SOLBACH, Henri (1917-2007)

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Henri SOLBACH [parfois orthographié Henry] débute à Liège vers 1935 dans des orchestres de danse à coloration jazzy plus ou moins marquée : Jean Wery et ses Ric-Racs, Lucien Hirsch, Gene Dersin, Oscar Thisse. Il retrouvera Oscar Thisse après la guerre puis commencera à travailler en collaboration avec Jean Evrard et Coco Gonda.

Il joue à cette époque du ténor, de la clarinette, du violon, etc. Il ne se spécialisera dans le baryton que plus tard. Pendant les années 50, il travaille avec le pianiste Maurice Simon et surtout dans l’Equipe (Evrard, Gonda) et avec Roland Thyssen (l’orchestre de variété Henri Roland n’est en fait que l’association d’Henri Solbach et Roland Thyssen !). Parallèlement au travail en cabaret, il participe à de nombreuses tournées avec les orchestres de Jean Omer, Robert de Kers, et surtout Eddie de Latte avec lequel il parcourt toute l’Europe. A Barcelone, Solbach travaille avec Xavier Cougat qui lui enseigne la technique des tumbas.

Etant musicien professionnel, à cette époque, il a surtout joué de la variété jazzy, et occasionnellement du middle-jazz. Dans les années soixante, retrouvailles avec le jazz : il entre dans le Jump College. Il mène de front une activité d’artiste-peintre, réalisant des toiles à tendance surréaliste pour lesquelles il obtient plusieurs distinctions. En 1980, il fait partie de deux grandes formations de jazz moderne : Saxo 1000 et Act Big Band. Par la suite, il revient à un répertoire plus traditionnel en se produisant au sein du Jazz de Liège et du Jazz de Wégimont pour lesquels il réalise de nombreux arrangements.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : entête de l’article © hotclubdebelgique.wordpress.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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QUERSIN, Benoît (1927-1992)

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Benoît QUERSIN est né à Bruxelles, en 1927, et décédé à Vaison-la-Romaine  (F), en 1992. Personnage aux multiples facettes, Benoit Quersin est avant tout le bassiste de cette génération de mutants (Jaspar, Thielemans, Thomas, Pelzer) qui changea la face du jazz belge à la fin des années 40. Sur cet instrument ingrat – peu de musiciens belges s’y illustrèrent jusqu’il y a quelques années – il accompagnera un nombre impressionnant de grands maîtres américains ou européens ; il jouera un rôle déterminant dans la diffusion et dans la propagation du jazz en Belgique.

Benoît Quersin grandit dans un environnement musical particulièrement riche : sa mère est pianiste, sa grand-mère, violoniste amateur. Il rencontre ainsi d’éminentes personnalités comme Bela Bartok ou Stefan Askenase ; c’est avec ce dernier qu’il prendra quelques leçons de piano. Cet environnement privilégié aurait pu le déterminer à entreprendre des études classiques poussées (sa sœur deviendra d’ailleurs professeur de violon au Conservatoire de Bruxelles). Mais c’est dans une autre direction qu’il va s’orienter. Peu avant la guerre, Quersin découvre le jazz. Il se sent aussitôt “attiré invinciblement” vers cette musique reproduite d’oreille à l’écoute des disques de Fats Waller, Louis Armstrong, etc. Une de ses idoles est le chef d’orchestre belge Fud Candrix, qu ‘il a pu applaudir quelque fois aux Beaux-Arts.

A la Libération, il possède les bases suffisantes pour monter un premier orchestre ; avec quelques voisins, musiciens amateurs comme lui (un trio : clarinette, piano, guitare), il s’attaque à Honeysuckle Rose et autres “saucissons” millésimés. Petit à petit, il va pénétrer dans le milieu du jazz belge, alors en ébullition (les Américains sont là et le jazz, pour quelques temps, est à la mode). Il fait (1947) la rencontre, décisive, d’un certain Jean Thielemans – il ne s’appellera Toots que plus tard – avec lequel il va jouer quelque temps. A cette époque, il est toujours pianiste et lorsqu’il se met à la contrebasse, il a déjà derrière lui une forte connaissance harmonique qui l’aidera à donner à son jeu de basse une richesse peu commune.

C’est avec Candrix que Quersin se met à la contrebasse et que, bientôt, il abandonne le piano pour se consacrer exclusivement au “gros violon”. Il obtient ses premiers engagements comme bassiste dans les orchestres de Big John (Jean-Pierre Vandenhoute), Jean Leclère, puis Francis Coppieters (au Versailles). Il découvre les disques de Charlie Parker et Dizzy Gillespie qui ont tôt fait de le convertir au be-bop, déjà familier aux quelques musiciens liégeois qui deviendront rapidement ses compagnons de route (Bobby Jaspar, Jacques Pelzer). En 1948, il subit comme tant d’autres le choc Gillespie qui le fait pénétrer pour de bon -en tout cas en tant qu’auditeur- dans l’univers be-bop.

C’est encore dans le cadre du be-bop que va se passer le premier épisode marquant de sa carrière : en 1949, Toots l’emmène avec lui au fameux Festival de Paris où les têtes d’affiche étaient tout simplement Charlie Parker et Miles Davis ! Au programme également, un autre orchestre belge : les BobShots (avec Jaspar et Pelzer précisément), première formation européenne à s’être attaquée à la nouvelle musique. On imagine que ce séjour parisien aura dû fonctionner comme un incroyable voyage initiatique. Bien mieux que sur disques, Quersin comprend, en regardant jouer Tommy Potter et le batteur Max Roach, quel travail colossal attend les bassistes et les batteurs belges s’ils veulent arriver à maîtriser ce nouveau langage.

De retour en Belgique, il se remet à jouer dans des orchestres souvent plus proches de la variété que du jazz. Toutes les occasions sont bonnes pour passer quelques jours à Paris, où se concentre à l’époque toute l’activité jazzique européenne ; ainsi en 1950, il assiste avec Alex Scorier et Roger Asselberghs à la fameuse Semaine du Jazz. En Belgique, il joue quelque temps dans le Jump College et suit Jack Sels dans quelques unes de ses expériences : il participera ainsi au Chamber Music de 1951 , ainsi qu’à un quintette dans lequel Sels a également engagé René Thomas et Jean Fanis.

Pendant ses séjours à Paris, il retrouve Bobby Jaspar, Sadi, et fait la connaissance d’Henri Renaud ; au fil des rencontres, il obtient un engagement de trois mois aux côtés de la chanteuse Lena Horne. Mais, s’il lui arrive encore d’accompagner des musiciens de tous styles, il a désormais choisi sa voie : en 1952, lors d’une interview publiée dans Jazz Hot, Quersin fait cette déclaration, qui témoigne d’une lucidité peu commune à l’époque : “… Le public préfère telle musique parce qu’elle est plus à sa portée (et cela n’a rien d’étonnant); mais que des individus prétendument informés du sujet, voire des critiques, contestent à une musique le droit d’évoluer et prétendent arrêter le cours de l’histoire à 1930 me paraît saugrenu (…) Ce n’est pas faire du modernisme à tout prix que de s’exprimer dans une langue qui corresponde à l’état actuel de la musique et à la sensibilité contemporaine. Armstrong est peut-être la personnalité la plus marquante du jazz, bon ! Mais n’arrêtons pas l’histoire pour cela. Ou bien alors, Van Gogh est un barbouilleur et Stravinsky un escroc…

En 1950, Benoît Quersin décide de s’installer définitivement à Paris. Il y deviendra en peu de temps, avec Pierre Michelot et Jean-Marie Ingrand un des bassistes les plus demandés. Jusqu’en 1957, il déploie une activité intense. Il côtoie non seulement l’élite du jazz européen, mais aussi de nombreux musiciens américains. Ainsi, il joue et enregistre avec Sidney Bechet, Jonah Jones, Lionel Hampton, Lucky Thompson, Jay Cameron, Zoot Sims, Jon Eardley, Allen Eager, Kenny Clarke, Sarah Vaughan, Dizzy Gillespie, etc. Et bien sûr Chet Baker qui l’engagera pour sa tournée européenne. Avec des leaders de natures aussi différentes, il est rapidement porteur d’un bagage musical particulièrement riche. Parmi les musiciens européens qu’il faut ajouter à ce palmarès, citons Henri Renaud, Bobby Jaspar, Bernard Peiffer, Sadi, Jack Dieval, André Persiany, Stéphane Grapelli, René Thomas, Bob Garcia, Maurice Vander, Sacha Distel, Jimmy Deuchar, etc.

Mais, après cette période faste du jazz à Paris, la situation va se dégrader. Jaspar et Thomas sont aux Etats-Unis ; les contrats se font rares. Quersin rentre en Belgique en juin 1957. Pas un seul engagement en Belgique. Après un premier séjour de quelques mois en Afrique (hiver 1957-1958), il redevient un sideman très actif. Avec Jack Sels, il rejoint Lucky Thompson à Cologne pour l’enregistrement d’une session aujourd’hui historique (Bongo Jazz) ; avec Jacques Pelzer – un de ses partenaires privilégiés – il participe à l’enregistrement de l’album Jazz in Little Belgium (1958). II écrit la musique de plusieurs films (notamment pour Henri Storck), et il effectue quelques excursions de l’autre côté de l’Atlantique.

L’année 1958 sera un tournant décisif dans la carrière de Quersin : exclusivement musicien “pratiquant” jusque-là, il va s’attaquer aussi à la production et à la diffusion du jazz. On le retrouve à la tête d’un club de jazz qui deviendra au début des années 60 le plus important du pays : le Blue Note (à ne pas confondre avec son homonyme parisien) où vont défiler pendant quelques années les meilleurs jazzmen internationaux. Le nom de Benoît Quersin est alors connu bien au-delà des frontières belges et françaises et son carnet d’adresses ressemble plutôt à un bottin jazzique international ! 1959 : c’est le début de l’aventure de Comblain-la-Tour. Il s’y produira à de nombreuses reprises; avec Pelzer, il joue aussi au premier Festival d’Antibes (1960) et en Italie (1961 ).

C’est également en 1961 qu’il ajoute une nouvelle corde à son arc, en animant pour la RTB diverses émissions (Jazz-Actualités, Jazz in Blue). Il fait de nombreux reportages (Etats-Unis, Afrique) pour différents journaux, et il écrit pour Jazz Magazine, Le Monde, Le Soir Illustré, etc. En tant que musicien, il fait partie du quartette monté par Bobby Jaspar et René Thomas à leur retour des Etats-Unis, un quartette qui fera notamment les beaux soirs du Ronnie Scott’s de Londres (comme en témoigne un album récemment publié), du Blue Note et de nombreux autres clubs européens. C’est encore avec Thomas et Jaspar que Quersin enregistre un superbe album en Italie, et qu’il retrouve Chet Baker, le temps d’enregistrer l’album Chet is Back (1962).

Benoît Quersin au Zaïre © colophon.be

A partir de 1963, il va progressivement réduire ses activités de musicien, et s’investir davantage dans son travail “paramusical”. II enregistre encore quelques disques fameux (notamment Meeting avec René Thomas et Jacques Pelzer). Sa réputation de spécialiste du jazz est désormais bien implantée dans les domaines de l’animation et de la diffusion En 1963, il devient conseiller, pour une durée de deux ans, de la Société Philharmonique et de la Discothèque Nationale de Belgique ; la même année, il obtient de la RTB que les différentes productions liées au jazz soient réunies en une réelle “Section jazz” dont il est le coordinateur.

Il anime plusieurs émissions de jazz sur les différents programmes de la RTB radio et est conseiller technique pour la radio flamande. Il interviewe les “grands maîtres” (Coltrane notamment). Cette “défense et illustration” du jazz tous azimuts reste, comme au moment de l’arrivée du jazz moderne en Europe, ouverte à toute évolution. Ainsi, après avoir défendu les boppers contre leurs détracteurs (tout en continuant à aimer aussi le jazz plus classique), il va se faire le défenseur du nouveau jazz qui déferle sur le vieux monde dans les années soixante ; dès 1962, il écrit pour Jazz Magazine ces quelques lignes qui attestent sa profonde intelligence de ce qu’est réellement l’originalité du jazz : “… Le jazz évolue tous les jours et continuera d’évoluer. Le jazz est passé en cinquante ans par tous les stades possibles. Après la musique folklorique, la musique populaire, la musique de variétés, nous arrivons aujourd’hui à un moyen plus original d’expression, une forme autonome de la musique, plus intellectuelle, qui se libère du système harmonique. Mais l’essentiel reste sauvegardé : le jazz continue d’être une expression directe de la sensibilité. Il a conquis ses lois propres, il est devenu un langage esthétique cohérent et autonome, comme la peinture, mais à part quelques échecs expérimentaux, il a su préserver la fraîcheur d’inspiration des premiers temps. Le jazz, à la différence d’autres formes d’art même musicales, est d’une création immédiate, qui s’opère dans l’instant et qui engendre son propre renouvellement. C’est pourquoi j’attache tant de prix et d’intérêt à la musique d’un John Coltrane, d’un Charlie Mingus, d’un Miles Davis, d’un Omette Coleman…”

Et pourtant, malgré cette passion pour l’évolution du jazz, c’est vers les racines, vers les sources profondes du jazz que Benoît Quersin va bientôt se tourner, définitivement. Les quelques voyages africains qu’il a effectués, notamment avec Jacques Pelzer, l’ont bouleversé et lui ont donné envie de connaître en profondeur cette musique envoûtante. En 1966, il est présent à Dakar, au Festival Mondial d’Art Nègre. L’année suivante, il part en mission pour trois mois au Cameroun, pour le compte du Musée Royal d’Afrique Centrale (Tervuren). De plus en plus, l’Afrique l’appelle. Pourtant, il continue quelque temps encore à assurer les différentes tâches qu’il a entreprises, notamment sur le plan radiophonique. En pleine crise du jazz, il lance avec Marc Moulin les émissions Cap de Nuit, puis Now, qui feront date dans l’histoire de la radio belge. Si le jazz reste prédominant, Quersin et Moulin ouvrent leurs programmes à d’autres types de musique (rock, ethnique), en leur donnant par ailleurs une dimension sociologique.

Mais l’Afrique finira par gagner la bataille. Avant d’avoir pu assister à la relève du jazz en Belgique – une relève à laquelle il a indirectement participé-,  il coupe enfin le cordon ombilical qui le rattachait à l’Occident et part s’installer au Zaïre (Congo) où il produit un travail musicologique remarquable. A partir de 1973, il s’occupe de la Section Musicologique des Musées Nationaux du Zaïre, parcourant l’Afrique de village en village, récoltant des documents sonores fascinants, œuvrant avec détermination à préserver le patrimoine africain et à défendre l’authenticité sous toutes ses formes. Disques, livres, articles, conférences, organisation de tournées (notamment avec une troupe issue de la tribu Pende). Le jazz passe à l’arrière-plan, la passion reste ! En 1987, Marc Moulin et Fred Van Besien lui ont consacré un hommage télévisuel largement mérité. A cette occasion, Benoît Quersin a repris la guitare basse pour accompagner Toots, son compagnon des débuts, le temps d’un soir d’émouvantes retrouvailles au Bierodrome à Bruxelles. Puis il est reparti vers ces sources grondantes du jazz dont il est aujourd’hui un des plus éminents spécialistes.

Discographie sélective : nombreux enregistrements, notamment avec Henri Renaud (Blue Star – 1952) ; Bobby Jaspar (1953, 1955, 1962) ; Jack Dieval (1953, 1955, 1956) ; Sidney Bechet (1954) ; Jay Cameron (1955) ; René Urtreger (1955) ; Stéphane Grappelli (Barclay – 1955) ; Martial Solal (Vogue – 1955) ; René Thomas (Barclay – 1955) ; Chet Baker et Bobby Jaspar (1955- 1956) ; Lucky Thompson (1956) ; Jacques Pelzer (Decca – 1958).

Jean-Pol  SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : © rtbf.be ; colophon.be | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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Mc CONNELL, Lou (1947-1980)

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Lou Mc CONNELL  est né à Liège en 1947 et y est décédé en 1980. Ce saxophoniste américain a effectué une bonne partie de sa carrière en Belgique, où il est né en 1947, d’un père américain et d’une mère belge. A l’âge de quatre ans, il suit sa famille aux Etats-Unis. Il y étudie la batterie, la guitare puis, enfin, le saxophone. Il fréquente deux des plus prestigieuses écoles de musique américaines : Berklee et la Manhattan School of Music, puis devient musicien professionnel. A Los Angeles, il joue au sein du Fifth Room Quartet et du groupe Chakra et travaille avec le pianiste Hampton Hawes ainsi qu’avec Frank Rosolino et Walter Bichop Junior.

En 1976, Mc Connell décide de rentrer en Europe et retrouve à Liège les musiciens américains qui y sont alors installés : Ron Wilson (piano), John Thomas (guitare), et surtout le grand drummer Art Taylor. Il s’intègre également aux musiciens locaux, et, l’habitude aidant, perd de son prestige de musicien américain pour rencontrer les problèmes communs à tous les jazzmen de cette sombre époque noire d’avant la relève. Il monte le groupe High Energy avec lequel il enregistre en 1979 un très bel album (avec Michel Herr et deux membres du Mauve Traffic de Steve Houben : Kermit Driscoll (basse) et Vinnie Johnson (drums)). Il exerce une influence considérable sur les jeunes musiciens de l’époque (Vaiana, Cirri, etc.).

Au départ Coltranien convaincu, Mc Connell se met bientôt à réétudier la musique de Charlie Parker dans laquelle il trouve une inspiration nouvelle. Il rencontre Chet Baker et est séduit par la profonde simplicité de sa musique. En 1980, il repart pour quelques mois aux États-Unis. De retour à Liège, il participe aux jams de l’Auberge de l’Ourthe, dans le petit village de Tilff. Miné par le peu de reconnaissance que lui vaut sa musique, épuisé physiquement, Mc Connell s’éteint – dans la misère ou presque – en 1980 à moins de trente-cinq ans. La presse locale titre : “Il n’a pas eu le temps de prendre la succession de Bobby Jaspar“.

Jean-Pol SCHROEDER


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NARET, Robert dit Bobby (1914-1991)

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NARET, Robert dit Bobby est né en 1914 à Loncin (Ans) et décédé en 1991 à Bruxelles. Il s’intéresse à la musique dès l’âge de dix ans, à l’écoute de la fanfare de son village et étudie le solfège avec le leader de cette formation. En 1925, il s’essaie à la clarinette à l’aide d ‘une méthode imprimée, puis se met au saxophone. Il commence à jouer au début des années 30. Il reçoit son premier engagement dans l’orchestre du saxophoniste Jo Magis, à la Laiterie de Bruxelles ; il entre ensuite dans l’orchestre de Lucien Hirsch, à Liège, et en devient le principal soliste.

En 1934, il quitte Hirsch pour rejoindre la formation de Fud Candrix à Bruxelles. Il se produit à l’Exposition de 1935, et dans nombre de dancings à Bruxelles et en province mais aussi à La Haye (aux côtés de Coleman Hawkins) et en Egypte. Il restera dans l’orchestre de Candrix jusqu’en 1943 (nombreux enregistrements) ; entretemps, il joue et enregistre également avec différents orchestres de pionniers : le Swingtette de Chas Dolne (1940- 1942), Gus Deloof (1941), Jeff de Boeck et son Metro Band (1941-1942) ainsi qu’avec Django Reinhardt et Hubert Rostaing en 1942.

La même année, il monte son propre orchestre où se retrouvent Janot Moralès, Albert Brinckhuyzen, Jo Magis et la chanteuse Martha Love ; il réalise de nombreux enregistrements de 1942 à 1944. Il travaille encore avec Aimé Barelli à Paris en 1943, ainsi qu’avec Robert de Kers, Eddy Christiani, Gus Clark et Ernst Van’t Hof. En 1945 et 1947, il tourne avec son orchestre pour les G.I.’s. Il est considéré à cette époque comme un des meilleurs, sinon le meilleur, saxophoniste alto belge avec Jean Omer ; il est classé n° 1 au référendum du Hot Club de Belgique en 1946, et n° l ex-aequo avec Van Bemst pour la clarinette.

Par la suite, il continue de se produire dans différents orchestres de moins en moins jazz. En 1953, il réalise quelques enregistrements avec son combo ; en 1956, il part en tournée au Congo (RDC) avec Rudy Bruder. En 1962, Bobby Naret joue à Comblain dans l’orchestre des vétérans puis disparaît de la scène du jazz.

Jean-Pol SCHROEDER


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BOLAND, Francy (1929-2005)

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Francy BOLAND est né à Namur en 1929 et décédé à Genève en 2005. Il étudie le piano dès l’âge de 8 ans et vient se fixer à Liège dans l’immédiat après-guerre pour y poursuivre ses études musicales au Conservatoire. Il découvre le jazz et se met à l’étude de la trompette, fait la connaissance des “modernes” liégeois (Pelzer, Thomas, Jaspar … ) et commence à jammer avec eux, se familiarisant rapidement avec le langage be-bop.

En 1949, il remplace Maurice Simon au sein des Bob-Shots (dernière mouture) qui se produit au Festival de Paris et enregistre quelques 78 tours dans la tonalité bop. En 1950, il participe aux jams de la Laiterie (Liège), à la trompette surtout. Passé professionnel, il travaille en piano-bar, à Liège, et fréquente régulièrement l’Exi-Club d’Anvers et les clubs bruxellois. Francy Boland part pour Paris et s’y fait bientôt un nom, surtout comme arrangeur pour les formations d’Henri Renaud, Sadi, etc. En 1954, il entre chez Aimé Barelli ; l’année suivante, il rencontre Chet Baker qui l’engage pour une tournée et quelques enregistrements. Commence ainsi une carrière internationale de pianiste et d’arrangeur.

Sa réputation grandissant, il se rend aux Etats-Unis, écrivant pour les orchestres de Count Basie, Benny Goodman et Mary-Lou Williams. De retour en Europe, il devient le pianiste/arrangeur de l’orchestre de Kurt Edelhagen en Allemagne. En 1962, il monte avec le batteur américain Kenny Clarke un des big bands les plus fameux de toute l’histoire du jazz : le Clarke Boland Big band. Nombreux seront les concerts et les enregistrements avec cet orchestre euraméricain au sein duquel sont périodiquement invités des vedettes comme Phil Woods, Johnny Griffin, Zoot Sims, etc. Cette formation durera onze ans.

En 1969, Boland est nommé lauréat européen du Down Beat Poll et enregistre un album avec les autres lauréats de ce référendum : Albert Mangelsdorff, John Surman, Karin Krog, Niels-Henning Orsted Pedersen et Daniel Humair. A la dissolution du Clark Boland Big Band, il se fixe en Suisse où il travaille notamment pour la radio dans le domaine du jazz et surtout de la variété ;  il retrouve de temps à autre ses anciens compagnons Sadi ou Kenny Clarke pour un enregistrement. Au début des années 80, il travaille comme arrangeur pour Sarah Vaughan et met en musique les poèmes du pape !

Discographie sélective : Avec les Bob-Shots (1949) pour la marque Pacific à Paris. De 1952 à 1956 (Paris) avec Henri Renaud, Sadi, Bobby Jaspar, Chet Baker.
A partir de 1960 en Allemagne avec Don Byas. De 1961 à 1971 , sous le nom de CBBB (Clarke-Boland Big-band), 26 albums chez Atlantic (U.S.A.), Sabam, Polydor, etc. Participation aux enregistrements : Toots Thielemans, Johnny Griffin, Sahib Shihab.

Jean-Pol SCHROEDER


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DOR, Nicolas (1922-1990)

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Nicolas DOR est né à Liège en 1922 et y décédé en 1990. Il reçoit son premier phonographe – un “portatif” – à l’âge de cinq ans. Précoce, il fouine avec une obstination déjà farouche dans la collection de 78 tours tous azimuts qu’a réunie son père. C’est de là, sans doute, que lui est venu ce goût particulier pour toutes ces “vieilles choses” qu’ont charriées jusqu’à nous les disques durs, même en dehors du jazz. Pendant son enfance, un homme va jouer un rôle important : il s’appelle Paul Lümmerzheim. Pianiste et ami de la famille, il débarque régulièrement chez les Dor avec sous le bras une pile de disques introuvables à Liège : des disques qu’il fait venir en importation des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne. C’est ainsi qu’à une époque où Red Nichols et Bix Beiderbecke sont encore les seules références optimales en Belgique (on commence à peine à entendre parler d’un certain Louis Armstrong), il découvre en primeur les disques du Hot Five, les premiers Ellington, les Fletcher Henderson, etc. Cette musique éveille aussitôt en lui comme une passion incontrôlable. Et lorsqu’en 1934, Nicolas Dor, âgé alors de douze ans, se rend au Royal afin d’assister au concert unique de Louis Armstrong, il est déjà fortement imprégné de jazz. C’est vers cette époque qu’il commence à monter sa propre collection.

Pour ses compagnons de classe, il est d’ores et déjà catalogué dans la rubrique “phénomène” : il dit en effet, posséder, en 1940, quelques sept à huit mille 78 tours (sa collection atteint ensuite quelques 50.000 disques !). Précoce, Nicolas Dor le sera aussi quant aux liens qu’il entretiendra tout au long de sa vie avec l’univers radiophonique: “… A cette époque, Nicolas Dor était le plus zazou des zazous. Les radios libres étaient alors un phénomène naturel que le grotesque monopole d’Etat allait enrayer. Nicolas présentait tous les jours de 12 h 30 à 13 h 30 une séquence dont les plus fidèles auditeurs étaient Paul et Emile Sullon. Il émettait de la cuisine de ses grands-parents et avait pompeusement baptisé sa station Radio Cité Ouest…” (M. Danval, Pourquoi Pas ?, 28/05/86).

Pendant l’Occupation, il fréquente un petit club semi-privé où, au nez et à la barbe de l’occupant, on peut écouter les dernières nouveautés américaines arrivées à Liège via la Suisse. Nicolas Dor organise ses premières conférences. Aussi souvent qu’il le peut, il va écouter en live les musiciens locaux. Et l’idée lui vient évidemment de jouer lui aussi. Il choisit la batterie et travaille quelques temps, en amateur, avec l’un ou l’autre musicien liégeois : en 1942 et 1943, il est le batteur d’une formation intitulée Chas Heartbreaker (qui n’est autre que le trompettiste Charles Crèvecœur !), qui jouera notamment, de manière bénévole, pour les hôpitaux de la région. Il fait désormais partie du “milieu”, et il n’est pas rare que, en fin de nuit, les musiciens se regroupent après leur travail, toutes portes closes, autour d’un pick-up sur lequel Nicolas dépose délicatement les disques réputés les plus introuvables. Les musiciens se souviennent avoir puisé souvent à cette intarissable source d’inspiration et d’idées.

