée ni sorcière : elle ne pouvait offrir que sa bonté à l’enfant. Ce qu’elle fit :

Quand tu auras besoin de moi,
A tes côtés, je serai là,
Mais toujours pour être aidée
Il faut accepter de demander.

Les années passèrent et le temps des royaumes fut bientôt révolu. Du palais de Petit-Roi et de Petite-Reine ne restait que le souvenir ; les frères et sœurs de Tite-Belette vivaient leurs vies dans d’autres terres. Tite-Belette avait été une belle enfant (le sortilège des cheveux n’avait trouvé aucun contre-sortilège, malgré les efforts de Petite-Reine) et elle devenait un joli petit bout de femme quand le jour arriva où, dans le respect des consignes de Glinda, Petite-Reine remit la pelisse magique à sa fille. Elle le fit, sans un mot d’explication.

Tite-Belette enfila le vêtement à l’apparence quand même fort surprenante : près d’un millier d’yeux qui vous regardent tant que vous ne les avez pas posés sur votre dos, ça intimide. Et puis, ces trois yeux au revers : un dans la capuche, un au sommet de la manche et un sous l’omoplate, ça intimide aussi, pire, ça chatouille les pudeurs.

Qu’à cela ne tienne, l’enfant avait revêtu sa pelisse et, désormais, était condamnée à voir et voir encore. Dans la campagne, voir beaucoup voire tout était une bénédiction, de la poésie à chaque pas, dans chaque creux de branche, dans tous les bourgeons d’arbres, le long des tiges de toutes les fleurs, au fil des plumes de tous les oiseaux : elle se nourrissait de ce qu’elle voyait. Chaque promenade était un pas de plus dans la Grande Confiance.

Or, un jour, ses pas la menèrent à la Ville et, si la Nature de sa campagne ne faisait rien pour être regardée, la Ville, elle, regorgeait d’images faites pour être vues. Tite-Belette se sentait toute petite, toute perdue devant cette abondance. Sans arrêt, les 997 yeux de sa pelisse lui ramenaient des images du monde qui l’entourait, des gens qui lui parlaient, des livres qu’ils écrivaient, des messages qu’ils postaient… elle ne savait plus que penser ni même qui elle était encore. La Grande Confiance s’est mise à fondre et à couler dans la sueur de son cou. Certes les gens étaient ravis qu’elle les regarde autant mais ils partageaient avec elles des mondes qui n’étaient pas le sien, nulle part où elle puisse grandir et laisser fleurir sa vraie personne.

C’est alors qu’elle se souvint du vœu de sa tante Jehanne, qu’on lui avait rapporté. Elle pris son bâton de marche et marcha jusqu’à la vieille qui, comme promis, l’accueillit dans ses bras et la consola. Elle ne lui dit pas grand chose, une fois les retrouvailles consommées. Elle lui rappela simplement le conseil d’Aughra : “Du manteau, choisis le bon côté !” Tite-Belette avait oublié les trois regards tournés vers sa tête, son épaule et son coeur.

Dame Jehanne attendait ce moment depuis la naissance de sa filleule : elle posa lentement son tricot sur le buffet, à côté de l’âtre et se retourna vers la petite. Doucement, elle retira la pelisse magique des épaules de l’enfant devenue femme, la retourna et la reposa sur le dos et la tête de Tite-Belette.

Un moment, celle-ci ressentit une grande obscurité l’entourer et elle eut peur. Puis, un à un, les trois yeux enfin tournés vers le monde s’ouvrirent et Tite-Belette vit désormais la vie à travers son cœur, sa tête et ses bras devenus forts. Est-il besoin de dire qu’elle ouvrit la porte en remerciant sa marraine et qu’elle partit à cheval dans un grand rire nocturne.

Le conte n’en parle pas mais, à la veillée, Dame Jehanne raconte souvent les visites régulières de Tite-Belette qui vient lui raconter comment un œil de plus s’est ouvert… sur elle-même.

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | commanditaire : wallonica.org | auteur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR.


