THIELEMANS, Jean-Baptiste dit “Toots” (1922-2016)

Temps de lecture : 16 minutes >

Apparu sur les scènes belges à la même époque que Jaspar ou Thomas et s’intéressant d’emblée à la même musique qu’eux, prêt comme eux à tout quitter pour cette musique, Toots Thielemans aura un parcours tout à fait différent. Tandis que Jaspar et Thomas sont aujourd’hui oubliés, Toots est une des seules vedettes internationales de la sphère du jazz.

Une jeunesse bruxelloise

Jean-Baptiste Thielemans voit le jour dans le quartier des Marolles, au coeur populaire de Bruxelles. 65 ans plus tard, dans le living de Toots, vedette internationale, on trouve une plaque avec cette mention, fièrement mise en valeur : “… Je suis un authentique marollien de la rue Haute…”. Dès sa petite enfance, le petit “Jeanke” Thielemans (Toots n’apparaîtra que bien plus tard) se frotte à la musique, à la musique populaire précisément : au “Trapken Af”, le café que tiennent ses parents rue Haute, se produit tous les dimanches un accordéoniste dont l’enfant imite bientôt les gestes et les mimiques. Il le fait avec une telle conviction que, pressentant que ce “ketje” veut jouer de l’accordéon, son père lui achète, alors qu’il n’a que deux ans, son premier instrument. Caché derrière cet accordéon aussi grand que lui, Jean donne bientôt de petites représentations qui lui valent, on s’en doute, un franc succès auprès des clients qui ont alors droit à quelques airs issus des opérettes de Franz Lehar.

En 1927, la famille Thielemans quitte les Marolles pour Molenbeek-Saint-Jean et au décor quotidien du café, succède celui d’un magasin appelé “Au palais du cache-poussière” ! Comme tous les enfants, Jean passe le plus clair de son temps sur les bancs de l’école, primaire d’abord, secondaire ensuite, à l’Athénée de Koekelberg. Et c’est désormais pour ses copains de classe qu’il donne de temps à autre quelques petits concerts d’accordéon. En 1929, il participe à un premier tournoi pour accordéonistes. La même année, il commence à s’intéresser tout particulièrement à un instrument plus commode à transbahuter d’un endroit à l’autre : l’harmonica (la “musique à bouche”), instrument bien plus répandu à l’époque qu’aujourd’hui. C’est, semble-t-il, à la suite d’une maladie que s’est opérée cette mutation : alité pendant de longues semaines, il ne peut que difficilement manier son accordéon. En 1939, Jean Thielemans s’achète son premier “vrai” harmonica chromatique.

Peu avant la guerre, on le retrouve inscrit à l’Université Libre de Bruxelles, section mathématiques. Etudes interrompues par les  « événements » et pour lui comme pour tant d’autres, commence le scénario classique : évacuation en France, puis retour au pays après la capitulation, et adaptation au nouveau mode de vie de l’Occupation. C’est à cette époque que sera abordé le tournant décisif : Thielemans devient un auditeur assidu des émissions de jazz diffusées par les radios françaises et anglaises. Sans cette découverte du jazz – d’autant plus passionnée que le jazz fait un peu office alors de musique  « maudite » dans l’idéologie allemande – Thielemans serait sans doute devenu ingénieur et le monde de la musique aurait été privé d’un de ses plus grands interprètes. Tout au long de l’Occupation, il va chercher à en savoir toujours davantage sur cette musique sulfureuse. Il rencontre quelques-uns des personnages qui font autorité à Bruxelles en matière de jazz : Carlos de Radzitsky et Albert Bettonville, détenteurs d’une collection qui fait rêver les nouveaux venus.

Toots Thielemans à la guitare
De Jean-Baptiste à Toots

En 1941, se situe un autre événement déterminant : alors que Django Reinhardt est devenu son idole, un de ses amis, propriétaire d’une guitare mais piètre guitariste, lui lance un jour en guise de défi :  « Quand tu pourras jouer l’intro de ‘Sweet Georgia Brown’ comme Django Reinhardt, ma guitare sera à toi… ». Jean Thielemans ne se le fait pas dire deux fois et se retrouve bientôt possesseur d’une guitare, qui deviendra son second instrument. Il commence à jouer avec d’autres jeunes musiciens, comme lui férus de jazz. On possède deux acétates, probablement enregistrés en 1943, qui sont en fait la première trace discographique du futur Toots. Dans les studios Polyvox (Bruxelles), sont ainsi gravés  « Les yeux noirs » « Solitude »« Dixieland Detour » et  « Saint-Louis ». Absorbé de plus en plus par la musique, Jean ne terminera pas ses études. A la fin de la guerre, son choix est fait : comme son  « collègue » liégeois René Thomas – dont il fera bientôt la connaissance – comme le jeune vibraphoniste d’Andenne Sadi Lallemand, il se consacrera à la musique et rien qu’à la musique (à l’époque, Jaspar et Pelzer sont toujours étudiants). A la Libération, il se retrouve plongé dans le tourbillon musical que suscite la présence des Américains. Comme tout le monde, il joue pour eux dans les restcamps, officier’s clubs, etc. Puis en 1945, le trompettiste Herman Sandy lui propose de remplacer André Meersch au sein de son orchestre, un orchestre qui, sous le nom de Jazz Hot va devenir une des trois meilleures formations du pays (avec les Internationals et les Bob-Shots). On y trouve le saxophoniste Raymond Lauwers, le pianiste Gene Kempf et le batteur Jackie Thunis.

Le Jazz Hot sera au centre des folles nuits du “Duc de Buckingham” à Blankenberge, et du “Grand Siècle” à Bruxelles. Estimant que le prénom de Jean-Baptiste n’était pas ce qu’on pouvait trouver de plus swinguant, Jackie Thunis lui propose de s’appeler désormais Toots (comme les Américains Toots Camarata et Toots Mondello). Jean accepte et bientôt, dans le milieu du jazz en tout cas, on ne le connaît plus que sous le nom de Toots Thielemans, réputé comme l’un des bons guitaristes de la capitale et un des seuls jazzmen à essayer de produire des phrases jazz à l’harmonica. En janvier 1946, il est membre de l’orchestre de Robert De Kers, une des formations « pros » les plus en vue. Marcel Colbrant et Henri Winkeler ont alors la formidable idée de filmer l’orchestre pour la société anversoise “Animated Cartoons“. Et c’est ainsi qu’un court métrage intitulé “Modern Mood” nous permet, 40 ans plus tard, de voir Toots jouer aux côtés de Jean Robert, Fernand Fonteyn, etc., dans le contexte swing tout à fait réjouissant. Un joyau ! La même année, il enregistre quelques titres avec l’accordéoniste Rudd Wharton, avec l’orchestre d’Yvon De Bie (les fameux “Rose Room” et “Berceuse Nègre“) et il entre dans la formation de Ruddy Bruder, alors basée à la Malmaison. Parmi ses premiers enregistrements, on peut encore rappeler le disque Olympia réalisé avec Fud Leclerc en février 1947 et sur lequel était enregistré le célébrissime “Hey ! Ba-be-re-bop” qui fit la gloire de Lionel Hampton.

Le rêve américain

Mais déjà, dans sa tête, une idée folle, démesurée commence à prendre de plus en plus de place : tant qu’à jouer du jazz, pourquoi ne pas essayer de le faire au pays même du jazz, aux Etats-Unis ? En 1947, trois ans avant le départ de Jaspar pour Paris, neuf ans avant que ce dernier ne parte lui aussi pour la Mecque, Jean “Toots” Thielemans, considéré dès cette époque comme l’un des meilleurs instrumentistes jazz en Belgique, accompagne son oncle qui doit effectuer un voyage d’affaires aux Etats-Unis. Arrivé à New York, il fait le tour des clubs, son harmonica en poche et, introduit par un photographe dont il avait la connaissance, découvre ainsi la magie des lieux saints du jazz : le “Three Deuces” entre autres. C’est le début des grandes rencontres : le trompettiste Howard Mc Ghee, le guitariste Chuck Wayne, les pianistes Billy Taylor et Lennie Tristano deviennent ses premiers partenaires américains – car, on le devine, l’harmonica ne reste pas longtemps dans la poche de Toots. En 1948, il écrit pour la revue belge “L’Actualité Musicale”, une série de lettres. Dans l’une d’elles, on peut lire : “ … Après avoir joué huit jours à New York, me voici à Miami. Ai entendu Chuck Wayne. J’ai joué sur sa guitare et il n’en revient pas qu’on puisse jouer du be-bop rien qu’en entendant des disques…”. Billy Shaw, l’impresario de Benny Goodman, l’entend et lui promet de “faire de lui le roi belge du be-bop”. Toots a en effet entre temps découvert les harmonies et les entrelacs du bop et, séduit, s’est attaqué à cette musique nouvelle, tant à la guitare qu’à l’harmonica – qu’il est alors le seul au monde à orienter dans cette voie ! De retour en Belgique, il enregistre donc, à ses frais, quelques acétates (“Laura”, “Stardust”, etc.) qu’il envoie aussitôt à Billy Shaw, pour recevoir en fin de compte une réponse de Benny Goodman lui-même. Le “King of Swing” lui propose en toute simplicité d’entrer dans le nouveau combo qu’il monte pour le Paramount Theatre à New York ! Malheureusement, quand on est européen, on ne devient pas facilement musicien aux Etats-Unis. Des questions de visa et de permis de travail empêchent Toots de rejoindre le fameux orchestre.

Toots Thielemans (Chicago, 1957)

En Belgique, auréolé malgré tout par ces propositions et ses contacts new-yorkais, Toots Thielemans est devenu une vedette. Il est acclamé lors des fameuses jams de l’Onyx Club, et le Hot Club Magazine en parle dès cette époque comme d’une des “plus grandes figures du jazz belge actuel”. Il franchit encore un jalon important au Festival de Nice en 1948 où il se produit avec les solistes des Bob-Shots dans une formation dirigée par Jean Leclère. C’est là qu’il a l’occasion d’entendre pour la première fois en direct Louis Armstrong qui lui arrache ses premières “larmes musicales”. L’année suivante, autre festival, autres lauriers, autre consécration, il se retrouve à l’affiche du Festival de Paris (1949) au même programme que Charlie Parker et Miles Davis (l’autre formation belge présente au Festival étant les Bob-Shots). Sur le disque rendant compte de la jam-session qui clôtura ce festival, on trouve les noms de Charlie Parker, Sidney Bechet, Miles Davis et… Toots Thielemans ! Comme les Bob-Shots, Toots a d’ailleurs l’occasion, lors de ce premier séjour parisien, de graver également, le 13 mai exactement, quelques disques pour le label Pacific. A ses côtés, Francis Coppieters (p), Jean Warland (b) et John Ward (dm), les deux derniers cités jouant aussi sur les disques des boppers liégeois. Le 22 août 1949, Toots Thielemans se marie avec Netty et la même année, lors d’une tournée en Italie, il participe à une séance d’enregistrement en compagnie de Flavio Ambrosetti, Gilberto Cuppini, Hazy Osterwald, Ernst Hollerhagen, etc. A Rome, il rencontre… Benny Goodman ! Celui-ci se souvenant des disques que Billy Shaw lui avait fait entendre, lui propose de le rejoindre sur la scène du Palladium à Londres. C’est le début de l’engrenage au terme duquel l’attend un succès qu’il n’aurait jamais osé espérer.

Les concerts scandinaves

La formation de Goodman compte alors quelques prestigieux musiciens : le trompettiste Roy Eldridge, le saxophoniste Zoot Sims (avec qui Toots enregistrera quelques faces à Stockholm en avril), le pianiste Dick Hyman, le batteur Ed Shaughnessy, etc., au milieu desquels, loin de détonner, il s’intègre parfaitement. Le sextette tourne au Danemark, en Suède, etc. et partout, l’accueil est enthousiaste : lors de son passage au Casino de Knokke et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la presse belge réserve une place importante à l’événement et tout particulièrement à la présence de Toots Thielemans au milieu des grandes vedettes américaines.

Mais pour la carrière de Thielemans, les concerts les plus importants ont peut-être été ceux effectués en Scandinavie. Le courant passe dès le premier abord entre le Marollien et les Suédois. Dans les années qui suivent, Toots séjournera de nombreux mois à Stockholm où il aura l’occasion de lier connaissance de manière approfondie avec Charlie Parker, rencontré sur scène de la salle Pleyel en 1949. En 1950-1951, le Bird lui aussi se sent comme chez lui en Suède, où il vit peut-être ses derniers mois de bonheur. Un soir de novembre, alors que Toots se produit avec l’organiste Reinhold Svensson dans un hôtel de Stockholm, il voit entrer Charlie Parker. Aussitôt, il entame, suivi par son partenaire, le célèbre Lover Man, reproduisant note pour note le chorus de Parker qu’il a évidemment écouté mille fois. Bird s’approche, sidéré et, à la fin du morceau, serre la main de Toots et lui dit que ce qu’il vient d’entendre est le plus grand hommage qu’on puisse rendre à sa musique… et d’ouvrir son portefeuille afin de récompenser Toots à coup de dollars. Moment particulièrement intense pour un jazzman européen, faut-il le dire, que cet enthousiasme du maître lui-même !