A la Libération l’audience du jazz se développe considérablement (pour un temps seulement, hélas). Des rubriques jazz apparaissent dans les magazines quand ce n’est pas une revue spécialisée qui démarre avec les moyens du bord : il en est peu pour lesquelles Nicolas Dor n’ait pas écrit à l’occasion. Sa signature apparaît en effet dans Jazz News, dans le Cyrano, dans Variété Magazine, dans le Bulletin du Hot Club de Belgique (y compris quand celui-ci sera absorbé par Jazz Hot). Le nom de Nicolas Dor passe également les frontières : il travaille en effet comme correspondant pour la Belgique, la France et les Pays-Bas, du magazine Record Changer. Avec Julien Packbiers, Jacques Meuris et quelques autres, il porte la bonne nouvelle de ville en ville par le biais de conférences et d’écoute commentée de disques, etc.

En février 1945, se situe un événement plus important encore : l’INR section Liège lui offre une heure d’antenne afin de diffuser de la “musique douce jazzy”. Ce n’est certes pas l’émission la plus jazz du moment, mais une brèche est ouverte qui ne se refermera plus. Nicolas Dor découvre le bop en même temps que les Bob-Shots. Il ne sera jamais l’homme d’un seul style et si la nouvelle musique l’intéresse, il ne rejette pas pour autant l’ancienne. Quoi que ce titre puisse avoir de paradoxal à l’époque où il apparaît, c’est sous le nom de “Jazz Pour Tous” que Nicolas Dor et son complice Jean-Marie Peterken, rencontré en 1950, vont créer l’événement dès 1956. C’est le 2 mai très exactement que démarre cette émission mythique : pour la première, on frappe fort : Roger Francel, troisième larron attitré, interviewe Stan Kenton ! Tandis que sont diffusés sur les ondes de larges échos du concert donné par ce même Kenton à l’Emulation quelques jours auparavant (le 29 avril).

Jean-Marie Peterken et Nicolas Dor (“Jazz pour Tous”) © jazzontherecord.blogspot.com

Jazz Pour Tous” durera quelques 13 ans ! Et dès 1959, l’émission deviendra télévisée ! Loin d’être de simples “passeurs de disques”, Dor et Peterken organisent en s’appuyant sur ce média des concerts, des jams, des séances de films-jazz, etc. Si le jazz garde pendant les années 50 un certain crédit, il n’en va plus de même dans la décennie suivante, celle des Golden Sixties qui voient l’image et le statut du jazz tomber au plus bas : la génération yéyé n’a que faire des croches pointées et des notes bleues. Pourtant, un îlot résiste aux envahisseurs ; avec ou sans potion magique, les producteurs de “Jazz Pour Tous” contribuent à créer l’événement, contre vents et marées : de plus en plus isolés dans le monde médiatique qui s’annonce, ils sont cependant assurés de l’appui de tout ce qui reste en Belgique comme amateurs de jazz.

Leur action au début des années 60 se résume en deux mots : “Jazz Pour Tous” déjà évoqué, et Comblain-la-Tour ! “Jazz Pour Tous” version TV est un phénomène unique dans l’histoire de la télévision belge : jamais auparavant et plus jamais par la suite, une telle qualité et une telle densité ne résisteront de manière aussi solide aux assauts du commerce ambiant. Chaque émission présente une vedette (souvent en rapport avec les événements qui se déroulent à Comblain) et une séquence intitulée “Ceux dont le métier n’est pas de faire du jazz” : cette dernière propose aux spectateurs de découvrir à chaque fois un de ces nombreux semi-professionnels qui font le jazz belge d’alors. L’émission atteint son rythme optimal en 1961 : au mois de février de cette année, il n’y eut pas moins de trois émissions en trois jours avec une affiche dont on n’oserait plus rêver aujourd’hui. Tous les grands jazzmen belges et européens – et plus d ‘un invité américain – passeront à “Jazz Pour Tous” qui, en outre, produira le film “Jazzboat“, organisera des concerts, des expositions, etc.

Parallèlement, Nicolas Dor et Jean-Marie Peterken ont lancé le Festival de Comblain-la-Tour en collaboration avec le journal “La Meuse” et l’imprésario américain Joe Napoli (disparu en 1989). Nicolas Dor présentera la plupart des concerts de Comblain (et on peut d ‘ailleurs entendre sa voix sur le disque de Cannonball Adderley enregistré à Comblain en 1962). Il est désormais incontournable sur le plan européen pour tout ce qui touche au jazz. Il est appelé aux quatre coins du monde à l’occasion de festivals ou de galas. Ainsi, en 1965, la célèbre chaîne américaine NBC l’invite à venir présenter deux shows internationaux. Nicolas Dor sera aussi producteur au Service Variétés de la RTB et s’occupera activement de diverses manifestations telles que le Festival de Spa et la Coupe d ‘Europe du Tour de Chant. Comblain se termine en 1966. “Jazz Pour Tous” en 1969. Nicolas Dor par contre, reste sur la brèche. “Focus Jazz“, “Contraste Jazz“… sont quelques-unes des émissions qu’il conduisit à travers l’obscurantisme jazzique des années 70.

Le Festival de Comblain-la-Tour sous la pluie en 1964 © La Meuse

A l’âge de la retraite, la RTB ne peut se résoudre à s’en séparer. Elle le sait irremplaçable. De samedi en samedi, dans “25. 50. 75“, et jusqu’à sa mort en juin 1990, Nicolas Dor continue à fouiller inlassablement les dédales de sa mémoire et de sa collection, y retrouvant les pièces les plus rares, les anecdotes les plus insolites, les détails les plus pointus. Une, deux, trois générations ont vécu le samedi après-midi au diapason de ce fou de musique, de ce diplodocus à l’intonation inimitable, à la diction soignée (n’oublions pas que pendant son enfance et son adolescence, il raflait tous les prix des concours d’éloquence !), au visage rond et plein comme est ronde et pleine la passion qui le liait à la cire et aux sillons. “Parfois avec l’espoir sournois de le désarçonner, raconte Marc Danval, je lui pose une question parfaitement insidieuse à propos d’un 78 tours fantomatique que les collectionneurs du monde entier s’échinent à retrouver. Un long moment de réflexion précède une riposte impitoyable d’exactitude : Je vois ce que tu veux dire. L’enregistrement a eu lieu à Hollywood le 18 février 1937. L’étiquette est jaune avec un palmier brun.”

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Nicolas Dor © rtbf.be ; jazzontherecord.blogspot.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

SOURIS, Léo (1911-1990)

Temps de lecture : 10 minutes >

Léo SOURIS est né à Marchienne-au-Pont (Charleroi) en 1911 et décédé à Liège en 1990. Tous ceux de ma génération qui ont touché au jazz, fût-ce d’une manière épisodique, ont entendu au moins une fois dans leur vie la voix de Léo Souris détailler le personnel d’un disque, mettre en garde contre la surprise qui attend l’auditeur à la 39e mesure et rappeler que le thème est une composition tirée d’une célèbre comédie musicale écrite en mars 1926 par… Léo Souris, c’était pour nous l’érudition, la précision, le classicisme, par opposition aux émotions fortes que nous réservait dans d’autres tranches horaires un Marc Moulin, par exemple, grâce auquel nous étions sûrs de rester aussi sur la crête de la vague.

Ce que nous ignorions à l’époque, c’est que cet homme qui personnifiait pour nous le classicisme, avait été en son temps un grand “révolutionnaire”, pire, nous ignorions tout de son passé musical pourtant prestigieux. Léo Souris est né en 1911 à Marchienne-au-Pont. Une région qui a produit peu de grands jazzmen en comparaison avec des centres urbains comme Bruxelles ou Liège. La musique occupait une place importante dans la famille Souris ; le père de Léo, marchand de charbon de profession, dirigeait à ses moments de loisirs des chorales ouvrières et on sait que son frère André Souris est devenu une sommité de l’univers musical classique.

On raconte qu’un jour, le père de Léo l’appela dans son bureau et lui dit : “Mon garçon, tu seras musicien ou marchand de charbon. Essaye la musique. Je te donne un an pour me fournir des preuves”. Léo Souris remplit évidemment son contrat et entreprend de sérieuses études musicales qui le mèneront aux Conservatoires de Charleroi puis de Bruxelles : prix de piano, d’harmonie et de contrepoint, il travaillera également la fugue et l’orchestration avec son frère. C’est donc porteur d’un solide bagage qu’il abordera la vie professionnelle. Mais, entretemps, une musique autre que la musique dite classique a attiré son attention pour finir par le subjuguer.

Tandis qu’il étudie au Collège de Thuin, il a l’occasion d’entendre quelques hurluberlus s’acharnant à tirer d’instruments qu’ils dominent mal, une musique qui, il l’ignore encore, va prendre dans sa vie une place prépondérante. Ce ne sont pas tant ces prétendus “jazzbands” qui le fascinent que la musique que ces amateurs essaient de reproduire. Une musique qu’il retrouve bientôt sur les ondes et sur les disques qui commencent à arriver timidement dans les bacs des disquaires. Léo Souris s’intéresse aux compositions de Peter Packay et aux arrangements qui caractérisent les orchestres anglais, attiré moins par la véhémence de l’improvisation que par la composante orchestrale et harmonique que sous-tendent le jazz et la musique jazzy.

En 1928 – il a alors dix-sept ans – il monte son premier orchestre. Tuba, trombone, clarinette, cornet, saxophone, piano, banjo, batterie, tous les ingrédients sont là. C’est à l’ occasion d’une soirée qui était à la fois une “Fête d’Anciens” et une soirée d’hommage à Beethoven que l’orchestre donne sa première représentation. Ce qu’il vise, c’est avant tout le jazz dit “sweet”, les combinaisons de sonorité, les ambiances. C’est en octobre 1929 qu’a lieu le second épisode, déterminant celui-là, de l’orientation prise par le jeune pianiste. Lors d’un concert organisé au Cercle de Musique de Chambre de Charleroi, concert précédé d’une conférence, Léo Souris va pour la première fois étonner ses confrères. Au programme en effet la Rhapsody in Blue de Gershwin (que très peu de pianistes européens ont jouée jusque là), deux Blues instrumentaux (Arlem et Blues) et un blues chanté, tous trois signés Jean Wiener – une de ses premières idoles – ; une adaptation du Bœuf sur le Toit de Milhaud; quelques “classiques” de Packay et Bee (Vladivostok, etc.). Bref, une soirée aux climats variés mais ayant en commun cette volonté de faire se rejoindre la tradition classique et cette nouvelle musique que les “académiques” considèrent toujours avec un royal mépris.

Une fois ses études terminées, il passe le jury d’Etat et peut ainsi enseigner la musique. Il commence à fréquenter les milieux musicaux et rencontre John Ouwerx, un des premiers noms importants du jazz belge. John l’écoute jouer et lui confie l’orchestration de deux de ses compositions :  Jazz in the Rain et surtout Workin Hard, une composition qui porte bien son nom et qui rebutera plus d’un instrumentiste de talent : “Y’en a qu’un qui sait jouer Workin Hard, répétera à loisir Ouwerx, c’est Souris”. En réalité, Léo Souris a travaillé dur à cette orchestration, mettant en relief les passages de piano et dotant l’œuvre d’un final “à la Stravinsky”…

La reconnaissance d’un géant comme Ouwerx est certes une étape importante de franchie. Désormais, il donnera aux formations qu’il dirige le nom de Souris Swing School (SSS). Dans la région de Charleroi, son seul concurrent, notamment lors des Tournois organisés par Félix-Robert Faecq, est un certain Jules Pilette, un trompettiste qui n’a guère laissé de traces. Lors d’ un de ces tournois régionaux organisés par le Jazz Club de Belgique, on peut lire dans la presse locale ce compte-rendu de la prestation de l’orchestre présenté par Léo Souris (Atlantique ADU) : “Une grande fantaisie marque l’arrangement de Dinah. Le Swing paraît régner avec une intensité plus marquée, aussi le public est-il littéralement emballé, tant par les fantaisies harmoniques de l’arrangement que par la mimique s’inspirant de la manière des Jazz étrangers les plus renommés venus en déplacement dans notre ville. Le pianiste Léo Souris, auteur des arrangements a eu le soin de réserver des soli très à découvert, faisant ressortir un talent qui n’est plus de l’amateurisme” (Gazette de Charleroi).

Entretemps, en 1932-1933, Souris fait son service militaire, au Premier Régiment de Carabiniers, à Bruxelles, où il a tôt fait d’être engagé dans l’harmonie, attiré davantage par la musique que par les fusils. L’année 1934 est une année décisive pour plus d’un jazzman débutant : c’est en effet cette année-là que la Belgique reçoit la visite du King en personne, Louis Armstrong ! Léo Souris est subjugué par Satchmo bien sûr, mais aussi par son pianiste, Herman Chittison (que la critique académique par contre démolira sans appel). Jusqu’à la guerre, il continue à diriger de petites et moyennes formations et à s’initier au langage du jazz. Mieux, il se sent des dons de prosélyte et il commence à donner à l’occasion des séances “éducatives” ou des conférences (ainsi en 1939, au Grand Café de la Bourse de Charleroi, une conférence intitulée “Connaissance du Jazz-Hot”).

Sa réputation a désormais franchi les frontières du Pays de Charleroi. Il participe non seulement aux Tournois régionaux mais aux Grands Tournois Nationaux au Palais des Beaux-Arts, où il obtiendra notamment à l’unanimité du jury dirigé par Stan Brenders le prix du meilleur pianiste. Et la guerre éclate. Léo Souris, au retour de l’évacuation, reprend quelque temps le travail peu emballant de musicien “de brasserie”, ainsi que ses cours de musique ; un jour, il reçoit un coup de téléphone de Willy de Corte, alors Président du Hot Club de Belgique qui lui propose de se produire à Anvers en première partie d’un gala dont la vedette est Charles Trenet. L’orchestre de Fud Candrix est aussi de la partie. Il se met au travail : il propose un programme intitulé “Léo Souris plays Peter Packay et David Bee“, qu’il termine par quelques thèmes à la Peter Kreuder, et notamment Only Forever, joué “à deux doigts” et que subitement la salle se met à reprendre en chœur. Souris faillit même avoir quelques ennuis avec les autorités allemandes pour cet air trop souvent joué à la BBC, cet air paradoxalement popularisé par un musicien allemand ! Nous sommes en 1941.

Désormais, il est introduit dans le “milieu”. Le 24 avril 1942, il participe à l’Ancienne Belgique à une soirée de gala au cours de laquelle se produisent également Robert de Kers, Django Reinhardt et le Quintette du Hot Club de France. Il effectue une tournée avec Gus Deloof, puis est contacté par Louis Bilien qui l’engage dans ses “mélodistes” pour un contrat Porte de Namur à Bruxelles. Musique chic pour public chic. Même topo au Train Bleu – où Souris a fait venir ses musiciens de Charleroi. Bien plus importants sont les deux engagements qui l’attendent. Il fait en effet dans l’orchestre fameux de Robert de Kers le tour des “Anciennes Belgiques” ; l’orchestre compte dix-sept musiciens et de temps à autre, De Kers réduit sa formation à un septette pour quelques séances d’enregistrement. Après De Kers, c’est Chas Daine qui fait appel à lui pour son orchestre de jazz symphonique (avec David Bee à la harpe).

Tout semble tourner plutôt bien. C’est pourtant à ce moment que les choses se gâtent. Léo Souris est réquisitionné comme tant d’autres pour le “travail obligatoire” ; il se retrouve enrôlé dans l’orchestre allemand de Robert Garden avec lequel il effectuera plus d’une tournée en Allemagne, bénéficiant d’un salaire tout à fait appréciable. 1944, les Américains débarquent. Léo Souris rentre à Bruxelles et commence à jouer, comme tous les musiciens belges, pour les troupes américaines et canadiennes. Après un séjour au Bœuf sur le Toit (Bruxelles) il part pour Spa où va se tourner une page importante de sa carrière. A Spa, en effet, il rencontre les membres de la Session d’une Heure, la principale formation amateur liégeoise sous l’Occupation, dont c’est le dernier engagement en tant que tel ; il y a là Roger Classen (clarinette), André Vroonen (trombone), Armand Bilak (trompette), Georges Leclercq (contrebasse), Bill Alexandre (guitare), Bodache (batterie) et un jeune altiste qui va devenir un de ses grands compagnons de route et un des géants du jazz européen, Jacques Pelzer, encore tout empreint à l’époque de la musique de Benny Carter et de Johnny Hodges.

Avec cette joyeuse équipe, Léo Souris part pour une tournée rocambolesque à travers l’Europe : Autriche, Hongrie, Tchécoslovaquie. La bonne humeur n’exclut pas le travail : l’orchestre – qui se fait parfois modestement appeler “The Best Band of the Continent” – répète le matin et joue tous les soirs. Le public marche à fond et les “signatures” de l’orchestre déclenchent le délire. De retour en Belgique, autres rencontres décisives : Léo Souris joue au Cosmopolite avec René Thomas et Toots Thielemans, puis au Corso, en trio avec le bassiste Cam Marchand et Bobby Jaspar et ailleurs encore avec Herman Sandy et tous les solistes belges alors en activité. Entretemps, il est passé à un jazz bien plus authentique que la musique “soft” que proposaient ses premiers orchestres.

Léo Souris au piano (à gauche) avec l’orchestre de Jack Say à l’Ancienne Belgique (1952) © DP

Bientôt c’est encore de tout autre chose qu’il va être question : en 1948, il reçoit en pleine figure cette musique que les jeunes Bob-Shots se sont déjà mis à jouer à Liège, le be-bop. Sur scène, Dizzy Gillespie et son big band explosif. Ne pouvant plus contenir son enthousiasme, il se lève sur son siège et crie “Je donne tout Beethoven pour ça !”. C’est pourtant dans l’esthétique qui suit chronologiquement le be-bop pur et dur que Léo Souris va surtout se révéler un étonnant orchestrateur/arrangeur/compositeur. La musique de Mulligan, du Nonet de Miles, les conceptions de Gil Evans, la symbiose Mulligan-Baker. Toute cette musique correspond mieux à son tempérament raffiné que l’hystérie géniale du be-bop.

La grande époque de Léo Souris commence. A la tête du “New Jazz Group”, il réunira à maintes reprises la crème des musiciens belges et des Américains de passage pour les intégrer à l’alchimie sonore qu’il est en train de créer. Outre de nombreux concerts et de fréquentes retransmissions radiophoniques, les années 50 seront marquées pour Léo Souris par des événements comme la création de l’Ebony Concerto écrit par Stravinsky pour Woody Herman, la création avec Sidney Bechet de La nuit est une sorcière, ballet jazz, etc. Il écrit souvent des arrangements aventureux qui l’ont parfois fait comparer à Stan Kenton. A l’Emulation, à Liège en 1952, il présente un étonnant Belgian All Star Bands (et dire que le film existe) avec Alex Scorier, Jacques Pelzer, Sadi, etc. Il s’agit en fait d’une soirée à géométrie variable, une espèce de mega-jam orchestrée et structurée de main de maître par Léo Souris. Un grand moment, et des formules instrumentales inédites chez nous.

Il commence aussi à cette époque à fréquenter les sphères radiophoniques belges, comme musicien d’abord (son New Jazz Group jouera régulièrement pour l’INR), comme programmateur plus tard. Il effectue pour la Sabena plusieurs tournées en Afrique, souvent avec Jacques Pelzer; il y cumule conférences d’initiation et concerts de démonstration pour un public africain étonné et souvent conquis mais qui en retour, une fois le spectacle terminé, étonne et conquiert les musiciens belges par sa propre musique. Lorsque sonne l’heure de Comblain, le jazz se meurt en Belgique. Pendant les années 60, Comblain sera l’exception lumineuse au centre d’un vide jazzique désolant. Suivant la courbe même du Festival, Souris sera actif surtout lors des premières éditions de cet événement ; en 1959 il reconstitue le New Jazz Group et en fait un somptueux Big Band dans les rangs duquel se trouvent de nombreuses vedettes. Il a écrit pour l’occasion un Comblain Concerto tout à fait original. En 1960, il amène plus modestement sur le Grand Pré les Five Cats (mais quels Cats : Pelzer, Sandy, Lennart Jonsson, Quersin … ) et en fin de soirée, il accompagne une série de films muets prêtés par la MGM. Enfin en 1963 son orchestre se réduira à un trio jugé trop intimiste pour Comblain par la plupart des critiques. Léo Souris accompagnera aussi sur les bords de l’Ourthe diverses vedettes comme la chanteuse Donna Hightower.

En octobre 1964, au Festival Adolphe Sax à Dinant, il dirige pendant la deuxième partie de la soirée une formation dont les invités sont les solistes leaders de la première partie : le saxophoniste flûtiste français Michel Roques, le trompettiste Roger Guérin, Jacques Pelzer, le saxophoniste suédois Lennart Jonsson et le jeune Jean-Luc Ponty, encore inconnu à l’époque. Mais pendant ces tristes années 60 – tristes pour le jazz en tout cas, Comblain excepté – il entre lui aussi de plain-pied dans le monde de la variété, écrivant notamment de nombreux arrangements pour les émissions télévisées, dirigeant des opérettes (notamment ce Na-No Nanette à travers lequel, pendant son enfance, il avait entendu ses premières notes de musique syncopée). Il continue pourtant son œuvre de diffusion du jazz (conférences, séminaires, etc.) et surtout devient un des piliers du jazz radiophonique, au même titre que Nicolas Dor. Ses émissions, fouillées et documentées, explorant tous les styles vont devenir célèbres. Parmi les plus importantes, on retiendra All that Jazz, et surtout Jazz en Chaud et Froid (RTB) à la longévité proprement sidérante (de 1962 à 1984) et Jazz Nocturne (RTB). C’est ce Léo Souris là que découvriront les jeunes amateurs de jazz. Reste à espérer que des archives de la RTB et de la BRT ressortiront bientôt des documents susceptibles de leur rappeler également que Souris fut un pianiste important et un des principaux arrangeurs du jazz belge.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : jazzinbelgium.com ; sweetandhotbrussels.blog4ever.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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CAFFONNETTE, Joachim (né en 1989)

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Joachim Caffonnette naît en juillet 1989 de parents comédiens et passe les premières années de sa vie en tournée dans les festivals de théâtre à travers le monde. Après une éducation culturelle très éclectique, mélangeant arts graphiques et plastiques, écriture et des heures passées dans des salles de théâtre et derrière les consoles de son père, régisseur, il décide de s’engager dans l’étude du piano.

Dans l’optique de faire de la musique son activité principale, il choisit de finir son cursus scolaire en humanités artistiques au Conservatoire Arthur Grumiaux de Charleroi. C’est avec une grande distinction en piano, musique de chambre, harmonie et histoire de la musique qu’il en sort diplômé en 2008. Dans la foulée, il entre au Conservatoire Royal de Bruxelles dans la classe d’Eric Legnini. Lors des stages des Lundis d’Hortense et au contact de pianistes tels que Erik Vermeulen, Ron Van Rossum et Ivan Paduart, il choisit définitivement le jazz comme moyen d’expression.

Il monte un premier trio et un quartet avec lequel il est finaliste du concours Jazz Cat Rally en 2008. L’année suivante, il se produit à la tête de son trio dans les clubs bruxellois, wallons et dans certains festivals. Il monte un quintet en 2011 afin de pouvoir y jouer ses compositions. Le groupe est résident au Sounds Jazz Club et sort un EP au printemps 2014. Pour le festival Jazz Au Broukay 2013, il monte un nouveau trio. Très inspiré par la musique de Herbie Hancock, Joachim dirige le groupe d’hommage à cette légende du jazz, “Speak Low” dans une formule assez inattendue avec un trombone et un sax ténor en plus de la section rythmique.

Il se fait les griffes sur les scènes des clubs bruxellois, le Sounds Jazz Club en particulier qui lui offre 3 ans de résidence lui permettant de jouer, tester et d’apprendre le métier comme aucun conservatoire ne pourrait jamais le faire. Pratiquant toujours le périlleux exercice des standards, composant, jouant et arrangeant pour des ensembles de toutes tailles dans divers contextes, enseignant et perpétuel étudiant, engagé dans le milieu associatif et ardent défenseur de la culture et de ceux qui la font avec leur cœur, Joachim Caffonnette se forme à la composition durant 2 ans aux côtés de Kris Defoort, qui lui ouvre les yeux et les oreilles sur la musique contemporaine et sur l’attention aux détails qui peuvent transcender une composition. Il sort son premier disque en 2015, Simplexity et continue de mener sa barque dans le flot tumultueux qu’est la vie de tout artiste au XXIème siècle…

d’après JAZZ4YOU.BE


Qui est… Joachim Caffonnette ?

Ce jeune pianiste d’à peine vingt-six ans a grandi dans une famille à la fibre incontestablement artistique. Son père et sa mère sont tous deux comédiens et la musique était omniprésente au domicile des Caffonnette.

Ses parents estimaient qu’il était important qu’il apprenne à jouer d’un instrument et vu qu’un piano trônait au milieu du salon, le choix fut vite fait. Toutefois, peu de temps après, ce sont surtout les arts graphiques et plastiques qui attirent Joachim.

Pourtant, son intérêt pour la musique ne met pas longtemps à prendre le dessus. Ainsi, après un cursus scolaire en humanités artistiques au Conservatoire Arthur Grumiaux de Charleroi pour y étudier la musique classique (piano), il poursuit ses études au Conservatoire Royal de Bruxelles.

À l’instar de beaucoup de jeunes musiciens, il découvre l’endroit par excellence où apprendre la plupart des ficelles du métier, à savoir, les jam sessions du Sounds. Pendant de nombreuses années, il s’affiche immanquablement sur la scène tous les lundis soir. Ensuite, le club bruxellois The Music Village lui propose de gérer ses jam sessions.

En 2014, un premier mini-CD voit le jour avec le soutien de “Ça Balance“, une initiative culturelle émanant de la Province de Liège.

