LEMAIRE : La Société libre d’Émulation, une histoire riche et vivante (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Au fil des générations, dans la mémoire des Liégeois, l’Emulation est restée synonyme de séances d’Exploration du Monde, du Touring Club, de concerts ou pièces de théâtre dans l’écrin confortable qu’était la salle de spectacles.

Toute l’aventure partit d’une bonne idée, celle qui, à la fin du 18e siècle, rassembla plusieurs citoyens soucieux de pourvoir leur ville d’un centre de réunions et d’actions culturelles, dirions-nous aujourd’hui. Créée en 1779 sous la protection éclairée du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la Société d’Emulation, constituée sur le modèle des académies qui florissaient alors en France, oeuvrait dans une ambiance de sociabilité érudite ; elle était également chargée de la surveillance de la plupart des établissements scolaires fondés à Liège par ce prince-évêque : la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts, l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure, l’Ecole de dessin appliqué aux Arts mécaniques, le Cours de Droit civil et économique, l’Ecole d’accoucheuse,…

Grâce à un don de Velbrück, ses activités avaient pour cadre un petit mais bel édifice de 1762, appelé “Salle des Redoutes”. Elle était située place du Grand Collège dont les constructions seront incorporées plus tard dans l’Université. On y trouvait une bibliothèque, les journaux liégeois et aussi parisiens, un cabinet de physique expérimentale et une salle de réunion où se donnaient des concerts, des conférences et des expositions.

La chute de l’Ancien Régime a entraîné la fermeture des salons de l’Emulation et on peut considérer qu’elle n’a rouvert ses portes qu’en 1809, sous le régime français. L’épithète “libre” a alors été adjointe à son nom. Il y avait eu occupation de troupes dans les locaux et il a fallu reconstituer les collections et le mobilier, faire deuil du cabinet de physique expérimentale dont le matériel avait disparu.

Le 19e siècle fut un siècle d’or pour la Société avec le développement de l’Université car la plupart des professeurs étaient aussi membres de l’Emulation. Les étudiants y avaient entrée libre. On put alors assister à l’audition de conférenciers (dont un des plus acrobatiques fut assurément Paul Verlaine, plutôt éméché), de littérateurs et critiques, d’œuvres musicales, dont certaines dirigées par leurs compositeurs, tels Franz Liszt et des représentants de l’Ecole de Musique russe venus sous l’égide de la Comtesse de Mercy-Argenteau.

Le bâtiment bénéficiera au cours du 19e siècle de modifications importantes, par l’adjonction d’un deuxième étage surmonté d’un fronton triangulaire, et par la rénovation, vers 1850, de la salle néo-gothique par l’architecte Jean-Charles Delsaux. Ulysse Capitaine a établi, en 1862, un catalogue de la bibliothèque qui recensait 2 262 manuscrits. Comme nous le renseigne le Liber memorialis de Renier Malherbe (publié pour le centenaire de l’association), l’Emulation établit très vite des relations avec des sociétés savantes étrangères et compta parmi ses membres résidants, correspondants et honoraires de nombreuses sommités scientifiques nationales et internationales.

Ruines du bâtiment de l’Émulation © histoiresdeliege.wordpress.com

Le siècle suivant débuta par une catastrophe : le soir du 20 août 1914, au début de la première guerre mondiale, une soldatesque, avinée pour la circonstance, fusilla 28 personnes et mit le feu à de nombreuses maisons de la place de l’Université. L’Emulation brûla de fond en comble, avec perte totale de sa bibliothèque, de ses archives, de ses collections et des orgues. Seul vestige conservé de son passé foisonnant : une feuille de titre des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand !

En mars 1918, Emile Digneffe, Président du Conseil, et son collègue Auguste Laloux entamèrent la reconstitution de la Société. La Ville mit à disposition de l’Emulation un ensemble de parcelles expropriées. Dans le projet de l’architecte Julien Koenig, le nouvel immeuble aura une façade, sur la place du Vingt-Août, de 31 mètres de large, avec une surface près de six fois supérieure à celle de l’ancienne. Inspirée du style Louis XVI, elle sera revêtue de petit granit et de brique avec des bas-reliefs sculptés en calcaire de Larochette. En comptant la galerie et la loge royale, la salle pouvait asseoir quelque 600 participants. Dans son prolongement se trouvait la salle d’expositions dont les cimaises ont accueilli des manifestations de l’Union liégeoise du Livre et de l’Estampe (alors filiale de l’Emulation), de l’A.P.I.A.W., de l’Oeuvre des Artistes

Le 17 mai 1939 eut lieu, en grande pompe, l’inauguration de ce nouveau bâtiment qui allait, cette même année, contribuer aux fastes de l’Exposition Universelle de l’Eau, dont le Commissaire du Gouvernement se trouvait être le baron de Launoit, Président de la Société. Hélas, moins d’un an après, la deuxième Guerre mondiale et l’Occupation allaient entraîner, pour l’Emulation, l’indisponibilité de ses locaux. De 1940 à 1948, ils sont réquisitionnés par le Département de la Justice. Ensuite, les trois derniers étages seront loués à la Radio, à l’Université, au Grand Liège ainsi qu’à des services-clubs.

Maison Renaissance © Ph.Vienne

Depuis 1985, le bâtiment de la place du Vingt-Août est loué à la Communauté française pour y abriter la Section des Arts de la Parole du Conservatoire Royal de Musique de Liège. La Société libre d’Emulation est réinstallée depuis 1986 dans la Maison Renaissance, dans une courette de la rue Charles Magnette. Ce petit édifice à tourelle d’angle, vestige subsistant du couvent des Sœurs de Hasque (classé, entièrement restauré en 1931 puis, extérieurement, en 1990) est à la fois son siège administratif, le lieu de certaines activités et le creuset de ses initiatives culturelles.

D’après un texte de Guy Dehalu, Administrateur-Secrétaire général de l’Emulation, Alfred Lamarche, membre de l’Emulation, et Anne-Françoise Lemaire.

  • image en tête de l’article : le nouveau bâtiment de l’Émulation après son inauguration en 1939 © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Anne-Françoise LEMAIRE, organisée en novembre 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

GODEAUX : Le tram et le trolleybus de Cointe (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

À la fin du 19e siècle, Liège possède quatre compagnies de tramways : le Chemin de Fer Américain créé en 1871, Frédéric Nyst et Cie qui exploite l’Est-Ouest en 1880, les RELSE (Liège-Seraing) en 1891 et les Chemins de Fer Vicinaux. Les transports publics se composent encore de diligences et de malles-postes. Cointe, bien qu’entourée de charbonnages, est une oasis de verdure et un lieu de divertissement grâce à ses guinguettes et au pèlerinage célèbre à Saint-Maur. Vu la création du parc de Cointe, pour accéder à ces terrains nouveaux, il s’avère nécessaire de disposer d’un moyen d’accès. Frédéric Nyst propose une liaison nord-sud partant de la gare de Vivegnis et atteignant le plateau, proposition refusée par le conseil communal. Une deuxième proposition vise à prolonger la ligne vers Sclessin et rendrait la ligne viable. Ce projet est également refusé, cette fois par la députation permanente.

Le 20 janvier 1893, une troisième proposition émane de Paul Schmidt, avocat, et elle est acceptée le 3 juillet 1893 pour une durée de 50 ans. Les droits sont immédiatement rétrocédés à une Société du Tramway de Cointe. La ligne, qui fut la première à être électrifiée à Liège, partait du bas de la rue Sainte-Véronique ; elle fut ouverte le 11 août 1895. La pente était de 3 à 5% ce qui est déjà considérable, en courbe constante. Il y avait quatre évitements : un place Sainte-Véronique et trois dans l’avenue de l’Observatoire. La longueur n’était que de 1.500 mètres. Le coût était de 150.000 francs de l’époque !

Il y avait quatre motrices, deux fermées d’une puissance de 25 chevaux construite par la société Electricité et Hydraulique qui deviendra plus tard les ACEC, et deux motrices ouvertes fournies par les Ateliers Germain. Le courant de traction était fourni par la Société Electrique du Pays de Liège. Le dépôt se trouvait à mi-parcours, dans le deuxième virage de l’avenue de l’Observatoire, où se situe maintenant l’arrêt dit “ancien dépôt.” La société était déficitaire mais son but était surtout de valoriser les terrains du parc. Elle intéressait le Liège-Seraing qui la reprit en avril 1905. La proximité de l’exposition laissait augurer un accroissement du trafic. La société souhaitait aussi éviter une prolongation vers Sclessin, ce qui aurait court-circuité la ligne du tram vert par la vallée. Quatre nouvelles motrices de 75 CV (type A) sont fournies par Ragheno. Il faut 15 minutes pour effectuer le trajet. Le prix, au départ de 15 centimes, montera progressivement à 90 centimes à la fin de l’exploitation.

Sauf à la Pentecôte, il n’y avait que deux voitures en ligne. Un projet de liaison du site de l’exposition au plateau par trolleybus AEG fut présenté mais resta sans suite, le matériel n’étant pas fiable. La ligne du tram de Cointe fut alors prolongée par une voie provisoire à travers le parc d’Avroy jusqu’à la rue Raikem où elle retrouvait le trajet de la ligne 9 pour rejoindre le Jardin d’Acclimatation. En 1927, un regroupement des compagnies fait que la ligne de Cointe est cédée aux Tramways Unifiés. En 1929, le trajet est prolongé vers le centre de la ville, place de la République française et ensuite place de la Cathédrale.

Le 31 juillet 1930, apparaissent les premiers trolleybus qui passent par la place des Wallons pour rejoindre l’avenue de l’Observatoire. Ce sont des voitures anglaises Ransomes de 60 CV qui se déplacent à 40 km/h. Le réseau de trolleybus se développant, la société achète de nouveaux trolleybus. L’expérience des véhicules anglais n’ayant pas été concluante, le choix se porte sur la FN : 30 voitures T32, partie électrique CEB et châssis et caisse FN en acier soudé. Le moteur autorise la récupération ce qui permet, en descente, de renvoyer de l’électricité sur la ligne. En 1937, ils seront suivis par 48 nouveaux qui y ressemblent sauf la face avant, et sont plus puissants : 75 CV. Ces véhicules auront des problèmes ; le carter du pont arrière est en aluminium et se brise. Ils devront être remplacés par des carters en acier. Les montants des fenêtres cassaient à hauteur de la ceinture par temps froid. Alors, ces montants ont été renforcés. En 1938, nouvelle commande de 28 trolleys FN dont dix seront livrés avant la guerre et les suivants seront achevés au dépôt Natalis car la FN était, à l’époque, sous séquestre allemand. Les pièces de rechange, et surtout les pneus, deviennent rares et la circulation des trolleybus se raréfie. Le 25 mai 1944, la ligne est interrompue à cause des dégâts causés par les bombardements.

Du 25 mars 1946 au 26 mai 1955, l’exploitation de la ligne est suspendue à plusieurs reprises par suite d’un glissement de terrain survenu avenue de l’Observatoire. Un terminus provisoire est aménagé près de l’ancien dépôt. Dans les voitures, le chauffage est installé, une place pour le percepteur est prévue, une troisième marche facilite l’accès mais ces trolleybus se révèlent inadaptés à la circulation automobile de l’après-guerre. Ils circuleront jusqu’au 16 septembre 1968 et seront remplacés par les autobus.

d’après Jean-Géry GODEAUX

  • Illustration en tête de l’article : ancien dépôt de Cointe (collection Jean Evrard) © histoiresdeliege.wordpress.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean-Géry GODEAUX, organisée en mars 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

CONCERT CHiCC | Camalova joue Mendelssohn & Mozart (Cointe, BE)

Troisième rencontre musicale de la saison 24-25 de la CHiCC, le dimanche 8 décembre 2024 à 16 heures, à la crypte de la « Basilique » de Cointe, rue des Moineaux 4000 Liège.

Le groupe Camalova est composé pour l’occasion de :

      • Clément Morelle,
      • Amélie Hanus,
      • Oliver Cope et
      • Adeline Römer au violon ;
      • Antoine Flandroy et
      • Muriel Beckers à l’alto ;
      • Loïc Duchêne et
      • Valérie Hamers au violoncelle

Ils joueront pour nous : l’octuor de Mendelssohn et le quatuor en do Majeur K.157 de Mozart. Ce groupe de musiciens amateurs liégeois joue régulièrement au sein des formations orchestrales liégeoises du CIMI et de l’OJNH. Depuis un an, ils ont décidé de se rassembler autour d’une œuvre majeure de musique de chambre : l’octuor de Mendelssohn. Cette œuvre fut écrite par le grand compositeur alors qu’il n’avait que 16 ans. On y trouve toute la fougue de la jeunesse teintée d’un lyrisme tout romantique. Elle met en avant la virtuosité de ses 8 musiciens et s’est imposée comme la pièce emblématique du répertoire pour cette formation. Une partie d’entre eux interprétera également une autre pièce, d’un autre génie de 16 ans : le jeune Mozart. Il s’agira de son quatuor en do majeur K.157.

      • Concert accessible à tous, participation (libre) au chapeau.
      • Réservations souhaitées : francine.herbillon@gmail.com ou SMS au 0494 83 13 21.

[illustration : Felix Mendelssohn (détail, 1847) par Wilhelm HENSEL © DP]

DE PIERPONT : Un tunnel pour bateaux sous la crête ardennaise ? L’épopée du canal de Meuse et Moselle (CHiCC,2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Guillaume d’Orange-Nassau a reçu le trône des Pays-Bas, de Belgique et la couronne grand-ducale au Luxembourg, trois territoires qui restent différents et le Grand-Duché a un statut particulier : il fait partie de la confédération germanique. Guillaume Ier s’intéresse au développement de son royaume et participe à la constitution de la Société Générale des Pays-Bas. Elle est au départ caissière de l’état, émet des billets de banque, gère un patrimoine foncier et agricole fort important et soutient l’économie nationale. En bon Hollandais, Guillaume Ier développe notre réseau de canaux. Le Grand-Duché a une surface double de celle actuelle : il englobe notre province de Luxembourg actuelle.

Rémi de Puydt, né juste après la Révolution française, est le fils d’un médecin militaire. En 1813, officier des armées napoléoniennes, il est blessé, puis devient receveur des droits et accises au Luxembourg. Après quatre ans d’études d’ingénieur de génie civil à Paris, il s’installe dans le Hainaut où il réalise le canal du Hainaut. De sa rencontre avec Guillaume Ier naît l’idée du canal de Meuse et Moselle, long de 263 km, destiné à relier Liège à Trèves et de faire sortir le Luxembourg de son isolement économique. Un dénivelé de 379 mètres côté mosan et de 305 mètres côté rhénan entraînerait la construction de 205 écluses. Pour franchir la ligne de partage des eaux entre les deux bassins, Rémi de Puydt a l’idée, non pas de creuser une tranchée qui eut été énorme, mais de forer un tunnel (le mot n’existait pas encore, on parlait de ‘galerie souterraine’) à 60 m sous la crête. Il fallait aussi canaliser les rivières, installer des chemins de halage, modifier certains ponts, prévoir des lacs réservoirs pour régulariser le cours en période d’étiage. Le projet prévoyait aussi neuf autres souterrains plus courts pour recouper des méandres de l’Ourthe.

L’empereur romain Claude au 1er siècle après Jésus-Christ avait déjà eu le projet de raccorder la Meuse au Rhin, en passant au nord de Visé. Au 16e siècle, Philippe II d’Espagne, soucieux de créer une frontière naturelle avec les Pays-Bas protestants, reprit l’idée. Quelques siècles plus tard, Frédéric le Grand, célèbre roi de Prusse, revient au projet sans succès. Napoléon rêve aussi d’un canal qui serait passé plus au nord dans les plaines de Hollande, financé par un impôt sur l’eau-de-vie.

Rémi de Puydt parvint à convaincre une série de financiers à la Société Générale et est soutenu par le roi Guillaume Ier. La Société du Luxembourg créée, elle obtient la concession à perpétuité à condition que les travaux soient finis en cinq ans. Nous sommes en 1827. L’évaluation des travaux monte à 100 000 florins, somme considérable, répartie en 2 000 actions de 5 000 florins que l’on peut payer en cinq tranches. Dans l’ensemble de la Hollande, seulement vingt titres sont vendus ! À Bruxelles, cent titres sont acquis essentiellement par les administrateurs. Au Luxembourg, on en vend sept. Guillaume Ier et sa famille souscrivent 500 actions, espérant relancer l’entreprise, mais sans résultat. Malgré tout, les entrepreneurs décident de commencer les travaux par le percement du tunnel. Le chantier est installé près du village de Tavigny [Houffalize]. On attaque la galerie de 2 728 m par les deux extrémités ; la largeur est de 3,5 m et la hauteur de 5,5 m. Le travail avance d’un mètre par jour. 200 à 300 ouvriers sont sur place, ce qui provoque un grand bouleversement social et un choc culturel dans un monde d’agriculteurs.

A part les travaux du souterrain, peu de choses bougent et les finances sont trop faibles. Les travaux à réaliser tout au long du cours de l’Ourthe sont démesurés. Le délai imparti de cinq ans est trop court. En 1829, de Puydt obtient la collaboration d’artificiers de l’armée. Entretemps, la tension contre les Hollandais monte, l’armée néerlandaise est mise en déroute à Bruxelles et se retire. Le gouvernement provisoire proclame l’indépendance. Au Luxembourg, la moitié des communes a pris parti pour la Belgique, l’autre moitié est restée sous le joug des Hollandais et même des Prussiens car, si le territoire est menacé, en vertu des accords de la Confédération germanique, la Prusse vient à la rescousse. Il faudra attendre neuf ans pour que la situation se clarifie.

Rémi de Puydt a été nommé commandant de la garde civique de Mons, puis lieutenant-colonel, commandant en chef des troupes du génie de la jeune armée belge. Beaucoup d’entrepreneurs partent en exil. On continue à creuser le souterrain mais il n’y a plus de liquidités, plus de poudre, la situation politique est de plus en plus compliquée. Guillaume Ier vient de revendre toutes ses parts de la Société Générale, à la Belgique. En août 1831, le gestionnaire des travaux décide d’interrompre le chantier, de façon provisoire espère-t-il. 1130 mètres ont été creusés. En 1839, le traité des 24 articles scelle la situation du Grand-Duché et le territoire est séparé en deux, en suivant la ligne des crêtes. Cela change tout : une frontière coupe désormais le canal et le projet s’enlise complètement. En 1848, le canal de l’Ourthe refait parler de lui. À Londres, trois hommes d’affaires détiennent toutes les actions de la Société du Luxembourg et ils se disent prêts à reprendre les activités. Le canal se limiterait désormais au tronçon entre Liège et La Roche. Entre 1852 et 1857, les travaux reprennent et ce canal a fonctionné jusqu’au milieu du 20e siècle. Puis c’est le chemin de fer qui a progressivement tué cette activité.

Rémi de Puydt sera nommé ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, deviendra député pour l’arrondissement de Mons et, enfin, administrateur de l’établissement belge au Guatemala.

Les terrains expropriés sont revendus progressivement. Actuellement, comme la nature a repris ses droits, l’entrée du tunnel devient de moins en moins visible. La galerie s’est effondrée à près de 400 m, les puits ont été rebouchés, le site, classé, est voué à devenir un refuge pour les chauves-souris.

d’après Géry de Pierpont

  • Illustration en tête de l’article : le tunnel de Bernistap © la-truite.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Géry de Pierpont, organisée en février 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HALLEUX : L’industrie à Liège du temps de John Cockerill (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

John Cockerill est un peu l’arbre qui cache la forêt. Il la cache par son génie, par le mythe qui s’est créé autour de son personnage et autour de ses œuvres. Et pourtant, il n’était pas le seul, les vieux ouvriers disaient qu’ils travaillaient “amon Dallemagne“, “amon Michiels” ou “amon Orban” [“chez Orban”] selon qu’on parlait de l’une ou l’autre usine. Il y a tout un monde qu’il faut évoquer. Pourquoi, dans les années 1780-1830, notre région liégeoise est-elle devenue un des pôles du développement industriel européen ? Pourquoi à Liège et pas ailleurs ? Certes, il y avait du minerai de fer, on a recensé 300 anciennes petites mines de fer ; il y avait du charbon, mais il y en avait aussi ailleurs. Il faut chercher la réponse du côté des hommes, de leur savoir, de leurs réactions.

C’est ce monde des années 1780 à 1830 que nous vous invitons à découvrir. Il a donc connu cinq régimes : les derniers princes-évêques, la Révolution française, l’Empire français, le régime hollandais et la Belgique léopoldienne. Il faut pénétrer dans les lieux où se réunit ce monde. Trois grandes sociétés liégeoises sont créées dans les mêmes années : la Loge “La parfaite Intelligence, la société libre d’Emulation et la Société littéraire. Les personnes qui se retrouvent dans ces sociétés sont souvent les mêmes. C’est un univers d’intellectuels, d’aristocrates, de bourgeois qui partagent les mêmes intérêts. Il y a des politiques, des inventeurs, des financiers dont l’idéal est celui des Lumières. C’est à la fois le libre examen et le libre échange. Ils désirent appliquer la méthode scientifique dans tous les domaines, dans les matières de sciences, dans les matières d’éducation, de politique, de religion, d’économie c’est-à-dire qu’ils mettent la science au service de la prospérité publique. Ils veulent introduire toute espèce de nouveau procédé, élever le niveau d’instruction des ouvriers qui sont trop souvent, à ce moment, esclaves de la routine.

Au cours des cinq régimes évoqués ci-dessus, on trouve la même politique d’encouragement et de développement. Velbrück était un ami des encyclopédistes, il était franc-maçon et un des aspects de lui moins connu : ami des arts et des manufactures. Ce concept d’émulation se défini à l’époque comme une honnête rivalité pour l’honneur et pour le bien, une compétition dans le pays pour susciter le plus possible de talents. La société l’Emulation pose des questions : comment prémunir les mineurs contre les accidents, trop fréquents ; comment perfectionner les moyens de pompage dans les mines ; comment fabriquer du fer avec du charbon de terre alors qu’on utilisait le charbon de bois.

Les élites anglaises et américaines venaient étudier à Liège au collège des jésuites anglais, supprimé en 1773. Velbrück y voit l’occasion de créer un enseignement supérieur de la physique et des mathématiques de très haut niveau, ouvert cette fois aux élites liégeoises et européennes. Il crée en même temps le grand collège installé dans l’université, l’académie et des écoles de mathématiques et de géométrie pour les artisans. Il s’agit de doter Liège d’un enseignement spécialisé à la fois du point de vue technique, du point de vue général et même du point de vue médical et juridique. Ces idées seront reprises après la parenthèse révolutionnaire. Le régime français crée un conseil d’agriculture et des arts et manufactures, équivalent de la chambre de commerce. Il crée aussi une société des sciences physiques et médicales.

Les inventeurs sont trouvés dans le même milieu de la société d’Emulation. Ils se tiennent au courant de l’actualité scientifique. Spa est le rendez-vous de toutes les élites industrielles. Autour de l’analyse des eaux, se développe un milieu scientifique avec deux frères ennemis, les frères de Limbourg : Jean-Philippe et Robert, un chimiste et un géologue. Dans leur fourneau de Juslenville, ils font des recherches pour utiliser le charbon de terre en le transformant en coke. Jean-Jacques-Daniel Dony prend la concession de la Vieille Montagne et cherche comment produire du zinc métallique à partir du minerai. Les frères Poncelet de Sedan s’intéressent à la cémentation du fer pour faire de l’acier. Jean Gossuin les invite à Liège où ils entrent en contact avec un chimiste pour expérimenter les céments afin de fabriquer des limes. Ils trouvent un client important : la fonderie de canons créée par les préfets en 1803. Napoléon a, en effet, voulu redonner à Liège sa vocation de grande cité armurière en créant la fonderie de canons. Il y a donc eu interaction entre des savants et des chercheurs. La société d’encouragement de Paris couronnera deux liégeois en 1810 : Cockerill pour ses machines à tisser et à filer, et les frères Poncelet pour leur fabrication de limes en acier. Ils vont ensuite arriver à pouvoir fondre l’acier dans leurs creusets et fabriquer de l’acier coulé. Nous sommes dans un monde d’inventeurs doublés de bons investisseurs et de bons financiers.

Voici maintenant le monde des financiers. John Cockerill est le plus mauvais exemple car c’est un génie de la mécanique qui croit que ses machines sont tellement bonnes qu’il pourra toujours en vendre ! Les Orban sont des petits commerçants qui construisent un haut fourneau, produisent des tôles, fabriquent des bateaux en fer. Les Lamarche démarrent par la mécanique et s’associent avec un constructeur britannique pour construire des machines à vapeur. Pour celles-ci, il faut du fer et ils vont acheter des hauts fourneaux, des charbonnages, des fours à coke. Il sont aussi liés à la politique car une des filles Orban a épousé un avocat du nom de Frère qui deviendra l’illustre Frère-Orban.

Le milieu des travailleurs qui possèdent le savoir-faire et qui ont su s’adapter aux techniques nouvelles joue aussi un rôle important. Les Liégeois ont été forts dans la construction des machines à vapeur parce qu’ils étaient spécialisés dans l’industrie armurière. Puisqu’ils savaient forer et polir des canons de fusils, ils pouvaient faire de même pour les cylindres de machine à vapeur.

Le grand développement liégeois résulte d’un milieu complexe qui interagit. Le capital des uns, le savoir-faire traditionnel des autres, l’innovation technologique des savants, l’appui des politiques, constituent la recette de cette première réussite.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : John Cockerill à la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie à Liège © cyberliegemagazine.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en janvier 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HOSAY : Grétry, musicien liégeois (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

André-Modeste GRETRY est né en 1741 en Outremeuse, rue des Récollets au n°34. Le premier Grétry à être recensé est Arnold, fermier de la Comtesse Marie d’Argenteau, en 1540. Son nom provient d’un petit hameau de la région de Bolland. Le père d’André-Modeste était premier violon à Saint-Martin puis à Saint-Denis. Son fils commence sa carrière musicale à Liège où il va rester pendant 19 ans. Comme il n’existe pas encore d’école musicale, il doit entrer dans la maîtrise d’une église et son père l’introduit à Saint-Denis où il chante comme enfant de chœur. Il s’intéresse plus à la musique théâtrale qu’à la musique religieuse.

Le chanoine Simon de Harlez, de la cathédrale Saint-Lambert, le remarque et lui permet de se rendre à Rome où il sera intégré à la fondation Lambert Darchis. Dans ses mémoires, il raconte son voyage à pied. L’italianisme est en vogue et Grétry entend une troupe de chanteurs italiens qui chante La servante maîtresse de Pergolèse. C’est pour lui une révélation car il découvre l’opéra italien. À Rome, le théâtre Alberti lui commande, en 1766, un opéra qui s’appelle Les vendangeuses. Il obtient un grand succès. Au retour de son voyage, il passe par Genève où il entre en contact avec la musique française et l’opéra comique, alternance de parties chantées et de parties parlées. Il y rencontre Voltaire et Jean-Jacques Rousseau.

Grétry se rend ensuite à Paris. Il va être rebuté par l’art de Rameau qui est assez statique et froid par rapport à l’italianisme. Son premier opéra parisien sera un échec retentissant. Il va alors essayer de faire une synthèse entre l’art français, statique, et l’art italien, plus chaleureux. Il écrit Le huron qui triomphe unanimement dans la capitale française. Grétry était devenu un familier de la cour de Louis XV puis de Louis XVI. Dans ses opéras, il prône des valeurs de la noblesse, des valeurs assez élitistes.

Gretry par Élisabeth Vigée-Lebrun (1785) © BnF

En 1789, il va devoir ajuster sa vision dans des œuvres qui ne seront pas ses meilleures. Il s’installe au boulevard des Italiens, au n°7. Il aura une deuxième gloire sous le Directoire et le Consulat. Il sera admis à l’Institut, où il va siéger à côté de David, et il sera nommé Chevalier de la Légion d’honneur par Bonaparte. Sa santé commence à décliner et il acquiert alors l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau, son philosophe préféré, ermitage où il se retire. Mais il est trop lié au contexte de son époque pour pouvoir continuer à avoir du succès. C’est la différence entre un artiste créateur et un génie créateur. Alors, il n’écrit plus de la musique mais de la littérature intéressante : il consigne son esthétique, sa pensée musicale, il écrit son autobiographie.

