CONLANGUES : Les langues elfiques de Tolkien, plus populaires que l’espéranto

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[LIBERATION.FR, 30 janvier 2017] L’écrivain britannique Tolkien et le médecin polonais Zamenhof ont créé les deux langues imaginaires les plus populaires au monde. Cent ans après, le Dothraki, inventé par David J. Peterson pour la série Game of Thrones, trouve sa source à la fois dans l’espéranto et les langues de Tolkien.

JRR Tolkien a commencé à écrire la Chute de Gondolin après la Première Guerre mondiale, tandis qu’il tentait de se remettre de la fièvre des tranchées, contractée au cours de la bataille de la Somme, il y a cent ans de cela. La Chute de Gondolin est la première histoire de ce qui deviendra son ‘legendarium’ soit toute l’œuvre consacrée aux aventures elfiques, une mythologie qui sous-tend les trois romans du Seigneur des Anneaux. Mais au-delà de la fiction, JRR Tolkien était également passionné par une autre forme de création : la construction de langages imaginaires.

En cette même année 1916, à l’autre bout de l’Europe, Ludwik Zamenhof mourait dans son pays d’origine, la Pologne. Lui aussi avait été obsédé toute sa vie par l’invention de nouveaux langages, et en 1887, il sortait un livre pour présenter la langue qu’il avait créée de toutes pièces. La méthode était signée du pseudonyme Doktoro Esperanto (“docteur qui espère“, en espéranto !), qui par extension devint le nom de la langue elle-même.

La création de langues imaginaires, ou ‘conlangues’ est riche d’une longue histoire, qui remonte au XIIe siècle. Tolkien et Zamenhof sont sans aucun doute ceux qui ont remporté les plus grands succès en la matière. Pourtant, leurs objectifs étaient très différents ; leurs inventions respectives mènent à deux pistes diamétralement opposées.

Zamenhof, un juif polonais qui a grandi dans un pays où la xénophobie était monnaie courante, pensait qu’avec un langage universel, on pourrait enfin aspirer à une coexistence pacifique. Il écrit ainsi que si le langage est “le moteur essentiel de la civilisation“, “la difficulté à comprendre les langues étrangères cause de l’antipathie, voire de la haine, entre les gens.” Son projet était de créer un langage simple à apprendre, sans lien avec une nation ou une culture particulière, qui aiderait à unir l’humanité.

En tant que ‘langue auxiliaire internationale’, l’espéranto a connu un franc succès. Tout au long de son histoire, plusieurs millions d’individus l’ont pratiqué. Et même s’il est difficile de faire des estimations exactes, aujourd’hui encore, jusqu’à un million de personnes le parlent. Il existe un grand nombre de livres en espéranto, et il y a même un musée de l’espéranto en Chine. Au Japon, Zamenhof est honoré comme un dieu par une branche du shintoïsme dont les adeptes parlent l’espéranto. Pourtant, le rêve d’harmonie mondiale de Zamenhof est resté utopique. Et à sa mort, tandis que la Première Guerre mondiale déchirait l’Europe, son optimisme n’était plus du tout d’actualité.

Langues imaginaires

JRR Tolkien était lui-même un fervent supporter de l’espéranto ; il pensait qu’une telle langue pourrait aider les pays d’Europe à cheminer vers la paix après la Première Guerre mondiale. Mais sa motivation pour créer de nouveaux langages était toute autre. Il ne cherchait pas à améliorer le monde, mais plutôt à en créer un nouveau, un univers de fiction. Il qualifiait son intérêt pour l’invention linguistique de ‘vice secret’, et disait que son but était esthétique plutôt que pragmatique. Il se plaisait avant tout à faire correspondre le son, la forme et le sens de façon originale.

Pour donner corps aux langues qu’il inventait, il avait besoin de les appuyer sur une mythologie. En tant qu’entités vivantes, toujours en évolution, les langues tirent leur vitalité de la culture de ceux qui les utilisent. C’est exactement ce qui a conduit Tolkien à créer son univers de fiction. “L’invention des langues est à l’origine de tout“, écrit-il ainsi, “Les histoires ont été inventées plutôt pour fournir un monde aux langues et non l’inverse.

Qu’en est-il des ‘conlangues‘ aujourd’hui ? Cent ans après la mort de Zamenhof, à bien des égards, l’art de la construction linguistique est plus populaire que jamais. Citons le Dothraki, dans Game of Thrones. Cette langue a été inventée par David J Peterson pour la série tirée des romans de George RR Martin. Or, le Dothraki trouve sa source à la fois dans l’espéranto et dans les langues imaginées par Tolkien.

C’est en prenant un cours sur l’espéranto à l’université que Peterson s’est d’abord intéressé aux conlangues. Martin, de son côté, admet que sa saga est, à bien des égards, une réponse au Seigneur des Anneaux. Il inclut d’ailleurs mille références linguistiques au monde de Tolkien, comme autant d’hommages : le mot ‘warg’, par exemple, qui signifie “une personne qui peut projeter sa conscience dans les esprits des animaux“, est un mot que Tolkien emploie pour désigner une espèce de loup.

Il semble donc que la tradition tolkienienne de construction d’un monde fantastique ait mieux fonctionné que l’espéranto. Il y a peut-être deux raisons à cela.

La première est linguistique. Paradoxalement, le concept de Tolkien est plus proche de la façon dont les langues fonctionnent dans le monde réel. Ses langues elfiques, telles qu’elles sont représentées dans son œuvre, sont vivantes et évolutives. Elles reflètent la culture des communautés qui les parlent.