Lors de la première édition du Brussels Jazz Festival à Flagey (janvier 2015), il lui revient l’honneur d’organiser les jam sessions. Début 2015, il présente le premier CD officiel de son quintet, au titre révélateur : Simplexity. Par ailleurs, Joachim joue régulièrement en trio et en nonet, il se produit avec le Marco Llano Quintet et compose pour le cinéma et le théâtre.

© Joachim Caffonnette

“Quel(le) est…

… votre lieu préféré à Bruxelles ?

Outre les clubs de jazz incontournables que sont le Sounds et le Bravo, mon lieu préféré est la librairie Tropismes. Je peux y flâner des heures durant à la recherche du bouquin qui me comblera pendant quelques semaines. Il m’arrive même régulièrement de lire à la hâte le premier chapitre pour voir si l’histoire et le style me séduisent ou non. Le plus difficile pour moi est de me restreindre à un seul livre. Je préfère lire des romans policiers. J’ai bien entendu mes auteurs favoris mais j’aime faire de nouvelles découvertes. J’ai certes un faible pour les auteurs scandinaves et irlandais. C’est surtout l’aspect social dans leurs récits qui m’attire. Et comme il se doit, j’essaie de lire le plus d’auteurs belges possible.

… le dernier CD ou album que vous vous êtes offert ?

Je n’en achète pas tellement car j’aime réécouter souvent les mêmes albums pour en extraire la quintessence. Et croyez-moi, j’ai de quoi faire entre Bill Evans et Keith Jarrett. Je ne suis pas du genre à aller spontanément à la recherche de nouvelles choses. À cet égard, j’ai plutôt tendance à compter sur les conseils avisés de mes amis. Ce que je fais par contre, c’est d’assister régulièrement à des concerts. Ainsi, je me tiens informé de ce qui se passe sur la scène musicale à l’heure actuelle. Il y a de cela quelques années, j’ai par exemple pu voir à l’œuvre Gerald Clayton. Le lendemain, je me suis acheté “Two-Shade”. Mais le CD le plus récent que je me suis offert est “Space Time Continuum” du pianiste Aaron Diehl. Je l’ai découvert lors du concert de Cécile McLorin Salvant à Flagey début 2015. Ensuite, il nous a rejoints pour une petite séance d’improvisation. Cet artiste a non seulement une technique inouïe mais aussi une connaissance approfondie de la tradition. Personnellement, j’accorde d’ailleurs une énorme importance aux grands classiques.

… votre plus beau souvenir d’un concert récent ?

Comme concert dans son ensemble, je choisis un spectacle en duo de mes pianistes belges préférés, Bram De Looze et Pascal Mohy, solides sur toute la ligne. La prestation qui m’a toutefois le plus impressionné est le solo de Mark Turner lors d’un concert récent au Bravo avec le quartet de Jochen Rueckert. À vous couper le souffle – c’est dans ce cas tout à fait l’expression appropriée. Solidement structuré, extrêmement subtil et néanmoins porté par une énorme vague d’énergie.

… votre expression favorite du moment ?

Il s’agit d’une citation de Jean Cocteau : “L’art est un mensonge qui dit la vérité”. Tout artiste quel qu’il soit connaît ce sentiment. Il ne faut bien entendu pas interpréter cette citation dans son sens le plus explicite mais d’une certaine manière, c’est exact.

d’après JAZZ.BRUSSELS


Outre la sortie de son nouvel album, ”Bittersweet Times”, le pianiste Joachim Caffonnette redonne vie au Sounds, légendaire club de jazz de Bruxelles.

Joachim Caffonnette naît en juillet 1989 de parents comédiens et passe les premières années de sa vie en tournée dans les festivals de théâtre à travers le monde. Dans l’optique de faire de la musique l’activité principale de son existence, il choisit de finir son cursus scolaire en humanités artistiques au conservatoire de Charleroi dont il sortira en 2008 avec une grande distinction en piano, musique de chambre, harmonie et histoire de la musique. Dans la foulée, il entre au Conservatoire Royal de Bruxelles où il étudiera avec Eric Legnini et ensuite la composition avec Kris Defoort. Après son entrée au conservatoire, il monte un premier Trio avec lequel il commence à se produire dans les clubs de jazz et dans certains festivals.

Troisième album en tant que leader

Sur son troisième album “Bittersweet Times“, troisième album, Joachim multiplie les textures autour d’une musique épurée qui met en exergue l’ambivalence entre les influences impressionnistes et l’héritage be-bop qui le caractérisent. Il s’entoure ici de musiciens de premier plan avec le contrebassiste de La Nouvelle-Orléans Jasen Weaver, le batteur israélien Noam Israeli, installé à New York depuis plusieurs années, et en invité, le trompettiste virtuose Hermon Mehari, originaire de Kansas City. Sur trois morceaux explorant un spectre sonore presque orchestral, se joignent au groupe Édouard Wallyn au trombone et Quentin Manfroy aux flûtes alto et basse. L’expression musicale de cet album est une recherche d’intensité, d’interaction perpétuelle et un plaisir communicatif à travers une écriture mélodique et contrastée naviguant entre swing et harmonies volantes.

Le Sounds résonne à nouveau

Pendant plus de 35 ans le Sounds à vibrer au rythme du jazz en voyant défiler la crème du jazz belge et international. Après sa fermeture, c’est un collectif, Buen Vivir, qui fait l’acquisition du 28 rue de la Tulipe, dans le but de le mettre au service de ses activités de résistance et de résilience en matière de droits humains. Mais la poursuite du jazz était essentielle aux yeux des nouveaux propriétaires et ils contactent le pianiste Joachim Caffonnette,

Le collectif se lance alors avec détermination dans son projet, redécore le club, transforme la carte, prépare l’avenir, lance un crowdfunding dont le succès fulgurant montre l’enthousiasme de la communauté et ré-ouvre en grande pompe ce 18 novembre 2021, pour écrire le second chapitre de ce club historique…

d’après RTBF.BE


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : compilation par wallonica | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration en tête de l’article : © jazz9-mazy.org ; illustration © Joachim Caffonnette | En savoir plus sur le site de JOACHIM CAFFONNETTE


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WALDRON : No more Tears (1997)

Temps de lecture : < 1 minute >

WALDRON Mal (1925-2002), No more Tears (Jeanne LEE, voc.) :

Dernièrement, c’est en compagnie d’une autre grande figure singulière, la chanteuse Jeanne Lee, que Waldron a poursuivi sa quête introspective. La voix la plus secrète du jazz, sans doute, tout en cris suspendus et chuchotements, étirant immensément le temps de son souffle tenu ; et Waldron, fantomatique, toujours plus en retrait, toujours plus incisif dans l’épure de ses interventions, offrant du temps au temps en s’abandonnant sereinement à son flux, comme apaisé après toutes ces années. “C’est comme si j’avais toujours su que j’avais suffisamment de temps devant moi pour ne pas avoir à me dépêcher, pour pouvoir me répéter. C’est en prenant mon temps que j’ai exploré d’autres domaines de la musique. [LESINROCKS.COM]

L’album Soul Eyes (RCA Victor > BMG Ariola Belgium : 74321 538872) a été enregistré en studio en 1997 près d’Anvers (BE), à Schelle, à l’occasion du Jazz Middelheim (Anvers, BE) pendant lequel Waldron fêtait son anniversaire avec “sa” bande. Jeanne Lee -sombrement divine dans ce No More Tears– était descendue de La Haye où elle enseigne et Abbey Lincoln avait joué les prolongations après son concert de la veille.

L’équipe :

      • Mal WALDRON, piano
      • Steve COLEMAN, saxophone alto
      • Andrew CYRILLE, percussions
      • Joe HENDERSON, saxophone ténor
      • Jeanne LEE, chant
      • Abbey LINCOLN, chant
      • Reggie WORKMAN, bass

D’autres incontournables du savoir-écouter :

WOODS : Sonate pour saxophone alto et piano

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TELERAMA.FR (30 septembre 2015) – Le saxophoniste Phil Woods a rendu son dernier souffle. Brillant soliste et digne héritier de son idole Charlie Parker, le jazzman à l’élégante pureté de style est décédé hier, à 83 ans. A bout de souffle. Retour sur une carrière exemplaire, à tous les points de vue : artistique, professionnel et humain.

Après la mort de Charlie Parker qui fut son idole, Phil WOODS avait épousé la compagne de celui-ci et elle lui avait fait cadeau du saxophone alto de Bird, mais il ne s’en servit jamais, par délicatesse. Il était tout bonnement un maître de l’instrument, ayant commencé par admirer Benny Carter, puis Johnny Hodges, enfin Parker dont il assimila le vocabulaire sans jamais copier son style. Il se définissait lui-même comme un styliste, pas un novateur. Il prolongea l’esthétique bop en grande formation, avec Thelonious Monk, Oliver Nelson, Michel Legrand, Quincy Jones, Clark Terry, Dizzy Gillespie, et aussi en quartet et en quintet.

Comme il était parfait lecteur autant que brillant soliste, il conduisait une section de saxophones avec maestria et participa à d’innombrables sessions d’enregistrement. Ainsi, c’est sa sonorité si cristalline, si émouvante, que l’on entend dans la B.O. du chef-d’œuvre de Robert Rossen L’Arnaqueur (1961), une musique signée de Kenyon Hopkins ; c’est lui aussi qui prend le solo dans la chanson Have a good time de Paul Simon sur l’album de celui-ci Still crazy after all these years, en 1975, et sur Doctor Wu de Steely Dan (extrait de Katy Lied).

En quartet, une joie de jouer communicative

En 1960, après le désastre parisien de la comédie musicale Free and easy, dont Quincy Jones était le directeur musical, il fut chargé par celui-ci de diriger les saxophones dans le big band formé avec ses musiciens naufragés dans la capitale et qui, en petites formations improvisées, faisaient les beaux soirs du Chat-qui-pêche, rue de la Huchette. Ce fut le début de la carrière de Quincy Jones, lequel fut toujours reconnaissant à Phil Woods de sa fidélité et de son impeccable professionnalisme, dont l’album Birth of Band reste un superbe témoignage (avec par exemple The Gipsy).

Le saxophoniste épris de mélodie fit un temps de l’Europe sa base, créant une formation qui remporta un magnifique succès, l’European Rhythm Machine, avec George Gruntz puis Gordon Beck au piano, Henri Texier à la contrebasse et Daniel Humair à la batterie. Un swing intense, une inventivité jaillissante, une joie de jouer communicative caractérisaient ce quartet ébouriffant. Saxophone soliste plus rythmique plus solides arrangements étaient une configuration idéale pour Phil Woods.

Un concert mémorable au Théâtre de la Ville

Après l’expérience européenne, il la renouvela avec les Américains Steve Gilmore (contrebasse), Bill Goodwin (batterie), Bill Charlap ou Bill Mays (piano), l’élargissant parfois au quintet avec Brian Lynch à la trompette. Il aimait le son acoustique au point de se produire dans de grandes salles sans aucune amplification ; ainsi reste dans les mémoires un concert au Théâtre de la Ville à Paris qui sonna comme un manifeste du be-bop joué avec goût.

Dans ses dernières années, Phil Woods, soufflant impénitent, souffrit d’emphysème. On le vit au Duc des Lombards, le club parisien dont il assura en 2008 l’ouverture de la nouvelle formule, peinant parfois à reprendre souffle. Sa derrière apparition publique aura été, il y a un mois, une recréation des morceaux de Charlie Parker with strings avec des membres de l’orchestre symphonique de Pittsburgh et un appareil à oxygène. Cet éternel jeune homme avait 83 ans…

Michel CONTAT

  • L’article original de Michel Contat (avec pubs) est disponible sur TELERAMA.FR avec d’autres extraits musicaux de Phil Woods.
  • Le site officiel de Phil WOODS est ici…
  • Toots Thielemans a eu l’occasion de jouer avec Phil Woods et Quincy Jones.
Phil Woods a également composé une pièce délicieusement hybride intitulée Sonate pour saxophone alto et piano :


Ecouter encore…

 

LEGNINI, Eric (né en 1970)

Temps de lecture : 9 minutes >

Eric Legnini est né en Belgique, le 20 février 1970, à Huy, près de Liège, dans une famille d’émigrés italiens. Un père guitariste amateur, une mère cantatrice, professeur de chant au Conservatoire municipal : le petit Eric est au piano dès l’âge de six ans et passe son enfance entre Bach et Puccini — l’architecture musicale portée à son plus haut degré d’abstraction incandescente et l’âme mise à nu dans la voix humaine transfigurée par le chant… Il lui faudra attendre le début des années 80 et la découverte d’un disque d’Erroll Garner pour entr’apercevoir d’autres horizons musicaux, notamment dans l’art du clavier…

Doué d’une excellente oreille, il réinvente au piano ces harmonies étranges saisies au vol et très vite se laisse prendre aux sortilèges du jazz — Eric a trouvé là son langage. Débute alors une intense période d’apprentissage. Avec la complicité d’un camarade de conservatoire, le batteur Stéphane Galland, puis bientôt de Fabrizio Cassol (deux musiciens qui bien des années plus tard seront à l’origine du groupe expérimental Aka Moon) Eric Legnini, embrassant dans une même soif de découverte toute l’histoire du jazz moderne et traditionnel, se fait rapidement son petit panthéon personnel : McCoy Tyner pour l’intensité dramatique, Chick Corea pour la lisibilité et la technique infaillible, et Keith Jarrett pour ses conceptions révolutionnaires en matière de relecture des standards. Toujours en compagnie de Stéphane Galland, il monte ses premiers groupes de jazz et de fusion, et dés le milieu des années 80 écume tous les clubs de la scène belge en quête de jam sessions où s’aguerrir, tous genres confondus…

C’est là qu’il rencontre, en 1987, l’une des grandes figures du jazz belge et européen, le saxophoniste Jacques Pelzer qui l’invite à jouer avec lui en duo puis à rejoindre sa formation. Une étape décisive et fondatrice qui oblige le jeune pianiste à approfondir sa connaissance du répertoire des standards et le propulse d’un coup au rang des sidemen les plus prometteurs de la jeune scène belge. Il enregistre alors son premier disque en leader pour le label Igloo, “Essentiels” et décide dans la foulée de partir étudier aux Etats-Unis.

On est en 1988, Eric a à peine 18 ans. Il restera deux ans à New York — le temps de prendre le pouls très funky de la mégapole (c’est l’avènement du rap de Public Enemy et Ice-T — l’autre grande passion de Legnini), de grappiller quelques cours à la Long Island University auprès de Richie Beirach, mais surtout de “faire le métier”, sur le tas, en participant chaque soir à des jam sessions homériques en compagnie de la fine fleur du jeune jazz de l’époque (Vincent Herring, Branford Marsalis, Kenny Garrett…). Très impressionné par le style précis et volubile de Kenny Kirkland, Legnini comprend par son truchement l’importance décisive d’Herbie Hancock dans l’histoire du piano jazz, et dès cet instant oriente de façon radicale son jeu dans le sens de ce free hard bop moderniste propre à l’esthétique Blue Note des années 60.

C’est sous la double influence de Kirkland et d’Hancock qu’Eric Legnini fait son retour en Belgique en 1990. Aussitôt nommé professeur de piano dans la section jazz du Conservatoire Royal de Bruxelles, il retrouve Jacques Pelzer avec qui il enregistre pour Igloo un nouveau disque, “Never Let Me Go”, et dans la foulée intègre l’orchestre de Toots Thielemans, accumulant à ses côtés, pendant presque deux ans, concerts et tournées dans le monde entier. Multipliant les projets tous azimuts (il commence dès cette période à travailler énormément en studio pour des séances de funk, de rap et de musiques électronique…), pilier incontournable désormais de la scène jazz belge, Eric Legnini voit sa vie basculer en 1992 lorsqu’il rencontre dans un club bruxellois, deux musiciens italiens, membres alors de l’ONJ de Laurent Cugny, le trompettiste Flavio Boltro et le saxophoniste Stefano Di Battista. L’entente est immédiate entre les trois hommes qui décident illico de travailler ensemble. Pourquoi ne pas monter un groupe et aller tenter sa chance à Paris ?

Fin 1993, c’est le grand saut. Di Battista et son orchestre partent à la conquête de la Capitale. Un répertoire séduisant, résolument hard bop ; une fougue, un talent et une joie de jouer particulièrement communicatifs : il ne leur faut que quelques mois pour enflammer les esprits et gagner leur pari. Aldo Romano les remarque, les prend sous son aile : le succès est fulgurant. Un premier disque “Volare” en 1997 pour Label Bleu, unanimement salué par la critique, finit d’établir ce tout jeune quintet comme “le nouveau groupe dont on parle”

C’est un nouveau départ pour Eric Legnini. Pianiste indispensable à l’équilibre du quintet (il demeurera jusqu’à l’album “Round About Roma”, paru en 2003, le fidèle compagnon du saxophoniste italien), Legnini voit rapidement sa réputation grandir auprès des autres musiciens.

Sollicité de toute part il débute des collaborations de longue haleine avec les frères Belmondo, Eric Lelann (“Today I Fell In Love”) ou encore Paco Sery (“Voyages”). Très souvent associé au batteur André Ceccarelli, il devient par ailleurs l’un des sidemen les plus recherché de la place de Paris, accompagnant un grand nombre de musiciens tels que: Joe Lovano, Mark Turner, Serge Reggiani, Aldo Romano, Enrico Rava, Philippe Catherine, Didier Lockwood, Henri Salvador, Christophe, Dj Cam, Sanseverino, John McLaughlin, Yvan Lins, Mike Stern, Bunky Green, Zigaboo Modeliste, Yusef Lateef, Raphaël Sadiq, Manu Katché, Pino Palladino, Eric Harland, Kyle Eastwood, Joss Stone, Natalie Merchant, Raoul Midon, Kurt Elling, Vince Mendoza, Michaël Brecker, Dianne Reeves, Milton Nascimento, etc. Eric Legnini ne négligera pas les sessions de studio non plus, en accumulant les enregistrements, pas loin d’une centaine à ce jour !

Apprécié en studio pour sa musicalité et son savoir-faire, Legnini commence également dès cette époque à travailler comme directeur artistique sur un certain nombre de disques de variété — activité qui trouvera son apothéose en 2004 avec non seulement la co-réalisation de l’ultime opus du grand Claude Nougaro, “La note bleue” (Blue Note), mais la production sous le pseudonyme de Moogoo au sein du collectif Anakroniq, du premier disque de la jeune révélation r’n’b “made in  France”, Kayna Samet, “Entre deux Je” (Barclay), travail très raffiné concrétisant à la fois son amour des voix et de la musique noire (soul, hip hop).

Très remarqué pour sa participation active au disque “Wonderland” (B Flat) des frères Belmondo (primé “meilleur album jazz français” aux Victoires de la musique 2005), ainsi que pour son travail de réalisation sur le disque de Daniel Mille “Après la pluie” (Universal Jazz), Eric Legnini est aujourd’hui non seulement l’une des valeurs sûres du jazz européen, mais l’un des artistes les plus actif, productif et éclectique du petit monde musical parisien.

A 35 ans, Legnini, en pleine maturité stylistique, décide enfin de sortir de l’ombre et signe, avec “Miss Soul”, son premier disque en leader sur un label français. L’occasion de révéler au plus grand nombre un univers musical personnel riche, séduisant et parfaitement original dans sa façon de multiplier les connexions entre tradition et modernité, art savant et expression populaire. L’occasion de (re)découvrir un grand musicien.

C’est riche de toute son expérience de sideman et de producteur que Legnini fait retour à l’épure toute classique du trio en compagnie du contrebassiste Rosario Bonaccorso et du batteur Franck Agulhon. A partir d’un répertoire choisi, mêlant habilement compositions originales, standards (plus ou moins célèbres !) et chanson pop re-songée (Björk), Legnini plonge résolument au plus intime d’une tradition proprement afro-américaine du piano jazz portée à son plus haut degré de perfection par des musiciens comme Junior Mance, Ray Bryant, Les McCann ou encore Phineas Newborn auquel ce disque rend continuellement hommage. Une musique directe, chaleureuse, gorgée de swing et de gospel, qui sans passéisme ni nostalgie, célèbre la modernité intemporelle du jazz.

Eric Legnini ©Olivier Lestoquoit

En 2008, il achève avec Trippin’, le dernier volet du triptyque (Miss Soul, Big Boogaloo) qui l’impose comme l’un des maîtres de l’art du trio à la française, où sa science des standards se double d’une connaissance des classiques soul. Puis ce sera The Vox (2011), un disque qui redit jusque dans son titre son désir de lendemains enchantés (il invite la chanteuse Krystle Warren). “Avec la voix, tout devient plus clair, plus lisible. Au premier degré.”, confiait- il alors… Eric Legnini se verra décerner pour cet album une victoire du Jazz. En 2013, il signe l’album Sing Twice! : Tout est dit dans le titre. Ce jeu de mot raisonne fort à propos sur la carrière d’Eric Legnini. Chante à deux fois, donc ! Cela fait doublement sens chez celui qui, depuis Miss Soul en 2005, a pris sept ans de réflexions avant d’en arriver là. Entendez un album qui flirte bien souvent avec la pop. Tout son parcours plaide pour l’ubiquité du quadragénaire, qui s’est fait la main auprès des plus fameux improvisateurs de sa Belgique natale.

Sing Twice ! est nominé aux Victoires du Jazz la même année. Dix doigts majeurs – trente si l’on ajoute le batteur Franck Agulhon et le contrebassiste Thomas Bramerie – et trois voix majuscules, voilà la formule alchimique (relevée ça et là d’une section de cuivres, d’une guitare funky, de quelques percussions de l’Afro Jazz Beat) qui le compose. Les voix c’est d’abord celle d’Hugh Coltman, croisé lors de l’émission “One Shot Not” sur Arte. C’est ainsi qu’Eric convie le chanteur anglais lors d’un premier concert à l’automne 2011. “Il apportait une tournure plus blues, plus soul, plus Stevie.” Tant et si bien que désormais Hugh devient un membre à part entière du groupe, comme le confirment les trois thèmes superlatifs où son timbre singulier, un brin dandy pouvant prendre les accents d’un falseto blues, fournit la couleur principale de cet album aux reflets multiples : soul pop. Deux autres chanteuses mettent d’ailleurs leur grain de soul sur cette galette, lui donnent des couleurs complémentaires : la malienne Mamani Keita, dans une veine plus clairement afro funk, et l’américano-japonaise Emy Meyer dans un registre nettement plus folk. “Avec Mamani, j’ai réussi à achever ce que j’avais entamé sur The Vox. L’Afrique très présente est cette fois incarnée par cette griotte qui habite avec une intense énergie les deux titres que je lui ai proposés. Quant à Emy, elle offre un autre point de vue, plus clairement folk pop.”

Depuis, Eric Legnini poursuit son travail de compositeur, réalisateur d’albums (Kellylee Evans…), joue au sein de groupes all star comme le quartet avec Manu Katché, Richard Bona et Stefano di Battista ; il crée également à Jazz à la Villette en septembre 2014 un programme autour du mythique album de Ray Charles “What’d I say” (avec les voix de Sandra Nkaké, Alice Russell, Elena Pinderhughes), dirige le projet “Jazz à la Philharmonie” en février 2015 avec un groupe composé de 10 musiciens parmi lesquels Joe Lovano, Jeff Ballard, Ambrose Akinmusire, Stefano di Battista…

2015 est une année où on le voit continuer à multiplier les projets : tournée avec le projet “What’d I say”, enregistrement pour le label Impulse! de l’album “Red & Black Light” avec Ibrahim Maalouf, qui le conduira pour des concerts sold out partout en France et en Europe jusqu’à l’apothéose à l’AccorHôtelArena de Bercy le 14 décembre 2016 !

2017 marque le grand retour d’Eric Legnini sur disque en leader : Waxx Up sort au printemps et sera le troisième volet du triptyque consacré à la voix et initié avec l’album “The Vox” en 2011. Il convie son trio (Franck Agulhon à la batterie et Daniel Romeo à la basse électrique) ainsi que des cuivres et des voix : Yael Naïm, Charles X, Mathieu Boogaerts, Michelle Willis, Hugh Coltman ou encore Natalie Williams.

D’emblée, le premier titre donne le cap. “I Want You Back”, plus qu’une introduction, mieux qu’une mise en bouche, une voie à suivre. Trois minutes trente, tous d’un bloc, au service d’une chanson. Pourvu que ça groove. Direct, Eric Legnini change de casquette, et du coup de braquet, avec cette nouvelle galette : le pianiste émérite mute en producteur, attentif à la puissance d’une mélodie, à la classe d’une rythmique. Waxx Up : une bonne baffle en pleine tête, à l’image du visuel qui orne la pochette ! Parce que de toutes les manières, c’est la cire noire qui a toujours été sa matière première. Tel est le diapason d’un album qui sonne comme une somme de 45-tours, des titres taillés pour des voix au pluriel des suggestifs du maître de céans : Eric Legnini. [d’après CONSERVATOIRE.BE]


THE GALLANDS

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Le groupe THE GALLANDS ne tient pour l’instant qu’à quelques vidéos sur Youtube mais l’envie est bien réelle de pousser l’aventure plus loin. The Gallands, c’est la rencontre musicale entre un père (Stéphane Galland) et son fils (Elvin Galland, clin d’œil au batteur américain Elvin Jones) avec pour chacun leurs bagages et influences propres. Le résultat est un mélange pour le moins groovy, frais et prometteur.

Cette crise du Coronavirus et le confinement ont sans doute donné un coup d’accélérateur au projet père/fils Galland, rejoint également par le bassiste Nicolas Fiszman. Le départ de l’aventure est une vidéo tournée, chacun chez soi, lors du premier confinement.

L’arrêt des concerts a mis en suspens les collaborations et les tournées des deux musiciens. Stéphane Galland avec le trompettiste Ibrahim Maalouf, Elvin Galland avec le batteur Manu Katché.