Grétry a quitté Liège à 19 ans et y est revenu deux fois au cours de sa vie : en août 1776 et en décembre 1783. Lors de ses deux passages, il a reçu un accueil triomphal. Velbruck l’a nommé son conseiller musical personnel. La société l’Emulation a tenu une séance exceptionnelle en son honneur et la foule se pressa pour l’accueillir. En 1804, il voulait revenir voir sa sœur qui était abbesse dans un couvent près de Huy mais sa santé ne le lui permit pas. Il décède en 1813 et reçoit à Paris des funérailles grandioses. Il est inhumé au Père Lachaise. Il avait émis le souhait d’être enterré à Liège et la Ville a voulu suivre ses volontés mais il y eut un très long procès de 14 ans entre la Ville de Liège et les héritiers de Grétry. Ceux-ci voulaient conserver la dépouille à l’ermitage de Jean-Jacques Rousseau pour y attirer du public.

Le Conseil d’Etat de Charles X a donné raison à la Ville de Liège qui a fait revenir le cœur dans la Cité ardente. L’urne qui a servi au transfert est restée longtemps dans le cabinet du bourgmestre et elle est maintenant au Musée Grétry. La Ville a lancé en 1836 un concours pour la réalisation de la statue que nous connaissons et dans laquelle le cœur sera déposé. Son érection, face à l’Emulation place du XX Août en 1842, a donné lieu à une fête populaire où se remarqua la présence de Meyerbeer et de Mendelssohn, et Liszt a donné un concert. La statue a été finalement déplacée, 24 ans plus tard, en face du Théâtre Royal.

La maison natale de Grétry, un immeuble de style liégeois Louis XV, a été pendant longtemps la propriété d’une famille d’imprimeurs, les Dubois-Desoer, qui l’a donnée à la Ville de Liège au milieu du 19e siècle. Deux conditions furent exigées : perpétuer les souvenirs attachés aux lieux et faire don des profits éventuels à l’encouragement des études musicales. La collection Grétry a réintégré la maison natale en 1913. Les premiers éléments avaient été mis en place par Jean-Théodore Radoux qui était le directeur du Conservatoire de Liège. Celui-ci avait rassemblé quelques souvenirs de Grétry mais ils n’étaient pas accessibles au grand public.

En 1985, Madame Radoux décédée, les responsables se sont trouvés dans l’embarras. Le musée a été fermé, hélas, pendant plusieurs années jusqu’en 1991. Dans le grenier de l’annexe de la maison de Grétry ont été retrouvés des sculptures et des instruments de musique. La bibliothèque recèle de nombreux écrits musicaux et littéraires de Grétry. On a recensé 125 effigies de Grétry : peintures, dessins, lavis, médailles, bustes… Dans cet intéressant musée, se trouve aussi la copie du célèbre portrait peint par Élisabeth Vigée-Lebrun, dont l’original est au Musée de Versailles (…).

d’après Nathalie HOSAY

  • image en tête de l’article : statue de Grétry à Liège © lespetiteshistoires.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Nathalie HOSAY, organisée en mars 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

GILSON : La musique en principauté de Liège au 18e siècle (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

La période envisagée s’étend entre Henri Dumont, grande figure liégeoise du 17e siècle qui est allé faire carrière auprès du roi de France Louis XIV, et César Franck, un des tout premiers étudiants issu de notre Conservatoire de Liège, qui est allé, lui aussi, faire carrière à Paris. Au 18e siècle, la mode conduisait plutôt les musiciens liégeois vers l’Italie et le goût italien.

A la fin du 17e siècle, un voyageur français, Duplessis, visitant Liège, avait admiré la somptuosité du service à la cathédrale Saint-Lambert. Il a écrit ceci : “Le service s’y fait avec une plus grande cérémonie qu’en aucun lieu que j’aie vu excepté à Rome et à Notre-Dame de Paris. Il y a une musique excellente et très bien entretenue, remplie toujours d’une très grande quantité de voix, et donne envie à tous ceux qui entrent dans cette église d’y arrêter avec attention pour l’entendre”. Par l’évocation de ces deux villes, Rome et Paris, Duplessis avait sans le vouloir désigné la double influence qui se manifestait dans la musique à Liège au 17e siècle. Un événement important allait modifier l’équilibre au profit de l’Italie. En 1699, le chanoine Lambert Darchis fonda à Rome l’Hospice liégeois. Cette fondation devait permettre à de jeunes liégeois, sculpteurs, peintres, musiciens, architectes, étudiants en droit et en médecine, d’aller se perfectionner en Italie sans dépendre du Collège germanique comme c’était le cas auparavant. Dès lors, le mouvement qui orientait déjà si volontiers les musiciens liégeois vers la péninsule s’accentuera. Théâtre, concerts, musique d’église feront de Liège au 18e siècle une province de l’Italie.

En 1728, un jeune homme âgé de 19 ans, élève des jésuites et chantre à la cathédrale Saint-Lambert, se rendait à Rome afin d’y parfaire sa formation. C’est Jean-Noël Hamal. Il était né le 23 décembre 1709 et allait décéder le 26 novembre 1778. Il était fils de Henri-Guillaume Hamal, second maître de chant à la cathédrale, et avait reçu de son père une tradition musicale qui remontait aux origines du style. De ce premier séjour italien qui se termina en 1731, il rapporta le goûût d’une musique nouvelle et plus animée. Celle-ci allait exiger des musiciens plus avertis et des orchestres plus fournis.

Ont existé aussi des clavecinistes à Liège. Un facteur de Theux émigré à Paris apporta des améliorations dans la conception de ces instruments pour les rendre plus expressifs et plus chantants. Il atteignit ce but par l’utilisation de becs en cuir de buffle à la place des becs en plumes de corbeau, ainsi que le placement de genouillères pour actionner les registres. On doit plusieurs pièces de clavecin à Jean-Noël Hamal. À cette époque fleurirent de très nombreux périodiques musicaux, signe d’une grande culture musicale.

De son deuxième séjour en Italie, Hamal rapporte plus de maîtrise mais aussi l’idée de composer de petits opéras-bouffes en langue dialectale. Le théâtre liégeois, c’est, en fait, un ensemble de quatre opéras en langue wallonne mis en musique en 1757-1758 par Jean-Noël Hamal. Il est la source de tout le théâtre en wallon liégeois, tant parlé que chanté. Les librettistes sont notamment le chevalier Simon de Harlez et Jacques-Joseph Fabry, qui deviendra bourgmestre de Liège. Ces messieurs sont des assidus du théâtre de la Baraque, premier théâtre de Liège. Ce dernier s’érigeait sur le quai de la Batte, pas loin de la passerelle Saucy, dans l’espace actuellement dégagé devant la grand-poste. Des troupes italiennes s’y produisent, ce qui inspirera notamment un opéra burlesque en wallon, en 1757, Le voyage de Chaudfontaine.

André-Modeste Grétry est né à Liège le 8 février 1741 et il mourra à Paris le 24 septembre 1813. Il traversera tous les régimes et tirera chaque fois son épingle du jeu. Musicien de la reine Marie-Antoinette, révolutionnaire, il s’est retiré dans l’ermitage de Rousseau. Il est souvent revenu à Liège. Il y chercha un maître qu’il ne trouva pas car il y manquait un conservatoire et des maîtres savants. Alors, il se rendit à Rome.

L’essor du nouvel opéra comique français développé par Grétry (il en a écrit 40) confirme la disparition du théâtre italien à Liège et étouffe le jeune théâtre liégeois en wallon. Hamal retourne à la grande musique des messes et des oratorios.

En 1789, le pays de Liège fit sa révolution, à l’image de la France. La cathédrale fut démolie en 1793 et Henri Hamal, neveu de Jean-Noël, put heureusement sauver une grande partie des partitions qui avaient fait la réputation de la ville aux 17e et 18e siècles. Elles se trouvent maintenant à la bibliothèque du Conservatoire de Liège.

Sous le régime hollandais, la vie musicale renaît et une école de musique, créée en 1826, deviendra conservatoire royal en 1831. Dans la Belgique nouvelle, la ville de Liège ne tardera pas à jouer un rôle musical important.

d’après Philippe GILSON

  • image en tête de l’article : Musée d’Ansembourg © proantic.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Philippe GILSON, organisée en avril 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MEZEN : Sainte-Walburge, d’une légende à un cimetière (CHiCC, 2008)

Temps de lecture : 3 minutes >

Une légende nous raconte qu’en 712, la fille du Roi d’Ecosse retrouva la vue sur les hauteurs de Liège, à Sainte-Walburge, en découvrant la beauté de la ville, et qu’elle y fit ériger un oratoire.

Mais la première trace historique de ce sanctuaire remonte à 1338, dans un courrier du prince-évêque Adolphe de la Marck. A la même époque, dans ce qui s’appelait “le faubourg Sainte-Walburge”, un Liégeois, un certain Guillaume Gillard del Cange, y fit ériger une construction pour lépreux. Ce type d’établissement, que l’on nommait à l’époque une maladrerie, tenait plus de l’hospice que de l’hôpital et, de par sa nature, exigeait la proximité d’un cimetière. Très vite, ce cimetière devint pour la population “le cimetière des Lépreux”.

Après l’abandon de l’hôpital, pillé par des escrocs, c’est un nommé Pierre Stevart qui racheta le terrain et ce qui restait de l’ancien édifice pour y faire construire une église. Lors des troubles, en effet nombreux à l’époque, les portes de la ville restaient fermées et les habitants n’avaient plus d’accès à une église. Quant au “cimetière des Lépreux”, il fut reconverti en cimetière paroissial, autour de l’église, selon la tradition de l’époque.

Le décret de Napoléon de 1804 modifiera le paysage des cimetières liégeois. Ce décret interdit l’inhumation dans les églises et à l’intérieur des villes. Tous les petits et nombreux cimetières paroissiaux vont disparaître, celui de Robermont est créé. Cependant, le cimetière de Sainte-Walburge subsistera jusqu’en 1866, notamment parce qu’il se trouve en dehors des remparts.

Un seul cimetière sur la rive droite était insuffisant et la décision d’implanter un nouveau cimetière rue Fosse Crahay fut prise par la Ville de Liège en 1868. Le projet de créer un nouveau cimetière sur la rive gauche de la Meuse réunit une belle unanimité. Par contre, le choix du lieu exact d’implantation donna lieu, déjà, à des palabres qui s’éternisèrent cinq mois durant, de mai à octobre 1868. Le conflit portait sur la salubrité des eaux de captage de la Ville, qui aurait pu être mise en cause selon l’endroit où la nouvelle nécropole serait située. En effet, les galeries des fontaines Roland ne sont distantes du site que de 600 mètres.

Finalement, un accord émergea et le Conseil communal vota l’implantation du cimetière de Sainte-Walburge à l’endroit où nous le connaissons actuellement. Il sera inauguré le 20 mars 1874 et une voie d’accès créée pour le relier au faubourg Sainte-Walburge, le boulevard Fosse Crahay.

Bien qu’il ne représente que la moitié des 44 ha de Robermont en superficie, le cimetière de Sainte-Walburge n’a rien à lui envier sur le plan historique, botanique ou environnemental. Même si une telle notion peut surprendre, chaque nécropole possède sa propre philosophie dans l’art funéraire et cette différence apparaît intéressante à analyser dans le cas des deux plus grands cimetières liégeois.

On ne trouve à Sainte-Walburge que peu de sépultures imposantes, beaucoup moins qu’à Robermont, beaucoup moins aussi de personnages qui se rappellent à nous par le nom d’artères importantes de la ville que nous empruntons quotidiennement ; on n’y découvre pas non plus la même recherche architecturale qui fait une partie de l’éclat de Robermont. Par contre, et ceci est symptomatique, d’innombrables médaillons rappellent aux visiteurs la physionomie des défunts, ce qui reste une indication que Sainte-Walburge possède une philosophie plus familiale que Robermont, plus proche de la population qui le fréquente. On y découvre ainsi énormément de personnages néanmoins connus et qui se sont révélés très attachants, parfois surprenants.

Si vous vous promenez dans le cimetière de Sainte-Walburge, vous découvrirez ainsi les sépultures de Emile Sullon, Jean Haust et Théophile Bovy, auteurs wallons, Henri Noinem, Désiré Horrent et Louis Radermecker, résistants, Maurice Destenay, Joseph Bologne et Georges Truffaut, hommes politiques, Jacques Ochs, dessinateur et caricaturiste, Henri Koch, violoniste, Henri Lacroix, guérisseur, Auguste Mindels et Ferdinand Delarge, sportifs, Edgar Scauflaire et Fernand Vetcour, peintres, et Maurice Waha, héros de Sainte-Marguerite, et bien d’autres.

Il est évidemment impossible de citer tous les personnages repris dans le livre, Le cimetière de Sainte-Walburge, 130 ans d’histoire, que j’ai consacré à cette nécropole. Il convient aussi de ne pas négliger l’aspect botanique du cimetière. C’est pourquoi un bel après-midi d’automne vous permettra de passer d’agréables moments dans un environnement bucolique tout en redécouvrant des pans de l’histoire liégeoise.

Chantal MEZEN

[image en tête de l’article : cimetière de Sainte-Walburge © Philippe Vienne]

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Chantal MEZEN, organisée en février 2008 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

FETTWEIS : Les changements climatiques en Belgique, vers des étés de plus en plus chauds et secs (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 7 minutes >

[ULIEGE.BE] Le climat se réchauffe et cela ne fait plus aucun doute que les activités humaines en sont responsables. Mais concrètement, qu’est-ce qui nous attend chez nous à Liège et à quoi devrons-nous nous adapter ? Quel climat allons-nous avoir dans un monde à +2°C (en 2040) ? Comment seront nos étés ? Pourrait-on encore avoir un événement pluvieux extrême comme celui de Juillet 2021 ou doit-on se préparer à des sécheresses extrêmes ? Quels seront les impacts sur nos forêts, l’agriculture ou encore notre santé ?


Après une licence en mathématiques à ULiège en 2000, Xavier Fettweis défend sa thèse sur le climat du Groenland chez le Prof. Jean-Pascal van Ypersele de l’UCL en 2006. De retour à ULiège, il coordonne le développement du modèle régional du climat MAR utilisé notamment pour étudier la fonte des calottes polaires et les changements climatiques en Belgique au Laboratoire de Climatologie qu’il dirige depuis 2017, d’abord en tant que chercheur qualifié du FNRS, puis comme professeur depuis 2023.


A cause des activités humaines, on pourrait gagner en Belgique près de +4°C en 2100 par rapport à 1981-2010 et c’est surtout en été et en Ardenne que la hausse des températures sera la plus importante. Il faudra aussi faire face de plus en plus à des sécheresses en été, entrecoupées de quelques événements pluvieux intenses comme celui de juillet 2021. L’eau manquera donc souvent en été, ce qui impactera durablement nos forêts (qui devront s’adapter) ainsi que des écosystèmes uniques comme celui des Hautes-Fagnes qui ne seront plus en équilibre avec notre climat.

Ce n’est plus un secret pour personne que le climat est en train de réchauffer et il n’y a maintenant plus aucun doute que ces anomalies climatiques sont dues aux activités humaines car naturellement, on irait plutôt vers une glaciation dans 100.000 ans. Depuis 1850, la concentration des gaz à effet de serre a augmenté de près de 50 % à cause des activités humaines et il n’y a plus aucun doute que cette augmentation explique la hausse des températures observée. Au début des années 2000, le GIEC restait encore prudent sur le lien entre activités humaines et hausse de température car seuls les modèles suggéraient une hausse des températures qui n‘était pas (encore) observée. Depuis lors, les changements climatiques se multiplient (hausse du niveau des mer, retrait des glaciers, fonte des calottes polaires, augmentation du nombre et intensité de canicules….) et si on veut reproduire avec les modèles du climat ce qui est observé, on est obligé de tenir compte de l’augmentation des concentrations des gaz à effet serre liée aux activités humaines. Cela a permis au GIEC de conclure sans équivoque dans son 6ème rapport (en 2021) que seules les activités humaines peuvent expliquer le réchauffement climatique observé. Bref, il n’y a plus lieu aujourd’hui d’être climato-sceptique même s’il y a 20-30 ans, une telle position restait défendable.

Figure 1: Evolution de la température annuelle à Liège simulée par la modèle MAR d’ULiège forcé par les réanalyses ERA5 (~ observations) en bleu et par 6 modèles globaux du GIEC (en rouge) en utilisant le scénario SSP370.

Et en Belgique, qu’en est-il ? Par rapport à la période 1981-2010 (respectivement 1850), on a gagné près de +1°C (respectivement +2°C) sur la période 2011-2022 et ce, en particulier en Ardenne et en été. Les précipitations annuelles ont peu changé ; par contre, les chutes de neige ont déjà diminué de près de 25 % en moyenne sur la dernière décennie. Malheureusement, cette tendance ne va pas s’inverser dans les prochaines années. Même si, à la suite des Accords de Paris (COP21, 2015), on aurait pu espérer limiter le réchauffement climatique à +1.5°C en 2100 par rapport à 1850 (scénario SSP126 du GIEC), on est malheureusement aujourd’hui loin de cet objectif avec les engagements réellement pris jusqu’ici (COP28, 2023). Le scénario le plus probable actuellement est une hausse de la température globale de ±3.5°C en 2100 par rapport à 1850, ce qui correspond au 2éme moins « pire » scénario du GIEC (scénario SSP370) montré sur la Figure 1 pour la ville de Liège. On peut notamment y voir que les modèles sous-estiment le réchauffement actuellement observé (courbe en bleu) et donc que ces chiffres sont donc la fourchette basse de ce qui nous attend, hélas.

Figure 2: Statistiques observées (basées sur le modèle MAR forcé par les réanalyses ERA5) et projetées (basées sur MAR forcé par 6 modèles globaux) pour différentes périodes selon le scénario SSP370 pour Liège.

En Belgique, le hausse de température sera tout d’abord la plus marquée en Ardenne qu’en Flandre où la Mer du Nord (qui met beaucoup plus de temps à se réchauffer que l’atmosphère) va en quelque sorte atténuer le réchauffement climatique dans un premier temps (voir Figure 3). En hiver, c’est surtout les nuits qui vont devenir moins froides alors qu’en été, c’est surtout les maximums de température qui s’envoler.

Alors que la température annuelle augmenterait de près de +1.5°C en moyenne en Région Wallonne en 2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010, la hausse de température atteindra par contre +2°C en été en Ardenne. N’oublions pas que la période de référence pour le GIEC est 1850-1900 et donc un Monde (i.e. la température moyenne globale) à +2°C selon le GIEC correspond à une Belgique à +3°C selon cette même période de référence. A l’échelle annuelle, la quantité de précipitations changerait peu mais par contre, les précipitations diminueront significativement en été alors que seuls les hauts sommets de nos Ardennes verront encore un peu de neige à la fin de ce siècle.

Figure 3: a) Anomalie de la température annuelle simulée en ~2040 (Monde à +2°C) par rapport à 1981-2010. b) pour la température en été (Juin-Juillet-Aout). c) pour les précipitation annuelles (en % par rapport à la moyenne 1981-2010) et d) pour les précipitation en été selon le modèle MAR.

Après les inondations de juillet 2021, il est légitime de se poser la question de savoir si cet événement est dû au réchauffement climatique et s’il pourrait se répéter. Pour répondre à ces questions, nous avons forcé notre modèle du climat MAR avec des observations depuis 1950 et avec plusieurs scénarios futurs du GIEC. Tout d’abord, par comparaison au maximum de précipitation sur 3 jours observé dans la Vallée de la Vesdre depuis 1950, 3 événements ressortent 7-9 octobre 1982, 12-14 septembre 1998 et 13-15 juillet 2021. Déjà en 1982 et 1998 la Vallée de la Vesdre avait été inondée mais la quantité de précipitation tombée en moyenne sur la Vallée en Juillet 2021 (160mm/3jours) surpasse largement la quantité tombée en 1982 (105mm/3jrs) et 1998 (115mm/3jours) ce qui explique le caractère exceptionnel de l’événement de juillet 2021. Dans les projections futures, on constate tout d’abord que ce genre d’événement n’est pas suggéré dans les simulation MAR forcées par les scénarios du GIEC avant 2020 ; ce qui montre que sans le réchauffement climatique lié aux activités humaines, un événement d’une telle intensité aurait été improbable. Après 2020, le modèle suggère malheureusement que cet événement pourrait se répéter 2-3 fois d’ici 2050. Après 2050, si on limite le réchauffement global à +1.5°C, le climat de la Belgique serait alors très favorable à ce genre d’événements qui pourraient devenir récurrents (tous les 10-20 ans). Si par contre le climat continue à se réchauffer, les étés deviendraient alors trop chauds et secs pour favoriser de tels événements qui resteront toutefois probables.

Le problème en été serait alors plutôt les sécheresses et les canicules favorisant des feux de forêts. Il est important de noter que nos forêts ne sont (ou ne seront) plus en équilibre avec le climat actuel et sont donc malades favorisant la présence de bois morts augmentant ce risque d’incendie. Pour ce qui est des autres événements extrêmes locaux comme les orages, tornades, rafales de vent…, il reste encore beaucoup d’incertitudes car les modèles du climat ne sont pas encore capables de les représenter explicitement. La hausse des températures permettrait d’augmenter l’intensité de ces événements locaux car il y aurait plus d’énergie pour les alimenter mais les connaissances actuelles ne suggèrent pour le moment pas de changement dans leurs fréquences. Toutefois, une chose est sûre, avec l’augmentation du bâti et des surfaces imperméables, un même événement du passé fera plus de dégâts qu’avant. Enfin, il est important de noter que la variabilité interannuelle (c-à-d. le fait d’avoir une succession d’années humides ou sèches) des précipitations aussi bien annuelles qu’en été va augmenter significativement en Wallonie (voir Figure 8). Cela suggère notamment qu’on aura plus souvent des étés secs (1 été sur 3 contrairement à 1 sur 6 actuellement) compensés par des étés plus humides (1 été sur 5 contrairement à 1 sur 6 actuellement) expliquant qu’en moyenne la diminution projetée des précipitations reste faible.

Pour rester en équilibre avec un climat qui leur est favorable, les écosystèmes vont soit devoir s’adapter, soit migrer en altitude ou en latitude pour retrouver un climat plus froid. Un exemple d’écosystèmes chez nous qui ne pourra ni monter en altitude ni en latitude est celui qu’on retrouve dans nos Hautes-Fagnes et qui a besoin d’un climat froid et humide. Les Hautes-Fagnes risquent donc à terme de s’assécher en surface et donc se reboiser.

Autres exemples d’écosystèmes qui ne sera plus en équilibre avec notre climat, ce sont les forêts d’épicéas et de hêtres qui sont des arbres avec des racines peu profondes et donc très sensibles aux sécheresses estivales qui devraient malheureusement s’intensifier et se multiplier dans le futur.

Jusqu’à maintenant, on considérait en Belgique que les ressources en eau étaient infinies, en particulier en Ardenne. Ce ne sera bientôt plus le cas car notre climat va progressivement s’approcher de celui du Gers (au Sud-Ouest de la France) où on ne compte plus les petites retenues au fond des vallées stockant les pluies hivernales pour irriter l’agriculture en été. Ces petites retenues permettraient aussi d’atténuer les conséquences d’événements de pluie extrêmes déjà intensifiés par l’augmentation de l’imperméabilisation des sols, indépendamment des changements climatiques. Enfin, il faudra s’adapter  aux grosses chaleurs en construisant des maisons passives à la chaleur et plus au froid comme jusque maintenant.

Xavier Fettweis, climatologue


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Xavier FETTWEIS, organisée en août 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

CONCERT CHiCC | CANTALUNA : Petites histoires du monde… de berceuses en tarentelle

Dans le cadre des Rencontres musicales 2024-2025 organisées par la CHiCC (Commission Historique et Culturelle de Cointe) CantaLuna (Jacqueline Piront et Patrizia Rogulich) présente :

Petites histoires du monde…
de berceuse en tarentelle

Deux femmes, unies par le chant et l’amitié. Les mélodies du monde, la résonance des cœurs, des langues des terres lointaines ont touché leur âme. Alors elles chantent… elles chantent à la lune. Elles chantent la force, le désir les larmes, les rires les légendes l’urgence, elles chantent l’amour, la mort…
Inspirées de ces chants sont nées des petites histoires du monde. Lentement, un ouvrage s’est tissé, musiques et textes entrelacés. Cet ouvrage, elles le chantent pour le plaisir du partage, en toute simplicité, a cappella… car les instruments du monde vivent dans nos mémoires.

Le dimanche 13 octobre 2024 à 16 h A la Chapelle Saint-Maur, rue Saint-Maur, 64 à 4000 Liège. Concert accessible à tous, participation au chapeau. Réservations souhaitées : francine.herbillon@gmail.com (ou SMS : 0494 83 13 21)

CONFERENCE CHiCC | LEWY : Sebastiao Salgado, l’humanisme en noir et blanc

Présentation d’un des tout grands reporters-photographes de notre temps au travers de ses photographies et, en particulier, de celles de sa dernière exposition Amazonia, qui a aussi fait l’objet d’un livre. Les êtres humains sont au centre de ses préoccupations ainsi que la préservation de notre planète.

Claude LEWY est architecte : il a travaillé dans le domaine des infrastructures culturelles et scolaires en Wallonie et à Bruxelles. Passionné de photographie depuis l’adolescence, il va nous présenter l’un des grands reporters-photographes de notre temps.


Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous. Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros pour la saison 2024-2025 à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre (montant : 5 euros) pour les non-membres.

Suivez les activités de la CHiCC sur Facebook ou sur wallonica.org

HEUSCHEN : Waterloo, morne plaine ? (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 6 minutes >

“Waterloo, morne plaine ?” Il est tentant d’emprunter ce titre à Victor Hugo, chantre inégalé d’une des batailles les plus ancrées dans l’imaginaire collectif, notamment en Wallonie. En réalité, le champ de bataille de Waterloo n’est pas une plaine, mais l’essentiel n’est pas là. D’entrée de jeu, il me paraît plus important de souligner ma préoccupation de ne pas faire de la stratégie en chambre, mon manque de goût pour l’uniformologie et mon pacifisme, que l’étude de l’époque napoléoniennne ne cesse de renforcer.

Quelle est la situation de notre région, au moment où l’Armée française du Nord va y pénétrer, en juin 1815 ? Nous sommes, par la volonté de l’Angleterre, finalement devenus hollandais, bien que la rive droite de la Meuse ait failli tomber dans l’escarcelle de la Prusse. A la nouvelle du retour de Napoléon en France, une armée prussienne de 120.000 hommes stationne entre Charleroi et Liège. Liège, où, quelques jours avant Waterloo, le vieux Maréchal Blücher échappe de peu à un massacre par les troupes saxonnes, en principe alliées des prussiens ! Entre la mer du Nord et Mons, se trouve une armée hétéroclite de 90.000 hommes, anglo-écossais, mercenaires allemands combattants pour l’Angleterre, Hanovriens, Nassauviens, Brunswickois et Hollandais. La dénomination “Hollandais-belges” est évidemment trompeuse. Qu’on le veuille ou non, nous sommes hollandais, et les anciens grognards engagés dans l’armée des Pays-Bas le savent bien, eux qui ont été rétrogradés, et qui comprennent tout à coup qu’ils vont devoir tirer sur leurs anciens compagnons d’armes. Durant les cent-jours, beaucoup d’entre eux désertent et vont retrouver leurs anciens régiments dans l’armée impériale, refusant la curieuse proposition de Napoléon qui voulait que les belges s’engagent dans un “régiment étranger”.

