DIEL : Psychologie et vie (conférence, 1958)

Temps de lecture : 5 minutes >

En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“Arrivé au terme de cette étude synoptique, il convient de la résumer et d’en tirer la conclusion.

Le comportement humain est l’effet d’une cause, généralement appelée motif. Le tout est de savoir si les motifs d’action sont exclusivement les excitations qui proviennent du milieu ambiant. Dans ce cas, il suffirait d’étudier le milieu pour être à même d’expliquer sciemment tous les aspects du comportement.

Cette manière de voir oblige d’admettre que l’homme serait une sorte de mécanisme qui, sans intentions individuelles, répondrait automatiquement à l’influence du milieu. Certaines écoles de la psychologie moderne inclinent à soutenir cette hypothèse et même à en faire un dogme.

L’objectivité sur le plan des sciences humaines consisterait à nier l’authentique existence de l’esprit, moyen de la recherche, à réduire la vie à un épiphénomène de la matière…

Le fonctionnement de la psyché, sujet de la recherche, se trouve ainsi dégradé au niveau d’une illusion. À la vérité, une position aussi restrictive ferait croire aisément à une aberration imaginative, à une sorte de maladie de l’esprit qui se serait emparée des sciences humaines, s’il n’était évident que le mécanicisme est une réaction excessive contre un spiritualisme qui s’est trop complu à négliger l’influence indiscutable du milieu (climat, traditions culturelles, situation économique, etc.).

Il importe donc de souligner que le comportement humain dépend, en effet, du milieu, mais non point d’une manière mécanique. Le comportement est le résultat d’une double détermination motivante. L’une, extérieure, est formée par les mobiles, les agents moteurs provenant du milieu. L’autre, par les raisons internes d’agir, les motifs intimes, élaborés à partir des images par le raisonnement, par l’esprit valorisant.

L’étude du comportement se partage ainsi en deux domaines : la psychologie sociale et la psychologie intime.

La psychologie, pour devenir science de la vie, devrait se compléter d’une méthode introspective capable de saisir les motivations intimes. Ces motivations sont nécessairement ambiguës, car l’esprit valorisant est susceptible d’erreurs qui ne lui sont pas conscientes. L’erreur possible détermine une motivation faussée, dérobée au conscient, cause intime d’actions et d’interactions vitalement insatisfaisantes. Toutes les activités humaines étant sous-tendues par des motifs intimes, conscients ou inconscients, le domaine de la psychologie introspective se trouve être aussi vaste que la vie. La psychologie appliquée à l’étude des motifs intimes se propose donc comme but de présenter les résultats de sa recherche introspective en vue de leur utilisation, non seulement pour l’observation clinique, mais aussi-et même avant tout -pour l’explication de la vie quotidienne. Or, toutes les activités humaines et, partant, toutes leurs motivations secrètes, se laissent diviser en deux groupes: le sensé et l’insensé. Il est donc indispensable -par raison d’ économie -de choisir cette division fondamentale comme point de départ. Il en résulte l’obligation de parler-plus qu’il n’est usuel en psychologie -du sens de la vie, approfondissement qui pourrait faire croire qu’il s’agit de présenter une sorte de systématisation philosophique. Or, la psychologie introspective s’honore d’une certaine parenté de son thème avec celui de la philosophie. Elle doit pourtant insister sur une différence fondamentale de méthode qui la conduit vers une solution dont il importe de souligner la nouveauté et la portée : l’étude des motivations extra-conscientes démontre que l’insensé est le pathologique, conséquence néfaste de la désorientation à l’égard de la conduite sensée et, par là même, éthique.

Il en résulte une conclusion d’une importance éminemment pratique et qui éclaire d’une nouvelle lumière tout le problème de la vie et de son sens : il n’est pas sans danger d’abandonner la conduite éthique, car il s’ensuit la destruction de la santé psychique. De la formulation de cette loi fondamentale naît une technique curative. Il n’a pas été possible d’en faire ici l’exposé ; il convient du moins d’en indiquer le principe : rien ne sert, comme on a toujours voulu le faire, de changer les actions insensées en négligeant les motifs mensongers, les motivations d’évasion et de justification. L’imagination d’évasion exalte les désirs et s’oppose ainsi à leur maîtrise ; l’imagination de justification exalte vaniteusement l’ego et s’oppose ainsi à la connaissance de soi. Les deux aspects de l’imagination exaltative constituent la non-valeur ; ils se conjuguent et empêchent la réalisation de la valeur vitale, produisant ainsi leur propre sanction : la déformation pathologique.

Du rapport d’inversion existant entre l’éthique et le pathologique résulte l’immanence des valeurs. Les valeurs sont immanentes au fonctionnement psychique, qui peut être vitalement valable ou non valable, satisfaisant ou insatisfaisant. L’immanence, tant qu’elle n’est pas sciemment comprise, demeure extraconsciente. Ainsi la non-valeur -la tentation subconsciente avec ses fausses promesses de satisfaction -l’emporte-t-elle trop aisément sur la vision surconsciente des valeurs, ancestralement condensées en des rêves mythiques et en leurs images-guides.

Seule la compréhension de la loi d’immanence qui régit le fonctionnement psychique pourrait permettre aux sciences humaines de combler leur retard. Cette compréhension créerait de nouvelles déterminantes capables de guider l’activité et de maîtriser le progrès technique, car elle permettrait de hiérarchiser sainement les valeurs matérielles par rapport aux valeurs éthiques, et de recréer ainsi sciemment l’échelle des valeurs, fondement des cultures. Le pouvoir suggestif des ancestrales images surconscientes fut fondé sur leur beauté significative. Mais ce pouvoir suggestif ne serait-il pas retrouvé et décuplé s’il pouvait être possible de formuler clairement et sciemment la vérité que les images mythiques ont préfigurée et qui concernait de tout temps les conditions de l’équilibre ou du déséquilibre psychique ? Aucune force suggestive n’est égale à celle de la vérité comprise. L’ère scientifique n’exigerait-elle pas que la connaissance des lois physiques et des techniques d’application qui en sont issues fût complétée par la connaissance des lois qui régissent la vie psychique, et par l’élaboration des techniques capables d’endiguer les insidieux dangers subconscients ?

Il est, certes, nécessaire de lier le comportement à l’influence du milieu et de tâcher d’améliorer le conditionnement extérieur grâce à l’organisation du milieu. Mais comment pourrait-il être superflu de remonter également, à partir du comportement, vers le plan de l’imagination où s’élaborent les motifs des actions ? La falsification subconsciente des motifs ne risquerait-elle pas de rendre injuste même l’activité amélioratrice la mieux intentionnée? La loi d’ambivalence régit sans exception tous les motifs pseudo-sublimes. Elle divise les idéologies, et avec elles l’humanité, en camps adverses. Les meilleures intentions -d’où qu’elles viennent -relèvent par trop du domaine de l’imagination exaltative et subissent le renversement pathogène.

Seule la juste valorisation, fonction de l’esprit, crée les valeurs véridiques. Seule la compréhension du rapport d’inversion qui existe entre l’éthique et le pathologique, permet de définir sciemment la raison d’être des valeurs: leur règne immanent et la sanction qui frappe l’aberration. Seule cette compréhension rendra les valeurs enseignables, transmissibles par éducation. De la compréhension des lois psychiques pourrait résulter, dès lors, une technique prophylactique dont l’importance dépasse de loin la portée thérapeutique de la psychologie intime.

Paul DIEL


D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Motivation et comportement (conférence, 1958)

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En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“En psychologie introspective, il est fondamental de comprendre le rôle prédominant que joue l’imagination dans l’élaboration des motifs.

Les motifs déterminent l’action, et les motifs faussés déterminent l’activité malsaine. Il importe donc d’insister davantage sur les méfaits de l’imagination exaltative, afin de comprendre la déformation caractérielle et le comportement malsain qui en résulte.

Nous cultivons tous les jeux imaginatifs, car ils nous consolent et nous enchantent. Ils nous permettent de triompher de toutes les adversités de la vie. (Encore que l’imagination pathologique se délecte souvent d’imageries angoissantes.) L’imagination est considérée comme le domaine le plus privé de chacun, l’enclos où il peut se retirer pour se conforter, se réconforter ou pour se plaindre. Il est généralement admis que ces auto-consolations sont sans aucune importance pour la vie réelle. Mais la vérité est que la force suggestive des images que nous chérissons forme ou déforme le caractère de chacun. L’imagination détermine le comportement satisfaisant ou insatisfaisant, car c’est à partir d’elle que se forment les intentions sensées ou insensées.

Dans nos jeux imaginatifs, nous sommes les justiciers de nos semblables. Nous les condamnons et nous nous justifions nous-mêmes. Ces auto-justifications imaginatives nous paraissent d’autant plus objectivement véridiques que nos semblables, agissant à partir de leurs fausses motivations, émettent, en effet, des réactions injustes à notre égard. La vexation vaniteuse, la rancœur accusatrice, la plainte sentimentale, finissent par envahir toutes les interréactions humaines. Chacun constate avec indignation les fausses réactions d’autrui et oublie volontairement ses propres fausses motivations. Il les refoule. Il est juste de voir la faute d’autrui, car elle existe ; mais il est injuste de ne pas voir sa faute propre, car elle existe aussi.

Aussitôt que nous réfléchissons sur nous-mêmes -c’est-à-dire que nous faisons un acte introspectif -l’amour-propre tente de déformer tous nos jugements. La sagesse du langage le constate : le terme je pense est, en matière d’auto-contemplation, synonyme des termes je crois, j’estime, j’imagine, je songe. Notre réflexion à l’égard de nous-mêmes et d’autrui n’est pas, la plupart du temps, un jugement, mais un préjugé. Elle n’est que croyance inobjective, estimation vaniteuse, imagination vaine, songerie.

Mais cette songerie est auto-satisfaisante. Elle est la consolation pour les insatisfactions réelles. La vie psychique est un incessant calcul de satisfaction. Le tout est de comprendre pourquoi et comment ce calcul peut être vitalement valable ou non valable. Le psychisme est défini par sa tendance à transformer toute insatisfaction en satisfaction. S’il n’est pas en état d’obtenir ou de créer des satisfactions réelles, il se contentera de satisfactions imaginatives, fussent-elles nocives, voire auto-destructives. Tout comme, pour le sens optique, chaque excitation -même un choc mécanique qui lèse l’œil- se traduit en impression lumineuse, le psychisme, lui, traduira en auto-satisfaction imaginative chaque excitation, même choquante et blessante.

Cependant, le besoin biologique de satisfaction détermine également la genèse évolutive des fonctions dites supérieures. Ces fonctions sont le frein à l’excès des auto-satisfactions imaginatives. Elles tendent à introduire dans la délibération des déterminantes capables de créer des satisfactions réelles.

Mais l’amour-propre, lorsqu’il est vaniteusement exalté, s’oppose au freinage lucide des auto-satisfactions perverses. Le vaniteux, imaginativement satisfait de lui-même, se coupe ainsi des satisfactions réelles. L’excès d’amour de soi, trop facilement vexable, prédispose à la haine d’autrui. L’autre devient l’ennemi à redouter. Mais l’homme vaniteusement épris de lui-même, perversement déterminé, faussement motivant, préfère même encore son angoisse haineuse aux satisfactions réelles. Il se délecte de son angoisse d’indignation, car elle lui permet de soutenir son besoin de supériorité imaginative. Les autres étant pour lui les méchants qui le poursuivent injustement, il se croit le meilleur, le seul juste. Lui seul satisfait donc à l’impératif éthique. Le reproche accusateur et la plainte sentimentale deviennent le soutien du triomphe vaniteux, aboutissant au refoulement de toute faute et de toute culpabilité, ce qui, en cercle vicieux, renforce de nouveau la vanité. La délibération ainsi pervertie n’est plus que rumination. L’enchaînement imaginatif devient auto-encerclement pervers. Cependant, ces délices angoissées demeurent un tourment. La délectation morose est à double tranchant et confirme ainsi la loi d’ambivalence : la duplicité de la valorisation faussement motivée. Sans cesse, l’angoisse se transforme en délectation et la délectation en angoisse. La production d’angoisse n’infirme par la légalité du fonctionnement psychique gouverné par la recherche de satisfaction. Elle montre seulement que cette loi suprême gouverne la vie psychique jusque dans son pervertissement. La délectation angoissée est une perversion du besoin authentique de satisfaction.

Le jeu des motivations perverses est passible d’aggravation. Le sujet profondément atteint provoquera l’hostilité du monde par sa propre animosité fréquemment déguisée en pose d’amour: il aura tendance à s’évader de plus en plus de la réalité insatisfaisante dans le monde irréel de ses pseudo-satisfactions autistes. Il aboutira non plus seulement à transformer les agressions réelles en auto-délectation angoissée, mais, poussé par le besoin de se prouver sa supériorité à l’égard d’un monde injuste, il inventera imaginativement des agressions inexistantes. La rumination imaginative, en se dégradant davantage, se transforme en interprétation morbide. Dans ces états d’aggravation névrotique, toutes les réactions d’autrui, même les p lus inoffensives sont suspectées d’être sous-tendues d’une intentionnalité vexante et menaçante. Le sujet s’enkyste dans son angoisse afin d’en pouvoir tirer le profit de sa supériorité éthique et de son auto-admiration. L’ambivalence pathologique le rejette dans l’auto-condamnation coupable. Dans des cas plus rares, l’évasion de la réalité et l’égarement dans l’auto-justification peuvent atteindre des degrés psychotiques où l’interprétation morbide devient délirante et hallucinante.

Les comportements psychopathiques ne sont que l’état d’aggravation d’un calcul de satisfaction faussement motivé qui, utilisé à de moindres degrés d’intensité, forme le tissu de la vie quotidienne.