Stéphane Galland est né le 27 octobre 1969 à Berchem-Sainte-Agathe et débute comme batteur d’Eric Legnini. En 1988, il rencontre Pierre Van Dormael, avec qui il jouera en compagnie de Fabrizio Cassol et de Michel Hatzigeorgiou. En 1992, après le départ de Pierre, le trio devient alors Aka Moon… la suite, c’est une succession de collaborations avec Axelle Red, Zap Mama, Joe Zawinul, Ozark Henry, Novastar… et de tournées avec son trio Aka Moon, Nelson Veras, Dave Golitin…

Une mère chanteuse, un beau-père bassiste et un père batteur, Elvin Galland est lui baigné dans le jazz, la soul, le funk durant toute son enfance et va découvrir le piano à l’âge de 12 ans. Elvin collabore avec plusieurs formations et artistes : Oyster Node, The Succubes, Man on Fire and the Soul Soldiers, Mustii, Damso, le 77, Noé Preszow… Mais aussi le batteur français Manu Katché. Galland père et fils propose une musique mêlant de nombreuses et diverses influences : pop, électro, R’n’B, hip hop, jazz, funk… [d’après RTBF.BE]


Cherchez le père et vous trouverez le fils : il y a eu Antoine et Alain Pierre, Félix et Pirly Zurstrassen, Steve et Greg Houben , voici aujourd’hui Stéphane et Elvin Galland. “The Gallands” a donné un premier concert au Saint-Jazz-Ten-Noode et le projet a pris une dimension nouvelle. Honneur au père pour nous parler du projet, et du premier morceau “Underlying Truth”. Un cd est en vue, on en reparlera plus tard avec le fils.

Bonjour Stéphane. Tout d’abord, comment se passe cette étrange période pour toi ?

Je travaille beaucoup sur mes projets et d’autres. Par exemple, la semaine passée, j’étais en studio pour Shijin, le projet avec Laurent David, Malcom Braff et Stéphane Guillaume. Et aussi celui que j’ai avec mon fils. Même sans concert, on fait des choses tout de même : j’essaie par exemple de travailler ma technique, je travaille sur la polyrythmie, ou sur les aspects purement techniques de la batterie que j’avais envie de rafraîchir, parce que quand on est en concert, on se dit parfois qu’il y a des choses à retravailler, mais on n’y consacre pas du temps.

Le travail en duo avec Elvin est dans cet esprit ?

Oui, la vidéo avec Elvin est un exemple de ce travail. Je ne sais pas dire exactement ce qui change car c’est un travail de longue haleine depuis le début du confinement, mais en revoyant des choses régulièrement, je sens le changement, il y a des nouvelles choses qui s’intègrent. La rythmique du morceau Underlying Truth  avec les deux high hats, c’est quelque chose de nouveau que j’ai travaillé qui m’amusait d’explorer, je l’ai mis ici dans un contexte particulier très répétitif, c’est une chose qui fait clairement partie du travail de ces derniers mois. Il y a tout de même un aspect “grâce à” au confinement. Ça permet aussi de remettre des choses en question. Je ne me plains pas car j’ai les cours au Conservatoire ; si ça m’était arrivé il y a quelques années, cette situation aurait pu être une vraie catastrophe.

Comment est née l’idée du duo ?

Il y a deux ou trois ans, on s’est dit qu’on devrait essayer de se voir pour réaliser quelque chose. On se retrouvait dans l’atelier de mon oncle à Wezembeek. On jouait, enregistrait, cherchait des idées, sans pression. Et puis il y a eu un morceau qu’Elvin a ramené chez lui pour le retravailler, ajouter des samples, c’est Introducing the Gallands qui est sur Facebook. On la refait récemment et tous les deux on a trouvé ça super.

Le problème c’est que j’étais très pris avec Ibrahim Maalouf, Aka Moon, mes propres projets et d’autres, mais c’est resté une idée derrière la tête. Avec le confinement, beaucoup de gens se mettaient à placer des petites vidéos sur le net et Elvin m’a dit qu’on devrait faire ce morceau en vidéo en jouant chacun chez soi. A partir de là, on s’est demandé comment faire de nouveaux morceaux. Ce qui m’amusait pour développer des idées à la batterie, c’était de me faire une playlist sur Spotify avec des morceaux plutôt actuels, pas jazz mais plutôt rap mix de musiques urbaines et groovy où le rythme a une importance. Comme ce sont des morceaux avec un clic, qui sont très droits, c’était parfait pour travailler la batterie, et souvent je trouvais des grooves qui me plaisaient et que j’enregistrais.

Et je me suis fait une sorte de book de grooves que j’aimais bien et je les envoyais à Elvin pour qu’il trouve des idées là-dessus, qu’il me les renvoie et qu’on voit ensemble si on peut en tirer une forme. J’ai ainsi créé une trentaine de grooves, et Elvin construisait quelque chose autour de ça. Je proposais parfois une idée pour une autre partie du morceau. Je jouais la partie de batterie sur la structure du morceau qu’on avait choisi et Elvin y ajoutait tous les claviers et des petites choses par ci par là…

Quelle est la particularité de ce duo ?

Je dois d’abord dire qu’on a reçu une aide de la Sabam pour réaliser la vidéo. Pour en revenir à la question, ce qui est intéressant dans ce duo, c’est qu’il mélange deux mondes d’une bonne manière : Elvin vient de l’électro, de la pop, des chanteurs, d’une musique grand public dans la production, mais aussi il a produit le dernier album de Manu Katché où il joue tous les claviers. Au Conservatoire, il a suivi les cours d’Eric Legnini, il a donc un background assez jazz, mais il s’est fort concentré sur l’électro avec Mustii, Juicy, des gens comme ça… Donc, il a cette esthétique et le souhait en même temps que ça rentre aussi dans le mainstream.

J’ai toujours eu un pied là-dedans aussi avec Axelle Red, Ozark Henry, Novastar, Zap Mama, et même Ibrahim Maalouf qui suit aussi cette démarche de connecter des mondes. Je cherchais aussi un projet où la batterie aurait un rôle de premier plan, et avec Elvin j’ai trouvé le terrain idéal pour lier les aspects originaux, techniques et virtuoses, l’aspect rythmique et un mood qui serait assez accessible.

Les compositions sont surtout le résultat d’un travail en équipe.

C’est en effet plutôt un travail de co-composition où les choses prennent. Souvent, le plus simple pour composer avec une batterie, c’est d’avoir une idée qui vient d’un clavier. La meilleure chose à faire c’est de placer un rythme tout simple pour mettre la mélodie en valeur. Pour éviter ça, une de mes meilleures façons qu’on a trouvé c’est de commencer par la batterie, je trouve cette approche originale.

Il y a aussi une basse qui a été ajoutée sur le morceau.

Oui, c’est toute une histoire… On n’a fait qu’un concert au Bota en septembre, c’était un super souvenir, il y avait si peu de concerts en cette courte période de déconfinement ! C’était un gros challenge ce premier concert, on était très content. On a fait le concert sans basse, en fait tout est dans l’ordinateur, comme dans la pop. Mais le fait d’avoir une basse hyper stricte sur ordinateur, carrée, ça m’aide parce que je sais qu’il y aura quelque chose de clair pour les auditeurs.

Moi, j’entends les rapports rythmiques, mais c’est vrai que quand on n’est pas entraîné à ça, ça peut paraître abstrait. Ça me frustre parfois de voir que les gens ne comprennent pas ce que je fais avec une base, j’aime que la base soit précise. Dans notre duo, il y a des lignes de basse qu’Elvin a composées qui demande un peu de vie, et quand il joue sur les claviers, il doit utiliser des basses programmées, mais ça demande aussi un peu de vie. On s’est dit alors qu’idéalement ce serait bien d’avoir un bassiste.

Quand on en a parlé, j’ai tout de suite pensé à Nicola Fiszman, un bassiste que j’adore, et avec qui je n’ai jamais joué alors qu’on se connait depuis très longtemps. Je trouvais que c’était le bassiste qu’il nous fallait à la fois groovy et très précis dans ce qu’il fait, il a un jeu qui me convient.

Comment s’est déroulé cette collaboration ?

Quand on a fait la vidéo, Elvin a rencontré Nicolas qui lui a dit qu’il adorait “The Gallands” et Elvin lui a dit qu’on a enregistré un morceau et Nicolas a refait les lignes de basse dessus. Il joue avec Sting, tous les chanteurs français comme Cabrel, avec Dominique Miller, Trilok Gurtu, il a l’habitude de choses plus complexes. C’est une collaboration qui, j’espère, va se développer.

Comment va évoluer le duo ?

Avec les circonstances actuelles, on s’est dit qu’on allait avancer pas à pas, en sortant un single d’abord en espérant que début de l’année on puisse se consacrer à un vrai album. On avance avec les possibilités qu’on a pour le moment. Quand on croit à un projet, il faut y aller à fond, le but c’est l’album et des concerts, il y a deux bookers, Busker et Inside Jazz, qui s’en occupent. On espère que ça va déboucher sur des concerts. [d’après JAZZHALO.BE]


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © jazzhalo.be


 

PIERRE, Alain (né en 1966)

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Grâce à des noms tels que Kurt Rosenwinkel, Bill Frisell et Jakob Bro, la guitare électrique est plus que jamais à l’honneur dans le jazz. Alain PIERRE (né en 1966) s’en tient à la guitare acoustique classique et à la guitare à douze cordes. “Pour moi, c’est le moyen idéal pour incorporer mes sentiments personnels de la façon la plus optimale dans ma musique.”

Il étudie tant au Conservatoire de Liège qu’à celui de Bruxelles et donne lui-même cours depuis de nombreuses années. En tant que compositeur, il travaille pour les formations les plus diverses, allant de duos et trios aux ensembles vocaux et quartets à cordes. Il est surtout un musicien très demandé sur des projets extrêmement variés.

Voici quelques-unes de ses récentes collaborations :

Citons aussi de nombreux projets et/ou enregistrements en duo avec entre autres Peter Hertmans, Steve Houben et Guillaume Vierset, sans oublier qu’il a fondé groupe belgo-tunisien Anfass. Et pour finir, il y a bien entendu son tout dernier groupe Tree-Ho! avec le bassiste Félix Zurstrassen (LG Jazz Collective, David Thomaere Trio, Urbex) et le batteur Antoine Pierre (Taxi Wars, Urbex, Philip Catherine, LG Jazz Collective). [lire la suite sur JAZZ.BRUSSELS]

Alain Pierre © Arnaud Ghys (recadré)

Alain PIERRE joue en duo avec Peter Hertmans dans un répertoire constitué de compositions personnelles ainsi que de musiciens des années 70. Il donne également des concerts en solo (dernier CD paru : “Sitting In Some Café” – Spinach Pie Records SPR 103).

Il est membre du projet “Les 100 Ciels de Barbara Wiernik” qui réunit le noyau dur et le répertoire des groupes dans lesquels chante Barbara : “Barbara Wiernik Soul of Butterflies“, “PiWiZ” de Pirly Zurstrassen, “Acous-Trees” d’Alain Pierre et “Murmure de l’Orient” de Manu Hermia agrémentés d’un quatuor à cordes et d’un clarinettiste de l’Ensemble “Musiques Nouvelles”. La direction artistique et les arrangements sont confiés à Pirly Zurstrassen et Alain Pierre.

Il a formé “Alain PIERRE Special Unit“, jouant ses propres compositions avec Barbara Wiernik (voix), Toine Thys (Saxes, Clarinette Basse), Félix Zurstrassen (Basse) et Antoine Pierre (Drums). Il a également fondé “Acous-Trees”, jouant ses compositions avec Barbara Wiernik (Voix), Pierre Bernard (Flûtes), Olivier Stalon (Basses électrique et acoustique), Frédéric Malempré (Percussions) et Antoine Pierre (Drums).

En 1999, il a fondé le groupe belgo-tunisien Anfass avec le guitariste tunisien Fawzi Chekili, Steve Houben et le joueur de ney tunisien Hichem Badrani (CD “Anfass” – Igloo IGL 148) avec les compositions d’Alain Pierre et de Fawzi Chekili. Il figure aussi sur le CD “Dolce Divertimento” avec ses compositions en duo avec Steve Houben.

Alain Pierre a effectué plusieurs tournées avec ces différents projets en Europe mais aussi Tunisie, Maroc, Nigéria, Bénin, République Démocratique du Congo, Inde et Vietnam. Il enseigne la guitare et l’improvisation et la composition au Conservatoire de Huy depuis 1987 et lors de stages d’été (AKDT de Libramont, Tunisie, République Démocratique du Congo). Il enseigne la lecture jazz et le jeu d’ensemble jazz au Conservatoire royal de Bruxelles depuis 2015. [d’après CONSERVATOIRE.BE]

  • image en tête de l’article : Alain Pierre © Arnaud Ghys

Visiter le site d’ALAIN PIERRE…

 


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Arnaud Ghys


 

VIERSET, Guillaume (né en 1987)

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“Guillaume VIERSET commence la guitare à l’âge de 7 ans sous l’influence de son père, guitariste de country. De 1996 à 2005, étudie la guitare classique et poursuit son cursus en étudiant le jazz avec Alain Pierre à l’académie de Huy ainsi qu’à l’académie de Amay avec Philippe Doyen. Parallèlement, il participe à plusieurs stages aux Lundis d’Hortense (Pierre van Dormael, Peter Hertmans, Ivan Paduart, Paolo Radoni…). Après avoir joué dans de nombreux groupes de pop et de rock, l’envie de se diriger vers une musique plus improvisée se fait ressentir. Il créa le trio Morning Warm Whisky qui lui permettra de se focaliser plus sur l’improvisation mais également sur la composition.

Il participe également à une session pour l’album électro jazz de Karl off. En 2007, il poursuit ses études au Conservatoire Royal de Bruxelles où il a eu la chance d’apprendre avec Arnould Massart, Pirly Zurstrassen, Fabrice Alleman, Fabien Degryse, Guy Cabay… En parallèle à ses études au Conservatoire de Bruxelles, il monte un premier projet The Green Dolphins et participe à de nombreux projets jazz aux alentours de Bruxelles. The Green Dolphins est repris par le collectif “ça balance pas mal…” et une de ses compositions est présente sur la compile “ça balance 2011“. En 2008, il participe à un stage de jazz en Italie avec notamment Kenny Baron et en 2010, participe au concours “Tuscia In Jazz” avec le Feel Trio avec lequel il arrive en finale.

Guillaume participe à de nombreuses masterclass et clinic dont celui de Kurt Rossenwinkel, Antonio Sanchez, Philip Catherine, Jonathan Kreisberg… Il a également eu l’occasion de jouer dans de nombreux festivals et salles de concert dont le Dinant Jazz Night, le Comblain Jazz Festival, Festival International Jazz à Liège, Mons en Jazz, Music Village, Jazz à Huy, Centre Culturel les Chiroux, Jazz At Home, Gaume Jazz, Jazz 04, Festival Eben-Emael

C’est un guitariste en constante recherche, tant au niveau de la manière d’improviser ou de composer. Amoureux des standards et de la tradition, il est également très attiré par le jazz moderne. La composition fait partie intégrante de son travail qu’il effectue pleinement avec la création de son quartet. Un projet d’écriture pour une grosse formation est en cours ainsi qu’un grand nombre de projets. Ses projets actuels sont Guillaume Vierset Quintet, Guillaume Vierset Standard Trio, LG Jazz Collective…” [d’après IGLOORECORDS.BE]


Guillaume Vierset © Oliver Lestoquoit

“On a découvert Guillaume Vierset, lors d’un “Jazz à Liège”, à la tête du LG Jazz Collective qui réunissait la jeune génération du jazz belge : Jean-Paul Estiévenart, Igor Gehenot, Antoine Pierre, Félix Zurstrassen ou Steven Delannoye… Un octet au réel sens du groove qui a enregistré successivement “New Feel” puis “Strange Deal“. Par la suite, Guillaume Vierset est revenu à ses amours de jeunesse, les songwriters tels que Nick Drake. Un quintet aux arrangements subtils avec Mathieu Robert au soprano et Marine Horbaczewski au violoncelle (albums “Songwriter” puis “Nacimiento Road“). Parallèlement, il est, avec Félix Zurstrassen, l’accompagnateur de la chanteuse pop-rock Typh Barrow et participe au Griboujazz destiné au jeune public. Il fait aussi partie du Random House du saxophoniste Thomas Champagne (“Sweet Day” enregistré en quartet et récemment, “Tide“, en quintet avec le trompettiste américain Adam O’Farrill). Guillaume Vierset ? Une vraie bouffée d’énergie !” [d’après JAZZMANIA.BE]

GOMZE : Barcarolle vervîtwesse

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Corneil GOMZÉ (Verviers, 28 février 1829 – Verviers, 24 août 1900) est l’auteur de la Barcarolle vervîtwesse (la Barcarolle verviétoise), écrite en l’honneur de Rodolphe Closset. Né en 1850 à Verviers, Closset était marchand de laines ainsi qu’un brillant homme de lettres, cheville ouvrière et président de la Société Polyglotte. Ce serait le 20 janvier 1872 que Corneille Gomzé lui aurait dédié la Barcarolle lors d’un souper de cette association. Gomzé a par ailleurs inventé une plume baptisée ‘la plume vapeur‘ (sic), destinée à la calligraphie et au tracé d’arabesques. Il a écrit plusieurs ouvrages mettant en valeur les potentiels de son invention.

La Barcarolle, quant à elle, est considérée (et pratiquée) comme l’hymne verviétois (Verviers, BE) et si elle a bien été écrite en wallon du coin par Corneil Gomzé, ce dernier n’en est pas le compositeur. Au pays de Vieuxtemps, de Lekeu -de la blanque dôreye (tarte au riz)- et d’une tribu complète de jazzmen wallons, c’est un certain Albert ERNOTTE qui l’a mise en musique et a choisi un air vénitien pour donner à la Cité lainière son chant emblématique…

Corneil Gomzé

Homme engagé, Corneil Gomzé, “était calligraphe et grand voyageur à l’étranger. Il prend part en 1848 aux activités du club républicain La Société des droits et des devoirs de l’homme. II anime en 1865-1866 le cercle La Réforme par l’action qui organise les premiers meetings ouvriers verviétois. Il contribue aux premiers pas des Francs-ouvriers, future section verviétoise de l’Association internationale des travailleurs. Il trouve notamment le titre de leur journal, Le Mirabeau. Corneil Gomzé est l’auteur de nombreux poèmes wallons réunis après sa mort dans une brochure, Avaû les Champs, et du texte de la Barcarolle vervîtwesse…” [LEMAITRON.FR]

Correspondant de Victor Hugo, Corneil Gomzé fut un des premiers écrivains en wallon verviétois. Sa tombe fut érigée dans le cimetière de Verviers, à l’initiative du cercle littéraire L’Élan wallon créé en 1893, à une époque où quatre autres sociétés wallonnes virent le jour à Verviers entre 1890 (Les Wallons) et 1903 (Lu Steûle wallonne).

Oh ! Por mi, dju so fir
Quand sj’so-st-à l’étrandjir
D’aveur sutu hossi
En on trô come à Vervî !

[Oh! Pour moi, je suis fier
Quand je suis à l’étranger
D’avoir été bercé
Dans un trou comme Verviers !] …

Il est aussi amusant de découvrir que le pianiste verviétois, Jean-François MALJEAN, a baptisé un de ses albums : Apormidjusofir !

Cet album de 2012 propose des artistes invités précieux comme : Jacques Stotzem, Didier Laloy, Robert Jeanne, Olivier Bodson, Rhonny Ventat, René Thomas, Silvano Macaluso, Jean-François Hustin, Krystell Mandy, Philippe De Cock, Angelo Crisci, Domenico Ferlisi-Greco, Alain Rinallo et Frédéric Malempré. Le disque est produit par Hans Kusters Music, réalisé et arrangé par Jean-François Maljean & Silvano Macaluso aux studios ESSEM Music.

Le site du musicien est en anglais, vu le succès rencontré par sa musique en Asie et, plus particulièrement en Chine depuis qu’il a composé Chime Of The Dawn Bells, une chanson sortie en février 2020 pour soutenir la population de Wuhan frappée par le Covid-19 (le clip a dépassé les 100 millions de vues sur le YouTube chinois) : JEANFRANCOIS-MALJEAN.COM

La Barcarolle vervîtwesse
Oh ! Por mi, dju so fir
Quand sj’so-st-à l’étrandjir
D’aveur sutu hossi
En on trô come à Vervî !
Oh ! Pour moi, je suis fier,
Quand je suis à l’étranger,
D’avoir été bercé
Dans un trou comme Verviers !
1. So noste air qu’on rosinêye
Tos lès djous qu’on s’atavelêye,
Dj’à sèyî bèle cupagnêye,
Du mete ci refrain-voci :
Sur cet air que l’on fredonne,
Chaque fois que l’on s’attable,
J’ai essayé, belle compagnie,
De mettre le refrain que voici :
2. Nos n’avans rin èl makète.
Vèrvî c’noh quu l’plokète.
Mais, foûs d’one pê d’bèrbisète,
Quu n’faît-i donc nin moussi ?
Nous n’avons rien dans la tête.
Verviers ne connaît que les ploquettes*.
Mais d’un seul pis de brebis,
Que n’avons nous baratté** ?
3. Inte lès bruts du nos fabriques,
-Tchèstês pleins du mécaniques
Hoûtez donc quêne bèle musique…
C’est Vieuxtemps qui d’jowe ainsi !
Entre les bruits des fabriques
-Châteaux pleins de mécaniques-
Ecoutez donc quelle belle musique…
C’est Vieuxtemps qui joue ainsi !
4. Totes lès fleurs du nosse valêye,
-Sêpes ou dobes, bèles ou djolêyes,-
Qu’a printimps on veût florêyes,
A l’djeûne n’ont rin catchi
Toutes les fleurs de notre vallée,
-Simples ou doubles, belles ou jolies-
Qu’au printemps on voit fleurir,
Au matin n’ont rien caché.
5. A mitant d’on grand carnadje,
-Qwans lès canons fint ravadje-Djardon, came on vrai savadje,
Sabréve a brès’ rutrossîs.
Au milieu d’un grand carnage,
-Quand les canons faisaient ravage-
Jardon, comme un vrai sauvage,
Sabrait à bras raccourcis.
6. Nos polans bin lèver l’tièsse,
Câ lu Liberté qu’on c’tchèsse,
A s’grand martyr so nosse plèce :
Adjunians nos d’vant Chapuis !
Nous pouvons bien relever la tête,
Car la liberté qu’on chasse,
A son grand martyr sur notre place :
Agenouillons-nous devant Chapuis !
7. Nos avans, sins qu’on n’i pinse,
On tereû quu l’providince
A covrou d’one bone sumince ;
Biolley n’est nin co roûvi !
Nous avons, sans qu’on y pense,
Un terreau que la Providence
A couvert d’une bonne semence ;
Biolley n’est pas oublié !
8. N’acontans nin lès marotes
Qui tchafetet hâr ou bin hot’.
Lu drapa dèl Polyglotte
Nu pout nin èsse mi tchûzi
N’accomptons pas les commères
Qui jacassent à hue ou à dia.
Le drapeau de la Polyglotte
Ne peut pas être mon choix.

* ploquettes : déchets de laine.
** baratter : battre le beurre dans une baratte.

Texte : Corneil Gomzé – Musique : Albert Ernotte
Traduction : Marianne Rathmès et Christine Pagnoulle


Plus de musique ?

FOLIEZ, Jean-François (né en 1984)

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Jean-François Foliez

Né en 1984, Jean-François FOLIEZ commence l’étude de son instrument dès l’âge de 4 ans, étudie le solfège à l’Académie de Huy et la clarinette en cours particuliers. A 16 ans, il se consacre au saxophone ténor et à l’improvisation d’abord dans le Big band de Liège, puis dans diverses formations. Il entre au conservatoire de Maastricht où il étudie le jazz avec le saxophoniste allemand Claudius Valk. Il s’inscrit ensuite au Conservatoire Royal de Liège, où il étudie la clarinette classique avec Jean-Pierre Peuvion, puis avec Benjamin Dietels. Il participe à une masterclass avec Eddie Daniels et à des cours particuliers avec Steve Houben.

Il joue au sein de nombreuses formations: JF Foliez’s Playground  (compositions du clarinettiste), Music 4 A While (musique baroque remise au goût du jour par Johan Dupont), O.S. Quintet (tribute to Benny Goodman, Bobby Jaspar), 3 J Trio (jazz New-Orleans), Vivo (orchestre eurorégional de Garrett List), The Swing Barons (cabaret swing années 20 avec show danseurs), After night (rythm’n blues), Gypsy Swing Quintet (Jazz manouche avec Christophe Lartilleux), Les 3 Mirlitons (trio de clarinettes).

Il a participé à de nombreux festivals : Jazz à Liège, Gouvy Jazz Festival, Festival Labeaume en musiques, Gaume Jazz Festival, Festival Musiq 3, Festival des midis minimes… (d’après IGLOORECORDS.BE)

“Truite arc-en-ciel” est le nouvel opus chansons du clarinettiste Jean-François Foliez. Jonglant entre émotion, humour et surréalisme, ce n’est pas moins de 17 musiciens qui ont participé à cette aventure à la croisée du jazz de la pop et de la musique classique…

“Jeux de mots sensuels coquins et musicaux, fort évocateurs sur une mélodie enveloppante, riche et rythmée. Une savoureuse badinerie amoureuse dans un décor inspirant… ”    (d’après LANVERT.BE en 2020)

Visiter le site de Jean-François Foliez…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : rtbf.be


More Jazz…

PIERRE, Antoine (né en 1992)

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Antoine Pierre © igloorecords.be

Le batteur et compositeur Antoine PIERRE (1992), basé à Bruxelles, est devenu une figure incontournable de la scène de jazz belge et européenne.  Leader des groupes URBEX et Next.Ape mais aussi sideman actif, il fait partie de plusieurs groupes importants sur la scène internationale – entre autres avec l’éminent guitariste Philip Catherine ou encore TaxiWars, l’expérience jazz vs. rock menée par Tom Barman et Robin Verheyen.

De retour de New York en 2015 où il a étudié pendant un an après avoir obtenu son diplôme du Conservatoire royal de Bruxelles, Pierre reçoit le Sabam Jazz Award Young Talent. Plus tard dans l’année, il entre en studio pour enregistrer son premier album en tant que leader, URBEX. Sorti en 2016, le groupe tourne pendant deux ans en Belgique, puis retourne en studio pour enregistrer un deuxième album, “Sketches Of Nowhere” (2018, Igloo Records). Acclamé par la critique (…), ils entament leur première tournée internationale (…) avec différents line-ups et invités, tels que Ben Van Gelder, Reinier Baas ou encore Magic Malik.