Par la suite, Toots et le Bird auront l’occasion de passer ensemble plus d’une nuit nordique. Et lorsqu’ils se retrouvent aux States, Parker engagera notamment son ami pour une semaine au Earl Theatre de Philadelphie à une époque, hélas, où Charlie Parker était au bout du rouleau. “Quelques fois, nous devions soulever Bird afin qu’il tienne debout, et lui mettre son saxophone aux lèvres. Mais même dans ces moments-là, il jouait admirablement bien”. Pendant un certain temps, Toots va aussi “navetter” entre Stockholm (où il enregistre plusieurs disques, dont un supervisé par Léonard Feather, avec Arne Domnerus et Rolf Ericson) et Bruxelles (où il retrouve, toujours avec plaisir, au détour d’un studio, ses amis Bill Alexandre, Billy Desmedt, Gus Deloof, Jean Warland, etc.). Mais l’appel des States se fait de plus en plus pressant et fin 1952, il s’embarque à nouveau en direction de New York, espérant bien que, cette fois, c’est la bonne.

Back to the USA

Pour se conformer à la réglementation américaine sur l’immigration, il commence par travailler pour la Sabena, puis décide de prendre la nationalité américaine. Le pas décisif est franchi. Toots se trouve un appartement à Manhattan, dont l’écrivain Arthur Miller est le voisin. Un nouveau musicien américain est né. Très vite, il séduit le public, “les” publics car – et c’est une constante dans sa carrière – il joue désormais sur les deux tableaux : admiré des amateurs de jazz pur et des musiciens pour sa musicalité et sa virtuosité, il est également prisé du grand public auquel il délivre régulièrement des pièces plus commerciales, plus proches de la variété que du jazz. Sa réputation l’a d’ailleurs précédé dans certaines sphères. Ainsi, plusieurs de ses disques commerciaux réalisés en Belgique (“Happy go lazy”, “Latin Quartet“, etc.) ont été adoptés aux Etats-Unis par les fameux Harmonicats !

Les grandes rencontres ne tardent pas à s’effectuer. La première année de son émigration, il se produit au Down Beat Jazz Club avec Charlie Parker et le groupe de Max Roach. A Philadelphie, il travaille avec Jackie Davis au Show Boat. Il enregistre son premier disque américain – sous le nom de Jon Tilmans – le 6 décembre 1952 (avec Dick Hyman et Harry Reser). Quelques semaines plus tard, il rentre en studio, en sideman cette fois, avec Dinah Washington et Wardell Gray ! Mais c’est surtout sa rencontre avec Georges Shearing, alors très populaire auprès du public américain, qui lui vaudra sa véritable et définitive intégration au monde du spectacle U.S. Shearing lui propose d’entrer dans son fameux quintette. Il y restera environ sept ans !  “C’est le seul travail vraiment fixe que j’aie eu de toute ma vie” dira Toots avec un clin d’œil.

Les premiers enregistrements avec Shearing datent de mars 1953, amorçant une série au terme de laquelle le nom de Toots sera connu aux quatre coins du monde jazz. “Au début, j’ai eu un petit coup de feu à la guitare que je n’avais pas touchée depuis la tournée Goodman. Après une quinzaine de jours, j’ai eu tous les arrangements dans les doigts, quoique certains soient assez compliqués. Shearing a été charmant avec moi et n’a cessé de m’encourager. Dans les band, j’ai retrouvé le bassiste Al Mc Kibbon, venu en Belgique avec l’orchestre de Dizzy, le drummer Bill Clark et le vibraphoniste Joe Roland, tous d’excellents musiciens et copains parfaits” (Act Mus. 1992). Aux côtés de Shearing, Toots fait le tour des grandes villes américaines : New York, Boston, Chicago, Pittsburgh, Los Angeles, San Francisco, et pousse même jusqu’à Toronto et Haïti.

Amené parfois à se produire dans un orchestre renforcé, il adopte, pour pouvoir se faire entendre, un système d’amplification particulier qui fait de son harmonica un instrument à part entière, un instrument auquel Shearing décide d’ailleurs de consacrer un concerto ! Au hasard de ses tribulations, Toots rencontre de vieilles connaissances : Jack Kluger à New York, Jackie Thunis à Spokane, Malou Honey et Joe Lenski lors d’une jam chez Marian Mc Partland. Et les années passent. 1955, lorsqu’on l’interroge sur ses souvenirs, Toots finit toujours par évoquer – et on le comprend – une certaine tournée à travers les Etats-Unis avec le “Birdland All Stars” : “Pour moi, ce voyage tenait du prodige. Nous étions tous dans le même autocar : Count Basie et John Williams, Billie Holiday avec ses chihuahuas sur les genoux, Lester Young toujours à l’arrière. Toutes mes idoles étaient bel et bien là et je pouvais leur tenir compagnie : Philly Joe Jones, Miles Davis, Cannonball Adderley, Tommy Flanagan, … Et j’étais toujours assis à côté d’Eddy Jones, le gros bassiste de Count Basie, parce qu’on était en plein hiver et qu’il avait un long manteau en cuir, bien fourré, contre lequel nous essayions tous deux de rester au chaud. Le vibraphoniste de Shearing et moi, nous étions les seuls blancs à bords”. Pour réaliser l’émotion que devait représenter ce genre d’expérience, il faut se souvenir qu’à l’époque, Toots Thielemans était loin d’être aussi connu qu’aujourd’hui ; côtoyer les géants était encore nouveau pour lui. Et à propos de “reconnaissance”, rappelons que cette même année 1955 est celle de l’enregistrement de l’album “The Sound”. Un album qui nous semble presque “banal” aujourd’hui qu’il nous a donné mille autres preuves – souvent bien plus intenses encore – de sa puissance expressive et de son talent. Mais en 1955, ce disque marque un tournant dans sa carrière : enregistré sous son nom avec des musiciens comme Ray Bryant, Oscar Pettitford, Toots Mondello, etc., il reçoit quatre étoiles dans le magazine Down Beat !

Toots Thielemans
Vers la naissance de “Bluesette”

En 1956, autres rencontres de taille : le quintette de Shearing joue au légendaire “Basin Street Club”, en alternance avec la formation de Max Roach dans laquelle se trouvent alors… Clifford Brown et Sonny Rollins ! Toots Thielemans reçoit à cette occasion, de la bouche de Clifford Brown, un compliment qui restera à jamais gravé dans sa mémoire, le grand trompettiste lui signifie qu’à son avis, joué comme il en jouait, l’harmonica était un véritable instrument de jazz et ne devait plus être noyé, lors des référendums, dans la catégorie floue “instruments divers”

35 ans plus tard pourtant, c’est toujours dans cette catégorie qu’est classé Toots (en tête bien sûr). En 1957, Toots enregistre un album décisif pour Riverside : “Man Bites Harmonica“, avec comme sideman, rien moins que Pepper Adams (bs), Kenny Drew (p), Wilbur Ware (b) et Art Taylor (dm). Il fait désormais partie du Cénacle Majeur. Pendant les années 1957-1958-1959, il enregistre sans cesse avec Shearing (plus de vingt albums !). En 1959, il signe l’album “The Soul of Toots Thielemans” avec les frères Bryant (Ray au piano et Tom à la basse) et le batteur Oliver Jackson, et il enregistre avec un autre Européen américanisé, l’altiste Arne Domnerus. En 1960, il rentre en Europe pour quelques temps, travaillant à Berlin avec Kurt Edelhagen, à Stockholm avec Harry Arnold (pour un album étonnant dans lequel la radio suédoise a invité différents solistes : Nat Adderley, Benny Bailey, Coleman Hawkins, Lucky Thompson, et… Toots), à Paris avec Georges Arvanitas, en Italie, etc.

C’est sans doute pendant ce séjour qu’il ajoute une nouvelle corde à son arc : il produit en effet un nouveau “sound” qui va faire fureur et qu’il obtient en doublant ses phrases de guitare en sifflant ! C’est avec cette même formule qu’un soir de 1962, lors d’un concert donné à l’Université Libre de Bruxelles en compagnie de Stéphane Grapelli, il chantonne pour la première fois, dans sa loge, la mélodie qui le rendra riche et célèbre : “Bluesette”. Grapelli l’entend et l’encourage à développer cette mélodie. Quelques temps plus tard, probablement en juin 1963, Toots grave dans un studio suédois, pour l’album “The Whistler and his guitar“, la première version de son “tube”, la première d’une longue série. “Bluesette” deviendra non seulement l’indicatif de Toots, mais un véritable standard, repris au répertoire des plus grandes vedettes de jazz et de variété (Sarah Vaughan, Ray Charles, …). C’est l’étape ultime au-delà de laquelle Toots Thielemans figure désormais parmi les Grands du show-business international.

De retour aux Etats-Unis (1964), il fréquente tant le milieu du jazz que le milieu “variété”, travaillant avec de géants tels que Quincy Jones, Phil Woods, Freddy Hubbard, J.J. Johnson, Mc Coy Tyner, Clark Terry, Herbie Hancock, Astrud Gilberto, Peggy Lee, etc., devenant un habitué des studios new-yorkais et une “guest-star” souvent sollicitée. Les albums enregistrés à son nom – souvent dans un contexte commercial – se multiplient. Dans les bandes sonores des films produits tant aux Etats-Unis qu’en Europe, on entend monter la plainte de l’harmonica de l’homme des Marolles : “Midnight Cowboy“, “Sugarland Express“, “The Gateway“, “Salut l’artiste” et des dizaines d’autres. Du lot, se dégage la bande sonore bouleversante d’un film néerlandais à petit budget, “Turks Fruit“, sur laquelle figurent quelques-unes des plus belles plages enregistrées par Toots.

Toots Thielemans et Philip Catherine
Les années 70 et 80

Impossible, dès cette époque, de faire le détail d’une activité aussi débordante, Toots lui-même en serait bien incapable. Au début des années 70, il enregistre plusieurs albums avec Quincy Jones, côtoyant une fois encore le gratin des musiciens américains. En 1972, c’est au violoniste Svend Asmussen qu’il s’associe le temps d’un disque. L’année suivante, il est invité comme “instrumenteur” à la fameuse Eastman School of Music. En 1975, il fait un pas de plus vers la reconnaissance internationale tous publics en “tournant” et en enregistrant avec Paul Simon.

Mais toute cette activité ne lui fait pas oublier le jazz, le vrai. En témoignent, par exemple, les trois albums “live” (1974, 1975, 1976) enregistrés avec son groupe européen (Rob Franken, Niels Pedersen, etc.), un disque intitulé “Captured alive” enregistré aux Etats-Unis avec le pianiste Joanne Brackeen (1974), le contrebassiste Cecil Mc Bee et le batteur Freddy Waits, un “Toots and Friends” avec Philip Catherine et Joachim Kühn (74), et quelques disques Pablo (avec Oscar Peterson, 1975-1980 ; Dizzy Gillepsie, 1980 ; Joe Pass, 1980 ; etc.). Mais plus que tout autre, s’agissant du jazz, c’est l’album “Affinity“, enregistré en 1978 avec Bill Evans, qui représente le sommet de l’art de Toots. “Affinity” témoigne d’une bouleversante connivence entre les accents déchirés de l’harmonica et les harmonies souvent douloureuses de Bill Evans, qui enregistre là un des albums les plus achevés de sa dernière période.

Quand on l’interroge sur ses souvenirs les plus intenses, Toots Thielemans évoque toujours cette session magique aux côtés d’un des grands maîtres du piano moderne, session hélas sans lendemain, Evans devant disparaître quelques années plus tard. Entre ces enregistrements “strictement jazz”, qui lui valent des nominations dans les divers “polls” américains, Toots continue à enregistrer de la musique grand public. Dans cette production, une perle : enregistré à Londres avec son quartette européen renforcé d’un grand orchestre à cordes, l’album “Slow Motion” est un concentré superbe de la musique de Toots, une musique dans laquelle l’émotion, omniprésente, ne se fait jamais sirupeuse, et ce n’est pas son moindre mérite.

Il semble en réalité que Toots, en ces années 70-80, loin de décliner comme l’ont fait tant de musiciens de sa génération, ait atteint une maturité prodigieuse. Ses chefs-d’œuvre, c’est maintenant qu’il les signe. On croyait tout savoir sur lui, on ne savait encore rien ! Sans doute le fait de ne plus être préoccupé par le souci alimentaire lui a-t-il permis de se consacrer bien plus pleinement qu’auparavant au jazz, à cette musique qui l’avait bouleversé dans l’après-guerre et qu’il n’a cessé de servir depuis lors. En 1981, hélas, des ennuis de santé viennent ternir quelque peu le paysage de Toots Thielemans.

