ISTA : Li boukète èmacralèye (1917)

Temps de lecture : 5 minutes >

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Artiste touche à tout avec un égal talent, Georges ISTA (Liège 12/11/1874, Paris 6/01/1939) a animé la vie culturelle wallonne sur les scènes liégeoises durant les années précédant la Grande Guerre. Avec Maurice Wilmotte, il contribue à l’organisation du premier Congrès de l’Association internationale pour la Culture et l’Extension de la Langue française (1905). Autre facette de la riche personnalité de Georges Ista, il apparaît comme l’un des pionniers de la bande dessinée qu’il pratique de ‘façon moderne’ dès le début du XXe siècle.

Dessinateur, aquafortiste, peintre, graveur sur armes, Ista a hérité de ses ancêtres tapissiers-garnisseurs d’une grande sensibilité artistique, à laquelle il ajoute un grand souci d’exactitude et un esprit certain de fantaisie, ce qui ravit le public liégeois. Alors qu’Édouard Remouchamps et Henri Simon font le triomphe du théâtre dialectal wallon de la fin du XIXe siècle, le jeune Georges Ista dénonce une certaine facilité et en appelle à davantage de rigueur, voire d’exigence artistique. Il s’en explique dans une série d’articles publiés dans La Revue wallonne avant de se lancer lui-même dans l’écriture dramatique : entre 1905 et 1912, il écrit et fait jouer huit comédies qui sont autant d’études de mœurs, de portraits ciselés de types locaux, dont la finesse conduit à l’universel. Avec Qui est-ce qu’est l’maîsse ?, Mitchî Pèquèt, Madame Lagasse et Li babô, il fait les beaux jours du Pavillon de Flore et du « nouveau » théâtre communal wallon aidé par la ville de Liège.

Georges ISTA © DP

Cependant, il aspire à d’autres horizons. Chroniqueur dans la presse liégeoise (Journal de Liège 1906-1912, L’Express 1913-1914), il se fixe à Paris dès 1909, et fait carrière dans la presse française, où il publie d’innombrables articles. Cela ne l’empêche pas de rester en contact avec les Wallons, de continuer à collaborer à La Lutte wallonne (1911-1914), ou d’envoyer à L’Express sa chronique intitulée Hare èt hote. Défenseur de la langue wallonne autant que de la langue française, il contribue à donner une définition au régionalisme qu’il entend comme un moyen de diminuer les excès de la centralisation et comme un moyen d’atteindre une vraie égalité entre les hommes (Wallonia, 1913).

Rentré de Paris alors que la Première Guerre mondiale n’est pas encore finie, il s’installe à Sy, avec le peintre Richard Heintz (1917). Après l’Armistice, il repart définitivement à Paris où il vit de sa plume. Auteur littéraire (drames, contes, nouvelles, comédies, opérettes, revues locales, romans, chroniques, fantaisies), auteur de romans en français, Ista était l’un des nègres littéraires de Henri Gauthier-Villard, dit Willy, le célèbre critique parisien, écrivain, auteur d’une centaine d’ouvrages dont les premiers romans de Colette. À Paris, Ista a écrit notamment dans Comoedia, La Petite République, Le Rire, Le magasin pittoresque, Le Sourire, L’Œuvre, etc.

En 1975, Daniel Droixhe s’interrogeait sur la contribution de Georges Ista à une authentique tradition wallonne de la caricature ; récemment, on a (re)découvert que Georges Ista fut un excellent raconteur d’histoires qui utilisa la bande dessinée comme moyen d’expression. “Fait très rare pour l’époque dans l’imagerie, il développe ses histoires autour de héros récurrents qu’il suit au fil de leurs aventures. (…) Contrairement à la grande majorité – sinon l’ensemble – des auteurs de l’époque, Ista élève par ailleurs la pratique au rang de métier et fait, pendant une quinzaine d’années, de la bande dessinée de manière soutenue” (Fr. Paques).