Une autre facette de la personnalité artistique multiple de Pierre se manifeste par la création de son groupe trip-hop/alternatif/électrique Next.Ape dans lequel il s’associe à la chanteuse hongroise Veronika Harcsa, au guitariste Lorenzo Di Maio et au claviériste luxembourgeois Jérôme Klein. En février 2019, ils sortent leur premier EP et font une tournée internationale (Hongrie, Maroc, Luxembourg, Belgique), parfois avec le saxophoniste américain Ben Wendel comme invité spécial. (lire plus sur MYCOURTCIRCUIT.BE)

Antoine Pierre © Christian Deblanc

Comment vis-tu ton instrument dans tous ces différents contextes stylistiques du jazz ?

Je crois que le truc principal, c’est que j’adore tout simplement jouer de la musique. J’aime aussi partager et y aller à fond avec tout mon cœur. Partir étudier à New York m’a beaucoup fait réfléchir sur le fait que tous les moments sont essentiels, et qu’il n’y a pas un gig moins important qu’un autre.

Et que finalement le style musical est secondaire ?

C’est bien simple, quand je suis arrivé à Bruxelles, j’avais 17 ans et tout ce que je voulais, c’était jouer du jazz, rencontrer des gens et m’améliorer. Mais cette musique esttellement vaste que tu ne peux pas vraiment te cantonner à un style en particulier. Dans cette optique-là, le style n’est pas quelque chose qui a dirigé mes choix. Au début, j’ai participé à des projets dont la musique ne me plaisait pas nécessairement, mais je me suis toujours dit que c’était un super enseignement. Par exemple, les projets plus mainstream m’ont permis d’appréhender la tradition du jazz. Evidemment j’ai des préférences, et maintenant je commence à choisir certaines directions. Les musiciens avec lesquels je joue de plus en plus régulièrement sont ceux dont je partageais les goûts, les styles et les influences. Aujourd’hui, je me retrouve à jouer du jazz avec le souffle que j’ai envie d’y mettre.

Tout à l’heure, tu parlais de New York, est-ce que cela a eu une influence sur tes choix stylistiques ?

Oui, c’est clair. En tout cas, sur la manière de jouer de la batterie. Avant, j’avais tendance à faire le caméléon en adoptant le son et la manière de jouer qui correspondait le plus au style dans lequel je devais me produire.
A New York, j’ai pu voir des batteurs que j’admire jouer dans des contextes différents tout en apportant à chaque fois leur empreinte, leur manière de se placer dans le temps, de faire sonner leur batterie, de faire intervenir leur personnalité dans la musique… Ça a été un déclic et je me suis dit : “C’est ça que je veux faire !”. Cela ne m’intéresse plus de jouer comme tel ou tel batteur, en fonction du contexte musical dans lequel je me trouve. Je ne veux pas être un musicien lambda ou une copie. Si par exemple, un jour on m’appelle pour un gig de hip hop ou de pop, je serai partant. J’écouterai la musique qu’il faut pour me préparer, mais je le ferai à ma façon. L’idée n’est pas de tirer la couverture vers moi, mais de rester moi-même, sans effacer ma personnalité, tout en respectant la musique.” (lire la suite de l’interview sur JAZZINBELGIUM.COM)

Urbex © Stefaan Temmerman

En savoir plus, sur le site d’Antoine PIERRE…


© Stefaan Temmerman

“Suspended”, sorti le 11 septembre 2020 chez OutNote, est le troisième et nouveau répertoire du groupe Urbex, dirigé par le batteur Antoine Pierre. Il a été enregistré en concert à Flagey dont Antoine Pierre est l’artiste en résidence, lors du Brussels Jazz Festival 2020. ‘Suspended’ est un répertoire original écrit en hommage à la période électrique de Miles Davis, et en particulier à l’album “Bitches Brew”, qui fête ses 50 ans en 2020.  Antoine Pierre s’est inspiré de l’énergie et de la vibe de cet enregistrement iconique pour composer les titres de son nouvel opus. [FRANCEMUSIQUE.FR]

ESTIÉVENART, Jean-Paul (né en 1985)

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Jean-Paul Estiévenart © 30cc.be

Jean-Paul ESTIÉVENART commence la trompette dans la fanfare de son village Montroeul-sur-Haine, en Belgique, sous le regard avisé et bienveillant de son grand-père. Mordu, il poursuit l’étude de cet instrument complexe à l’Académie de Saint-Ghislain pendant dix années. C’est là qu’il fait connaissance avec le jazz et s’en passionne instantanément.

En s’installant à Bruxelles en 2004, Jean-Paul devient rapidement une figure incontournable du jazz belge. Il enchaîne les concerts à un rythme effréné qui n’a pas diminué depuis lors.

En 2013, il démarre une nouvelle aventure musicale en créant son trio avec Sam Gerstmans à la contrebasse et Antoine Pierre à la batterie. Leur premier album, “Wanted” (W.E.R.F. Records, 2013) plante un décor singulier dans le paysage du jazz belge et marque le début d’une histoire qui continue encore aujourd’hui. Le trio est profondément imprégné par la tradition mais joue sans cesse avec ses codes et étend ses frontières, tout en conservant l’élégance et l’authenticité de son héritage…

Leur deuxième album, “Behind The Darkness” (Igloo Records, 2016) est un opus autobiographique qui fait référence à l’enfance du trompettiste dans les terrils de charbon. Il représente aussi les moments de noirceur rencontrés au cours de son existence. Le titre de l’album annonce pourtant un dénouement positif, alors que Jean-Paul passe le cap de ses 30 ans.

En plus de 10 ans de carrière, Jean-Paul Estiévenart a eu l’occasion de côtoyer de grands noms de la scène internationale du jazz (Enrico Pieranuzzi, Nathalie Loriers, Avishai Cohen, Logan Richardson, Dré Pallemaerts, Joe Lovano, Noel Gallagher, le Brussels Jazz Orchestra, Perico Sambeat, Maria Schneider,…).

Il joue également dans une dizaine de groupes belges en tant que sideman (Antoine Pierre Urbex, Lorenzo Di Maio quintet, LG Jazz Collective, Manolo Cabras 4tet, Manu Hermia Freetet, Jazz Station Big Band, Mik Maak, et beaucoup d’autres), ce qui fait de lui le trompettiste le plus sollicité du pays, avec plus de 40 albums à son actif.  (lire plus sur IGLOORECORDS.BE)

© jazznu.com

Son statut actuel de musicien polyvalent, Jean-Paul Estiévenart le doit surtout à lui-même : à ses tout débuts, c’est avec une assiduité rare qu’il participe quasi tous les lundis soirs aux jam sessions du Sounds ; par ailleurs, cet autodidacte dans l’âme passe des heures interminables à se perfectionner. Il a une prédilection pour le jazz pur et dur mais il ne rate pas une occasion pour rompre avec tous les stéréotypes. Ainsi, il s’est produit avec l’orchestre de swing jazz de Lady Linn et il est membre de l’ensemble multiculturel Marockin’ Brass. En outre, de temps à autre, il fait des apparitions dans les cercles du free jazz, fait partie du Jazz Station Big Band et joue avec le Brussels Jazz Orchestra. Et ce n’est pas tout, on le retrouve entre autres au sein de LG Jazz Collective, MikMâäk et Manu Hermia 5tet.

Toutes ces activités lui ont valu d’être largement reconnu par ses pairs et d’être récompensé entre autres par le Django d’Or 2006 du jeune espoir et une distinction pour son premier album avec son quatuor 4in1. Pour l’instant, il se concentre sur son trio avec Antoine Pierre (batterie) et Sam Gerstmans (contrebasse). (lire plus sur JAZZ.BRUSSELS)

Voir le site de Jean-Paul ESTIÉVENART

© jazznu.com

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : 30cc.be ; jazznu.com |


More Jazz…

DICKENSCHEID, Michel (né en 1945)

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Michel DICKENSCHEID est né à Ougrée (Seraing), en 1945.  Né dans une famille éprise de musique classique, il se familiarise pourtant avec le jazz dès sa petite enfance, après avoir entendu par hasard Duke Ellington à la radio. Après quelques essais à la flûte et à la batterie, il découvre les “saxophonistes hurleurs” qui jouent derrière Louis Prima et, sous leur influence, adopte le saxophone-ténor ; il fait la connaissance de Raoul Faisant, qui devient son professeur en même temps que son “idole”. Tournant le dos à la musique yé-yé qui sévit alors, il devient un jazzman affirmé.

Au début des années 70, il monte une petite formation jouant essentiellement de la musique latine et qui tourne principalement en Hollande. Suspicieux à l’égard du be-bop et de ses avatars, Dickenscheid fréquente assez peu les jam-sessions liégeoises. Il participe pourtant avec Steve Houben et Guy Cabay aux répétitions qui donneront naissance au groupe Open Sky Unit (Pelzer) et il travaille quelques temps avec Charles Loos et Jean-Louis Rassinfosse.

Entretemps, il s’intéresse au délicat problème de la prise de son dans le processus musical. Décidé à mettre en pratique ses théories sur ce sujet, il ouvre un studio qui sera l’un des premiers à enregistrer à nouveau des jazzmen belges (Michel Herr, Saxo 1000, Mauve Traffic, etc.) ou résidant en Belgique (Lou Mc Connell, par exemple). Il joue à ce titre un rôle important dans la relance qui caractérise le jazz à cette époque.

Absorbé par ce travail, Dickenscheid délaisse quelque peu son instrument. Au début des années 80, il décide de remonter une petite formation tout à fait insolite pour l’époque, strictement acoustique (ténor, deux guitares, une contrebasse). Il s’y révélera comme le seul héritier de Raoul Faisant sur son terrain de prédilection : le jazz swing (Django Reinhardt, Coleman Hawkins, etc.). Pendant quelques années, il travaillera avec cet ensemble de manière régulière – ses lieux de concerts privilégiés étant le bistrot, la place publique ou la rue plutôt que la salle ou le club.

En 1988, Dickenscheid ralentit ses activités avant de dissoudre cet orchestre unique en son genre (et très populaire dans la région liégeoise). Il demeure néanmoins au cœur du monde musical à deux titres au moins. Tout d’abord, soucieux depuis des années de mettre au point une méthode d’apprentissage de la musique mieux adaptée au phénomène d’improvisation, il s’intègre au travail de la Cool Music School montée par les Jeunesses Musicales. Ensuite, toujours passionné par les problèmes acoustiques, il invente un système d’enregistrement des instruments à vent, qui, s’il laisse indifférents ses compatriotes, a tôt fait d’intéresser les grosses firmes d’instruments de musique ainsi que de nombreux musiciens, qu’ils viennent du jazz ou de la musique classique (Michel Portal, Alexandre Ouzounoff, etc.).

Jean-Paul  Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : cadencesmusic.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

VRANCKEN, Roger (1920-2004)

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Guitariste, né à Liège en 1920, il débute en amateur dans les orchestres de Gene Dersin (1937) et de Lucien Hirsch (1938-1939). Il se produit également au Cotton (Liège) dans la formation de Gus Deloof (1939). Puis, ayant décidé de faire de la musique son métier, il signe son premier contrat professionnel avec le Rector’s Club en mai 1940, contrat interrompu aussitôt par l’arrivée des troupes allemandes.

Au début de l’Occupation, Roger VRANCKEN travaille dans différents bars liégeois, notamment avec le pianiste Vicky Thunus. Il effectue ensuite un séjour au sein de l’orchestre de Jean Omer au Bœuf sur le Toit (Bruxelles) et enregistre ses premiers disques avec cet orchestre en 1941. La même année, alors qu’il commence à se faire une certaine réputation dans les milieux du jazz, il sera l’un des premiers guitaristes belges (avec Frank Engelen) à adopter la guitare électrique. De même, fasciné par Django Reinhardt et Eddie Lang, il fera partie de l’avant-garde qui, en Belgique, sortira la guitare du rôle de simple instrument d’accompagnement.

De retour à Liège, il travaille avec Gaston Houssa, Jean Paques, etc. et devient un des piliers du «noyau swing» qui s’est constitué autour du saxophoniste Raoul Faisant. Dans sa passion pour le jazz, il vit avec Faisant (au Mondial, à l’Observatoire, … ) les heures les plus intenses de sa carrière musicale. Il participe ainsi à l’initiation des jeunes Bobby Jaspar, Jacques Pelzer et surtout René Thomas, dont il est un des premiers – et seuls – professeurs. Sous son nom de guerre (Roger Hodge), Vrancken dirige à la même époque son propre quartette (Hodge-Franck Quartet). Il ralentit ses activités la dernière année de l’Occupation puis, à la Libération, il joue pour les troupes anglaises puis américaines, jusqu’en première ligne.

Il participe bientôt au groupe vocal Les Cherokees aux côtés de Bob Jacqmain, Yetti Lee et Luce Barcy, et enregistre avec cet ensemble en compagnie de l’orchestre d’Ernst Van’t Hoff. De retour à Liège, il travaille au Cotton dans une formation mixte jazz-tzigane. Il travaille encore à Anvers et à Charleroi pendant quelque temps puis décide d’arrêter le professionnalisme, ne se produisant plus que très épisodiquement (notamment avec Robert Grahame, dans le café qu’il reprend au cours des années 50).

En 1959, il décide de tenter un come-back à l’occasion du premier festival de Comblain-la-Tour (où il sera accompagné par les jeunes Jean Lerusse, Willy Donni, etc.). Ce sera pour retomber aussitôt après dans un anonymat dont il ne sortira plus, ne reprenant sa guitare que pour quelques répétitions, hélas sans suite, avec la petite formation swing de Michel Dickenscheid. Il décédera à Seraing, en 2004, à l’âge de 84 ans.

Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : anciensdecomblain.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz !

JEANNE, Robert (né en 1932)

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Robert Jeanne © Jean Schoubs

Robert Jeanne est né à Liège, en 1932. Musicien autodidacte, il découvre Charlie Parker à la fin des années 40 et se passionne pour le jazz, fréquente la Laiterie d’Embourg et, après y avoir assisté à quelques jams mémorables réunissant Jacques Pelzer, René Thomas et Bobby Jaspar, décide de devenir musicien. Il débute avec des orchestres amateurs locaux, notamment les Bop Lighters en 1952, entre en contact avec Thomas et Pelzer et, dès 1955, participe à plusieurs concerts en Belgique et en Allemagne en leur compagnie. Il découvre Stan Getz et Al Cohn qui deviendront ses principaux modèles.

A fin des années 50, il forme son propre ensemble (répertoire be-bop et cool), le New Jazz Quintet, avec Milou Struvay à la trompette. Réduit à un quartette (Robert Jeanne, Léo Flechet, Jean Lerusse, Félix Simtaine), ce groupe se maintiendra des années durant. Entretemps, Robert Jeanne participe à de nombreux festivals et tournois (Spa, Zurich, Comblain, Dunkerque, Vienne,… ). Il s’efface de 1962 à 1966 car il se lance dans la course automobile.

En 1966, il replonge de plus belle, avec son quartette mais aussi, assez régulièrement, en compagnie de René Thomas ou du trompettiste Richard Rousselet. De 1971 à 1973, il joue dans le groupe de Jack Van Poli, Cosa Nostra, avec notamment le trompettiste américain Charlie Green (prestation au Festival de Prague). En 1974, il est membre du Solis Laeus de Michel Herr. Il travaille aussi avec le pianiste flamand Koen de Bruyn (1976) et, en 1978, il se produit avec Jacques Pelzer dans la comédie musicale “No No Nanette”, au Centre lyrique de Wallonie.

Il s’intègre pendant un moment à l’Act Big Band de Félix Simtaine puis participe (1980) au groupe Saxo 1000, monté en hommage à René Thomas et Bobby Jaspar. En 1982, il forme un nouveau quartette avec Fléchet et des jeunes musiciens. En 1983, il enregistre son premier disque en tant que leader (“Second Live”) avec Léo Flechet, André Klénes et Stefan Kremer .

Peu à peu son quartet se modifie au gré du passage de musiciens tels que Pirly Zurstrassen, Erik Vermeulen, Sal La Rocca, José Bedeur, Frédéric Jacquemin. Nouveau disque en 1992, avec Mimi Verderame, Sal La Rocca (et Frédéric Jacquemin. En 1994, il entre dans le Chapuis Street Big Band et, en 1996, dans l’octet mis sur pied par Mimi Verderame, Jazz Addiction Band. En 1998, il participe au Festival de Jazz de Saint-Louis, au Sénégal, en quartet avec Mimi Verderame, Sal La Rocca et Ivan Paduart. Et, en 1999, une tournée au Nicaragua avec le même quartet. Musicien de jazz et architecte, il est l’exemple rare d’une double carrière, très riche, accomplie en professionnel exigeant.

d’après Jean-Pol SCHROEDER et IGLOORECORDS.BE 


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et compilation | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jean Schoubs | remerciements à Jean-Pol Schroeder


GRAHAME, Robert (1940-2018)

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Robert GRAHAME est né à Liège en 1940. Dès son enfance, il se met à l’harmonica, puis monte avec son frère un trio vocal. Il découvre le jazz, notamment en fréquentant la famille de René Thomas. Vers 1954, il se produit dans différentes formations de bal comme harmoniciste, puis comme bassiste. Lors de son premier engagement important, comme chanteur, dans l’orchestre de Fernand Lovinfosse, ce dernier lui apprend les premiers rudiments de guitare.

En 1958, il rencontre Jacques Pelzer et les “modernes” liégeois et devient vite un habitué des jam-sessions. Parallèlement, il travaille comme guitariste/chanteur dans l’orchestre de Pol Baud. Il joue dans différentes formations amateurs liégeoises et se produit à plusieurs reprises au Festival de Comblain, où il est remarqué par les critiques français (cité comme révélation dans Jazz Magazine).

Par l’intermédiaire de Jacques Pelzer, il fréquente bientôt les plus grands jazzmen (Lee Konitz, Chet Baker, Bill Evans, Stan Getz… ) et jamme en leur compagnie. En 1966, il monte un quartette avec le saxophoniste Eddie Busnello. Par la suite, il se partage entre le jazz et le “métier”, la variété, travaille comme musicien de studio et compose pour des chanteurs de variété. Il garde néanmoins un contact permanent avec le jazz à travers jams et petits concerts.

Pendant les années 80, il réapparaît plus régulièrement sur les scènes jazz, s’entourant soit de ses anciens compagnons (Bedeur, Liégeois, etc.) soit des musiciens de la jeune génération. Robert Grahame fut un des artisans de la relève du Festival de Comblain pour lequel il a assuré, chaque année, la programmation. Il décède en novembre 2018.

d’après Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : jazzinbelgium.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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FAISANT, Raoul (1917-1969)

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Si l’on n’y prend garde le nom même de Raoul FAISANT, que d’aucuns continuent de considérer comme le père du “jazz wallon”, sera bientôt passé définitivement dans l’oubli, lui que l’on tenait dans les années quarante comme l’un des ténors européens. Sic transit gloria….

Né à Flémalle-Haute, en 1917, il s’intéresse dès son plus jeune âge à la musique. Sa famille, une modeste famille ouvrière, ne s’opposait certes pas à cette inclination précoce : au début du siècle, le grand-père de Raoul avait joué au sein du célébrissime orchestre américain de John-Philip Sousa, celui-là même qui apporta aux Belges les premiers accents de musique syncopée en 1900. A six ans, les parents Faisant offrent à leur fils des leçons de piano avec un professeur particulier. Après la flûte et le hautbois, le jeune homme finit pas adopter le saxophone, alto d’abord, ténor ensuite.

Dès 1932, il se produit dans des orchestres de bal et laisse tomber ses études. Il entre pour un temps en usine – aux Tubes de la Meuse -, pour se retrouver bientôt dans la rue, après avoir participé à un piquet de grève. Doté d’une oreille et d’un sens harmonique et mélodique peu communs, il s’est mis à jouer cette musique américaine que diffuse au compte-gouttes l ‘I.N.R. : le jazz.

Raoul Faisant écoute le jazz avec une passion qui dépasse l’intérêt superficiel que lui portent la majorité des musiciens liégeois du moment. Exception faite de Victor lngeveld, déjà parti pour Bruxelles, d’Albert Brinckhuyzen, que Faisant a entendu au sein du Rector’s Club, et puis de Bobby Naret et de Jacques Kriekels avec lequel il va vivre, en 1937, une période de service militaire dont les nuits se passeront bien souvent en jam-sessions furieuses, les premières d’une longue série.

Démobilisé, de plus en plus absorbé par la magie de l’improvisation, il devient professionnel, se produisant à Liège, soit dans les bars du Carré (L’Enfer, par exemple), soit dans des orchestres de bal, celui d’Antoine Barzazzi entre autres. Mais, il n’a pas encore trouvé d’interlocuteurs partageant sa passion pour le jazz, car au bal, on n’improvise pas. Survient alors la guerre. A Liège, comme ailleurs, c’est le début de quatre longues années d’Occupation qui, paradoxalement, vont permettre à Faisant de faire exploser toute cette musique qui est en lui.

Les années de guerre

En 1940, il est au Caveau, dans un orchestre de femmes. Dans cette ambiance soyeuse et feutrée, Faisant prouve dès cette époque qu’il est le musicien le plus authentiquement jazz de la région. S’il est conscient de ses propres progrès, il n’imagine sans doute pas qu’il est déjà devenu le modèle d’une nouvelle génération. C’est en banlieue, à Jemeppe, dans un café appelé La Redoute, qu’il va enfin se trouver pour la première fois des accompagnateurs musclés, aptes à le faire avancer dans la voie du jazz . Willy et Johnny Stoffels, deux musiciens noirs qui ont échoué dans la région, lui donnent des ailes, l’un en lui fournissant un support harmonique enfin consistant à la basse, l’autre en créant pour lui le cadre rythmique qu’aucun batteur n’avait pu lui procurer jusque là.

La Redoute devient vite le lieu de rendez-vous obligé des rares amateurs de jazz, ou de bonne musique tout simplement. C’est à La Redoute que Faisant va rencontrer celle qui sera sa compagne, Reine, saxophoniste elle aussi. Mais c’est une autre histoire. Il reste que La Redoute est le point de départ de l’escalade de Faisant vers les sommets. En 1942 et 1943, entouré de quelques solides comparses avec lesquels il forme un noyau swing des plus percutants, il va faire le tour des établissements de Liège, y semant la bonne nouvelle du jazz contre vents et marées.

Sa sonorité est déjà remarquable par son ampleur et sa puissance, jointes à des dons exceptionnels pour l’improvisation. Entretemps, les Allemands ont interdit la danse; mais cette interdiction, outre qu’elle tolère bon nombre de dérogations, n’est pas de nature à décourager ni les musiciens du noyau swing ni les danseurs. Avec son ami Roger Vrancken, guitariste d’élite, il commence à “bricoler”, cherchant les combinaisons harmoniques les mieux appropriées, les arrangements rythmiques les plus percutants, toutes ces petites choses qui transforment une chansonnette en un morceau swing ! Pendant la soirée, bien sûr, on ne joue pas que du jazz, il faut satisfaire tout le monde. Mais, malgré cela, le noyau swing, de chorus sulfureux en blues lancinants, offre aux Liégeois plus de jazz qu’ils n’en ont jamais entendu.

Outre leurs prestations professionnelles dans des établissements comme L’Observatoire, le Mondial ou L’Etage, Raoul Faisant, Jean Evrard, Roger Vrancken, Victor Baselle, bientôt rejoints par les jeunes Maurice Simon et René Thomas (quinze ans à l’époque), se retrouvent également après journée (after hours) pour des jam-sessions torrides – chez la danseuse Mary Drom par exemple. Et là, plus question de concessions ! Quelques étudiants sont parfois admis dans ces cénacles, ils ont pour noms Jacques Pelzer ou Bobby Jaspar et ils ne perdent jamais une occasion de s’enivrer de la fascinante musique nouvelle.

Faisant est aussi amené, pendant l ‘Occupation, à se produire au sein de grandes formations : il jouera occasionnellement avec Gene Dersin, dès 1942 (mais le big band de Dersin a déjà un excellent ténor soliste en la personne de Jacques Kriekels). Il travaille dans l’orchestre de Gus Deloof qui l’emmène en tournée à Bruxelles et jusqu’en France et le fait participer à quelques séances d’enregistrements. Jusque-là, tout va plutôt bien. Les choses ne se gâtent que lorsque Faisant est réquisitionné pour le travail obligatoire en Allemagne.

Il imagine alors différents stratagèmes pour échapper à l’engrenage et il finit par se retrouver, sous un faux nom, en route vers la Hollande au sein de l’orchestre d’Hubert Simplisse. Et quel orchestre ! Un simple coup d’oeil sur les membres de cette formation donne à penser que, si le leader est accordéoniste, le musette ne doit pas être la seule musique au programme : il y là, outre Raoul Faisant, le trompettiste Jean Evrard, le pianiste Maurice Simon, René Thomas à la guitare, Clément Bourseault à la basse et le batteur hollandais Henk Van Leer. A Amsterdam vont avoir lieu quelques concerts où, malgré la censure allemande (pas d’improvisation, pas de musique anglaise ou américaine), le jazz est au premier rang.

A Liège, le climat général s’est refroidi : la tension est plus forte entre occupant et occupé. Bientôt, Jean Evrard est arrêté et déporté. Faisant ralentit ses activités, il joue encore au Caveau en 1944. Enfin, les Américains arrivent. Commence alors, pour Faisant et pour le jazz tout entier, un âge d’or de quelques années. Faisant – qui vient de passer de 72 à 120 kg – semble être partout à la fois : à Liège, à Bruxelles, en tournée pour les Américains. En 1944, pour Radio Heidelberg, version U.S., il joue avec Vicky Thunus. A Bad Norheim, il retrouve Jean Evrard et, ensemble, ils entreprennent un tournée des restcamps. René Thomas, plus “reinhardtien” que jamais, les seconde la plupart du temps.

Bruxelles et l’après-guerre

En 1945, Faisant s’installe à Bruxelles. On accueille à bras ouverts celui que la presse appelle “le crack liégeois”. Lui et son épouse hébergent pendant de longs mois René Thomas et Sadi. Faisant joue au Métropole dans l’orchestre de Dersin, monté à Bruxelles lui aussi ; au Cosmopolite, dans la formation du trompettiste Joe Lenski. En 1946, les Américains font à Faisant des offres alléchantes, qu’il décline : il vient de se marier et il ne désire pas compromettre déjà ce début de vie de famille.