Mais fermement décidé à ne pas se laisser dominer par la maladie, il reprend la route. Se partageant entre Bruxelles et New York, il apparaît dans les contextes les plus divers : aux côtés du monstre sacré du jazz-rock Jaco Pastorius au Lincoln Center de New York (1982), puis dans un studio d’enregistrement, aux côtés du maître de l’intimisme et de la profondeur, Chet Baker, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (1984), et encore à Los Angeles, avec Ella Fitzgerald, Stevie Wonder, Dizzy et tant d’autres. Tournant énormément, Toots s’entoure bientôt de deux formations régulières, une européenne et une américaine : Michel Herr, Michel Hatzigeorgiou, Bruno Castelluci d’un côté, Fred Hersch, Marc Johnson, Joey Baron de l’autre. Il obtient un regain de succès en adaptant avec un goût peu commun le “Ne me quitte pas” de Brel et interprète ce titre avec l’une et l’autre de ses formations. Deux albums, “Ne me quitte pas” (Milan, pochette réalisée par Jean-Michel Folon) et “Only trust your heart” (Concord), achèvent de convaincre les derniers sceptiques que le travail commercial de Toots avait déçus. Toots est bel et bien (re)devenu un des grands jazzmen de son temps !

Un seigneur de l’émotion

Aux quatre coins du monde, du Congo à Hong Kong, le mot “harmonica” est plus que jamais associé à son nom. Un nom qui devient un nom commun en 1989, lorsque l’Association des Critiques de Jazz belges décide de décerner chaque année, en plus des Sax, un… Toots !  En 2001, Toots est anobli par le roi Albert II et reçoit le titre de baron. En 2009,  la plus grande distinction pour un jazzman américain: le Jazz Master Award, lui est décernée. Mais, en mars 2014, il annonce qu’il met un terme à sa carrière. Toots Thielmans décède deux ans plus tard, le 22 août 2016. La Bibliothèque Royale conserve un fonds Toots Thielemans qui rassemble des centaines d’enregistrements sonores et des milliers de documents. Au-delà des anecdotes, des honneurs et des discographies, Toots Thielemans restera un des grands seigneurs de l’émotion faite jazz. Tout le personnage est en réalité dans cette formule qu’il aime employer lorsqu’il parle de musique : “L’accord parfait que je préfère, c’est le Mineur Septième : mineur en dessous, majeur au-dessus. Ce doux territoire entre le sourire et les larmes… “.

Toots Thielemans (Jazz à Vienne, France, 1994) © Pascal Kober

[INFOS QUALITE] statut : actualisé  (1ère publication par wallonica sur agora.qc.ca) | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Pascal Kober | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

CABAY, Guy (né en 1950)

Temps de lecture : 4 minutes >
Guy Cabay © Igloo Records

Musicien de jazz belge, Guy Cabay pratique le vibraphone, le chant et le piano. Musicien autodidacte, il s’essaie d’abord à la batterie puis au piano; il rencontre ensuite Raoul Faisant et Maurice Simon et apprend les premiers rudiments de jazz. En 1966, après avoir vu Gary Burton à Comblain, il tombe amoureux du vibraphone, instrument qu’il adoptera deux ans plus tard.

Biographie

Dès avant 1970, Guy Cabay a participé à quelques petits groupes Dixieland ou middle-jazz. En 1973, il termine une licence en musicologie à l’Université de Liège. La même année, il participe aux débuts du groupe Open Sky Unit (Pelzer, Houben…), mais quitte l’orchestre peu de temps après et part pour l’Italie : il prépare un doctorat sur la musique médiévale. En 1975, il forme avec Steve Houben le groupe Merry-Go-Round (répertoire de standards) qui jouera notamment aux Pays-Bas à plusieurs reprises.

Avec Jean-Louis Rassinfosse et Félix Simtaine, il accompagne le chanteur Jean Vallée, notamment en U.R.S.S. Guy Cabay met ensuite le jazz en veilleuse et commence à enseigner dans le secondaire. Il collabore à une émission dialectale à la RTB, se met à écrire, puis à chanter des chansons en wallon sur des rythmes de bossa avec une coloration jazz évidente. Le succès est considérable auprès du grand public. Il enregistre plusieurs albums selon cette formule, invitant chaque fois de grands musiciens de jazz à participer à l’entreprise (Bill Frisell, Toots Thielemans, Steve Houben, Larry Schneider).

Parallèlement, il joue dans l’Act Big Band de Félix Simtaine (dès 1979) en quartette avec Bruno Castellucci (dms), Evert Verhees (b) et Kevin Mulligan (g), en sideman aux côtés de Jacques Pelzer. En 1981, il fonde le groupe Lemon Air (jazz latin avec Herr, Houben, Mulligan, Rousselet…). Fin 1982, début 1983, il joue dans Steve Houben Plus Strings, pour lequel il écrit plusieurs arrangements. Il enseigne au séminaire de jazz du Conservatoire de Liège, monte le groupe Mysterioso avec le pianiste américain Dennis Luxion, enregistre de nouveaux disques, instrumentaux cette fois, dirige un trio avec Benoît Vanderstraeten (b) et André Charlier (dms) et enseigne au Conservatoire de Bruxelles. Il écrit également pour le cinéma, pour la scène et pour la télévision.

En 1989, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française, il adapte avec Daniel Droixhe des chants révolutionnaires wallons de cette époque. La même année, il monte un nouveau quintette avec le trombone Phil Abraham, le claviériste Benoît Sourisse, le guitariste Yannick Robert et sa rythmique habituelle (Vanderstraeten / Charlier).

Elu “meilleur vibraphoniste belge” en 1998 et 1999, Guy Cabay, devant l’insistance de ses fans wallons, sort en 1999 un nouvel album de chansons en wallon (“The Bièsse Tof), mélangeant nouvelles compositions et réarrangements d’anciennes, et combinant toujours textes en wallon sur des rythmes jazz et brésiliens. En 2000, à l’occasion de la reconstitution éphémère du chœur de la Cathédrale Saint-Lambert à Liège, il publie un album intitulé “De la pierre à la toile, les misères de la Cathédrale, en quatre tableaux et deux rawètes”.

En 2005 sort l’album “On the jazz side of my street” pour lequel il est entouré, entre autres, de Jacques Pirotton, Benoît Vanderstraeten, Bruno Castellucci, Steve Houben, mais aussi le quatuor à cordes Héliotrope. En 2013, Guy Cabay crée un spectacle piano-voix qu’il présente dans son village natal de Polleur (“Carrousel Village, djazzeries et brésileries autour de mon clocher“). L’année suivante (2014), il sort l’album Wah-Wah Samba, toujours fidèle à son double ancrage wallon et brésilien. En novembre, il se produit au Festival de Stavelot Jazz avec le Spa-Sao Paulo quartet qui inclut son fils, Arnaud. En 2015, il compose des musiques additionnelles pour le film Problemski Hotel de Manu Riche (sorti en DVD en 2016).

Discographie non exhaustive
  • 1980 : Christine Schaller, Real Life (ML Car80062)
  • 1981 : Act Big Band, Act Big Band (LDH 1002)
  • 1981 : Guy Cabay, Tot-a-fêt rote coû d’zeur cour d’zos (MD 0027)
  • 1982 : Guy Cabay, Li tins, lès-ôtes èt on pô d’mi (MD 0047)
  • 1984 : Guy Cabay, Gardens of Silence (MD 0109)
  • 1985 : Guy Cabay, Miroirs d’ailleurs (MD 87)
  • 1986 : Guy Cabay, Balzin’rèyes (AA AALP3600)
  • 1987 : Guy Cabay, Lemon Air (CD B. Sharp CDS 072)
  • 1992 : Guy Cabay et al., Brussels Jazz Promenade (CD LM 001/92)
  • 1995 : Guy Cabay / Fabian Fiorini, Fasol Fado (CD IGL 114)
  • 1997 : Guy Cabay, Guy Cabay & Li Grand Cayon (CD Amon Laca 97004)
  • 1999 : Guy Cabay, The Bièsse Tof (CD Amon Laca Alac22)
  • 2005 : Guy Cabay Quartet, On the Jazz Side of my Street (CD IGL 181)
  • 2006 : Guy Cabay Quartet et al., Artists from Wallonia and Brussels : That’s all Jazz ! (CD WBM 156)
  • 2007 : Chrystel Wautier Trio : Between Us (CD EG031)
  • 2014 : Guy Cabay, Wah-Wah Samba

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  Igloo Records | remerciements à Jean-Pol Schroeder


Plus de jazz…

CRUSADERS : Street Life (feat. Randy Crawford)

Temps de lecture : 3 minutes >
Crusaders feat. Randy Crawford, Street Life (MCA, 1979)

On est en 1979. Les Crusaders ne savent pas encore qu’ils viennent de créer l’album de leur carrière qui se vendra le plus. Ce succès est dû entre autre à une rencontre : celle de Joe Sample, pianiste et claviériste du groupe avec une certaine Randy Crawford, une chanteuse soul de l’Etat de Géorgie aux USA. En 1976 alors que cette dernière signe un contrat chez Warner pour son premier album Everything Change, elle demande à Joe de jouer les parties de piano sur son disque, dont elle aime le côté subtil à la fois jazz mais également ancré dans la musique populaire afro-américaine. De là naît une amitié autant personnelle qu’artistique !

Dans les prémices de l’écriture de l’opus Street Life, Joe Sample pense immédiatement à Randy pour interpréter vocalement le titre éponyme. De ses propres aveux même, il dit qu’il a composé la chanson pour elle. Après eu avoir l’accord des autres membres du groupe, la chanson apparaît sur leur LP de l’époque en lui donnant son nom ! Et quelle chanson ! Son introduction d’une minute et trente secondes laisse la part belle au saxophone de Wilton Felder dans un registre smooth jazz, avant que la voix de Randy Crawford presque a capella ne transporte l’auditeur dans un univers à vous donner des frissons (cette introduction vocale sera d’ailleurs maintes fois échantillonnée dans la house !). S’en suit alors un mid-tempo enivrant où alternent avec bonheur les parties chantées, les solos de saxophone de Wilton ou de claviers de Joe le tout ryhtmé par la batterie de Stix Hooper. Enfin Roland Bautista, guitariste d’Earth Wind & Fire, a participé également à l’enregistrement. Plus de onze minutes de pur bonheur ! Ce titre à l’époque était tellement fédérateur que l’on pouvait l’entendre aussi bien, dans un club glauque d’un quartier mal famé que dans une garden party de la haute société. Il attirera également l’oreille des réalisateurs puisqu’on le retrouve en 1981 sur la B.O du film Sharky’s Machine avec Burt Reynolds puis en 1997 sur Jackie Brown de Quentin Tarantino dans des versions alternatives.

Mais même si Street Life balaie tout sur son passage l’intérêt de ce disque ne dépend pas que de ce titre ! En effet le deuxième morceau My Lady a été samplé par NTM sur leur plus gros tube La Fièvre avec comme d’habitude la présence  du saxophone de Wilton Felder qui propose le thème instrumental principal de cette composition. Une vraie réussite également ! La troisième pépite de l’opus est surement à chercher du côté de Carnival Of The Night, un jazz-funk  qui met en avant le duel basse / saxophone avec un talent certain ! Les percussions de Paulinho Da Costa sont aussi particulièrement présentes sur ce titre avec un petit côté brésilien discret mais évident. Si certains titres comme Rodéo Drive ou Night Faces plus tranquilles laissent entrevoir l’esprit smooth jazz que le groupe continuera d’entretenir partiellement dans les 80’s, ils ont le mérite de laisser une place au talent de chaque musicien de cette entité !

Cet album permettra en tous cas au groupe de connaitre un succès international, en se classant dans les charts du monde entier (classé en 18ème position dans les charts pop américains) et de faire une tournée américaine et japonaise triomphale, où Randy Crawford d’ailleurs accompagnait le combo sur toutes les dates. Depuis cette époque Joe et Randy ont eu régulièrement l’occasion de collaborer sur scène dans les festivals du monde entier ou même sur disque où le talent du pianiste et de la vocaliste font toujours des merveilles ! C’est aussi ça la magie de Street Life !”

Lire l’article original sur le webzine FONKADELICA.COM (16.07.2012)…




D’autres incontournables du savoir-écouter :

PELZER, Jacques (1924-1994)

Temps de lecture : 10 minutes >
Jacques PELZER (à droite), en répétition avec Michel Herr et Jean-Pierre Gebler, à Liège (1983)

Jacques PELZER apprend, dès l’âge de sept ans, le solfège et le piano, qu’il est obligé d’abandonner à la suite d’un accident bénin. Il s’essaie alors à la clarinette, à la flûte, à la guitare, avant d’arrêter son choix, pour un temps du moins, sur l’harmonica. A la fin des années 30, il découvre le jazz et devient un fidèle auditeur des quelques rares retransmissions radiophoniques à tendance jazz, et surtout des disques de Nat Gonnella, Ambrose, puis Benny Goodman et Jimmy Lunceford. Alors qu’il étudie chez les Pères Jésuites du Collège Saint-Servais, il s’intègre à d’éphémères formations d’étudiants ; l’une d’elle s’appelle Swing and Sway et Pelzer, toujours à l’harmonica, y joue aux côtés du saxophoniste Paul Alexis. Mais entretemps, dans un autre établissement scolaire de la ville, à l’Athénée plus précisément, quelques étudiants (Pierre Robert, Roger Claessen, Georges Leclercq…) ont eux aussi découvert le jazz et décidé de monter leur propre orchestre, un orchestre qu’ils appelleront la Session d’une Heure et dont l’influence sera déterminante dans la carrière de Jacques Pelzer.