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NUSBAUM : Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (2019)

Temps de lecture : 3 minutes >
Nancy © Ernie Bushmiller

Trois scientifiques lyonnais viennent de sortir un livre pour redéfinir les êtres dits précoces ou surdoués. A l’avenir, il faudra parler de philo-cognitifs


EAN13 : 9782738146724

Qui sont les trois auteurs de cet ouvrage de référence ? Fanny Nusbaum, docteur en psychologie, est psychologue et chercheur associé en psychologie et neurosciences à l’université de Lyon. Elle est fondatrice et dirigeante du Centre PSYRENE (PSYchologie, REcherche & NEurosciences), spécialisé dans l’évaluation, le diagnostic et le développement de potentiels. Olivier Revol, pédopsychiatre, dirige le centre des troubles de l’apprentissage de l’hôpital neurologique de Lyon et milite depuis plus de trente ans pour que chaque enfant puisse accéder au plaisir d’apprendre. Enfin, Dominic Sappey-Marinier est enseignant-chercheur en biophysique, imagerie médicale et neurosciences à la faculté de médecine Lyon-Est.

NUSBAUM Fanny et al.Les philo-cognitifs. Ils n’aiment que penser et penser autrement… (Paris, Odile Jacob, 2019)


“Précoce, surdoué ou à haut-potentiel étaient jusqu’à présent les termes employés.  Pourquoi avoir choisi ce qualificatif de « philo-cognitifs » ?

Parce que les notions de précocité, de haut potentiel ou d’enfant surdoué n’étaient pas satisfaisantes à nos yeux. Elles renvoyaient à des idées fausses ou très imprécises. D’ailleurs, même le grand public ne s’y est pas trompé : nous avons reçu, au cours de ces dernières années, de très nombreuses demandes de trouver enfin un terme adapté.

Les mots sont importants car ils véhiculent une manière de cerner et d’interpréter un phénomène. Dire “précoce” sous-entend une avance intellectuelle, ce qui est absolument faux !  “Surdoué” implique un don de naissance et une notion de performance qui est loin de correspondre systématiquement à ces personnes. “Haut Potentiel” est très vague et suppose un potentiel qui n’est pas exploré. Diriez-vous d’Albert Einstein qu’il était Haut Potentiel, dans le sens où il aurait eu un fort potentiel qui n’aurait pas été pleinement utilisé ? Employer des termes inadéquats génère forcément une approche erronée, de sorte qu’on tombe vite dans des représentations fourre-tout.

Comment avez-vous alors procédé ?

Pour répondre à notre cahier des charges, il fallait un terme qui décrive précisément ce dont on parlait, sans emphase, sans métaphore. Et surtout un terme qui ne véhicule pas de contre-vérité. Nous n’avons pas cherché une locution sexy pour faire le buzz. Nous voulions un terme qui colle à la réalité de ce phénomène. “Philo-cognitif” décrit ainsi des personnes qui aiment penser, pour lesquelles réfléchir sur tout et n’importe quoi est comme un besoin vital. On pourrait même parler d’une addiction à penser, même si une addiction est pathologique, alors que la philo-cognition n’est pas une pathologie.

Mais alors, qu’est-ce qui permet d’identifier le philo-cognitif ?

Après avoir posé un terme, “philo-cognition”, il nous fallait décrire avec rigueur de quoi il s’agissait. Ces dernières années, la démocratisation des connaissances sur le haut potentiel a été très bénéfique, parce qu’elle a permis à beaucoup de mieux le comprendre, l’identifier et l’accepter. Mais le revers de la médaille, c’est que tout le bruit autour de ce phénomène a généré des idées reçues et des raccourcis inappropriés…

Aujourd’hui, quand un enfant est différent, dans sa sensibilité, son humour ou son comportement, on a vite fait de mettre ça sur le compte de la philo-cognition et plus personne ne s’y retrouve. Ici encore, nous avons souhaité redéfinir cette singularité, la réduire à ses trois caractéristiques essentielles que nous développons dans notre ouvrage.

Qu’est-ce que la recherche a permis de révéler d’autres chez les philo-cognitifs ?

Nous avons voulu montrer que les philo-cognitifs n’étaient pas tous les mêmes. Bien qu’ils ont un socle de caractéristiques communes, ils ont aussi des différences dans leur manière de penser et de réagir. Nous avons détecté deux grandes familles : les philo-laminaires et les philo-complexes avec des réseaux cérébraux bien spécifiques chez l’enfant. Tout l’intérêt du livre consiste à bien faire le distinguo entre philo-laminaire et philo-complexe afin de mieux se comprendre, comprendre les autres, assumer sa différence et en faire une vraie force.