Tous les degrés du comportement malsain possèdent en commun le besoin de triomphe vaniteux sur autrui, la recherche de la supériorité morale. Mais la satisfaction supérieure n’est accessible qu’à l’authentique dépassement qui tend vers l’auto-domination. Les tentatives de dépasser et de dominer autrui n’en sont que le pervertissement. Déjà, sous sa forme prépathologique et quotidienne, la fausse rationalisation ruine l’immanent principe éthique, le frein de la raison. Le frein que la raison tente d’opposer aux exaltations imaginatives à seule fin d’établir l’équilibre satisfaisant de l’ego et de son rapport à autrui.

L’élan de dépassement éthique domine la vie jusque dans ses manifestations quotidiennes. Mais il ne s’y trouve habituellement que sous une forme pervertie, décomposée en deux pôles contradictoires : moralisme excessif, amoralisme banal.

Sous son aspect conventionnel, le moralisme cherche la supériorité par la condamnation calomnieuse d’autrui. Le frein de la raison s’exalte et condamne la sexualité et la matérialité jusque dans leurs exigences naturelles. La valorisation ambiguë produit de bonnes intentions d’élévation, suivies de chute, trait caractéristique de nervosité. Mais il arrive aussi que l’ambivalence se trouve condensée en un seul acte. Le sujet veut accomplir l’acte chargé de culpabilité et le sabote en même temps, pour se préserver de l’insatisfaction coupable. Inhibé sur tous les plans de la vie (sexuel et matériel), le nerveux se charge de sentiments d’infériorité qui s’opposent à sa supériorité vaniteuse. Il ne cesse de produire quotidiennement, par excès de fausse justification, l’accusation sentimentale d’autrui, du monde entier, de la vie qui se refuse à lui.

À l’opposé de la nervosité se trouve l’autre comportement prépathologique : la banalisation. Son projet pervers est de tirer la satisfaction, non plus de la pseudo-spiritualité, mais du dépassement et de la domination matérielle ou sexuelle d’autrui. La banalisation est l’amoralisme, parce qu’au lieu d’exalter morbidement le frein de la raison, elle tente de l’éliminer, détruisant ainsi la sphère surconsciente et éthique. Les désirs imaginativement exaltés se déchargent sans scrupule au détriment d’autrui. L’état prépathologique cherche sa fausse justification idéologique dans la contre-morale arriviste.

La maladie de l’esprit tire son origine d’un double enracinement dans la vie quotidienne : d’une part, convulsion nerveuse aboutissant à la décomposition de l’ego ; d’autre part, relâchement banal dont la conséquence est la décomposition de la vie sociale.

Nervosité et banalisation, avec leurs attitudes de haine agressive et de plainte sentimentale, se conjuguent pour semer la méfiance entre les hommes et pour entretenir l’intrigue des uns contre les autres.

Insuffisamment diagnostiqué comme conséquence de l’insanité de l’esprit, le comportement prépathologique est considéré comme norme même de la vie. Le malaise reste irrémédiable tant qu’il ne sera pas compris jusque dans le faux calcul de ses motivations intimes.”

Paul DIEL

[à suivre dans la conférence 6/6 : Psychologie et vie]


D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Psychologie et motivation (conférence, 1958)

Temps de lecture : 6 minutes >

En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“Depuis la découverte de la pensée symbolisante de l’extra-conscient, la psychologie des profondeurs s’est développée par des doctrines qui semblent être contradictoires. L’histoire de la psychologie des profondeurs est liée aux noms prestigieux de Freud, d’Adler et de Jung. Freud découvre l’onirisme névropathique du subconscient : crises convulsives, paralysie des membres, dysfonction des organes, idées obsédantes, actions symboliques de purification, etc. Ces symptômes expriment symboliquement les désirs insatisfaits et refoulés.

En complétant la découverte freudienne de l’onirisme subconscient, Jung entrevoit l’existence du symbolisme surconscient. Les archétypes jungiens sont des images-guides apparentées aux symboles mythiques. Voici comment Jung définit les archétypes: “…ils forment, d’une part, le plus puissant préjugé instinctif et, d’autre part, ils sont les auxiliaires les plus efficaces qu’on puisse imaginer des adaptations instinctives.” Il en résulte que ces images ancestrales et collectives tentent de guider la vie de chacun en direction sensée.

Adler, de son côté, commença l’étude d’un phénomène psychique radicalement opposé à la conduite sensée : la fausse rationalisation, déjà passagèrement constatée par Freud. Ce phénomène, habituellement dérobé au conscient, forme le lien dynamique entre les deux instances extraconscientes découvertes par Freud et Jung. La fausse rationalisation tente d’embellir les intentions pathogéniques et inavouables du subconscient, en y greffant des motifs pseudo-sublimes conformes en apparence à l’impératif éthique archétypique du surconscient.

Adler dénommera politique de prestige ce phénomène de rationalisation erronée et de fausse auto-justification. Dans ce terme nouveau pointe déjà la compréhension qu’à la base du raisonnement morbide se trouve une fausse auto-estimation, une survalorisation mensongère de soi-même, destinée à procurer une illusoire satisfaction vaniteuse.

Adler découvre ainsi la fausse motivation. Mais l’étude demeure empirique. Le phénomène pourrait bien être d’une importance beaucoup plus étendue que ne le laisse soupçonner l’investigation adlérienne. La falsification du raisonnement serait-elle la cause primaire de la maladie de l’esprit sous toutes ses formes ?

Les œuvres respectives de Freud, d’Adler et de Jung contiennent d’importants éléments de vérité. L’apparence d’une contradiction provient des erreurs doctrinales (pansexualité chez Freud, instinct de domination chez Adler, spiritualisme trop exclusif chez Jung). Ces œuvres sont pourtant complémentaires. Leur trait d’union est la recherche de la connaissance de soi-même jusque dans les tréfonds de l’extraconscient. Leur commun but curatif se fonde sur le contrôle conscient, assurant une relative maîtrise des désirs.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on est en droit de dire que l’effort commun qui traverse les doctrines, qui les unit en dépit de leur apparente contradiction, consiste dans l’élaboration d’une méthode introspective de prise de connaissance de soi, malgré l’existence du fonctionnement extraconscient. On trouvera aussi bien chez Freud que chez Adler et Jung de nombreux passages qui attestent la valeur de l’introspection et soulignent la nécessité d’y recourir.

L’esprit ne peut parvenir à diminuer la tension affective des désirs qu’en trouvant la valorisation juste, donc en éliminant la fausse motivation. La réussite curative ne peut résulter que de l’orientation sensée. Or, il n’existe qu’une seule direction sensée de la vie, et c’est uniquement l’impératif éthique du surconscient qui l’indique. Son exigence immanente consiste à chercher la satisfaction, non pas dans l’exaltation des désirs et dans la fausse justification de cette exaltation, pas plus d’ailleurs que dans la suppression des désirs naturels (d’ordre sexuel et matériel), mais dans leur satisfaction harmonieusement ordonnée.

Dans cette perspective, on constate un accord complet entre l’ancien problème de la philosophie et celui de la psychologie moderne.

Mais alors que la philosophie s’est intéressée en premier lieu à l’aspect éthique, la psychologie est issue de l’étude de l’aspect pathologique. Son interrogation première concerne le mal, la maladie psychique, l’exaltation imaginative cause de la rupture d’équilibre. L’exaltation malsaine est diamétralement opposée à l’harmonisation saine. L’homme crée lui-même le bien et le mal ; il est responsable de la valeur ou de la non-valeur, par sa valorisation juste ou fausse. La voie est libre pour aborder le problème essentiel, non plus par voie d’intuition, mais par l’analyse des fonctions psychiques.

Pour l’analyse psychologique, le problème le plus ancien se pose d’une manière entièrement renouvelée. Mais il se présente sous la forme d’un dilemme dont l’acuité exige une solution d’urgence. D’un côté se trouve mise en lumière la cause subconsciente de la déformation pathologique et de ses conséquences néfastes : l’élucidation des tréfonds devient une nécessité vitale. De l’autre côté, cette élucidation semble être plus impossible que jamais. Comment l’introspection pourrait-elle sonder les tréfonds qui se dérobent au conscient ?

Or, la fausse rationalisation est le mensonge à l’égard de ses propres intentions motivantes. Cesser de se mentir, c’est commencer à se connaître. Du fait que la fausse rationalisation, mi-aveuglément imaginative, mi-raisonnante, s’opère, par là même, à la frontière du conscient, elle devrait nécessairement être accessible à la prise de connaissance. L’analyse doit donc se concentrer sur la fonction imaginative susceptible de fausser le raisonnement.

Nous savons tous, par voie d’introspection immédiate, que, pour former un projet, nous enchaînons nos désirs en un jeu imaginatif. L’imagination tente de prospecter les conditions réelles de réussite. Sous cette forme, l’imagination est une fonction naturelle, indispensable à la délibération mi-affective, mi-réflexive. Le jeu imaginatif nous procure une présatisfaction, capable de stimuler la recherche de la satisfaction réelle et active.

Cependant, le jeu imaginatif, pour peu que l’affectivité l’emporte sur la réflexion, devient malsain. Au lieu de prospecter les conditions de réalisation satisfaisante, l’imagination se contente de présatisfaction. Elle n’est plus alors qu’un vain jeu, exaltant parce que libéré de toute entrave réelle, mais dangereuse précisément en raison de l’évasion dans l’irréel et de l’égarement dans l’irréalisable.

Le danger est d’autant plus grand qu’à l’imagination d’évasion correspond nécessairement l’imagination de justification. L’évasion imaginative est la faute vitale par excellence, dénoncée comme coupable par la vision surconsciente de la vérité. La fausse justification, en refoulant la faute, perd de vue non plus seulement la réalité ambiante, mais elle prépare la désorientation la plus décisive et la plus nocive qui soit : la perte de la vérité à l’égard de soi-même et de sa propre valeur.

L’exaltation imaginative sous ses deux formes complémentaires -évasion de la réalité ambiante et fausse justification de soi-même- est une faiblesse de la fonction valorisante de l’esprit. Or, l’erreur de la valorisation ne peut se manifester que de deux manières : survalorisation ou sous-valorisation. Ainsi s’introduit dans l’esprit la cause même de son insanité : l’ambiguïté de la fonction valorisante. La valorisation contradictoire prive l’esprit de sa lucidité et la volonté de sa force de décision. L’ambivalence n’est pas un phénomène qui se manifesterait de-ci de-là de manière sporadique : elle est la loi qui régit la progressive décomposition morbide du moi conscient. Elle crée la désorientation subconsciente. La valorisation faussement justificatrice est une erreur essentielle, nuisible pour toutes les interrelations humaines, car elle se manifeste sur le plan de la vie pratique sous la forme d’une fausse estimation de soi-même et d’autrui. À l’auto-surestime vaniteuse, moyen de refouler sa propre culpabilité, correspond infailliblement l’inculpation excessive d’autrui. Le sujet se considère comme exempt de toute faute, et la faute pour tout ce qui lui arrive de désagréable et d’angoissant se trouve projetée sur autrui. L’autre devient l’ennemi redoutable, injuste en principe : le sujet ne cessera plus de se plaindre sentimentalement pour tant d’injustice à subir.

Vanité, accusation, sentimentalité sont les moyens de refouler l’insatisfaction coupable. Tout le cortège des ressentiments humains se trouve inclus dans ce cadre catégoriel formé par l’imagination faussement justificatrice.

Les maladies de l’esprit sont la conséquence d’une aggravation de la fausse motivation justificatrice, laquelle se trouve à divers degrés d’intensité en tout homme. Chacun pourrait s’en rendre compte s’il voulait se donner la peine de scruter ses délibérations intimes. Ces ressentiments d’apparence normale sont jugés sans gravité. En raison de leur fréquence, ils sont pourtant bien plus dangereux pour la conduite sensée de la vie humaine que les manifestations spectaculaires de la psychopathie, qui n’en sont que des états d’aggravation.

Toutes les interactions humaines sont insidieusement perturbées par les ressentiments secrets. Il importe donc d’envisager l’étude du comportement à partir des motivations intimes.”

Paul DIEL

[à suivre dans la conférence 5/6 : Motivation et comportement]


D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Psychologie des profondeurs (conférence, 1958)

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En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“La psychologie de l’extraconscient date de la découverte d’un fonctionnement psychique dérobé à la pensée logique, opérant au-dessous du seuil du conscient. Freud a fait cette découverte des réactions subconscientes en cherchant une explication au comportement illogique, d’apparence absurde et dépourvue de tout sens, que présentaient certaines maladies mentales en état de crise aiguë. L’histoire de cette découverte est connue, tout comme le sont le système théorique et la méthode thérapeutique que Freud en a tirés. Il importe de démontrer que Freud, alors même que l’on conteste son système, a donné le signal de départ à un approfondissement radical de la pensée humaine.

Freud – on le sait – avait supposé que certaines crises convulsives servaient aux malades à exprimer des désirs sexuels, chargés de honte et refoulés. La crise ou plus généralement le symptôme psychopathique fut pour la première fois reconnu comme étant d’origine psychique. La crise était expliquée comme un moyen de satisfaire oniriquement le désir interdit en l’exprimant symboliquement. Le processus, du fait qu’il est inconnu du malade et indépendant de sa volonté, révélerait donc l’existence d’un fonctionnement psychique subconscient à tendance morbide.

Freud constata ainsi, dans le comportement humain, un facteur déterminant auparavant insoupçonné. Mais en même temps, s’efforçant d’éclaircir ce facteur déterminant, il introduisait dans le domaine de la pensée humaine un principe d’explication demeuré complètement inconnu : l’explication symbolique.

L’explication symbolique est radicalement différente de l’explication logique jusqu’alors exclusivement utilisée. Elle ne cherche pas, pour un effet extérieurement donné, une cause extérieurement constatable (principe d’explication commun aux autres sciences). L’explication symbolique cherchera, pour une réaction humaine manifeste et cliniquement observable, le désir latent. Elle suppose que la réaction manifeste exprime, d’une manière oniriquement déformée, la cause latente, la motivation, dont l’homme ne sait rien et ne veut rien savoir. Ce nouveau mode d’explication permettra de comprendre les productions du psychisme, productions illogiques par excellence : le rêve nocturne, la fabulation mythique et le symptôme psychopathique.