Lorsque la guerre éclate, Jacques Pelzer suit sa famille à Toulouse ; c’est là qu’il se fait offrir son premier saxophone : un alto, comme Pete Brown, comme Willie Smith (Jacques racontera plus tard qu’il s’est “fait les lèvres” en jouant et rejouant le solo de Smith sur Margie de Jimmy Lunceford), comme Johnny Hodges surtout, qui sera son premier modèle.

De retour à Liège, il devient membre de la Session d’une Heure. Le répertoire de la Session va du dixieland (qu’il n’apprécie pas vraiment, d’autant que dans la formule orchestrale orléanaise type, il n’y a guère de place pour l’alto !) à Duke EllingtonDjango Reinhardt ou Gus Deloof, et là, il est à son affaire.

En 1943, la Session, uniforme impeccable, cravates en cachemire, petite casquette anglaise, remporte le tournoi organisé au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, tandis qu’à Liège, elle devient la seule formation amateur qui puisse concurrencer les orchestres professionnels. Surprise-parties (qui, à cause du couvre-feu, se prolongeaient jusqu’au matin), galas, cours de danse, se multiplient ; Pelzer grave avec la Session ses premiers acétates (et notamment un On the sunny side of the street comprenant un très beau solo d’alto “à la Hodges”). Mais Roger Claessen reste un grand amateur de dixieland, et lorsque la Session s’oriente davantage dans ce sens, Pelzer reprend ses billes. Entretemps, il a trouvé son maître à Liège même : Raoul Faisant alors au centre d’un “noyau swing” percutant (au sein duquel Jacques rencontre un adolescent de son âge, guitariste, qui deviendra son alter ego bien des années plus tard : René Thomas !). Pelzer, comme Thomas, comme Jaspar, comme Sadi, a tout à apprendre de Faisant : phrasé, colonne d’air, inflexions. Pour lui aussi, Faisant sera le “Père” ! En même temps, toujours grand consommateur de disques, il découvre Benny Carter qui supplantera chez lui Johnny Hodges en influence.

Quand les Américains arrivent en 1944, Pelzer est prêt à les recevoir. Il en épatera plus d’un, blanc ou noir, qui retrouve dans la musique de ce jeune Européen un peu de son pays : “…Quand il jouait pour les Noirs (soit à la Croix-Rouge américaine, soit dans leurs cantonnements), on les voyait s’approcher peu à peu de lui, l’entourer, oubliant même la danse, et ne quittant la scène qu’à la dernière note. Et pourtant, Dieu sait si ces gens-là s’y connaissent.” (Rythme Futur, décembre 1946). C’est alors l’époque des premières tournées pour les Américains – pendant les vacances scolaires, car Jacques est toujours étudiant. Le plus lointain de ces voyages, il l’entreprend avec Léo Souris, direction Plsen, Tchécoslovaquie ! Déjà presque une vedette à Liège, Pelzer commence à se faire un nom sur le plan national, surtout après avoir intégré les Bob-Shots (en 1945, il rejoint Bobby Jaspar, Pierre Robert, André Putsage, etc.). Le premier acétate des Bob-Shots permet d’entendre un Pelzer cartésien et visiblement fort heureux de l’être : pourtant, l’heure du grand tournant est proche. Quand Pierre Robert reçoit de son frère Cyril, installé aux États-Unis, les premiers disques bop, Pelzer est envoûté par la nouvelle musique : pendant de longs mois, il s’évertue à comprendre ce que joue Parker, à décortiquer ces envolées magiques, passant et repassant, pour ce faire, les disques de Bird à vitesse ralentie ! A force de travail, il méritera bientôt ce titre de “premier alto be-bop européen” que lui décernera Django. Dans ses tentatives de jouer bop, il est soutenu par le batteur André Putsage qui s’essaie, lui, aux débordements de Kenny Clarke et rend ainsi plus crédible encore l’image sonore du nouveau style produite par l’alto. Les concerts des Bob-Shots suscitent bon nombre de commentaires dont la plupart concernent Pelzer. A la fin de la période Bob-Shots (vers 1948), il jamme aussi souvent que possible avec René Thomas, mais avant de songer à une nouvelle association, il faut terminer ses études. Il se fait plus rare aux répétitions comme aux jams et un beau jour, il se retrouve pharmacien ! Moins assuré que Jaspar, qui devient professionnel dès la fin de Bob-Shots, il fera un début de carrière dans “sa” branche et ouvrira une pharmacie au Thier-à-Liège. Mais très vite, il comprendra que “sa” branche, désormais, est bien davantage faite de blue notes que de tubes d’aspirines.

En 1950, Bobby Jaspar est à Paris, bientôt rejoint par de nombreux musiciens belges (tous ceux, en fait, qui ont choisi de ne jouer que du jazz, chose impensable en Belgique). Jacques Pelzer, s’il n’émigre pas vraiment, séjourne très fréquemment à Paris lui aussi, où il fait le tour des clubs. Il rencontre tous ceux qui seront ses partenaires et ses amis dans les années qui vont suivre. Entretemps, il découvre Lee Konitz et se met à explorer l’univers cool avec la même passion que l’univers bop quelques années auparavant. Un enregistrement de 1953 rend compte de cette nouvelle orientation. Loin d’être le signe d’un manque de personnalité, elle témoigne d’une recherche constante de matériaux propres à faire émerger, une fois réunis, un style original. Paris, Liège (et les fameuses jams de la Laiterie d’Embourg !), Bruxelles, Anvers, les Pays-Bas, l’Allemagne : Jacques Pelzer devient bientôt davantage que “l’indétrônable saxophone-alto belge”, une des figures marquantes du jazz européen en pleine expansion. Il grave plusieurs disques (avec René Thomas, Jean Fanis, Herman Ssandy, etc.), participe à de nombreux galas, jams, radios, se lie avec Kenny Clarke et Chet Baker et, en Belgique, fait office de leader pour la nouvelle génération (Robert Jeanne, Felix Simtaine, etc.). En 1955, à la demande de Léo Souris, il effectue un premier voyage en Afrique : il en revient fasciné ! L’Afrique exercera dès lors sur lui une attraction telle qu’il y retournera à de nombreuses reprises, se ressourçant à la musique noire, en particulier à la musique des pygmées qu’il découvre avec Benoît Quersin. “Il y avait deux endroits au monde où on pouvait aller : New York et l’Afrique : la jungle en béton et la jungle naturelle. Bobby a choisi la jungle en béton, moi j’ai fait l’Afrique…” (Histoire du jazz à Liège, Médiathèque de la Province de Liège, 1987). Jouant le jeu jusqu’au bout, Pelzer enregistre même quelques disques avec des musiciens et des chanteurs africains, à Léopoldville (Kinshasa).

Comme Jaspar, il s’est mis à un second instrument : la flûte, et il est devenu incontournable sur la scène belge, au même titre que Jack Sels et quelques autres. A la Rose Noire de Bruxelles comme au Ringside d’Anvers ou au Seigneur d’Amay de Liège, l’école moderne s’est désormais imposée dans le milieu – de plus en plus clos – du jazz. Les vieux maîtres (Faisant, Ingeveld, Robert, …) sont déjà presque oubliés. Pelzer ouvrira lui-même certains clubs (le Birdland à Liège, par exemple), répliques éphémères des temples new-yorkais. Parmi les jeunes musiciens belges, il s’associera volontiers au trompettiste Milou Struvay, au pianiste Joël Van Droogenbroeck, au bassiste Freddy Deronde.

En 1959, commence l’aventure de Comblain dont Jacques Pelzer sera l’un des plus fidèles participants. “Si un jour, je ne pouvais pas jouer à Comblain, j’en serais malade” confie-t-il à un journaliste. C’est également l’époque où il travaille de plus en plus en Italie (où il enregistre d’ailleurs quelques disques avec Amedeo Tommasi et Dino Piana), et où il s’associe de manière plus régulière encore avec René Thomas, de retour des U.S.A. dès 1961 ; le quartette Thomas-Pelzer, auquel participent alternativement des musiciens comme Benoît Quersin, Daniel Humair, René Urtreger, Jacques Thollot, Vivi Mardens et d’autres musiciens français, italiens ou allemands, fait les beaux soirs de Comblain (certaines versions de Theme for Freddy restent dans toutes les mémoires). Comblain est aussi l’occasion définitive de rencontrer les plus grands maîtres américains ; Bill Evans, Canonball Adderley, Coltrane, Lee Konitz. Pelzer les accueille volontiers chez lui, les amitiés se nouent et Liège devient une ville plutôt bien fréquentée. Parmi les grands moments de cette période, on retiendra un concert à Gand avec Bud Powell, un autre au Ringstad avec Thelonious Monk, la soirée des 25 ans de jazz en Wallonie, l’enregistrement de l’album Meeting (René Thomas), les jams au Jazz In de Liège, dont il est le maître d’oeuvre, et bien sûr le premier voyage aux États-Unis dans le quintette de Chet Baker ! Chet (qui a auparavant joué avec Bobby Jaspar, René Thomas, Francy Boland, etc.) apprécie en effet de plus en plus le style de Pelzer qui, en retour, vénère la musique du trompettiste.

1964 : Chet Baker (Flugelhorn, Vocal), Jacques Pelzer (Alto Sax, Flute),  Rene Urtreger (Piano), Luigi Trussardi (Bass) & Franco Manzecchi (Drums). 

C’est le départ d’une tournée de trois mois qui est pour lui l’ultime consécration : combien d’Européens peuvent se vanter d’avoir joué au Plugged Nickel de Chicago ? Depuis quelques temps, il s’exprime sur un troisième instrument, le soprano, remis à l’honneur par John Coltrane et sur lequel il dispense une musique plus moderne encore, plus libre. Pendant son séjour aux U.S.A., il est en admiration devant la nouvelle école free et la musique d’Ornette Coleman : “C’est génial, racontera-t-il, pour créer une musique semblable, qui prenne un tel essor, il fallait être un génie. Je me reporte vingt ans en arrière à l’apparition du Bird“. Et une nouvelle fois, Jacques Pelzer change de cap et pendant quelques années, il entre carrément dans la New Thing avec une sincérité qui fait parfois défaut à certains adeptes du free de l’époque (et surtout avec derrière lui un background musical qui lui permet de jouer “libre” sans pour autant jouer n’importe quoi).

Ses expériences les plus profondes dans la sphère free, c’est à nouveau en Italie qu’il va les vivre, aux côtés du grand Steve Lacy ; il révèle au public belge le trompettiste Mongezi Fesa et le bassiste Johnny Dyani lors du First International Jazz Event à Liège en 1969 ; il rencontre à plusieurs reprises Don Cherry, Kent Carter, Archie Shepp et quelques-uns des plus authentiques musiciens free, dans ce Paris soixante-huitard ouvert à l’esthétique libertaire. Cependant, Pelzer va s’écarter du free, il en gardera une certaine “souplesse d’esprit” et une profonde expérience humaine. Ce qui motive son retrait, ce ne sont pas seulement les diatribes de Chet Baker contre le free (“They call that music !“) ni le désastre financier que représente pour un musicien le fait de jouer cette musique qui met en fuite public et organisateurs, c’est aussi et peut-être surtout la difficulté de se trouver des partenaires capables de vraiment jouer le jeu.

Les années 70 sont là : c’est l’époque de Weather Report et de la première génération jazz-rock. Les jeunes reprennent un premier contact avec les sons du jazz via Chick Corea et John Mc Laughlin. A l’anarchie succèdent l’hyperorganisation et les groupes fixes. Pour Pelzer, ce nouvel état d’esprit se concrétise à travers le groupe Open Sky Unit. En effet, tout en renouant avec la tradition aux côtés de Chet Baker, de René Thomas (c’est l’époque Thomas-Pelzer Limited) ou de Vince Benedetti, il partage l’itinéraire de quelques jeunes musiciens (son cousin Steve Houben, sa fille Micheline, le pianiste américain Ron Wilson et quelques autres) qui l’entraînent dans un univers musical nouveau, influencé par les rythmes binaires, la musique soul et l’électricité. Fini le saxophone en plastique et l’improvisation sauvage : Open Sky Unit joue un répertoire structuré, programmé, où la place de chacun est bien définie (même si l’improvisation et la spontanéité restent au rendez-vous). C’est avec O.S.U. que Jacques Pelzer rend, en janvier 1975, un dernier hommage à son alter ego René Thomas, mort de jazz comme Bobby Jaspar 12 ans auparavant, comme Raoul Faisant en 1969. Lui seul sort rescapé de ce naufrage. Au milieu des années 70, il entreprend une nouvelle tournée aux U.S.A. avec Chet Baker (et ils donnent ensemble un concert au Carnegie Hall). Pelzer a retrouvé alors une musique de sa génération, il ne la quittera plus : un “mainstream” mitigé de bop et de cool et, dans son cas, parsemé d’évocations de Benny Carter.