On a le sentiment qu’il y a beaucoup plus de « philo-cognitifs » qu’avant ?

Non, je ne pense pas. A mon sens, c’est surtout que l’on dispose aujourd’hui de meilleures connaissances et d’outils pour les évaluer, les détecter. Par ailleurs, on a beaucoup communiqué sur la notion de précocité, ce qui fait que la population, plus avertie, est capable de pressentir la philo-cognition plus facilement qu’autrefois…” [lire la suite sur RA-SANTE.COM]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation | source : article de Pascal AUCLAIR sur RA-SANTE.COM (24 février 2019) | commanditaire : wallonica | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Opera Mundi  / Edit-Monde ; Editions Odile Jacob


Plus de presse…

WILKIN : Lettres de grognards. La Grande Armée en campagne (2019)

Temps de lecture : 4 minutes >
ISBN 9782204130783

Si vous vous appelez Bastin, Bourdouxhe, Boussart, Bovy, Charlier, Collard, Crutzen, Danthinne, Delvaux, Fraikin, Gilissen, Halleux, Hardy, Havelange, Dermouchamps, Jamar, Ledent, Lhomme, Mathot, Pirard, Randaxhe, Walthéry, Wéry, Williquet ou encore Goffin, Godin, Maraite, Stassart, Cornélis, Pirson, Georis, Delrez, Genet, Rutten ou Natalis, il y a des chances pour qu’un de vos ancêtres ait combattu dans la grande armée de Napoléon. Ce livre réunit cent cinquante lettres de grognards liégeois…

Dans Lettres de Grognards La Grande Armée en Campagne, René et Bernard WILKIN présentent cent cinquante de ces lettres de soldats liégeois à leurs familles. Par “liégeois”, comprenez “habitant du Département de l’Ourthe”, l’entité administrative qui est devenue la Province de Liège. Ces lettres de conscrits ont été sélectionnées dans un fonds de plus de mille qui se trouve aux Archives de l’Etat.

“[…] aussitôt mon arrivée au régiment” écrit depuis Belfort Simon Bovy, manoeuvre, de Momalle, “je n’ai rien de plus empressé que de mettre la main à la plume et pour vous instruire du résultat de mon voyage qui s’est terminé d’une manière assez heureuse […] J’assure mon oncle et ma tante de mon souvenir respectueux […].”

Prouver qu’un membre de la famille servait dans l’armée

Ces lettres se trouvent à Liège depuis deux cents ans. “Elles ont été envoyées à la Préfecture par les familles des soldats” explique l’historien Bernard Wilkin. “Pas pour leur contenu, mais pour servir de preuves. Si un grand frère avait déjà été enrôlé comme soldat, les suivants ne devaient pas partir. Ces lettres ont servi à prouver aux autorités qu’une famille avait déjà envoyé un des siens au combatOn savait depuis pas mal de temps qu’elles étaient là. Un de mes prédécesseurs les avait découvertes dans les années trente, mais à l’époque, on ne se rendait pas bien compte de leur importance. Elles sont particulièrement intéressantes parce que ce sont des lettres de sans-grades, d’hommes qui n’ont pas reçu la Légion d’honneur, qui ne sont pas devenus officiers.”

Batailles, exactions, demandes d’argent

Ils racontent leurs batailles, les exactions, les mutilations, par exemple en Espagne où des soldats ont été émasculés. On y lit aussi des histoires plus légères. Des histoires d’amour. Certains comparent la vertu des filles rencontrées dans les pays qu’ils traversent. Il y a notamment ce soldat qui écrit que la Prusse est le bordel de l’Europe. D’autres font allusion à des beuveries.”

Beaucoup de soldats demandent à leurs familles de leur envoyer de l’argent, comme Simon Bovy : “J’attends avec impatience qu’il vous plaise m’accuser la réception de cette lettre, et m’envoyer quelque peu d’argent si c’est une pure bonté de votre part, ayant éprouvé une route longue & pénible qui m’a dépourvu de tout ce que je possédais lors de mon départ.”

