FRANCE, Anatole : On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels (L’Humanité, 18 juillet 1922)

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Cher citoyen Cachin,

Je vous prie de signaler à vos lecteurs le récent livre de Michel Corday, Les Hauts Fourneaux, qu’il importe de connaître. On y trouvera sur les origines de la conduite de la guerre des idées que vous partagerez et qu’on connaît encore trop mal en France ; on y verra notamment (ce dont nous avions déjà tous deux quelque soupçon) que la guerre mondiale fut essentiellement l’œuvre des hommes d’argent, que ce sont les hauts industriels des différents États de l’Europe qui, tout d’abord, la voulurent, la rendirent nécessaire, la firent, la prolongèrent. Ils en firent leur état, mirent en jeu leur fortune, en tirèrent d’immenses bénéfices et s’y livrèrent avec tant d’ardeur, qu’ils ruinèrent l’Europe, se ruinèrent eux-mêmes et disloquèrent le monde.

© DP

Écoutez Corday, sur le sujet qu’il traite avec toute la force de sa conviction et toute la puissance de son talent. — “Ces hommes-là, ils ressemblent à leurs hauts fourneaux, à ces tours féodales dressées face à face le long des frontières, et dont il faut sans cesse, le jour, la nuit, emplir les entrailles dévorantes de minerai, de charbon, afin que ruisselle au bas la coulée du métal. Eux aussi, leur insatiable appétit exige qu’on jette au feu, sans relâche, dans la paix, dans la guerre, et toutes les richesses du sol, et tous les fruits du travail, et les hommes, oui, les hommes mêmes, par troupeaux, par armées, tous précipités pêle-mêle dans la fournaise béante, afin que s’amassent à leurs pieds les lingots, encore plus de lingots, toujours plus de lingots… Oui, voilà bien leur emblème, leurs armes parlantes, à leur image. Ce sont eux les vrais hauts fourneaux !

Ainsi, ceux qui moururent dans cette guerre ne surent pas pourquoi ils mouraient. Il en est de même dans toutes les guerres. Mais non pas au même degré. Ceux qui tombèrent à Jemmapes ne se trompaient pas à ce point sur la cause à laquelle ils se dévouaient. Cette fois, l’ignorance des victimes est tragique. On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels.

Gillam Bernhard, Les protecteurs de nos industries (Puck, 1883) © DP

Ces maîtres de l’heure possédaient les trois choses nécessaires aux grandes entreprises modernes : des usines, des banques, des journaux. Michel Corday nous montre comment ils usèrent de ces trois machines à broyer le monde. Il me donna, notamment, l’explication d’un phénomène qui m’avait surpris non par lui-même, mais par son excessive intensité, et dont l’histoire ne m’avait pas fourni un semblable exemple : c’est comment la haine d’un peuple, de tout un peuple, s’étendit en France avec une violence inouïe et hors de toute proportion avec les haines soulevées dans ce même pays par les guerres de la Révolution et de l’Empire. Je ne parle pas des guerres de l’ancien régime qui ne faisaient pas haïr aux français les peuples ennemis. Ce fut cette fois, chez nous, une haine qui ne s’éteignit pas avec la paix, nous fit oublier nos propres intérêts et perdre tout sens des réalités, sans même que nous sentions cette passion qui nous possédait, sinon parfois pour la trouver trop faible.

Michel Corday montre très bien que cette haine a été forgée par les grands journaux, qui restent coupables, encore à cette heure, d’un état d’esprit qui conduit la France, avec l’Europe entière, à sa ruine totale. “L’esprit de vengeance et de haine, dit Michel Corday, est entretenu par les journaux. Et cette orthodoxie farouche ne tolère pas la dissidence ni même la tiédeur. Hors d’elle, tout est défaillance ou félonie. Ne pas la servir c’est la trahir.”