A Liège, qu’il n’aura jamais quitté vraiment (ce qui lui aura peut-être valu d’être moins connu que Jaspar et Thomas, mais également, comme il le dit lui-même, d’être toujours en vie !), il se produit avec ses anciens compagnons Robert Grahame, Jean Linsman, Jon Eardley ou avec des musiciens plus jeunes. En 1980, il participe, bien entendu, au projet Saxo 1000 mis sur pied en hommage à Jaspar et Thomas à l’occasion du millénaire de la ville de Liège, et il fait partie du premier contingent d’instructeurs du Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège. Cette période (qui va de la mort de Thomas au milieu des années 80) est jalonnée de hauts et de bas surprenants, de tristes moments où l’on pourrait penser que Jacques Pelzer est au bout du rouleau, et de lumineux démentis où réapparaît le “premier saxophone alto be-bop européen“.

En 1982, il s’associe au guitariste Jacques Pirotton qui devient son partenaire privilégié : en duo, “The Two J.P’s” proposent une musique faite d’équilibre, tantôt exubérante, tantôt recueillie, qui permet à Jacques de retrouver un peu de sa complicité passée avec René Thomas. Invité à participer à diverses séances d’enregistrements (Stella Levitt, Jean-Pierre Gebler…), honoré par la RTBF d’un superbe film de montage réalisé par Michel Rochat (“Sax en fugue“), il n’a cependant pas dit son dernier mot : petit à petit, il reprend du poil de la bête dès 1986, c’est un Pelzer proprement régénéré qui, malgré de nombreux problèmes, notamment d’ordre économique – une vie consacrée au seul jazz n’a jamais été le gage d’une retraite aisée ! – redevient le grand musicien qui avait conquis le monde du jazz au cours des quatre décennies précédentes. En free-lance, en duo avec Jacques Pirotton ou à la fête de son quartette (avec Pirotton et le plus souvent Bart de Nolf (b) et Micheline Pelzer (dm)), assisté ou non de ses amis de toujours (Chet jusqu’à sa mort en 1988, Barney Wilen, Dave Liebman et tant d’autres aux quatre coins du monde des notes bleues), ayant retrouvé cette vigueur qui est une de ses “lignes de conduite” d’aujourd’hui, il part reconquérir l’Europe : Italie, France, Suisse, Finlande, Jack The Hipster n’a pas fini d’étonner un monde qui est peut-être en train de redécouvrir le jazz, ce jazz pour lequel tant de ses amis sont morts.

Jean-Pol Schroeder


Oeuvres
  • Jacques Pelzer enregistre en 1943 et 1944 avec la Session d’une Heure (Acétates), de 1946 à 1949 avec les Bob-Shots (enregistrements privés, Olympia, Pacific).
  • Leader ou co-leader :
    • Jacques Pelzer, Marionette / Lady Bird / How high the moon (acetate, Bxl, 1952)
    • Jacques Pelzer, I only have eyes for you / You go to my head (acetate, Bxl, 1952)
    • Jacque Pelzer / Bobby Jaspar, Out of Nowhere / Pennies from heaven (acetate, 1953)
    • Jacques Pelzer, Modern Jazz Sextet (Innovation ILP2, 1955)
    • Jacques Pelzer / Herman Sandy, Jazz for Moderns (Fiesta IS10043, 1956)
    • Jacques Pelzer and his Young stars, Jazz in Little Belgium (Decca 123259, 1958)
  • Fin des années 50, Jacques Pelzer enregistre une série de 78 tours en Afrique, avec des musiciens autochtones : “Tu es la plus belle, ma doudou
  • Jacques Pelzer, All stars à Antibes (Barclay BLP84081, 1960)
  • Jacques Pelzer, Featuring Dino Piana (Cetra LPP6, 1961)
  • René Thomas / Jacques Pelzer : Giganti del Jazz vol.*** (1961)
  • Pelzer, Sadi, Toots : Europe Jazz (film de Paul Davis, Sofidoc, 1961)
  • Thomas / Pelzer : T.P.L. (Vogel 003, 1974)
  • Jacques et Micheline Pelzer : Song for René (Duchesne DD8003, 1975)
  • Participation aux enregistrements :
    • Helen Merril (Comblain-la-Tour 1960)
    • Léo Souris (Comblain-la-Tour 1960)
    • Amadeo Tommasi (1960)
    • René Thomas (1963)
    • Georges Joyner (1964)
    • Freddy Sunder (1968)
    • Jon Eardley (1969)
    • Chet Baker (1977)
    • Saxo 1000 (1980)
    • Jean-Christophe Renault (1981)
    • Jean-Pierre Gebler (1981)
    • Guy Cabay (1987)

[INFOS QUALITE] statut : validé, à actualiser | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : Michel Herr | remerciements à Jean-Pol Schroeder


Jam Jazz Jacques Pelzer

© Fred Delsemme

Chaque dernier dimanche du mois ! Une jam réalisée par un bouquet de musiciens sur un thème choisi par leur soin et ponctuée d’interventions de musiciens du public désireux de se joindre à eux. Concrètement ; un musicien sera invité par le club à venir expérimenter une formation élaborée par ses soins, sur un thème précis tel qu’un artiste spécifique, ou encore un style, une année, un album…

En savoir plus sur JACQUESPELZERJAZZCLUB.COM…


Plus de jazz…

MOZART (arr. Arcadi Volodos) : Marche turque

Temps de lecture : 2 minutes >
© Yuja Wang

“Yuja WANG (née en 1987) est une pianiste chinoise reconnue mondialement pour sa virtuosité technique et son jeu spontané et audacieux. Au-delà de sa technique, elle est également appréciée pour son répertoire éclectique de piano solo et de musique de chambre qui s’étend du 18ème siècle jusqu’au 20ème siècle.

Fille de musicien, Yuja Wang est initiée à la musique très jeune. Elle commence à apprendre le piano à l’âge de six ans avec Luo Zhengmin. Elle étudie ensuite auprès des professeurs Ling Yuan et Zhou Guangren au Conservatoire central de musique de Pékin, des professeurs Hung KuanChen et TemaBlackstone au MountRoyal College Conservatory à Calgary au Canada, et de Gary Graffman au Curtis Institute of Music de Philadelphie.

Elle donne ses premiers concerts en 2003 et se produit en concert ensuite avec de nombreux grands orchestres tels que les orchestres symphoniques de NewYork, de Chicago, de San Francisco, de Houston, et notamment l’Orchestre Philharmonique de Chine. En 2009, elle est parmi les rares musiciens invités pour le concert du YouTube Symphony Orchestra au Carnegie Hall, initiative musicale mondiale et prestigieuse. Elle signe la même année un contrat avec Deutsche Grammophon et produit son premier disque, lequel est très bien reçu. Depuis, la carrière de Yuja Wang s’étend mondialement, et elle est programmée dans les plus grandes salles de concerts européennes, américaines et orientales. Elle se produit aux côtés des plus grands chefs d’orchestre, tels que Claudio Abbado, Daniel Barenboim, Gustavo Dudamel, Daniele Gatti, Charles Dutoit, Valery Gergiev, Mikko Franck, Manfred Honeck, Pietari Inkinen, Lorin Maazel, Zubin Mehta, Kurt Masur, Antonio Pappano, Yuri Temirkanov et Michael Tilson Thomas.”

En savoir plus sur FRANCEMUSIQUE.FR ou sur le site de l’artiste sino-américaine YUJAWANG.COM


MOZART W.A., Sonate pour piano n° 11 en La, K. 331/300 (3e mvmt “Alla Turca”), arrangée par Arcadi VOLODOS (né en 1972) et interprétée par Yuja WANG dont des admirateurs ont également compilé quelques finales “musclés” :


Ecouter encore…

CATHERINE, Philip (né en 1942)

Temps de lecture : 7 minutes >
© De Standaard

Philip CATHERINE est un guitariste de jazz belge. Né à Londres en 1942, d’un père belge et d’une mère anglaise, Philip Catherine n’est pas le premier musicien de la famille : son grand-père s’est fait un nom comme premier violon à l’Orchestre Philharmonique de Londres. Il n’est donc pas étonnant que Philip, qui passe la majeur partie de sa jeunesse en Belgique, ait reçu dès son plus jeune âge des leçons de piano. A l’âge de quatorze ans, il découvre la guitare et la musique de Django Reinhardt qui le bouleversent et le font basculer dans l’univers du jazz. A peine adolescent, il commence à fréquenter les musiciens belges et à se joindre, encore timidement, aux jam sessions. En 1958 -l’année de l’exposition- on le retrouve à la Rose Noire, le poumon du jazz belge d’alors ; il y entend tous les grands maîtres américains et il participe à 16 ans à une jam aux côtés du saxophoniste Sonny Stitt et du batteur suisse Daniel Humair. A dater de ce jour, on sait dans le milieu du jazz belge, qu’un nouveau musicien est né, avec lequel il va falloir compter.

L’année suivante (1959), quand commence la grande aventure de Comblain, on peut lire dans le programme du festival, à la rubrique “Grandes vedettes du jazz belge” en dessous des noms de Jacques Pelzer, Christian Kellens, Sadi, etc… celui de Philip Catherin (sic), le plus jeune guitariste belge.

En 1960, il jouera au premier Festival d’Ostende et sera de nouveau à l’affiche de Comblain. Après avoir remporté divers tournois amateurs et joué aux côtés de musiciens chevronnés, il fait désormais partie intégrante du” milieu” jazz. Il n’a pas encore 20 ans !