Paul Delforge © Institut Destrée

Œuvres principales :

      • Titine est bizêye ! (revue, Pavillon de Flore)
      • on-n-onke Djouprèle, 1905 (théâtre)
      • Qui est-ce qu’est l’maîsse ?, 1905 (théâtre)
      • Li rôze d’argint, 1906 (théâtre)
      • Pire ou pa, 1907 (théâtre)
      • Mitchî Pèkèt, 1908 (théâtre)
      • Madame Lagasse, 1909 (théâtre)
      • Li veûl’ti, 1910 (théâtre)
      • Noyé Houssârt, (théâtre)
      • Moncheû Mouton, (théâtre)
      • Li bâbô, 1912 (théâtre)
      • La vertu de Zouzoune
      • Boukète èmacralêye (poème)
      • Li pètard (poème)
      • Pièrot vique co, 1922 (revue, Pavillon de Flore)

“…Li Mame féve des boukètes” © DR

La bouquette ensorcelée

C’était la nuit de Noël, la mère faisait des bouquettes.
Et tous les petits enfants rassemblés devant le feu,
Rien qu’à humer l’odeur qui montait de la poêle
Sentaient l’eau leur monter à la bouche et se reléchaient les doigts.

Quand un côté de la pâte était juste à point,
La mère prenait la poêle et la secouait un petit peu.
Et puis hop, la bouquette en l’air fit une pirouette
Et au milieu de la poêle se retrouvait cul vers le haut.

Laissez-moi un peu essayer, brailla la petite Marie Jeanne,
Je parie que je vais la retourner du premier coup.
Vous allez voir mère“. Et voilà notre gamine
Qui prend la poêle à deux mains, qui s’abaisse un petit peu.

Et rouf ! De toutes ses forces elle envole la bouquette.
Elle l’envola si bien qu’elle n’est jamais retombée.
On chercha tout côtés, sous l’armoire, au-dessus de la porte.
On ne retrouva jamais rien. Où était-elle passée ?

Tout le monde se le demanda et les commères du quartier
Se racontaient tout bas, la nuit, autour du feu
Que c’était surement le diable qui s’était caché sous la table
Et qui l’avait mangé sans faire ni une ni deux…

L’hiver passa, l’été ramena les verdures
Et les fêtes de la paroisse et les joyeux cramignons.
Tout le monde avait déjà oublié cette aventure
Quand la mère de Marie Jeanne fit reblanchir ses plafonds.

Voilà donc le borgne Colas, badigeonneur sans pareil
Qui arrive avec ses brosses, ses échelles et ses seaux.
Il commença par enlever les petits objets encombrants
Qu’il y avait dans la maison. Il ôta les tableaux

Qui pendaient sur les murs puis, montant sur l’escabeau,
Il décrocha le grand miroir qui s’étalait sur la cheminée
Et c’est derrière le miroir qu’on retrouva notre bouquette
Qui était là depuis six mois, encore plus dure qu’un vieux clou,

Noire comme un cul de chapeau, encore plus raide qu’une quille,
Grêlée comme une vieille poire, et en plus de tout cela,
Toute couverte de cacas de mouches et tellement moisie,
Qu’elle avait des poils encore pire qu’un angora.

Le texte en wallon liégeois est disponible dans notre POETICA

Cliquez ici pour la poetica…

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, correction et iconographie | sources : connaitrelawallonie.wallonie.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : domaine public | Remerciements à Alain Bronckart et RTC Télé Liège | Sources de l’auteur : Paul DELFORGE, Georges Ista (Encyclopédie du Mouvement wallon, Charleroi, Institut Destrée, 2001, t. II, p. 854-855) ; Daniel DROIXHE, La Vie wallonne, IV, 1975, n°352 (p. 204-207) ; Jacques PARISSE, Richard Heintz, 1871-1929 : l’Ardenne et l’Italie (Sprimont, Mardaga, 2005, p. 75) ; Maurice WILMOTTE, Mes Mémoires (Bruxelles, 19149, p. 120- et ssv) | On trouvera une honnête recette de bouquette liégeoise sur gastronomie-wallonne.be.


Plus de littérature en Wallonie-Bruxelles…

MORDANT, Henri (1927-1998)

Temps de lecture : 4 minutes >

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Pionnier de la télévision, Henri MORDANT (Herstal 02/07/1927, Liège 02/07/1998) sut imposer un style. Pédagogue, il se retrouva dans nombre de situations cocasses pour rendre simples des notions complexes. Militant wallon, il crut pouvoir rétablir sous son nom l’unité du Rassemblement wallon.