Gaza © unicef.fr

Vers la fin de la guerre, je m’étonnais devant quelques personnes de cette haine d’un peuple entier comme d’une nouveauté que l’on trouvait naturelle et à laquelle je ne m’habituais pas. Une dame de beaucoup d’intelligence et dont les mœurs étaient douces assura que si c’était une nouveauté, cette nouveauté était fort heureuse. “C’est, dit-elle, un signe de progrès et la preuve que notre morale s’est perfectionnée avec les siècles : la haine est une vertu ; c’est peut-être la plus noble des vertus.” Je lui demandais timidement comment il est possible de haïr tout un peuple : “Pensez, madame, un peuple entier c’est grand… Quoi ? Un peuple composé de millions d’individus, différents les uns des autres, dont aucun ne ressemble aux autres, dont un nombre infiniment petit a seul voulu la guerre, dont un nombre moindre encore en est responsable, et dont la masse innocente en a souffert mort et passion. Haïr un peuple, mais c’est haïr les contraires, le bien et le mal, la beauté et la laideur.

Quelle étrange manie ! Je ne sais pas trop si nous commençons à en guérir. Je l’espère. Il le faut. Le livre de Michel Corday vient à temps pour nous inspirer des idées salutaires. Puisse-t-il être entendu ! L’Europe n’est pas faite d’États isolés, indépendants les uns des autres. Elle forme un tout harmonieux. En détruire une partie, c’est offenser les autres. Notre salut c’est d’être bons Européens. Hors de là, tout est ruine et misère.
Salut et fraternité,

Anatole FRANCE


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Anatole France : un écrivain notoire de la IIIe République

[GALLICA.BNF.FR, 10 décembre 2024] À l’occasion du centième anniversaire de la disparition d’Anatole France (1844-1924), ce billet revient sur son œuvre et son parcours. Écrivain engagé et auteur majeur de la IIIe république, il subit cependant lors de son décès des attaques portant ombrage à la postérité de son œuvre.

De son vrai nom, François Anatole Thibault, il est né le 16 avril 1844 à Paris et est mort le 12 octobre 1924 à Saint-Cyr-sur-Loire (Indre-et-Loire). Dès les origines, déjà les livres et la littérature : son père était libraire. Anatole France est à la fois romancier, nouvelliste et critique. D’abord icône de la Nation – voir quel pseudonyme (“France”) il s’est justement choisi ! – il n’échappe pas, de son vivant, à la verve satirique et au crayon caricatural [l’article original propose des caricatures d’Anatole France, voir ici…]

L’écrivain et critique Jules Lemaître (1853-1914), membre de l’Action française, évoque ainsi en 1909 cet esprit libre, sa marque la plus sûre, dans Les Hommes du jour. Il devient toutefois par la suite la cible des Surréalistes, notamment de Louis Aragon et d’André Breton. Ce tract surréaliste publié à la mort d’Anatole France constitue une publication à charge […]

Anatole France est l’image même de l’homme engagé, témoin de son temps. Ainsi dénonce-t-il le génocide arménien. Il soutient alors l’écrivain et poète Archag Tchobanian (1872-1954) : “M. Tchobanian partage, avec le père Charmetant, l’honneur d’avoir dénoncé au peuple français cet épouvantable égorgement qui demeurait depuis de longs mois un secret diplomatique.” Il s’engage ardemment dans le camp dreyfusard ce qui participe à sa postérité. Au lendemain de la publication de J’accuse d’Émile Zola en janvier 1898, il signe la première pétition, dite des intellectuels qui réclamne la révision du procès de l’officier. On retrouve cet engagement dans Monsieur Bergeret à Paris. Il exprime également son admiration pour Jean Jaurès, dans la préface à l’ouvrage de Charles Rappoport, Jean Jaurès : l’homme, le penseur, le socialiste (1915) : “Je viens de lire votre livre sur Jaurès. Je l’admire et l’approuve du commencement à la fin. Vous seul pouviez embrasser ainsi les aspects de ce vaste génie.