Un français maltraité

Les soldats liégeois étaient wallonophones. A peine un tiers savaient écrire. Ceux qui savaient écrivaient pour les autres. “Le français de ces lettres est mauvais” constate Bernard Wilkin. “Ils ne respectent ni l’orthographe, ni la grammaire, ni la ponctuation. Dans certains cas, il a fallu simplifier – en veillant à respecter l’esprit du texte. Mais ce n’est pas différent des lettres de soldats français de guerres plus récentes.”

Ce qui est émouvant pour des liégeois dans ces lettres, c’est d’y retrouver les noms de parents, d’amis, de collègues ou de voisins. Bernard Wilkin y a d’ailleurs retrouvé le sien. Il savait que son ancêtre direct avait servi dans la Grande Armée, mais c’est cette recherche qui lui a fait mettre la main sur un écrit de son aïeul : “Je ne savais pas qu’une lettre existait. Je l’ai trouvée par hasard. C’est assez émouvant, d’autant que je connais leur destinée. Mon ancêtre direct a été réformé pour cause de santé. Il a eu de la chance. Tandis que son frère a été chassé de l’armée pour mauvaise conduite !

Des liégeois dans tous les régiments de la Grande Armée

Les soldats liégeois ont servi dans toute l’armée française. La cavalerie était la plus demandée “parce qu’il ne fallait pas marcher“, mais il y a eu des liégeois dans l’infanterie, l’artillerie, la marine, la Garde impériale. Certains se sont battus à Austerlitz, en Russie ou aux Antilles contre les esclaves révoltés. Les historiens estiment à 25 000 le nombre de liégeois au sens large qui ont combattu dans les armées de Napoléon. Environ la moitié n’en sont pas revenus.

Lettre d’un soldat de la Grande Armée © Archives de l’Etat à Liège

Cherchez le Papy de Papy…

Voici une liste des noms de soldats signataires de ces 150 lettres : Adam, André, Bayard, Beaumont, Bebronne, Billard, Billen, Binot, Blutz, Boulanger, Bourguignon, Bovy, Brixhe, Burnelle, Chaudier, Christophe, Collienne, Collignon, Collin, Colsoul, Colsoulle, Cordier, Corman, Cornelis, Crins, Crismer, Croisier, Crutzen, Dabin, Dantinne, Deflandres, Delforge, Delrez, Delsupexhe, Delvaux, Demathieu, Despa, Dethier, Dorva, Dorval, Dotrange, Drapier, Duchesne, Dujardin, Elias, Englebert, Ernst, Evrard, Fauville, Ferette, Flament, Fossius, Fraigneux, Frenay, Frisson, Fyon, Genet, Georis, Gilles, Godet, Godin, Gothot, Halain, Halin, Hamoir, Hanssen, Henrotte, Hoven, Hozai, Jadoul, Jamar, Jamart, Jeunechamps, Jeunehomme, Jobbé, Joiret, Josset, Kalff, Labaye, Labeye, Labusier, Lahaut, Lambert, Laschet, Lebois, Leclercq, Ledent, Leloup, Lenoir, Lepersonne, Leruth, Leva, Lévêque, Lhomme, Lismonte, Loncen, Lonnay, Louis, Machurot, Mafatz, Maraite, Marcotty, Masui, Mataigne, Moreau, Morisseau, Moyse, Natalis, Nizet, Nouprez, Olivier, Onclin, Pâque, Peter, Philippet, Pierry, Pip, Pire, Pirson, Poitier, Randaxhe, Ravet, Renard, Renard, Renoz, Reynier, Rome, Rossoux, Rutten, Schumacher, Scindeler, Seret, Seronvaux, Sottiaux, Stassart, Thomas, Varlet, Walthéry, Wanson, Weerts, Wégimont, Welter, Wilkin, Ysaye.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation | source : article de François BRAIBANT sur RTBF.BE (22 février 2019) | commanditaire : wallonica | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Archives de l’Etat belge | remerciements à la RTBF


Plus de presse…

THONART : Cendrillon et le Diable (2017)

Temps de lecture : < 1 minute >

 

Cendrillon, la belle souillon, s’assit
Et le Diable lui dit :
“Imagines-tu que, près de toi, toujours
Je rôde en Amour ?
Qu’à chaque pas que tu fais,
J’en fais un aussi ?
Ne crains-tu qu’un jour,
Secrètement miellée d’envie
Dans mes bras, tu souries ?
Ah ! Que de dangers tu cours,
À tourner le cul à l’amour ! “.