Docteur en Droit de l’Université de Liège (1950), passionné d’économie, Henri Mordant devient journaliste un peu par hasard, suite à une sollicitation de René Henoumont. Journaliste à La Meuse (1950-1953), il entre à la “radio-télévision” où il fera l’essentiel de sa carrière (1953-1992) et découvre le studio de Liège de l’INR. Conscientisé à la problématique wallonne depuis la Libération, président de la Commission littéraire de l’Association pour le Progrès intellectuel et artistique de la Wallonie, il nourrit un vrai goût pour les arts. Critique littéraire des plus avertis, auteur d’émissions littéraires et de pièces radiophoniques (Ozone), il passe au “Journal télévisé”, à Bruxelles en 1960, mais est déplacé après six semaines en raison de l’interview d’un rebelle algérien (Ortis) qui a déplu à l’ambassade de France. Soupçonnant le service radio de Liège d’aider les opposants à la Loi unique, la direction de la RTB préfère ne pas renvoyer Henri Mordant dans la Cité ardente et le désigne au bureau d’études du directeur général (1960-1961).

Au service Enquêtes et reportages ensuite, Henri Mordant fait œuvre de pionnier dans le journalisme économique, historique et social télévisuel, en lançant des séries d’émissions qui ont de forts taux d’écoute tout au long des années soixante et septante. Il y a eu Wallonie… (1962-1969), Dossier, Le Magazine des Consommateurs, Situation, les magazines de reportage Neuf millions, puis Neuf millions neuf ? Entre 1964 et 1968, une série de 118 émissions est consacrée à la Grande Guerre. Chef du service films, puis conseiller chef de service à la direction générale de la RTB (1977), Henri Mordant rédige un Code de déontologie journalistique discuté et approuvé par toutes les instances de la radiotélévision (Le petit livre émeraude). Théoricien de la “médiatisation”, il reprend du service d’antenne en créant et en animant le magazine d’informations À suivre

Pédagogue hors pair, Henri Mordant n’hésite pas à se mouiller… dans la Manche, pour expliquer le futur tunnel. Nous sommes en 1964 © sonuma

Professeur à l’INSAS (Bruxelles), il est aussi maître de conférences à l’Université de Liège où il donne cours à la section de journalisme (à partir de 1973). Créateur d’un style personnel de présentation télévisuelle, il rend accessibles des dossiers sociaux et économiques complexes. Il prétend pourtant qu’il n’a rien inventé ; il s’est simplement inspiré du style développé au Québec par un certain René Lévesque, journaliste devenu leader du Mouvement indépendantiste québecois, puis Premier ministre. Un parcours qui a peut-être donné d’autres idées à Henri Mordant.

Député wallon : 1980-1981 ; 1981-1985

© Institut Jules Destrée

Relais de nombreuses revendications wallonnes dans ses émissions, partisan de toute formule améliorant la décentralisation de la RTB, le journalisme entre résolument en politique en 1978, quand il est élu à la Chambre dans l’arrondissement de Liège sur une liste du Rassemblement wallon ; réélu en 1981, il siégera aussi au Conseil régional wallon (1980-1985). Devenu président du Rassemblement wallon en février 1979, Henri Mordant doit gérer le lourd héritage d’un parti qui fut la seconde force politique wallonne au début des années 1970 et qui n’envoie plus que quelques rares parlementaires dans les années 1980. Séduit par une alliance RW-FDF ainsi que par une stratégie Wallonie-Bruxelles qui conduit à l’absorption de la Wallonie et de Bruxelles au sein de la Communauté française, il enregistre de nombreuses défections. Président d’un parti sans électeurs et par conséquent sans élu – il cède la présidence à Fernand Massart en 1983 –, Henri Mordant quitte la politique et reprend du service à la RTBf.