Publié en 1881, Le crime de Sylvestre Bonnard est le premier roman d’Anatole France. Sylvestre Bonnard est un érudit menant une vie austère entouré de livres. Son principal compagnon est un chat nommé Hamilcar, “prince somnolent de la cité des livres.” Il cherche un manuscrit du XIVe siècle de la traduction française de La Légende dorée, de Jacques de Voragine. L’auteur donne à réfléchir ici sur un certain type de fanatisme : l’amour absolu de l’érudit bibliophile pour les livres. À travers une enquête passionnante, il rend son personnage attachant en le confrontant à des dilemmes éminemment humains. Anatole France reçu pour cette œuvre le prix Montyon de l’Académie Française en 1882.

Son Histoire contemporaine est parue entre 1897 et 1901 en quatre volumes. Cette œuvre est une satire de la France de la IIIe république, à travers une peinture de mœurs. Le fil conducteur est la personne de M. Bergeret, professeur de lettres classiques. Le premier volume, L’Orme du mail, décrit des milieux ecclésiastiques bien éloignés des principes qu’ils sont censés prêcher. C’est un monde d’intrigues. L’anticléricalisme point dans certains passages. Il y décrit des esprits faibles, manipulables par les supérieurs ecclésiastiques, en vue d’accroître leur pouvoir et dénonce leur dogmatisme. Parfois, il met en avant la dureté de ces milieux cléricaux. Notamment quand l’Abbé Lantaigne renvoie Firmin Piédagnel du séminaire : “Vous ne faites plus partie de cette maison.” Dans la deuxième partie, Le Mannequin d’osier, M.Bergeret est comme enfermé dans sa vie étroite. La description de son cabinet de travail semble une métaphore de sa vie. Il oppose ses pensées à la réalité bien moins glorieuse : “Ce cabinet de travail où le maître de conférence aiguisait ses fines pensées d’humaniste n’était qu’un recoin difforme.” M. Bergeret semble vivre dans ses rêves, afin d’échapper au réel. La description d’une villa idyllique personnifie le rêve qui se heurte au réel : “M. Bergeret attristé par l’inélégance de sa vie étroite, rêva de quelque villa où, sur une blanche terrasse, au bord d’un lac bleu, il mènerait de paisibles entretiens.

Les dieux ont soif, roman publié en 1912, narre l’histoire d’Evariste Gamelin qui devient juré au Tribunal révolutionnaire. Cette histoire se passe sous la Terreur de 1793-1794. Le principal protagoniste semble emblématique du personnel des sections révolutionnaires. Evariste Gamelin paraît se penser comme moral, dans le camp de la vérité, par opposition à l’ancienne société pensée comme immorale : “Il y reconnaissait la dépravation monarchique et l’effet honteux de la corruption des cours.” L’ambiance de soupçon et de délation propre à la Terreur est présente. Evariste Gamelin affirme que “La Révolution fera pour les siècles le bonheur du genre humain.” Il incarne en cela les excès, la rigidité et la médiocrité de celui qui fait preuve d’une foi sans borne en la Révolution et qui, pour finir, enverra à la mort nombre de ses semblables. C’est ce que le personnage de Maurice Brotteaux, son opposé, a pour fonction de mettre en lumière : “J’ai l’amour de la raison, je n’en ai pas le fanatisme […] La raison nous guide et nous éclaire ; quand vous en aurez fait une divinité, elle vous aveuglera, et vous persuadera des crimes.” À l’inverse de Gamelin, Brotteaux fait preuve d’une prudente mesure face aux fanatismes à l’œuvre dans cette époque troublée. Evariste Gamelin finit d’ailleurs guillotiné à la suite du 9 thermidor an II.

France est élu à l’Académie française en 1896 et obtient le prix Nobel de littérature en 1921. C’est un sceptique, et les personnages qui peuplent ses romans le prouvent : nous pourrions prendre pour exemple l’Abbé Lantaigne dans L’Orme du mail, ou Evariste Gamelin dans Les dieux ont soif. C’est bien cette propension au doute que relève l’écrivain René Jeanne, dans un article publié dans La Herse. Paul Verlaine, dans la revue littéraire Les Hommes d’aujourd’hui du 1er janvier 1890, lui rend un hommage. Autre prestigieux admirateur : Marcel Proust, qui le rencontra dans le salon de Madame Arman de Caillavet. Il lui demande de préfacer Les Plaisirs et les jours. Puis il s’inspirera de l’écrivain pour créer le personnage de Bergotte, dans À la recherche du temps perdu. À ses obsèques, le 18 octobre 1924, la foule fut immense à rendre un dernier hommage au grand écrivain.