Mais la découverte du symbolisme eut des conséquences plus importantes encore. Elle contient en elle-même l’exigence de dépasser les conclusions théoriques que Freud a voulu en tirer. Une interrogation s’impose : comment se peut-il que la réflexion sur le symptôme manifeste parvienne à reconstituer son lien avec le désir latent ? L’extraconscient doit avoir auparavant établi ce lien. Si ce lien est symboliquement véridique, force est d’admettre qu’il existe une sorte de pensée extraconscient, laquelle, bien qu’elle s’exprime oniriquement, est néanmoins significative et sensée. Il est donc indispensable de diviser l’extraconscient en un subconscient oniriquement insensé et un surconscient oniriquement sensé (nommé, par Jung, le “soi“). Le terme “extraconscient” est précisément choisi pour désigner, d’un seul mot, les deux aspects complémentaires : surconscient-subconscient. (Afin de faciliter la compréhension de la terminologie, il n’est peut-être pas superflu de rappeler ici que l’extraconscient est préconscient, et qu’il englobe aussi l’inconscient primitif et purement instinctif). Le surconscient est le siège d’une sorte d’esprit préconscient, producteur des mythes ; le subconscient, en revanche, siège de l’aveuglant débordement affectif, produit le symptôme psychopathique. Il importe donc de comprendre que le conflit essentiel du psychisme humain – la lutte entre l’affect aveugle et l’esprit prévoyant – se poursuit sans relâche dans le tréfonds de l’extraconscient. Dans l’état de veille, il déborde vers le conscient qui délibère à la recherche d’un apaisement. Mais la délibération, dans la mesure où elle reste inachevée, se poursuit au sein du rêve nocturne où elle s’exprime par images symboliques.

Ainsi voit-on que le conflit essentiel, la lutte entre l’esprit et l’affect, la lutte entre le conscient et le subconscient, envahit la vie entière. Le conflit est la vie, et la vie exige la solution.

Il faut bien se rendre compte de l’immense portée révolutionnaire contenue en germe dans la découverte freudienne du symbolisme subconscient. La force explosive de cette découverte est telle qu’elle risque de démolir toutes les constructions explicatives élaborées jusqu’ici par la pensée humaine et admises pour vérité. L’erreur contenue dans ces constructions est imputable au fait qu’elles ignoraient l’existence d’une pensée extraconsciente.

Freud lui-même n’a pas implicitement prévu la pensée extraconsciente. Une part d’erreur doit donc se trouver également dans les conclusions qu’il a tirées de sa découverte du symbolisme subconscient. Freud ne s’interrogeait que sur le contenu refoulé du subconscient : le désir chargé de culpabilité. Il néglige de poser la question concernant l’instance véridiquement symbolisante, et il ne put découvrir le surconscient et sa pensée prélogique.

Toute la théorie freudienne est marquée par une erreur initiale. Freud explique la vie entière à partir de sa découverte du subconscient. Les manifestations culturelles apparaissent dans sa théorie comme le produit du refoulement des désirs, de préférence sexuels. Freud explique la vie normale à partir du subconscient pathogène, au lieu d’expliquer la déformation pathologique à partir de la vie normale.

La norme, dans la vie humaine, est indiscutablement la pensée logique et consciente. C’est à partir d’elle qu’il faudrait expliquer le fonctionnement subconscient, car on ne peut comprendre l’inconnu qu’en fonction du connu. Le fonctionnement nouvellement décelé ne peut-être radicalement séparé du conscient : entre la pensée illogique du subconscient et la pensée logique du conscient doit exister un rapport génétique. Il importe, en premier lieu, de ne pas prendre pour une réalité l’image linguistique qui présente la psyché sous la forme d’un réservoir spatial dans lequel on distinguerait les instances comme des tiroirs superposés. L’image ici n’est qu’une fiction indispensable, et les instances ne sont, à la vérité, que les diverses formes interdépendantes du fonctionnement psychique.

Afin d’entrevoir la nature du rapport génétique entre le conscient et le subconscient, qu’on se rappelle le rôle prédominant que joue, dans la thérapie freudienne, la mémoire. Toute cette thérapie est fondée sur l’évocation associative des souvenirs oubliés. Le matériel ainsi reproduit est symboliquement interprété, absolument de la même façon que l’est le symptôme psychopathique.

Freud, pour les besoins de sa thérapie, se voyait obligé d’admettre l’aspect onirique de la mémoire. Pourquoi n’a-t-il point fondé toute sa théorie sur la mémoire, phénomène naturel et pourtant mi-conscient, mi-extraconscient ? Quelle énorme chance de simplification. Pourquoi ne l’a-t-il pas saisie ? La raison en est sans doute que la mémoire est un dynamisme qui joue entre
oubli et évocation, tandis que, pour Freud, l’oubli refoulant est un phénomène statique qui ne concerne que les traumatismes passés, une fois pour toutes enfouis dans la boîte du subconscient. Mais le refoulement concernerait-il, au contraire, en premier lieu, le dynamisme des désirs actuels chargés de culpabilité ? Existe-t-il des motifs qui détournent constamment l’intérêt de certains désirs, les tenant ainsi dans l’oubli sans possibilité d’évocation? Dans l’affirmative, l’oubli touchant ces désirs ne sera plus exclusivement passif, comme il en va généralement des innombrables matériaux tenus à la disposition de l’intérêt évocateur. L’oubli sera actif, il possédera ainsi le trait caractéristique du contenu refoulé. Le motif refoulant sera nécessairement un sentiment actuel de pénibilité excessive, à l’endroit d’un désir surchargé de honte. Le dynamisme de l’ensemble des désirs, en tant qu’ils sont coupés de leur communication avec le conscient, exercera son influence morbide en créant le subconscient.

Ainsi compris, le subconscient, loin d’être préétabli, n’est que le fonctionnement perverti de l’ extraconscient. Mais le dynamisme pervers affectera également la capacité d’évocation. L’intense surcharge d’énergie affective obligera les désirs refoulés à chercher leur issue dans une décharge active. Dans l’impossibilité d’accéder au conscient qui les passerait au crible du contrôle délibérant, les désirs coupables se déchargeront directement au moyen du subconscient onirique. L’onirisme présentera les désirs coupables et refoulés sous une forme déguisée, mais symboliquement significative pour l’originaire intention honteuse.

Un désir d’ordre sexuel, ou matériel, chargé de honte, sera, par exemple, tiré de l’oubli forcé, symboliquement évoqué et satisfait par un acte de boulimie, de kleptomanie, mais aussi par une crise convulsive parétique ou agitée, passagère ou durable ; cependant, il se peut tout aussi bien que le symptôme symbolique exprime, à la place du désir, sa charge de culpabilité. Afin de contenir l’angoisse coupable, le sujet accomplira un acte symbolique de purification : il se lavera, par exemple, les mains ou une quelconque partie du corps; dans d’autres cas, il se trouvera empêché de toucher certains objets jugés impurs. N’importe quel objet peut se trouver chargé d’interdit, tout comme n’importe quelle action ou omission pourra être  utilisée comme symbole de purification. Mais, quels que soient ces actes symboliques, tous auront en commun leur trait d’illogisme : le fait qu’ils sont accomplis et obsessivement répétés d’une manière insensée, sans aucune nécessité logique.

Toutes les conditions de la constitution du symptôme psychopathique se trouvent ainsi réunies. Le symptôme s’avère explicable à partir de la mémoire et de ses fonctions d’oubli et d’évocation, manifestations psychiques d’origine naturelle et saine.

Le problème crucial se pose ainsi clairement : d’où vient l’angoisse coupable qui rend la mémoire morbide et activement refoulante .

Le désir étant un phénomène trop naturel pour être en soi honteux et coupable, l’interdit ne peut venir que de l’esprit. Il importe donc de déceler la cause qui dresse l’esprit contre le désir. Normalement, l’esprit devrait s’employer à le satisfaire. L’exigence de satisfaction met, dès l’origine, toutes les fonctions psychiques au service du désir. La mémoire liant le passé au futur (que l’homme aime s’imaginer chargé de promesses), qu’est-elle en premier lieu, sinon l’attente prolongée, la tension insatisfaisante des désirs en quête de satisfaction ? Seulement, voilà : tous les désirs ne peuvent être sans cesse présents à l’esprit valorisant, d’où la fonction d’oubli, nécessairement complétée par la capacité d’évocation. Les
fonctions conscientes – pensée, volonté, sentiments – apportent à leur tour leur concours à la quête de satisfaction du désir évoqué. Bien plus, elles sont créées par cette quête.

Ainsi toute la gamme des sentiments, variant entre attirance et aversion, espoir et déception, se constitue à partir d’une mémoire affective qui n’est autre que la tension énergétique des désirs. La pensée, par contre, est une mémoire réflexive capable de tirer du passé une expérience utilisable pour la future satisfaction des désirs. La décision volontaire résulte de la délibération qui confronte la mémoire affective et la mémoire réflexive, à seule fin de préparer la décharge satisfaisante des désirs.

La compréhension des fonctions conscientes, selon leur origine et leur but, permettra-t-elle de résoudre l’énigme de l’extraconscient ?

La délibération, parce que co-déterminée par le subconscient, n’aboutit pas nécessairement à sa fin satisfaisante. L’affectivité aveuglante peut déborder la réflexion lucide. Cette perte de lucidité, vitalement dangereuse, serait-elle à l’origine du sentiment de culpabilité ? L’esprit indiquerait-il par l’angoisse coupable la faute vitale, l’exaltation des désirs ? Le tourment de la culpabilité serait alors un sentiment à portée positive. Il serait l’appel de l’esprit qui tentera d’obtenir l’aveu conscient de la faute, son contrôle et son
élimination. Sentiment vague, la culpabilité ne pourrait émaner que de la sphère surconsciente. Le conscient devrait transformer l’appel vague en un savoir précis et contrôlable, seul moyen de se libérer de l’insatisfaction coupable. Mais le conscient, au lieu d’écouter l’esprit, peut se laisser entraîner par l’affect. Il se rend ainsi complice de la faute, qui est précisément l’exaltation de l’affect. Le conscient affectivement aveuglé tentera de se libérer de la faute en la désavouant. La conséquence de ce désaveu est le refoulement. Sans désaveu, pas de refoulement ; sans refoulement, pas de symptôme. Le refoulement découvert par Freud n’est qu’un effet ; sa cause primaire réside dans le désaveu de l’appel de l’esprit. S’il en est ainsi, il est clair que le procédé thérapeutique, tel que Freud l’a prévu, serait passible d’une simplification décisive ; la thérapie, pour être pleinement efficace, devrait s’attaquer à la cause primaire de la morbidité. Elle devrait combattre la tendance humaine à nier en toutes circonstances toute faute.

Cette tendance, la fausse auto-justification, est toujours présente et actuelle en chacun. Elle est l’erreur de l’esprit, incarnée dès l’enfance : la fausse valorisation de soi-même et du monde ambiant. En s’attaquant à cette cause essentielle toujours actuelle, la thérapie évitera un détour considérable à travers la remémoration du passé et de son contenu refoulé. Le désaveu de toute faute, l’auto-justification, falsifie sans cesse les motifs actuels de l’activité. Elle les rationalise faussement et crée ainsi la fausse motivation. Freud lui-même a constaté ce processus de “fausse rationalisation“. Il a omis de l’étudier, car son étude exige le recours à la méthode introspective.

Le moindre acte d’introspection lucide enseignera que la transformation de l’auto-accusation coupable en auto-justification s’opère sans cesse sur le plan de l’imagination. L’imagination se contente de jouer avec les désirs et de se délecter de leurs promesses de satisfaction. Perdant ainsi de vue les exigences de la réalité, elle finit par rendre les désirs insensés en les exaltant démesurément, tout en continuant à justifier leurs exigences irréelles. L’exaltation imaginative est la faute vitale en principe. Elle crée les innombrables fautes accidentelles, car son insuffisante évaluation de la réalité pleine d’obstacles, tout comme son appréhension angoissée des obstacles réels, préparent les réactions d’échec. À travers toutes ces vaines promesses, l’imagination exaltée n’aboutit qu’à l’insatisfaction coupable. Le psychisme – selon sa loi qui est la recherche de la satisfaction – tentera de se débarrasser de l’angoisse d’insatisfaction en refoulant les désirs devenus coupables. Le refoulement, passagèrement libérateur, conduira finalement, par accumulation, à l’explosion des symptômes.

La maladie psychique ne débute pas – comme Freud l’avait pensé – avec les manifestations subconscientes du refoulement, producteur des symptômes névrotiques. Sa cause première se trouve dans l’exaltation imaginative, dans la rêverie les yeux ouverts, état psychique des plus fréquents, dont la nocivité est insuffisamment reconnue. L’imagination morbidement exaltée se trouve être à la frontière du conscient et du subconscient. Ses méfaits doivent donc être accessibles à la compréhension introspective. C’est elle, l’exaltation morbide de l’imagination, qui détermine l’état initial de l’insanité de l’esprit, et c’est elle qu’il importe d’étudier pour comprendre la maladie de l’esprit, sous toutes ses possibilités d’aggravation. Cet état initial – d’ailleurs souvent stationnaire – est la nervosité avec ses sautes d’humeur, ses caprices et ses irritations, ses délectations vaniteuses et ses tourments coupables. Pour l’homme atteint de nervosité, la vie risque de n’être qu’une continuelle déception.

Confrontée avec le sens de la vie, l’exaltation imaginative est le contraire de l’ethos harmonisant. Constante préoccupation égocentrique, l’imagination exaltée n’est rien d’autre que l’introspection sous sa forme subjective et morbide, qu’il faut combattre afin d’accéder à une observation méthodique et objectivante.

Mais aussi importe-t-il de ne pas confondre l’imagination morbide avec l’imagination sous sa forme créatrice, qui, elle, marque la frontière entre le conscient et le surconscient, d’où sa force inspiratrice.”