Candidat malheureux à la direction de la RTBf-Liège, Henri Mordant conteste la décision et entre en conflit avec sa direction. L’affaire traînera en longueur jusqu’au moment où H. Mordant atteint la limite d’âge. Initiateur de l’émission Le Club de L’Europe (1988), il avait aussi remis sur antenne les émissions Wallonie 91-92. Retraité actif, il produit pour RTC Liège une série de sept émissions où il narre l’histoire de la Principauté de Liège (1995) et, lors des toutes premières élections régionales wallonnes de mai 1995, il se présente comme premier candidat d’une liste intitulée F.R.A.N.C.E. (Français réunis dans l’action nationale pour la coopération et l’émancipation). Il s’éteint en 1998, laissant des traces durables de ses multiples activités, et une formule qui caractérise bien son état d’esprit : “Il faut des racines solides et, pour s’entendre avec quelqu’un d’ailleurs, il faut d’abord être fortement de chez soi“.

[d’après l’Encyclopédie du Mouvement wallon, Parlementaires et ministres de la Wallonie (1974-2009), t. IV, Namur, Institut Destrée, 2010]

Paul Delforge, décembre 2014


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : Encyclopédie du Mouvement wallon | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © sonuma ; © Institut Jules Destrée.


S’engager en Wallonie-Bruxelles…

Pourquoi ne parlons nous pas tous wallon ?

Temps de lecture : 6 minutes >

Quelle est l’identité de la Wallonie ? En 1905, le 5e Congrès wallon est organisé à Liège pour observer et évaluer la place de la Wallonie dans l’Histoire et la projeter dans l’avenir. Il s’agit aussi, pour les intervenants, de préparer un programme de ‘défense‘ contre ce qu’ils appellent ‘les exagérations flamingantes‘.

Ce Congrès de 1905 a-t-il porté ses fruits ? A-t-on assisté, par la suite, à ce que l’on pourrait appeler la légitimation culturelle de la Wallonie ? Eléments de réponse avec Maud GONNE, chargée de recherches du FNRS en études de la traduction.

Le contexte national

Sept ans plus tôt, le vote de la loi d’Egalité, appelée loi de 1898 ou loi Coremans-De Vriendt, a profondément modifié le paysage de la Belgique. Elle stipule que les lois sont désormais votées, sanctionnées et publiées en français et en néerlandais. “Cela n’a l’air de rien, mais c’est un grand pas vers l’instauration du bilinguisme en Belgique tel qu’on le connaît aujourd’hui. Cela va provoquer de nombreuses tensions” souligne Maud Gonne. Le fait de mettre le français et le flamand sur le même pied est ressenti comme injuste par les militants wallons, qui ne voient pas de raison d’imposer le flamand partout en Belgique. La configuration professionnelle risque d’en être bouleversée, avec un recul du recrutement côté wallon.

Les congrès qui ont eu lieu précédemment dans diverses villes wallonnes, entre 1890 et 1893, visaient surtout à défendre le français à Bruxelles. Le Congrès de 1905 est particulier parce qu’il va tenter, pour la première fois, et en réponse à cette loi, de définir une identité wallonne, d’exalter une âme wallonne.

Le Mouvement wallon

Parmi les pionniers du Mouvement wallon, on compte les membres fondateurs de la revue Wallonia, Archives wallonnes d’autrefois, créée en 1892. Le libéral Julien DELAITE, va, quant à lui, fonder en 1897 La Ligue wallonne de Liège, qui possédera son propre organe de presse jusqu’en 1902 : L’Âme wallonne.

Liège joue un rôle prépondérant dans cette question wallonne et lors de ce Congrès wallon. En tant que principauté indépendante jusqu’à la révolution française, elle a son histoire, sa singularité à mettre en avant. La Ligue wallonne de Liège décide d’organiser ce 5e Congrès wallon dans le cadre de l’Exposition universelle de 1905 qui se tient à Liège, date qui correspond au 75e anniversaire de l’indépendance de la Belgique.

Le Congrès entend exclure toute considération politique, rester en dehors de tout esprit de parti. Or on sait bien que tout ce qui a trait à la langue est politique, en Belgique… Le terme ‘politique de races‘ est évoqué de façon omniprésente. “Nous n’attaquons pas les Flamands mais nous entendons flageller les exagérations flamingantes qui menacent l’intégrité de la Patrie belge. Nous voulons aussi mettre en lumière ce que les Wallons furent dans le passé, ce qu’ils réalisent dans le présent et ce à quoi ils aspirent pour l’avenir“, dira Julien Delaite dans son discours. Peu avant le congrès de Liège, le député anversois Coremans avait en effet déclaré : “Les Wallons ont un passé sans gloire.”