En 1960, il entre pour la première fois dans un studio d’enregistrement afin d’y graver, en compagnie de Frans André, Roger Vanhaverbeke, Rudy Frankel et Jack Say un Nuages bien évidemment inspiré de Django.
En 1961, Jazz Hot et Jazz Magazine signalent la prestation à Comblain d’un “jeune talent prometteur”. Mais un autre guitariste belge est au programme cette année-là (et les suivantes). René Thomas, qui revient des Etats-Unis où il a joué avec Sony Rollins et avec le gotha du jazz new-yorkais.
Thomas sera après Reinhardt, le second grand inspirateur de Philip Catherine, et, comme il va désormais rester en Belgique la plupart du temps, son jeune disciple aura maintes fois l’occasion de s’abreuver au lyrisme fougueux qui caractérise son jeu.
1961 sera une année décisive à plus d’un titre. En effet, c’est alors que Philip Catherine est remarqué par l’organiste Lou Bennett (fixé alors à Paris et qui jouera très régulièrement avec René Thomas également). Bennett l’engage dans son trio pour une tournée européenne qui étendra sa réputation hors des frontières de la Belgique.
Avec ce trio (dont le batteur sera selon les circonstances Billy Brooks, Oliver Jackson, Vivi Mardens, etc.), Philip jouera notamment en première partie de Thelonius Monk, en tournée en Europe ; et c’est encore au sein de ce trio qu’il réapparaîtra à Comblain en 1962.
Entretemps, il continue à jammer à Bruxelles et à Anvers notamment, avec les meilleurs jazzmen belges. Ainsi, il rencontre le saxophoniste Jack Sels, avec lequel il enregistre en 1961 et en 1963 et Sadi, pour qui il éprouvera toujours une vive admiration. Parmi les (trop rares) musiciens de sa génération, Philip Catherine travaillera notamment avec le pianiste Jack Van Poll (Comblain 1963 : “belle association guitare/piano de deux garçons qui, d’année en année, se rodent et font des progrès sensibles” pourra-t-on lire dans Jazz Mag). A cette époque il est toujours étudiant et obtiendra une licence en Sciences Economiques.
La seconde moitié des années 60 sera pour lui une période de labeur intense : en plus de ses études et de son travail sur l’instrument, il se met à la composition. Son nom apparaît moins fréquemment sur les affiches et dans la presse, mais il a décidé de travailler afin de donner à sa musique une consistance que la seule fréquentation des jam ne peut lui apporter. Et puis c’est le service militaire. Lorsqu’il en sort enfin, il est bien décidé à se consacrer exclusivement à sa musique. Il se sent prêt et n’a guère plus d’attirance pour le monde de l’économie. Il passe donc le cap du professionnalisme à une époque où ce choix suppose un sérieux goût du risque, le jazz n’étant pas alors une musique particulièrement lucrative !
A la fin des années 60, il travaille avec Marc Moulin dans le groupe Casino Railways, un des premiers orchestres montés par la nouvelle génération et, en 1970, il enregistre pour Warner son premier album (produit par Sacha Distel) pour lequel il fait appel au trombone Jiggs Wiggham, rencontré lors d’un séjour dans l’orchestre de Peter Herboltzheimer ; pour compléter la formation, trois musiciens belges, Marc Moulin (p), Freddy Deronde (b) et Freddy Rottier (dm). Ce disque, composé exclusivement de compositions originales, porte déjà les marques d’un nouvel esprit musical ; passionné par le jazz, Philip n’est cependant pas insensible à la nouvelle musique qui “branche” les jeunes depuis quelques années déjà, le rock. Et lorsque apparaîtra une forme musicale mélangeant jazz et rock, au moment où, précisément, il devient musicien professionnel, il y adhérera presque aussitôt.
Tandis qu’il jouait avec Lou Bennett, il avait été remarqué par un jeune violoniste français qui allait rapidement devenir une des figures de proue du jazz et du jazz-rock européen, Jean-Luc Ponty. Lorsqu’il monte son groupe Expérience, Ponty prend contact avec Philip Catherine : “Quand j’ai décidé d’ajouter un guitariste à mon groupe, j’ai pensé à lui parce qu’il était un des rares musiciens possédant un” background” jazz à avoir assimilé également ce que la musique pop avait apporté au son et à l’approche de l’instrument“.
C’est ainsi que Philip Catherine se retrouve au centre d’un des groupes-clés du début des années 70, aux côtés de Ponty (vln), Joachim Kuhn (keyb), Peter Warren (b) et Oliver Johnson (dm). Le jazz-rock de l’Expérience est une musique relativement libertaire.
L’album “Open Strings” qu’il enregistre en 1971 avec ce groupe le fait accéder définitivement au peloton de tête des jeunes musiciens européens.
Mais, soucieux d’aller plus loin encore, il décide en 1972 d’aller suivre les cours de la fameuse école de Berklee, à Boston (US). Il s’embarque pour les Etats-Unis où il travaillera notamment avec le compositeur Michael Gibbs qui modifiera sensiblement sa conception de la musique.
A son retour, il s’associe à un noyau de musiciens avec lesquels il va jouer pendant de longues années, dans des formules”à géométrie variable”…
La première de ces formules c’est tout simplement le groupe Pork Pie, une des formations les plus importantes du jazz-rock européen des années 70. Avec le saxophoniste américain Charlie Mariano (musicien de tendance bop au départ mais qui a modifié son jeu au contact notamment de la musique indienne), avec le pianiste hollandais Jasper Van’t Hof (le premier spécialiste européen du synthétiseur), et avec une rythmique composée soit des Français Jean-François Jenny-Clarke et Aldo Romano, soit des Américains John Lee et Gerry Brown, Philip Catherine va, au sein de Pork Pie, sillonner l’Europe et enregistrer plusieurs albums dans lesquels se reconnaît une génération lassée des standards et du bop. Pour lui, c’est vraiment le grand départ ; on va le retrouver désormais aux quatre coins du monde discographique jazz : dans les albums de Chris Hinze, de Peter Herboltzheimer, de l’European Jazz Ensemble, de Marc Moulin, d’Erb Geller (version fusion), de Placebo, de Joachim Kühn, de Toots Thielemans, mais aussi dans ses propres albums : September Man en 1974, avec le personnel de Pork Pie augmenté du trompettiste Palle Milkkelborg et Guitars, avec au second clavier Rob Franken, qui, en 1975 sera le premier gros succès discographique de Philip Catherine ; on y trouve la composition “Homecoming” qui conforte sa réputation de compositeur, et un hommage à René Thomas intitulé tout simplement…René Thomas !
Il ne perd toutefois pas le contact avec le jazz pur : au contraire, il retrouve l’univers des standards et du swing dans quelques albums enregistrés sous le label Steeplechase aux côtés de pointure comme Dexter Gordon (Something Different, en 1975 : cet album est également remarquable en ce que Dexter utilise ici pour la première fois un guitariste comme sideman), Kenny Drew (Morning en 1975-un trio sans batterie avec notamment une version quintessenciée d’Autumn Leaves et In Concert en 1977), Niels-Henning Oersted Pedersen – un de ses partenaires privilégiés (Jaywalkin en 1975, Double Bass en 1976 – avec Sam Jones et Billy Higgins, Live vol. 1 et 2, puis plus tard, The Viking en 1983, etc.).
Si ses albums personnels et son travail dans le cadre du jazz-rock lui valent l’adhésion du public jeune, ses prestations comme sideman jazz lui garantissent l’estime du public jazz traditionnel. Mais évoluer ainsi dans deux univers parallèles n’est pas de tout repos : le public n’aime guère le changement et quand Philip Catherine – non sans quelque provocation – sert à l’un la nourriture de l’autre, rien ne va plus : ainsi on se souviendra de l’accueil pour le moins mitigé réservé aux standards joués dans un esprit très jazz avec NHOP au festival rock de Bilzen, comme aux compositions quasi hendrixiennes servies au public jazz de Gouvy l’année suivante ! Ce n’est de toute façon pas cela qui l’arrêtera, bien décidé qu’il est à jouer sur deux tableaux les musiques qu’il aime.
Début 1976, il fait une incursion plus précise encore dans la sphère rock en remplaçant pour une tournée le guitariste Jan Akkerman au sein du groupe Focus. La même année, retour inattendu à la musique acoustique au sein d’un duo aujourd’hui historique avec le guitariste Larry Coryell. A travers toute l’Europe, mais aussi aux Etats-Unis ou au Brésil, le duo parfois renforcé du pianiste Joachim Kühn, fait un malheur : cinq étoiles dans le Down Beat pour l’album Twin House. Le duo est considéré comme le “duo le plus prometteur” dans le Record World 1977 Jazz Winners aux USA (un deuxième album de ce même duo sortira en 1978 sous le titre Splendid). Le succès remporté par l’association Coryel/Catherine attire l’attention d’une des deux ou trois légendes du jazz encore en activité. Charlie Mingus, qui décide d’engager les deux guitaristes pour l’enregistrement de son album Three or Four Shades of Blues, dans lequel intervient également un troisième spécialiste des nouvelles cordes du jazz, John Scofield
[à suivre]

[INFOS QUALITE] statut : en construction | mode d’édition : transcription, droits cédés | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Sophie Adans | crédits illustrations : De Standaard | remerciements à Jean-Pol Schroeder

IMBERT : Masonic Inborn (2014)

Temps de lecture : 2 minutes >
© disquedumoi.com
« Music Is a Healing Force of the Universe » : le son de la lutte

Nous sommes en 1969 à New York, pour un enregistrement qui est tout autant historique qu’unique en son genre. C’est l’une des dernières manifestations discographiques de l’immense Albert Ayler, artiste saxophoniste aussi influent que maudit. Il succombera mystérieusement quelque temps après, retrouvé noyé dans l’Hudson River après un mois de disparition. Son statut d’artiste maudit n’en sera que renforcé.
Mais pour l’heure, accompagné de son épouse et chanteuse Marie Maria Parks, qui cosigne les compositions, Albert Ayler est présent dans ce studio pour démontrer que la « musique est la force salvatrice de l’univers »  (Music is the Healing Force of the Universe). Pour un des moments les plus intenses et étranges de l’histoire du jazz, il empoigne une cornemuse et entame une longue improvisation free d’une douzaine de minutes, avec ses compagnons musiciens, parmi lesquels un Bobby Few en grande forme. Ce morceau de bravoure pour le moins singulier — la cornemuse n’est pas à proprement parler un instrument familier du jazz, ni du saxophoniste ! — sera baptisé Masonic Inborn par son auteur, ce que l’on peut traduire par « intrinsèquement maçonnique » ou « maçonniquement né ».
Il reste désormais pour nous à constater l’évidence. Personne n’a cru bon de relever, à l’époque comme maintenant, l’incongruité d’un titre qui demeure, pour le moment, la seule référence explicite à l’ordre maçonnique dans l’histoire du jazz, pas plus que l’utilisation d’un instrument singulier dans ce contexte, emblème d’une culture écossaise et celtique qui paraît bien lointaine de l’afro-américanité supposée intrinsèque à la musique d’Ayler. Pourtant, les connaisseurs d’histoire maçonnique noteront immédiatement la pertinence d’un titre maçonnique avec cette référence explicite à l’Écosse, terre natale mythique de la franc-maçonnerie européenne. De fait, à partir de ce constat, nous pourrons nous interroger sur la pertinence d’un lien supposé entre musique jazzistique, orale par définition, et un fait maçonnique afro-américain méconnu, mais pourtant bien identifié…”

Lire la suite de l’article de Raphaël IMBERT sur CAIRN.INFO (Cahiers d’études africaines n°216, 2014/4)


Plus d’articles de notre revue de presse…

THONART : Richard GALLIANO au Jazz à Liège (avec quatremille.be, 2017)

Temps de lecture : 3 minutes >
D’abord, un “Hommage à Edith Piaf” avec Richard Galliano (acc) et Sylvain Luc (gt) puis, en deuxième partie, le “New Musette Quartet” avec Richard Galliano (acc), Philip Catherine (gt), Philippe Aerts (cb) et Hans van Oosterhout (dms)

“La nostalgie n’est plus ce qu’elle était”, écrivait Simone Signoret en 1976. Manifestement, pour Richard Galliano, la Simone, c’est plutôt celle de “En voiture, Simone” : ce diable d’ho犀利士
mme pianote sur son accordéon à une vitesse qui ferait rosir de bonheur le lapin blanc d’Alice (“Je suis en retard, en retard”). Alors, quand vous êtes Jazz à Liège, que vous avez le malheur de réunir à nouveau son New Musette Quartet et qu’à la guitare vous avez Philip Catherine, une légende qui affiche 75 balais au compteur (l’homme a accompagné Dexter Gordon ou Stéphane Grappelli, en son temps), il arrive ce qui doit arriver…

Mais, commençons par le début. En première partie, l’intelligence a primé sur la nostalgie excessive : intelligence des arrangements qui traitaient les chansons de Piaf comme d’authentiques standards de jazz, évitant l’écueil d’une simple imitation de la voix et de la gouaille de La Môme. Plus encore, certaines intros fort éloignées de la mélodie connue ont vraiment bluffé un parterre peuplé de plus de musiciens que d’habitude au Forum, et c’est parmi les “ouaiii”, “supeeer”, “bien jouééé”, “ouftiii” et les applaudissements que la mélodie enfin reconnue sortait chaque fois de l’accordéon de Maître Richard. Dire Maître ou Maestro n’est pas excessif non plus : Galliano est un grand, qui a tout essayé et, souvent, réussi. Alors, quand on vient à un concert de lui, c’est moins la découverte que la confirmation qui pilote l’écoute. Qui plus est, en proposant un “Hommage à Edith Piaf”, Galliano a dû rassurer les responsables de la salle : on n’allait pas casser les fauteuils ! La surprise est venue d’ailleurs : Sylvain Luc, une fois les doigts bien déliés, a dépassé le rôle de faire-valoir du monstre sacré et a entamé un réel dialogue avec soit l’accordéon, soit l’accordina (sic). Galliano, de son côté, l’a joué réglo, sans tirer la couverture. Du beau métier à deux, un public content, une première partie propre, un hommage malin et un p’tit coup de nostalgie quand même. Que veut le peuple… ?

Le peuple de Jazz à Liège, il aurait peut-être voulu un peu plus d’audace et, surtout, il aurait adoré se faire décoiffer, être surpris et quitter la salle (pour aller écouter le formidable Bram de Looze, peut-être) en se disant avec satisfaction : “là, j’ai vécu un truc rare, un moment qui ne se répétera pas ailleurs”. La deuxième partie ne lui a pas offert ce plaisir, au public. Galliano a été impeccable mais prévisible (Galliano plays Galliano). Catherine a fait du Catherine en moins bon. Catherine, on l’a connu formidable, exaltant, osé, audacieux, avec un son i-ni-mi-ta-beuh (comme la Suze dont il avait peut-être abusé avant de monter en scène). Là, Catherine jouait tout seul, se plantait dans ses partitions, secouait la tête pour dire que ça marchait pas comme il voulait, renâclait, remettait son chapeau pour dire que c’était fini : avec tout le respect que je vous dois, Mister Catherine, vous nous avez donné le minimum syndical.

Ici encore, la surprise est venue d’ailleurs. Certes, le respectable Philippe Aerts a été bon à la contrebasse, il a même eu droit à plusieurs solos fortement applaudis. La relève est assurée. Mais il y a mieux : les drums de Hans van Oosterhout. L’air de rien, ce souriant batave, la cinquantaine fringante, a sauvé la mise et, s’il n’a pas vraiment été mis en avant dans les échanges entre ses trois acolytes, il a sous-tendu la totalité du concert de ses interventions finement nuancées. En force, pour “ramener le quartet au milieu du village” ou en percus discrètes, juste pour assurer le piquant derrière un passage plus mélodique, l’homme était juste et à propos. Non content d’être à la hauteur, il a gardé le sourire pendant toute la soirée, rappelant à tous que le jazz, c’est aussi du plaisir.

Mais Galliano est une bête de scène et, en clôture, il a habilement sorti un lapin blanc de son chapeau : une Javanaise (merci Gainsbarre) que le public a tendrement chanté a capella.

Au temps pour la nostalgie : la boucle était bouclée. Mais la magie n’est plus ce qu’elle était…

Lire la chronique de Patrick THONART sur la page Mithra Jazz Festival de QUATREMILLE.BE (25 mai 2017)

Plus de jazz…

THONART : Dee Dee BRIDGEWATER au Jazz à Liège (avec quatremille.be, 2017)

Temps de lecture : 2 minutes >

[QUATREMILLE.BE, 24 mai 2017] Baudelaire adorait le jazz et a toujours regretté d’être né trop tôt pour écouter Dee Dee Bridgewater en concert. Il devait se douter qu’on lui imposerait en première partie China Moses, rejeton de la Diva de Memphis, lorsqu’il a perfidement écrit : “Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté.