Thierry Pastorello, BnF


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Plus d’engagement en Wallonie…

CONLANGUES : Les langues elfiques de Tolkien, plus populaires que l’espéranto

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[LIBERATION.FR, 30 janvier 2017] L’écrivain britannique Tolkien et le médecin polonais Zamenhof ont créé les deux langues imaginaires les plus populaires au monde. Cent ans après, le Dothraki, inventé par David J. Peterson pour la série Game of Thrones, trouve sa source à la fois dans l’espéranto et les langues de Tolkien.

JRR Tolkien a commencé à écrire la Chute de Gondolin après la Première Guerre mondiale, tandis qu’il tentait de se remettre de la fièvre des tranchées, contractée au cours de la bataille de la Somme, il y a cent ans de cela. La Chute de Gondolin est la première histoire de ce qui deviendra son ‘legendarium’ soit toute l’œuvre consacrée aux aventures elfiques, une mythologie qui sous-tend les trois romans du Seigneur des Anneaux. Mais au-delà de la fiction, JRR Tolkien était également passionné par une autre forme de création : la construction de langages imaginaires.

En cette même année 1916, à l’autre bout de l’Europe, Ludwik Zamenhof mourait dans son pays d’origine, la Pologne. Lui aussi avait été obsédé toute sa vie par l’invention de nouveaux langages, et en 1887, il sortait un livre pour présenter la langue qu’il avait créée de toutes pièces. La méthode était signée du pseudonyme Doktoro Esperanto (“docteur qui espère“, en espéranto !), qui par extension devint le nom de la langue elle-même.

La création de langues imaginaires, ou ‘conlangues’ est riche d’une longue histoire, qui remonte au XIIe siècle. Tolkien et Zamenhof sont sans aucun doute ceux qui ont remporté les plus grands succès en la matière. Pourtant, leurs objectifs étaient très différents ; leurs inventions respectives mènent à deux pistes diamétralement opposées.

Zamenhof, un juif polonais qui a grandi dans un pays où la xénophobie était monnaie courante, pensait qu’avec un langage universel, on pourrait enfin aspirer à une coexistence pacifique. Il écrit ainsi que si le langage est “le moteur essentiel de la civilisation“, “la difficulté à comprendre les langues étrangères cause de l’antipathie, voire de la haine, entre les gens.” Son projet était de créer un langage simple à apprendre, sans lien avec une nation ou une culture particulière, qui aiderait à unir l’humanité.

En tant que ‘langue auxiliaire internationale’, l’espéranto a connu un franc succès. Tout au long de son histoire, plusieurs millions d’individus l’ont pratiqué. Et même s’il est difficile de faire des estimations exactes, aujourd’hui encore, jusqu’à un million de personnes le parlent. Il existe un grand nombre de livres en espéranto, et il y a même un musée de l’espéranto en Chine. Au Japon, Zamenhof est honoré comme un dieu par une branche du shintoïsme dont les adeptes parlent l’espéranto. Pourtant, le rêve d’harmonie mondiale de Zamenhof est resté utopique. Et à sa mort, tandis que la Première Guerre mondiale déchirait l’Europe, son optimisme n’était plus du tout d’actualité.

Langues imaginaires

JRR Tolkien était lui-même un fervent supporter de l’espéranto ; il pensait qu’une telle langue pourrait aider les pays d’Europe à cheminer vers la paix après la Première Guerre mondiale. Mais sa motivation pour créer de nouveaux langages était toute autre. Il ne cherchait pas à améliorer le monde, mais plutôt à en créer un nouveau, un univers de fiction. Il qualifiait son intérêt pour l’invention linguistique de ‘vice secret’, et disait que son but était esthétique plutôt que pragmatique. Il se plaisait avant tout à faire correspondre le son, la forme et le sens de façon originale.