A ces mots de cœur,
La Seulette pris peur
De voir partir le Fourchu
Qui, de si belle humeur,
Lui parlait de son cul.
Ah donc, elle s’était menti :
Le Diable était gentil…

Patrick Thonart

  • L’illustration de l’article provient du film de Kenneth Branagh, Cendrillon (2015) © Disney

Du même auteur…

22 mai 1967: les 323 morts de l’Innovation

Temps de lecture : < 1 minute >
(c) Sylvain Piraux

Le feu se déclencha dans une réserve. Des scènes d’apocalypse au cœur de Bruxelles. L’hypothèse accidentelle fut retenue. En ce lundi 22 mai 1967, plus de deux mille clients se pressent, rue Neuve, dans les rayons de l’Innovation. Ce grand magasin du centre de Bruxelles construit en 1902 par Victor Horta entendait attirer le passant pour en faire un acheteur, l’encageant dans cet espace de fer et de verre qui deviendra tombeau. Bruxelles s’apprête à sacrifier aux cérémonies des communions. Des robes blanches parées de voiles s’alignent au rayon fillettes. Une vendeuse qui s’apprête à reprendre son service au 1er étage perçoit une odeur de brûlé provenant d’un petit local de 6 m² où sont stockées quelques robes blanches. Elles sont en feu. Des pompiers du magasin tentent en vain de réduire le brasier naissant à l’aide d’extincteurs. Dans le magasin, la sonnerie stridente de l’alarme retentit. Elle est confondue avec celle appelant le personnel à reprendre le travail après son heure de table. Il est 13h32. Rien n’arrêtera ce feu qui promet à Bruxelles la plus grande catastrophe civile de son histoire…”

Lire la suite de l’article de Marc METDEPENNINGEN sur LESOIR.BE (21 mai 2017) et voir plusieurs photos d’époque…

Continuer à parcourir la Revue de presse…

NIETZSCHE : textes

Temps de lecture : < 1 minute >

Ma formule pour la grandeur de l’homme est amor fati : que l’on ne veuille rien avoir différemment, ni par le passé, ni par le futur, de toute éternité. Il ne faut pas seulement supporter le nécessaire, encore moins se le cacher – tout idéalisme est mensonge face à la nécessité –, il faut aussi l’aimer…

Ecce Homo, Pourquoi je suis si intelligent, §10, 1908

Citez-en d’autres :

THONART : Encyclopédies et syndrome de la berceuse (2015)

Temps de lecture : 4 minutes >

Longtemps, je me suis couché de bonne heure […], ma nourrice toute en suaves cotonnades, piquées de sueur laiteuse, me chantant doucement, du fond de sa gorge ronde et rassurante, une berceuse qui m’arrachait à moi-même, à mon être diurne, fébrile des propos tenus ou inquiet face à la fin du jour, brune et définitive. Les rimes de l’apaisante barcarolle, pour me distraire de l’échéance nocturne, tantôt disaient les merveilles du celtique Merlin, du Moïse conquérant ou de la trouble Shéhérazade, tantôt parlaient à mes sens et ramenaient mon âme tourmentée à la joliesse de mes pieds nus sous l’édredon débordant ou à ma nubile joue, sur laquelle elle posait un dernier baiser avant de disparaître.

Projet de bandeau pour l’interface de walloniebruxelles.org, ancêtre de wallonica.org

Nous sommes tous des Marcel inquiets (Proust, pas Cerdan), pourrait-on déduire du penchant naturel de l’Homme à soigner son angoisse existentielle par la création d’artefacts, qu’ils soient artistiques, mythiques ou scientifiques. Ainsi, de toute éternité, l’humain a-t-il posé des jalons devant lui -entre lui (sujet en mal de connaissance) et le monde qui est (objet hors mesure de sa connaissance)-, créé des formes intermédiaires, modèles explicatifs ou vertiges hypnotiques. De la sorte naissent philosophies, sciences et religions, dissertant chacune sur les fins ultimes, chacune tentant d’élucider l’Etre au départ de leur discours. De même, c’est pareillement que naissent les Arts, miroirs lacunaires de l’Etre tant courtisé, substituts formalisés et inspirés de lambeaux d’existences.