La France sait qu’elle est lancée dans une course de vitesse. En principe, le temps travaille contre elle. En quelques semaines , Davout et Carnot, qui ont tous deux des adjoints liégeois, rééquipent une armée efficace, dont 125.000 hommes vont se porter en Belgique, en se regroupant discrètement vers Beaumont et Philippeville, alors françaises. La troupe a retrouvé l’état d’esprit des armées de la République, et est animée d’un désir de vengeance, surtout chez ceux qui ont fréquenté les prisons prussiennes ou les pontons anglais. Le plan de bataille est admirablement conçu, mais le nouveau chef d’Etat-major, le détesté et détestable Maréchal Soult, oublie de convoquer la cavalerie, ce qui épuise cette arme en marches forcées dès avant la campagne. Où sont les grosses épaulettes ? En fuite à Gand, avec Louis XVIII, terrées dans leurs châteaux, ou, choix étrange de Napoléon, reléguées dans des rôles secondaires, comme le très intelligent Suchet ou comme Jourdan, le vainqueur de Fleurus et d’Esneux-Sprimont en 1794. Passons sur la trahison du général de Bourmont, qui n’eut aucune conséquence pratique mais a permis à des générations d’historiens bonapartistes de trouver une cause à la défaite qui n’impliquait pas “l’Idole” .

Le 15 juin 1815, l’année du Nord passe la Sambre à Charleroi et se porte principalement vers l’armée prussienne. Le choc, brutal, a lieu à Ligny le lendemain. 78.000 Français affrontent 83.000 Prussiens. Le corps d’armée stationné à Liège n’a pas eu le temps de rallier. Les pertes sont sévères : 10.000 Français et 20.000 Prussiens. Tous seront soignés par les services de l’admirable Percy, chirurgien de la ligne, tandis que son confrère Larrey, le chirurgien de la Garde, sera à Waterloo. Cette “dernière victoire” de Ligny n’est pas complète. Vingt mille Français exécutent une navette inutile entre Ligny et les Quatre-Bras, à l’Ouest, où le maréchal Ney, à qui, la veille de la campagne, Napoléon a confié l’aile droite, tergiverse. Hésitation qui permet aux alliés de renforcer leur position à ce carrefour, bien que Wellington ne prenne pas conscience du danger. Celui qui deviendra beaucoup plus tard, et pour d’autres raisons, “The Iron Duke”, assiste à un bal et pense que Napoléon, qu’il craint cependant, est encore loin. Après le massacre réciproque des Quatre-Bras, 5.000 morts dans chaque camp, l’Empereur, le 17 juin, avec les deux tiers de l’armée, se lance dans une poursuite frénétique des anglo-germano-hollandais. Hasard ou pas, la course s’achève juste avant le village de Waterloo. Un an auparavant, Wellington avait repéré l’endroit pour y attendre “Bony” au cas où celui-ci s’échapperait de l’Ile d’Elbe. La cuvette de Waterloo offrait à Wellington la possibilité d’user de la tactique, éprouvée en Espagne, de la contrepente, à savoir placer ses troupes à l’abri d’une crête et y attendre l’offensive adverse pour la fusiller à bout portant. En même temps, Napoléon confie 33.000 hommes, beaucoup trop ou beaucoup trop peu, au dernier promu des Maréchaux, Grouchy, afin de poursuivre les Prussiens supposés en déroute.

Le 18 juin 1815, entre Mont-Saint-Jean et Belle Alliance, au matin, 75.000 alliés font face à 75.000 Français. Parmi ces derniers, autant de Wallons que dans le camp d’en face, ce qui met à mal la fiction d’une armée hollando-belge soudée face à un envahisseur venu du sud. Les phases de la bataille sont terribles dans leur simplicité : une attaque de diversion par l’aile gauche, menée par un frère de Napoléon, et, qui va s’épuiser à essayer de prendre une ferme brabançonne à la baïonnette, une avancée de la droite en colonnes serrées, magnifiques cibles pour les artilleurs alliés, de sanglants combats de cavalerie, où l’on s’étripe pour un drapeau, une dizaine de charges de la cavalerie française, menée par l’imprudent Ney, contre des carrés anglais qui plient mais ne rompent point, et pour terminer, une offensive désespérée d’une partie de la Garde. Depuis plusieurs heures, les autres bataillons de la Garde tentent de contenir les Prussiens, qui depuis le début de l’après-midi se répandent de plus en plus nombreux sur le flanc français. Lorsque, pour la première fois, le cri “La Garde recule !” retentit, c’est la panique. Il ne reste aux carrés de vielle et moyenne garde qu’à écrire la dernière page de l’épopée, et au Général Cambronne à, peut-être, prononcer un certain mot.

Waterloo est une des batailles les plus meurtrières de l’époque. Environ 50.000 hommes, dont 30.000 Français restent sur le terrain, morts ou blessés. Certains blessés français ne seront pris en charge que quatre jours après la bataille. On dit qu’à la moisson suivante, les blés de Waterloo étaient particulièrement beaux. L’armée Grouchy, qui n’a pas marché au canon, mais elle n’a fait qu’appliquer les ordres plus ou moins clairs de Napoléon et de Soult, prend Wavre, puis fait retraite avec ses blessés par Namur, avec la complicité de la population, pas fâchée de jouer un tour aux Prussiens.

Une autre issue à Waterloo était-elle possible ? Il est à peu près certain que, sans l’arrivée des hommes de Blücher , le front allié aurait fini par céder. Le 19 juin 1815, l’armée française aurait bivouaqué à Bruxelles. L’espoir de Napoléon était de forcer ses adversaires à signer un traité de paix, qui lui aurait conservé nos régions. Espoir fou, même à supposer que les Anglais reprennent le bateau à Ostende, ce que manifestement Wellington avait préparé, et que les Prussiens fuient vers la Rhénanie. Espoir vain, car plus de 400.000 Russes et Autrichiens se préparaient à entrer en Alsace, où ils n’auraient rencontré qu’un rideau de troupes. 1814 recommençait, en plus terrible sans doute.

Qui a gagné le 18 juin 1815 ? L’Angleterre, qui gagne enfin la guerre séculaire avec la France, les familles Wellington et Rothschild, la Prusse, qui s’installe sur le Rhin, la Hollande, qui trouve une légitimité qu’elle va matérialiser par l’orgueilleux “Lion”, et, provisoirement, l’Ancien régime. Quinze ans plus tard, la Révolution gronde à nouveau partout en Europe, et notamment en Belgique. Paradoxalement, c’est une armée française qui, en 1831-32, interviendra au nom des Puissances pour sauver le jeune Royaume de Belgique.

Qui a perdu à Waterloo ? la France, qui rentre dans le rang, paye une lourde contribution de guerre, perd la Savoie, la Sarre, le Sud de l’Entre-Sambre-et-Meuse et Bouillon. Napoléon, mais il veillera à écrire sa propre légende à Sainte-Hélène. Les généraux français déchus, parfois fusillés, et les grognards, notamment liégeois, qui cultiveront leur nostalgie, comme l’exprime si bien la chanson Li Pantalon trawé.

Les visiteurs du champ de bataille ne s’arrêtent pas toujours à la Colonne Hugo, le seul monument local consacré à une personne qui n’a pas participé au combat. La colonne reproduit quelques mots que Victor Hugo, pionnier de l’idée européenne, devait prononcer en 1849, au Congrès de la Paix : “Un jour viendra où il n’y aura plus d’autres champs de bataille que les marchés s’ouvrant au commerce et les esprits s’ouvrant aux idées”.

Patrick HEUSCHEN

  • image en tête de l’article : Clément-Auguste Andrieux, “La Bataille de Waterloo, 18 juin 1815” © RMN-Grand Palais

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Patrick HEUSCHEN, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HALLEUX : La seconde révolution industrielle dans le bassin liégeois 1860-1917 (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le concept de révolution industrielle a été créé au moment de la révolution de 1830 par un littérateur qui remarquait un parallèle entre les événements politiques, c’est-à-dire l’indépendance belge et les grands changements que l’on voyait dans l’industrie. On percevait l’aurore de temps nouveaux, comme l’a écrit un poète : “Oui, l’industrie est noble et sainte, son règne est le règne de Dieu.” Une révolution industrielle, c’est un changement de système technique, c’est-à-dire un ensemble constitué par des matériaux et des méthodes de transformation, et des énergies.

Pendant le moyen-âge nous avons vécu sur un matériau qui était le fer produit avec du charbon de bois et l’énergie hydraulique. Au début du 19e siècle, l’énergie hydraulique atteint ses limites et les forêts se déboisent terriblement. C’est à cette époque que s’introduit, à Liège d’abord, un nouveau système technique. Au charbon de bois, on substitue le coke, du charbon de terre que l’on a cuit pour le débarrasser des matières volatiles. Les premières machines à vapeur créées en Angleterre s’introduisent aussi chez nous. Pourquoi à Liège ? Parce qu’il y avait de la houille et du minerai facile à extraire. Mais surtout une conjonction entre, d’une part un savoir-faire traditionnel et, d’autre part, un dynamisme de la bourgeoisie et d’une aristocratie investisseuse.

Le peintre Léonard Defrance affectionne les représentations des usines, des manufactures et des charbonnages. Le commanditaire de ces tableaux se fait représenter dans son usine avec ses ouvriers et souvent avec un vieillard pensif qui personnifie le passé et un petit enfant qui personnifie l’avenir, Jean-Jacques Daniel Dony invente un procédé de fabrication du zinc, son usine sera reprise par Mosselman qui va fonder la Vieille-Montagne. Nous trouvons un certain nombre d’hommes nouveaux qui ne sont pas des techniciens : les Orban qui sont des merciers, les Lamarche qui sont des marchands de tabac et de denrées coloniales, les Michiels, les Dallemagne, les Beer. Tous ces gens débutent en achetant un fourneau ou un charbonnage. Ils essaient de créer une usine intégrée où on commence par les matériaux extraits du sol, et où on va jusqu’à la fabrication des machines. C’est l’origine des sociétés comme la Société de Sclessin, la Société d’Angleur, la Société de Grivegnée, les deux fabriques d’Ougrée qui vont donner Ougrée-Marihaye et la Société d’Espérance. Ce sont des entreprises familiales montées par des hommes de négoce qui s’approprient les nouvelles techniques. Ils font venir des techniciens anglais qui construisent les nouveaux outils. Le haut-fourneau liégeois conçu pour le charbon de bois ne convient plus pour le coke. Mais très vite, les Anglais seront dépassés par les techniciens locaux.

John Cockerill n’a pas fait d’études. C’est essentiellement un ouvrier formé par son père avec un prodigieux génie entreprenant qui commence par construire des machines à filer et à tisser. De là, il découvre l’opportunité des machines à vapeur puis, partant d’un atelier de construction de ces machines, il construit un haut-fourneau, des fours à coke, achète des houillères et des mines de fer. Il inonde l’Europe de ses produits. C’est un vrai génie mais un piètre gestionnaire. Il connaîtra des revers et ainsi mourra d’une manière triste et mystérieuse en Russie en essayant de rétablir ses affaires.

Certes, ces hommes ont un certain savoir. Aujourd’hui, les ingénieurs ont étudié à l’université. À cette époque, ce sont généralement des ouvriers formés sur le tas qui ont suivi des cours de dessin industriel et qui viennent de toute l’Europe. L’Université de Liège a été fondée en 1817 en même temps que l’usine Cockerill et a eu des écoles spéciales des mines et des arts et manufactures. A cette époque les ingénieurs ne vont pas dans l’industrie, ils font carrière dans les grands corps de l’État : ponts et chaussées, corps des mines, et plus tard au chemin de fer. Les industriels se fient plutôt à leur chef fondeur, leur chef puddleur, leur chef mécanicien qui tous ont de l’or dans les mains.

Le paysage est encore très rural. Petit à petit, les usines s’entourent de maisons, de corons. Par cette imbrication entre les zones d’habitats, nos usines vont se trouver à l’étroit et cela va les handicaper par la suite.

Un système technique est condamné à saturer. Vers 1860, le fer ne répond plus à certaines contraintes notamment pour faire des rails. L’acier apparaît alors. De nouvelles énergies apparaissent. L’électricité, la dynamo inventée par Zénobe Gramme, les moteurs à combustion interne : à gaz inventé par Lenoir. Ensuite à essence, puis le moteur diesel. Ces moteurs légers et plus puissants vont s’imposer sur la route puis dans l’air. L’école industrielle de Liège, créée à l’initiative de la Société libre d’Émulation, date de 1826. Quant à l’école industrielle de Seraing, elle est créée à l’initiative du docteur Kuborn et a le souci d’actualiser sans arrêt ses cours pour suivre le progrès scientifique. Désormais, il faudra de plus en plus de science et une nouvelle génération d’ingénieurs, sortis de l’université et de l’Institut Montéfiore. Ils vont entrer dans l’industrie, ils vont se frayer un chemin jusqu’au conseil d’administration et ils vont souvent s’allier aux filles des grandes dynasties industrielles.

Le minerai de fer de notre bassin ne convient plus pour l’acier et celui de la Lorraine prend le relais. Il faut des capitaux importants pour adapter les usines et les premières fusions ont lieu. Les rapports sociaux changent vers 1886 avec la crise et les luttes ouvrières. Entre 1914 et 1918, toutes les industries liégeoises ont été démantelées par l’occupant dans le but de détruire un concurrent commercial. Paradoxalement, ces destructions ont été une chance car avec le dynamisme qui nous caractérisait et qui caractérisait nos industriels, très vite, ils vont rebâtir avec du matériel ultramoderne.

La situation fut différente en 1945 car les besoins étaient énormes et nos usines ont tourné à plein rendement pendant quelques années. Seulement, l’outil n’a pas été modernisé assez vite et est devenu obsolète.

d’après Robert HALLEUX

  • Illustration en tête de l’article : Léonard Defrance, “Intérieur de fonderie” © Walker Art Gallery

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Robert HALLEUX, organisée en mai 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DEMOULIN : Les relations diplomatiques entre la Principauté de Liège et le Roi de France (CHiCC, 2002)

Temps de lecture : 4 minutes >

Dès 1581 se sont installés dans l’évêché de Liège les Wittelsbach qui ont cumulé sur leur tête, dans le prolongement du concile de Trente, différents évêchés de l’Empire. Cette “dynastie” s’est perpétuée par des neveux ou des parents. Un des premiers protagonistes fut Ernest de Bavière dont un portrait se trouve dans le remarquable château de Brühl, au sud de Bonn. Il tenta de préserver son électorat de Cologne des avancées du protestantisme et des armées du roi de Suède. C’est lui qui a cédé à la Ville l’hôpital qui portait son nom. Cette dynastie s’est terminée en 1763 lorsque son lointain descendant Jean-Théodore est mort. Il fut le principal restaurateur des appartements intérieurs du Palais des Princes-Évêques. Le prince recevait les ambassadeurs de France. Ceux-ci étaient en possession d’instructions décrivant les relations entre les deux états. La vision que les Français avaient des Liégeois à la fin du 17e siècle ne manque pas de piquant : “Les Liégeois sont donc spirituels, civils, accostables et hospitaliers. Ils ont le jugement  subtil, ils sont propres pour toutes sortes d’affaires, braves dans la guerre et dans les combats. Ils sont néanmoins fainéants et paresseux, ils sont opiniâtres, mutins, et plus portés à la discorde qu’au travail, à cause de leur témérité et de leur audace naturelle. Ils parlent un roman ou français fort grossier et corrompu qu’ils tâchent le plus qu’ils peuvent de tourner en bon français et de rendre poli, particulièrement les personnes de condition, la noblesse et les honnêtes gens. Ils ont beaucoup de piété et ils sont fort zélés pour la défense de la religion catholique.”

La principauté était très morcelée. Elle comprenait trois parties : le comté de Looz, actuelle province de Limbourg, qui se prolonge sur Liège et vers le Condroz ; l’Entre Sambre et Meuse, qui est profondément détaché ; et le marquisat de Franchimont. Comment cet état a-t-il survécu pendant mille ans ? Il a existé bien avant la date symbolique de 980 et a disparu officiellement le 1er octobre 1795 lorsqu’il a été rattaché par la Convention à la France, ainsi que les Pays-Bas autrichiens. Principauté d’empire qui comprenait trois états : l’état primaire, l’état noble, l’état tiers. À sa tête, l’évêque et prince reçoit théoriquement la souveraineté. Il est élu à partir des temps modernes par le chapitre de Saint-Lambert et est assisté dans sa mission par deux conseils : le conseil privé et la chambre des comptes. Le conseil privé a notamment pour mission de correspondre avec les cours étrangères, il doit préparer et négocier les alliances. Les déclarations de guerre devaient cependant être votées par les états. L’état primaire était en fait constitué exclusivement par les chanoines de la cathédrale Saint-Lambert, qui étaient à la fois les électeurs du prince-évêque et les représentants de tout le clergé de la principauté. L’état noble a été progressivement limité à 16 quartiers de noblesse ce qui réduisait le nombre de ses représentants. L’état tiers ne comprenait pas de représentants de la population des campagnes.

À partir du traité de Westphalie en 1648, un nouvel équilibre entre les puissances s’est établi qui durera jusqu’à la période impériale de Napoléon. La politique française a évolué en fonction des intérêts politiques, économiques et stratégiques de Versailles. La principauté était un lieu de passage idéal entre la France et la Hollande, alliée privilégiée de la France contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche. Elle se trouvait aussi sur le trajet vers l’Allemagne. Il y avait une série de forts : Dinant, Huy, Liège, puis de la ville de Maastricht, en co-souveraineté commune entre la principauté et le duché de Brabant. Bouillon sera le verrou de la défense des terres liégeoises jusqu’en 1678 où Louis XIV s’en empare. Après le désastre de 1468, les Liégeois se sont rendu compte que la neutralité était le meilleur parti à prendre pour leur sauvegarde. Le passage de troupes ennemies, particulièrement au 18e siècle, fut négocié avec les belligérants : fourniture de munitions, de fourrage et, comme conséquence positive, la liberté de commerce.

Henri IV va témoigner, à la fin de sa vie, d’un intérêt un peu suspect pour nos régions puisqu’il était sensible à la présence proche de Charlotte de Montmorency. Cette dernière avait fui ses avances à Bruxelles. En 1635, Richelieu fait alliance avec les Provinces Unies pour dépecer les Pays-Bas autrichiens et se les partager ; il est vraisemblable que son intention était de faire subir le même sort à l’évêché de Liège. Sébastien Laruelle fut assassiné parce qu’il aurait eu pour objectif d’appeler au secours les troupes françaises au moment où le prince Ferdinand de Bavière était, lui, allié de l’Espagne. L’histoire de Liège a été ponctuée d’assassinats politiques et le problème est de savoir qui en est le commanditaire. On connaît mieux le commanditaire de l’assassinat de saint Lambert au début du 8e siècle, on a des hésitations au sujet de Laruelle en 1637. Nous sommes mal informés sur ce qui s’est passé plus récemment ! Richelieu avait l’idée que la rive gauche du Rhin devienne la frontière naturelle de la France. Le prince-évêque reprit par la force la ville qui était en rébellion et fit construire la citadelle, non pour se protéger d’un éventuel ennemi, mais pour mater la population.

En 1714, les Autrichiens reçoivent les Pays-Bas et veulent y développer les activités économiques, avec une volonté de couper les liens entre la principauté et la France. Un réseau de routes fut créé pour faciliter les liaisons des villes entre elles et aussi avec les autres régions, pour devenir un lieu d’entrepôt. Encore actuellement, Liège est le deuxième port fluvial européen. Louis XV adopta une politique de protectorat courtois : faire de ce petit état liégeois une plaque tournante sur le plan économique. En 1722, un ministre plénipotentiaire écrivait : “Le gouvernement de Liège est libre et les Liégeois veulent l’être dans leurs choix” ; il avait bien compris le caractère de ses voisins.

d’après Bruno DEMOULIN

  • image en tête de l’article : “La résidence du Prince Evêque” par Johann Georg Bergmuller © chokier.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Bruno DEMOULIN, organisée en février 2002 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

 

 

 

DOURASSOF : L’immigration russe à Liège et l’église orthodoxe du Laveu (CHiCC, 2004)

Temps de lecture : 4 minutes >

Cette église est construite dans le style de Novgorod, qui date du 14e siècle. Quand les premiers émigrés russes sont arrivés à Liège, la Ville leur a cédé un bâtiment rue Mère-Dieu. En 1944, un V1 est tombé sur cette église un dimanche. Or, par chance (ou par miracle ?), le prêtre était malade et avait pu prévenir ses paroissiens qu’il ne pourrait célébrer l’office. Tout a été détruit, seul l’iconostase a été sauvé. En 1948 a démarré le projet de construire une nouvelle église. Evidemment, les fidèles n’étaient pas fortunés, aussi l’évêché catholique a-t-il donné de l’argent ; une somme importante fut également offerte par la Reine Elisabeth. Un concert a été organisé puis on a collecté, auprès des immigrés, la valeur d’une brique de l’édifice. Ce dernier a été consacré en 1953.

© Ph. Vienne

Le toit est surmonté de cinq coupoles dont le zinc fut offert par l’usine Cuivre & Zinc. Traditionnellement, les fenêtres sont petites et sans vitraux, pour se préserver du froid. L’iconostase est une cloison qui sépare la nef, où se trouvent les fidèles, de l’autel auquel seuls les prêtres ont accès. Sur cette sorte de mur est représentée l’histoire du christianisme. Au centre se trouvent les portes royales sur lesquelles on voit l’Annonciation avec l’ange Gabriel. À droite, figure la représentation du Christ et, à gauche, la Vierge, la Mère de Dieu avec le Christ enfant. Les portes latérales sont appelées les portes des diacres et y sont dessinés soit les archanges, soit les deux premiers martyrs saint Étienne et saint Valentin. L’église est consacrée à saint Alexandre Nevski et à saint Séraphin, qui sont représentés à l’extrême droite de l’iconostase. Le rang supérieur évoque la vie du Christ. Sur le côté, on trouve saint Nicolas et saint Vladimir. Une icône de sainte Barbe évoque le dur travail qu’ont effectué de nombreux immigrés russes. Saint Georges est le patron des nouveaux arrivants venus de Géorgie. Toutes ces décorations constituent un enseignement de la religion à l’intention des fidèles. Pendant onze siècles, cet enseignement était commun à celui de l’église catholique et la liturgie reste très proche. La langue utilisée dans les offices est le slavon.

© lavenir.net

La première vague d’immigration russe a eu lieu après la Première Guerre mondiale, suite à la révolution d’octobre 1917. Plus d’un million et demi de personnes on dû quitter l’empire à ce moment-là. Des liens existaient déjà entre Russes et Belges car, depuis 1880, des entreprises belges étaient présentes en Russie dans les mines de charbon ou de minerais. Ils étaient aussi présents grâce à la construction des réseaux de tramways et du Transsibérien, long de plus de 10 000 km. Nos entreprises participaient au développement industriel du pays tandis que de nombreux Russes venaient chez nous, attirés par les industries et l’université. Un grand nombre de ces immigrés provenaient de l’armée blanche qui avait combattu les bolcheviks. Ces Russes avaient quitté la Crimée pour Constantinople, d’où ils cherchaient à gagner l’Europe occidentale. Le cardinal Mercier a fondé, en 1921, l’Aide belge aux Russes pour leur permettre , par l’octroi de bourses, de reprendre des études universitaires. Cent cinquante enfants furent accueillis à Liège, puis à Bruxelles où un pensionnat éduquera plusieurs centaines de jeunes. Les immigrés ont voulu construire des églises et notamment à Uccle, avenue de Fré. Cette communauté était constituée principalement d’anciens militaires et de leurs familles. Ils étaient conservateurs, monarchistes, respectueux de l’ordre des choses. Par contre, les jeunes s’expatriaient facilement, notamment au Congo et en Amérique du Sud.

Après la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle vague d’immigrés est venue remplacer la première, déjà clairsemée. C’étaient des personnes déplacées, des prisonniers russes envoyés par Hitler pour travailler en Allemagne. En 1945, ils n’osaient pas rentrer chez eux de peur de se retrouver dans un goulag. Ils se sont tournés vers l’Occident qui avait besoin de travailleurs pour les mines de charbon. C’est ainsi qu’ils sont nombreux dans le bassin liégeois où ils se mêlent rapidement à la population ouvrière. Ils cherchaient surtout à survivre et n’avaient aucun rêve politique. Le besoin de retrouver leurs racines les amena à l’église. Leurs enfants se sont bien intégrés. Après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du régime soviétique, un jumelage a été réalisé entre deux paroisses : Saint-Barthélémy de Liège et une petite communauté au nord de Saint-Pétersbourg. L’aide permit la construction d’une église et l’offre d’une iconostase de 44 icônes réalisées à Liège, dans l’atelier de Madame Gottschalk.

La troisième vague est arrivée récemment, à Liège. Ce sont qui ont fui la dislocation de l’URSS, surtout des Russes provenant des républiques d’Asie centrale, chassés par les autochtones musulmans de ces républiques devenues autonomes.

Voilà un survol de cette communauté que les Liégeois ont accueillie depuis trois-quarts de siècle, avec cette chaleur humaine qui les caractérise !

d’après Maya DOURASSOF

  • image en tête de l’article © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Maya DOURASSOF, organisée en octobre 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

VIENNE : Dijon et le pays des ceps d’or (CHiCC, 2001)

Temps de lecture : 5 minutes >

En Bourgogne, au Moyen Age, grâce au sol calcaire, les moines ont abondamment planté des vignes pour les besoins du culte. Plus tard, les laïcs ont continué la viticulture pour les plaisirs de la table. Or donc, aux alentours de Dijon, les viticulteurs ont de tout temps accordé un soin jaloux à leurs vignobles, d’abord avec des moyens rudimentaires ensuite à l’aide de techniques plus efficaces. Une tapisserie représente un vigneron tout habillé en train d’écraser les raisins avec ses pieds. Par contre, jadis, de jeunes vignerons nus comme des vers se glissaient dans de grandes cuves et allaient piétiner les grappes de raisins. Ils ont été appelés les “bareuzais“. À Dijon, sur la place François Rude, s’élève la sculpture du “bareuzai” devenu le symbole de la Bourgogne vineuse. En septembre, en pleines “fêtes de la vigne”, la ville pavoise aux couleurs du folklore international : des groupes venus du monde entier s’y rassemblent et animent la cité pendant toute une semaine.

Le fondateur de la fameuse dynastie de Bourgogne, c’est Philippe le Hardi. Il a donné une vive impulsion à l’activité artistique de Dijon, il a aimé la bonne chère, le jeu et les femmes. Son successeur a été Jean sans Peur, un prince rongé d’orgueil mais très maladroit pour gérer les affaires de l’état. Philippe le Bon, troisième Duc de Bourgogne et sans doute le plus célèbre, était né à Dijon et mort à Bruges. Il s’est conduit durant toute sa vie comme un prince fort habile, ambitieux, mécène et bon vivant. Philippe le Bon a profondément aimé les fêtes et les festins. Les historiens rapportent la magnificence d’un banquet donné par lui à Lille et à l’issue duquel son fils Charles le Téméraire et tous les seigneurs de sa Cour, ont fait le vœu de partir en croisade pour repousser les Turcs. Les serments ont été prononcés sur la tête d’un faisan vivant d’où sa dénomination : Festin du Vœu du Faisan.

Les femmes ont beaucoup intéressé Philippe le Bon. Il paraît qu’il eut 30 maîtresses et, bien entendu, 17 bâtards affichés ainsi que plusieurs filles illégitimes. Un des bâtards de Philippe le Bon a été baptisé David de Bourgogne et, grâce à son père, il a été nommé évêque d’Utrecht, principauté située à un croisement de l’Europe entre l’Allemagne et l’Angleterre. Son fils légitime, Charles le Téméraire, est devenu un seigneur plein de convoitises territoriales. Il a voulu englober Liège dans son domaine ducal mais nos révoltes à son encontre nous ont valu les trop célèbres sac et carnage de la ville en 1468. Désireux d’être pardonné, il a offert à Liège, trois ans plus tard, un reliquaire, joyau d’orfèvrerie. Il est conservé dans le trésor de la cathédrale Saint-Paul à Liège.

Prononcez “Dijon” et immédiatement les personnes pensent “moutarde”. Elles ont bien raison car elle y est confectionnée depuis six siècles ! L’usine Amora-Maille s’est édifiée près du canal de Bourgogne et il est bon de savoir que la production de ce condiment peut atteindre les 100 tonnes par jour !

Une artère fluviale a également enrichi Dijon et ses environs : le canal de Bourgogne. Ce vénérable chemin d’eau qui a 180 ans s’étire sur 242 km et joint l’Yonne à la Saône. Le déclin commercial s’est amorcé à la fin du 19e siècle. Heureusement, de nos jours, la vocation de ce merveilleux canal, c’est la plaisance. Quant aux cyclistes, ils apprécient beaucoup les chemins de halage.