La place du wallon dans la vie courante

A partir de 1830, la Belgique est une nation où l’élite au pouvoir parle le français et où la bourgeoisie est bilingue ; dans le nord du pays, franco-flamande, dans le sud du pays, franco-wallonne. Le peuple parle des dialectes, flamands, wallons, germaniques. Il existe très peu de preuves officielles de la présence du wallon, car la langue n’est pas prise en compte lors des recensements linguistiques. Toute personne qui parle wallon est assimilée au français. Une étude indique quand même que jusque 1920, 80% de la population préférait utiliser le wallon pour communiquer avec les autorités locales, ce qui prouve qu’ils ne parlaient pas wallon qu’entre eux. Au début du 20e siècle, le wallon est toujours omniprésent.

La place du wallon dans la vie publique et politique

Le Congrès de 1905 a lieu principalement en français. Le wallon est utilisé pour quelques interactions plus symboliques : une commémoration à Sainte Walburge, avec un discours en wallon, pour commémorer l’implication des Wallons dans la Révolution belge de 1830. Et au banquet final, on chante bien sûr en wallon. La place du wallon dans la vie publique, dans l’administration, l’éducation, la justice, est au centre des débats.

Julien Delaite remet en question la loi de 1898 qui permet d’être jugé en flamand, aussi bien en Flandre qu’à Bruxelles. Elle est injuste pour les Wallons, parce qu’on utilise le terme ‘vlaamse taal‘, langue flamande. Ce qui veut dire qu’on met une langue, le français, et ce qu’on considère comme une myriade de dialectes, sur le même niveau.

Les perspectives pour un locuteur d’un dialogue ou d’une langue ne sont évidemment pas les mêmes au niveau professionnel. Les militants wallons ont peur pour l’émancipation sociale des jeunes Wallons. S’ils doivent apprendre un autre dialecte, plutôt qu’une langue nationale, comme l’anglais ou l’allemand, c’est problématique. Et les discours n’ont pas changé aujourd’hui“, observe Maud Gonne.

Julien Delaite exige que les magistrats aient au moins une connaissance orale du wallon, pour être sûr que l’inculpé puisse comprendre les débats et pour s’assurer qu’il n’y ait pas un corps de magistrats principalement flamands actif en Wallonie. Il revendique aussi le bilinguisme franco-wallon pour les fonctionnaires en contact avec le public, en Wallonie.

Les traducteurs sont très présents en Flandre depuis le début. La traduction est l’arme du Mouvement flamand pour imposer peu à peu la langue flamande au niveau national. En Wallonie, ce n’est pas institutionnalisé. C’est là que le bât va blesser…

Le wallon dans l’éducation

La langue de l’éducation est un autre point de débat au congrès. Le bilinguisme flamand-français est nécessaire en Flandre. Alors pourquoi pas le bilinguisme wallon-français en Wallonie ?

La question de l’enseignement du wallon en Wallonie est très peu abordée parce que cela reste une question fort symbolique. Les philologues souhaiteraient que le wallon soit mis à l’honneur, car le français est déjà pour les jeunes Wallons une langue étrangère. Le flamand serait un frein à l’ascension sociale de ces jeunes qui doivent déjà apprendre une langue étrangère” explique Maud Gonne.

Entre modérés et radicaux, le débat va se focaliser finalement sur le français par rapport au flamand. Le wallon est ainsi instrumentalisé pour imposer et conserver le français au niveau national et pour maintenir l’élite francophone en place.

Ce Congrès de 1905 a-t-il porté ses fruits ?

© La Boverie

Le Congrès de 1905 va réussir pour un temps à construire une identité wallonne, qui s’exporte de plus en plus. On publie de plus en plus d’ouvrages sur l’originalité wallonne, des traductions se font vers le wallon, on organise des expositions d’art wallon…

La Première Guerre Mondiale va hélas provoquer une rupture, déjà parce qu’en 1918, un élan de patriotisme suit la Libération. On met de côté les différends régionaux. Par ailleurs, à partir de 1921, la loi du monolinguisme territorial et du bilinguisme à Bruxelles fait passer à la trappe la question de la langue wallonne. En 1920, une chaire de dialectologie s’ouvre à l’Académie belge et dès lors, le wallon n’a plus aucune chance de devenir une langue. Après 1918, l’instruction publique devient obligatoire et se passe en français, ce qui va marquer le déclin du wallon.