[à suivre dans la conférence 4/6 : Psychologie et motivation]

  • L’illustration de l’article est © Brian Rea

D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Psychologie et philosophie (conférence, 1958)

Temps de lecture : 7 minutes >

En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“J’ai tâché de démontrer que le but de la délibération intime est la libération qui réside dans l’harmonie des désirs, dans la maîtrise de soi, dans l’objectivation du sujet à l’aide d’un effort introspectif de prise de connaissance de soi.

Or, depuis les temps les plus reculés, l’effort essentiel de l’esprit humain a été la lutte contre l’affectivité aveuglante. Le thème de la maîtrise des désirs et de la connaissance de soi traverse les siècles. Unissant les époques, il fonde l’effort évolutif et culturel de l’homme, l’histoire de l’humanité, sous son aspect essentiel. La psychologie retrouve actuellement ce thème, non point par hasard, mais par une immanente nécessité historique. Comment n’aurait-elle pas le souci de mettre en relief son lien avec les efforts précédents envers lesquels elle s’éprouve redevable, si pré-scientifiques soient-ils ?

La connaissance intime n’a jamais été cherchée dans un but purement théorique, mais au contraire, dans un dessein éminemment pratique, comme en témoigne l’idéal de sagesse des Anciens. La sagesse est l’harmonie des désirs. L’amour de la sagesse, la philosophie, a cherché les conditions de l’harmonisation non par idéalisme exalté, ni même par devoir extérieurement imposé, mais uniquement parce que les Anciens y reconnaissaient la condition ultime de satisfaction. La satisfaction ultime est la joie, et le désir essentiel de tout homme est de vivre dans la joie.  Depuis que l’homme vit, et tant qu’il vivra, il cherchera la joie et les conditions de son accomplissement. Son effort essentiel consistera à valoriser les désirs selon leur promesse de satisfaction, à les hiérarchiser et à créer ainsi l’échelle des valeurs.

La psychologie moderne a passagèrement abandonné la recherche essentielle. La psychologie ne fut longtemps qu’une branche de la philosophie, mais qui nécessairement a gagné de plus en plus en importance, du fait que le thème essentiel de sa recherche -la maîtrise satisfaisante des désirs- était un problème psychique. Voulant se constituer en science indépendante, la psychologie a pris soin de rendre la séparation radicale. Elle a rejeté non seulement la forme de l’ancienne recherche jugée trop intuitive, mais aussi son contenu : le problème essentiel. Mais la psychologie pourrait-elle à jamais renoncer au contenu essentiel de toute recherche ?

Les conditions de satisfaction et d’insatisfaction sont inscrites dans le fonctionnement psychique. Parce qu’elles y sont inscrites, elles doivent être psychologiquement définissables. Ce n’est que de la définition claire des conditions immanentes de satisfaction vitale que pourra résulter une valorisation sensée (la compréhension du sens et de la valeur de la vie), savoir enseignable dont le pouvoir formateur sera amplifiable de génération en génération. Transmissibilité et amplification sont les traits caractéristiques de toute science. C’est dans ce trait, et non point dans l’abandon du problème essentiel, que la psychologie devrait chercher le renouveau.

Afin de mettre en évidence le lien essentiel unissant les époques, il importe de tracer la ligne évolutive conduisant des croyances primitives à la philosophie et à la psychologie comprises dans toute leur ampleur.

Le thème commun à la philosophie et à la psychologie –la maîtrise des désirs à l’aide de la connaissance de soi– est le problème éthique. La philosophie intuitive, ne pouvant formuler clairement l’origine immanente des valeurs, se perdait dans les spéculations métaphysiques. Ce penchant est fatal, car la réflexion philosophique a hérité de la figuration éthique de la mythologie, qui plaçait les valeurs sous une forme personnifiée dans une région transcendante. Ces personnages surhumains, les divinités, représentant les valeurs, ont été originairement imaginés comme vivant éternellement dans une sphère céleste, imposant à l’homme la conduite éthique -la maîtrise des désirs- comme condition de son salut.

Personnages mythologiques, les divinités des Anciens étaient les créations d’une imagination à force sublimante. Elles figuraient symboliquement les qualités psychiques de l’homme portées à la perfection. Elles imposaient (symboliquement parlant) la conduite sensée, parce qu’elles signifiaient (psychologiquement parlant) un appel à l’effort de perfectionnement que l’homme, créateur des mythes, s’adressait à lui-même par une sorte de prescience surconsciente des conditions psychiques de sa propre libération. Sur le plan de la délibération réelle et intime, les images des divinités étaient, de ce fait, des déterminantes immanentes de l’accomplissement sensé.

Personne ne croirait plus à l’heure actuelle que les divinités grecques, par exemple, Zeus, l’esprit, Héra, l’amour, Athéné, la sagesse, Apollon, l’harmonie, etc., aient réellement, c’est-à-dire physiquement, existé. Elles existaient cependant dans un sens psychologique : images-guides, elles étaient des centres suggestifs qui, parce qu’immanents à la psyché, aidaient l’homme à trouver la solution juste de ses conflits psychiques.

À cet égard, il est instructif de constater que toute la sagesse de la prescience mythologique des Grecs a été condensée dans l’inscription qui se trouvait au fronton du temple d’Apollon, dieu de l’harmonie : “Connais-toi toi-même“. Connaître soi-même, c’est connaître les motifs de ses actions. La prescience mythique indique donc par cette inscription que la connaissance des motifs intimes permet d’accéder à l’esprit harmonisateur. Cette sous-jacente vérité psychologique se trouve encore renforcée par le récit mythique qui souligne le pouvoir libérateur d’Apollon : l’homme qui, conformément à la prescription, cherchait la connaissance de soi, qui symboliquement parlant se réfugiait dans le sanctuaire de l’harmonie, qui soumettait ses désirs exaltés à l’exigence de l’esprit harmonisant, était – d’après l’ancienne prescience – sauvé de la poursuite par les Érinnyes (symboles de la culpabilité). Psychologiquement parlant : l’homme, ayant rempli les conditions saines de la délibération, se trouve libéré du désaccord avec lui-même et du tourment coupable qui en résulte.

Les symboles mythiques formaient une terminologie psychologique exprimée par image.

Mais, peu à peu, la foi en les images perdait sa force vivifiante. Le doute se réveillait à mesure que la divinité, immanente force suggestive existant dans l’intra-psychique, n’était plus prise que pour une réalité extra-psychique vivant réellement dans une région transcendante. La statue, représentation symbolique de la divinité, en vint à être prise pour une divinité réelle qu’on implorait dans l’espoir d’obtenir d’elle la satisfaction des désirs matériels.

L’erreur dans la valorisation décidait ainsi du déclin de la culture.

C’est alors que dans la culture grecque-exemple ici du destin de toutes les cultures- la réflexion philosophique prit le pas sur les croyances. Afin de sauvegarder les valeurs éthiques, la philosophie s’efforça d’expliquer leur raison d’être, qui ne se dégage des images mythiques qu’après en avoir rejeté l’enveloppe symbolisante.

Rien n’est plus instructif à cet égard que la philosophie de Platon. Dans ses Dialogues, le conflit d’origine intrapsychique ne se trouve plus représenté par le combat des héros contre les monstres et les démons, mais par la discussion entre Socrate et les Sophistes. Le héros de Platon, Socrate, défend les valeurs-guides sous leur forme réelle -la connaissance de soi et la maîtrise des désirs- contre l’assaut des Sophistes. Afin de dérober l’affect et ses promesses de jouissance au contrôle de la pensée consciente, les Sophistes se faisaient forts de démontrer que la pensée n’est qu’un moyen bon à prouver n’importe quoi par n’importe quel argument. (C’est là un procédé de fausse justification que tout homme emploie à son insu dans sa propre délibération intime, afin de soustraire au contrôle de l’esprit élucidant les promesses de l’imagination exaltée.) Socrate s’oppose à la rhétorique des Sophistes. Il démontre l’exigence immanente de l’esprit : la nécessité de définir clairement les termes qui désignent les qualités psychiques, seul moyen d’éviter la confusion entre le juste et le faux, confusion dangereuse parce que génératrice de l’activité faussée.

Les dialogues platoniciens sont une tentative d’établir une terminologie psychologique clairement définie, capable de remplacer la terminologie symbolique et imagée de la prescience mythique.

Les thèmes des dialogues seront les qualités psychiques que les divinités, figures symboliques, ont représentées: l’esprit, l’amour, la sagesse, l’harmonie, etc. Sans cesse le Socrate de Platon s’efforce de définir ces termes. Afin de démontrer leur immanente valeur, il les présente comme seuls garants de satisfaction vitale.

La maïeutique de Socrate est une analyse des motivations à base introspective, fondée sur une tentative de prise de connaissance de soi-même.

Mais si, par l’emploi de cette méthode, Platon défend l’origine immanente des idées-guides (vérité, beauté, bonté, sagesse, harmonie, amour), il les détache néanmoins d’une façon insuffisante de l’ancienne figuration mythique. Pareilles aux divinités olympiennes symboliquement immortelles, les idées-guides résident éternellement dans une sphère inaccessible à l’homme. Sans doute Platon a-t-il voulu donner à entendre par là que l’idéal éthique existe en dehors de l’usure du temps, qu’il demeure vrai et valable à travers tous les temps. Il n’empêche que, par la tentative d’assurer aux valeurs une portée absolue et transcendante, la philosophie fut condamnée à ne rester qu’une sorte de psychologie spéculative, vénérable par l’ampleur de ses problèmes, mais dont les tentatives de solution s’échelonnent en une succession de systèmes contradictoires.

Peut-on, de ce résumé succinct, conclure à la situation de l’époque actuelle ?

Ce qui est certain, c’est que la contradiction à l’égard des valeurs et de leur origine culmine à l’heure actuelle dans un degré de désorientation jamais atteint auparavant au cours de l’histoire.

Si l’on admet que toutes les cultures ont été fondées sur leur vision des valeurs, guide essentiel de la conduite humaine tant individuelle que sociale, on ne peut s’empêcher de penser que la cause la plus secrète du désarroi de l’époque présente est due à la scission intervenue entre la survivante métaphysique spiritualiste et le matérialisme mécaniciste, fondement idéologique des sciences. La psychologie elle-même est à la remorque d’une idéologie rationaliste pour laquelle, paradoxalement, la raison n’est qu’un épiphénomène et le raisonnement une illusion.

L’avènement de la psychologie des profondeurs est l’une des conséquences de cette situation conflictuelle.

Il importe dès lors de démontrer que l’étude de l’extra-conscient apporte, en effet, un élément nouveau à la recherche essentielle qui traverse l’histoire.

Mais la psychologie de l’extra-conscient risque de demeurer inefficace si elle ne s’avise pas que les maladies de l’esprit, qui à des degrés divers d’intensité assaillent tous les individus, résultent en premier lieu du malaise de l’esprit incapable de valorisation pondératrice, permettant de maîtriser l’exubérance des désirs matériels, sexuels et spirituels et d’établir ainsi une juste hiérarchie des valeurs.”

[à suivre dans la conférence 3/6 : La psychologie des profondeurs]

  • L’illustration de l’article montre le plafond de la bibliothèque de Montaigne, dont les poutres ont été gravées de maximes.

D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL : Psychologie et langage (conférence, 1958)

Temps de lecture : 6 minutes >

En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

    1. Psychologie et langage ;
    2. Psychologie et philosophie ;
    3. La psychologie des profondeurs ;
    4. Psychologie et motivation ;
    5. Motivation et comportement ;
    6. Psychologie et vie.

ISBN 9782822405447

“Depuis plusieurs années déjà, on constate en psychologie un mouvement qui tend à se déployer dans divers pays. Il s’efforce de réviser les assises mêmes de cette science afin de lui assurer une portée dépassant les limites qui lui furent assignées par les méthodes en usage.

Voici comment s’exprime à cet égard, pour ne citer qu’un seul auteur, le Dr A.H. Maslow, professeur à la Brandeis University, aux États-Unis, dans un récent article intitulé Toward a Humanistic Psychology : “Je crois que tous les problèmes de grande importance, guerre et paix, exploitation de l’homme et fraternité humaine, haine et amour, maladie et santé, mésentente et harmonie, bonheur et malheur de l’humanité, ne trouveront leur solution que dans une meilleure compréhension de la nature humaine…” Et, plus loin : “Elle (la psychologie) se préoccupe beaucoup trop de ce qui est objectif, manifeste, extérieur, en un mot de la conduite… Elle devrait étudier davantage ce qui est intérieur, subjectif, méditatif, secret. L’introspection, utilisée comme technique, devrait être réintroduite dans les recherches de la psychologie.

Dans divers ouvrages et études, l’auteur du présent exposé a défendu une position qui, bien que conçue en pleine indépendance de pensée, s’apparente à celle qu’expriment ces citations, on n’aurait cependant pas osé l’exprimer avec cette franchise un rien naïve qui caractérise, souvent tout à son honneur, le savant américain.

Et de fait, il me serait impossible, aujourd’hui, d’exprimer ces idées en évitant toute polémique. Ma meilleure excuse est que je me sens uni -même avec les psychologues auxquels il m’advient de m’opposer- dans le souci d’une commune recherche de la vérité.

Longtemps avant que la psychologie ait pu se constituer en science, sa terminologie avait été préétablie par la sagesse du langage. Des termes comme sentiment, volonté, pensée étaient couramment employés ; le terme de psyché signifiait l’ensemble de toutes ces fonctions, et de bien d’autres depuis toujours plus ou moins clairement distinguées.

Cette constatation pourrait paraître bien simple, sinon simpliste. À y réfléchir, ne renfermerait-elle pas un problème grave, le problème crucial de la psychologie, celui de sa méthode ?

Bien sûr, toutes les sciences se sont constituées à partir d’une terminologie préétablie. La physique n’utilise-t-elle pas des termes comme vitesse, accélération, etc., qui se sont formés à partir d’une observation ancestrale ? Mais la physique n’est devenue science qu’en définissant clairement sa terminologie grâce à l’emploi de la formule mathématique.