Entretemps, sa réputation s’est établie dans toute la Belgique et jusqu’en Allemagne – où il est classé numéro un dans différents référendums – et en France : dans le numéro huit de la revue française Jazz Hot (nouvelle série), Faisant est présenté comme “un extraordinaire virtuose du saxophone, s’exprimant aussi bien au soprano qu’au ténor et jouant remarquablement de la clarinette”. En 1947, Don Byas, classé deuxième saxophoniste après Coleman Hawkins au célèbre référendum américain “Esquire”, est à Bruxelles : lui et Faisant vont se livrer une nuit entière à un véritable “combat des chefs” dont Faisant sortira vainqueur. Il est, pense-t-on, à l’aube d’une toute grande carrière.

Pendant tout ce temps, Faisant n’a jamais perdu le contact avec Liège : il y est revenu à différentes reprises, notamment en avril 1946 pour une  monstre organisée par le Hot Club de Belgique au Mondial, jam au cours de laquelle Faisant avait partagé l’affiche avec ses anciens élèves réunis au sein des Bob Shots ! Il y était revenu également pour deux engagements importants, l’un aux Dominicains (avec d’autres élèves : Sadi, Jean Fanis, Maurice Simon), l’autre au Cotton. Il avait effectué une nouvelle tournée avec Gus Deloof. Mais, au moment de la rencontre avec Byas, les beaux jours sont presque finis pour lui et c’est définitivement, et plus en vedette, qu’il va bientôt revenir à Liège.

En effet, le jazz est à un tournant décisif de son histoire : déjà, la parole de Charlie Parker a frappé de plein fouet les jeunes Pelzer, Jaspar, Sadi, Thomas. Le grand public, qui n’avait accroché au jazz que comme à une mode passagère, sans le comprendre, s’émoustille désormais à l’écoute de rengaines pseudo-exotiques. Ceux qui veulent vivre du jazz se condamnent à la bohème ou à l’exil. Les autres arrêtent le métier ou se contraignent à jouer, de mode en mode, d’autres musiques. Faisant alternera entre ces deux dernières options, exerçant tantôt un autre métier (commerçant, cafetier), se produisant à d’autres moments dans les orchestres les plus ringards pour gagner sa vie. Mais, toujours, il parviendra à pimenter une soirée musicale fade de traits fulgurants et inattendus.

Le déclin

Pendant les années 50, il jouera dans les orchestres de Jean St-Paul, Jimmy Cordy, Maurice Bastin, Jean Sauer et bien d’autres. Malgré l’incompréhension croissante qui l’entoure (les amateurs de jazz ne jurent que par le moderne, les autres ne veulent que du cha-cha-cha puis plus tard du rock’n roll, du twist, etc.), il est toujours aussi perfectionniste. Exigeant pour lui-même, il ne l’est pas moins avec ses partenaires ou avec ses élèves. En 1957, la chance lui tend les bras une seconde fois : un organisateur de spectacles s’étant souvenu de lui ou l’ayant découvert lors d’un des rares concerts qu’il donnait encore pour des associations, lui fait signer un contrat de quatre mois pour la Finlande. Il se produira principalement à Helsinki, à la Cabane du Pêcheur, un cabaret chic pour diplomates et hommes d’affaires.

Soudain, c’est comme si tout était à nouveau possible : on lui propose un contrat pour Moscou, un autre pour Calcutta et Bombay. Mais Faisant décline, pour des raisons familiales. Dès lors, la vraie descente aux enfers va commencer. Ironie du sort, au Festival de Knokke en 1958, c’est Raoul Faisant, venu pour y gagner sa vie dans un orchestre commercial (pour la danse), qui sauvera au pied levé le concert de Coleman Hawkins, trop ivre pour pouvoir s’en sortir seul. Un moment de triomphe pour mieux replonger dans l’oubli au début de ces années 60 qui furent, pour le jazz, les plus tristes et les plus accablantes.

Pas une seule fois le nom de Faisant n’apparaîtra à l’affiche du Festival de Comblain, de 1959 à 1966. “On prenait Raoul Faisant pour un vieux con, je ne m’en mordrai jamais assez les doigts” avoue Milou Struvay, étoile montante de cette même époque. Et pendant que bons et mauvais jazzmen jouent dans le Grand Pré de Comblain, Faisant, bougon, travaille au Casino de Chaudfontaine, refusant bien souvent de se lever pour prendre un solo. Après avoir assisté, étrangement indifférent, à la révolution bop, il entend, sans les écouter vraiment, les premiers débordements free, lui qui avait sans doute été le premier musicien européen à maîtriser vraiment les harmoniques supérieurs.

En 1965, Faisant sera pour la dernière fois le héros de la fête dans cette ville de Liège qu’il n’a jamais quittée : le gala des “25 ans de jazz en Wallonie” organisé au Trocadéro, c’est un peu un hommage à celui que Nicolas Dor présente, quand il entre sur scène, comme le «père spirituel de tout le jazz wallon». Faisant prouvera ce soir-là qu’il est toujours un grand musicien : point d’orgue de cette soirée, un “Body and Soul” qui en étonna plus d’un dans la salle, où beaucoup de spectateurs entendaient le nom de Faisant pour la première fois !

Après ce dernier soir triomphal, il rentre dans l’ombre pour de bon. Et comme les juke-boxes ont remplacé un peu partout les orchestres, il connaît des jours de plus en plus difficiles. Une triste journée de 1969, il assiste aux obsèques de Maurice Simon, tué lui aussi par l’indifférence. Quelques semaines plus tard, alors qu’il joue à la frontière française – et le saxophoniste italien Gianni Basso se souvient que certains soirs, il pouvait encore jouer comme un dieu – Raoul Faisant meurt. Jusqu’à la fin, il aura combattu pour cette musique qui l’avait séduite 30 ans plus tôt. La presse locale évoquera discrètement la disparition d’un des plus grands jazzmen européens, qui ne laissa même pas derrière lui, en guise de consolation, quelques disques-témoins à la mesure de son génie.

 Jean-Pol Schroeder


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THYS, Toine (né en 1972)

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Toine Thys © F. de Ribaucourt

Né à Bruxelles en 1972, le saxophoniste bruxellois Toine THYS est un musicien intense qui aime créer la surprise. Figure centrale du saxophone et de la clarinette basse en Belgique, on peut l’entendre régulièrement en France et aux Pays-Bas, en Europe, mais aussi en Afrique de l’Ouest, au Canada et en Asie.

Il dirige le Toine Thys Trio avec Arno Krijger à l’orgue Hammond et Karl Jannuska à la batterie. Il co-dirige également Orlando, mené avec le batteur Antoine Pierre et les musiciens français Florent Nisse (basse) et Maxime Sanchez (piano), et le groupe Overseas, qu’il mène avec le oudiste égyptien Ihab Radwan, Annemie Osborne (violoncelle) et Simon Leleux (percussions).

A côté de ses projets personnels, on retrouve Toine Thys aussi dans les formations Ed Verhoeff 4tet (Pays-Bas), Afrikan Protokol (Burkina), Bounce Trio (France), Bram Weijters Crazy Men (Belgique), Antoine Pierre Urbex (Belgique), etc.

Toine Thys est très présent en Afrique et fonde, en 2014, une école d’instruments à vents au Burkina Faso avec le trompettiste Laurent Blondiau, qui rassemble aujourd’hui plus de 50 élèves : Les Ventistes du Faso.  Ce concept doit être exporté prochainement en RDC (Lubumbashi et Kinshasa), comme au Bénin (Cotonou).  [d’après TOINETHYS.COM]

Toine Thys © L’Avenir

Toine Thys est en outre l’un des rares musiciens à se rendre compte qu’humour et jazz ne sont pas nécessairement à l’opposé l’un de l’autre. En plus, il est très conscient de la valeur ajoutée qu’apporte un contact direct avec le public et c’est donc volontiers qu’il participe régulièrement à des jam sessions au quatre coins de la ville “afin de rester au contact de la jeune génération“. À l’époque, il évoquait sa soif insatiable d’aventures lors d’une entrevue avec Agenda : “Ma devise est que la certitude est source de problèmes. Ainsi, je suis incapable de vous dire ce que j’apprécierai ou non d’ici deux ans. Mon but est, chaque jour, de découvrir la beauté qui se cache en toute chose. Pour ce faire, il faut en permanence garder les yeux et les oreilles ouverts et se laisser surprendre.”  (lire plus sur JAZZ.BRUSSELS)


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HOUBEN, Steve (né en 1950)

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Steve Houben, avec le Rhoda Scott Quartet (2016) © Jean-Louis Piraux

Steve HOUBEN est né à Liège, le 19 mars 1950 dans une famille de musiciens (une mère pianiste classique, un père jazzman amateur et un cousin qui se trouve être un des géants du jazz belge, Jacques Pelzer). Houben commence par tapoter sur le piano de la maison, puis se met à l’étude de la flûte traversière à l’âge de douze ans. Il chante aussi (son idole est alors Frank Sinatra !) dans un petit orchestre amateur. Bientôt, il découvre le jazz.

A l’âge où les adolescents de cette époque écoutent les groupes pop, Steve Houben se plonge dans l’univers de Chet Baker, Gerry Mulligan, Lee Konitz, Ray Charles. Il décide de faire plus ample connaissance avec son illustre cousin. C’est au Jazz Inn, à Liège, en 1966, qu’il entend pour la première fois le quartette Thomas-Pelzer. C’est le coup de foudre, tant pour la musique elle-même que pour ce milieu jazz qui le fascine d’emblée. Dès ce moment, il commence à fréquenter la maison du Thier-à-Liège où l’attendent les rencontres les plus colorées et les plus passionnantes. Pendant l’hiver 1968-1969, Steve Houben accompagnera son cousin à Paris, il y rencontre Archie Shepp, Ornette Coleman, Cal Massey, la crème des musiciens free américains.

C’est donc baigné de free-jazz (Pelzer lui-même donne dans la “New Thing” à cette époque) qu’il rentre à Liège. Et quand son cousin lui prête son saxophone en plastique (la grande mode à l’époque), c’est tout naturellement en jouant ce type de jazz éclaté qu’il va faire ses débuts au saxophone. li décide d’approfondir ses connaissances musicales et entre à cette époque au Conservatoire de Verviers où il décroche, quelques années plus tard, un premier prix de flûte et de musique de chambre.

Entretemps, lassé du free, il s’est remis à écouter les musiques les plus diverses, passant des nuits entières avec Guy Cabay à s’imprégner bien entendu de jazz mais aussi de musique technique, de musique classique, de soul music, etc. Il découvre également le jazz-rock de Weather Report. C’est du brassage de ces diverses influences que va naître le premier groupe important auquel va participer Houben : Open Sky Unit, qui démarre fin 1973. Autour de Steve Houben et de Jacques Pelzer, on trouve quatre musiciens de la jeune génération : Guy Cabay (vb), Janot Buchem (b), Micheline Pelzer (dm) et le pianiste américain Ron Wilson.

L’ère des jams est passée et Open Sky Unit est un groupe fixe, sérieux, qui prend le temps de mettre en place un répertoire de compositions originales (de Ron Wilson surtout). Le groupe – auquel se joint quelquefois le percussionniste Papa Oye Mc Kenzie – tiendra plus d’un an, une performance pour un orchestre jazz à cette époque. C’est avec O.S.U. que Steve Houben effectuera ses premières tournées (notamment en Tunisie) et enregistrera son premier disque. A la dissolution de l’orchestre, il monte avec Guy Cabay un nouveau groupe, orienté cette fois vers l’univers des standards : Merry-Go-Round.

A l’époque, Houben pense surtout à apprendre encore et encore. Le 31 décembre 1975, il s’envole vers les USA afin d’y suivre les cours du fameux Berklee College of Music, considéré alors comme le nec plus ultra de l’apprentissage du jazz. Boston sera pour lui l’occasion non seulement d’étudier (essentiellement l’arrangement et la composition) mais aussi de jammer, tous les soirs, en compagnie de dizaines de musiciens venus de tous les horizons. C’est avec quelques-uns d’entre eux qu’il monte le groupe Solstice, avec lequel il revient en Belgique en 1977. On y trouve trois musiciens belges : Michel Herr (p), Janot Buchem (b) et Steve Houben, et trois Américains : John Thomas (g), Eddie Davidson (dm) et Greg Badolato (ts, ss). Avec eux, Houben enregistre au studio Dickenscheid son premier album en tant que leader, invitant même Chet Baker en personne à se joindre au groupe pour un des morceaux.

Après une série de concerts en Belgique et en Hollande, Houben et Badolato repartent pour Boston. Nouvelles leçons (il aura notamment l’occasion d’étudier avec Michael Gibbs, Herb Pomeroy, Steve Grossman, etc.), nouvelles jams (notamment en compagnie du guitariste Mike Stem, encore inconnu à l’époque, et d’aînés comme George Coleman) et nouveau retour au bercail en 1978 avec un groupe constitué cette fois de 80 % d’Américains : il s’agit de Mauve Traffic où l’on retrouve Houben et Badolato entourés du bassiste Kermit Driscoll, du batteur Vinnie Johnson et de Bill Frisell, qui deviendra par ses idées nouvelles un des grands noms du jazz des années 80.

Mauve Traffic connaîtra un succès considérable, succès personnel aussi pour Steve Houben. Le groupe propose un jazz fortement coloré de funk, inspiré de la musique des Brecker Brothers, une musique pleine de punch et d’énergie qui va séduire toute une frange nouvelle du public, hostile au jazz jusque là. Le groupe se maintiendra pendant deux ans environ, avec quelques interruptions et quelques renforts : Michel Herr ou Denis Luxion, par exemple. Entretemps, en 1979, Houben a mis à profit son expérience des écoles de jazz américaines pour créer, avec Henri Pousseur, le Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège, une première en Belgique. Les premiers instructeurs du Séminaire seront d’ailleurs les musiciens de Mauve Traffic, Steve Houben se réservant les cours de saxophone et d’harmonie.

Steve Houben et Jean-Pierre Froidebise © Foyer culturel de Sprimont

Parallèlement à cette activité pédagogique, il entamera, après Mauve Traffic, une période free-lance qui va asseoir sa réputation, non seulement en Belgique mais à l’étranger. Il se produit simultanément dans une multitude d’orchestres belges : Saxo 1000, Act Big Band, Rousselet Quintet (tournée en Afrique), New Bop Friends, Lemon Air, Tenth Gate, etc. Hors de Belgique, il joue dans le Big Band de Peter Herboltzheimer, dans l’orchestre de l’U.E.R. dirigé, à Londres, par Kenny Wheeler, à Prague aux côtés du pianiste Emil Vicklicky, en Tunisie avec Safi Boutella, etc. C’est pendant cette période d’activité intense qu’il enregistre un superbe LP en compagnie de Chet Baker, et que, à l’autre bout du spectre, il pratique une musique plus expérimentale en duo avec Bill Frisell à Paris, ou avec Garett List à Liège et Bruxelles.

A l’occasion, il reforme l’un ou l’autre quartette éphémère à son nom mais il faut attendre 1983 pour le retrouver au centre d’un projet personnel d’envergure : Steve Houben+Strings apparaît d’ailleurs comme l’événement de cette année 1983. Ce vieux rêve de presque tous les solistes de jazz – se faire accompagner par un orchestre à cordes – Steve Houben le réalise avec, d’une part les pianistes/compositeurs Michel Herr et Dennis Luxion, le vibraphoniste Guy Cabay, le bassiste Michel Hatzigeorgiou et le batteur Mimi Verderame, et d’autre part, un ensemble de 14 violons et violoncelles dirigés par Georges Elie Octors. L’entreprise est couronnée de succès, et ce, auprès d’un public assez large, ce qui achève de faire de lui un des seuls musiciens de jazz belges dont le nom soit connu au-delà du cercle des aficionados.

Steve Houben © lesfestivalsdewallonie.be

Bientôt, il commence à travailler en duo avec le pianiste Charles Loos, produisant un jazz de chambre intimiste qui lui aussi séduira un large public. Houben fréquente également avec régularité les studios d’enregistrement, s’y affirmant tantôt comme un bopper averti (Houben/Herr meets Lundy/Washongton), comme un partisan de l’aventure musicale (B. Mottart : Weirdo’s Dance) ou comme un défenseur de l’esthétique européenne (Juvia de Diederick Wissels, Paolo Radoni, etc.). Il accompagne les chanteuses Maurane (Trio Houben/Loos/Maurane) et Viktor Laszlo puis, en 1986, il se lance dans un nouveau méga-projet : Cocodrilo concrétise son désir de se frotter aux synthétiseurs. Avec les claviéristes Olivier Truan (Suisse) et Diederick Wissels et de nouveau Hatzigeorgiou et Verderame, il met au point un répertoire soigné et policé, reposant sur une infrastructure électronique sophistiquée où l’improvisation n’a pour ainsi dire pas de place. Cocodrilo, qui avait tout pour plaire aux amateurs de fusion, n’eut cependant pas le succès escompté ; Houben doit annuler une tournée au Japon et il revient bientôt à une formule plus traditionnelle.

En 1987, il monte un des meilleurs groupes qu’il ait jamais eu jusque là : avec Diederick Wissels au piano (acoustique cette fois), Hein Van de Geyn (le prodigieux bassiste hollandais) et le jeune batteur Dré Pallemaerts, il produit une musique néo-bop de haut niveau. En tant que soliste, il est désormais un des seuls spécialistes européens de la flûte (avec Nicolas Stilo et quelques autres) et remarquable par un phrasé hérité de Parker via Cannonball Adderley, mais actualisé d’une façon européenne et déjà très personnelle. On le retrouve encore dans diverses combinaisons en compagnie du pianiste français Michel Graillier, puis aux côtés du trompettiste yougoslave Dusko Goykovich, du contrebassiste italien Ricardo Del Fra et du batteur américain Al Levitt, pour l’enregistrement d’un très bel album de standards encore inédit à ce jour. Fin 1988, après un engagement à Bangkok avec Jacques Pirotton, Sal La Rocca et le jeune batteur américain Rick Hollander, il est invité, signe de reconnaissance suprême, à se produire dans le big band de Gerry Mulligan.

d’après Jean-Pol SCHROEDER

“An American Songbook” © orcw.be

A l’occasion de l’année Adolphe Sax, en 1994, Steve Houben a enregistré “Steve Houben invite…” avec un septet comprenant 4 saxos. Il a également enregistré avec le Pirotton/Houben/Pougin Trio ainsi que d’autres groupes dont il est le leader. Il apparaît notamment aux côtés d’Ivan Paduart dans True Story.

En 2000, Steve Houben reçoit le “Django d’Or” du jazz belge. En février 2001, Toots Thielemans l’invite à ses côtés au Théâtre de la Monnaie, à l’occasion de sa “carte blanche”. En compagnie de Michel Herr, de la soprano Julie Mossay et de l’Orchestre Royal de Chambre de Wallonie, il crée le projet “An American Songbook”. Steve Houben est élu à l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique en mai 2010. En 2016, il reçoit le titre d’officier du Mérite wallon.

Steve Houben a également toujours manifesté un grand intérêt pour les musiques du monde. Avec Alain Pierre, il est notamment membre du groupe belgo-tunisien Anfass, avec lequel il a enregistré et joué de nombreux concerts en Europe et en Tunisie. Il a également formé, avec le percussionniste Didier Labarre, le groupe Cuban Breeze. Son travail avec le groupe Panta Rhei ou avec le compositeur brésilien Marito Correa sont d’autres exemples de son ouverture vers d’autres styles musicaux.

d’après JAZZINBELGIUM.BE


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RASSINFOSSE, Jean-Louis (né en 1952)

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Jean-Louis Rassinfosse © D.R.

Le jazz belge n’a jamais manqué de cuivres. Par contre, il fut un temps où, pour trouver une rythmique solide et efficace, il fallait souvent chercher en dehors de nos frontières. Jean-Louis Rassinfosse fut le premier représentant d’une nouvelle et prestigieuse génération de bassistes tous azimuts (du coup de pouce électrique de Michel Hatzigeorgiou ou Benoît Vanderstraeten au profond traditionalisme de Philippe Aerts, Hein Van de Geyn ou Sal La Rocca).

Né à Bruxelles en 1952, il commence à jouer de la guitare au début des années 60. Dès cette époque (où le yé-yé est roi), le jazz l’intrigue et l’intéresse. Il décide bientôt de passer de la guitare à un instrument qui le fascine: la contrebasse. Il s’associe d’abord à des “dixielanders” (André Knappen, Pol Closset…) puis rencontre Charles Loos et commence à travailler avec lui (1975), un jazz plus moderne.

Il devient un bassiste apprécié de visiteurs de marque comme Bill Coleman, Slide Hampton, Sal Nistico ou Carmel Jones. Il commence à voyager et, lors d’un engagement au Festival d’Antibes-Juan-Les-Pins, il travaille dans une espèce d’orchestre-maison chargé d’animer les jams post-festival. Il accompagne ainsi des musiciens comme Martial Solal ou Sam Rivers. C’est également à cette époque que Rassinfosse fait la rencontre, décisive, de Chet Baker dont il sera pendant plus de dix ans un des partenaires privilégiés. En 1976, il accompagne Chet lors d’une tournée en Italie et en Sicile : il goûte pour la première fois aux charmes (et à la profondeur) du jazz intimiste que dégage le trio sans batterie du trompettiste. Chet Baker apprécie le travail de Rassinfosse et plusieurs albums scelleront leur collaboration.

De retour en Belgique, Jean-Louis Rassinfosse devient un des bassistes les plus actifs de la scène belge, avec Roger Vanhaverbeke et Freddie Deronde. Il travaille avec Sadi, Etienne Verschueren, Jacques Pelzer, Philip Catherine, Michel Herr, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, etc. A l’occasion, il accompagne – souvent avec Félix Simtaine – des musiciens comme Chet Baker, Tete Montoliu, Pepper Adams, Kay Winding, etc. Après avoir enregistré avec Chet Baker un premier disque (“Two A Day”), il le suit à nouveau en tournée (1979).

Parmi les autres participants à ce périple européen, qui durera plus d’un an, figurent le pianiste Horace Parlan et le guitariste Doug Raney. Ce voyage assied la réputation de Rassinfosse qui, à son retour, devient omniprésent sur la scène belge, jouant et enregistrant dans les orchestres les plus marquants de l’époque (Act Big Band, Saxo 1000, Loos-Badolato Quintet) ainsi qu’aux côtés de Paolo Radoni, John Ruocco, Richard Rousselet, Steve Houben, Dennis Luxion, Jack van Poil, Toots Thielemans, etc.

Jean-Louis Rassinfosse © Saskia Vanderstichele

Il fait également ses débuts dans l’enseignement, au sein du fameux “Séminaire de Jazz” du Conservatoire de Liège et il participe aux activités des “Lundis d’Hortense” dont il est un des membres fondateurs. En 1983, il forme un trio à son nom avec Dennis Luxion et Fabien Degryse et entame une longue série de concerts en Europe avec Chet Baker et Philip Catherine d’une part, avec Philip Catherine et Aldo Romano d’autre part.

Il se produit aussi au Zaïre (aujourd’hui RDC) avec Rousselet et Herr (1984 et 1986), au Festival de jazz de Singapour ( 1985) et participe à la tournée européenne de Philly Joe Joncs et Clifford Jordan. Il joue en Espagne avec Deborah Brown (1987), au Zaïre et au Bénin avec Charles Loos, tandis qu’en Belgique, il continue à accompagner en free-lance les musiciens de passage (Barney Wilen, Michel Petrucciani, George Coleman, Joe Lovano, Bob Mover, Sal Nistico, etc.) comme les Belges (Jacques Pelzer, Jean Linsman mais aussi les jeunes Pierre Bernard, Phil Abraham, Dré Pallemaerts, Diedrick Wissels, etc).

Il s’associe au vibraphoniste américain Dave Pike et au pianiste Klaus Ignatzek avec lequel il accompagne Joe Henderson. Entretemps, après l’expérience du “Séminaire”, il poursuit son activité pédagogique lors de différents stages d’été (Dworp, Floreffe, etc.) ainsi qu’au Conservatoire de Bruxelles.

La notice biographique d’un bassiste ou d’un batteur se réduit le plus souvent à l’énoncé, quelque peu fastidieux,  des musiciens qu’ils 0nt accompagnés. Jean Louis Rassinfosse mérite mieux que ce catalogue : musicien lucide et intelligent, il est non seulement un des grands solistes des années 70-80, profondément ancré dans la tradition, mais ouvert aux nouvelles émergences du jazz, comme en témoigne son travail dans un trio avec Eric Legnini et Stephane Galland.

Il reste aussi un amoureux du jazz, soucieux de sa diffusion, un grand “écouteur” (capable aujourd’hui encore d’apprécier Jimmy Blanton comme Scott La Faro, Red Mitchell, Niels Pedersen ou John Patitucci) et un musicien conscient des dimensions humaines du jazz : “(…) Ce qui me paraît important, c’est le sens «démocratique» du jazz (…), une des seules musiques de ce monde, qui approche la démocratie : les individus sont importants mais aussi le groupe qui est plus que la somme des individus. Chacun a un temps de parole, chacun a le droit d’être écouté par les autres. (…). Dans le jazz, chaque instrument a sa liberté dans la contrainte, a la liberté de ses moyens, et la contrainte est la même pour tout le monde…” (extrait d’une interview publiée dans le Jazz in Time n° 5, en 1989).

d’après Jean-Pol SCHROEDER

Il fait actuellement partie de différents groupes dont le trio L’Âme des poètes, le duo avec le pianiste classique Jean-Philippe Collard-Neven, le quintette de Bart Quartier, l’European Swing trio, le trio avec John Ruocco et Félix Simtaine, le trio de Claudio Roditi avec le pianiste allemand Klaus Ignatzek, Jordi Rossy, Gustavo Bergalli, et la regrettée chanteuse roumaine Anca Parghel. Il a enregistré sous son nom l’album “Crossworlds” qui réunit ses deux groupes phares : L’Âme des poètes et le quintette de Klaus Ignatzek. D’autre part, ses talents d’humoriste sont mis en valeur dans un spectacle parodique, “Le Reliquaire des Braves”, et dans sa collaboration à l’écriture des deux derniers spectacles de la “Framboise Frivole“.