C’est une chose de pouvoir déballer ses états d’âme (puérils) quand on est la fille de l’institutrice et qu’on a pu faire son élocution avant les autres. Cela marche avec un public captif (15 % de la salle du Forum de Liège : les moins de 60 ans…) qui se contente de plusieurs moments décousus, d’un beat mal servi par un bassiste poussif, d’un pianiste dont les audaces de dentellière sous acide ne créent pas l’unité et d’une confusion générale où un sax courageux, sincèrement jazzy, et des drums efficaces mais souvent abandonnés par le groupe s’efforcent de créer la magie. Autre chose est de prétendre servir l’héritage maternel : la voix de China Moses n’est pas maîtrisée et manque d’assurance quand elle doit être projetée par-delà les têtes d’un public pourtant bienveillant. D’autres (qui se reconnaîtront) renchériraient plus cruellement encore : “pour suivre cette Moïse-là (Moses) à travers la Mer rouge, il faudrait vraiment que j’aie beaucoup d’Égyptiens au derrière…

L’enfance retrouvée, c’est Dee Dee Bridgewater qui nous l’a offerte. Le génie d’une macrâle (sorcière) de la scène qui sait faire oublier qu’elle connaît toutes les ficelles du job : 100 % de la salle, tous âges confondus, KO-debout, qui se laisse séduire, violer, bousculer, groover, croonerifier, mellower, vas-y-que-j’te-rappelle-que-t’as-des-boyaux-tifier, défriser (un comble), mobiliser, Memphis-sound-iser, up-beatifier, coolifier, bref envoûter par ce que jazz, funk et blues ont de meilleur. Des drums respectés par tous, sans un seul décrochage, une basse de-la-mort-qui-tue, aussi impeccable pour rappeler le beat que pour des solos pas lights du tout, un clavier funkissime, sorte de Leviathan venu du fond des heures Motown (quelque chose du genre “les gamins, vous fatiguez pas, v’là 100 ans qu’on fait tous les soirs ce que vous essayez d’inventer“), des cuivres là juste quand il faut et deux choristes qui n’auraient pas démérité en première partie. Et puis, la voix : c’est retrouver l’enfance que de pouvoir faire rouler le chant aussi bas dans le ventre avant de l’exploser dans tous les recoins d’une salle entièrement muqueuse de disponibilité ; c’est offrir l’enfance que d’oser le cri, comme la note haut perchée (toujours juste !), en toute spontanéité, sans calcul ; c’est jouir de l’enfance que de profaner en riant des standards que l’on savait pourtant momifiés. Et c’est le génie de la maturité de tenir, de bout en bout, un parterre comblé, avec le cœur hors de la poitrine, qu’il s’agisse de prendre le contre-pied de Chet Baker en chantant la rage ressentie quand The thrill is gone, ou de finir en apothéose avec Purple Rain (sic). Quand je serai grand, je veux être choriste chez Dee Dee Bridgewater…

Patrick Thonart

Dee Dee Bridgewater chantait au Jazz à Liège (BE) le 12 mai 2017. Lire la chronique de Patrick THONART sur la page Mithra Jazz Festival de QUATREMILLE.BE (24 mai 2017)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, traduction et iconographie | sources : quatremille.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © quatremille.be.


Plus de jazz en Wallonie…

LIST, Garrett (1943-2019)

Temps de lecture : < 1 minute >
© Alexandre Radicchi

Originaire de Phoenix (Arizona), Garrett List a marqué de son empreinte la vie musicale new-yorkaise de 1965 à 1980, à une époque où Big Apple dictait véritablement le rythme artistique et culturel du monde entier. Aujourd’hui basé à Liège (Belgique), il continue avec détermination ses expériences sonores. A l’heure actuelle, l’Américain virtuose est reconnu comme le chef de file d’un nouveau mouvement : la musique éclectique…”

Lire la suite sur le site officiel du musicien…

ISBN 978-2-36336-157-8

“Édité chez Jacques Flament Éditions, cet ouvrage de 122 pages, illustré de 17 photographies, pour la plupart inédites, et agrémenté d’une postface écrite par Steve Houben, met en lumière l’itinéraire d’un musicien hors du commun, qui est aussi un humaniste et dont l’œuvre musicale aussi féconde qu’originale traverse les styles et les formes…”

En savoir plus sur ce livre…

Plus de musique…

JASPAR, Robert alias Bobby Jaspar (1926-1963)

Temps de lecture : 12 minutes >

Robert “Bobby” Jaspar est né dans ce qu’il est convenu d’appeler une “famille d’artistes” (un grand-père musicien, un père artiste peintre). Enfant, il étudie, sans grande conviction, le solfège et le piano. Mais c’est seulement au début de la guerre, alors qu’il est étudiant à l’Athénée, qu’il a le coup de foudre à la fois pour un nouvel instrument – la clarinette – et un nouveau genre de musique – le jazz. Un week-end de la fin 1942, aux “sports nautiques”, une salle des fêtes parmi d’autres, la soirée est animée par un orchestre d’étudiants qui, en deux ans, est arrivé à de surprenants résultats : la “Session d’une heure” est devenue la meilleure formation amateur de la région. Dans la salle, Bobby Jaspar, André Putsage et quelques autres lycéens ont les yeux rivés sur ces garçons à peine plus âgés qu’eux – Pelzer, Leclercq, Mottart, Classen, etc. – qui jouent cette musique, “comme sur les disques”. Dès le lundi matin, les jeux sont faits. Jaspar et Putsage ne parlent plus que de leur projet : ils seront musiciens eux aussi, ils monteront un orchestre et ils joueront du jazz, quoi qu’il arrive ! Après quelque temps de mise en train solitaire, à la clarinette pour Jaspar, à la batterie pour Putsage, les deux apprentis musiciens commencent à travailler ensemble, s’efforçant de reproduire ce qu’ils entendent sur disque. Bientôt, le guitariste Pierre Robert, le promoteur de la Session d’une heure qui jouait déjà en milieu professionnel, les entend et décide de se joindre à eux. Ce qui revient à cette époque à les prendre en charge et surtout à leur apporter la base harmonique qui leur fait défaut. Le bassiste Charles Libon se joint au trio de base. Le groupe ainsi constitué se donne le nom de “Swingtet Pont d’Avroy”, et met au point quelques morceaux du répertoire de Benny Goodman.

En octobre 1943, il décroche un premier enregistrement, au Mondial, à l’occasion d’un de ces pseudo-cours de danse qui permettaient de contourner l’interdiction de la danse décrétée par l’occupant. Ce sera d’ailleurs un des seuls engagements du Swingtet puisque, dès avril 1944, on retrouve cette formation sous le nom de “Bob-Shots”, ce qui signifie approximativement “les coups de Bob”.

La grande aventure des Bob-Shots ne commencera pourtant qu’en 1945, car entre-temps, Pierre Robert a été arrêté et déporté. L’orchestre se dissout provisoirement. Le seul témoignage de ces Bob-Shots première mouture, un acétate enregistré à Liège Expérimental, semble avoir malheureusement disparu. Survient la Libération. En quelques années, Jaspar est devenu un clarinettiste tout à fait honnête. L’arrivée des Américains – et de leurs V-Discs ! – le ravit bien évidemment. Il commence, tout en poursuivant ses études, à “jammer” un peu partout, à Liège (notamment dans l’orchestre d’Armand Gramme) et à Bruxelles où il se produit aux côtés du pianiste Vicky Thunus (au Cosmopolite) ainsi qu’avec Bobby Naret et Léo Souris. Rentré de déportation en avril 1945, Pierre Robert décide de réunir les Bob-Shots et le 21 juillet, le groupe est à nouveau sur la brèche. Jacques Pelzer, Armand Bilak, Jean-Marie Vandresse puis Georges Leclercq, transfuges de la Session d’une heure, viennent renforcer le quartette initial. La grande aventure commence, pour de bon cette fois. Petit à petit, les Bob-Shots deviennent non seulement le numéro un des orchestres liégeois, mais également une des meilleures formations du pays (avec le Jazz Hot et les Internationals, le quartette de Raoul Faisant et le groupe de Jack Sels). Leur découverte précoce du be-pop fera des Bob-Shots un orchestre aux dimensions historiques. En 1945 et 1946, leur répertoire reste néanmoins celui des petites formations swing (Reinhardt, Teddy Wilson, Ellington, Goodman). Bobby Jaspar joue toujours de la clarinette mais, progressivement, notamment sous l’influence de son maître Raoul Faisant alors à son apogée, il optera pour le ténor et délaissera son premier instrument. Impossible de rendre compte en quelques lignes du phénomène Bob-Shots ; retenons ici que cette période est pour Jaspar celle de la première maturité. Davantage impressionné par Faisant, par Don Byas – qu’il héberge en 1947, lors de son séjour en Belgique – puis par Lucky Thompson (avec qui il joue à Nice en 1948), que par le bop pur, il s’est créé une sonorité et un phrasé solides et ancrés dans la tradition, à partir desquels il développera son propre style dans les années qui suivront. Si Pelzer et Putsage sont plus spécifiquement des boppers, Bobby Jaspar est passé du côté des “modernes” et il sera un des premiers à intérioriser l’esthétique cool. L’époque “revivaliste” est loin derrière… Absorbés par leurs études universitaires (Jaspar est à l’époque à l’Institut Polytechnique de Liège), les Bob-Shots espacent leurs prestations. S’ils gardent leurs fans et continuent à jouir de l’estime de personnalités comme Boris Vian, ils ne réussissent pas davantage que leurs collègues américains à convaincre le grand public de les suivre sur les voies du bop.

Fin 1948, on peut estimer que les Bob-Shots en tant que tels ont vécu, même si leur nom apparaît encore de temps à autre sur les affiches de concerts ou de festivals. Leur chant du cygne – mais il ne s’agit plus vraiment des Bob-Shots ! – sera ce concert de 1949 au Festival de Paris, au même programme que Charlie Parker et Miles Davis !

Entretemps, Jaspar est devenu ingénieur chimiste, Pelzer pharmacien, au moins sur parchemin. Car l’heure du choix a sonné. A la fin des années 40, après quelques tâtonnement, Bobby Jaspar choisit définitivement la musique. On le retrouvera d’abord en Allemagne, aux côtés de Vicky Thunus, Sadi et quelques autres. Mais la musique commerciale qu’on attend dorénavant des musiciens professionnels aura tôt fait de le dégoûter. Il choisit de tenter sa chance à Paris, alors capitale européenne du jazz.

Le milieu du jazz parisien compte dans les années 50, un nombre important de musiciens belges : Benoît Quersin, Sadi, Francy Boland, Christian Kellens, René Thomas. Tous ont connu dans la capitale française des débuts difficiles. Jaspar, descendu à l’hôtel du Grand Balcon, a beaucoup de mal à vivre de sa musique : il joue bien quelques temps avec Henri Renaud (il enregistre avec lui, en 1951, quelques faces pour le petit label Saturne, dont une partie sortira sous forme de “picture 78rpm !” aujourd’hui rarissimes !) ; il lui arrive, à l’occasion, de remplacer Hubert Fol dans le groupe de Django Reinhardt ; mais sa situation reste précaire. Régulièrement, il rentre à Liège, notamment pour participer aux fameuses jams de la Laiterie d’Embourg, en entraînant à sa suite quelques uns de ses nouveaux amis français. Passablement découragé, il accepte en 1952, de suivre Maurice Vandair, Bernard Hullin et quelques autres à Tahiti ! L’orchestre a un contrat de six mois au dancing “Les Cols Bleus” à Papeete ; hélas, le public tahitien n’est pas plus sensible que le public européen au jazz moderne. Une fois de plus, il faut mettre de l’eau dans son vin. Le contrat tourne court et les musiciens, pour payer le voyage de retour, se voient contraints de prolonger leur séjour – ce qui, vu le climat et le paysage, n’est pas si désagréable. Entre deux pêches au requin, Bobby Jaspar se remet à travailler comme chimiste, en plein archipel Tuamotou ! Ses amis belges et français le croient bel et bien perdu pour le jazz.

En 1953, il rentre au bercail. Le climat semble plus favorable au jazz moderne et pendant quelques années, surtout de 1954 à 1956, Bobby Jaspar va, d’engagements en engagements, de disques en disques, devenir une des vedettes du jazz “français” et européens, se retrouvant bientôt aux premières places des polls annuels. Après quelques errances du côté de chez Barelli et Diéval, commence pour lui une période plus faste, Henri Renaud, André Hodeir, Jimmy Raney, Dave Amram, Sadi (et son big band de la Rose Rouge !), Jay Cameron, René Urtregger, Jimmy Gourley, Christian Chevalier, Bernard Peiffer, Chet Baker enfin : tous veulent Jaspar dans leur orchestre. Lui-même dirige ses propres formations, la plus connue étant ce quintette de 1955 au club Saint-Germain, avec le guitariste Sacha Distel. Il compose énormément : Sanguine, Awèvalet, Jeux de Quartes, etc., qui figurent sur ses propres albums : “Bobby Jaspar New Jazz”, “Gone with the wind”, etc. Il nage alors en pleine esthétique cool/west coast (y compris, au contact d’Hodeir, dans ce que le courant a de plus expérimental). Il a trouvé sa voie quelque part entre Getz et Lester ; son jeu est aérien, souple, délicat ; il entretient avec les guitaristes (comme Getz d’ailleurs), une relation contrapunctique précise et légère, riche d’entrelacs complices et d’émotion retenue. A cette époque, il écrit pour Jazz Hot, des études dont la pertinence doit faire rougir plus d’un critique professionnel. Il est vrai que l’homme ne correspond en rien à l’image-type du “jazzman sauvage”, tout dans l’instinct, peu dans la tête : doté d’une intelligence supérieure, pressent-il qu’une telle escalade, pour un écorché de son espèce, peut mener tout droit à la chute ? En novembre 1955, il rentre à Liège, accueilli triomphalement pour un concert à l’Émulation avec Don Byas. “Deux des plus grands ténors au monde” annonce le Hot Club de Belgique !