Les Chemins de Fer de Bourgogne gardent le souvenir d’un de leurs ingénieurs du P.L.M. qui a eu la fibre littéraire : Henri Vincenot. Il a été tour à tour rédacteur en chef du magazine “La Vie du Rail”, écrivain, peintre, sculpteur et conteur. Henri Vincenot est né à Dijon et il est mort à Commarin, à 77 ans. Citons, parmi ses ouvrages : Le Pape des escargots, La Billebaude, Le maître des abeilles et bien d’autres…

Ici est née une armada de personnalités artistiques variées. Tout d’abord, Jacques Bénigne Bossuet, fils d’un avocat, a étonné le monde théologique parisien par sa précocité oratoire. Puis, Jean-Philippe Rameau qui est devenu à Paris claveciniste, organiste, compositeur d’opéras. Il a été le contemporain de Bach et de Haendel. Le plus connu des Dijonnais, c’est Gustave Eiffel. Il a réalisé la structure métallique de la Statue de la Liberté de Bartholdi, édifié en rade de New-York ; au Portugal, le pont sur el Douro à Porto et, enfin, la Tour Eiffel enviée dans le monde entier ! Enfin, le célèbre chanoine Kir dont l’attitude courageuse pendant la Deuxième Guerre Mondiale lui a valu d’être élu maire de Dijon, puis député. Sympathique défenseur des petits salariés, des anciens combattants, des travailleurs âgés, le nom du chanoine Kir ne s’est pas oublié. Il a donné son nom au célèbre apéritif à base de crème de cassis.

Dès la sortie sud de la capitale, les rangées de vignes nous font rêver. Certes, l’harmonie entre une plante, un sol et un climat permet d’avoir la bonne maturité pour obtenir un vin remarquable. Cependant, la solide paysannerie locale, de par son travail opiniâtre, a largement contribué au succès de la culture de la vigne. Les vignobles de la Côte d’Or sont plantés sur des coteaux exposés au levant. Ces terres valent plus chers que les parcelles des Champs-Elysées à Paris !

À Chenôve, au Clos du Roi et du Chapitre, nous remarquons un pressoir du 13e siècle qui a pu presser en une fois la vendange de 100 pièces de vin et la pièce représente 228 litres. Cela veut dire plus de 30 tonnes de vendanges ! Sur ces bornes de bois s’est assise, dit-on, Marguerite de Bourgogne pour suivre le foulage du raisin. Ce travail était fait par de jeunes hommes dévêtus et la princesse a pu ainsi en admirer la plastique. Femme de sang royal, Marguerite de Bourgogne a possédé aussi du sang chaud car elle a collectionné les amants !

Gevrey-Chambertin, vin mondialement connu, était le préféré de l’empereur Napoléon Ier. Faisant partie de ce fameux cru, la maison-forte remonterait à l’An mil et elle a un riche passé historique. Le château du Clos de Vougeot a été une propriété cistercienne puisqu’elle avait été construite par Jean Loisier, abbé de Cîteaux. Elle est restée dans les mains des moines durant près de 700 ans, c’est-à-dire jusqu’à la Révolution. Enfin, le vin rosé de Marsannay-la-Côte, pas très connu des touristes, est également un bon cru.

Nous quittons les vignobles pour nous diriger vers une région très bucolique : l’Auxois. Nous apprécions beaucoup la flore sauvage qui pousse sur le surplomb des falaises de Baulme-la-Roche. Nous avons beaucoup aimé le panorama découvert de ce belvédère naturel qui rappelle une description écrite par Henri Vincenot : “De chaque côté triomphait l’Auxois comme une mer houleuse de pâturages, une mer bordée par les falaises de Baume, par les douces collines boisées, tout cela noyé dans la brule des beaux jours…” Et c’est sur ces merveilleuses images que s’achève notre voyage historique et touristique en Bourgogne.

Claudine et Robert VIENNE

  • image en tête de l’article : vignobles Château de Marsannay ©destinationdijon.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Claudine et Robert VIENNE, organisée en janvier 2001 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

KENENS : Femmes oubliées par l’Histoire (CHiCC, 2003)

Temps de lecture : 4 minutes >

Le rôle de la femme a longtemps été essentiellement domestique et fortement soumis à l’autorité paternelle. À l’école, le conditionnement idéologique conduisait à la reproduction des rôles selon le sexe. Il n’était pas question pour une femme de faire de la politique. Le droit de vote n’a été accordé aux femmes qu’après la guerre [en 1948], et il a fallu une importante grève des femmes de la FN à Herstal pour obtenir ce qui paraît pourtant normal : à travail égal, salaire égal. Au 21e siècle, cette situation n’est pas encore “normale” partout…

Dans les cours d’histoire, les femmes sont souvent oubliées. Pythagore disait, six siècles avant notre ère : “Il y a un principe bon qui a créé l’ordre, la lumière et l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les ténèbres et la femme.” Et près de deux siècles plus tard, Aristote renchérissait en écrivant : “La femelle est femelle en vertu d’un manque de qualité.” Xénophon écrivait : “Les dieux ont créé la femme pour les fonctions du dedans et les hommes pour toutes les autres.”

Il y eut cependant des femmes qui se sont réfugiées dans les arts, comme Sappho de Mytilène aux 7e et 6e siècles. Elle visait à Lesbos et, chose rare, elle savait lire et écrire. Elle a écrit des strophes tout à fait originales. Alors que les jeunes femmes devaient vivre sous une stricte surveillance, voyant le moins de choses possible et posant le moins de question possible, elle s’était mise en tête d’enseigner aux femmes à lire, à écrire, à penser. Elle a été condamnée à l’exil et ses oeuvres ont été en grande partie détruites. Une célèbre fresque de Pompéi la représente, livre ouvert à la main gauche et tenant rêveusement le stylet de la main droite.

Cependant, la femme de la Rome antique est complètement absente du droit romain et ses rapports sont de la compétence du domus dont le père, le beau-père, le mari sont les chefs tout-puissants. Cela nous montre que l’oppression des femmes dans la pensée occidentale n’est pas uniquement le fruit de la pensée religieuse catholique, même si elle y a participé. La ségrégation suivant le sexe est une pensée dont on retrouve des traces antérieurement dans des sociétés non monothéistes. Les hommes étaient les seuls auteurs et interprètes des textes sacrés ou prétendument tels. Certains produisirent des traductions carrément déformantes comme la création de la femme à partir d’une côte d’Adam alors que le texte hébreu initial est précis et dit “la femme créée à côté d’Adam” !

Même au 20e siècle, la femme reste pour l’homme un mystère, peut-être parce qu’elle représente “l’autre”. Le philosophe français contemporain Emmanuel Levinas a écrit : “L’altérité s’accomplit dans le féminin”  en oubliant la réciprocité évidente de ce propos. La hiérarchie des sexes se produit dans des domaines très inattendus. En 1867, Charles Blanc écrivait : “Le dessin est le sexe masculin de l’art, la couleur en est le sexe féminin. Il faut que le dessin assure la prépondérance sur la couleur.” Un peu plus tard, quand la peinture sera reconnue comme élément essentiel, Henri Matisse dira : “La couleur est l’élément viril de la peinture, le dessin en étant la part féminine.”

Nietzsche a rédigé une série d’aphorismes cinglants, notamment : “Quand les femmes deviennent savantes, c’est généralement dû à un dysfonctionnement de leurs organes génitaux” ! Sigmund Freud prétend que “la femme est un continent noir à la libido et à l’énergie pulsionnelle passive”  et il associe l’actif au masculin. Quant à Jacques Lacan, il dit que l’androcentrisme reste fondamental, qu’il permet de comprendre la position dissymétrique dans les liens amoureux.

Pourquoi cette condition inférieure des femmes a-t-elle pu défier le changement depuis des millénaires ? Tant que les femmes n’ont pas pu dire “nous” comme les noirs, les homosexuels ou les travailleurs. Par leur condition, elles ne connaissent pas cette promiscuité spatiale qui est indispensable pour s’organiser. Au Moyen Âge, elles s’étaient trouvées devant une seule alternative : le couvent ou le mariage. Certaine se sont réfugiées dans l’univers monial où elles pouvaient s’instruire et vivre relativement indépendantes des hommes. Certaines abbesses ont pris beaucoup d’importance. En pleine Inquisition, elles seront réprimées.

En 1789, les femmes se mobilisent et descendent dans la rue. En 1791, Olympe de Gouges a rédigé la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, mais elle sera guillotinée en 1793.

Flora Tristan est née en 1803 ; mariée à 18 ans, découragée, elle part à 22 ans sous un nom d’emprunt. Première enquêtrice sociale, elle a pris des notes en Angleterre, au Pérou et dans diverses villes françaises pour rédiger d’intéressants rapports sur les conditions de travail de ces populations. Flora Tristan est, en fait, la grand-mère du célèbre peintre Paul Gauguin.

Clémence Royer fut co-fondatrice, dans la Grande loge maçonnique symbolique écossaise, d’un atelier de Droit Humain en 1894. C’était une obédience masculine où l’on a permis une initiation de femmes de manière clandestine et transgressive. Elle a été la première femme à enseigner à La Sorbonne et elle a traduit le livre de Charles Darwin sur l’origine des espèces. Ses compétences reconnues, elle a été la première femme à être décorée de la Légion d’Honneur. Il faut croire que la qualité de ses travaux avait impressionné les hommes !

La bibliothèque Marguerite Durand est le seul lieu en France qui rassemble la mémoire des femmes. Brillante sociétaire de la Comédie Française, Marguerite Durand a décidé de faire don de toutes ses archives à la Ville de Paris.

d’après Myriam KENENS

  • image en tête de l’article : Flora Tristan © alternatives-economiques.fr
La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Myriam KENENS, organisée en juin 2004 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

MASUY : Historique des espaces verts de Cointe (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 9 minutes >

Nous allons parcourir les paysages de Cointe à travers les siècles en partant de la plaine de Sclessin pour arriver au terril Piron en suivant un corridor écologique. Les corridors écologiques offrent en effet aux espèces des conditions favorables à leur déplacement (dispersion et/ou migration) et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Ils correspondent aux voies de déplacement préférentielles empruntées par la faune et la flore.

Antiquité et Moyen Âge

Il y a 2000 ans, la vallée de Sclessin était marécageuse et la colline était couverte par la forêt d’Avroy, composée principalement de chênes, de hêtres et de frênes.

A partir du Moyen-Âge, Cointe fut partagé entre trois juridictions : la Libre Baronnie d’Avroy et la Seigneurie de Fragnée, qui toutes deux dépendaient de la Principauté de Liège, et l’avouerie d’Ougrée-Sclessin qui dépendait de la principauté de Stavelot-Malmédy. Elle se situait à l’abbaye du Val Benoît.

A partir du 10ème siècle, la vallée fut défrichée et les terrains entourant l’abbaye du Val Benoît furent cultivés ou utilisés comme pâturages. La première mention écrite de la culture de la vigne à Sclessin date de 1092 mais une étude palynologique récente de l’Université de Liège montre que la culture de la vigne sur le versant sud-ouest de la colline remonte à l’époque mérovingienne. Le sol de ces coteaux, composé de schiste, accumulait la chaleur le jour pour la restituer la nuit, créant des conditions idéales pour la viticulture.

La grande forêt d’Avroy était peuplée d’animaux sauvages tels lièvres, renards, chevreuils, sangliers et même quelques loups. A cette époque,  les Princes-Evêques de Liège aimaient y chasser.

A partir du 16ème siècle, la colline fut défrichée afin de permettre l’extension des pâturages, des vergers, des vignes, des cultures céréalières, potagères et houblonnières. Une autre cause du déboisement est la fabrication du charbon de bois nécessaire aux forgerons et aux cloutiers. Des meules de carbonisation se situaient à l’actuelle place du Batty.

Si on regarde la carte de Ferraris, ci-dessous, datant de 1778, on observe que le plateau de Cointe est encore à l’époque très peu peuplé et que le paysage est essentiellement champêtre.

Carte de Ferraris © geoportail.wallonie.be

Développement industriel

Le sous-sol de la colline était riche en houille et les veines de charbon affleuraient au sol. Le charbon fut exploité initialement à ciel ouvert, puis à partir du 13e siècle, des puits peu profonds appelés bures ont été utilisés. Afin de pouvoir creuser plus profondément, des galeries d’assèchement (arènes) furent creusées pour évacuer les eaux d’infiltration, permettant ainsi une exploitation plus importante des veines de charbon.

Sous le régime français, en 1797, les propriétés de l’abbaye du Val Benoît furent vendues à vil prix, et elles finissent par appartenir à Pierre Joseph Abraham Lesoinne, avocat à Liège. Son fils Nicolas réactiva le charbonnage du Val Benoît en 1824 et une de ses filles, Émilie épousa Édouard van der Heyden à Hauzeur. Il fut le patron à Sclessin du premier moulin à vapeur de Belgique, machinerie au cœur d’une importante minoterie.

Dès 1870, Sclessin va connaître un essor industriel prodigieux en exploitant systématiquement et intensivement le sous-sol grâce à plusieurs sièges charbonniers du Val Benoît.

Cette période fut marquée par une transformation majeure du paysage de la plaine de Sclessin. Les prairies et les cultures disparaissent et, à la fin du 19ème siècle, la culture de la vigne est pratiquement abandonnée. En effet, un parasite, le phylloxéra de la vigne, attaqua les vignes en provoquant une maladie du même nom. De plus, l’industrialisation permit aux entreprises d’offrir des salaires hebdomadaires garantis et un travail à l’abri des intempéries aux fils de vigneron qui abandonnèrent alors le travail de la terre. Dans le même temps, la culture houblonnière, qui permit l’extension florissante de plus de 500 brasseries dans les années 1800, fut atteinte de la rouille et disparut.

Le parc privé

Parc privé de Cointe et l’Observatoire © Philippe Vienne

Dès 1876, la famille Hauzeur envisagea la mise en valeur des terrains qu’elle possédait sur le plateau de Cointe avec la création d’un parc résidentiel privé de haut standing. Cette partie de la colline était encore entièrement boisée.

Les travaux débutent en 1881 par l’aménagement des voiries du parc ainsi que la création d’une route en provenance de la vallée, l’avenue des Thermes qui deviendra l’avenue Constantin de Gerlache. L’Institut d’astrophysique, première construction du parc, fut érigé entre 1881 et 1882 selon les plans de l’architecte liégeois Lambert Noppius. Vint ensuite la construction de belles villas dont la villa L’Aube de Gustave Serrurier-Bovy en 1903.

Les laiteries à la fin du 19e siècle sont à la mode et on en trouve plusieurs sur le plateau de Cointe dont la laiterie du Parc. Elles attirent les familles de la bonne société qui viennent s’y restaurer et se distraire.

Dans le parc privé, en 1905, Monsieur Armand de Lairesse installa huit grandes serres à l’arrière de la villa Les Tamaris. Il y cultiva des orchidées qu’il exporta sous forme de fleurs coupées emballées dans du papier de soie et placées dans de grands paniers plats en osier. Elles ont disparu aujourd’hui.

Parc communal de Cointe

Parc communal de Cointe – Champ des Oiseaux © Philippe Vienne

Le parc public est créé par arrêté royal du 26 février 1900 en vue de l’exposition universelle de 1905. Il va se situer au lieu-dit Champ des oiseaux qui était encore un endroit assez sauvage avec des champs et des prairies.

Conçu par l’architecte de jardin Louis Van der Swaelmen, le parc se compose d’une section paysagère et d’une zone boisée d’aspect plus sauvage. Il comporte également une rocaille parcourue de sentiers abritant des plantes vivaces aux floraisons colorées. L’avenue de Cointe, rebaptisée en 1921 boulevard Kleyer, est l’une des principales artères du parc, offrant une vue panoramique sur la ville et ses environs.

Il accueillit l’annexe de l’Exposition universelle de 1905, avec le palais de l’horticulture belge. Un vaste terrain fut destiné aux démonstrations d’horticulture et de culture maraîchère, ainsi qu’aux concours agricoles et aux compétitions sportives. Après l’Exposition universelle de 1905, le terrain affecté aux exhibitions sportives servit aux manœuvres de l’armée. Puis la ville le reconvertit en espace public avec pistes d’athlétisme, courts de tennis, hall omnisports et plaine de jeux pour enfants.

La superficie totale de ce magnifique espace vert est de 14,7 hectares et il est aujourd’hui entretenu grâce à une gestion différenciée (fauchage tardif, éco-pâturage, plantes annuelles mellifères, nichoirs, maintien des arbres morts, tonte différenciée, absence de pesticides…) par le service des Plantations de la Ville de Liège. Il contient de nombreux arbres remarquables qui sont exceptionnels par leur âge, leur situation, leur espèce ou leur degré de rareté. La plupart de ces arbres provenaient de contrées lointaines, plantés au 19ème siècle pour instruire ou étonner. Les arbres, aujourd’hui vieillissants, présentant des maladies ou des pourritures, constituent un danger pour les usagers et doivent parfois être abattus. Ils sont remplacés par des arbres indigènes.

Le Bois d’Avroy

Bois d’Avroy © Philippe Vienne

Le domaine du Bois d’Avroy, fut constitué progressivement par la famille de Laminne dès le début du 19e siècle. Il s’étendait sur 35 hectares et un château y fut construit de style Louis XVI. En 1910 et 1912, le château et les terrains furent vendus à la société anonyme des charbonnages du Bois d’Avroy. Autour du charbonnage, dans le quartier des Bruyères, subsistaient plusieurs fermes entourées de cultures et de pâturages.

A partir de 1966, le charbonnage commença à vendre ses terrains. On y construisit un ensemble d’immeubles situés au niveau de la rue Julien d’Andrimont ainsi que l’ONEM rue Bois d’Avroy. En 1978, un des terrains servit à la construction de l’école Saint-Joseph des Bruyères qui deviendra plus tard l’internat de l’État (aujourd’hui MDE).

Ce qui restait du terrain appartenant à la famille de Laminne, c’est à dire 4 hectares, fut vendu au début des années 1990 à un promoteur immobilier. Après bien des vicissitudes, un petit complexe immobilier verra le jour n’occupant que la partie à front du boulevard Kleyer.

Le reste des terrains, d’une surface de 5 hectares, entourant ces différents immeubles n’a plus été entretenu et a permis à la végétation et à la faune de s’installer et de se développer en toute quiétude. On y trouve plusieurs espèces communes (écureuils, hérissons, fauvettes, pics, papillons, noisetiers, ormes) et des espèces en danger comme le crapaud alyte accoucheur (Alytes obstetricans) et le coléoptère lucane cerf-volant (Lucanus cervus) qui est une espèce protégée en Wallonie et en Europe.

La prairie des Bruyères

Prairie des Bruyères © Philippe Vienne

Le quartier résidentiel des Bruyères s’est construit sur une partie des terrains du charbonnage du Bois d’Avroy dans les années 1970. Sur ces terrains se situaient plusieurs fermes. Entre les numéros 65 et 95 de la rue des Bruyères, il y avait, à cet endroit, un ravin abrupt d’une bonne dizaine de mètres entre les cotillages des maraîchers Leblanc et Galand. C’est au fond de ce ravin que se trouvait l’œil de l’arène de Sclessin. Les eaux étant chaudes, les Galand semaient sur les bords, la première salade qu’ils livraient au marché avait quinze jours d’avance sur les autres maraîchers. Louis Leblanc, après les bombardements de 1944, a comblé ce ravin et l’a transformé en prairie où paissaient ses vaches. Aujourd’hui, les vaches ont disparu et un fermier vient y faire les foins.

Le terril Piron

Terril Piron © Philippe Vienne

Le charbonnage de la Haye, déjà présent au sommet de la rue Saint-Gilles, inaugura en 1875 un siège supplémentaire à l’emplacement d’une ancienne bure dite Piron. Jusqu’en 1930, le charbonnage va déverser ses résidus miniers au Bois Saint-Gilles.

Depuis, le terril Piron, qui  couvre une superficie d’environ 7 hectares, présente un plateau herbeux, sur lequel deux terrains de football ont été aménagés et qui, aujourd’hui, sont abandonnés, ainsi que des pentes abruptes et thermophiles. La végétation y est diversifiée incluant des pelouses sèches et des espèces rares. La colonisation par les ligneux y est de plus en plus importante, y compris sur les pentes abruptes. Le site héberge une population d’orvet fragile (Anguis fragilis) et de lézard des murailles (Podarcis muralis), ainsi que le crapaud calamite (Bufo calamita) surtout en bas du versant. Le lucane cerf-volant (Lucanus cervus) est régulièrement aperçu dans le périmètre du terril.

Quel avenir pour demain ? Le plan nature de la Ville de Liège

Le Plan Communal de Développement de la Nature (PCDN) de la Ville de Liège a pour but d’intégrer durablement la nature et la biodiversité dans le développement social et économique du territoire. Il vise à établir un diagnostic précis de la nature et de la biodiversité pour orienter les actions de préservation et de restauration des milieux naturels.

La carte des réseaux écologiques thématiques synthétisés montre le maillage écologique de la Ville de Liège. Le maillage écologique est l’ensemble des habitats susceptibles de fournir un milieu de vie temporaire ou permanent aux espèces végétales et animales afin d’assurer leur survie à long terme. Le maillage écologique de Liège se compose de zones centrales, de zones de développement et d’éléments de liaison. Les zones centrales sont prioritaires pour la conservation de la biodiversité. Les zones de développement, quant à elles, sont adaptées pour accueillir la biodiversité tout en supportant des usages anthropiques. Les éléments de liaison, tels que les alignements d’arbres le long des voiries et les haies, permettent la connectivité entre ces zones en formant des corridors écologiques. Les corridors écologiques sont importants pour le brassage génétique des populations.”

On peut observer sur la carte ci-dessous les espaces verts de Sclessin et Cointe qui sont repris en zone de centrale et en zone de développement.

Carte des réseaux écologiques thématiques simplifiés © liege.be

La Ville de Liège désire aussi lutter contre le réchauffement climatique. Elle a déployé dans ce but son plan Canopée. Il consiste à planter plus de 24.000 arbres à l’horizon 2030 tant dans l’espace public que dans les espaces privés. Elle a formé des citoyens, bénévoles, dans chaque quartier afin qu’ils deviennent des passeurs d’arbres. Ils peuvent prodiguer des conseils en matière de plantation et de soins ainsi qu’informer sur les bonnes pratiques et la réglementation en vigueur. Grâce à ce plan, le quartier de Sclessin devrait voir le pourcentage d’arbres plantés sur son territoire augmenter de 30 à 40 %.

La Ville de Liège désire que chaque usager de la ville trouve un espace public de qualité et vert à 10 minutes à pied (voir stratégie PEP’S). Elle s’en donne les moyens grâce aux différentes actions qu’elle entreprend.

Béatrice MASUY

Bibliographie sélective :

      • SCHURGERS P., Cointe au fil du temps…, Liège, 2006
      • DEJAEGERE J., Sclessin autrefois, Noir Dessin Production, 2014
      • WARZÉE C., Liège autrefois, Cointe-Haut-Laveu-Saint-Gilles-Burenville, Noir Dessin Production, 2013
        (Bibliographie complète sur demande)

Image en tête de l’article : Prairie des Bruyères (rue des Buis) © Philippe Vienne


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Béatrice MASUY, organisée en juin 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HENOUMONT : 1944… les bombes ! (CHiCC, récits de témoins)

Temps de lecture : 3 minutes >

TOUT SUBIR…

Ce printemps-là, les bombes américaines, chaque jour, tombaient sur Liège. On mourait sans haine, car elles annonçaient le retour de la liberté. Pour un pont sur la Meuse, Kinkempois et Fétinne furent rasés. Le 20 juin 1944, une circulaire de police relevait 131 immeubles détruits, 554 inhabitables et 1.907 endommagés.

Je me souviens… J’ai vu partir en fumée les servants d’une batterie de défense anti-aérienne allemande, près du pont. On regardait, on ne comptabilisait pas la mort : elle était présente à chaque minute. Du ciel, tombaient les bombes et on aurait dit qu’un train, locomotive en tête, crevait les nuages. L’été vint et, un jour, dans le ciel, je vis passer au-dessus de la ville un étrange engin pétaradant. Le lendemain, le Pays Réel annonça qu’Hitler envoyait sur Londres ses armes secrètes dont on avait douté alors que les fuyards allemands de plus en plus nombreux les annonçaient imminentes. Un jour de septembre, une nuit plutôt, les GI’s furent là. Toute ma vie, je me souviendrai de ces six hommes casqués et silencieux. Puis ce fut la Libération. La guerre était finie, gagnée…

Au vrai, le plus dur était à venir. Un jour de décembre, alors que Noël était proche, les Allemands revinrent en force en Ardenne et sur Liège, les V1 et les V2 ne cessèrent de tomber, jour et nuit. Je vous parle de Liège parce que j’y étais. Londres et Anvers encaissèrent davantage, mais on a oublié que ma ville fut au troisième rang des cités sinistrées. Les Liégeois apprirent à vivre comme les rats dans les caves. On y descendit les lits, un poêle, de quoi vivre. Il fallait néanmoins travailler. Les cafés et les cinémas étaient ouverts. Le quotidien était assuré. On mourrait dans les gravats s’accumulant, comme si Liège était un volcan.

Entre les ruines, là où il y avait eu une rue, il n’y avait plus qu’un sentier. La nuit, on écoutait les V1 tournoyer dans le ciel. On les entendait venir du côté de l’Allemagne ou de la Hollande où se trouvaient les rampes de lancement. Le V1 s’arrêtait, il y avait un instant de silence et puis… l’explosion ! On redoutait davantage les V2, invisibles et silencieux, creusant des cratères où il ne restait plus que des bouts de bois et des briquaillons. J’ai pleuré de rage en entendant à la radio allemande, un copain de lycée passé du mauvais côté, chanter : “Valeureux Liégeois, sans vitres, ni toits !

Ce qui me stupéfie encore aujourd’hui, c’est que l’homme s’accoutume à cela ! Les Allemands étaient aux portes de Liège ; on écoutait la radio où les noms de Stoumont et de Manhay disaient combien ils étaient proches. Mais on s’accrochait, la guerre ne pouvait durer, elle était gagnée et nous étions libérés.

D’octobre à mars 1945, l’ensemble de l’arrondissement de Liège fut frappé par mille cinq cents V1 et V2 tandis que le cœur de la ville était atteint par deux cents engins. Le Vinave d’île, la place du Marché, furent frappés de plein fouet. J’habitais entre les deux… Il y eut plus de 1.649 victimes et plus de 2.800 blessés, 2.800 maisons détruites et 25.000 appartements et demeures inhabitables.

Vous devinez pourquoi je consacre cette chronique à ce rappel d’un passé déjà lointain, oublié, inimaginable pour les jeunes générations. Pourtant en mai 1945, les survivants que nous étions, biffèrent de leur mémoire ces jours de guerre, ces nuits d’apocalypse. L’homme peut… TOUT SUBIR !

René HENOUMONT

Pour lire la brochure complète (PDF-OCR), cliquez ici…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, correction, partage, édition et iconographie | sources : brochure “1944… les bombes !” de la CHiCC, téléchargeable dans la DOCUMENTA (dématérialisation en cours) | contributeur : Patrick THONART | crédits illustrations : © Fonds Desarcy – Musée de la Vie wallonne.


Témoigner encore en Wallonie…

CONFERENCE | 20 ans après, l’encyclopédie wallonica.org court toujours… (CHiCC)

Mercredi 17 avril à 20 heures à la Chapelle Saint-Maur (64 rue St-Maur à B-4000 LIEGE) aura lieu notre prochaine conférence. Pour la CHiCC, cette conférence revêt une importance particulière, car, vous l’avez peut-être remarqué, en annonçant la conférence du mois, nous vous indiquons souvent que vous pouvez trouver un résumé de la conférence précédente sur le site wallonica.org. “20 ans après, l’encyclopédie wallonica.org court toujours…” : la présentation sera donnée par Patrick THONART, le fondateur du site, et Philippe VIENNE, son complice et vice-président de la CHiCC. Ils nous expliqueront les intentions et les mécanismes de cette encyclopédie discrète et trop peu connue, comment elle s’alimente et pourquoi. Ensuite, ne manquez pas la visite guidée !