[source : JAZZINBELGIUM.BE]


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More Jazz…

LALLEMAND, Pol Sadi dit SADI (1927-2009)

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Sadi © J.Knaepen

Sadi est né à Andenne le 23 octobre 1927. Chanteur, bongoïste, showman, arrangeur-compositeur, «Fats» Sadi Lallemand, alias Sadi, fut surtout le premier Européen à s’imposer comme vibraphoniste. Il fait partie de cette poignée de musiciens belges connus dans le monde entier. Sadi affronte le public dès l’âge de neuf ans : avec l’aide de son père, il a mis au point un numéro de music-hall dans lequel il joue du xylophone. C’est vers 1938 qu’il découvre le jazz, à travers les disques de Louis Armstrong. Enthousiasmé, il essaie d’adapter les phrases d’Armstrong à son instrument, mais il comprend rapidement que, s’il veut arriver à un résultat valable, il lui faut faire l’acquisition d’un vibraphone.

Entretemps, il a découvert les enregistrements de Lionel Hampton auquel il va s’identifier pendant quelques années. C’est ainsi qu’en 1941, à l’âge de quatorze ans, Sadi est un des premiers musiciens belges, sinon le premier, à adopter le vibraphone comme instrument principal. Pendant l’Occupation, il s’applique à domestiquer son instrument, en parfait autodidacte, tout en continuant à collectionner les 78 tours de Hampton. De sorte que, à la Libération, c’est un musicien d’un niveau plus qu’honorable qui fait son apparition dans le monde du jazz belge. Devenu professionnel, il joue pour les Américains ; il a monté son propre combo, le Sadi ‘s Hot Five dans lequel il engage bientôt un jeune pianiste, Jean Fanis, qui sera, bien des années plus tard, un de ses fidèles compagnons de route.

Il part ensuite pour Bruxelles où il retrouve Raoul Faisant. Celui-ci l’avait entendu jouer du xylophone quelques années auparavant et lui avait dit qu’il l’engagerait dès qu’il saurait jouer du vibraphone ! Sadi habite quelques mois chez les Faisant (qui hébergent également René Thomas) et il parfait son éducation musicale au contact de celui qu’il appellera toujours “Le Père”. A cette époque, Sadi, qui travaille aussi avec le pianiste Vicky Thunus, est déjà un musicien coté et le périodique “Jazz” parle de lui dès 1945 comme du “Hampton belge”. En 1946, il suit Faisant à Liège et joue avec lui ; en même temps, il se mêle de plus en plus à une bande d’étudiants fous de jazz (Jacques Pelzer, Bobby Jaspar,… ) en train de devenir la coqueluche de la ville.

Sadi est bientôt membre à part entière des Bob-Shots, jouant du vibraphone (mais aussi du piano de temps à autre) sans négliger à l’occasion de chanter l’un ou l’autre thème, son plus grand plaisir étant de pasticher Louis Armstrong ou Fats Waller, comme en témoigne un acétate récemment redécouvert. Les membres des Bob-Shots étant encore étudiants pour la plupart, Sadi ne peut se contenter de ce seul orchestre et il travaille parallèlement avec Vicky Thunus, Gus Deloof, Raoul Faisant, René Thomas, etc. un peu partout en Belgique et aux alentours. Mais c’est au sein des Bob-Shots qu’il se sent vraiment chez lui ; c’est avec eux qu’il reçoit, en 1947, le choc du be-bop !

Stupéfaction, sur certains des disques de Parker et de Gillespie, on entend un vibraphoniste et quel vibraphoniste ! Milt Jackson séduit presque immédiatement Sadi. Comme Pelzer s’attaque à la tâche épuisante (mais passionnante !) de comprendre et de reproduire les chorus du Bird, Sadi suit à la trace la moindre idée de Milt Jackson, partageant avec ses compagnons le mérite d’avoir été un des premiers Européens à oser s’attaquer au bop : c’est la période de l’Océan (club où se produisaient les Bob-Shots version bop). Hélas, l’ère des Bob-Shots touche à sa fin, et la musique qu’ils jouent désormais ne plait pas à tout le monde, c’est le moins qu’on puisse dire.

En 1949, Sadi se produira encore en leur compagnie (avec Franey Boland au piano) au Festival de Paris, au même programme que Charlie Parker et Miles Davis, et il enregistre quelques 78 tours qui permettent de se faire une idée de la richesse et de la fluidité auxquelles était parvenu son jeu dès avant 1950. Mais, en réalité, les Bob-Shots n’existent déjà plus en tant qu’orchestre régulier. Sadi joue surtout en Allemagne, avec Thunus notamment, une musique qui n’a plus grand chose à voir avec le jazz et moins encore avec le bop. L’éphémère popularité du jazz, suite à la Libération, n’est déjà plus qu’un souvenir.

En 1951, Sadi part pour Paris, espérant pouvoir s’y consacrer au jazz, comme Bobby Jaspar et Benoît Quersin quelque temps auparavant. Ses débuts dans la capitale française seront plutôt difficiles : le vibraphone n’est pas le genre d’instrument qu’on transbahute sans problèmes d’une jam à l’autre, là où se font et se défont les amitiés et les contrats. Sadi se retrouve isolé et sans travail. Il finit par trouver un engagement dans un orchestre “typique”, mais pour y jouer des bongos. Il a néanmoins un pied dans l’étrier et, en 1952, il entre dans la formation d’Henri Renaud au Boeuf sur le Toit, cette fois comme vibraphoniste.

Petit à petit, il s’intègre au milieu du jazz parisien et, en avril 1953, il est appelé par Django Reinhardt pour une séance d’enregistrement (qui sera en fait la dernière du grand guitariste, mort quelques semaines plus tard). La même année, il travaille au fameux Ringside, lieu de passage des grands jazzmen U.S. Puis il part pour Monte-Carlo avec Jack Dieval ; il y retrouve Bobby Jaspar, revenu en France depuis peu, et il le rejoint dans l’orchestre d’Aimé Barelli pour une longue tournée des villes françaises. C’est le départ d’une période faste. La réputation de Sadi est désormais bien établie : il est le meilleur vibraphoniste européen! Son nom apparaît dans presque tous les numéros de Jazz Hot et il se retrouve premier dans les référendums, catégorie “autres instruments”.

Sadi

Pendant deux ou trois ans, il est de tous les coups, de tous les enregistrements, jouant aux côtés de Martial Solal, Kenny Clarke, Don Byas, Bobby Jaspar, Christian Chevalier, Stéphane Grapelli. Il travaille également dans la formation-laboratoire d’André Hodair et chante dans les Blue Stars, le groupe vocal de Blossom Vearie. En 1955, il monte pour la Rose Rouge un big band hors du commun (avec entre autres Jaspar, JeanLouis Chautemps, Jay Cameron, Roger Guérin) ; big band qui, chose rarissime en Europe, se produit tous les soirs. Cette nouvelle expérience révèle à ceux qui l’ignoraient encore ses qualités de compositeur et d’arrangeur. Sa réputation s’étend désormais jusqu’aux Etats-Unis où son disque obtient quatre étoiles dans la revue Metronome et est publié sous le label Blue Note ; il est classé dans le poll de Down beat.

A la fin des années 50, il joue et enregistre quelques très belles plages avec Lucky Thompson à Cologne et il revient en Belgique, en 1959, pour le premier Festival de Comblain-La-Tour. Mais, de nouveau, les temps changent : Paris voit sa grande époque jazz se terminer peu à peu et le jazz en général se prépare à la chute libre. De plus en plus, les jazzmen doivent se “reconvertir”, dans la variété surtout. En 1961, Sadi quitte Paris et revient à Bruxelles où, peu de temps après, il entre dans l’orchestre d’Henri Segers à la RTB ; il y restera jusqu’à sa dissolution en 1965.

Entretemps, Sadi a renoué avec ses anciens compagnons et a monté un quartette à son nom, avec Jean Fanis, Roger Van Haverbeke et Vivi Mardens ou Al Jones à la batterie. Encore très présent dans les studios d’enregistrement, il grave quelques plages avec un European All Stars (Solal, Mangelsdorff, Goykovich,…), avec Don Byas et en dirigeant également plusieurs séances à son nom. En 1965, il retrouve le temps d’un concert son vieil ami Raoul Faisant, tristement confiné lui aussi dans la variété. Dès 1965, Sadi envisage de monter un show à l’américaine ; ce n’est qu’en 1969 que la RTB diffusera le premier “Sadi Show”. De 1969 à 1974, quatre shows seulement seront montés et Sadi abandonne la partie.

Toujours aux frontières de la variété, il est engagé par Caterina Valente pour une tournée mondiale (Amérique, Afrique, Japon, Russie). Entretemps, il est passé de la RTB à la BRT, dans l’orchestre dirigé par Etienne Verschueren. Il y restera de nombreuses années, participant aux tournées des solistes de l’orchestre. Parallèlement, il garde toujours un quartette qui grave quelques beaux disques. Sur l’un d’eux figure une composition de Sadi qui sera utilisée par Claude Nougaro pour sa chanson “Maîtresse”.

Mais, de plus en plus, la lassitude s’empare de lui. Découragé par le peu d’intérêt que suscite la musique pour laquelle il s’est battu toute sa vie, déçu de la manière dont les pouvoirs publics et les médias négligent le jazz, ébranlé par la mort de son épouse, il se retire tout doucement de la scène, limitant ses apparitions au strict minimum. Lorsqu’il reçoit le questionnaire initial envoyé aux musiciens en préparation de ce dictionnaire, à la question “Quels sont vos projets ? “, il répond amèrement : “Dormir. Cette époque ne me convient plus”. Triste conclusion d’une des trois ou quatre plus brillantes carrières de jazzmen belges.

Il reçoit un Django d’Or en 1996 et est élu “vibraphoniste européen de l’année” en 1998, à l’issue d’un référendum organisé par les radios de la RTBF et de la VRT. Mais il décide néanmoins, cette même année 1998, de ne plus se produire sur scène. Affaibli par la maladie d’Alzheimer, il meurt à l’hôpital de Huy d’une infection nosocomiale, le 20 février 2009.


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RADONI, Paolo (1949-2007)

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Paolo Radoni © Igloo Records

Le jazz belge n’a jamais manqué de guitaristes de talent. Dans la génération née aux alentours de 1950, deux noms se détachent dans le monde des cordes : Philip Catherine et Paolo Radoni. Si le second est moins connu, il n’en reste pas moins un musicien d’une grande solidité et un personnage clé de la scène jazz belge : enseignant, animateur, compositeur et avant tout soliste, Paolo Radoni a également joué un rôle prépondérant dans l’expansion des “Lundis d’Hortense”.

Né à Montenotte, en Italie, en 1949, Paolo Radoni se passionne pour la musique dès son adolescence. Sensible aux divers environnements musicaux que lui proposent son Italie natale, puis la Belgique où ses parents s’installent alors qu’il n’est encore qu’un enf anant, il s’intéresse à différents genres (classique, folklore, variétés,… ) avec une prédilection pour l’univers sonore lié au rock, au jazz et à leurs satellites. A l’âge de 13 ans, il étudie la guitare en autodidacte et, lorsqu’il entre en contact avec d’autres musiciens et monte ses premiers groupes, c’est tout naturellement vers une musique mixte de jazz, de rock et de blues qu’il se dirige.

De 1968 à 1971, Paolo Radoni fait partie du mythique Here and Now, formation que l’on pourrait difficilement rattacher à une étiquette précise : il s’agit d’une espèce de blues-rock progressif assez corrosif produit par de futurs champions de la musique “parallèle” (Marc Hollander, Denis Van Hecke, Vincent Kenis, Daniel Denis) dont aucun, Radoni excepté, ne fera de carrière dans le jazz, mais qui se retrouveront aux premières places dans des formations expérimentales comme Aksak Maboul par exemple.

Après  Here and Now, nouveaux groupes, nouvelles légendes : Kleptomania (1971) puis Arkham (1972), avec Daniel Denis et Jean-Luc Manderlier. Si Kleptomania propose une musique plus franchement rock, la démarche d’Arkham se situe plutôt dans la lignée de groupes comme Soft Machine, ancrés aux frontières du Progressive Rock et du Jazz-Rock… Les phrases se rapprochent désormais d’un tempérament jazz que Radoni commence à ressentir de manière plus précise : de 1972 à 1974, il oriente d’ailleurs son étude de la guitare vers les notes bleues, cherchant à comprendre les mécanismes techniques et harmoniques par lesquels se libère la pulsion jazz, réalisant que ce n’est pas là une simple affaire de “mécanisme” précisément, mais que l’approche du jazz implique une vision de la musique radicalement autre.

L’heure de la relève n’a malheureusement pas encore sonné et, Paolo Radoni le découvre rapidement, le jazz ne paie pas ! Ayant depuis longtemps décidé de se consacrer entièrement à la musique, il se remet donc à travailler dans la variété, accompagnant la chanteuse Ann Christy et le chanteur jamaïcain James Lloyd. En même temps, il poursuit diverses expériences musicales (en 1977, il enregistre avec Aksak Maboul). C’est en 1978 que se situent ses débuts dans la sphère jazz proprement dite, alors en pleine réorganisation : il travaille bientôt avec Félix Simtaine, Jean-Louis Rassinfosse,… et découvre par la même occasion le milieu jazz bruxellois, puis européen.

Aux Pays-Bas, il forme un groupe avec le pianiste Nol Sicking ; en Suisse, il s’associe à la pianiste/chanteuse Christine Schaller, qu’il fera bientôt connaître au public belge. Le groupe s’appelle Travelers et il tiendra trois ans environ ; aux côtés de Radoni et de Schaller, on trouve le bassiste Pavel Pesta et le batteur Philippe Steahli. En 1978 est publié sous le label suisse KBL – au nom de Paolo – l’album “Vento”, enregistré en majeure partie à Genève, à l’exception de deux faces gravées aux studios Shiva à Bruxelles. Belgo-suisse, cet album l’est également par les musiciens qui s’y font entendre : le personnel de base est celui de Travelers, exception faite du bassiste qui est pour l’occasion Jean-Louis Rassinfosse.

Sur les deux titres enregistrés en Belgique, on trouve, outre le saxophoniste Maurice Magnoni, d’autres noms familiers : Freddie Deronde, Marc Hollander, Félix Simtaine. Au menu, rien que des compositions signées Paolo Radoni et un ensemble de couleurs explorant les divers territoires situés aux marges du jazz et du jazz-rock. La guitare de Radoni sonne tantôt comme celle des grands maîtres “classiques” de l’instrument (dans le superbe Travelers par exemple), tantôt comme celle des musiciens issus du rock (dans Vento). A plus d’un endroit, on perçoit bien plus que des prémisses du son et des climats à travers lesquels va s’exprimer Paolo dans le futur : lyrisme contenu, allusions aux musiques ethniques, mélodisme raffiné.

Paolo Radoni © Igloo Records

De mieux en mieux intégré au milieu du jazz belge, Radoni entre en 1979 dans l’ Act Big Band de Simtaine, all-stars permanent et mouvant de tout ce que la Belgique compte de jazzmen de talent. Le disque de Christine Schaller, “Real Life” enregistré en 1980 apparaît comme le lieu symbolique de la transition qui s’effectue alors dans la carrière de Radoni : en effet, une face présente la musique de Travelers (Schaller, Radoni, Pesta, Steahli) à travers deux compositions de la chanteuse et deux du guitariste, compositions qui tissent ensemble un univers sonore plus proche encore de la référence “jazz” que dans l’album précédent. Sur l’autre face, Christine Schaller et Paolo Radoni sont entourés de l’ Act Big Band au grand complet (dont c’est le premier enregistrement) : tous les futurs compagnons réguliers de Paolo sont là : Rousselet, Houben, Loos, Simtaine, Ruocco… Le ton d’ensemble (malgré la couleur qu’apporte évidemment l’Act) est surtout le ton Schaller/Radoni (ils sont d’ailleurs les deux seuls musiciens à apparaître sur les deux faces).

Dès cette époque, soucieux de développer sa propre musique, Radoni va diriger de plus en plus régulièrement ses propres formations. Un trio, tout d’abord, composé du batteur Ernst Bier et du bassiste Rüdi Schroder ; un trio qui tourne en Allemagne surtout (mais aussi en Belgique bien sûr), qui se produit au Festival de Montréal (1983) et qui nous a laissé un album, “Funny Ways”, enregistré en 1981. Parallèlement à ce travail suivi avec le trio et avec Act Big Band, Paolo Radoni joue dans d’autres contextes et a l’occasion de rencontrer quelques personnalités particulièrement marquantes de la scène internationale, avec lesquelles il va faire un bout de chemin.

Ainsi, en 1979, il effectue une tournée en Afrique avec le chanteur Joe Lee Wilson, travaille avec le bassiste sud-africain Johnny Dyani, avec le saxophoniste Robin Kenyatta, ainsi qu’avec le mythique trompettiste américain de l’ère free, Clifford Thomton. Un autre aspect de sa personnalité commence à se développer à cette époque : présent dès le début dans le projet des “Lundis d’Hortense”, il va s’y investir de manière intensive (jusqu’à en devenir président) et y animer de nombreux stages. Dans le même ordre d’idées, il travaillera aussi dans le cadre des Jeunesses Musicales, du Conservatoire de Bruxelles, sans délaisser pour autant sa création de soliste, de compositeur-arrangeur et de leader.

En 1983, nouvelle étape importante avec le groupe formé pour l’album “Hotel Love” (enregistré en 1982, quelques mois plus tôt). Ici encore, il s’agit d’un all-stars puisqu’aux côtés du guitariste, on peut entendre le trompettiste Richard Rousselet, les saxophonistes Steve Houben et John Ruocco, Charles Loos au piano et Jan de Haas à la batterie, la basse étant aux mains tantôt de Nicolas Fiszman, tantôt de Ricardo del Fra, alors établi en Belgique. A une exception près, toutes les compositions et tous les arrangements sont signés Radoni. Mais la musique est assez différente : plus “européenne” (comme plusieurs albums LDH d’ailleurs), plus ouverte aux différentes influences. Musique de fusion sous certains égards, marquant une prise de distance beaucoup plus nette par rapport au jazz “traditionnel”, bop et post-bop. Dans cette musique, la composition et l’arrangement ont un rôle tout à fait prépondérant et l’accent est mis davantage sur les climats que sur l’improvisation et l’expression individuelle.

Avec une formation dérivée du personnel d’Hotel Love, Radoni écume les festivals et les clubs de jazz pendant des mois. Un tournant ? Pas vraiment. Un embranchement nouveau plutôt, une nouvelle corde à l’arc de Radoni, qui, à d’autres occasions, pointera à nouveau son viseur sur un jazz plus énergique, moins esthétisant. La même année (1983), il enregistre un troisième album en compagnie de Christine Schaller (ici leader et chantant en français !) et de musiciens belgo-suisses. Puis, sans doute parce que son travail au sein des “Lundis d’Hortense” lui prend de plus en plus de temps, on commence à voir moins souvent le nom de Radoni aux affiches des concerts.

En réalité, à partir de 1984, il cherche à monter un nouveau trio qui soit vraiment le véhicule idéal pour ses idées musicales. Recherche concrétisée en 1986 : le nouveau trio se compose, outre du guitariste, de Jean-Louis Rassinfosse (b) et de Bruno Castellucci (dm). Les concerts reprennent et bientôt, Igloo publie un CD intitulé “Storie Vere” qui va recevoir un très bon accueil de la critique. Un CD qui témoigne d’une superbe maturité, acquise au fil d’expériences multiples et variées. On l’a vu, une maturité qui suffit à le classer aujourd’hui au nombre des incontournables du jazz belge.

Parmi les dernières réalisations de Paolo Radoni, on épinglera le travail effectué avec l’accordéoniste français Francis Varis, travail dont les manifestations live font souhaiter la parution future d’un disque scellant cette collaboration peu banale, un disque qui serait une pièce supplémentaire à verser au dossier de ce musicien original, soucieux de cohérence et de continuité autant que de novation et de recherche, tant dans sa propre trajectoire de musicien que dans la musique qu’il nous propose.

A propos de l’interprétation par Radoni du répertoire classique, Jean-Marie Hacquier écrivit un jour ces lignes qui nous serviront de conclusion : “Dans les bagages de (ses) mélodies, se glissent avec nostalgie quelques échos du jazz traditionnel. Mais à y regarder de plus près, le feeling du jour emporte le ton vers de nouvelles aventures. Car les improvisations (de Paolo Radoni) ont tant d’imagination en poche que les blues et les thèmes bop s’en étonnent encore…”. Personnalité riche et chaleureuse, Paolo Radoni s’est hélas éteint prématurément, en décembre 2007, à l’âge de 59 ans.

Discographie sélective
  • Radoni Paolo, “Vento”, 1978 K.B.L. 0778
  • Act Big Band, “Act Big Band”, 1981, LDH 1002
  • Radoni Paolo, “Funny Ways”, 1981 (02) LDH 1003
  • Radoni Paolo, “Hotel Love”, 1982 (oct) LDH 1005
  • Loos Charles, “Compositeurs Belges”, 1983 (07) IGLOO IGL 023
  • Schaller Christine, “Peter Zee Cat”, 1983 (novembre) Igloo IGL 084
  • Radoni Paolo, “Storie Vere”, 1988, Igloo IGL CD 057.

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ABRAHAM, Philippe alias Phil Abraham (né en 1962)

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Tromboniste et chanteur belge, Phil Abraham s’affirme comme un des meilleurs solistes au trombone. Il maîtrise les différentes formes du jazz grâce à son itinéraire naturel : ayant débuté par le dixieland, il apparaît ensuite (1986) comme un tenant du middle jazz; actuellement il s’exprime dans un style post-bop et touche parfois au style fusion. De plus, c’est un agréable vocaliste au timbre feutré et scat détendu.

Biographie

Cours de piano, de guitare et d’harmonie à l’Académie de La Louvière. A quinze ans, il est au piano dans divers orchestres amateurs, avant de s’initier au trombone. Il joue d’abord avec des musiciens et des groupes de jazz traditionnel : le Retro Jazz Group, Willi Donni, Albert Langue, Claude Luter, Herman Sandy, le Victoria Jazz Band, les Feetwarmers et le Brussels Big Band.

Il se tourne vers le jazz moderne en 1984 au contact de Jacques Pelzer, Jean-Louis Rassinfosse, Guy Cabay, Steve Houben et Richard Rousselet. Soliste à l’occasion dans l’Act Big Band et le BRT Big Band, il se consacre davantage au quartette qu’il fonde la même année avec Guy Raiff (g), Marc Rosière (b) et Luc Van Den Bosch (dm). Ce groupe se produit dans les clubs de jazz ainsi qu’aux festivals de Loppem et Villers-Sainte-Gertrude.

En 1986, il enregistre le premier album à son nom, “Phil Abraham quartet”; il y apparaît surtout comme un excellent interprète de middle-jazz. Pendant la saison 1987-1988, son quartette participe à la tournée des Jeunesses Musicales dans les écoles de Wallonie et de Bruxelles. Le Phil Abraham Quartet collectionne les distinctions : Prix du meilleur orchestre de jeunes au Brussel’s Jazz Rallye (mai 1988), premier prix au Concours international de jazz de Sorgues (juin 1988) ; en juillet 1988, il représente la Belgique au festival de I’U.E.R. à Montpellier, est sacré Meilleur orchestre belge au Concours international de Hoeilaart (septembre 1988) et reçoit un prix du meilleur soliste au concours de la Défense à Paris (Juin 1989). Il est aussi à l’affiche de nombreux festivals : au Belga Jazz Festival en première partie de Monty Alexander et Art Blakey, au festival de Sorgues en première partie de Lester Bowie, aux festivals de Milan (août 1989), Ostende, Comblain, Rossignol (Gaume Jazz Festival), Spa, Gouvy, Middelheim 1989, Radio France, Amiens et Paris (CIM).

En tant que soliste de studio, il enregistre avec Isabelle Antena, Robert Cordier, Jacques Hustin, etc. Phil Abraham s’affirme comme un des meilleurs solistes au trombone. Il maîtrise les différentes formes du jazz grâce à son itinéraire naturel : ayant débuté par le dixieland, il apparaît ensuite (1986) comme un tenant du middle jazz; actuellement il s’exprime dans un style post-bop et touche parfois au style fusion. De plus, c’est un agréable vocaliste au timbre feutré et scat détendu.

Phil Abraham a joué aux côtés de Michel PETRUCCIANI, Charles AZNAVOUR, Claude NOUGARO, Clark TERRY, Hal SINGER, Toots THIELEMANS, Klaus IGNATZEK, John SURMAN, Art FARMER, Michel HERR, Andy EMLER, Paolo FRESU, John ENGELS, Dusko GOYKOVICH, Benny BAILEY, Bart VAN LIER, Henri TEXIER, Klaus WEISS, Deborah BROWN, Maria SCHNEIDER, John LEWIS, Lou BENNETT, Claudio RODITI, William SHELLER, Didier LOCKWOOD, Dee Dee BRIDGEWATER, Michel LEGRAND, Lucky PETERSON, Mino CINELU…

Oeuvres
​Comme “Leader”
  • 1986 : Phil Abraham Quartet, Multimix (MM86001)
  • 1990 : At the Sugar Village (Aurophon, AU31604)
  • 1991 : Phil Abraham Quartet, Stapler (Igloo, IGL091)
  • 1997 : Phil Abraham Quartet, En public (Lyrae, LY9703007)
  • 1999 : Phil Abraham Trio, Fredaines (Lyrae, LY99020-C)
  • 2003 : Phil Abraham Quartet, Surprises (Lyrae, LY0311-C)
  • 2003 : Jazz Me Do (Lyrae, LY0313-C)
  • 2006 : Phil Abraham Quartet, From Jazz to Baroque, ou l’inverse ! (Mogno, J019)
  • 2006 : Phil Abraham Quartet, K.Fée Live (K.Fée)
  • 2007 : Jazz Me Do 2 (Alone Blue Records, @017)…
Participation aux enregistrements de…
  • ​1983-1984 : Albert Langue et ses Dixie Stompers (New FIy Records, NF125)
  • 1985 : Creole Memories Jazz Band (Eustachuis, EJ006)
  • 1986 : Robert Cordier Ensemble, Magic Moods in a Mellowtone (Igloo, IGL049)
  • 1989 : Guy Cabay Lemon Air (B. Sharp, 1006)…
Faits & dates
  • Tromboniste et chanteur belge
  • Formé à l’Académie de musique de La Louvière (BE)
  • Né à Mons (BE) en 1962
Voir aussi

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : ​transcription (droits cédés) et réécriture | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart |  crédits illustrations :  philabraham.com Remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

ZURSTRASSEN, Pirly (né en 1958)

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Pirly Zurstrassen (PiWiZ Trio) © P.Zurstrassen

Né à Verviers en 1958, Pirly Zurstrassen débute le piano en autodidacte. Il parfait sa formation au Conservatoire de Liège en suivant les cours du Séminaire de Jazz et de la Classe d’Improvisation. En 1983, il crée son premier groupe, le PZ Quintet ; suivront “H” Septet, Les Visiteurs du Soir, Chromo Sonore, Musicazur

Il aime le travail interdisciplinaire ce qui l’amène à composer pour le théâtre, la danse, la télévision (“Quick et Flupke”). La musique l’a emmené dans différentes régions du monde et il a sorti une vingtaine d’enregistrements à son nom. Depuis quelques années l’accordéon a pris une place de plus en plus importante dans sa carrière de musicien. Son dernier projet, “le Chant des Artisans”, réunit “Tric Trac Trio” et le chroniqueur Paul Hermant. En outre, il enseigne le solfège jazz, l’harmonie pratique et la lecture dans la section jazz du Conservatoire Royal de Bruxelles.  [Lire plus sur CONSERVATOIRE.BE…]


De 1979 à 1981, Pirly Zurstrassen est élève du Séminaire de Jazz et de la Classe d’improvisation du Conservatoire de Liège (avec comme professeurs Karl Berger, Butch Morris, Garrett List, Steve Lacy). Parallèlement il forme son premier quartette (Debrulle, Danloy, Vaiana, Zurstrassen) et joue dans des formations occasionnelles. Il commence bientôt à jouer ses propres compositions, d’abord en trio avec J.-P. Danhier (tb, tu) et Pierre Vaiana (sax), puis en quintette (les mêmes avec Antoine Cirri (dms) et Michel Hatzigeorghiu (b) en plus) ou en sextette (avec en supplément le trompettiste Richard Rousselet).