Pour donner corps aux langues qu’il inventait, il avait besoin de les appuyer sur une mythologie. En tant qu’entités vivantes, toujours en évolution, les langues tirent leur vitalité de la culture de ceux qui les utilisent. C’est exactement ce qui a conduit Tolkien à créer son univers de fiction. “L’invention des langues est à l’origine de tout“, écrit-il ainsi, “Les histoires ont été inventées plutôt pour fournir un monde aux langues et non l’inverse.

Qu’en est-il des ‘conlangues‘ aujourd’hui ? Cent ans après la mort de Zamenhof, à bien des égards, l’art de la construction linguistique est plus populaire que jamais. Citons le Dothraki, dans Game of Thrones. Cette langue a été inventée par David J Peterson pour la série tirée des romans de George RR Martin. Or, le Dothraki trouve sa source à la fois dans l’espéranto et dans les langues imaginées par Tolkien.

C’est en prenant un cours sur l’espéranto à l’université que Peterson s’est d’abord intéressé aux conlangues. Martin, de son côté, admet que sa saga est, à bien des égards, une réponse au Seigneur des Anneaux. Il inclut d’ailleurs mille références linguistiques au monde de Tolkien, comme autant d’hommages : le mot ‘warg’, par exemple, qui signifie “une personne qui peut projeter sa conscience dans les esprits des animaux“, est un mot que Tolkien emploie pour désigner une espèce de loup.

Il semble donc que la tradition tolkienienne de construction d’un monde fantastique ait mieux fonctionné que l’espéranto. Il y a peut-être deux raisons à cela.

La première est linguistique. Paradoxalement, le concept de Tolkien est plus proche de la façon dont les langues fonctionnent dans le monde réel. Ses langues elfiques, telles qu’elles sont représentées dans son œuvre, sont vivantes et évolutives. Elles reflètent la culture des communautés qui les parlent.

Le principe d’une langue auxiliaire internationale est de fournir un code stable, qui peut être facilement appris par n’importe qui. Mais les langues humaines ne sont jamais statiques ; elles sont toujours dynamiques, toujours diversifiées. Donc, l’espéranto comporte un défaut fondamental dans sa conception même.

Et la deuxième raison ? Eh bien, peut-être que de nos jours, nous avons plus envie de nous consacrer à la création de mondes fantastiques, plutôt que de chercher comment réparer le monde réel.

Philip Seargeant, The Open University


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, édition et iconographie | sources : liberation.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © AI Translator.


Traduire encore en Wallonie…

L’Europe commence ici ! Les Architectes de Paix

C’est une histoire formidable qui vous est contée lors de cette exposition inédite ; celle de la paix en Europe. Le Mundaneum s’allie avec le Palais de la Paix (La Haye, NL) pour célébrer les « architectes de la paix ».

La paix, un « work in progress »

La paix résulte d’un long et laborieux processus de construction. Dans toute l’Europe, des hommes et des femmes ont contribué à faire de l’Union européenne une zone pacifiée. Parmi ces acteurs, il y a le Palais de la Paix à La Haye, Pays-Bas, et le Mundaneum, à Mons. Le premier a agi pour la paix grâce au droit international et à la coopération, le second grâce à la culture et la connaissance partagée. L’exposition « L’Europe commence ici ! Les architectes de paix » vous propose de découvrir leur histoire. Une exposition où les visiteurs retrouveront l’ADN européen ; sa culture, son identité, ses valeurs…

Mort d’Isao TAKAHATA (1935-2018), réalisateur du « Tombeau des lucioles »

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Le tombeau des lucioles (1988) (c) Studio Ghibli

Cofondateur avec le réalisateur Hayao Miyazaki du studio Ghibli, producteur et réalisateur de films d’animation comme Le Tombeau des lucioles ou Le Conte de la princesse Kaguya, nommé aux Oscars en 2015, le Japonais Isao TAKAHATA est mort jeudi 5 avril à 82 ans. Fervent pacifiste et critique de la politique du gouvernement actuel du premier ministre conservateur Shinzo Abe, il était hospitalisé à Tokyo pour un cancer des poumons.