Claire PIRLET, Présidente CHiCC

KATTUS : Lire, le propre de l’homme ? (CHiCC, 2024)

Temps de lecture : 11 minutes >
Vous qui êtes en train de lire cet article, vous n’êtes ni analphabète, ni illettré. Vous avez été scolarisé et avez donc eu accès à l’apprentissage du code, l’alphabet, utilisé par notre langue pour garder une trace écrite des productions langagières. Vous avez peu à peu fixé les démarches de base de la lecture et avez pu progressivement accéder au sens des textes. Au fil de votre enfance et de votre scolarité, la lecture vous est devenue automatique et familière, et jamais vous ne l’oublierez.
Pourtant, aujourd’hui, environ 10 % de la population adulte, qui est néanmoins passée par l’école, est exclue de cet accès autonome aux textes du quotidien. En effet, toutes ces personnes, plus d’un million de citoyens en Belgique, ne sont pas arrivées, au terme de leur scolarité, à automatiser suffisamment les démarches de base de la lecture. Leur déchiffrage des textes, lent et fastidieux, entraine chez eux un sentiment de découragement car la lecture dans ces conditions pénibles ne permet pas d’accéder au sens des textes. Arrivés à l’âge adulte, ces lecteurs en grande difficulté souffrent de ce qu’on appelle l’illettrisme qui les exclut de toute une série de plaisirs ou de droits. Ils souffrent surtout d’un sentiment de honte et se sentent des citoyens ‘de seconde zone’.
Dans notre société de l’hyper-écrit où toute démarche quotidienne passe par la lecture-écriture d’un texte, ils se sentent particulièrement abandonnés. Un exemple simple : acheter un billet de train à l’automate d’une gare. Cela requiert des compétences de lecture déjà très affinées : adopter la bonne stratégie face à la page d’accueil qui se présente comme un plan dont il faut comprendre comment l’aborder, savoir repérer et sélectionner les informations pertinentes qui correspondent à son projet de voyage et à son statut personnel de voyageur, auto-évaluer les résultats de sa lecture pour éventuellement revenir en arrière et effectuer d’autres choix, lire suffisamment vite et supporter le stress lié à l’impatience palpable de la file des voyageurs derrière soi…
Par ailleurs, les performances en lecture des jeunes de 15 ans posent également question. Les enquêtes internationales qui testent leurs compétences ou les résultats qu’ils obtiennent aux épreuves de lecture de la Fédération Wallonie-Bruxelles montrent qu’un tiers environ d’entre eux sont de mauvais, voire de très mauvais lecteurs. Ils arrivent difficilement à percevoir le sens littéral des textes simples qui leur sont proposés, ils n’accèdent pas à leurs implicites ni ne perçoivent clairement leurs intentions.
Cela a des conséquences multiples, tant sur la qualité de leurs apprentissages scolaires (or, l’échec scolaire mène souvent à l’exclusion sociale) que sur leurs capacités de développement personnel. Cela pose également question du point de vue de leur participation à la vie démocratique et citoyenne, en particulier aujourd’hui, à la veille des élections européennes auxquelles ils sont invités à participer dès l’âge de 16 ans. Comment en effet, sans avoir de compétences solides en lecture, porter un regard éclairé sur le programme des partis auxquels ils vont confier la responsabilité de les représenter, comment adopter une distance critique par rapport aux multiples influences dont ils sont l’objet à travers les discours dominants de leur famille ou des réseaux sociaux ?
Il importe donc aujourd’hui d’offrir à chacun une information solide sur les vertus de la lecture, comme le dit Michel Desmurget, chercheur en neurosciences cognitives, dans une interview accordée au Vif en novembre 2023 : Là où les écrans récréatifs sapent consciencieusement le développement des enfants, la lecture construit minutieusement leur humanité : langage, culture, imagination, créativité, expression orale et écrite… La lecture est incontestablement le vecteur d’émancipation le plus puissant à offrir à un enfant défavorisé.”

Mais d’autres signes montrent au contraire que la lecture ne se porte pas si mal. Si un tiers des élèves de 15 ans sont de piètres lecteurs, un autre tiers manifeste des compétences correctes en lecture et le dernier tiers est constitué de bons ou très bons lecteurs, capables d’aborder des textes complexes et d’adopter un positionnement critique à leur égard. Autres signes positifs, en vrac : l’ouverture toute récente de la nouvelle bibliothèque B3 à Liège, qui comptabilise 10.000 nouvelles inscriptions en quelques mois et accueille aujourd’hui un nombre impressionnant de jeunes ; succès croissant de plusieurs librairies indépendantes qui proposent de multiples activités autour de la lecture ; prix Horizon (prix du deuxième roman) qui réunit tous les deux ans un jury constitué de plus de 1000 lectrices et lecteurs, etc. Qu’est-ce donc qui attire tant de personnes vers cette pratique qui peut paraître lente et fastidieuse en comparaison des multiples occupations divertissantes qu’offrent les nouvelles technologies ? En quoi cette pratique, éminemment singulière et secrète, consiste-t-elle ?

Finalement, qu’est-ce que c’est, lire ?
“La lecture d’un texte peut être définie comme une activité de construction de sens, réalisée par un lecteur dans un contexte particulier” (Giasson et Goigoux, 1997).

1. C’est une activité intense, très prenante, au point que pour le lecteur, le monde extérieur s’efface. Voyez à cet égard les très belles photos qu’André Kertesz a publiées dans son recueil On reading.

2. Le sens du texte advient à la confluence de trois “forces” qui contribuent chacune à construire le sens : celui-ci n’est pas donné une fois pour toutes et pour tous, chaque lecteur le construit personnellement, en intégrant les éléments fournis par le texte et en se situant dans un contexte de lecture particulier.

            Lecteur           →          SENS           ←        Texte

                                                     ↑

                                               Contexte

Alberto Manguel (écrivain, traducteur, auteur d’Une histoire de la lecture, docteur Honoris Causa de l’ULg) explique : Lire ne consiste pas en un processus automatique d’appréhension du texte comparable à la manière dont un papier photosensible est impressionné par la lumière, mais en un processus labyrinthique de construction, commun à tous et néanmoins personnel.”

3. Que signifie enfin “construire le sens” ? Il s’agit d’une opération complexe au cours de laquelle le lecteur doit s’efforcer de :

      • comprendre, c’est-à-dire construire le sens littéral (C’est écrit dans le texte),
      • interpréter, c’est-à-dire construire le sens inférentiel (C’est écrit entre les lignes),
      • apprécier, c’est-à-dire construire le sens personnel (Est-ce que j’apprécie ce texte ? Suis-je d’accord avec son contenu ? Me fait-il penser à une expérience que j’ai vécue, un autre texte que j’ai lu ? Que signifie-t-il exactement pour moi ? Qu’est-ce que j’en garde pour ma propre vie ?).
Comment s’y prend-on pour lire ?

Le lecteur doit mettre en œuvre de multiples processus et stratégies de lecture. En voici quelques-unes, particulièrement importantes :

      • Ne pas se contenter de déchiffrer le texte, même si cette démarche est essentielle, mais se centrer sur la production de sens.
      • Déchiffrer suffisamment rapidement pour arriver à produire du sens. En effet, un déchiffrage trop lent, qui ne parvient à saisir que quelques lettres à la fois lors de chaque déplacement de l’œil, ne permet pas d’accéder au sens, notre mémoire de travail étant limitée à 7 éléments maximum. Comparez une saisie lente et balbutiante du texte  comme “Le – cro – co – di – le – a – tra – ver – sé – la – ri – viè – re – pour – at – tra – per – la – ga – zel – le.” à une saisie rapide et experte comme “Le crocodile a traversé la rivière – pour attraper la gazelle.” La vitesse de déchiffrage a une incidence directe sur la compréhension du texte.

      • Avoir confiance en lui-même, être dans un état de “sécurité lecturale“.
      • Disposer des connaissances lexicales nécessaires et des connaissances du monde lui permettant d’avoir accès à l’univers culturel du texte.
      • Prélever des indices pertinents dans le texte, les mettre en relation les uns avec les autres pour réaliser des inférences et anticiper la suite.

      • Mettre en œuvre les stratégies de lecture pertinentes en fonction de son projet de lecture : lire de A à Z, ou repérer les informations importantes et les sélectionner avant d’approfondir sa lecture, etc.
      • Prendre en compte les caractéristiques formelles du texte lu, par exemple sa structure.
      • Être conscient de l’influence du contexte de la lecture, par exemple les conditions physiques dans laquelle a lieu cette activité (on ne lit pas de la même façon dans le métro ou dans son lit, sur papier ou sur écran), ou l’époque à laquelle la lecture a lieu (on lit aujourd’hui Tintin au Congo comme un texte empreint de racisme alors qu’à l’époque de sa publication, on le lisait comme un texte divertissant).

On constate donc une extrême complexité de ce que le lecteur doit convoquer pour comprendre, interpréter et évaluer les textes, eux-mêmes très variés, et cela dans une grande diversité de contextes de lecture. Cette complexité provoque indéniablement chez les lecteurs les plus fragiles des déficits de lecture de différentes sortes auxquels il convient de remédier, tant à l’école que dans le milieu de vie.

Les deux remèdes essentiels, en dehors d’un travail plus spécifique effectué par les professionnels de la lecture que sont les enseignants, sont les suivants :

      • familiariser les enfants avec l’univers du livre, la culture de l’écrit, la diversité de ses usages, et ce depuis le plus jeune âge,
      • clarifier la nature de l’activité de lecture, à savoir ne pas seulement déchiffrer, mais construire le sens littéral des textes, le sens inférentiel et surtout, le sens personnel.
De la lecture à la littérature

Face à la multiplication des documents de toutes sortes auxquels nous avons accès aujourd’hui, en particulier la mixité de ceux-ci composés d’images et de texte, d’oral et d’écrit, le concept de lecture devient un peu étroit. Il est progressivement remplacé par celui de littératie, défini par l’OCDE de la façon suivante : aptitude à comprendre et à utiliser l’information écrite dans la vie courante, à la maison, au travail et dans la collectivité en vue d’atteindre des buts personnels et d’étendre ses connaissances et ses capacités.

L’Association Belge pour la Lecture, section Francophone (ABLF) a repris sous la forme d’un nuage de mots les éléments constitutifs à ses yeux de la littératie.

      • En bleu : l’essentiel de la littérature
      • En vert : les différents types de documents à lire  aujourd’hui
      • En orange : les multiples opérations de la littératie
      • En rouge : les objectifs que l’on peut choisir de poursuivre en lisant
Lire, à quoi bon ? Apports et vertus de la lecture

Plusieurs enjeux de la lecture peuvent être distingués : d’abord ceux qui sont liés à la vie quotidienne et à la vie professionnelle, assez évidents : en effet, sans capacité de lire, impossible de s’insérer dans notre société caractérisée par la surabondance de textes de toutes sortes.

Mais la lecture possède aussi de nombreuses vertus en ce qui concerne le développement personnel des lecteurs.

Le plaisir, d’abord et avant tout : lire rime avec rire et plaisir ! Lire est aussi l’anagramme de lier, (re)lier les lecteurs à la pensée de l’auteur du texte, mais aussi les relier entre eux, en communauté de lecteurs partageant un ami commun, le livre.

En quoi consiste exactement ce plaisir de la lecture ? On peut en distinguer au moins trois composantes :

      • le plaisir de s’identifier aux personnages du récit, de vivre leurs aventures, dans leur univers, comme le faisait Madame Bovary. Cette facette du plaisir de lire s’appelle d’ailleurs le bovarysme,
      • vient ensuite le plaisir de l’interprétation : inférer, anticiper et vérifier la pertinence de sa réflexion,
      • enfin le plaisir que l’on éprouve devant une forme nouvelle, procuré non pas tant par ce que l’auteur dit que par la façon dont il le dit, par le ton propre qui est le sien et qui touche chez le lecteur un point sensible, par son inventivité ou sa beauté.

Outre le plaisir qu’elle procure à ses adeptes, la lecture possède de nombreuses autres vertus, comme l’expriment les auteurs de la plaquette Lire est le propre de l’homme, de l’École des loisirs :

      • Arthur Hubschmidt, cofondateur de l’École des loisirs : “Je suis protégé par des amis discrets et passionnants. Je n’ai plus peur. Je sais qu’une inépuisable chaine d’ami(e)s m’attend.”
      • Jean-François Chabas : “Le livre a structuré mon intellect, nourri ma morale et ma sensibilité.”
      • Agnès Desarthe : “C’est un miroir, une machine à remonter le temps, une porte ouverte sur l’autre.”
      • Valérie Zénatti : “Les livres nous apprennent le courage, le goût de la justice, l’audace, la rêverie.”
      • Claude Ponti : Nous sommes libres de savoir, de comprendre, de choisir et d’agir, parce que nous savons lire et que nous lisons. Nous sommes des êtres de culture et de choix. Rien ne garantit que nous fassions les bons choix, mais comme nous lisons, nous choisissons, nous décidons.”
      • Geneviève Brisac : “Pourquoi lisons-nous ? N’est-ce pas dans l’espoir d’une vie plus dense, de journées plus vastes ? Une vie plus dense, plus ronde, des journées plus vastes, plus claires, un monde plus lumineux, un avenir vivable, un passé compréhensible.”
      • Daniel Pennac : “Chaque lecture est un acte de résistance. De résistance à quoi ? A toutes les contingences. Toutes. …/… Une lecture bien menée sauve de tout, y compris de soi-même.”

Autre enjeu de la lecture : la vie citoyenne. La lecture est toujours perçue comme une menace par ceux qui détiennent le pouvoir, car lire, c’est se doter de connaissances, découvrir d’autres modes de fonctionnement, se doter d’un libre arbitre et devenir à même de se libérer des emprises dont on est l’objet. D’ailleurs, comme le précise Alberto Manguel, “L’histoire de la lecture est éclairée par une suite apparemment sans fin d’autodafés. Le livre est le fléau des dictatures. Puisqu’on ne peut désapprendre l’art de lire une fois qu’il est acquis, reste à en limiter la portée.” Lire et élire sont deux verbes qui ont plus à voir entre eux que leur simple consonance…

Enfin, si l’on accepte l’idée que les lecteurs peuvent transposer à la vie quotidienne les procédures qu’ils mettent inévitablement en œuvre lorsqu’ils lisent, on peut encore répertorier quelques apports supplémentaires de la lecture :

      • Lorsqu’on lit, on anticipe. Comme le dit Philippe Meirieu, “L’écrit nous permet de ne pas rester dans l’immédiateté, d’introduire du sursis, de la distance, de la réflexion”. Or, les technologies modernes de notre société consumériste nous plongent souvent dans l’immédiateté de la satisfaction de nos besoins ou de nos envies. Pour notre bonheur individuel ou collectif ?
      • Lire nous invite à relier les informations entre elles, à considérer le texte et les questions qu’il pose comme un ensemble, un système. Cette vision systémique apparaît aujourd’hui indispensable dans notre société technologique excessivement guidée par une réflexion héritée du Discours de la méthode de Descartes, à savoir la division des questions-problèmes en unités plus petites qui constituent alors des questions-problèmes simples, auxquelles on apporte des réponses simples, qui elles-mêmes deviennent des questions-problèmes, etc. Lire, c’est être plus intelligent (étymologiquement, inter-legere = relier). Ménandre : Ceux qui savent lire voient deux fois mieux…”
      • Lire, c’est développer son empathie à l’égard de l’Autre. “C’est le cadeau empoisonné de la littérature, dit avec humour Geneviève Brisac, comprendre que jamais personne ne vécut sur Terre sans avoir son propre point de vue.” Or, faire société est grandement facilité lorsqu’on arrive à envisager que le point de vue de l’autre, différent du nôtre, s’explique et mérite d’être pris en compte.
      • Et bien entendu, lire donne accès à l’imaginaire et à la créativité, deux capacités dont nous avons tant besoin aujourd’hui pour nous éloigner des modèles dominants délétères dans lesquels nous sommes englués et ainsi développer de nouvelles pistes.
Lire, le propre de l’homme ?

On a longtemps considéré que les activités suivantes étaient de bonnes candidates au titre de “propre de l’homme” : la guerre, la fabrication d’outils, l’art, le deuil, l’enseignement, la séduction, l’agriculture, la démocratie, la paresse, le langage, le rire… Mais les récents travaux des éthologues nous apprennent qu’il n’en est rien. Bien entendu, les observateurs de l’espèce humaine retrouvent tous ces comportements chez nous, et à un niveau de complexité inégalé. François Verheggen, professeur de zoologie à l’Université de Liège, se demande ainsi dans son récent ouvrage intitulé La cigale et le zombie si ce niveau de complexité ne serait pas, finalement, le propre de l’homme. Or, comme le montre le début de cet article, la lecture est une activité éminemment complexe…

Nancy Huston, autrice de l’essai L’espèce fabulatrice explique quant à elle que ce qui distingue l’espèce humaine des autres espèces, ce serait le fait que seuls les humains (se) racontent des histoires, dont ils gardent trace, depuis environ 5000 ans, en recourant à l’écrit et donc à la lecture : Le Sens humain se distingue du sens animal en ceci qu’il se construit à partir de récits, d’histoires, de fictions.”

Bien entendu, être humain, c’est faire partie d’une espèce qui se caractérise par des comportements observables et objectivables. Comme la lecture. Hitler, par exemple, savait lire. Et nos contemporains qui lui ressemblent sont aussi des lecteurs…

Finalement, font-ils, faisons-nous, nous les primates humains, preuve d’humanité, au sens second de ce terme polysémique ? Sommes-nous capables de manifester de la bienveillance, de la compassion envers autrui, de la bonté, de la pitié, de la sensibilité ? Et la lecture peut-elle nous y aider ? On peut y croire, au moins un peu…

Jean KATTUS


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Jean KATTUS, organisée en février 2024 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

PUCCIO et WILKIN : Le bombardement du dépôt des archives de l’État à Liège en décembre 1944 et ses conséquences (CHiCC, 2023)

Temps de lecture : 2 minutes >

Le fonctionnement des Archives de l’État à Liège en 1940-1945 reste relativement mal connu. Jusqu’ici, les chercheurs se sont contentés d’évoquer rapidement le bombardement du 24 décembre 1944 durant lequel de nombreux documents d’Ancien Régime ont été détruits. Les grandes étapes de l’histoire de l’institution durant l’occupation et à la libération, la vie quotidienne de son personnel ou encore son mode de fonctionnement, sont restés dans l’ombre pendant plus de 75 ans. Pourtant, de nombreuses questions restent en suspens. Quelles ont été les difficultés rencontrées par la direction, le personnel scientifique et administratif ? Quelle a été la position de l’institution face aux demandes de l’occupant, notamment dans le cadre des enquêtes d’aryanité ? Des mesures spécifiques ont-elles été prises pour protéger les documents de destructions éventuelles ? Comment les Archives de l’État se sont-elles organisées à la suite des bombardements de 1944-1945 pour protéger les fonds endommagés ? Malgré la perte partielle des documents administratifs dans l’incendie qui a ravagé le dépôt en 1944, les documents conservés aux Archives de l’État à Liège et aux Archives générales du Royaume, les “archives des archives”, permettent de lever le voile sur de nombreuses interrogations.

Aujourd’hui encore, près de 80 ans après les faits, les successeurs de ces hommes et femmes continuent d’œuvrer patiemment à la restauration et à la réhabilitation de ce patrimoine exceptionnel. Les moyens financiers et en personnel font défaut et ce sont principalement des mécènes privés qui aident à la restauration de ces documents papiers. Parmi les 13 fonds d’archives endommagés, un seul a fait l’objet d’un traitement digne de ce nom. Lorsqu’est lancé entre 2007 et 2011 un vaste projet autour des institutions de la principauté de Liège, les Archives de l’État décident d’aller plus loin avec un argument qui saura convaincre : plus que l’histoire de la principauté de Liège, les archives du Tribunal de la Chambre impériale concernent l’histoire du Saint Empire germanique. Si ces précieux procès avaient été délaissés par les archivistes liégeois au lendemain du bombardement, soucieux d’abord de s’intéresser aux institutions centrales de la principauté de Liège, c’est pourtant cette collection qui va connaître, entre 2012 et 2019, le sort le plus enviable.

Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN

Bibliographie 

Puccio L. (dir.), Trésors de procédure : Les dossiers du tribunal de la chambre impériale conservés aux archives de l’état en Belgique (1495-1806), Liège, 2019.

Wilkin B., “Le dépôt des Archives de l’État à Liège face à la Seconde Guerre mondiale”, RHLg 1, 2020, p. 129-140.

  • illustration en tête de l’article : © Archives de l’État à Liège

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC, en octobre 2023 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

Plus de CHiCC ?

MEURICE : La folie de la princesse Charlotte de Belgique (CHiCC, 2011)

Temps de lecture : 3 minutes >

La folie de la princesse Charlotte de Belgique, soeur de Léopold II, impératrice du Mexique

La princesse Charlotte, fille de Léopold Ier, épousa Maximilien, frère de l’empereur d’Autriche, un des principaux monarques à l’époque. Sur l’insistance de Napoléon III, Maximilien accepta d’occuper le trône impérial du Mexique. L’aventure échoua et Maximilien fut passé par les armes par les Mexicains. Il aurait pu abdiquer à temps et éviter cette exécution mais la princesse Charlotte s’obstina et l’en dissuada de telle façon qu’apparaît déjà la naissance de sa folie.

La princesse Charlotte a souffert de paranoïa et de schizophrénie. Lorsque Napoléon III réalisa l’échec du corps expéditionnaire français (trente mille hommes) dans l’essai de pacification du Mexique et décida d’abandonner l’aventure, la princesse Charlotte fit le voyage du Mexique en Europe et força par deux fois les portes de Napoléon III afin d’intervenir en faveur de son époux et ce, de façon extravagante. Psychotique, elle souffrait de la folie des grandeurs, à tout prix et contre toute réalité. Elle intervint également dans le même but auprès du pape, allant jusqu’à saisir brutalement la tasse de chocolat du souverain pontife et l’avaler, morte de faim, tant elle craignait d’être empoisonnée.

A l’époque, on connaissait mal la schizophrénie qui était soignée vaille que vaille. De nos jours, avec les progrès du scanner et les neuroleptiques, on aurait pu soigner Charlotte ou, en tout cas, atténuer les effets pervers de ses dérèglements. Les facteurs génétiques semblent intervenir dans le cas des psychoses ainsi qu’un parallèle entre génie et folie. Ainsi, une des filles de Léopold II, Louise, devint folle, de même que la fille de Victor Hugo et celle de Claudel. Léopold II lui-même possédait un caractère très spécial. Dernier parallèle d’ordre médical, le père de Charlotte, Léopold Ier, était âgé de 52 ans lors de sa naissance ; un tel âge, chez un père, favorise de discrètes particularités génétiques.

Charlotte était une enfant surdouée : elle lisait à l’âge de quatre ans, en français et en anglais. Adolescente, elle possédait “l’idéal du pouvoir“, à 18 ans, elle avait “la frénésie du décorum“. Au Mexique, se succèdent les manifestations d’un faste impérial : ils débarquent avec une suite de 85 personnes, 500 malles et un carrosse rococo. Le goût du faste s’allie au goût du pouvoir et à la volonté sincère mais aveugle d’apporter “le bien“. Tout Mexicain pris les armes à la main sera néanmoins passé par les armes. D’où le sort qui sera réservé à l’empereur Maximilien.

Napoléon III possédait des créances importante sur le Mexique, il espérait se voir remboursé par l’exploitation du pays et organiser un empire extra-européen. Ce projet allait faire exploser chez Charlotte la réalisation de ses objectifs trop grandioses et en complète contradiction avec un édifice chimérique. Charlotte souffre d’un contraste entre une brillante et généreuse intelligence et une perception aveugle des contingences de la réalité. Agressive, irritable, nerveuse, paranoïaque, elle viendra plaider en vain la cause de Maximilien en Europe.

En janvier 1868 – Charlotte a 28 ans – le corps de Maximilien est ramené en Europe. Charlotte alternera alors les périodes de calme relatif et des périodes de grande agitation. Elle vivra. au château de Tervueren, détruit en 1879 par un incendie, puis au château de Bouchout. Née en 1840, elle mourra d’une complication de bronchite en 1927, à 87 ans.

d’après le le Dr Emile MEURICE

  • illustration en tête de l’article : © rtbf.be

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence donnée par le Dr Emile MEURICE et organisée en mars 2011 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

BIERLAIRE : Erasme de Rotterdam ou l’humaniste dans tous ses états (CHiCC, 2011)

Temps de lecture : 4 minutes >

Né à Rotterdam, vraisemblablement en 1469, et mort à Bâle en 1536, Érasme est le plus célèbre des humanistes de la Renaissance. S’il sillonne l’Europe et fait de longs séjours, parfois répétés, en France, en Angleterre, en Italie, en Allemagne et dans le canton de Bâle, il reste très attaché à sa terre natale, les Pays-bas, où il passe ses vingt-cinq premières années, puis revient à plusieurs reprises, pour travailler à Louvain, visiter ses amis à Anvers, Bruges ou Gand, fréquenter la cour de Bruxelles ou profiter de l’hospitalité d’un chanoine d’Anderlecht.

Érasme laisse une oeuvre considérable. Pendant près de quarante années, ce chercheur infatigable, qui correspond avec l’Europe entière, publie plusieurs livres par an (ouvrages inédits et/ou rééditions revues et corrigées). C’est par le livre que règne celui qu’on appelle parfois “le prince des humanistes”. Maîtrisant mieux que quiconque en son temps ce nouveau médium qu’est le livre imprimé, il surveille de très près la fabrication de sa production originale dans l’atelier de ses imprimeurs attitrés successifs (Thierry Martens à Anvers et Louvain, Alde Manuce à Venise, Johann Froben à Bâle…), mais est impuissant à contrôler les activités de leurs concurrents, qui diffusent les contrefaçons aux quatre coins de l’Europe.

Si l’Éloge de la Folie est le livre d’Érasme le plus souvent réédité et traduit depuis cinq siècles, les deux ouvrages les plus lus de son vivant sont les Colloques et les Adages. Le premier est un recueil de dialogues familiers entre des personnes de tous âges, des deux sexes et de toutes les professions. Le deuxième est une collection d’expressions proverbiales de l’Antiquité, accompagnes d’un commentaire explicatif plus ou moins long. Érasme ne cessa, tout au long de sa vie, de remettre sur le métier ces livres de classe devenus des classiques, faisant passer le premier d’une dizaine à une soixantaines de dialogues, le deuxième de 818 à 4151 adages.

L’ouvrage le plus important sans doute aux yeux d’Érasme est le Nouveau Testament de 1516, première édition grecque du texte, avec en regard, non pas la traduction latine traditionnelle connue sous le nom de Vulgate, mais une version latine élaborée à partir du texte grec de la traduction des Septante, faite d’après l’hébreu. Aussi Érasme s’attirera-t-il les foudres des théologiens traditionnels qui considéraient le texte de saint Jérôme, vieux de mille ans, comme doué de qualités bibliques, inspiré par Dieu, et donc intouchable.