Ainsi la Musique. Que Vladimir Jankelevitch évoque le ‘mélisme descendant’ de Debussy, que ce dernier ait puisé chez Maeterlinck la matière de son Pelléas, que le philosophe français explore en quoi la musique nous élève “au dessus de ce qui est” (La musique et l’ineffable, 1961), en vérité, de quoi parlons-nous ici ? D’un temps substitué, d’un noble artefact qui nous ravit, au plein sens du terme, d’une berceuse de plus qui nous hypnotise, nous distrait des trépidations quotidiennes et nous rend une respiration plus régulière. Alors que, comme un anonyme l’a raconté :

Socrate, pourquoi joue​s-tu de la lyre avant de mourir?
Pour jouer de la lyre avant de mourir.

Words, words, words…” Comme le soulignait le Barde, au travers des lèvres d’Hamlet, toute l’activité de l’Homme se réduirait dès lors à des ‘mots’, des formes intermédiaires, médiatrices entre nous et l’objet convoité de notre conna​issance, baptisée dès lors la connaissance médiate (merci à Jacques Dufresne) à la différence de la connaissance immédiate que nous laissent miroiter des Spinoza (“l’idée vraie“) ou des Epicure.

Retour à la berceuse. Lors, on pourrait baptiser Syndrome de la berceuse cette propension de l’homme à créer des formes, élucidantes ou hypnotisantes, entre son entendement (et ses sens) et la réalité dont il veut prendre connaissance. Elucidantes lorsqu’elles le rapprochent d’une connaissance immédiate, lorsque leur structure formelle laisse transparaître l’objet de la connaisssance ; hypnotisantes, lorsqu’elles sont leur propre fin et servent de masques pseudo-euphorisants. Ainsi la berceuse du petit Marcel revêt-elle ces deux qualités ambivalentes (comme beaucoup de nos créations) : l’emmène-t-elle en Orient dans les senteurs des Mille et une nuits, l’enfant hypnotisé s’endormira paisiblement ; le ramène-t-elle au confort de son lit familier et à la tendresse d’un baiser, la nuit du petit n’en sera que meilleure. La morale, c’est le choix entre les deux manières. Whatever works…

Va savoir… L’ensemble de ces formes, de ces artefacts forgés de nos mains seules, constitue les savoirs de l’humanité ; il est des grands et des petits savoirs, des savoirs pratiques, techniques, d’autres spirituels ou artistiques ; il est des savoirs honteux, révoltants, il en est d’autres qui réconcilient, qui apaisent. Il est des savoirs que d’aucuns disent inspirés et que d’autres savent inspirants. Il est des savoirs qui égarent, d’autres qui éclairent. La grandeur de l’Homme, d’où qu’il soit, réside dans les savoirs qu’il a générés et dans la dignité qui s’y révèle. Les collecter avec sérieux, c’est s’adonner à l’amour de l’Homme pour lui-même, travailler à son respect et révéler son immanente universalité.

Enter l’Encyclopédie. De tout temps (à Sumer déjà!), des hommes se sont levés pour collecter, identifier, structurer, indexer et publier ces savoirs, tous les savoirs disponibles. Tous, car la censure est stérile et tout est publiable : c’est une simple question de hiérarchisation, de jugement éditorial. Aujourd’hui, l’héritage en ligne des Diderot et d’Alembert est partagé entre

      • les encyclopédies papier portées en ligne et (souvent) payantes ;
      • les encyclopédies promotionnelles, destinées à augmenter la fréquentation du site concerné et, partant, à justifier les ventes d’espace publicitaire ;
      • les initiatives encyclopédiques gratuites et structurées.