Pour Maud Gonne, une bonne politique de la traduction aurait pu participer, en renforçant sa visibilité et son identité, à la sauvegarde du wallon, qui malheureusement aujourd’hui est fort menacé. L’identité culturelle wallonne est, quant à elle, toujours bien présente, même si elle est plutôt faible par rapport à l’identité culturelle flamande.


Le même sujet (validé par des historiens) est disponible sur le site Connaître la Wallonie qui a été chargé de la diffusion en ligne de l’Encyclopédie du Mouvement wallon, fruit du travail opiniâtre, entre autres, de Paul Delforge, historien ULiège à l’Institut Jules Destrée :

30 septembre, 1er et 2 octobre 1905 : le Congrès wallon de Liège révélateur de l’identité de la Wallonie

“À l’occasion de l’Exposition universelle de Liège, en 1905, la Ligue wallonne de Liège organise un important Congrès wallon. Présidé par Julien Delaite, il peut être considéré comme le réel point de départ du mouvement wallon politique qui, comme l’écrira Émile Jennissen, “prend conscience de ses véritables destinées : tous les griefs de la Wallonie furent examinés, ses ressources et son originalité furent mises en relief et l’on dressa un vaste programme d’action wallonne”. De nombreux rapports ont été rédigés par des spécialistes pour l’occasion ; de manière rigoureuse, ils mettent en évidence ce qu’ils considèrent comme les traits originaux des Wallons dans les domaines artistiques, linguistiques, littéraires, politiques, sociaux et économiques. Les débats font ressortir une réelle spécificité wallonne au sein de la Belgique et servent de révélateur.”

Paul Delforge


Discuter encore…

GHEUDE : 31 janvier 2021, François Perin aurait eu 100 ans

Temps de lecture : 7 minutes >

“Professeur, homme politique, écrivain… De ces trois casquettes, c’est, sans conteste, la première que François PERIN (Liège 31/01/1921, Liège 26/09/2013) préféra porter. Par son érudition, son sens de la pédagogie, son verbe électrisant, son humour caustique, le professeur de Droit public à l’Université de Liège aura marqué bien des générations d’étudiants.

L’influence qu’il exerça dans le monde politique belge de la seconde moitié du XXe siècle fut, elle aussi considérable. Elle débuta en 1961, avec le rôle de propagandiste-conférencier qu’il joua aux côtés d’André Renard lors de l’aventure du “Mouvement Populaire Wallon“, issue de la grande grève de l’hiver 60-61.

Un tribun, un agitateur d’idées était né qui, durant les deux décennies qui suivirent, allait se démener pour fustiger l’incurie et l’immobilisme des dirigeants politiques et amener ceux-ci à entreprendre l’indispensable réforme institutionnelle de l’Etat. Son nom reste aujourd’hui associé à cette loi du 1er août 1974 créant des institutions régionales à titre préparatoire à l’application de l’article 107 quatre de la Constitution ; loi qu’en tant que ministre de la Réforme des Institutions, il mit au point avec son homologue flamand, Robert Vandekerckhove.

François Perin avait approfondi l’histoire du Mouvement populaire flamand. Il avait parfaitement conscience que la Belgique ne pourrait résister aux coups de boutoir du nationalisme flamand et qu’elle finirait par “imploser“. Ce fut l’une des raisons qui l’amena à démissionner du Sénat, le 26 mars 1980 :