Aujourd’hui largement accessible dans les principales langues vulgaires, l’oeuvre d’Érasme est écrite en latin. Tous les genres y sont représentés : la lettre (il en écrit des milliers), le dialogue, la controverse, la poésie, la déclamation, le panégyrique, la prosopopée, l’édition de textes, le commentaire de psaumes, la paraphrase des Évangiles et des Épîtres, le manuel scolaire (il écrit même un manuel de savoir-vivre), le traité d’éducation à l’usage des parents, des maîtres, des princes, des chrétiens, des prédicateurs, le livre de prières, le catéchisme, le recueil de proverbes ou de paroles célèbres de personnages de l’antiquité grecque et romaine…

L’activité littéraire d’Érasme se déploie dans trois directions principales, à bien des égards convergentes :

      1. D’abord, La Défense et l’enseignement des belles-lettres, des auteurs antiques, de la rigueur philologique, des arts du langage, grammaire et rhétorique. Érasme exhume, édite, corrige, commente, annote, traduit et finalement répand un nombre considérable de textes anciens, profanes, chrétiens (les Pères de l’Église) et même sacrés. Éducateur dans l’âme, il prodigue des conseils pédagogiques aux parents et aux maîtres, mais rédige aussi des manuels scolaires pour les enfants. Les belles-lettres ne constituent pas pour lui un obstacle à la foi chrétienne, elles peuvent au contraire servir la religion du Christ. Certains païens, d’ailleurs, pourraient faire la leçon aux chrétiens, souligne-t-il volontiers, résumant sa pensée dans le cri paradoxal et provocateur lancé par un personnage de ses Colloques : ” Saint Socrate, priez pour nous”.
      2. Ensuite, le combat en faveur de la paix entre les princes, les nations, les chrétiens. Érasme crie haut et fort que “la guerre n’est douce qu’à ces qui n’en ont pas fait l’expérience” – c’est le titre percutant d’un de ses plus beaux textes pacifistes, avec sa Complainte de la paix, dans laquelle celle-ci se lamente d’être chassée de partout. Militant de la paix, l’humaniste utilise sa plume pour dénoncer les méfaits de la guerre et exhorter les chrétiens “à suivre enfin la doctrine du Christ et à vivre dans la paix qu’elle enseigne”. Même s’il a le sentiment de “prêcher à des sourds”, il ne cesse d’interpeller les hommes de pouvoir : “J’en appelle à vous, Princes, qui gouvernez les affaires du monde et qui représentez parmi les mortels l’image du Christ. Reconnaissez la voix de Notre Seigneur et Maître qui vous exhorte à la paix”.
      3. Enfin, l’éducation à la piété chrétienne, à cette “philosophie du Christ” dont le message est simple : “L’essentiel de la philosophie du Christ consiste à concevoir que toute espérance repose en Dieu qui nous accorde gratuitement Ses dons par l’intermédiaire de Son Fils. La mort de Jésus nous rachète, le baptême nous unit à son corps. Nous devons renoncer aux désirs de ce monde, vivre conformément aux leçons de Jésus et à ses exemples, faire du bien à tous et, si quelque adversité nous surprend, la supporter courageusement dans l’espoir de la récompense future, réservée sans aucun doute aux hommes pieux, lors du retour du Christ. Nous devons progresser dans la vertu, sans toutefois nous attribuer aucun mérite, car Dieu est dispensateur de tout bien.” 

Ce christianisme-là, qu’il prêche même dans l’Éloge de la Folie, son oeuvre la plus connue, encore que souvent mal comprise, est à la portée de tous : “Il y a très peu de savants, mais il n’est interdit à personne d’être chrétien, à personne de posséder la foi, j’aurai même l’audace de dire : à personne d’être théologien”. En soutenant que tout chrétien est apte à parler de Dieu et à s’adresser directement à lui, Érasme ne s’exprime guère autrement que Luther et il ne peut que déplaire  aux théologiens de profession, soucieux de défendre leur magistère. Si l’on ajoute qu’il fait preuve toute sa vie d’une attitude très critique l’égard de l’Église visible de ses tares, on comprend mieux pourquoi il sera censuré de son vivant même et mis à l’Index dès après sa mort. Il y restera jusqu’au XXe siècle, sans jamais cesser d’être lu et redécouvert.

Franz BIERLAIRE

  • illustration en tête de l’article : © e-venise.com

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Franz BIERLAIRE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC, en décembre 2011 : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

Plus de CHiCC ?

DECHESNE : Osmose entre l’évêché de Liège et le Pays de Liège (CHiCC, 2023)

Temps de lecture : 19 minutes >

Bref aperçu historique de l’évêché de Tongres-Maastricht-Liège et du Pays de Liège, plus connu sous le nom de principauté de Liège, qui n’est pas une entité homogène mais un ensemble de plusieurs comtés sur lesquels règne l’évêque de Liège. Nous utilisons souvent ici les expressions “prince évêque” et “principauté de Liège”. Elles sont principalement connues à Liège et dans le Limbourg. Mais plus je m’informe sur l’histoire de Liège, plus je me sens obligé de les utiliser avec nuances. Sans omettre Albert, prince de Liège du XXe… Suivez le guide !

N.B. L’original du texte retranscrit ici est disponible au téléchargement dans notre documenta : il est riche de notes et d’illustrations (e.a. cartes historiques) qui ne figurent pas ci-dessous…

Cliquez ci-dessus pour afficher le document original…

AVANT-PROPOS

Les nombreuses dates dans le texte sont utiles pour placer les faits exactement dans le temps, et pour pouvoir les comparer à d’autres moments. Avant de développer l’évolution historico-géographique du Pays de Liège, il importe de le situer au sein des territoires qui vont devenir la Belgique.

L’Ancien régime

Après Jules César (“…Les Belges sont les plus braves…“), il faut pratiquement attendre le XVe siècle pour entendre parler des “Belges“, sous Philippe le Bon, duc de Bourgogne. Justus Lipsus le qualifiait de “Belgii Conditor“, protecteur des “Belges” ; il s’agit probablement des francophones des Pays-Bas méridionaux. Le nom “Belgique” est peu usité durant la révolution brabançonne de 1790 ; c’est en France qu’on le rencontre le plus. L’adjectif “belge” est par contre plus employé. Quant à l’étymologie de “belge“, il faut remonter au celtique pour y retrouver des qualificatifs de belliqueux, braves, furieux, etc.

La Belgique actuelle est formée des

      • Duchés de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg (différent de la province actuelle) ;
      • Comtés de Flandre, de Hainaut, de Namur ;
        • Marquisat d’Anvers et différentes seigneuries et les
      • Pays de Liège,
      • Principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.

La Flandre était un grand comté du royaume de France dont le comte portait le titre de pair de France. Les autres dépendait du Saint empire romain  germanique.

Au XIVe siècle, ces provinces –exceptés Liège et Stavelot-Malmedy– passent aux mains des ducs de Bourgogne, qui les obtiennent grâce à des mariages, des héritages, des achats, des conquêtes.

Ducs de Bourgogne : Philippe le Hardi, Philippe le Bon, Jean sans Peur, Charles le Téméraire © bienpublic.com

L’influence des Bourguignons est telle qu’ils placent leurs enfants illégitimes ou neveux sur les trônes d’évêchés aux pouvoirs temporels, e.a. David de Bourgogne (1456-1496) à Utrecht et Louis de Bourbon (1456-1482) à Liège. Les ducs de Bourgogne règnent ainsi de fait sur ces principautés épiscopales.

Les Bourguignons s’éteignent avec Charles le Téméraire (†1477) et sa fille Marie (†1482). Leurs possessions territoriales passent aux mains des Habsbourg avec Philippe le Beau d’abord puis à Charles Quint d’Espagne. Celui-ci les cède à la branche autrichienne des Habsbourg.

Aussi bien Charles Quint que les Habsbourg autrichiens sont empereurs. Mais ils sont aussi duc de Brabant, de Luxembourg, de Limbourg, comte de Flandre, de Hainaut, de Namur, etc. Ces terres sont à eux, ils en sont les propriétaires.

Partant, il est erroné de dire que la Belgique a été sous domination espagnole, puis autrichienne ; tout comme il est incorrect d’évoquer la “Belgique autrichienne et/ou espagnole“. La Belgique n’a jamais été sous domination espagnole ou autrichienne ! Ni les Espagnols ni les Autrichiens ne régnaient sur nos territoires. Les Habsbourg étaient ici chez eux ; mais ils géraient leurs territoires brabançons, flamands, hennuyers, namurois, etc. depuis Madrid, puis de Vienne !

Pour preuve, les Bourguignons frappaient des monnaies propres à chacune de leurs provinces. Pour s’en convaincre encore, souvenons-nous des Joyeuses Entrées effectuées par les nouveaux souverains, empereurs. Ils juraient sur la Bible de respecter les lois, us et coutumes de leurs nouveaux territoires (Brabant, Flandre, Hainaut, Namur…). D’où la difficulté d’imposer une standardisation des lois “autrichiennes“, comme ils le souhaitaient.

Au contraire, au XVIe siècle, les Espagnols n’étaient pas très heureux –un euphémisme– de voir Charles Quint gouverner à Madrid avec l’aide de seigneurs brabançons et flamands.

Cependant, par convention, on parle de période “espagnole” ou “autrichienne“, par commodité –par facilité ?– pour renvoyer au titre principal du souverain concerné. Le Prof. Cauchies (UCL, St-Louis) qualifie cette situation d’union personnelle. Autre preuve : les monnaies sont frappées par comté, province (Philippe le Bon, duc de Brabant pour les monnaies brabançonnes, par exemple).

En ce qui concerne les entités du Pays de Liège, elles dépendaient aussi de l’empereur, mais l’évêque était un échelon intermédiaire entre le Pays et l’empereur. Il en était de même pour la principauté abbatiale de Stavelot-Malmedy.

1. Évêché de Tongres / Maastricht / Liège

La Chrétienté a utilisé les divisions administratives romaines en faisant de la Civitas Tongrorum (des Tongres) le siège de l’évêché de Tongres. Saint Materne en serait le premier évêque, au début du IVe siècle. L’abbé de Lobbes, Hériger (Xe S.) cite pourtant des prédécesseurs tout en avouant ne pas en connaître beaucoup sur eux.

Pour des raisons encore hypothétiques, sans doute commerciales, les évêques de Tongres siègent à Maastricht –carrefour plus important que Tongres– depuis saint Servais (345-384 ?) selon les uns, depuis saint Monulphe (549-598) pour d’autres. L’évêché reste cependant toujours Civitas Tongrorum, il n’y avait donc pas d’évêque de Maastricht, mais des évêques de Tongres siégeant à Maastricht.

Détail du diptyque dit “Palude” montrant l’assassinat de Saint-Lambert © Grand Curtius

Le 17 septembre (certain) 705 (au plus tard), Lambert, évêque de Tongres, siégeant donc à Maastricht, est assassiné à Liège où il priait dans une demeure qu’il occupait. il est enterré à Maastricht.

De par l’affluence de pèlerins sur le lieu du martyre, son successeur, saint Hubert (705-729) fait transporter à Liège la dépouille de Lambert quelques années ans plus tard, dans un martyrium, nouvellement bâti. De plus, par la sanctification de Lambert, Liège devient un important site de pèlerinage. Pourtant, rien ne prouve la volonté de saint Hubert de transférer le siège de l’évêché à Liège.

Depuis saint Hubert, on évoque souvent –à tort– l’évêché Tongres-Maastricht-Liège, si pas évêché de Liège. Cela est probablement dû à la présence…

      1. régulière d’Hubert à Liège ;
      2. des reliques de saint Lambert ;
      3. du souhait d’Hubert d’être enterré dans la bourgade de Liège, ce qui est fait jusqu’à son transfert vers l’actuelle ville de Saint-Hubert, en 743.

Le transfert de l’évêché se fera vers l’an 800, quand le martyrium est élevé au rang de cathédrale, à l’initiative de Charlemagne qui avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux et à plusieurs reprises l’importance que Liège avait pris sur le plan spirituel, mais surtout en raison de la proximité “familiale” vraisemblable entre Lambert et les Pépinides qui ont une vénération particulière pour saint Lambert. Charlemagne célèbre la Pâques à Liège en 770.

Compte tenu de ces événements, l’appellation évêque de Liège se décline en trois temps :

      1. ± 800 : le martyrium devient cathédrale, donc siège d’évêque. Le premier de ceux-ci serait Gerbald (787-809) ou son successeur Walcaud (810-832), sous l’épiscopat duquel une charte nous donne des informations. Malgré cela, on parle encore de l’évêché de Tungris,
        p.ex. dans le Traité de Meersen (870).
      2. En 882, Liège est citée Civitas (siège d’un évêque) ; Francon (856-900), devient ainsi premier évêque de la Cité épiscopale de Liège. Jusque-là, les évêques résidant à Maastricht sont encore évêques de Tongres ou évêques des Tongrois ou encore episcopus Tungrensis.
      3. 920-945, un premier diplôme portant la mention évêque de Liège est cité sous l’épiscopat de Richer. Le titre d’évêque de Tongres perdura encore, au moins jusqu’à l’époque de Notger (Xe siècle).
a. Importance de l’évêché de Liège

Alors que le Concile de Trente (1545-1563) n’autorise qu’un évêché par évêque, les évêques de Liège étaient quelquefois titulaires de plusieurs sièges. Aux XVIe et XVIIe, les Bavière e.a. sont abonnés à ces privilèges.

Ces princes de l’église de Liège étaient donc quelquefois aussi archevêque de Cologne, donc prince électeur d’empire, évêques de Hildesheim, de Regensburg, de Freising, … ensemble ou séparément. Érard de la Marck (1505-1538) était aussi évêque de Chartres (1507) et archevêque de Valence en Espagne (1520). Pourquoi ce droit octroyé à nos évêques ? Le Pays de Liège jouxtait les pays protestants allemands et “hollandais”. Il fallait donc un prince fort pour enrayer l’avance de la religion réformée et il était difficile de refuser quelque chose aux puissants Wittelsbach de Bavière.

Quant à Érard de la Marck, son lobbying en faveur de Charles Quint pour l’élection impériale (1519), contre François Ier, est tellement prépondérant qu’il lui apporte un archevêché, une abbaye et un chapeau de cardinal… chapeau qui lui avait échappé malgré la promesse de François Ier. Lobbying de vengeance ? Chapeau de cardinal que plusieurs évêques de Liège ont porté.

Avant 1559, l’évêché est impressionnant : 20.000 km², ou 2/3 de la Belgique actuelle. Mais en 1559, Philippe II d’Espagne, qui n’apprécie pas que l’évêque de Liège gère les paroisses sur ses (Philippe) terres, convainc le pape Paul IV de morceler les évêchés existants en créant de quatorze nouveaux évêchés et trois archevêchés, dont celui de Malines.

L’évêché de Liège –et d’autres– perd ainsi toute juridiction sur les paroisses sises sur les territoires de Philippe II et sa surface est pratiquement divisée en deux, elle passe de 20.000 à 11.000 km².

Ne perdons pas de vue les puissants chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert… qui ont donné six papes à la Chrétienté.

2. Principauté, duc, marquis, comte, baron

a. “Principauté”

Charlemagne (748-814) divise son empire en duchés, comtés et marches (marquisats). Ceux-ci sont contrôlés par les missi dominici, les envoyés du seigneur. Par ailleurs, l’empereur –Charlemagne et ses successeurs– nomme aussi les évêques, souvent des nobles, qui lui sont fidèles et formés dans ses écoles.

Les ducs, marquis et comtes sont des gouverneurs disposant de grands pouvoirs : battre monnaie, bâtir des enceintes, lever une armée, Haute et Basse Justice. Ces fonctions ne sont pas héréditaires. Lorsque le titulaire décède, le domaine revient à l’empereur qui désigne un successeur, quelquefois un fils, mais pas systématiquement. En France, le roi Charles le
Chauve, moins puissant à l’intérieur de son royaume, doit reconnaître l’hérédité de la fonction comtale dès 877. Ce n’est qu’en 1024 que l’hérédité des comtés sera officialisée dans l’empire germanique, sous Conrad II. Afin d’éviter ces problèmes d’hérédité, l’empereur germanique cédait les droits régaliens, ou pouvoirs civils, à des ecclésiastiques, évêques, abbés, sans descendance. À leur décès, l’empereur récupère sa terre pour désigner un nouveau comte.

Idée géniale qui est –avec le couronnement d’empereur du Saint empire romain germanique d’Otton I, 962– à l’origine de l’Église impériale (Reichskirche, la Sainte église romaine germanique). La France appliquait déjà cette possibilité mais pas aussi systématiquement que ne le fera l’empire.

Le premier à en bénéficier est Brunon (925-965), frère de l’empereur Otton II, archevêque de Cologne qui devient duc de Basse-Lotharingie. Le deuxième est Notger (972-1008), évêque de Liège, fait comte de Huy, en 985. Liège devient ainsi fille de la Sainte église romaine, comme on peut lire sur le portail de l’actuelle cathédrale Saint-Paul.

Notger, “prince-évêque” ? Notger avait été confirmé dans ses immunités en 980, c.-à-d. qu’il disposait de tous les droits dans les domaines propres à l’évêché/évêque et que son suzerain, le duc de Basse-Lotharingie, n’y avait aucun pouvoir. Par ces immunités et bien qu’il ne porte pas le titre de comte, l’évêque de Liège obtient de fait –en 980 donc– les pouvoirs comtaux sur toutes les terres de saint Lambert.

La Province et la Ville de Liège ont fêté le millénaire de la “principauté“, mais c’était une décision très discutable ; Notger n’a été fait comte qu’en 1985. Comte, Notger envisage alors de transférer le siège épiscopal à Huy, capitale de son comté, ville plus aisée à défendre. Mais c’est trop éloigné du lieu du martyre de saint Lambert et il entoure Liège d’une enceinte. La ville peut dès lors se développer et devenir une grande cité.

Liège, tu dois Notger au Christ
et le tout le reste à Notger.

b. Possessions temporelles

Le domaine temporel de l’évêque s’étend au cours des siècles. Les évêques reçoivent, héritent, acquièrent d’importants domaines, dont voici les principaux (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :

      • 985/07/07 : comté de Huy, Notger. Don de Otton III – Selon certains historiens, c’est d’une certaine manière l’acte fondateur de la “principauté“.
      • 987 : comté de Brugeron (NE de Tirlemont, entre Dyle et Gette), Notger. Don de Otton III. Perdu en 1013, à la Bataille de Hoegaarden, contre le Brabant. Liège conserve Hoegaarden, Beauvechain, Tourinnes-la-Grosse et Chaumont-Gistoux.
      • 1014 : seigneurie de Franchimont, Baldéric II. Deviendra marquisat au XVIe S.
      • 1040 : comté de Haspinga (Hesbaye), Nithard. Don de l’empereur Henri III. Absorbé, fondu dans la “principauté” de sorte que sa situation exacte n’est que supposée dans les environs de Waremme.
      • 1096 : Couvin (castellum de), acheté par Otbert au comte Baudouin II de Hainaut.
      • 1096 : duché de Bouillon. L’évêque Otbert achète le château et le vaste fief de Bouillon à Godefroid IV, duc de Basse-Lotharingie, en besoin de pécunes pour sa croisade. Le duché retourne à la France en 1679 (Traité de Nimègue), pour être remis à la famille de la Tour d’Auvergne. Les évêques de Liège contestant la décision se revendiqueront sans relâche du titre de duc de Bouillon.
      • 1190 (au plus tard) : comté de Duras (Saint-Trond), revient à l’Église de Liège. L’évêque Raoul de Zahringen le cède aux comtes de Looz, comté qui reviendra directement dans le giron de l’évêque de Liège en 1366.
      • 1224 : comté de Moha, Hugues de Pierrepont en hérite du comte Albert II de Dabo-Moha.
      • 1227 : Ville Saint-Trond (Sint-Truiden), Hugues de Pierrepont. Échange de Sint-Truiden, appartenant à l’évêque de Metz contre Maidières (Meurthe et Moselle, France) appartenant à l’évêque de Liège. La double seigneurie sera gérée au temporel par l’évêque de Liège (SE) et l’abbé (NO) de Saint-Trond ; ce dernier dépendant spirituellement de l’évêque de Liège, source d’incessants conflits.
      • 1268 : seigneurie de Malines, Henri III de Gueldre. Rendue au Brabant en 1333.
      • 1366 : comté de Looz (Loon), Jean d’Arckel. Le comte Thierry de Heinsberg décède en 1361. L’évêque de Liège qui en est le suzerain (dans des circonstances encore obscures, mais probablement selon un accord de 1190) récupère définitivement son comté en 1366 lorsque l’héritier renonce à ses droits. L’évêque en proclame l’inaliénabilité.
      • 1568 : comté de Horne, Gérard de Groesbeek.
      • 1531 : le comte Jacques III décède sans enfant. Son frère Jean, chanoine-prévôt –mais pas ordonné prêtre– de Saint-Lambert démissionne pour lui succéder, mais meurt (1540) lui aussi sans descendance. Il lègue son comté à Philippe de Montmorency, fils d’un premier mariage de son épouse. Philippe, dernier comte de Horne, sera décapité –avec le comte Lamoral d’Egmont– sur ordre du duc d’Albe, en 1568. Sa fille se voyant refusé l’héritage, le comté est repris par son suzerain, le comte de Looz, qui est l’évêque de Liège. Acté définitivement en 1614, sous Ferdinand de Bavière. Les comtés de Looz et Horne conserveront jusqu’à la fin de l’Ancien Régime leurs lois, coutumes, institutions particulières et leurs organisations judiciaires.
      • 1740 : baronnie de Herstal, Georges-Louis de Berghes l’achète à Frédéric II de Prusse.
      • Maastricht: dépendait en partie du chapitre de la collégiale/cathédrale Sainte-Marie (Notre-Dame, de l’évêque de Liège) et l’autre partie du chapitre de la paroisse Saint-Servais (du duc de Basse Lotharingie, dépendant de l’empereur, puis des ducs de Brabant en 1204).
Les titres de l’”évêque / prince”

Hugues de Pierrepont (1200-1229) est le premier évêque de Liège à obtenir  le titre de “prince d’empire”, devenant en quelque sorte le premier véritable prince évêque, ou mieux encore évêque prince. Cependant, c’est Ferdinand de Bavière (1612-1650) qui prendra le premier le titre de “prince” dans ses actes.

Dès le XIIIe siècle, l’empereur le désigne sous le vocable “princeps noster dilectus” (notre prince bien aimé). Au XVe, ses sujets et les princes qui correspondent avec lui s’adresse à lui avec “illustrissimus princeps“. Depuis, le XVIIe, le français s’impose avec “prince“. À l’étranger, il est Monseigneur de Liège.

Sur un plan de Liège (1730, L. Thonus, pour G.-L. de Berhes), on lit :

(…) SON ALTESSE SÉRÉNISSIME, ÉVÊQUE ET PRINCE DE Liège, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, ETC.

Sur un autre plan, on découvre :

CONSTANTIN-FRANÇOIS, DES COMTES DE HOENSBROECK, PAR LA GRÂCE DE DIEU, PRINCE ÉVÊQUE DE Liège, PRINCE DU SAINT-EMPIRE ROMAIN, DUC DE BOUILLON, MARQUIS DE FRANCHIMONT, COMTE DE LOOZ, DE HORNE, ETC. BARON DE HERSTAL ETC. (…)

Tous deux duc de Bouillon ? Alors que le duché de Bouillon est déjà retourné à la France en 1679. Voir plus haut.

Notger par Barthélemy Vieillevoye © Grand Curtius

Important : on écrit évêque avant prince (d’empire), ce qui indique la primauté du titre d’évêque sur les autres, raison pour laquelle sans doute Notger n’a jamais utilisé son titre de comte, évêque étant largement suffisant. Dès lors, il conviendrait de titrer évêque prince plutôt que prince évêque… Combat perdu d’avance, l’appellation prince évêque est trop ancrée.

Par ailleurs, pourquoi n’est-il plus fait mention dans les intitulés ci-dessus des comtés les plus anciens : Huy, Haspinga et Moha ? Ces titres anciens ont disparu parce qu’ils ne recouvraient plus une réalité institutionnelle à la fin de l’Ancien Régime, ils ont “fusionnés” pour former le Pays de Liège. L’appellation principauté pour Liège est donc récente, XIXe S., avant on parlait plutôt du Pays de Liège.

Une principauté féodale ne ressemblait en rien à un de nos États modernes aux frontières linéaires nettes, à l’intérieur desquelles s’exerce une autorité publique de façon uniforme. L’exercice progressif du pouvoir temporel par un prélat a, tout d’abord, induit une sorte d’abus de langage (aux yeux, du moins, de l’homme d’aujourd’hui), confusion aisément compréhensible dans la vie courante. Ainsi rencontre-t-on fréquemment jusqu’au XVIIIe siècle (y compris dans des ouvrages de géographie et sur des cartes), l’expression Diocèse ou Évêché de Liège pour désigner le pays, alors que le diocèse s’étend bien au-delà des limites de la principauté. Il s’agit là d’un usage fort ancien. Au XIIIe siècle encore, le pays (patria) désigne toute l’Ecclesia Leodiensis, tout l’évêché de Liège. Mais cent ans plus tard (XIVe), quand l’évêque lui-même parle du pays de l’évêché de Liège (patria episcopatus leodiensis), il n’entend pas tous les fidèles du diocèse mais seulement les sujets relevant de son autorité temporelle.

Le Pays de Liège était divisé en quartiers, sous-divisions administratives faisant e.a. office de circonscriptions fiscales. Selon le quartier, divers agents –parfois des grands baillis– du prince évêque exécutaient des offices précis. Néanmoins, des comtés (Looz et Horne e.a.) garderont leur nom, leurs propres lois et leur propre Justice, sous leur souverain, l’évêque, vassal de l’empereur. L’intronisation de l’évêque se déroulait en trois langues : latin, françois, thiois (diets).

En 1980, la province de Liège a commémoré –à tort– le millième anniversaire de la principauté. En 980 : Notger se voit confirmer les donations faites à ses prédécesseurs (… confirmé dans ses immunités…) ; c.-à-d. qu’il dispose de “droits régaliens” sur les terres propres de l’évêché. “L’empereur Otton II veut que nul autre que l’évêque (de Liège) ou son délégué n’y puisse exercer pouvoir ou juridiction“. Le suzerain de ces terres –duc de Basse-Lotharingie- n’y a aucun droit. Notger a d’une certaine manière les fonctions de “comte”, dans certains de ses domaines, mais pas le titre. Titre comtal qu’il recevra en 985, avec le comté de Huy. La “principauté” est donc réellement née en 985 !

c. Noblesse au Moyen Âge
      • Prince : les princes de sang sont des membres d’une famille royale. Prince se dit aussi d’un grand seigneur, quel que soit son titre, pas nécessairement d’une principauté. Les princes de l’Église sont les prélats, les cardinaux.
      • Principauté : une principauté, un état dont le souverain est “prince”.
      • Duché : initialement une administration militaire – Le duc est un haut fonctionnaire responsable e.a. de l’ordre public ; il coiffe plusieurs comtés, au début en tout cas (VIIIe–XIVe S.).
      • Marquisat : un comté “+”. Sous Charlemagne, aux marches (frontières) de l’empire, un marquis avait plus de pouvoir pour défendre la frontière impériale. Lorsque la seigneurie de Franchimont devient marquisat au XVIe S., la notion aux marches de l’empire n’existe plus.
      • Comté : administration territoriale ; le comte, comme le duc, est un haut fonctionnaire impérial (royal) disposant de très grands pouvoirs et d’une relative autonomie.
      • Vicomté : en principe un comté plus petit disposant de moins de pouvoir.
      • Baronnie : fief obtenu des mains du roi ou d’un grand prince (duc, comte). Initialement, un baron était appelé seigneur ou messire/sire de… À leur tour, les barons se sont entouré de petit seigneurs locaux. “Le roi de France convoque ses grands barons“, c.-à-d. les principaux ducs et comtes. À l’échelon inférieur, un comte invite ses barons, c.-à-d. les plus importants seigneurs de son comté. Aujourd’hui, la presse parle des hommes de pouvoir : les barons d’un parti politique, des dirigeants d’entreprises.
      • Chevalier : n’était pas un titre de noblesse en soi, mais une “qualité”. Tous les nobles, rois y compris, se devaient d’être armés chevaliers, preuve de courage. Il n’y a pas de terres associées au titre.
      • Bachelier :
        • gentilhommes sans moyens de lever un ban (troupe personnelle) ;
        • jeunes nobles en attente d’être reçu chevalier.
      • Écuyer : au moyen-âge, un jeune noble, au service d’un plus grand seigneur : il portait l’écu de son maître, suzerain.

À notre époque : Bachelier n’existe plus – Chevalier et Ecuyer sont bien des titres de noblesse.

3. Abbayes

En plus de leurs terres régaliennes, les évêques de Liège reçoivent  quelquefois des abbayes, soit à titre personnel, soit pour l’évêché. Les principales sont (avec le nom de l’évêque bénéficiaire) :

      • 888 : Lobbes, évêque Francon.
      • 982 : Fosses,
      • 987 : Gembloux,
      • 992 : Brogne, Aldeneik et Saint-Hubert,
      • 1015 : Florennes, évêque Baldéric II.

Ces abbayes, avec celle de Saint-Laurent, ont contribué à la réputation d’Athènes du Nord qu’avait Liège jusqu’à ce que les université de Bologne d’abord, puis la Sorbonne (Paris) dominent l’enseignement universitaire à partir du XIIIe siècle.