La psychologie, obligée de se contenter des formulations, devrait avoir le souci de les préciser. Est-elle parvenue à formuler clairement ce que sont les fonctions, pour ne citer que les plus fondamentales, de pensée, de volonté, d’affect ?

Pour la psychologie du comportement, la psyché est inexistante. Ses fonctions ne seraient que des épiphénomènes illusoires. Il suffirait donc d’étudier les phénomènes manifestes, constatables par observation extérieure : les actions qui, par voie de conséquence, seraient exclusivement déterminées par l’influence du milieu. Bien entendu, l’étude du comportement ne peut s’abstenir d’utiliser l’ancienne terminologie. Elle continue à parler des pensées, des volitions, etc. Mais elle traite ces phénomènes intrapsychiques avec un souverain mépris. Pour les étudier, il faudrait les observer, et par quelle méthode pourrait-on le faire ?

Il ne s’agit point de contester la valeur des méthodes employées par l’étude du comportement, à savoir l’observation clinique et l’observation à l’aide de tests. Mais ces méthodes n’épuisent pas les instruments de la recherche.

N’est-il pas indéniable que la terminologie élaborée par la sagesse du langage n’a pu être établie qu’à partir de l’observation de la vie intime ? La vie humaine consiste essentiellement en une incessante délibération intime à laquelle toutes les fonctions psychiques apportent leur concours. Le comportement n’en est que le résultat final. Chacun sait intimement et pertinemment qu’il délibère avant de répondre activement aux excitations du milieu. Est-ce possible que ce travail intrapsychique ne soit qu’un leurre,
qu’une illusion dépourvue de toute importance pour la vie ?

La sagesse du langage, qui a su déceler les facteurs les plus élémentaires de la délibération intime, constituant ainsi sa terminologie à partir d’une introspection révélatrice, sans cesse renouvelée par tout être humain, n’aurait-elle pas une fois pour toutes prescrit à la psychologie sa voie d’investigation ? Pour être science, la psychologie ne devrait-elle pas parvenir à rendre de plus en plus lucide la méditation qui se poursuit inlassablement en nous à l’endroit de cette affection immédiate que sont nos désirs et leur exigence de satisfaction, laquelle, sensée ou insensée, décide de la valeur des hommes, du destin de l’humanité ?

Voici comment William James résumait la situation dans son Précis de Psychologie : “…nous ignorons jusqu’aux termes entre lesquels les lois fondamentales, que nous n’avons pas, devraient établir des relations. Est-ce là une science ? C’en est tout juste l’espoir. Nous n’avons que la matière dont il faudra extraire cette science.

Cette matière que nous possédons, qu’est-elle sinon la terminologie anciennement et introspectivement préétablie par la sagesse du langage ? Si, après l’effort des siècles, nous ne sommes pas parvenus à extraire de cette matière des lois capables de constituer une science, ne serait-ce point parce que la voie d’investigation prescrite par la sagesse du langage a été abandonnée?

Une science se définit par sa méthode et elle s’expose par ses lois. Les lois du psychisme concerneraient-elles le désir et ses exigences de satisfaction sensée ou insensée déterminant la situation conflictuelle de l’homme et même de la société ? Le désir n’est-il pas à la base de tout effort humain, même de la science ? La science pure désire posséder la vérité, satisfaction de l’esprit. La société en fait un usage technique en vue de satisfaire les désirs matériels ; mais la loi essentielle de la vie stipule que la véritable satisfaction, le triomphe sur toutes les tentations insensées, ne peut être trouvée que dans la maîtrise des désirs. Comment réaliser les conditions de cette satisfaction essentielle, si la science s’obstine à exclure l’étude du désir du domaine de sa recherche? Bien qu’il soit utopique de penser à une solution à courte échéance, il n’en demeure pas moins vrai que l’esprit humain ne devrait reculer devant aucun problème que la vie et ses exigences inéluctables lui imposent. Ce sont précisément les merveilles de l’invention technique qui démontrent, ou qui pourraient du moins susciter l’espoir, qu’aucun problème n’est insoluble à condition qu’il soit sciemment posé.

Mais le problème essentiel ainsi posé, sa solution est-elle réalisable ? Le désir est une affection subjective. De par sa nature même, il semble s’opposer à la prise de connaissance, qui ne pourra s’opérer que par voie d’introspection objective. Se faire défenseur de l’introspection, n’est-ce point s’engouffrer dans une impasse ?

© anto paroian

N’est-il pas connu et reconnu que l’introspection est dépourvue de toute objectivité et que son emploi n’est pas seulement inefficace, mais au plus haut degré nuisible ?

La vérité, c’est que tout le désarroi actuel de la psychologie est dû précisément au fait que seule l’introspection sous sa forme morbide est reconnue, sans toutefois être étudiée dans ses conditions et ses aboutissements. Elle consiste dans la rumination complaisante des moindres fluctuations de l’affectivité, sans aucun effort de valorisation lucide. Elle transforme les sentiments en ressentiments, et aboutit ainsi à l’interprétation morbide des intentions propres du sujet et des motifs d’autrui à son égard. Produisant l’hypostase vaniteuse et rancunière de l’ego trop auto-complaisant, elle conduit vers l’égocentrisme. Le cortège des déformations psychiques est la conséquence de cette rumination faussement introspective. C’est elle qui détruit la pensée logique et objective par suite d’un aveuglant débordement affectif, conséquence de l’exaltation égocentrique des désirs. L’introspection morbide est la maladie de l’esprit par excellence. Mais n’en résulterait-il pas que la santé psychique est précisément fonction d’un esprit lucidement valorisant, capable de s’opposer aux ressentiments égocentriques et aux désirs désordonnés ? Comment cette valorisation élucidante et objectivante pourrait-elle s’opposer aux méfaits de l’introspection morbide, si elle n’était pas elle-même de nature introspective ?

La psychologie intime n’invente rien en constatant que le conflit des motifs est l’objet d’une constante introspection. Mais elle rappelle à l’évidence. Elle souligne que rien n’est plus important que de comprendre sciemment les motivations secrètes du conflit intime. Seule une prise de connaissance scientifique permettra d’élaborer une méthode objective, capable de soutenir l’introspection saine dans sa lutte contre l’introspection nocive.

Sous le bénéfice de cette distinction se désigne clairement le thème de cette série d’exposés.

La maîtrise des désirs, c’est la maîtrise de soi. La condition indispensable en est la lucidité à l’endroit de ses propres motifs intimes, qui déterminent l’activité dans son ensemble et, par là même, le caractère. Se connaître jusque dans ses intentions secrètes, c’est comprendre la nature humaine en général, c’est connaître également autrui. L’introspection méthodique, loin de conduire à un égarement subjectif, est au contraire la condition de toute véritable objectivité. Le thème commun de ces exposés sera donc l’étude des motivations intimes, qui se dérobent souvent au conscient parce que inavouées et jugées inavouables. Ce sont les motifs inavoués qui s’opposent à la connaissance du fonctionnement psychique, but de la psychologie.

Mais avant d’aborder en détail l’étude des motivations, il est utile de souligner toute l’importance historique du problème.”

[à suivre dans la conférence 2/6 : Psychologie et philosophie]


D’autres discours sur ce qui est ?

DIEL, Paul (1893-1972)

Temps de lecture : 12 minutes >

Paul DIEL en bref…

DIEL est orphelin à 14 ans et termine ses études secondaires grâce à l’appui matériel d’un tuteur. Il entreprend ensuite de lui-même des études de philosophie. Inspiré notamment par Platon, Kant et Spinoza, mais aussi par les découvertes de Freud, Adler et Jung, il approfondit sa propre recherche psychologique en établissant les bases d’une méthode d’introspection qu’il expérimentera d’abord sur lui-même.

Au départ psychologue à l’hôpital central de Vienne, il part en France après l’Anschluss, travaille à Saint-Anne jusqu’à la guerre, durant laquelle il connaîtra la dure vie des camps de réfugiés étrangers. Puis il entre en 1945 au CNRS où il travaillera comme psychothérapeute auprès d’enfants dans le laboratoire d’Henry Wallon, soutenu par Albert Einstein, avec lequel il a correspondu pendant de longues années.

Einstein lui écrivait d’ailleurs en 1935: “J’admire la puissance et la conséquence de votre pensée. Votre œuvre est la première qui me soit venue sous les yeux tendant à ramener l’ensemble de la vie de l’esprit humain, y compris les phénomènes pathologiques, à des phénomènes biologiques élémentaires. Elle nous présente une conception unifiante du sens de la vie.

Fondateur de la psychologie de la motivation (ou science des motifs), il travailla également à l’explication des mythes grecs et chrétiens au départ de sa méthode. A une époque dominée par le comportementalisme à l’américaine (‘Behaviourism’ : l’homme est une boîte noire et on ne travaille que sur la base de son comportement), il s’inscrit en faux et réhabilite l’introspection, en avançant qu’elle est une fonction naturelle chez l’homme, dont la maturation donne son sens à l’évolution humaine.

Le présent exposé ne propose pas en premier lieu une théorie, mais une expérience à faire et à refaire, d’où résulte secondairement une synthèse théorique​.

Jusqu’à sa mort, survenue en 1972, Diel poursuivra inlassablement son travail de chercheur et de psychanalyste, formant un groupe d’élèves et publiant de nouveaux livres de sujets variés (l’éducation, le symbolisme, l’évolution, etc.) mais tous liés par une même utilisation de la méthode introspective.

ISBN 9782822405447

Dans une biographie parue en 2018, Jane Diel résume ainsi les découvertes de son mari : “Depuis longtemps, il avait compris l’importance fondamentale des désirs. Dès sa jeunesse, […] il avait souffert de leur multiplication et de leur anarchie culpabilisante ; c’est sans doute la raison pour laquelle il en fait le point de départ de ses recherches. Il relie les désirs aux trois pulsions (matérielle, sexuelle et spirituelle) et il s’attache à trouver un remède à leur emprise, il propose leur choix et leur tri en valeur de satisfaction et en regard des possibilités de leur réalisation ou alors de leur mise en attente jusqu’à un moment favorable. S’ils s’avèrent irréalisables, il n’est d’autre issue que de les dissoudre par sublimation, ce qui en conséquence les libère de la culpabilité qui s’y attache, seul moyen de trouver la paix intérieure, la joie.

En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. Jane DIEL (ou son éditeur) les propose en annexe de la biographie de son époux. Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :

      1. Psychologie et langage ;
      2. Psychologie et philosophie ;
      3. La psychologie des profondeurs ;
      4. Psychologie et motivation ;
      5. Motivation et comportement ;
      6. Psychologie et vie.

Biographie détaillée de Paul DIEL (en moins bref)…

 

Les premières années

Paul Diel vient au monde le 11 juillet 1893 à Vienne, d’une mère allemande institutrice de français, Marguerite, et de père inconnu. L’enfant est tout d’abord placé en famille d’accueil puis, à quatre ans, dans un orphelinat religieux près de Lainz, établissement dont Diel se souviendra comme d’une ‘maison de tortionnaires’. Sa mère vient le voir chaque fois qu’elle le peut, mais pas assez souvent. L’enfant, se sentant terriblement seul, évite le désespoir et la révolte en s’accrochant à la certitude que cette mère, dont l’amour est l’unique soutien, viendra le rechercher un jour.

À onze ans, il entre au lycée, dévorant avidement nombre de romans d’aventures dont les héros, modèles de courage et de combativité, embrasent son imagination. En juin 1906, peu avant son treizième anniversaire, son rêve se réalise enfin : sa mère l’arrache à l’orphelinat. C’est alors une année de liberté et de jeux qui s’arrête subitement peu après la rentrée scolaire 1907, avec le décès de sa mère succombant à un cancer. Paul Diel se retrouve seul au monde.

Le jeune adolescent est hébergé par la famille d’un camarade, avant d’être pris en charge par un avocat ami de sa mère, qui devient son tuteur et le place à nouveau dans un foyer. Diel s’y lie d’amitié avec un garçon qui l’initie à la physique et aux mathématiques, et influence fortement ses choix ; bien plus tard, le souvenir de cet ami servira de modèle à l’une des catégories de la fausse motivation, l’accusation.

N’étudiant que les matières qui l’intéressent, Paul Diel échoue au bac. Lassé des études, il parvient à trouver un emploi d’aide-comptable avec l’aide de son tuteur mais, piètre employé, est congédié après quelques mois. Ne voulant pas décevoir son tuteur, il le lui cache, quitte le foyer et se retrouve à la rue.

La rue et la philosophie

À dix-huit ans, vagabond, il erre dans Vienne dont il fréquente les cafés et les bibliothèques. Il exerce occasionnellement de petits travaux et trouve à l’hôpital, lorsque sa santé flanche, un lit, des repas chauds et la tranquillité nécessaire à ses lectures.

Un an plus tard, en 1912, il revient vers son tuteur, se représente au bac et passe l’épreuve avec mention. Ne se sentant néanmoins pas capable de travailler de manière imposée, il refuse de s’inscrire à l’université et s’oriente vers la poésie. Son tuteur lui obtient un emploi administratif à Hitzing, mais Diel choisit la liberté et disparaît, retournant à son existence marginale.

En 1914, gravement blessé au cours d’un duel par un étudiant l’ayant offensé, Paul Diel refuse de se faire soigner, mais est finalement hospitalisé d’urgence suite à une septicémie. En ce début d’été, tandis que les chirurgiens sont déjà mobilisés, Diel est opéré par un médecin incompétent. Suite à des complications, plusieurs interventions sont nécessaires. L’hospitalisation se prolonge, que Diel met à profit pour acquérir une grande connaissance de la philosophie, particulièrement marqué par Kant et Spinoza. Il écrit également de la poésie. Mais lui apparaît, de plus en plus clairement maintenant, la question essentielle, à laquelle rien de ce qu’il lit n’apporte de réponse satisfaisante : “comment vivre pour trouver ma satisfaction ?