Né en 1935 à Ujiyamada (aujourd’hui Ise) dans le département de Mie, au centre du pays, dans une famille de sept enfants dont le père Asajiro Takahata (1888-1984) était très impliqué dans les questions d’éducation, il étudie la littérature française à la prestigieuse université de Tokyo et se passionne notamment pour l’œuvre du poète Jacques Prévert (1900-1977).

Isao Takahata rejoint en 1959 la société de production Toei, notamment par intérêt pour l’animation qu’il a découverte au travers du travail de Paul Grimault (1905-1994), réalisateur du Roi et l’Oiseau, d’après La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen (1805-1875). Sa première réalisation est la série Ken, l’enfant loup (1963).

« Amis immédiatement » avec Miyazaki

La même année, Hayao Miyazaki est à son tour embauché par Toei. Les deux hommes se rapprochent par le biais d’activités syndicales. « Nous sommes devenus amis immédiatement », a déclaré Isao Takahata. Les deux réalisent leur premier film en 1968, Horus, prince du soleil.

Au cours de leurs presque cinquante années de collaboration – non sans quelques rivalités –, ils ont travaillé sur de multiples projets comme la série Heidi, la petite fille des Alpes (1974) et, en 1984, le long-métrage Nausicaä de la vallée du vent, grand succès qui les amènera à créer le studio Ghibli en 1985, avec le producteur Toshio Suzuki. S’ensuivent vingt-six créations qui ont rencontré un succès planétaire. Le Voyage de Chihiro a même reçu un Oscar en 2003.

Tour à tour producteur et réalisateur, Isao Takahata, surnommé « Paku » par MM. Suzuki et Miyazaki, s’illustre par son perfectionnisme. Dans le livre Dans le studio Ghibli – travailler en s’amusant (Ed. Kana, 2011), Toshio Suzuki explique qu’Isao Takahata a “passé en revue toutes les archives de l’époque” pour savoir de quel côté arrivaient les B-29 pour la scène du bombardement du Tombeau des lucioles. “Même les pains représentés dans Heidi ont été dessinés après des recherches approfondies”, ajoute M. Suzuki.

“La tortue rouge” (2016) de Michael Dudok de Wit est également une co-production du Studio Ghibli
Méfiance envers le numérique

Attaché au réalisme, Isao Takahata disait ne pas apprécier l’usage de personnages dotés de superpouvoirs. Même s’il ne dessinait pas lui-même, il se méfiait du développement du numérique. Avant, déclarait-il, “l’animation était plate et à deux dimensions. Elle ne pouvait pas prétendre au réalisme. Mais c’était là son point fort : en gardant tout à plat, elle laissait au spectateur la liberté d’imaginer ce qu’il y avait derrière l’image”. Le studio Ghibli a toujours produit des films dessinés à la main, ce qui a fini par lui causer des problèmes de rentabilité en 2014.

Les thèmes de ses œuvres pouvaient être variés même s’il rejoignait Hayao Miyazaki dans son attachement à la protection de l’environnement. Le studio Ghibli a d’ailleurs pris position pour la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima en 2011.

Proche du Parti communiste, Isao Takahata était profondément pacifiste. Ayant survécu à un bombardement américain en juin 1945 sur Okayama au cours duquel il avait fui sa maison en pyjama avec l’une de ses sœurs, il a participé, en 2015, au mouvement d’opposition au projet du gouvernement de M. Abe de faire adopter des lois sécuritaires visant à faciliter le recours à la force armée par le Japon. Il est l’un des fondateurs du groupe Eigajin Kyujo no Kai (“Les cinéastes pour l’article 9″) pour la défense de l’article 9 de la Constitution, proclamant le renoncement à la guerre du Japon.

En conférence de presse, en 2015, cet éternel amoureux de la culture française et par ailleurs Officier des Arts et Lettres, déclarait préférer, à la citation latine “Si tu veux la paix, prépare la guerre”, le vers du poète Jacques Prévert : “Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix” (du poème Cagnes-sur-Mer, 1953).

La tortue rouge (2016)

Source : Article de Philippe MESMER sur LEMONDE.FR (6 avril 2018)


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