(…) Je ne parviens plus, en conscience, à croire en l’avenir de notre Etat. (…) La Belgique est malade de trois maux, incurables et irréversibles. Le premier mal, je l’ai dit antérieurement, est le nationalisme flamand, qu’il s’avoue ouvertement ou non. Le second, c’est que la Belgique est livrée à une particratie bornée, souvent sectaire, partisane, partiale, parfois d’une loyauté douteuse au respect de la parole donnée et de la signature, mais très douée pour la boulimie avec laquelle elle investit l’Etat en jouant des coudes, affaiblissant son autorité, provoquant parfois le mépris public. Le troisième mal, c’est que la Belgique est paralysée par des groupes syndicaux de toutes natures (…), intraitables et égoïstes, irresponsables, négativistes et destructeurs finalement de toute capacité de l’Etat de réformer quoi que ce soit en profondeur. Et il n’y a rien, ni homme, ni mouvement d’opinion, pour remettre cela à sa place et dégager l’autorité de l’Etat au nom d’un esprit collectif que l’on appelle ordinairement la nation, parce que, dans ce pays, il n’existe plus de nation. Voici, Monsieur Le Président, ma démission de sénateur. Je reprendrai, en conséquence, en solitaire, le chemin difficile des vérités insupportables. Adieu.

François Perin n’était pas qu’un verbo-moteur. Il possédait également le don de l’écriture. Une écriture aussi décapante que ses discours et avec laquelle, en 1981, il s’occupera des Germes et bois morts dans la société politique contemporaine (Editions Rossel). Six ans plus tard, il se fera historien pour nous relatera l’Histoire d’une nation introuvable (Editions Paul Legrain).

Mais il y aussi l’intérêt de François Perin pour de nombreux thèmes de type philosophico-spirituel. Dans Franc-parler, en 1996 (Editions Quorum), il plaidera en faveur d’une “rénovation de la pensée humaniste dégagée des gangues du christianisme et du rationalisme“.

Le jardin secret de François Perin nous révèle un être fasciné par la vie contemplative :

L’apport de la pensée orientale éclaire d’un jour tout à fait lumineux l’insoluble problème de la Trinité qui, par son absurdité rationnelle, a amené le rationalisme critique et la déchristianisation de notre société. (…) Il faut rentrer en nous et y retrouver l’éternel qui dépasse notre contingence éphémère. Une telle attitude engendrera une morale du détachement, de la sérénité et du désintéressement total. Faute de retrouver une inspiration profonde susceptible de la rééquilibrer, notre société industrielle, avec son contexte d’agressivité, de compétition et d’énervement perpétuel, jettera l’espèce humaine dans l’autodestruction.

Propos tenus lors d’une soirée organisée par
le Lion’s Club au château de Spontin,
le 13 novembre 1980

ISBN : 978-2-39001-027-2

Edmond Blattchen précisera qu’il doit à François Perin, qui fut son professeur, le fait d’avoir produit et présenté l’émission télévisée de la RTBF Noms de dieux. Outre les trois ouvrages précités, notons encore d’innombrables chroniques de presse consacrées aux thèmes les plus divers. François Perin possédait les qualités d’un homme d’Etat : vision des choses à long terme, désintéressement total. Mais il était né dans un non-Etat. A maints égards, il n’est pas sans nous rappeler Voltaire, dont il partageait d’ailleurs le profil acéré et le regard malicieux. Le testament politique qu’il livra dans sa dernière interview au Soir, le 6 août 2010, trouve un écho particulier après la dernière crise politique que nous venons de traverser :

Le nationalisme flamand est bien ancré. Il est porté tantôt avec une virulence, et une haine, par certains, tantôt avec un louvoiement prudent par d’autres, mais il ne s’arrête pas, il ne s’arrête jamais. (…) Je souhaite donc le scénario suivant : la proclamation d’indépendance de la Flandre, une négociation pacifique de la séparation et du sort de Bruxelles, et la Wallonie en France. C’est mon opinion. On va hurler ! Mais enfin…”

Jules Gheude, biographe de François Perin
et essayiste politique (GEWIF)

“Docteur en Droit de l’Université de Liège (1946), François Perin entre au Conseil d’État, comme substitut (1948) et demande à être mis en disponibilité en 1961. Assistant à temps partiel de Walter Ganshof van der Meersch, professeur de Droit public à l’Université libre de Bruxelles (1954), chef de Cabinet adjoint auprès du ministre de l’Intérieur Pierre Vermeylen (1954), chargé du cours de Droit constitutionnel à l’Université de Liège (1958), il devient professeur ordinaire en 1968, en charge notamment du cours de Droit constitutionnel.