Il ne sort de l’hôpital qu’un an et demi plus tard, à vingt-deux ans, le coude paralysé. Déclaré inapte au service, il est rendu à la vie civile. Ne pouvant plus pratiquer de sport, il découvre le théâtre et décide d’écrire davantage que de la poésie.

Le théâtre, Jane, la psychologie

Paul Diel devient figurant et parvient à gagner de quoi subsister. Ses écrits témoignent déjà de ses préoccupations majeures : le sens de la vie, l’amour, la sainteté, la dualité esprit-matière, l’opposition entre réussite extérieure et élan essentiel. Peu à peu, il acquiert un statut d’acteur professionnel, souvent en tête d’affiche, et intègre une troupe malheureusement dissoute après un an, faute d’argent. Diel se fait alors engager en province et poursuit son œuvre littéraire : traité d’art dramatique, pièce de théâtre, roman, poèmes…

En 1922, lors d’une tournée dans le nord de l’Italie, il rencontre Jane Blum, une jeune française d’origine juive. Tous deux tombent amoureux et décident de ne plus se séparer. Après un début de vie commune marqué par la précarité, le couple parvient à rejoindre Paris et se marie. Paul Diel, rejeté à cause de ses origines, ne parvient pas à placer ses pièces de théâtre et sa femme tombe malade. Le couple repart pour l’Autriche. Diel y découvre les psychologues modernes, et notamment Alfred Adler. Ses futurs thèmes de prédilection se mettent en place : le désir, les motifs inconscients, la vanité et l’exaltation, la recherche d’harmonie intérieure.

La situation du couple en Autriche n’est pas plus brillante qu’à Paris. Tandis que Paul Diel obtient un poste d’agent d’assurance, sa femme repart à Paris, hébergée par une amie. Séparations et retrouvailles se succèdent jusqu’en 1930, date à laquelle Jane Diel rejoint son mari.

Freud près Adler, les premiers travaux

Dès 1928, Paul Diel suit des cours de psychiatrie. Il élargit la notion de refoulement de Sigmund Freud et reprend la notion de besoin d’estime d’Adler comme élément central de construction de la personnalité, et les intègre à sa propre vision. Il a trouvé sa voie et, renonçant alors à l’expression littéraire artistique, commence à rédiger, en allemand, son premier ouvrage de psychologie, Phantasie Und Realität (Imagination et réalité), où se trouvent déjà les fondements de la future Psychologie de la motivation : la démarche introspective, le désir comme élément central des pulsions, l’exaltation imaginative, la culpabilité, la sublimation.

Le manuscrit de Phantasie Und Realität est terminé en 1933, et adressé à plusieurs éditeurs autrichiens, allemands et suisses. Tandis que la situation politique se dégrade, les réponses tardent à venir ou sont négatives, l’ouvrage étant jugé “trop éloigné des problèmes de l’actualité“. Freud lui-même, surchargé de travail, refuse de lire le texte d’un inconnu.

En 1934, la guerre civile éclate à Vienne. Diel, qui a commencé son second ouvrage de psychologie, Geist Und Güte (Esprit et bonté), perd son emploi d’agent d’assurance, tombe malade et se retrouve hospitalisé. En 1935, il adresse Phantasie Und Realität à Albert Einstein qui, admiratif, n’hésite pas à le soutenir. Un échange épistolaire de vingt ans s’en suivra entre les deux hommes.

Sur recommandation d’Einstein, Diel contacte le Professeur Moritz Schlick, philosophe, membre du Cercle de Vienne et fondateur du néo-positivisme. Schlick, enthousiasmé par le manuscrit, propose à Diel de l’aider à se faire publier. Les deux hommes ont rendez-vous le 22 juin 1936 afin de convenir des ultimes démarches auprès des éditeurs. Le soir même, Schlick est assassiné, l’attestation destinée à accompagner le manuscrit de Paul Diel dans l’une de ses poches.

Malgré l’aide d’Einstein, Diel ne parvient toujours pas à publier son ouvrage. Ses compétences sont néanmoins reconnues par le Professeur Emil Froeschels, de l’hôpital principal de Vienne, où Paul Diel entre en 1936 comme psychologue et où il connaît ses premiers succès professionnels, allant jusqu’à prendre Froeschels lui-même en analyse.

Anti-nazi de la première heure, le couple Diel perçoit vite combien cette position, avantageuse dans un premier temps, devient dangereuse depuis le meurtre de Dollfus. En 1938, les troupes allemandes envahissent l’Autriche. Il est temps de partir. À la dégradation de la situation politique s’ajoute les difficultés financières.

Exil, retour à Paris, de Sainte-Anne à Gurs

Toujours aussi démuni, le couple reconnaît finalement ne plus pouvoir rester à Vienne et parvient à quitter le pays sous prétexte de rendre visite pour deux mois à la famille de Jane à Paris. Il n’emporte que deux valises, quelques effets personnels, les manuscrits de Phantasie Und Realität et de Geist Und Güte, la somme « réglementaire » de trente marks et l’espoir secret d’obtenir de la France le statut de réfugié politique.

En 1939, Paul Diel, âgé de quarante-cinq ans, obtient un poste de psychologue dans le service du Professeur Henri Claude, à Sainte-Anne, grâce aux recommandations d’Einstein et de Froeschels. Mais ses théories sont mal vues et sa situation est inconfortable. La guerre éclate.

Diel s’engage dans l’armée française et, attendant d’être appelé, poursuit son travail à Sainte-Anne, cette fois grâce à l’appui d’Irène Joliot-Curie.

Il rédige en français, à l’intention du Professeur Maxime Laignel-Lavastine, succédant à Henri Claude, un exposé sur le traitement des névroses et des psychoses : Thérapie.

Suite à l’offensive allemande de mai 1940, Paul Diel se retrouve parmi les étrangers d’origine allemande regroupés au stade de Colombes, près de Paris, sur décret de Vichy. Quelques jours plus tard, une nouvelle décision libère les maris de femmes françaises. Malheureusement inattentif, Diel ne saisit pas cette opportunité et se voit déporté au camp de Gurs, dans les Pyrénées Atlantiques, l’un des camps français, où il écrit un court texte sur les relations humaines empoisonnées par les provocations impondérables, Le coup d’épingle.

Entrée au CNRS, publications

C’est dans ces conditions inhumaines que Diel élabore son travail sur le langage symbolique des mythes et sur la signification psychologique de Dieu, La Divinité et le héros, qui aboutira plus tard à La Divinité. En 1943, il développe son exposé Thérapie, qui deviendra bientôt Psychologie de la motivation. Mais il tombe gravement malade.

Rejoint quelque temps par sa femme, qu’il n’a plus vue depuis trois ans, il obtient un régime de faveur, un peu de liberté et un logement délabré et sans chauffage. Les conditions de vie s’adoucissent cependant, et Diel en profite pour approfondir sa théorie du calcul psychologique et le principe de fausse motivation.

Après la Libération, Paul Diel retourne à Paris et y retrouve sa femme. Une nouvelle fois grâce à Joliot-Curie, Diel entre au CNRS sous la direction d’Henri Wallon. Au Laboratoire de psychobiologie de l’enfant, il applique ses idées aux enfants et adolescents en difficulté, tout en reprenant son poste à Sainte-Anne et poursuivant, trois années durant, son travail sur le texte de Psychologie de la motivation.

ISBN 978-2-228-88445-7

Son poste au CNRS et, plus que jamais, le soutien d’Einstein et de Wallon — lequel considère Diel comme le quatrième psychanalyste après Freud, Adler et Jung —, permettent enfin à Paul Diel de publier son premier ouvrage : Psychologie de la motivation paraît en 1948 dans la Collection de philosophie contemporaine dirigée par Maurice Pradines, aux Presses Universitaires de France. D’autres vont suivre. Diel a cinquante-cinq ans. Cette première publication lui amène auditeurs et élèves à qui il enseigne sa méthode sous forme de thérapies, de conférences, de séminaires et de cours.

La Divinité et le héros se scinde en La Divinité et Le Symbolisme dans la mythologie grecque, respectivement publiés en 1950 aux PUF et en 1952 chez Payot, ce dernier ouvrage élogieusement préfacé par Gaston Bachelard. Chez Payot désormais paraissent : La Peur et l’angoisse en 1956, puis Les Principes de l’éducation et de la rééducation en 1961, Le Journal d’un psychanalysé en 1964, Psychologie curative et médecine en 1968, et enfin Le Symbolisme dans la Bible et Le Symbolisme dans l’Évangile de Jean, respectivement en 1975 et 1983. Paul Diel reçoit un prix de l’Académie française pour La Peur et l’angoisse grâce à André Chamson, et correspond avec Adolphe Ferrière, cependant qu’une chaire au Collège de France lui est refusée. En 1968, alors que les institutions universitaires et médicales méprisent son travail, Paul Diel ne parvient pas à se faire entendre des étudiants. Son décès, le 5 janvier 1972, passe quasiment inaperçu dans le public (ce que regrette André Chamson à la une du Figaro).”

Lire l’article original sur le site du Cercle Paul Diel Suisse Romande


Voir aussi…

Oeuvre​​s

​​Littérature secondaire

Multimédia

Extraits, commentaires & citations​

La méthode d’analyse introspective

Fondée sur la théorie rigoureuse développée par Diel, la méthode introspective permet à chacun de découvrir objectivement son propre psychisme, grâce à une analyse guidée par la connaissance des lois présidant aux évasions et fausses justifications. L’analyse consiste ainsi à prendre peu à peu connaissance des évasions et fausses justifications, détectables par leurs manifestations stéréotypées, et à leur opposer des contre-valorisations, pensées et réflexions contrecarrant la pente naturelle de la vanité et de ses métamorphoses. Le sujet est ainsi amené à harmoniser ses désirs selon l’exigence de son élan de dépassement individuel. L’énergie psychique dispersée dans les conflits intérieurs peut alors s’investir positivement dans les nécessités de la vie journalière, libérant ainsi le sujet du poids de ses tourments et le conduisant vers un meilleur développement de ses capacités.

  1. Psychologie des profondeurs, elle se propose d’assainir le psychisme. Le rôle de l’analyste est alors de guider le sujet dans sa recherche introspective. Au-delà de l’analyse des pensées, sentiment et actions, la méthode permet de traduire en langage conceptuel le contenu symbolique des rêves.
  2. Psychologie du présent, elle libère le patient des effets des traumatismes passés grâce à un travail introspectif qui ne s’appesantit pas sur le déroulement rétrospectif des événements.
  3. Psychologie de la responsabilité, elle est fondée sur l’idée que l’homme est responsable de ses réactions face à ce qui lui arrive.
  4. Méthode analytique et thérapeutique, elle ouvre sur la dimension éthique de l’existence, le sens de la vie étant défini comme la recherche de l’harmonie (entente profonde) entre les différents plans de satisfaction (matériel, sexuel et spirituel). Son fondement est biologique, car la recherche de satisfaction constitue le moteur évolutif à l’œuvre depuis des millénaires. Le bien-être intérieur est ainsi moralement établi et la méthode permet de se libérer progressivement du conflit interne entre moralisme et amoralisme, entre spiritualisme exalté et matérialisme excessif. Elle replace l’être humain au centre de sa finitude et du mystère de la vie.

Par la généralité de son approche, elle concerne toutes les formes de déviation de la pensée, des sentiments, et des actes.

La traduction des rêves

Prolongement de la délibération diurne, nos rêves sont l’expression du conflit entre les désirs subconscients refoulés, parce que irréalisables ou insensés, et l’appel de l’élan de dépassement (le surconscient). Le rêve se présente sous la forme d’un langage à déchiffrer. La méthode de traduction des rêves développée par Diel consiste à traduire en langage clair le contenu psychologique des symboles du rêve. Ces symboles universels figurent dans les mythes de tous les peuples et se retrouvent dans les rêves de tous les êtres humains. Les mythes grecs traduits par Diel sont l’expression, comme tout mythe, du combat du héros contre les monstres, symboles de ses tentations perverses. Il est aidé dans ce combat par les divinités, symboles de ses forces surconscientes.” (d’après API​)


Infos qualité​​ | sources :  Association de psychanalyse introspective ; collection privée ; Payot-Rivages ; wikipedia.org ; youtube.be | texte original et compilation | première publication dans walloniebruxelles.org repris dans agora.qc.ca | dernière révision 2019 | Remerciements à Jeanine Solotareff (FR) et Hervé Toulhoat (FR)


Plus de discours qui expliquent le monde…

THONART : Souricette et la pétarade à vents (2019)

Temps de lecture : 7 minutes >

Il était une petite fois, une petite souris qui souriait tout le temps : sur les photos, elle souriait ; dans son landau, elle souriait déjà ; sur les bancs de l’école, elle souriait ; sur les chemins, elle souriait (même si elle avait un peu peur dans l’ombre des arbres sombres). Et, en découpant ses petits légumes en petits cubes jolis, elle souriait. Et, en trottant crânement dans les rues de son Village, elle souriait. Et, quand elle s’écrasait le petit orteil sur le pied du lit, et bien, elle souriait aussi (mais un peu moins). Tout le monde trouvait cela chouette, une souris qui sourit, tellement chouette qu’on l’avait baptisée Souricette, ce qui, à vrai dire, n’avait rien à voir mais traduisait bien le fait que Souricette, on l’aimait bien, elle.

Parce que, un peu comme dans les contes, la mère de Souricette était une loutre des rivières. Pourtant, on l’appelait Loutre-Mère. Les gens du Village se sentaient un peu mal à l’aise avec elle : beaucoup admiraient sa créativité, son entrain et son courage ; ils saluaient sa culture et ses broderies, goûtaient ses gâteaux et, quand ils y étaient invités, se promenaient dans son jardin, parmi ses fleurs.