      • 1227 : Waulsort, Hastière, Hugues de Pierrepont.
L’abbaye de Stavelot aujourd’hui © stavelot.be

Les abbayes suivantes sont octroyées à titre personnel, elles seront rendues au décès des bénéficiaires :

      • XVIIe& XVIIe siècles : Stavelot-Malmedy, princes-abbés Gérard de Groesbeek et les Bavière Ernest, Ferdinand et Maximilien-Henri. Il s’agit bien d’un cumul, le prince évêque de Liège cumulant avec prince abbé de Stavelot-Malmedy, état indépendant. La crosse et le glaive définissent bien un prince spirituel et temporel.
      • XVIe siècle : Saint-Michel (Anvers), Érard de la Marck.
      • 1765 : Cheminon (FR), François-Charles de Velbruck (encore chanoine, pas encore évêque).

4. Sens du Pays et les chanoines

Avec l’évêque, le Pays de Liège est gouverné par les trois groupes représentatifs, réunis au sein du Sens du Pays :

      • L’État primaire : Chapitre des soixante chanoines tréfonciers de la cathédrale Notre-Dame et Saint-Lambert. Ils représentent l’ensemble du clergé du Pays de Liège. Ils concentrent entre leurs mains l’avoir, le savoir et le pouvoir. Ces chanoines tréfonciers jouissent d’un statut privilégié, connu partout et ils ont fourni six papes à la Chrétienté.
      • L’État noble : à la fin XVIIIe S., il ne rassemble plus que dix-sept nobles recrutés par cooptation après pu avoir établir la garantie nobiliaire de seize trisaïeuls.
      • L’État Tiers : se compose des représentants des Bonnes Villes (vingt-trois à partir de 1651), c.-à-d. deux bourgmestres par Bonne Ville, souvent de riches bourgeois. Ils sont élus annuellement. Aucun mandataire des six cents communautés villageoises ne siège avec eux.

Les Journées d’État, c.-à-d. les réunions du Sens du Pays, sont convoquées  par le prince ; en principe deux fois ans et durent dix jours.

5. Querelle des Investitures et le Concordat de Worms, 1122

Alors qu’au début de la Chrétienté, les fidèles choisissent leur évêque. Les rois francs barbares, conscients de l’influence grandissante de la religion et des évêques recherchent leur soutien plutôt que l’affrontement. Ces rois vont ainsi nommer eux-mêmes les évêques qu’ils choisissent parmi leur fidèle noblesse.

Lorsque les princes évêques apparaissent, l’empereur désigne évidemment les comtes et ducs et par ailleurs, il cède des duchés et comtés à des évêques.

À partir du XIe siècle, l’empereur perdant en puissance ce que le pape y gagnait, ce dernier exige son droit à nommer les évêques… qui étaient aussi ducs ou comtes, désignés par l’empereur. La quadrature du cercle ?

La Querelle des Investitures issue de ce problème dure quelques dizaines d’années pour se terminer le 23 septembre 1122 avec la signature du Concordat de Worms, entre le pape Calixte II et l’empereur Henri V. Depuis, dans les principautés épiscopales, c’est le Chapitre des cathédrales qui élit son évêque ! La procédure se déroule en trois temps :

      1. Les chanoines des cathédrales (des principautés épiscopales) élisent l’évêque ;
      2. L’empereur investit temporellement (duc, comte) l’évêque, en lui remettant le sceptre ;
      3. Le pape confirme en remettant la crosse et l’anneau épiscopaux.

Ce qui prouve l’importance des chanoines des cathédrales !

6. “Conclusion” sur l’Ancien régime

La principauté de Liège n’est pas une entité juridique, ni même un territoire entier. Elle est formée d’un amalgame de duché, marquisat, comtés et  seigneuries ; évoluant au cours du temps. Le nom de principauté de Liège est une notion du XIXe siècle, créée par les historiens de la nouvelle Belgique. Ils devaient probablement associer prince et principauté. Les provinces (duché, marquisat, comtés…) qui la composaient ont conservé leur nom, leurs lois, us et coutumes. En effet, l’évêque de Liège était/a été duc de Bouillon, comte de… et de … etc. Il était prince par sa grandeur, pas d’une principauté. Cependant, les premiers comtés accordés à l’évêque de Liège (Huy, Brugeron, Haspinga, Moha) ont pour ainsi dire fusionnés pour former le Pays de Liège. Ce processus a probablement duré plusieurs siècles. On ne les évoque plus dès le XIIIe siècle. Néanmoins, il serait intéressant de savoir à quel titre l’évêque de Liège signait des actes concernant ces comtés-là.

Blason du Pays de Liège : couronne impériale et manteau d’hermine (prince impérial), croix à une branche transversale et crosse (évêque), glaive (prince temporel), blasons (Liège, Bouillon, Franchimont, Looz, Horne)

L’appellation principauté est une extrapolation due à l’importance et la (relative) indépendance du Pays de Liège, ainsi qu’à l’aura de Monseigneur l’évêque de Liège, auréolé du titre de prince d’empire. Cependant, comme pour la Belgique espagnole ou autrichienne, par convention, on parle de principauté, par facilité. Ici aussi, tenter d’éviter l’utilisation de principauté de Liège –pour utiliser Pays de Liège– est un combat perdu d’avance. […]

7. De la fin Ancien régime à aujourd’hui

      • 1789 (18 août), Révolution Liégeoise. Au contraire des Français qui révolutionnent le système, les Liégeois souhaitent un retour au passé,
        avec e.a. l’abrogation du Règlement de 1684 du prince évêque Max.-H. de Bavière et veulent retrouver leurs privilèges d’antan.
      • 1789 : la Révolution française met fin à l’Ancien régime, aux privilèges, à la noblesse, à la religion. La principauté de Liège cesse d’exister. Nous devenons Français le 1er octobre 1795 et sommes incorporés dans le Département de l’Ourte (sic), qui deviendra la province de Liège.
      • 1802 : avec le Concordat signé entre Napoléon et le pape Pie VII en 1801, l’évêché de Liège renaît, sans prince.
      • 1830 : après la courte période des Pays-Bas Unis (1815-1830), nous acquérons une nouvelle indépendance, nouvelle nationalité avec la création de la Belgique.
      • 1839 : Guillaume Ier, roi des Pays-Bas Unis, accepte le Traité des XXIV Articles de 1832 (2e Conférence de Londres) scellant l’indépendance belge. La Belgique rend le Limbourg néerlandais et le Luxembourg. L’évêché de Liège perd ses paroisses aux Pays-Bas, Limbourg néerlandais surtout, dont son séminaire de Rolduc, qui déménage en partie à Sint-Truiden (Petit Séminaire).

8. Prince de Liège au XXe siècle – Albert (°1933)

Au début de l’existence de notre royaume, les fils du roi des Belges recevaient des titres honorifiques, sans territoire ni revenus. L’AR 16/12/1840 précise que l’aîné des fils devenait duc de Brabant, héritier du trône et le puîné fils, comte de Flandre. Les filles ne recevaient pas de titre. Lorsque le duc de Brabant –héritier du trône– se mariait et devenait père avant de monter sur le trône, son fils aîné se voyait octroyer le titre de comte de Hainaut. Deux premiers fils ont profité de ce titre de comte de Hainaut : Léopold (1859-1869), premier fils du futur Léopold II (AR 12/6/1859) et Baudouin (1930-1993), premier fils du futur Léopold III (AR 10/9/1930). Il n’est pas le premier enfant de Léopold (toujours duc de Brabant), mais l’aînée, Joséphine-Charlotte (1927-2005) ne reçoit pas de titre. Les autres enfants des ducs de Brabant ne recevant pas de titre.

Quand Albert vient au monde, le 6/6/1933, il ne reçoit pas de titre car son père Léopold est toujours duc de Brabant. Après l’accident mortel d’Albert Ier, le 17/2/1934, Léopold III (1901-1983) accède au Trône et Baudouin, l’aîné des fils, devient duc de Brabant, prince héritier. Deuxième fils du roi, Albert aurait dû alors légalement recevoir le titre de comte de Flandre. Mais ce titre n’est pas disponible car il est –logiquement– toujours porté par son oncle Charles (1903-1983, régent de 1944 à 1950), deuxième fils du précédent roi Albert Ier et frère du roi régnant, Léopold III. Ce dernier souhaite cependant donner un titre à son fils Albert, et afin d’une part d’honorer Liège pour sa résistance à l’invasion allemande en août 1914 –qui lui vaut la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur française– et d’autre part, probablement en mémoire du glorieux passé de la principauté épiscopale, Albert, futur roi Albert II, est fait prince de Liège (toujours avec accent aigu – AR 7/6/1934). Ce sera le seul et unique prince de Liège depuis l’indépendance de la Belgique. En effet, de par l’AR 16/10/2001, les titres historiques (comtes de Flandre et de Hainaut) sont abrogés et seul l’héritier(ère) du Trône en reçoit un : duc/duchesse de Brabant, actuellement, Élisabeth, fille du roi Philippe.

Jean-Pierre DECHESNE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : texte de la conférence de Jean-Pierre DECHESNE | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Degobert ; © bienpublic.com ; © Grand Curtius ; © stavelot.be.


La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean-Pierre DECHESNE a fait l’objet d’une conférence organisée par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez le programme annuel de la CHiCC

Plus de CHiCC ?

CONFERENCE CHiCC | VIENNE : Un parcours de la sculpture publique contemporaine à Liège

Vous en croisez certaines sans plus les voir, vous en admirez d’autres sans en connaître l’histoire, sans compter celles qui se cachent et que vous découvrirez peut-être…

Licencié en histoire de l’art, ancien formateur en tourisme à l’IFAPME, Philippe Vienne est également auteur de nouvelles, contributeur régulier du blog encyclo wallonica.org et vice-président de la CHiCC.

N.B. Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous. Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre (montant recommandé : 5 euros) pour les non-membres.

Conférence CHiCC | Victor-Vincent DEHIN : La contrefaçon : être ou ne pas être

Fake News, complots, arnaques, falsifications…

Quel meilleur environnement immédiat que la fausse basilique de Cointe pour échanger sur l’éthique et le mensonge ? Et pour évoquer à bâton rompus les rapports entre l’authenticité et la contrefaçon au sein de notre société démocratique dans laquelle chacun détient sa propre vérité.

Victor-Vincent Dehin est avocat et membre actif de l’Association Littéraire et Artistique Internationale (Paris). Fondée par Victor Hugo cette société savante est à l’origine de la Convention de Berne (1886) qui a introduit le droit d’auteur dans le monde juridique international et qui demeure l’un des plus important lobby d’influence pour protéger au niveau planétaire la propriété exercée par les créateurs des ‘œuvres de l’esprit’. Il est également l’auteur de nombreuses études recherches scientifiques dans ce domaine, publiées en Belgique, France, Espagne, Italie et Allemagne.


Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous. Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros pour la saison 2022-2023 à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre (montant recommandé : 5 euros) pour les non-membres. Les règles sanitaires en vigueur au moment de la conférence seront d’application.

LEONARD : La fête de la Pentecôte à Cointe (avant 1940)

Temps de lecture : 9 minutes >

Le texte qui suit est un inédit, retrouvé par M. Philippe Léonard parmi des documents de son père, M. Jean Léonard (1920-2015). Jean Léonard est né à Liège, rue des Hirondelles, il a habité route sa jeunesse rue du Batty et a fréquenté l’école primaire communale du boulevard Kleyer. Son fils a pensé que ce manuscrit pourrait intéresser la CHiCC, puisqu’il concerne Cointe, et son partenaire wallonica.org pour la publication. De fait, il constitue un témoignage intéressant de la période d’entre-deux-guerres, complémentaire de celui de M. Georges Fransis. On y trouve, notamment, beaucoup de détails techniques concernant le fonctionnement des carrousels de l’époque ainsi que des anecdotes au sujet du… tram.


“Cette fête paroissiale appelée aussi “la fête à Saint-Maur” était la première fête religieuse de la région, aussi était-elle très fréquentée. Elle se déroulait pendant les deux jours fériés de la Pentecôte (le dimanche et le lundi). Les carrousels, partiellement démontés, tournaient encore le mardi.

Elle était appelée “fête à Saint-Maur” par les anciens (à l’époque, nous étions encore des gamins) parce que, au dessus de la rue Saint-Maur, à droite un peu en retrait, existait une petite chapelle vouée à ce saint qui avait la propriété de guérir les rhumatismes. La chapelle était d’ailleurs tapissée d’ex-votos et aux murs pendaient aussi de nombreuses cannes et béquilles, et c’était un pèlerinage de monter cette rampe fort raide.

Le jour de la Pentecôte (le dimanche), c’était la procession avec les bannières, les enfants de chœur et de Marie, les communiants et, pour terminer, le dais sous lequel se tenait le curé. Les cordons étaient tenus par les quatre édiles du quartier, souvent des habitants du parc privé de Cointe (avocats, médecins, industriels, etc.). C’était la fanfare (l’harmonie) des salésiens Don Bosco du Laveu qui donnaient la partie musicale à l’ensemble.

Puis on tirait “les campes.” C’était un alignement de petits cônes tronqués (comme des pots de fleurs), en acier, placés sur une charge de poudre, réunis entre eux par une coulée, de poudre également, qu’allumait un artificier (des petits pots au début puis de plus en plus grands pour terminer — ceux-là “pétaient” plus fort que les autres).

La semaine précédente, les “baraques” (c’est à dire les roulottes) arrivaient et venaient s’installer long du mur du couvent des Filles de la Croix (sur la place et rue du Batty). Parmi ces roulottes, il y avait celles pour le matériel et celles pour l’habitation du patron et celles pour le personnel. Pour le personnel il s’agissait souvent d’une partie de roulotte XXXL dans laquelle étaient installés des lits superposés.

Le manège (“galopant“) allait s’installer sur le haut de la place du Batty, les tirs et les baraques à croustillons sur le côté droit (en descendant). Il y avait également des petits carrousels montés sur le boulevard Kleyer — et, naturellement, nous allions jouer tout autour et l’on entendait les parents crier : “Måssî gamin, n’allez nin co djouwer divins les baraques !” On y allait quand même mais, comme les timons étaient enduits de cambouis, vous voyez déjà les résultats !

L’attraction principale était, bien entendu, le “galopant“, un vrai celui-là, c’est à dire un manège où les chevaux de bois galopaient réellement tandis que, actuellement, les chevaux se contentent de monter et de descendre. Ce n’est plus pareil…

Montage du “galopant

Les chevaux étaient groupés par trois sur une espèce de charrette à deux roues sur un seul essieu montée sur un plancher en bois en trapèze pour que l’ensemble des charrettes assemblées forment une couronne. Cet essieu de charrette était muni d’excentriques (deux par cheval) placés décalés sur l’axe et réunis au cheval (à l’avant et à l’arrière) par deux tiges en acier.

Lorsque l’essieu tournait et que les excentriques étaient enclenchés, leur décalage sur cet essieu provoquait un mouvement de montée et de descente de l’avant ou de l’arrière du cheval qui ressemblait à un galop. Il en était de même pour les quelques nacelles qui alternaient avec les chevaux. Ce mouvement ressemblait à une barque se balançant sur des vagues houleuses.

C’était très bien trouvé mais, évidemment, devait coûter très cher en main d’oeuvre de construction à l’origine et d’entretien à l’usage… Lors du transport par route d’une fête à une autre, les chevaux étaient recouverts chacun d’une bâche épousant leur forme et les protégeant ainsi de la pluie. En route, les excentriques étaient désolidarisés de leurs essieux respectifs pour éviter une usure inutile et la déchirure de la bâche.

Le “galopant” s’installait sur le haut de la place du Batty mais, comme elle était en pente, il fallait d’abord obtenir l’horizontalité de l’ensemble par de nombreux calages à l’aide de madriers et de poutres sur des petits supports semblables à ceux utilisés au cirque, dans la cage des fauves et sur lesquels ils doivent monter. La première pièce maîtresse à installer était le chariot sur lequel était installé, à demeure, la machine à vapeur car c’était sa cheminée qui allait supporter tout le toit du carrousel.

Le toit se montait sur une couronne située autour de la cheminée de manière à pouvoir tourner autour de celle-ci qui restait fixe (elle se montait en deux pièces). Le toit était entraîné par un arbre vertical avec pignon denté qui entraînait une couronne dentée à denture verticale (en échelle), fixée au toit. L’axe vertical était commandé à partir de la machine à vapeur par un jeu de pignons coniques. C’était le toit qui entraînait le plancher [et] donc les chevaux et les nacelles par des barres verticales croisées fixées sur la circonférence intérieure du plancher.

Presque tous les “galopants” avaient une machine à vapeur à chaudière horizontale (comme les locomobiles) mais, exceptionnellement, le carrousel Bluart d’Amay possédait une chaudière verticale et la machinerie était installée à côté. Je crois que les cylindres à vapeur étaient verticaux, mais je n’en suis plus certain…

Les roues supportant les chevaux et les nacelles roulaient dans des rails à gorge constituant ainsi une double couronne. Une seule roue était rendue solidaire de l’essieu destiné à commander les excentriques afin de contrecarrer la différence chemin de roulement intérieur et extérieur (il n’y avait pas de différentiel comme sur une auto !).

Chaque machine à vapeur était commandée par un machiniste à demeure qui actionnait un sifflet à vapeur avant chaque départ. Il y avait aussi une sirène semblable à celle utilisée sur les navires de guerre et dont le son ressemblait à un hennissement de cheval (rappelez-vous le film Les canons de Navarone lorsque, à la fin du film, les navires de guerre défilent devant les canons détruits).

Dolhain–Limbourg. Un galopant “Bairolle” (fabriqué à Liège). Au centre Jacques Bairolle et son épouse Mélanie Saroléa © Lambert Jamers

Les carrousels “galopant” tournaient dans le sens contraire à celui de Maquet qui, lui, tournait dans l’autre sens. Le carrousel Bairolle, un des plus beaux, a été vendu au Canada où il fait les délices des jeunes et des moins jeunes qui, eux, savent encore apprécier les belles choses… On l’a revu à la TV, dans un feuilleton télévisé.

Il y avait aussi, placé à l’avant et monté sur un chariot propre, l’orgue de Barbarie qui jouait des airs à la mode (de l’époque !). C’étaient des cartons perforés qui actionnaient les contacts et les soupapes de chaque sifflet de l’orgue ou le tambour, etc. Les airs de musique n’étaient plus tout à fait récents et dataient même d’avant 1914. Comme ces carrousels étaient appelés à fonctionner dans les campagnes ardennaises ou condruziennes ou hesbignonnes, où l’électricité n’était pas encore installée, il fallait bien la produire sur place. Or, le manège était équipé de plusieurs centaines d’ampoules de toutes les couleurs. C’était vraiment féerique, le soir, lorsqu’il tournait.

Il faut savoir que les camions à essence étaient rares et peu performants à cette époque. Certains avaient été récupérés dans le surplus de la guerre 1914-18 et avaient encore des bandages pleins. Aussi la traction des roulottes était-elle assurée par des locomotives routières, à vapeur (c’est à dire comme un rouleau compresseur à vapeur, sans le rouleau). La locomotive routière avait des roues en acier et, après avoir remorqué deux roulottes, les avoir garées, elle se plaçait le long du carrousel.

A l’avant de la chaudière était fixée une dynamo reliée par une courroie au volant d’inertie de la machine qui, après désolidarisation des roues motrices, n’actionnait plus que la dynamo qui fournissait ainsi du courant continu à tout l’ensemble du manège. Bluart possédait encore un camion à vapeur de construction anglaise (d’avant 1914) qui pouvait également remorquer une roulotte. Le conducteur était à gauche et le chauffeur à droite du sens de la marche (côté porte du foyer).

Tous les panneaux du carrousel (toit, plancher et garnitures intérieures) étaient couverts de tableaux peints par des artistes, le tout entouré de petits miroirs du plus bel effet. Le dimanche, un “trompette” bénévole s’installait devant le limonaire et jouait, accompagnant la musique. Plus tard, les “galopants” se sont modernisés, la machine à vapeur neutralisée, remplacée par un moteur électrique mais la chaudière “hors feu” a été conservée parce que c’était sa cheminée qui soutenait le toit ! Et, finalement, ils ont été garés, vendus, démontés et remplacés par des autos-scooters, beaucoup plus rentables en entretien et au montage-démontage – et puis, d’ailleurs, c’était la grande mode de l’époque.

Il y avait aussi les inévitables baraques à croustillons. A Cointe, c’était Clarembeau, puis les tirs et les baraques à loterie (on gagnait des plats, des vases, des casseroles). Maintenant, ce sont des nounours et des Mickey ! Il y avait aussi des petits carrousels pour les enfants, des petites autos, des vélos mais à une roue et montés en cercle, puis les multiples échoppes vendant des babioles comme sur la Batte à Liège.

Devant les cafés, les terrasses étaient installées et, chez Delhez, dans la salle située rue des Lilas [rue Constantin-le-Paige], on dansait  “au cachet“. C’est à dire que, à chaque danse, un préposé à la collecte passait parmi les danseurs et percevait  cinq, dix ou vingt-cinq centimes. Comme c’était la première fête de l’année dans la région liégeoise, un monde fou montait sur le “plateau”, par calèches, autos, fiacres et, surtout, par le bon vieux tram vert (20 centimes depuis la rue Sainte-Véronique).

Le tram vert (li vî tram di Cointe)

Il reliait le bas de la rue Hemricourt au plateau de Cointe. Le petit dépôt de tram style autrichien, construit en bois, était situé au milieu de l’avenue de l’Observatoire, à droite en montant. La ligne était à voie unique avec des évitements (un cent mètres plus haut que le dépôt, un autre au lieu dit “Champ des Oiseaux” et celui du terminus au plateau. Une voie de manœuvre pénétrait de quelques dizaines de mètres dans le parc privé de Cointe. Elle servait à permettre au tram qui venait d’arriver de reprendre la voie de droite pour le départ. Mais, comme il y avait rarement plus de deux véhicules en ligne, elle ne servait que les jours de grande affluence…

Un raccordement en boucle en face de l’église Sainte-Véronique permettait, via la ligne des trams blancs (TULE n°3) d’atteindre la place Cockerill (face à la Grand Poste) où les renforts de petites motrices vertes du tram de Seraing nous parvenaient. Elles étaient nécessaires les jours de Pentecôte. Entre 1920 et 1930, les moteurs étaient encore desservis par deux hommes, un conducteur et un percepteur, mais le percepteur a été rapidement supprimé.

Comme, entre les deux guerres, les routes étaient recouvertes de pavés ou comme le boulevard Kleyer de gravier (alors que j’étais à l’école communale, je me souviens l’avoir vu asphalter), il y avait souvent des problèmes. Quand il avait plu, le gravier de la rue du Batty ou du Boulevard Kleyer “descendait” vers les rails à gorge du tram et, comme le retour du courant s’effectuait par les roues, la motrice tombait en panne ou déraillait sur les pavés. Comme il n’existait pas de “train de secours” comme aux chemins de fer, on utilisait le système D.

On allait chercher les vieux pensionnés et les chômeurs, toujours assis sur un banc à l’entrée du boulevard, et le percepteur leur demandait d’appuyer avec leur dos contre la paroi du véhicule pendant que lui, ganté de gros gants en caoutchouc et armé d’un fil électrique, assurait le retour du courant en touchant à la fois la roue en acier et le rail. Le tram, avec le conducteur à bord, se dandinait sur les gros pavés mais, sous la poussée des bénévoles, finissait toujours par retomber sur ses rails. Ce n’était pas bien compliqué !

Quand il ne pleuvait pas, c’était nous qui, au bas de la rue du Batty, remplissions les gorges des rails de poussière et alors… c’était la panne ! On était cachés et on regardait le percepteur avec ses gants  réaliser le retour du courant et on n’avait pas besoin des pensionnés puisque, si le tram n’avait plus de courant, il était cependant resté sur ses rails.

On allait chez Dessel-Cloux [?] (au coin de la rue du Puits et des Lilas) chercher des “crick-cracks” pour vingt-cinq centimes. C’étaient des petites gouttes de poudre brunes collées sur des bandes de papier et on en avait vingt-cinq pour une pièce de vingt-cinq centimes. On allait les placer sur les rails du tram, quelques mètres après son emplacement de stationnement et on les disposait sur quelques dizaine de mètres. Lorsque le tram partait, il les écrasait et ça “pétait” vingt-cinq fois !”

Jean Léonard

Le manuscrit original est dans notre documenta !

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, édition et iconographie | sources : Jean et Philippe Léonard | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jean Léonard ; P. Schurgers et J. Hariga (photo en tête de l’article) ; © Lambert Jamers.


Plus de CHiCC ?

Conférence CHiCC : Catherine Vankerkhove, La pensée scientifique

La conférence aura pour but de découvrir les penseurs importants et les scientifiques qui, depuis l’Antiquité, ont interrogé notre regard sur le monde et notre processus d’acquisition des connaissances. Elle sera découpée en quatre parties, une introduction qui questionnera les rapports pensée/science, l’Antiquité (Anaximandre, Aristote…), le Moyen Age et l’importance du monde arabe (Gerbert d’Aurillac, Omar Khayyam…) et enfin la pensée scientifique  pré-moderne, qualifiée de mécaniste (Galilée, Newton, Pascal…).

Catherine Vankerkhove est diplômée en philosophie, conférencière, professeur de communication à l’IFAPME et professeur d’histoire de la pensée à l’Université du 3ème âge de Liège. Elle est également guide pour l’office du tourisme de Liège et dans les grandes expositions et a publié plusieurs ouvrages.

Les conférences de la CHiCC sont ouvertes à tous. Elles sont gratuites pour les membres de la CHiCC (cotisation de soutien de 15 euros pour la saison 2022-2023 à verser sur le compte BE24 0011 8159 9638) et en participation libre (montant recommandé : 5 euros) pour les non-membres. Les règles sanitaires en vigueur au moment de la conférence seront d’application.

DELAITE : L’Académie royale des Beaux-Arts de Liège, presque 250 ans d’histoire aujourd’hui (CHiCC, 2022)

Temps de lecture : 8 minutes >

Liégeoise d’abord

C’est François-Charles de Velbrück, prince-évêque de Liège de 1772 à 1784, qui prit en 1775 la décision de créer une “Académie de peinture, sculpture et gravure” ainsi qu’une “Ecole de dessin relative aux arts mécaniques”. Le peintre Léonard Defrance (1735-1805) et le sculpteur Guillaume Evrard (1709-1793) firent partie du premier corps professoral. Cette première académie occupa d’abord provisoirement deux salles de l’Hôtel de Ville avant de s’installer à partir de 1778 dans un hôtel particulier “Vieille Cour de l’Official”, à proximité de l’actuel Îlot Saint-Michel, jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.

Française ensuite

Sous le Régime français en 1797, Liège, devenue siège de la préfecture du département de l’Ourthe, ouvre une “Ecole Centrale”. Léonard Defrance, encore lui, y est chargé des cours de dessin. Comme toutes les autres écoles centrales de l’Empire, en 1808 l’école de Liège devient lycée et le cours de dessin n’est plus qu’un cours parmi d’autres. Quatre années plus tard, en 1812, à l’instigation des membres de la Société d’Émulation – une société savante instituée elle aussi quelques décennies plus tôt par ce prince éclairé qu’était Velbrück – un projet de création d’une école gratuite de dessin, de peinture, sculpture et architecture voit le jour : ce sera “l’Athénée des Arts”. Celui-ci ne connaîtra cependant qu’une existence éphémère, les circonstances politiques le voulant ainsi. En effet, les cours disparaissent peu après en janvier 1814 : les armées alliées entrent à Liège et mettent fin au Régime français. Cet Athénée des Arts occupait une grande salle de l’hospice Saint-Michel, rue de l’Étuve. Le peintre français Philippe-Auguste Hennequin (1762-1833) en était le directeur.