Membre du groupe Esprit (1954), cofondateur du CRISP (1958), François Perin contribue à l’écriture du programme du Mouvement populaire wallon (1961), dont il est l’un des responsables actifs. Après le décès d’André Renard (1962), Fr. Perin qui est en froid avec le PSB, lance un nouveau parti wallon (1964). Élu député dans l’arrondissement de Liège en 1965, il devient ainsi (avec Robert Moreau) le premier mandataire choisi sur une liste exclusivement wallonne. En 1968, le Parti wallon s’est structuré et, sous l’effet du Walen buiten, de nombreuses sections fleurissent en pays wallon sous le nom de Rassemblement wallon. En 1971, le parti de François Perin devient la deuxième force politique de Wallonie.

Régulièrement réélu député dans l’arrondissement de Liège (1965-1977), ce spécialiste du droit, imaginatif et inventif, joue un rôle majeur lors des travaux du groupe des XXVIII (1968-1969) qui planche sur une réforme de l’État. Tous les négociateurs s’accordent à attribuer à François Perin et à Freddy Terwagne la paternité de l’idée de faire reconnaître, dans la Constitution, l’existence des Régions et de leur accorder des pouvoirs règlementaires dans un certain nombre de matières bien déterminées. En d’autres termes, ils apparaissent comme les pères de l’article 107 quater introduit dans la Constitution lors de sa révision en décembre 1970.

En l’absence d’une simultanéité dans la mise en place des Communautés (revendication flamande) et des Régions (revendication wallonne), François Perin pousse le Rassemblement wallon à accepter de soutenir le gouvernement Tindemans, en 1974, en échange de la mise en place d’une régionalisation préparatoire. Avec son collègue CVP Robert Vandekerckhove, le ministre Fr. Perin est le père de la loi ordinaire du 1er août 1974 qui définit notamment les limites de la Wallonie, la dote d’un budget, de compétences, d’un Comité ministériel et d’un Conseil régional au rôle consultatif. C’est une amorce d’application de l’article 107 quater. Ne disposant pas d’une majorité spéciale, la formule est transitoire ; elle permet de faire exister la région wallonne pour la première fois dans un cadre démocratique.

Premier membre d’un gouvernement belge issu d’un parti régionaliste, F. Perin est ministre des Réformes institutionnelles ; il est aussi membre du premier Comité ministériel des Affaires wallonnes (4 octobre 1974) dont il démissionne (15 décembre 1975). Auteur d’un Rapport politique très remarqué (printemps 1976), le ministre Perin lance de nouvelles pistes pour améliorer l’ensemble du fonctionnement de l’État, mais sans les avoir fait valider par son parti. Au-delà des idées, la forme accentue des tensions antérieures. Le 8 décembre 1976, Fr. Perin quitte avec fracas le gouvernement Tindemans IIbis, ainsi que le Rassemblement wallon pour contribuer à la fondation du Parti des Réformes et de la Liberté de Wallonie.

Coopté au Sénat par le PRLW (1977-1978), puis élu directement dans l’arrondissement de Liège (1978-1980), il entend se consacrer entièrement à la politique belge et défendre l’idée de la communautarisation. Dès lors, il prend une part très active et constructive lors des discussions qui se déroulent à la Haute Assemblée, [voir ci-dessus] … il déplore les carences irréversibles de l’État et remet sa lettre de démission, séance tenante, au président du Sénat. Le 26 mars 1980, il met ainsi un terme à sa « carrière » politique.

Il retrouve à plein temps sa charge professorale à l’Université de Liège jusqu’à son admission à l’éméritat (1986). En 1983, il renonce à son adhésion au PRL. Membre de nombreux mouvements tout en conservant son indépendance, il demeure un militant wallon actif, défenseur de l’identité française de la Wallonie. Attiré par l’option du rattachement de la Wallonie à la France dès les années nonante, il ne cache pas sa sympathie pour une telle formule. Régulièrement appelé à commenter l’actualité politique belge, Fr. Perin a aussi développé une grande curiosité pour les questions religieuses.”

Paul DELFORGE, dans Encyclopédie du Mouvement wallon,
Parlementaires et ministres de la Wallonie (1974-2009),
t. IV, Namur, Institut Destrée, 2010, p. 483-485


Plus de presse…