Mais d’autres, aussi, la trouvaient – comment dire ? – un peu bizarre, justement. C’est vrai : une loutre bien léchée, c’est bien. Mais ils trouvaient un peu spéciale cette dame-loutre qui, sans prévenir, pouvait plonger dans le plus sombre remous de la rivière et resurgir plus tard, beaucoup plus tard, sur l’autre rive, une fois en souriant au soleil de l’après-midi et une autre fois en se faufilant à l’abri des racines, toute grondante et soufflante… souffrante, peut-être. Pour les gens du Village qui la croisaient, il était difficile de savoir quel sourire employer, faute de pouvoir s’y préparer. En plus, cette mère de famille bien huilée (ça, ils ne le comprenaient pas non plus) ne pétait jamais, au grand jamais ! Ce qui n’était pas le cas de Souricette.

Chanson :

Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…

Rivière oblige : le père de Souricette, lui, était un castor et, comme tous les castors de la région, il s’entraînait au ping-pong tous les weekends. Il fallait le voir sauter derrière les tables, la queue dressée pour smasher ou, le plus souvent, faire des balles bien tournantes qui trompaient la vigilance de ses adversaires. Seulement, c’étaient là ses seules heures de gloire : le reste du temps, il s’affairait à ses petites affaires et on avait bien du mal à savoir où il traînait, quand on le cherchait. Voilà bien un bricoleur qui bricolait des bricoles : vous ai-je dit qu’il aimait aussi les broccoli ?

Père Castor était comme les autres castors : avec l’âge, ses blagues devenaient de plus en plus prévisibles et ponctuaient lourdement tous les repas familiaux. Reste que Souricette lui souriait aussi – bonne fille qu’elle était – et que, plus d’une fois, son paternel avait taillé l’effigie de sa jolie petite souris souriante dans une souche, derrière le verger. Mais où se cachait-il donc quand les chasseurs sont venus, avec leurs fusils dressés ?

Chanson :

De la naissance à la mort,
Personne n’a vraiment tort,
Mais on a tous dans le cœur,
Un castor prompt à avoir peur.

La belle enfant n’était pas seule et la famille était rassemblée, quand les chasseurs l’ont trouvée. De Père Castor, point, ou alors caché dans un coin. En haut, la Loutre-Mère était déjà couchée et, en bas, les autres enfants jouaient près de la cendrée. Souricette avait un frère, un blaireau sévère à la vue courte. Dans le Village, on l’appelait : le P’tit-Père Sévère. Il avait la patte lourde et l’odeur musquée.

Quand le canon du fusil a défoncé la porte de la maison, Souricette ne souriait plus et c’est à l’ombre de P’tit-Père Sévère qu’elle a dû son salut, fuyant se cacher dans le placard des Balais Oubliés de Cendrillon, avant qu’il ne la rejoigne pour s’y terrer à son côté.

Les minutes ont succédé aux minutes et les deux enfermés n’osaient bouger d’un poil. Combien d’heures ont-ils passé, à transpirer dans leurs odeurs mélangées, combien d’heures avant qu’ils ne réalisent que les chasseurs avaient renoncé, en se bouchant le nez. Souricette les avait bien vu partir, le danger était écarté mais… on ne sait jamais. C’est quand elle s’est retournée vers P’tit Père et qu’elle a vu ses yeux qui brillaient dans le noir et la fixaient avec autorité que la petite souris n’a pas sourit et que, vite, elle est partie.

Chanson :

A chaque blaireau que tu croises,
Regarde la face rayée et décide :
Les striures de lumière masquent-elles son ombre,
L’ombre de ses rayures rongent-elles sa lumière ?

Le drame était passé et Souricette avait grandi. Elle était devenue belle et bien tournée. Tant et si belle qu’un paon qui passait au Village la remarqua et demanda fissa sa main à son papa. Rantantan le Paon (puisque c’est comme cela qu’il se faisait appeler) habitait la Ville et Père-Castor n’hésita qu’un petit peu : il commençait seulement à réfléchir aux conséquences de sa décision (que Loutre-Mère avait déjà prise, d’ailleurs) que Souricette était déjà arrimée au cou du volatile et que les enfants du Village faisaient déjà une farandole autour des deux amoureux. La parade s’éloignait ainsi sur la route et la silhouette des deux amants se détachait sur un coucher de soleil que Rantantan avait souvent auparavant emprunté à un copain.

Mais, avec les années (quelques années seulement), les plumes se sont mises à tomber et la parade égayait de moins en moins souvent la souris jolie. Accrochée au cou du volatile, elle se pavana d’abord un peu vainement, laissant loin derrière elle le souvenir de la Nuit des Chasseurs. Reste que d’autres souris faisaient également tourner le cou du paradant volatile et que l’arrière de son plumage était bien moins coloré que le bleu de sa face. Alors, Souricette continua à sourire un peu mais, des paillettes, elle fit vite son deuil, qu’elle fêta avec ses amis les écureuils.

Chanson :

Méfie-toi de la splendeur du paon,
Dont la face te tourne la tête.
Elle sera bien vite passée
Et l’autre face sert à péter.

Souricette marchait dans les bois, quelque temps plus tard, un peu perdue dans ses lendemains de la veille, lorsque qu’apparut Rabouh le Hibou. Ses plumes étaient fort ternes mais le volatile savait chanter la Nuit et tourner la tête d’un tour, comme d’un détour. Quelle magie était-ce donc là : un Janus rotatif doublé d’un musicien du Crépuscule ? Haut perché, l’animal était moins festif que le paon mais combien plus exaltant. “Une petite souris et un vieil oiseau, s’aimaient d’un amour ivre, mais comment survivre, quand on est là-haut ?” Les hiboux mangent les souris ; les souris fuient les hiboux : Souricette le savait bien, qui a entrepris d’amadouer l’oiseau doué. A peine plus grosse qu’une de ses pelotes de réjection, elle allait balayer ses déjections et nourrir de sa vie l’existence du seigneur de nuit qui, malgré son aile blessée, bougonnait avec bagout.

Était-ce de la dévotion face au sombre artiste ? Était-ce jouir à son tour de la lumière de gloires anciennes ? Était-ce la mère ou l’amante qui, tous les matins, faisait entrer le soleil dans leur tanière ? Toujours est-il Souricette y a travaillé plus qu’à son tour et, comme on s’en doute, y a pété généreusement de jour comme de nuit. Jusqu’à ce moment funeste où une odeur lui est montée au nez, qui n’était plus la sienne. D’habitude, les odeurs familières lui montaient directement aux narines et elles étaient rassurantes pour la souris. Mais, cette fois, si l’odeur était connue, elle restait difficile à reconnaître. Sauf si…

Comme un coup de tonnerre, le souvenir de la Nuit des Chasseurs lui est revenu et son cœur lui est remonté jusqu’au bord de la gorge. Était-ce une senteur du vieil hibou ou l’odeur musquée de son frère P’tit Père ? Rôdait-il au pied de l’arbre ? Mais que voulait donc dire cette madeleine de proute ?

Qu’à cela ne tienne ; ni une, ni deux ; courage, fuyons : voilà notre Souricette à nouveau sur les chemins, alertée par une odeur dont elle ne peut que taire l’horreur.

Chanson :

Si la nuit, le hibou règne au faîte
Et fait des tours avec sa tête,
Garde-toi bien d’y grimper,
Tu pourrais y perdre pied.

C’est alors, qu’en chemin, elle rencontre l’ours Biguebaire, souriant et aimable, quoiqu’un peu tracassé par une drôle de machine qu’il vient de fabriquer de ses grosses pattes, là-bas au bord de la clairière fleurie.

C’est une pétarade à vents“, lui explique-t-il, “le vent du Soir entre par ici et fait un bruit de proute en ressortant par là. L’avantage, c’est que cela ne sent pas mauvais, puisque c’est l’air des fleurs de la clairière. Ecoute, je vais le faire tourner.” Tout à son affaire, Biguebaire s’empare de la manivelle, tourne trois fois puis, dans l’excitation de cette première démonstration, lâche lui-même un vaste et généreux pet d’ours, le genre de flatulence qui vous dénude un bois de sapin !

L’ours un peu marri de l’inconvenance, s’excuse et dit gentiment à Souricette : “C’est toujours comme ça pour nous, les souris, on pète“. “Mais tu n’es pas une souris“, répliqua Souricette, “puisque tu es un Ours“. “Je sais, je sais, tu es gentille de me le dire“, soupira Biguebaire, “je l’ai toujours su mais, tu vois, tu vois, je n’osais pas le vivre“.

Moi, je suis une souris, pas toi“, insista Souricette. A ces mots, Biguebaire tourna la tête et la regarda trèèès intensément : chacun de ses deux yeux était sooombre comme le fond de sa caverne… Un instant, elle eut peur qu’il ne la dévorât. Mais Biguebaire sourit alors et lui souffla doucement, posant son gros museau sur les lèvres petites de la souris : “Non, toi, tu es une Princesse“. Il l’embrassa longuement et, toujours ensemble, ils pétèrent heureux à jamais… plus un jour.

Chanson :

Et Souricette trottinait,
A chaque pas lâchant un pet.
“Proutprout et proutprout”
Chantait-elle sur sa route…

Patrick Thonart


[INFOS QUALITE] statut : révisé | mode d’édition : rédaction, partage, édition et iconographie | auteur et voix du podcast : Patrick Thonart | crédits illustrations : en en-tête, ©  Bénédicte Wesel; © DR.


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LA GENARDIERE : Encore un conte ? (1993)

Temps de lecture : 11 minutes >
DORE Gustave, Le petit Chaperon rouge © Tous droits réservés

Nous avons lu pour vous le livre de Claude de la GENARDIERE, Encore un conte ? Le Petit Chaperon Rouge à l’usage des adultes (Nancy : Presses universitaires, 1993). Voici un extrait de l’introduction qui en dit long :

“Voici évoquée la chaîne des contes inscrite dans la durée : durée de chaque séance au cours de laquelle conteurs et auditeurs tentent de suspendre le temps ; et longue durée de la transmission, de génération en génération, où le conte ponctue un temps sans origine datable.

La chaîne des contes, c’est aussi celle de leur inscription dans la répétition, au fil des demandes complices, avides, impératives ou implorantes, aiguisées par l’impossibilité de s’approprier tous les récits : il en reste toujours au moins un à raconter et la capture du dernier conte demeurera à jamais tout aussi irréalisable que celle du dernier nombre, sauf à l’infini… Capture fantasmatique qui fait elle-même parfois l’objet des contes…

Mon propre conte commence donc par cette question adressée au lecteur : A-t-il entendu « Encore un conte ? » adressé à autrui ou à lui-même, énoncé par autrui ou par lui-même ? Cette question introduit ce que dans ce livre, j’ai tenté de dire de la relation entretenue par chacun d’entre nous avec ces fictions. Entre une proposition interrogative et une demande impérative s’étend la gamme des registres que le conte peut mobiliser en nous, depuis le plaisir jusqu’à la jouissance, depuis la saveur d’un jeu avec les limites jusqu’au vertige de l’illimité.

Le rapport de celui qui se dit adulte avec les contes peut se manifester tout aussi bien par le rejet, la passion, l’indifférence que par le désir de connaître et de faire connaître. Autrement dit, l’adulte peut revendiquer son rapport, l’affirmer, mais aussi le dénier ou le méconnaître. Tout adulte interpellé dès son plus jeune âge par le statut des savoirs et des croyances a adressé ses questions, au fil de son développement psychique, à bien d’autres objets que les contes. Mais il est tout à fait instructif d’interroger chez lui ce qu’il en est de ses passions infantiles pour les histoires, et précisément pour celles qu’on appelle contes.

Le Petit Chaperon Rouge dans le film de Catherine Hardwicke © WB

Les discours sur ces récits ne manquent pas. Mais bien souvent ils évoquent l’effet des contes sur les autres, sur les enfants, par exemple, ou encore sur les héritiers de traditions étrangères ou perdues, orales en particulier.

Dans une autre perspective, lire en soi les effets du conte devrait permettre d’analyser, par un travail répété, ce qui, dans le dispositif et la structure de ces récits, produit de tels effets, les rend possibles, voire nécessaires. C’est, du moins, la démarche que j’ai suivie et que je voudrais restituer ici à partir de mes lectures de contes, et de celles que d’autres auteurs ont proposées sous forme de commentaires, d’interprétations, ou d’illustrations.

Mon fil conducteur sera Le Petit Chaperon Rouge. Il se trouve que ma passion initiale pour ce conte semble partagée par beaucoup de lecteurs et d’auditeurs, si je considère la somme d’études et de commentaires qu’il a suscitée ainsi que la fréquence avec laquelle il est fait référence au Petit Chaperon Rouge dans les discours sur les contes aujourd’hui. Ce récit semble même être devenu une sorte d’emblème universel des contes et cette évolution va de pair avec une simplification, une usure, des représentations et des affects que semblent éveiller ses personnages.

Notre parcours s’accomplira donc au fil d’une histoire qui soulève intérêt, complaisance, mépris, rejet, mais dont les figures sont désormais réduites à leur plus simple expression, à peine identifiables, en raison des multiples échanges dont ce conte a été l’objet. C’est précisément ce paradoxe qui a attiré mon attention sur Le Petit Chaperon Rouge, puisque j’ai d’abord constaté chez moi-même de nombreux mouvements à son égard, à la mesure de ceux que j’ai découverts ensuite chez autrui.

Le bagage avec lequel j’ai débuté ce parcours était fait du souvenir des versions écrites célèbres et supposées connues du grand public, celles de Perrault et des Grimm. Mais ce souvenir me présentait ce que j’appelle un scénario-fossile, témoignant de l’état dans lequel ma mémoire avait pétrifié Le Petit Chaperon Rouge à un moment précis de ma vie psychique, à savoir : l’histoire d’une petite fille innocente envoyée chez sa grand-mère gâteuse et rencontrant sur son passage un méchant loup affamé et trompeur.