La même année, il épouse Blossom Dearie, chanteuse et pianiste américaine qui dirige alors un groupe vocal, les Blue Stars. Ce mariage facilitera le grand saut ! Il y pensait depuis quelques temps déjà (comme y pensent tous les jazzmen du monde) ; maintenant, sa décision est prise : il faut aller de l’avant. Si ça a marché à Paris, pourquoi ne pas affronter la Mecque du jazz, la vraie : New York. En avril 1956, Bobby Jaspar, qui a tout juste trente ans, s’embarque pour les États-Unis, pour ce New York où des centaines de saxophonistes attendent déjà leur heure !

Bien plus encore que les débuts parisiens, les premiers pas à New York sont difficiles ; “je me demandais ce que je faisais ici” dira-t-il, “et j’étais prêt à abandonner la musique”. Il s’est inscrit dès que possible au tout puissant syndicat des musiciens et il arpente la ville à la recherche d’un concert. Par chance, il rencontre Mort Herbert (à l’époque bassiste dans l’All Stars de Louis Armstrong) qui l’engage pour un enregistrement, deux mois à peine après son arrivée, et qui, surtout, l’introduit dans certains cénacles de la Grosse Pomme. C’est ainsi que, de rencontres en rencontres, il atterrit dans le big band de Gil Fuller, aux côtés d’Oscar Pettiford, Hans Jones et Gil Evans. C’est le début d’une ascension fulgurante ; de Gil Evans à Miles Davis, il n’y a jamais qu’un pas, qu’il franchit lors d’une jam-session. Miles Davis, pourtant avare de compliments, surtout à l’encontre des blancs, le recommande à Jay Jay Johnson qui cherchait un nouveau sax pour son groupe. Et Jaspar (“Jasper” comme disent et écrivent les Américains !) se retrouve dès 1956, membre à part entière d’une des plus prestigieuses phalanges hard-bop des années 50 : J. J. Johnson (tb), Bobby Jaspar (ts, fl), Tommy Flanagan (p), Wilbur Littel (b), Elvin Jones (dm) ! Quatre noirs pétris de swing et un petit blanc qui, et c’est là le miracle, ne détonne pas le moins du monde ! J’ai dit “hard-bop”, en effet, dès son arrivée à New York, le jeu de Jaspar s’est durci et au fil des enregistrement du quintette, on peut suivre les étapes de ce durcissement. Par ailleurs, Jaspar ajoute une corde à son arc en choisissant un second instrument, la flûte, encore peu utilisée en jazz et qu’il a commencé a pratiquer peu avant son départ. Bobby Jaspar deviendra une des voix les plus marquantes et les plus originales de la flûte-jazz.

Premier, catégorie “New Stars” dans le Down beat Poll dès le mois d’août 1956, il va parcourir les U.S.A. de long en large avec Jay Jay Johnson, à un rythme infernal qui non seulement l’épuise physiquement mais renforce vraisemblablement des tendances déjà plus que latentes à consommer diverses drogues. En 1956 et 1957, Bobby Jaspar joue et enregistre avec Hank Jones, André Hodeir, Herbie Mann, Billy Verplanck ainsi qu’au sein d’un All Stars détonnant (Coltrane, Webster Young, Idrees Sulieman, Mal Waldron, Kenny Burrell, Paul Chambers et Art Taylor, tous issus de la firme de disques “Prestige”). Il enregistre également deux albums à son nom, l’un en 1956 (le plus personnel, qui contient les fameux “Clarinescapade” et “In a little Provincial Town” – ce dernier titre en hommage à Liège), l’autre en 1957, pour Prestige précisément, plus musclé, plus strictement new-yorkais !

Deux albums complémentaires qui suffiraient à eux seuls à le placer parmi les grands du jazz. Toujours avec Jay Jay Johnson, il part en tournée en Europe. C’est à son retour aux États-Unis, après de courtes vacances au pays natal, qu’il va vivre une expérience peu commune : un séjour de quelques semaines dans le quintette de Miles Davis ! Bobby Jaspar et Barney Wilen (à la même époque d’ailleurs) sont les seuls Européens – et pour ainsi dire les seuls blancs jusqu’à Liebman, Grossman et les autres – à pouvoir se vanter d’une telle performance. Performance qui les situe au rang de John Coltrane, de Sonny Rollins, de Wayne Shorter. Malheureusement, ce séjour au coeur même de la “locomotive” du jazz des années 50 ne sera pas vraiment une réussite. Jaspar ne peut s’intégrer à l’esprit du quintette, d’autant que Miles Davis ne lui permet pas de jouer de la flûte. Les relations avec Miles et sa cour ne sont d’ailleurs pas des plus aisées ; Bobby racontera plus tard ces soirées où il se retrouvait atrocement seul et malade, assis sur les marches de l’arrière-cour sordide d’un club new-yorkais, vivant à l’envers les affres du racisme, payant pour les crimes que d’autres avaient commis.

Il reste que ce séjour, si pénible soit-il, marque une nouvelle étape dans son intégration au milieu new-yorkais. De 1958 à 1960, il se produit dans les quintette de Jay Jay Johnson et de Donald Byrd (avec qui il effectue une nouvelle et triomphale tournée en Europe) ; il enregistre aux côtés de Barry Galbraith, Toshiko Akiyoshi (avec René Thomas), Wynton Kelly, Milt Jackson, Kenny Burrell, jouant également avec Toots Thielemans, Bill Evans, Jimmy Roney, dans les lieux les plus mythiques : le Birdland, le Village Vauguard. Pendant tout ce temps, Bobby Jaspar reste un “pur” qui préférera toujours vivre mal du jazz que vivre bien d’une musique alimentaire qu’il méprise. Le corollaire de ce credo est une lutte permanente pour la survie, dans cette jungle new-yorkaise qui, impitoyablement, mine sa santé. Quand il rentre en Europe en 1961, chacun s’accorde à penser qu’il était grand temps ! A Comblain, devenu entretemps un des premiers festivals au monde, il est sans force et peut à peine jouer.

Ses amis le persuadent de ne pas retourner là-bas, pas tout de suite en tout cas. Lentement, il se rétablit, même si ceux qui le connaissent bien pressentent que ce n’est qu’un sursis. René Thomas est rentré au pays lui aussi et, ensemble, ils montent un orchestre qui va conquérir l’Europe en 1961 et 1962.

Benoît Quersin (b), Daniel Humair (dms), et à l’occasion les pianistes René Urtregger et Amadeo Tommasi, entourent les deux Liégeois. Cette formation est la première à être engagée au Ronnie Scott de Londres, alors qu’elle n’est constituée que d’Européens, de surcroît non britanniques ! A Rome, le quintette enregistre un superbe album ; puis un autre encore, avec Chet Baker ! Depuis leur première rencontre dans un studio d’enregistrement en 1955, beaucoup de choses ont changé, pour l’un comme pour l’autre. Et leur musique en porte la marque. En 1962, Bobby Jaspar effacera le pénible souvenir de sa prestation à Comblain l’année précédente, en participant à des concerts et à différentes jams dans sa “little provincial town”. Il repart alors subitement pour les États-Unis. Sans doute la vie plus calme qu’il connaît en Europe ne lui suffit-elle plus. On songe aux derniers voyages de Bud Powell tel que l’a superbement décrit Francis Paudras : dans les deux cas, l’issue sera fatale. Dès le mois de septembre, Jaspar est hospitalisé. Il apparaît bientôt qu’une opération à cœur ouvert est indispensable. Tandis que ses amis américains s’activent pour trouver la quantité de sang nécessaire à l’opération, en Belgique, un “benefit concert” est organisé pour payer les frais d’hospitalisation, Jaspar n’ayant évidemment pas le sou. L’opération a finalement lieu, mais son état s’est encore aggravé et désormais, rien ne pourra le sauver. Le 4 mars 1963, Bobby Jaspar meurt à l’Hôpital Bellevue, dans ce New York qui l’a consacré puis tué. Parmi les hommages que lui rendent les divers périodiques spécialisés, on retiendra celui de Pierre Bompari, dans l’éphémère revue Jazz Hip : “… Il ne m’appartient pas – et à personne – de parler de la façon dont Bobby a choisi de nous quitter. Il ne m’appartient pas – et à personne – de disserter sur ce long et pénible suicide. Non, il ne m’appartient pas de parler du départ de ce musicien d’exception, surtout au moment où quelques tristes imbéciles de la presse parisienne se complaisent à déblatérer sur un sujet trop, beaucoup trop délicat et complexe sur le tas de boue qui leur sert de cervelle. Bobby Jaspar possédait en lui l’idéal des choses bien faites et avec cœur. Il était honnête et bon et c’est tout ce que je veux savoir de lui. Il faisait partie de ces hommes à la sensibilité et à la sincérité exaltantes. Il était de la lignée des Boris Vian, se moquant parfois tendrement de lui-même pour nager dans un monde un peu moins conventionnel que celui qui nous est offert chaque jour. La pataphysique aurait pu lui suffire pour passer, pour enjamber le pont de la médiocrité quotidienne. Elle ne l’a pas fait…”.

Le 14 mars 1963, Bobby Jaspar est enterré au cimetière de Robermont (Liège, BE) ; il venait d’avoir trente sept ans ! Quelques jours plus tard, Jacques Pelzer et Maurice Simon joueront l’Agnus Dei de Bizet et All the things you are à la messe-jazz célébrée en son honneur. Vingt cinq ans plus tard, on commence à réaliser quelle perte la mort prématurée de Bobby Jaspar a représenté pour le jazz.

Extrait de Jean-Pol Schroeder dans Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990, 175 à 180)

Oeuvres

Bobby Jaspar est un des musiciens belges ayant enregistré le plus. Au début des années 50, en France avec Henri Renaud, Bernard Peiffer, Jimmy Raney, André Hodeir, Jay Cameron, Don Rendell, Dave Amran, Christian Chevalier, Chet Baker, ainsi que de nombreux enregistrements sous son nom. A partir de 1956, aux U.S.A., avec Jay Jay Johnson, Hank Jones, Herbie Man, Tony Benet, Helen Merrill, Toshiko Akiyoshi. En France (1958) avec Donald Byrd, Michel Hausser. A nouveau aux U.S.A. à partir de 1959 avec Wynton Kelly, Chris Connor, Milt Jackson, Kenny Burrell, John Coltrane (Prestige All Stars), Chet Baker, John Lewis.

Faits & dates
  • Né à Liège (BE) le 20 février 1926
  • Mort à New-York (US) le 4 mars 1963
En savoir plus
  • Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990, 175 à 180)
  • Maison du Jazz (Liège, BE)
  • Jazz in Belgium (EN)

DAVIS, RAMIREZ & SHERMAN : Lover Man (1941)

Temps de lecture : < 1 minute >
DAVIS, RAMIREZ & SHERMAN Lover Man (1941) par KONITZ, MULLIGAN, BAKER, SMITH & BUNKER
Davis et al. | Mulligan et al.

DAVIS, RAMIREZ & SHERMAN

D’autres incontournables du savoir-écouter :

Comblain Jazz Festival

Temps de lecture : < 1 minute >

L’Américain Joe Napoli, GI survivant de la bataille des Ardennes, tombe amoureux d’un petit village de la vallée de l’Ourthe et décide  d’y créer un festival. En trois mois, un projet à l’américaine est mis sur pied. Les vedettes de jazz, comme Chet Baker, et le public sont au  rendez-vous. 8 ans de success-story . On parle de Comblain “capitale européenne du jazz”, jusqu’au célèbre festival américain de Newport! Joe Napoli s’est entouré de l’équipe de “Jazz pour tous”, l’émission radio de Nicolas Dor et Jean-Marie Peterken, de Raymond Arets et de Willy Henroteaux du journal La Meuse. La conjonction de toutes ces énergies et d’une stratégie de communication hyperefficace firent le succès de Comblain qui devient “The  place to be” pour tous les jazzmen entre 1959 et 1966. On y entendra John Coltrane, Ray Charles, Nina Simone, Chet Baker, Stan Getz, René Thomas, Bobby Jaspar, Bud Powell, Kenny  Clarke, Jimmy Smith, John Tchicai et tant d’autres musiciens extraordinaires.

Lire la suite sur le site du festival…

En savoir plus grâce au site d’un amateur…


More jazz…