L’Encyclopédie de l’Agora​, créée à l’initiative du philosophe québécois Jacques Dufresne, relève de la troisième classe d’encyclopédies. Recommandée par la Bibliothèque Nationale de France, elle est gratuite, francophone et interactive. Plus de 10 millions de visiteurs la consultent chaque année. Pendant plusieurs années, deux interfaces permettaient à l’internaute de la visiter : l’interface québécoise, pilotée par une équipe basée en Estrie, à deux pas de l’Université de Sherbrooke, et feu l’interface wallonne, alors gérée au départ de Liège, en Wallonie (Belgique).

Aujourd’hui, wallonica.org reprend le flambeau et cherche des ressources, contenus comme moyens financiers. A bon entendeur !

Patrick Thonart


Plus de prises de parole en Wallonie…

LIEGE : la Bibliothèque des Chiroux ouvre une artothèque (RTBF, 2014)

Temps de lecture : 2 minutes >

Un nouveau service est offert aux usagers de la Bibliothèque des Chiroux, gérée par la Province de Liège: celui d’une Artothèque. Il propose à n’importe quel affilié à la bibliothèque d’emprunter, gratuitement et pour une durée de 2 mois, une œuvre d’un artiste contemporain.

Il existe déjà des artothèques en France, en Flandre, et une autre, Wolubilis, créée à Bruxelles en 1972. Mais l’Artothèque des Chiroux est une première en Wallonie, avec actuellement près de 80 œuvres d’artistes. Le principe est simple, il permet d’emporter gratuitement une œuvre d’art, aussi facilement que d’emporter un livre, un CD ou un DVD: c’est ce que propose désormais l’Artothèque, intégrée à la Bibliothèque des Chiroux à Liège. “Il suffit d’avoir payé sa cotisation annuelle de 6 euros“, explique Frédéric Pâques, bibliothécaire en charge du projet. “Ensuite, une personne vous montre les œuvres, et vous donne une explication si vous le souhaitez. Vous signez alors un document spécifiant la valeur de l’œuvre, en vous engageant à la rembourser si elle est détériorée ou volée. Et vous repartez avec l’œuvre, tout simplement.

Des artistes de différentes disciplines

Près de 80 œuvres d’artistes, illustrateurs, graveurs, photographes, dessinateurs, sont disponibles au prêt. La condition première d’une acquisition est que l’œuvre soit liée à l’imprimé, car l’Artothèque est installée dans une bibliothèque. Il n’y a donc pour le moment pas de peinture ou sculpture à emprunter. On trouve des artistes largement reconnus tels Jacques Charlier, Jo Delahaut, André Stas, Jean-Pierre Ransonnet, Marcel-Louis Baugniet… Egalement des artistes qui n’ont plus à faire leurs preuves, comme les photographes Pol Pierart, Thomas Chable ou Jean-Paul Brohez. Et enfin, des artistes plus jeunes, que le public des Chiroux pourra vraiment découvrir: Laurent Impeduglia, Benjamin Monti, Aurélie William-Levaux…

Pour Paul-Emile Mottard, député provincial en charge de la Lecture publique, l’objectif est d’amener le public des lecteurs vers les arts plastiques. “Nous souhaitons fidéliser nos lecteurs par ce nouveau service. Ensuite, nous voulons également amener à nous un public de non-lecteurs, intéressés par les arts ou qui ont envie d’essayer. Et enfin, notre préoccupation est aussi d’aider les artistes, en achetant des œuvres mais aussi en les montrant, dans un lieu qui n’est pas aussi spécifique ou pointu qu’une galerie d’art ou un musée, mais un lieu ouvert aux cultures, au même titre que les livres, la musique ou le cinéma.

Une collection en devenir

Un budget annuel de 15 000 euros est prévu pour continuer les acquisitions. La collection se veut représentative des différents courants de la création contemporaine, et est amenée à se développer. Elle a d’abord été constituée à partir d’artistes de la province de Liège, pour ses débuts, mais devrait s’ouvrir à des artistes d’autres horizons dans les mois qui viennent.

Lire l’article d’Alain Delaunois sur RTBF.BE (18 novembre 2014)…

Artothèque de la Bibliothèque des Chiroux, 15 rue des Croisiers, 4000 Liège. Ouvert le vendredi de 13 à 18h et le samedi de 9 à 15h. Un catalogue des oeuvres est mis en ligne avec des mises à jour régulières.


Plus d’oeuvres disponibles dans l’Artothèque…