Ces personnages aux contours convenus selon une répartition réglée et inégale des bons et des méchants, n’auraient pas dû m’inciter à revenir sur ce récit. J’ai bénéficié, en fait, de ce que Freud appelle un souvenir écran, celui de l’histoire des Trois Petits Cochons, qui m’a permis d’entrevoir, après l’avoir caché, derrière le loup dont triomphe l’aîné des cochons avec sa maison de pierre, un autre loup, étrangement inquiétant celui-là, le loup-grand-mère dévorateur

Mais j’avais auparavant mené une recherche sur les personnages de la belle héroïne et du prince charmant. L’héroïne m’était d’abord apparue souvent vouée à la passivité, vouée à l’accomplissement d’un destin en négatif par l’accumulation de ses incapacités, de ses manques. Puis le personnage du prince charmant m’avait semblé, à son tour, accomplir bien des quêtes par défaut plutôt que par mérite personnel, triompher de dragons assoupis et posséder des princesses endormies.

Le Petit Chaperon Rouge selon Tex AVERY © MGM Cartoons

C’est alors que le couple loup / petite fille attira mon attention puisque le discours commun y voyait une figure emblématique de la séduction mâle / jeune fille. Et pourtant Le Petit Chaperon Rouge me proposait deux personnages totalement disparates, au lieu du couple quasi gémellaire prince / princesse, et dont l’identité n’était pas sans poser problème. Glisser de la jeune fille à la petite fille du Petit Chaperon Rouge, se concevait encore, puisque Perrault lui-même m’y invitait, mais sauter du prince au loup, voilà qui m’apparaissait plus scabreux…

La lecture de multiples versions du Petit Chaperon Rouge que j’entrepris alors, et, plus encore, celle des commentaires et interprétations suscitées par ces variations, ne me permit pas de percevoir clairement qui était ce loup. Bientôt ma quête du loup rebondit sur les autres personnages : je voulus savoir qui était l’enfant, quel était son âge, ce que voulait la mère, quel rôle jouait la grand-mère, ce que faisait le père.

Finalement, de lecture en lecture, j’ai accompli un parcours, ma propre quête, pourrais-je dire. D’abord soucieuse, comme d’autres, de mettre la main sur la version authentique, ainsi que sur l’interprétation définitive, j’ai renoncé à cette mainmise, mieux encore, j’ai compris que mon plaisir tenait à son impossibilité. J’ai donc lu et relu Le Petit Chaperon Rouge, repris à mon compte l’itinéraire, la quête de l’héroïne, interrogé à travers elle les énigmes du conte. J’ai voulu faire surgir les lacunes des textes, leurs répétitions insistantes ou sournoises, leurs incompatibilités logiques, et j’ai emprunté des pistes narratives à peine ébauchées créant des réseaux de sens parfois paradoxaux.

J’ai ainsi mis à l’épreuve mon scénario-fossile et tenté de comprendre comment le conte m’avait fait, et me fait encore, travailler psychiquement ; puis j’ai recherché les traces d’un tel travail chez mes partenaires commentateurs. Enfin, j’ai dégagé quelques éléments-clés de ce que j’appelle, après d’autres, le travail du conte.

Cette expression, issue du vocabulaire psychanalytique et créée à partir du travail du rêve, précise la perspective de mon propos qui sera d’aider à reconnaître quelques marques de l’inconscient à l’oeuvre dans les textes et les discours, plutôt que d’interpréter ces marques. Paul Ricoeur a lui-même déjà proposé de parler du travail de lecture comme du travail du rêve, puis Monique Schneider, analysant le temps du conte, a évoqué à son tour le travail du conte.

Il s’agit, par cette formule, de nommer les processus psychiques mis en jeu dans l’utilisation des contes, en soulignant leur parenté avec ceux de la formation des rêves qu’a repérés Freud. Je ne ferai qu’en rappeler quelques-uns directement liés aux analyses développées ici :

  • le rêve est fait d’un contenu manifeste et d’un contenu latent que la cure psychanalytique peut essayer de découvrir grâce aux associations du rêveur ;
  • c’est parce que le rêve est l’accomplissement déguisé d’un désir refoulé qu’il faut parler d’un travail psychique, c’est-à-dire de tout un jeu de contournement de la censure psychique, selon des règles de transformation
    (par condensation, déplacement, renversement en son contraire, jeu sur les homophonies, mise en relief de détails au détriment d’éléments centraux), susceptible d’égarer, de tromper cette censure ; c’est aussi, d’après Freud, ce mode de fonctionnement selon lequel, à travers tous les scénarios, toutes les fictions, nous assouvissons un désir sur le mode imaginaire.
  • L’élaboration secondaire est un processus grâce auquel le scénario de rêve dont nous nous souvenons au réveil est déjà une reconstruction. Nous n’avons jamais accès directement à la vérité originaire du rêve ; elle ne fait que se manifester indirectement dans le cadre de la cure analytique ou par l’intermédiaire de formations de l’inconscient, de symptômes, de lapsus etc., c’est-à-dire par défaut.

En somme, ce qui importe, dans une perspective clinique, c’est le parcours que nous accomplissons à la recherche des sens possibles du rêve, beaucoup plus que ces sens eux-mêmes, qui sont mobiles, et relatifs aux fluctuations des états du conflit entre notre curiosité et notre rigidité psychique.

Cette perspective ne nous éloigne pas du conte : il me semble que précisément celui-ci est propre à solliciter des ré-élaborations de nos coordonnées psychiques infantiles, mais n’empêche pourtant en rien que nous l’utilisions pour les uniformiser et les figer dans des schémas qui voudraient expliquer, cerner La Vérité. Si bien que, parmi les amateurs du conte, les uns font de lui un objet sacré incarnant une vérité originelle, les autres acceptent que cette vérité soit irreprésentable mais ils se savent mis en mouvement par sa quête. La mobilité du conte est alors garante de cette dynamique.

J’essaierai donc de montrer des indices de ce travail psychique favorisé par les diverses logiques du conte, par ce que Monique Schneider appelle “une structuration feuilletée” qui “fait intrinsèquement partie de la puissance du conte”.

En effet, si dans l’interprétation d’un conte, nous nous en tenons à un sens supposé vrai, tel qu’il semble s’imposer à l’issue du récit, en négligeant la quête – c’est-à-dire l’itinéraire narratif, ses méandres, ses carrefours, ses impasses, ses blancs, ses flous, ses incompatibilités – au profit du seul point d’arrivée, nous ne faisons que rendre compte de notre lecture finale, de celle sur laquelle nous refermons notre conte.

Ce type de démarche nous est proposé à travers diverses interprétations symboliques, éventuellement soutenues de références psychanalytiques, et ramenant volontiers le récit à un texte de base simplifié, à travers des équivalences plus mathématiques que métaphoriques. Ces interprétations semblent parfois vouloir faire oublier le déroulement narratif du conte : en effet, celui-ci n’est en rien une simple addition d’images, de motifs ou d’actions, mais tient bien plutôt d’une dynamique, d’un processus dû à la structure du langage et auquel participent tout autant le conteur que le récepteur.

Cependant, nous pourrions dire que les personnages des contes, comme les personnages de nos rêves, sont tous des figures du moi, le moi du lecteur, en l’occurrence, divisé par ses contradictions et ses combats intimes, mais qui aspire à une paix, pareille à celle de nos héros au terme du récit. Et pourtant le lecteur ne pourrait survivre (pas plus que les personnages de ces récits) à une vie aseptisée et harmonieuse, qui ne connaîtrait plus de désir (ni de quête).

La turbulence du désir cherche toujours à réinventer ses objets d’investissement. Le conte nous présente ses variations, ses scénarios – repérables mais toujours susceptibles de s’écarter de leur voie la plus évidente – et ses dénouements-pirouettes tellement instantanés que les traces des écarts et des bavures du récit ne peuvent disparaître tout à fait…

Dans cette recherche, je me suis adaptée aux modalités de réception du conte en faisant place à différents modes interprétatifs que j’ai voulu intégrer tous dans le travail du conte. Et je me suis autorisée à mettre côte à côte mes propres lectures et celles d’autrui, non pas par arrogance personnelle, mais bien plutôt par exigence initiale : avant de parler du conte chez les autres et pour les autres, il me fallait d’abord considérer ses effets sur moi-même, et ce que j’en faisais. C’est à partir de ces présupposés que j’ai interrogé la position de l’adulte vis-à-vis du conte, en découvrant au fil de mes lectures, combien rares sont ceux qui explicitent leur rapport subjectif à ces fictions, et en particulier leur plaisir.

J’ai été rassurée pourtant par les orientations de quelques auteurs contemporains qui exposent la manière dont leur recherche est tributaire d’une démarche personnelle, et qui n’hésitent pas à la proposer comme un conte. Ainsi, Georges Jean, à la fin de son itinéraire, précise :

On comprendra peut-être mieux ainsi pourquoi je présente cet essai comme un cheminement personnel et non comme un ouvrage de plus sur la nature des contes et leurs vertus éducatives et pédagogiques. Et ceci est peut-être un conte…

De même, Jean Bellemin-Noël présente ainsi son « hors d’oeuvre » :

Ceci voudrait être un conte […] Je souhaiterais décrire ici la relation fabuleuse de ce que les contes racontent sans le savoir et sans que nous le sachions. Sinon en forme véritablement de conte, du moins dans un genre de discours qui aura d’emblée renoncé au mirage d’être un exposé scientifique. Ce qui importe avant tout, c’est que cette longue veillée produise des effets analogues, toute proportion gardée, à ceux que produisent les fictions qui seront son enjeu.

J’inscris ainsi le titre de mon livre dans le prolongement de ces veillées. Si je me suis exposée personnellement dans ce texte, c’est pour mieux y révéler l’attitude des adultes et leur rapport au passé et à l’enfance. Le conte, en effet, est toujours d’autrefois parce que transmis par nos âmes, toujours déjà entendu dès l’enfance, mais référé ensuite à une enfance reconstruite dans notre souvenir d’adulte. Toute l’enfance se nourrit d’histoires qui ne développent pas seulement l’imagination, mais encore le jugement, la comparaison, la réflexion logique. L’enfant en tire des questions et des réponses provisoires qu’il adresse volontiers à l’adulte. Et celui-ci se trouve parfois mis à la question par la curiosité infantile qui peut exacerber sa tendance éventuelle à clore des questions sans réponses, questions dont le paradigme pourrait s’énoncer ainsi : est-ce que ceci est une histoire vraie ?

Sommé de trouver une vérité dans le conte ou de répondre à l’enfant par oui ou par non, ce qui entraîne immanquablement d’autres questions, souvent l’adulte révèle par son malaise chronique combien il est encore prisonnier de ses interrogations premières.

Nous naissons sur le fond des histoires qui nous ont précédés, nous mourrons après avoir inventé d’autres histoires qui retracent notre naissance et notre mort. Celles-ci ne cessent d’interroger nos partages entre réel/irréel, vrai/faux, doute/certitude. L’une des spécificités du conte, dans ce lot de fictions, est son anonymat : issu ni tout à fait de nous-mêmes, ni tout à fait d’un autre, mais d’autres. Cette altérité plurielle, imaginée à partir de quelques représentants accessibles, dans le cas du conte oral, présents par l’écriture, voire dans la signature, dans le cas du conte retranscrit ou adapté, facilite la mobilité de nos représentations toujours susceptibles, du fait de la censure psychique, d’être attribuées à autrui. Et ces parcours que nous faisons avec les contes des autres, à chaque audition comme à chaque lecture, décalquent inlassablement les figures, inaccessibles directement, de notre conte intérieur…”

Après cette introduction qui éclaire sa démarche, l’auteure développe son étude au travers des chapitres suivants :

  • QUAND L’ÉCRIT PREND D’ASSAUT LES TRADITIONS ORALES
      1. Histoires de l’Autre
      2. Qu’est notre sagesse populaire devenue ?
      3. L’autre scène des loups
      4. Fidèles, infidèles : les usagers du conte aux prises avec leurs Juges
  • PROTÉE A L’OEUVRE DANS LE CONTE : ADAPTATIONS COMMENTAIRES ET VARIATIONS DU PETIT CHAPERON ROUGE
      1. Lectures de la version adaptée par Perrault
        1. Dans l’entre-deux-mères
        2. Censeurs aux abois
        3. Le syndrome du dénouement
        4. L’adulte mis à l’épreuve du conte
      2. Lectures de la version adaptée par les Grimm
        1. Que veut une enfant ?
        2. Que faisons-nous des Grimm ?
        3. A chacun son usage du conte
      3. Le Petit Chaperon Rouge aujourd’hui plus que jamais
        1. Les spectres du sacrilège
        2. La complainte du loup
        3. Le Petit Chaperon Rouge et la quête de l’inconnu
        4. Aux prises avec les géants de notre enfance
        5. Vers une consécration publicitaire
        6. Le Petit Chaperon Rouge ou la mémoire en abîme
      4. Pour conclure, on recommandera particulièrement le Petit Chaperon Rouge à tout adulte croyant en avoir fini avec le grand méchant loup

EAN13-9782738444134

“La première publication aux Presses universitaires de Nancy en 1993 est épuisée. Cette nouvelle édition datée de 1996 aux éditions de L’Harmattan est augmentée d’une troisième partie sur “Les Mille et une Nuits“. “Le Petit Chaperon rouge” est un conte supposé connu de tous mais il gît bien souvent dans nos mémoires à l’état de “scénario fossile” à l’usage des enfants. L’auteur propose ici à l’adulte lecteur de s’exposer, à travers les variations multiples du conte, à la charge explosive des nécessités de la transmission entre générations.”

Psychanalyste, Claude de la Genardière intervient aussi en milieu hospitalier auprès d’équipes soignantes en soins palliatifs. Auteur de “Rue Freud” (Hermann 2013), “Faire part d’enfances” (Seuil 2005), “Parentés à la renverse” (PUF 2003), “Sept familles à abattre, Essai sur le jeu des sept familles” (Seuil 2000)… L’auteure propose des commentaires et d’autres articles sur son blog personnel : CDELAGENARDIERE.BLOGSPOT.COM


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