Le principe d’une langue auxiliaire internationale est de fournir un code stable, qui peut être facilement appris par n’importe qui. Mais les langues humaines ne sont jamais statiques ; elles sont toujours dynamiques, toujours diversifiées. Donc, l’espéranto comporte un défaut fondamental dans sa conception même.

Et la deuxième raison ? Eh bien, peut-être que de nos jours, nous avons plus envie de nous consacrer à la création de mondes fantastiques, plutôt que de chercher comment réparer le monde réel.

Philip Seargeant, The Open University


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Traduire encore en Wallonie…

Mort d’Isao TAKAHATA (1935-2018), réalisateur du « Tombeau des lucioles »

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Le tombeau des lucioles (1988) (c) Studio Ghibli

Cofondateur avec le réalisateur Hayao Miyazaki du studio Ghibli, producteur et réalisateur de films d’animation comme Le Tombeau des lucioles ou Le Conte de la princesse Kaguya, nommé aux Oscars en 2015, le Japonais Isao TAKAHATA est mort jeudi 5 avril à 82 ans. Fervent pacifiste et critique de la politique du gouvernement actuel du premier ministre conservateur Shinzo Abe, il était hospitalisé à Tokyo pour un cancer des poumons.

Né en 1935 à Ujiyamada (aujourd’hui Ise) dans le département de Mie, au centre du pays, dans une famille de sept enfants dont le père Asajiro Takahata (1888-1984) était très impliqué dans les questions d’éducation, il étudie la littérature française à la prestigieuse université de Tokyo et se passionne notamment pour l’œuvre du poète Jacques Prévert (1900-1977).

Isao Takahata rejoint en 1959 la société de production Toei, notamment par intérêt pour l’animation qu’il a découverte au travers du travail de Paul Grimault (1905-1994), réalisateur du Roi et l’Oiseau, d’après La Bergère et le Ramoneur de Hans Christian Andersen (1805-1875). Sa première réalisation est la série Ken, l’enfant loup (1963).

« Amis immédiatement » avec Miyazaki

La même année, Hayao Miyazaki est à son tour embauché par Toei. Les deux hommes se rapprochent par le biais d’activités syndicales. « Nous sommes devenus amis immédiatement », a déclaré Isao Takahata. Les deux réalisent leur premier film en 1968, Horus, prince du soleil.

Au cours de leurs presque cinquante années de collaboration – non sans quelques rivalités –, ils ont travaillé sur de multiples projets comme la série Heidi, la petite fille des Alpes (1974) et, en 1984, le long-métrage Nausicaä de la vallée du vent, grand succès qui les amènera à créer le studio Ghibli en 1985, avec le producteur Toshio Suzuki. S’ensuivent vingt-six créations qui ont rencontré un succès planétaire. Le Voyage de Chihiro a même reçu un Oscar en 2003.

Tour à tour producteur et réalisateur, Isao Takahata, surnommé « Paku » par MM. Suzuki et Miyazaki, s’illustre par son perfectionnisme. Dans le livre Dans le studio Ghibli – travailler en s’amusant (Ed. Kana, 2011), Toshio Suzuki explique qu’Isao Takahata a “passé en revue toutes les archives de l’époque” pour savoir de quel côté arrivaient les B-29 pour la scène du bombardement du Tombeau des lucioles. “Même les pains représentés dans Heidi ont été dessinés après des recherches approfondies”, ajoute M. Suzuki.

“La tortue rouge” (2016) de Michael Dudok de Wit est également une co-production du Studio Ghibli
Méfiance envers le numérique

Attaché au réalisme, Isao Takahata disait ne pas apprécier l’usage de personnages dotés de superpouvoirs. Même s’il ne dessinait pas lui-même, il se méfiait du développement du numérique. Avant, déclarait-il, “l’animation était plate et à deux dimensions. Elle ne pouvait pas prétendre au réalisme. Mais c’était là son point fort : en gardant tout à plat, elle laissait au spectateur la liberté d’imaginer ce qu’il y avait derrière l’image”. Le studio Ghibli a toujours produit des films dessinés à la main, ce qui a fini par lui causer des problèmes de rentabilité en 2014.

Les thèmes de ses œuvres pouvaient être variés même s’il rejoignait Hayao Miyazaki dans son attachement à la protection de l’environnement. Le studio Ghibli a d’ailleurs pris position pour la sortie du nucléaire après la catastrophe de Fukushima en 2011.

Proche du Parti communiste, Isao Takahata était profondément pacifiste. Ayant survécu à un bombardement américain en juin 1945 sur Okayama au cours duquel il avait fui sa maison en pyjama avec l’une de ses sœurs, il a participé, en 2015, au mouvement d’opposition au projet du gouvernement de M. Abe de faire adopter des lois sécuritaires visant à faciliter le recours à la force armée par le Japon. Il est l’un des fondateurs du groupe Eigajin Kyujo no Kai (“Les cinéastes pour l’article 9″) pour la défense de l’article 9 de la Constitution, proclamant le renoncement à la guerre du Japon.

En conférence de presse, en 2015, cet éternel amoureux de la culture française et par ailleurs Officier des Arts et Lettres, déclarait préférer, à la citation latine “Si tu veux la paix, prépare la guerre”, le vers du poète Jacques Prévert : “Si tu ne veux pas la guerre, répare la paix” (du poème Cagnes-sur-Mer, 1953).

La tortue rouge (2016)

Source : Article de Philippe MESMER sur LEMONDE.FR (6 avril 2018)


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