Puis Hollandaise…

Á la suite du Congrès de Vienne en 1815, Liège, passée sous l’autorité des Pays-Bas, devra attendre 1820 pour que soit créée une “Académie royale de dessin” et qu’ainsi l’enseignement des arts puisse à nouveau être dispensé. Cette académie, dont la direction est assurée par le sculpteur François-Joseph Dewandre (1758-1835), fut d’abord installée dans les locaux de l’ancien Collège des Jésuites wallons (l’actuelle université) avant de déménager en 1825 dans ceux de l’ancien Hospice Saint-Abraham. Cet immeuble, situé en Feronstrée entre Potiérue et la rue Saint Jean-Baptiste, fut démoli en 1963 pour libérer l’espace nécessaire à la construction de la Cité administrative et d’une grande surface commerciale (l’ancienne Innovation).

Belge enfin

Peu après l’Indépendance de la Belgique, désireux de soutenir les arts, un groupe de personnes se forme autour du bourgmestre Louis Jamme et émet diverses propositions qui aboutiront en 1835 à la réorganisation des cours et à la création d’une “Académie royale des Beaux-Arts”. Le peintre verviétois Barthélemy Viellevoye (1798-1855) en sera le premier directeur.

Au fil des années cependant, le nombre des étudiants croissant sans cesse, les locaux de l’ancien hospice deviennent rapidement exigus, mal éclairés, mal aérés, insalubres, surchauffés par les becs de gaz, ils présentent de réels dangers. Aussi, en 1890, l’échevin Gustave Kleyer présente au Conseil communal un projet de construction de nouveaux locaux sur un terrain jadis occupé par le couvent Sainte-Claire non loin de la gare du Palais. Le projet est accepté et les premiers travaux débutent en juillet 1892. L’Académie quittera la rue Feronstrée et l’hospice qui l’accueillait pour le nouveau bâtiment de la rue des Anglais en 1896.

© academieroyaledesbeauxartsliege.be

Le bâtiment

Construit entre 1892 et 1895 par Joseph Lousberg (1857-1912), à cette époque architecte de la Ville de Liège, le bâtiment qui abrite l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège est inspiré par l’architecture de la Renaissance italienne.

Son plan comporte quatre ailes qui se répartissent autour d’une cour centrale aménagée en jardin. Tandis que l’aspect général de l’édifice depuis la rue des Anglais paraît très sobre, sévère même, les façades donnant sur la cour révèlent un tout autre esprit : les baies en plein cintre du rez-de-chaussée, les fenêtres à croisée du premier étage, les fenêtres géminées dotées de colonnettes à chapiteau corinthien, la corniche saillante ainsi que le remarquable escalier d’apparat à double révolution révèlent les sources d’inspiration de l’architecte. En cette fin du XIXème siècle, pour abriter une école d’art, il était de bon ton en effet de se référer à une époque de l’histoire qui voit les arts plastiques obtenir reconnaissance et prestige. Ainsi l’académie de Liège possède-t-elle des accents qui peuvent faire penser à un palais italien de la Renaissance.

Le 14 juillet 1895, le roi Léopold II inaugure ce nouveau bâtiment de la rue des Anglais. Les travaux ne s’arrêteront cependant pas là et, quelques années plus tard, avec une entrée située rue de l’Académie, un Musée des Beaux-Arts complète l’ensemble. Pendant plus de septante ans, l’enseignement, la conservation et la promotion des arts plastiques se feront dans des bâtiments contigus constituant ainsi un complexe homogène composé d’un musée, rue de l’Académie, et d’une académie,  rue des Anglais.

Fin des années septante toutefois, tout le quartier est soumis à d’importantes transformations : les infrastructures autoroutières doivent pénétrer jusqu’au cœur de la ville. Le Musée des Beaux-Arts doit laisser la place à l’automobile. Tous les immeubles situés côté chiffres pairs de la rue de l’Académie sont expropriés et détruits. C’est depuis cette époque que se dresse, visible de tous depuis la place de l’Yser (!), l’immense pignon aveugle de l’académie que quelques chétifs peupliers peinent à dissimuler…

Si aujourd’hui le musée a disparu, le bâtiment abritant l’Académie n’a toutefois quasiment rien perdu de la physionomie qu’il présentait en 1895.

L’architecte de l’Académie

Originaire de Baelen, Joseph Lousberg, diplômé de l’Académie en 1883, a fait carrière dans les services de la Ville avant d’être désigné architecte des bâtiments communaux en janvier 1887. Á ce titre, il dessine de très nombreux bâtiments: les écoles du boulevard Ernest Solvay au Thier à Liège (1890), de la rue Maghin (1894), du boulevard Kleyer (1911), de la place Sainte-Walburge (1905), de la place Vieille Montagne dans le quartier du Nord (1906) mais aussi l’annexe de l’Athénée du boulevard Saucy (1903), l’école d’Armurerie de la rue Léon Mignon (1904). C’est également lui qui dessine les plans de l’ancienne bibliothèque des Chiroux en 1904, des crèches de la rue Rouleau (1905) et de la rue du Laveu (1912) ainsi que les pavillons représentant la Ville de Liège aux expositions universelles de Bruxelles, Liège et Gand. Il travaille également à la restauration du Musée Curtius et de l’ancien couvent des Ursulines au pied de la Montagne de Bueren. Il dessine enfin des immeubles pour le privé comme les bâtiments, aujourd’hui détruits, du banc d’épreuve des armes à feu, rue Fond des Tawes, ainsi que de nombreuses maisons particulières dans la région de Dolhain Limbourg.

Dans l’escalier

Ciamberlani © visemagazine.be

Albert Ciamberlani (1864-1956), l’auteur de cette grande peinture décorant aujourd’hui le grand escalier, est né à Bruxelles en 1864 d’un père italien et d’une mère flamande. Après un court séjour à l’Académie de Bruxelles dans la classe de Portaels, il fait partie du groupe l’Essor avant de fonder le cercle “Pour l’Art” avec Jean Delville, Emile Fabry et Victor Rousseau notamment. En cette fin de siècle, ce groupe appartient à la mouvance symboliste. L’esprit littéraire, l’idéalisme et l’allégorie soufflent alors sur les beaux-arts.

En France, Pierre Puvis de Chavannes a ouvert une voie qui renouvelle la peinture monumentale: de grandes compositions claires, statiques, des tonalités mates, des personnages aux gestes lents, le silence. Albert Ciamberlani retient la leçon. “L’hommage aux héros de la colonisation” n’a pas été réalisé pour l’Académie, même si l’oeuvre paraît s’intégrer parfaitement à l’espace de l’escalier. La peinture décorait le pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Elle a été achetée en 1929 pour le Musée des Beaux-Arts qui jouxtait jadis l’Académie. Ciamberlani a travaillé pour d’autres lieux: les Hôtels de Ville de Saint Gilles et de Schaerbeek, le Musée de Tervuren, le Cinquantenaire et les Palais de Justice de Louvain et de Bruxelles.

Les députés gantois attendant à la porte du palais de Charles le Téméraire…

Lorsque le musée des Beaux-Arts quitta la rue de l’Académie, ce grand tableau d’histoire resta accroché au mur du couloir du rez-de-chaussée de l’école. Signé Emile Delpérée et daté 1877, cette peinture évoque un épisode de l’histoire médiévale. En 1468 Charles le Téméraire avait mis à sac la ville de Liège. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne évoquant la possibilité de faire subir le même sort à leur ville, les Gantois envoyèrent leurs députés afin d’implorer sa clémence. L’histoire rapporte que le Téméraire fit patienter la délégation plus d’une heure et demie dans la neige avant de l’autoriser à pénétrer dans le palais. Les députés se prosternèrent ensuite à ses pieds et lui remirent leurs chartes et les bannières de leurs métiers avant de lui dire merci. Delpérée professeur chargé du cours de peinture, comme Chauvin ou Vieillevoye avant lui, s’inscrit dans la tradition d’une peinture qui cherche par l’image à nous instruire et à nous faire réfléchir à partir d’épisodes de l’histoire nationale et locale.

Dans ce tableau, Delpérée multiplie certes les expressions, les visages sont tendus, les corps sont raides, les poings crispés mais surtout il nous propose des visages singuliers comme s’il voulait nous montrer que bien plus qu’un groupe nous avons là, dans ces circonstances, des personnalités individuelles que la peur révèle. Lorsqu’on examine ces visages, leur précision laisse penser que Delpérée a rassemblé là quelques-unes de ses connaissances. S’il est délicat de s’aventurer dans l’attribution de certains visages, on peut toutefois sans hésitation reconnaître Charles Soubre (1821-1895), son collègue professeur de dessin (1854-1889) dont il a épousé la fille.

La bibliothèque et le fonds Henri Maquet

Joseph Lousberg ne s’est pas contenté de dessiner les plans du bâtiment, il a également conçu tout l’aménagement ainsi que le mobilier de certains locaux de l’école comme l’amphithéâtre du premier étage ou, plus significatif encore, la bibliothèque ;  il dessine ainsi toutes les armoires, la galerie, jusqu’au motif des charnières et des serrures.

L’architecte Henri Maquet, né en 1839, a fait ses études à l’Académie de Liège avant de faire carrière à Bruxelles où, notamment, il conçut les plans de l’Ecole royale militaire et où il travailla à la transformation du Palais royal. A sa mort en 1909, en hommage à l’école qui l’avait formé, il lègue son exceptionnelle collection de livres anciens d’architecture. C’est ainsi que la bibliothèque de l’Académie peut offrir, à la consultation, des ouvrages comme les traités d’architecture de Vignole,  Serlio, Palladio, Perrault, Blondel…, les œuvres de Gianbattista Piranese, les livres de Gérard de Lairesse ou encore de Viollet-le-Duc…

L’Académie aujourd’hui

Les locaux de la rue des Anglais abritent trois écoles différentes : l’Académie royale des Beaux-Arts (Ecole supérieure des Arts de la Ville de Liège et ses huit options : peinture, sculpture, gravure, scénographie, vidéo, publicité, illustration et bande dessinée), les humanités artistiques du Centre d’Enseignement secondaire Léonard Defrance et enfin l’enseignement artistique à horaire réduit. C’est également dans ses locaux enfin que divers stages sont organisés durant les mois d’été pour les adultes et pour les enfants.

Philippe DELAITE

      • Pour en savoir plus…
      • image en tête de l’article : façade de l’Académie des Beaux-Arts, Liège © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe DELAITE  a fait l’objet d’une conférence organisée en décembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

HALMES : Tous au bain ! Histoire des bains et des piscines à Liège (CHiCC, 2022)

Temps de lecture : 3 minutes >

C’est l’excellent livre de Marcel Conradt qui m’a donné l’idée de proposer une visite guidée consacrée aux lieux de baignade parmi les visites thématiques de l’Office du tourisme de Liège. La conférence suivra le parcours chronologique de cette visite qui, elle, se fait sur le terrain.

Depuis la nuit des temps, l’eau a été utilisée à des fins ludiques et hygiéniques. En témoignent à Liège les bains de la villa romaine de la place Saint-Lambert. On trouve également des bains dans les monastères. Et les Liégeois eux-mêmes n’hésitent pas devant un plongeon dans les eaux de la Meuse.

Au 17e et 18e siècles, on trouvera des étuves, dont l’une donnera son nom à une rue bien connue de Liège, étuves dont la réputation sera parfois mise en cause.

Les bains flottants du Pont Neuf, ouverts en 1840, seront la première véritable piscine à Liège. Ces grands caissons flottants, auxquels on accédait par un escalier au départ du Pont Neuf (actuellement pont Kennedy), permettaient de nager dans le fleuve, un fleuve dont la propreté laissait pourtant à désirer. Ils remportent un grand succès auprès des Liégeois, dont nombre d’entre eux s’y initient à la natation. Le début de la guerre sonnera le glas de leur existence en 1940.

Dès 1867, on trouve un espace communal de baignade à l’île de Malte (à proximité de l’actuel pont Atlas). Sous l’égide du sieur Delval, de nombreux Liégeois s’adonnent aux plaisir de la baignade, dans des eaux encore peu engageantes. Les bains Delval seront fermés en raison des dégâts causés par les inondations de 1926 et des travaux envisagés sur le cours d’eau en 1930. Une piscine en dur, sur la terre ferme, prendra le relais jusque dans les années 60 : les bains de la Constitution.

Au 19e siècle, des bains et lavoirs publics, dans les différents quartiers de la ville, permettent d’accéder à la propreté corporelle et de laver son linge. L’hygiène est un credo important alors que sévissent les épidémies.

Au début du 20e siècle, les Liégeois découvrent la première piscine couverte à Liège. Ce sont les Bains permanents Grétry, situés au boulevard d’Avroy, mais dont l’existence sera de courte durée.

Divers projets de création d’un espace de baignade à hauteur du quai Orban (entre 1930 et 1936) échoueront. A proximité, le plongeur d’Idel Ianchelevici rappelle l’éphémère existence de la piscine du Lido, créée dans la Meuse pour l’Exposition internationale de 1939.

Au début des années 30, une nouvelle école destinée aux jeunes filles est ouverte à l’emplacement des anciens bains Grétry et de la verrerie d’Avroy. Le Lycée de Waha voit le jour et dans ses murs est construite une piscine dont la décoration intérieure vaut le détour.

Mais Liège ne dispose toujours pas d’une piscine publique digne de ce nom. C’est alors qu’à l’initiative de l’échevin Georges Truffaut est présenté le projet des Bains et Thermes de la Sauvenière.

Il s’agit d’un projet d’émancipation sociale par la pratique du sport et l’hygiène des corps. C’est l’architecte Georges Dedoyard qui remporte le concours et réalise le bâtiment dans l’esprit du Bauhaus. Caractéristique particulière : les piscines se trouvent aux 4e et 5e étages. Malgré les vicissitudes de la guerre, la piscine ouvre ses portes en 1942 et rencontre un vif succès auprès des Liégeois. L’établissement sera complété par des installations sportives et une gare d’autobus s’y installera.

Mais le déclin s’annonce dès les années 70 et, en 2009, la Sauvenière fermera définitivement ses portes. C’est la Cité Miroir qui rendra vie à ses murs en y installant un lieu de mémoire dédié à la défense des libertés.

Pour pallier la fermeture de ce lieu emblématique, naîtra, dès 2004, le projet d’une piscine communale à Jonfosse, un projet qui, au bout de longues années, verra enfin sa concrétisation en 2020. La nouvelle piscine accueille les Liégeois dans une structure qui répond aux exigences de notre siècle.

Pour terminer : un clin d’œil à nos installations cointoises : les Thermes Liégeois, à la courte vie, dans le parc privé et la pataugeoire de la plaine de jeu du parc public, dont la petite tortue trône à présent sur le rond-point proche de la place du Batty.

Brigitte HALMES

  • illustration en tête de l’article : Liège, Exposition internationale de 1939, Le Lido © worldfairs.info

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Brigitte HALMES  a fait l’objet d’une conférence organisée en novembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

KOKELBERG : Rabelais, moine truculent et médecin voyageur (CHiCC, 2022)

Temps de lecture : 4 minutes >

Quatrième enfant d’un avocat, François RABELAIS naît à La Devinière, propriété familiale située non loin de Chinon, berceau de la famille. Sa date de naissance fait l’objet de controverses : 1483, 1489 ou 1494. Des indices divers peuvent accréditer chacun de ces millésimes. Quoi qu’il en soit, il a vécu à l’époque de Colomb, de Luther, d’Érasme, de François Ier, de Charles-Quint, de Jules II, de Léonard de Vinci et de Michel-Ange. Un bouillon d’Humanisme en pleine Renaissance.

Après une instruction à Seuilly (à 1,5 km de La Devinière), Rabelais devient novice puis moine chez les Cordeliers (“de cordes liés” !) à Angers (1509-1519) puis à Fontenay-le-Comte (1520-1525). Mais ces années passées chez les Franciscains (appelés “cordeliers” en France) l’étouffent. La Sorbonne conservatrice lui interdit même de lire les Évangiles à partir du texte grec. Pour se libérer de ce joug, il passe chez les Bénédictins, plus ouverts au travail intellectuel : le voilà à Maillezais, protégé par Geoffroy d’Estissac (les ruines de l’ancienne abbaye, face au marais poitevin, incitent à visiter la Vendée).

En 1530 cependant, après avoir fréquenté plusieurs universités françaises, il s’inscrit à la réputée Faculté de Médecine de Montpellier. Grâce à son immense savoir et à sa mémoire prodigieuse, il est reçu bachelier en moins de deux mois. Il lui reste à exercer pratiquement le métier pour être certifié médecin. Il va soigner 200 malades à l’Hôtel-Dieu de Lyon ; pendant son passage, la mortalité baisse de 3 %. Dans la foulée, il est engagé comme médecin et secrétaire particulier de Jean du Bellay, évêque de Paris – l’occasion de voyager en Italie.

Ce n’est qu’en 1532 – la quarantaine bien sonnée ! – qu’il publie son premier ouvrage Pantagruel, suivi, vu le succès, de la Pantagruéline Prognostication (satire des faiseurs d’horoscopes) et de Gargantua (père de Pantagruel) en 1534.

A travers Pantagruel et Gargantua, il a l’occasion de préciser ses idées en matière d’instruction et d’éducation. Idéalement, l’élève doit devenir “un abysme de science” et s’intéresser à tout : les langues, les maths, le droit, les sciences naturelles et la diététique – préoccupation très avant-gardiste mais qui s’explique par ses connaissances médicales.

Comme piliers, deux préceptes latins : “Mens sana in corpore sano” et “Utile dulci” : si on joint l’utile à l’agréable, la leçon se retient mieux (ex. le jeu de cartes à finalité mathématique).

Les ouvrages rabelaisiens précités sont enrobés dans des récits plaisants où le gigantisme et la bouffonnerie constituent l’enveloppe… mais comme il l’écrit : “L’habit ne fait point le moine.” Il faut dépasser la forme pour s’attacher au contenu.

A côté de ses leçons pédagogiques, Rabelais ne se prive pas de railler la justice, la Sorbonne et le bas-clergé.

Après un silence de 12 ans, il publie le Tiers Livre, opus dans lequel Panurge, compagnon de Pantagruel, consulte 16 spécialistes pour savoir s’il doit ou non se marier, car le risque d’être cocu semble réel dans le mariage.

Si l’on veut bien se laisser porter par le ton et le rythme de son oeuvre, Rabelais apparaît comme un promoteur de la joie de vivre, laquelle se décline en 4 mots : rire, boire, manger…et desbraguetter. Ce sera l’occasion pour Rabelais de faire exploser sa créativité : des rythmes de phrase très puissants et un vocabulaire richissime.

Ses personnages respirent la Gourmandise : Grandgousier et Gargantua (“car grand tu as”… le gosier) et ses cuisiniers sont affublés de jolis noms : “Saulpicquet”, “Paimperdu”, “Carbonnade” et “Hoschepot”.  Notre époque s’en sert encore !

François Rabelais © causeur.fr

Il convient enfin de souligner avec force cette vérité : Rabelais est le plus grand créateur de mots de notre langue française.

Il a popularisé des expressions toujours en vogue… après 5 siècles : “tirait les vers du nez”, “qui trop embrasse peu estrainct”, “saultoyt du coq a l’asne”. Dans le seul Pantagruel, on recense pas moins de 800 néologismes, entièrement imaginés par Rabelais. C’est à lui que l’on doit des mots comme écrabouiller, excrément, frugal, imposteur, intempéries et quinconce. Et quand il soigne les blessés dans son grand nosocome, on comprend mieux l’adjectif dérivé de ce substantif.

Il a aussi parlé de “la sepmaine des troys jeudis”, des “calendes grecques” et de “l’année des couilles molles”. En façonnant ce curieux “calendrier”, il a pu observer qu’il ne fallait pas confondre une femme “folle à la messe”… avec une femme “molle à la fesse”. L’inventeur de la contrepèterie, c’est encore lui, le père François !

Jean KOKELBERG

  • illustration en tête de l’article : Pantagruel par Gustrave Doré © BnF.

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Jean KOKELBERG  a fait l’objet d’une conférence organisée en septembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

Plus de CHiCC ?

DEGEY, Emile (1920-2021)

Temps de lecture : 5 minutes >

Alors que la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy (CHiCC en abrégé) s’apprêtait à fêter son 35e anniversaire, disparaissait son premier président, M. Emile DEGEY, à l’âge de 101 ans  (Sclessin, 6 juin 1920 – Liège, 19 septembre 2021). En guise d’hommage, nous vous proposons de retrouver ci-dessous le texte écrit par l’actuelle présidente, Claire Pirlet, à l’occasion de son centenaire, ainsi que la liste des publications d’Emile Degeÿ disponibles sur wallonica.org

Qui est Emile Degeÿ ?

Le 23 septembre 1986, naissait la Commission Historique de Cointe avec Emile DEGEY pour président. Or, le 6 juin 2020, Monsieur Degey a eu 100 ans et la Commission Historique et Culturelle de Cointe, devenue la CHiCC en septembre 2019, lui souhaite un bon anniversaire.

D’abord instituteur puis directeur de l’école Saint-Louis à Sclessin, Emile Degey a profondément marqué certains de ses élèves et de ses collègues. Ainsi, Gilda Valeriani, une de ses anciennes élèves qui alimente aujourd’hui la page Facebook Sclessin d’hier et d’aujourd’hui, parle de lui en ces termes, dans un texte qu’elle a écrit à l’occasion de son anniversaire : “Il fut notre instituteur et ensuite notre directeur, il est aussi notre passeur de mémoire grâce à toutes les recherches historiques qu’il a accomplies tout au long de sa vie. Il est, pour ma part, une source d’inspiration.”

Qu’a-t-il fait pour que la CHiCC lui rende hommage aujourd’hui ?

Outre le fait qu’il a été le premier président de la Commission Historique de Cointe, il faut rappeler pourquoi ses amis lui ont demandé d’assumer cette fonction. Pour ce faire, sans aucune prétention à l’exhaustivité, nous retiendrons ici quelques éléments parmi tant d’autres qui rappellent le “passeur de mémoire” rigoureux et “l’inspirateur” actif, stimulant et bienveillant qu’a été Monsieur DEGEY.

Passeur de mémoire :

En mars 1979, Emile Degey publie un mémoire de 38 pages agrafées, tapé à la machine et illustré de nombreux croquis, intitulé “Il était une fois… Sclessin !” dont l’écriture claire et précise fait revivre Sclessin : sa terre, ses eaux, son château, la vie sclessinoise, la cité industrielle. C’est le premier essai général approfondi consacré à ce quartier ; il reste une source importante aujourd’hui pour Gilda Valeriani qui continue son œuvre via Facebook et aussi pour quiconque veut aborder ce sujet.

Inspirateur actif et stimulant :

En 1997, Olivier HAMAL, alors président de la Commission Historique devenue entre-temps Commission Historique ET Culturelle, écrivait ceci dans sa préface de l’album “Images de notre passé”:

“A l’occasion de son dixième anniversaire, la Commission Historique et Culturelle, en ce début de l’année 1997, a décidé d’éditer ce bel album de cartes postales et de photographies anciennes des quartiers à parcourir comme une promenade, partant du Bois d’Avroy et conduisant par Cointe et Sclessin jusqu’à Fragnée. Certaines de ces “Images de notre passé” ont déjà été présentées dans différentes expositions. Cependant, pour assurer la plus large diffusion possible de cette documentation remarquable, il a paru intéressant (…) de procéder à sa publication.
Je terminerai en adressant mes plus vifs remerciements à Messieurs Emile Degey et Pol Schurgers pour tout le travail qu’ils ont accompli afin de permettre la réalisation et la sortie de presse de cet album.” 

Inspirateur stimulant et bienveillant

Si Emile Degey, auteur de nombreuses brochures publiées dans la série “Altitude 125” sous l’égide de la Commission, fut une source d’inspiration pour ses élèves, il l’a été aussi pour Pol SCHURGERS, auteur en 2006 du remarquable “Cointe au fil du temps…” (ouvrage malheureusement épuisé aujourd’hui) qui le cite abondamment dans sa bibliographie et introduit sa publication par ces mots :

“J’ai rassemblé ici et complété les informations de toutes sources fiables. De très nombreux extraits proviennent des ouvrages publiés par notre Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy. Plusieurs de ces ouvrages ont été écrits par Monsieur Emile DEGEY. Je le remercie ici très chaleureusement de m’avoir communiqué un grand nombre de documents et épaulé amicalement dans mes recherches.”

Passeur de mémoire rigoureux :

En 2006 encore, la journaliste Lily PORTUGAELS , informée par Olivier HAMAL alors président de la Commission historique et culturelle dont Emile Degey était devenu président d’honneur, écrira dans un article sur Lambert Lombard pour “La Libre Belgique” ( dans “La Gazette de Liège”) :

“Grâce aux recherches de M. Emile Degey, président d’honneur de cette commission, il semble bien que l’on puisse localiser avec certitude la maison que le prince Erard de la Marck avait offerte à Lambert Lombard qui était son peintre attitré. (…) Emile Degey a retrouvé, aux archives de l’Etat, à Liège, l’acte de vente par lequel Jean-Théodore de Bavière, le 16 août 1762, cédait “en emphytéose et à toujours au dit conseiller Henri Lambert de Groutars, pour lui et ses successeurs, notre maison, prairies, terres, biens et vignobles de la Chèvre d’or”.

On savait que la maison devait être flanquée d’une tour hexagonale. Du coup, quatre possibilités d’habitations pouvaient correspondre à la maison du prince offerte à Lambert Lombard : la Thorette, l’ancienne maison de campagne d’une abbesse, la maison Spineux et le vide-bouteille de la rue Côte d’Or. Ce n’est aucune des quatre, affirme Emile Degey qui le démontre grâce à une carte des vignobles du prince dressée par l’arpenteur C.F. Dervaux et datée du 9 août 1762. On y voyait une seule habitation sans nom que M. Degey a fini par identifier comme étant bien la maison, sous-les-vignes, qui fut celle de Lambert Lombard d’abord, du conseiller Groutars ensuite. On relèvera à ce sujet que la limite entre Sclessin et Tilleur passait entre les deux cheminées de la maison !”

A découvrir tous ces travaux, à lire tous ces remerciements, la nouvelle présidente que je suis depuis un an, après la présidence de Jean-Marie DURLET lequel a prêté sa plume et organisé les conférences de la Commission Historique et Culturelle pendant tant d’années, moi qui n’ai pas pu rencontrer Monsieur DEGEY à cause du confinement dans la maison de repos où il réside aujourd’hui, je pense spontanément aux belles paroles de Jean-Jacques Goldman :

“C’était un professeur, un simple professeur
Qui pensait que savoir était un grand trésor
Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir
Que l’école et le droit qu’a chacun de s’instruire

Il y mettait du temps, du talent et du cœur
Ainsi passait sa vie au milieu de nos heures
Et loin des beaux discours, des grandes théories
À sa tâche chaque jour, on pouvait dire de lui …

Qu’il changeait la vie… !”

Merci, Monsieur Degey, d’avoir accepté, avec une bande d’amis, d’inaugurer la Commission Historique de Cointe, Fragnée, Sclessin et Bois d’Avroy ! Merci d’avoir stimulé autour de vous le goût de la culture et de la vie intellectuelle qui permet d’enjamber avec respect les siècles dont on connaît mieux les espoirs et les efforts !

Si, en septembre 2019, la Commission Historique et Culturelle est devenue la CHiCC par facilité,- un acronyme un peu kitsch sans doute, mais notre époque aime les sons qui claquent et qui se retiennent facilement – soyez assuré que l’équipe d’aujourd’hui n’oublie pas ses racines et ce que nous devons à tous ceux qui nous ont précédés. Nous nous emploierons à faire de notre mieux pour continuer à faire vivre ce que vous avez semé et qui existe depuis 34 ans déjà, même s’il nous faut aussi nous adapter à notre époque ludique et technologique et déployer nos ailes sur les réseaux sociaux (page Facebook) et sur les sites internet (wallonica.org) (…).

Claire PIRLET

Mes remerciements à Corinne Collard, fille d’Albert Collard, grâce à laquelle j’ai pu lire “Il était une fois… Sclessin !” et “Cointe au fil du temps” aujourd’hui épuisés, à Olivier Hamal, à Alexandrine Lebire, à Gilbert Lox, à Agnès Mabon et à Philippe Vienne qui, chacun à leur manière, m’ont permis de découvrir la personnalité d’Emile Degey et son importance pour la Commission Historique et Culturelle de Cointe.”

Les publications d’Emile DEGEY disponibles sur wallonica.org :


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © cointe.org


Plus de CHiCC ?