En 1984, enregistrement d’un LP avec le quintette (Hein Van de Geyn et Jan de Haas remplaçant désormais Hatzigeorgiou et Cirri). En 1984 et 1986, travail intense pour la télévision : peu d’activités en tant que leader; néanmoins de nombreux concerts en «sideman» aux côtés de musiciens comme John Ruocco, Serge Lazarevitch, Steve Houben, Jacques Pelzer, etc.). En 1987, il monte avec les saxophonistes Steve Houben, Erwin Yann et Philippe Leblanc, le trombone J.-P. Danhier, le bassiste Benoît Vanderstraeten et le batteur Jan de Haas un nouveau septette, H dont la musique originale se situe dans le style du jazz européen moderne. Pirly Zurstrassen travaille comme arrangeur et compositeur, aussi bien pour des big bands (BRT, Act, Mimi Verderame) que pour des chanteurs de variété. Il compose régulièrement pour des films d’animation (Casterman et Studio Graphoui : Quick et Flupke, Nouba Nouba, etc.).

d’après Jean-Pol Schroeder

En savoir plus sur le site officiel de Pirly Zurstrassen :


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés) et réécriture | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Pirly Zurstrassen | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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PAYES : Flor de lis (2016)

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Flor de Lis (Werneck & Werneck), extrait du CD Lua Amarela (2016), par le combo de Rita Payés & Joan Chamorro :

  • Rita Payés (vocal & trombone)
  • Joan Chamorro (contrebasse.)
  • Andrea Motis (vocal)
  • Ignasi Terraza (piano)
  • Josep Traver (guitare)
  • Esteve Pi (percussions)


Plus de musique…

THOMAS, René (1926-1975)

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René Thomas  © Jo Verthe

René Thomas est né le 25 février 1926 à Liège. A l’âge de la maternelle, il joue de la batterie dans une sorte de café-concert de la région liégeoise, avec pour partenaire et imprésario son propre père. Quelle que soit la part de légende, cette anecdote a au moins le mérite de situer d’emblée Thomas dans le clan qui est le sien : celui des enfants de la balle (même si ses parents ne sont nullement des “artistes” au sens habituel du mot : son père s’occupera de longues années durant d’une fabrique de sacs en toile de jute).

Les débuts

Attiré très tôt par l’univers des cordes, il subtilise régulièrement la guitare d’un jeune Italien qui vient courtiser sa sœur aînée. De bon cœur, celui-ci lui apprendra quelques accords de base, ceux qui suffisent à accompagner une chansonnette. Thomas aurait pu en rester là mais, au cinéma de quartier où il se rend le dimanche après-midi, il dévore des yeux les “Broadway Melodies” américaines qui, très tôt, le sensibilisent à la musique swing et au jazz. Qui dit jazz et guitare dit immanquablement, à l’époque, Django Reinhardt. Et René Thomas entreprend le travail titanesque devant lequel reculent presque tous les guitaristes professionnels : reproduire d’oreille les chorus de Django ! Il fait alors la rencontre de deux guitaristes liégeois, Léon Lani et surtout Roger Vrancken, futur compagnon de Raoul Faisant et qui, à l’époque, joue dans l’orchestre de Gene Dersin. “After you’ve gone” et “Sweet Sue”, version Reinhardt, sont les premiers standards (les “saucissons” comme on les appelait alors) auxquels il se frotte.

Au début de la guerre, Lani s’engage pour un gala, dans le quartier dit de la Bonne Femme. C’est là qu’aux côtés de Lani et de la chanteuse Mary Drom, René Thomas donne sa première prestation publique. Au milieu d’un programme genre salade mixte – une pièce classique, une chanson, un air d’opérette, un fox-trot, etc. – il se lance dans un intermède de “jazz pur” qui fait tendre l’oreille à plus d’un spectateur. Il est à son affaire. Il sait que sa place est là plutôt que sur un banc d’école. N’ayant de toute manière qu’un intérêt très relatif pour les études, il décide de devenir musicien professionnel.

Il rencontre bientôt Maurice Simon, un autre enfant prodige, pianiste celui-là, qui joue d’oreille comme lui, avec un sens déjà aigu de l’improvisation. Les deux gavroches mettent quelques morceaux au point et quand Raoul Faisant, alors en passe de devenir LE musicien swing liégeois, les entend, il leur propose aussitôt un engagement à l’Observatoire, un des deux principaux laboratoires du jazz à Liège sous l’occupation. Nous sommes en 1942, René Thomas a quinze ans… Vraisemblablement introduit par Faisant, Thomas entre ensuite dans les orchestres de Gus Deloof puis de Gaston Houssa. En 1943, toujours aux côtés de Faisant, il enregistre une série de disques pour la firme Olympia, dans l’orchestre de l’accordéoniste Hubert Simplisse. Tous ne seront pas publiés et, de toute manière, il ne s’agit que de documents anecdotiques sans grande consistance sur le plan du jazz.

Autrement intéressants sont les enregistrements que le même groupe, à peu de choses près (sans le leader et avec Maurice Simon au piano), réalise aux Pays-Bas quelques mois plus tard. Faisant a eu du mal à convaincre les parents Thomas et les parents Simon de laisser leur progéniture partir sur les routes, en pleine guerre, avec des musiciens… Tout s’est finalement arrangé et tous les soirs, en alternance avec le programme de variété que propose Simplisse, le public hollandais peut entendre Raoul Faisant, Jean Evrard, René Thomas, Maurice Simon, Clément Bourseault et Henk van Leer dans une “exhibition de jazz pur” qui, bien souvent, dépasse de loin le temps généralement imparti à ce genre d’attraction.

Les chorus de René Thomas, à l’époque, sont évidemment fortement influencés par la musique de Django Reinhardt. Le jeune Thomas rencontre son idole et les deux guitaristes sortent leur instrument. Quand Thomas rentre à Liège, il a, dans l’étui de sa guitare, une photo sur laquelle Django, en guise de dédicace, a inscrit (avec une conception assez personnelle de l’orthographe) : “Au futur Django belge” ! Rencontre unique de deux êtres ne vivant que pour et par la musique, hors des normes et des usages, ne comptant que sur leur oreille pour produire une musique profondément harmonique et mélodique. En effet, à cette époque, René Thomas est un excentrique au sens étymologique du terme. Son comportement, bien souvent, étonne, choque. Il y aurait un livre à écrire à partir des 1001 anecdotes, drôles ou moins drôles, tendres ou cruelles, qui se racontent à propos du seul guitariste au monde qui, pour répéter, ne trouvait l’acoustique idéale et l’inspiration optimale que dans… son W.C. !

L’après-guerre

A la Libération, il peut déjà être considéré comme un des meilleurs guitaristes belges. Il participe à l’explosion musicale qui suit l’arrivée des Américains. Avec Faisant et Evrard, il entreprend la tournée des “restcamps” en Belgique et en Allemagne. Dans son propre quartier (le Longdoz), un local a été réquisitionné pour servir de club à l’usage des Noirs. René Thomas aura toujours le don de s’infiltrer là où il y a de la musique. Il devient un habitué de cet endroit privilégié, théâtre de quelques jams étonnantes. Est-ce dans ce club qu’il rencontre James R. Wilson et Ralph Sandige ? Toujours est-il qu’en leur compagnie, il franchit, un après-midi, la porte du studio de “Liège-Expérimental” afin de graver quelques acétates qui constituent le premier témoignage consistant (en tout cas tant que les enregistrements hollandais n’ont pas été retrouvés) de sa première “manière” strictement reinhardtienne.

A Bruxelles, où il loge chez Raoul et Reine Faisant, en compagnie de Sadi, il travaille au Métropole, à la Malmaison, à l’Heure Bleue, … Le trio rentre ensuite à Liège et Thomas est engagé dans l’orchestre de Gene Dersin. Nous sommes en 1947 et la grande époque de Dersin est derrière lui. De toute manière, René Thomas n’est pas vraiment à sa place dans un big band de ce type, qui ne lui laisse guère de place pour s’exprimer en soliste. Il décide alors de former son propre trio. Il engage pour cela deux jeunes musiciens liégeois, le pianiste Léo Flechet encore débutant et le batteur José Bourguignon. Formule orchestrale inhabituelle entre le trio à la King Cole (g, b, p) et le trio aujourd’hui classique (g, b, dm). Formule que l’on imagine mal, maintenant que la basse est devenue la base même de l’harmonie et de la régularité rythmique et joue donc un rôle mélodique très important. Avec ce trio, René Thomas grave quelques acétates. Quoique le soutien de ses jeunes compagnons soit plutôt approximatif, on y entend déjà l’émergence d’une personnalité et d’une sonorité qui se révéleront inégalables.

Robert Jeanne, René Thomas, Jacques Pelzer © Jazz Around

En 1947, il ne connaît évidemment pas Jimmy Raney et il y a peu de chances qu’il ait entendu Billy Bauer. Et pourtant, par delà les bases reinhardtiennes, son phrasé sonne déjà “moderne” ! Tandis que le trio tourne pour les Américains, René Thomas joue encore épisodiquement avec Faisant, mais, comme son style s’éloigne de Django, lui-même se détache de son maître. Il y a à Liège, à cette époque, un orchestre d’étudiants qui l’intéresse davantage : élèves de Faisant comme lui, Bobby Jaspar et Jacques Pelzer (qu’il a déjà croisé à l’une ou l’autre reprise lors des jams organisées par son amie Mary Drom dans le grenier de ses parents) sont en train de faire des Bob-Shots un des meilleurs orchestres belges et, surtout, le premier orchestre be-bop européen.

A leur contact, Thomas découvre lui aussi la nouvelle musique, qui le subjugue aussitôt. Jaspar et Pelzer sont, quant à eux, proprement sidérés par l’aisance avec laquelle René retrouve d’instinct les harmonies sophistiquées du bop. Et une complicité s’installe aussitôt entre les deux étudiants et leur nouveau partenaire. Cependant, René Thomas ne fera jamais partie intégrante des Bob-Shots, ceux-ci ayant leur propre guitariste, Pierre Robert, le leader du groupe. Néanmoins, Robert, bon prince, l’invite régulièrement à monter sur la scène pour le remplacer pendant quelques morceaux. Ce sera particulièrement vrai à l’époque de l’Océan : Jaspar, Thomas et Pelzer vont désormais former une espèce de trilogie, symbolique du jazz liégeois, symbolique également du changement radical qui affecte le métier de musicien de jazz à cette époque.

Un soir de 1948, Carlos de Radzitsky décide de réunir à Bruxelles, autour de Django Reinhardt de passage en Belgique, les trois guitaristes de pointe du jazz belge : Pierre Robert, Toots Thielemans et René Thomas. Premier concert de prestige à une époque-charnière où le jazz va subitement changer de statut. Entre-temps en effet, le grand public, qui n’avait accroché au jazz que de manière très superficielle et à cause de la présence américaine, le boude maintenant. Les engagements se font rares, surtout pour ceux qui ne se sentent pas doués pour la musique commerciale et alimentaire. Pourtant, dans la saga du jazz liégeois, prend place en 1950 un épisode hors du commun : un orchestre – qu’on appelle encore Bob-Shots par commodité seulement – chauffe à blanc, chaque semaine, les après-midi de la Laiterie d’Embourg, un grand café où s’entasse un public hétéroclite et particulièrement dense. Mais la Laiterie ne sera qu’une lumineuse exception sans lendemain. Et la seule voie pour les jazzmen irréductibles sera bientôt celle de l’exil.

L’exil parisien

Jaspar est le premier à se jeter à l’eau, une fois ses études terminées. Sadi le rejoint bientôt, puis Quersin, Boland,… René Thomas et Jacques Pelzer sont attirés comme un aimant vers Paris où une petite colonie belge est en train de se constituer. C’est le début d’une période de navettes incessantes entre Liège, Bruxelles et Paris. En Belgique, il joue régulièrement avec Jacques Pelzer mais aussi avec l’Anversois Jack Sels, très pris à l’époque par de savantes explorations musicales sans négliger pour autant de swinguer. Quelques documents privés et quelques radios – ses premiers disques n’apparaissent qu’en 1954 – nous donnent une idée de la maturité à laquelle il était parvenu dès cette période (sur certains de ces documents, on peut même l’entendre chanter, à la King Cole, des airs comme « Embraceable you » ou  « Three Little Words » ).

Alors qu’il est censé s’occuper de la fabrique familiale de sacs, René Thomas passe de plus en plus de temps à Paris, où il finit par se fixer en 1954. Il y fait rapidement la connaissance du gratin des musiciens français (René Urtreger, Martial Solal, Henri Renaud) et des Américains de passage, tout particulièrement du guitariste Jimmy Gourley. On a tout dit des rapports d’influence existant entre René Thomas et Jimmy Raney (qu’il découvre via Gourley). On a, par contre, sous estimé l’influence, pourtant déterminante, du guitariste Billy Bauer. On a surtout négligé l’inclination naturelle qui, depuis 1948 environ, a amené René à « sonner moderne ». Il reste que le jeu de Raney va le fasciner et radicaliser davantage encore cette « inclination naturelle ». D’autant que, comme il le dit lui-même :  « A Paris, dans les années cinquante, pour bien jouer, il fallait jouer comme Jimmy Raney … Raney a innové sur le plan harmonique, c’est incontestable. Il a été très écouté et pas seulement par des guitaristes ».

Mais Thomas, en jouant du Raney, joue plus que du Raney ! Il ajoute au jeu un peu « froid » de l’Américain, des inflexions issues en droite ligne de Django, créant sans le savoir le « son Thomas », reconnaissable entre mille et qui, pour l’essentiel, se maintiendra tel quel à travers les années : un style beaucoup plus chantant, moins de notes, moins d’arpèges, d’accords et de stéréotypes be-bop, mais de longues notes tenues, beaucoup de variations rythmiques comme le développeront Philip Catherine et George Benson. René Thomas est maintenant un habitué du club Saint-Germain, du Tabou et de tous ces hauts lieux qui font de Paris la capitale européenne du jazz pendant une décennie. Les revues françaises commencent à mentionner, distraitement d’abord, puis avec de plus en plus d’enthousiasme, la présence dans cette capitale d’un jeune guitariste belge un peu farfelu certes, mais remarquable musicien. Une appropriation qui ne trompe pas : certains journalistes parleront de Thomas comme d’un musicien français.

En 1954 et 1955, il apparaît sur au moins 4 albums 25 cm : le premier avec Henri Renaud, le deuxième et troisième à son nom (sur l’un d’eux figure la fameuse composition « L’imbécile »), le quatrième, belge celui-là, au sein du Modern Jazz Sextet de Jacques Pelzer. Ces quatre albums – où chacune de ses interventions est en elle-même un petit bijou – auraient pu suffire à installer René Thomas au premier plan de l’actualité musicale. En réalité, apprécié jusqu’à l’idolâtrie d’une minorité d’initiés, il restera toute sa vie « méconnu comme il n’est pas permis de l’être ». En 1955, il revient à Liège pour un concert à l’Émulation. Mais si ses amis sont évidemment présents pour saluer son retour « en vedette », son nom n’évoque pour ainsi dire rien pour le grand public.  « Un des meilleurs guitaristes sur le plan mondial ne s’appelle pas Big Boy Mc Machin, mais René Thomas tout simplement (et) c’est sans doute à Liège qu’il est le moins célèbre ». L’orchestre qui vient à Liège en 1955 (Bib Monville, R. Ronchaud, Quersin, etc.) enregistre la même année un album qui peut être le point culminant de la période « française » de Thomas : « René Thomas Modern Groups ».

La critique, dans son ensemble, s’enthousiasme, mais le public ne suit toujours pas. Si en 1955-1956, le référendum des critiques de Jazz Hot le classe premier guitariste, les lecteurs lui préfèrent nettement Sacha Distel. Pendant sa période parisienne, René Thomas revient fréquemment en Belgique, à Bruxelles et à Liège où il retrouve ses anciens partenaires, ainsi que les jeunes musiciens apparus entre-temps. Lors de ses séjours belges, il a pour partenaire privilégié Jacques Pelzer, et leur association d’alors les fait parfois comparer au tandem Konitz/Bauer. Ensemble, Pelzer et Thomas ouvrent d’éphémères clubs de jazz, notamment un Birdland (!) et, en janvier 1956, un étroit local baptisé The Jazz scene.

Le Nouveau Monde

Mais la place laissée au jazz en Europe est de plus en plus limitée au fil des années 50. Thomas décide alors, au même moment que Jaspar, de s’embarquer pour le nouveau monde. Sa destination première est le Canada où quelques amis pourront l’héberger et l’introduire dans le milieu du jazz. Mais le destin est d’humeur capricieuse et ce printemps 1956 et à la suite d’une avarie de machines, le bateau qui emmène René est obligé de faire escale quatre jours à… New-York. René Thomas débarque donc plus tôt que prévu dans cette Mecque du jazz convoitée par tous les musiciens d’Europe. Et lorsque que Bobby Jaspar, à peine arrivé à New York, se rend au Birdland, il y retrouve, sidéré, son ami qu’il vient à peine de quitter de l’autre côté de l’Atlantique !

Comme pour Jaspar, le miracle va opérer et bientôt, Thomas devient le compagnon de quelques-uns des plus grands musiciens américains. Il côtoie Tal Farlow, Wes Montgomery, Jimmy Raley, ainsi que le jeune Jim Hall. Au cœur du New York du jazz, il se mêle au clan des jeunes loups qui seront bientôt les nouveaux maîtres : Herbie Hancock, Freddy Hubbard, Wayne Shorter, etc. Au Canada, il joue avec Jackie Mc Lean, Cecil Payne. A New York, il enregistre avec la pianiste japonaise Toshiko Akiyoshi, le fameux album « United Nations » (sur lequel joue aussi Jaspar), et puis fait la connaissance, décisive, de Sonny Rollins. Rollins a déjà entendu parler de Thomas et il a même eu l’occasion de l’entendre à l’une ou l’autre reprise. Il en a gardé un tel souvenir que lorsqu’il le retrouve à New York, il décide de l’inclure dans son trio pour un engagement à Philadelphie (1957).

Lorsque Leonard Feather interroge Rollins quant au sidemen qu’il souhaiterait avoir pour son prochain enregistrement, le grand saxophoniste lui répond :  « I know a belgian guitar player that I like better than any of the Americans I’ve heard ». C’est ainsi qu’il grave, le 10 juillet 1958, quelques faces avec Sonny Rollins et un big band dirigé par Erwie Wilkins pour l’album Brass/Trio. De ce séjour aux côtés de Rollins, il dira :  « Rollins m’a engagé à une époque où je jouais comme Jimmy Raney, mais il a vu en moi un musicien qui avait quelque chose à dire, un type qui était porteur d’un message qui l’intéressait. Sonny m’a beaucoup influencé. A son contact, j’ai appris à rester plus longtemps sur une note simple, à ne pas rechercher systématiquement le ‘fini harmonique’, (…) il faut, à l’occasion, savoir ne pas s’en servir et utiliser d’autres éléments ». Entre-temps, il a rencontré John Coltrane, Miles Davis, tout le gratin new-yorkais. Il a joué avec Al Cohn et Zoot Sims. Zoot Sims qui, en 1956, déclarait :  « Je n’ai pas entendu de révélation dernièrement en Europe, sauf un guitariste, René Quelque Chose, j’ai oublié son nom ». Il fait désormais partie de la famille.

En 1960, il travaille avec le saxophoniste J.R. Monterose, qu’il engage pour l’enregistrement du seul album qu’il réalisera jamais à son nom aux Etats-Unis  « Guitar Groove » (pour Jazzland-Riverside). La rythmique se compose de Hod O’Brien (pianiste dont on a pu apprécier le comme-back en 1988), du bassiste Teddy Kotick et du batteur Albert « Tootie » Heath. Du beau monde et un disque superbe. Thomas joue sur une guitare dont Orrin Keepknews estime alors qu’il n’y en a plus guère que quatre ou cinq de cette sorte au monde. Le modèle, en fait, dont jouait… Charlie Christian, le père des guitaristes modernes.

René Thomas (1960) © Freddie Jazz
Retour au pays et nouveau(x) départ(s)

Mais René Thomas a la nostalgie de l’Europe et en 1961, il rentre au pays. Il y est reçu par les quelques rares  « happy few » qui se souviennent de lui et ont suivi son évolution pendant ces longues années d’exil. Il joue à Comblain (avec Benoît Quersin et José Bourguignon) et y remporte un triomphe. Il joue à Antibes, à Ostende et, surtout, monte avec Bobby Jaspar – de retour au pays lui aussi, quoique très provisoirement – un petit orchestre qui va devenir, au fil des semaines, la meilleure formation européenne du moment. Benoît Quersin et Daniel Humair forment une rythmique efficace qui permet aux deux grands solistes de donner le meilleur d’eux-mêmes. Basé à Bruxelles, au Blue Note de Benoît Quersin, le quartette commence à sillonner l’Europe et se produit même au fameux Ronnie Scott’s de Londres, un club réservé aux formations anglo-saxonnes.Par bonheur, un  « pirate » était sur place et un disque est sorti en 1987 pour témoigner de ces chaudes nuits londoniennes du Thomas-Jaspar Quartet.

La suite de l’histoire, pour cet orchestre pas banal, se passe en Italie, en 1962. Et s’articule autour de trois moments forts : l’enregistrement d’un superbe disque pour la firme RCA, dans lequel le tandem Thomas-Jaspar Quartet est accompagné d’une rythmique italienne (Amedeo Tommasi, etc.). Au répertoire figurent plusieurs compositions de René Thomas (car depuis le départ ou presque, il ne faudrait pas l’oublier, il est un soliste hors pair mais aussi un compositeur fécond) :  « I remember Sonny » au titre transparent, et le fameux  « Theme for Freddy » que Thomas, avec Jaspar ou avec Jacques Pelzer, interprétera tant de fois et qui deviendra un peu son « hit » aux différentes éditions de Comblain. Deuxième moment fort : Chet Baker, qui séjourne en Italie à cette époque, invite Thomas et Jaspar à le suivre dans les mêmes studios RCA pour l’enregistrement de son disque « Chet is back », un classique aujourd’hui. Il y est comme presque toujours remarquable. Enfin, un autre Américain de passage, le pianiste John Lewis, engage le tandem pour l’enregistrement de la musique du film  « Una storia Milanese ». Une musique curieuse pour laquelle l’orchestre de jazz type se voit renforcé d’un quatuor à cordes hongrois ! John Lewis se montre lui aussi particulièrement enthousiaste quant au jeu de René : « René (Thomas) is a Belgian, one of the bet guitar soloist I have ever heard ».

Le retour sur le continent s’effectue donc sous les meilleures auspices. Alors que Jaspar décide de repartir pour les États-Unis, Thomas, lui, semble bien vouloir rester en Europe. A Comblain, il jouera pratiquement chaque année. A Liège et Bruxelles, il redevient l’homme de tous les coups et de toutes les jams. A Paris, où il se rend régulièrement, il joue avec Johnny Griffin, Kenny Clarke, etc., ainsi qu’avec Bud Powell, une de ses idoles. Entre-temps, dans les différents festivals européens, il est encensé par la critique internationale. Ainsi, Claude Michel Jalard parlera de lui comme de la « grande vedette européenne » du festival d’Antibes en 1962. Un festival au cours duquel, l’année suivante, il sera d’ailleurs convié par l’organiste Jimmy Smith, alors au sommet de sa popularité, à venir le rejoindre sur la scène. L’association orgue/guitare est alors fort prisée du public et c’est avec un autre organiste américain, installé en Europe celui-là, Lou Bennett, que Thomas va s’associer pour divers enregistrements et de nombreuses tournées.

Ils enregistrent ainsi l’album  « Meeting ». Pour cet album (plusieurs fois réédités), Thomas a fait également appel à Jacques Pelzer et le disque est une réussite : aux thèmes enlevés ( « Dr Jackle » ou ce  « Meeting », composition signée René Thomas et qui est presque devenu un standard) succèdent de superbes moments lyriques ( « Harnie’s dream » avec un des plus beaux soli de flûte de Jacques Pelzer). Et, quel que soit le climat, les envolées de Thomas sont autant de petits chefs-d’œuvre de goût, d’invention… et de risques ! Car, sensible aux innovations de musiciens progressistes (Coltrane notamment, qui le fascine), il se laisse volontiers emporter par son attirance naturelle pour l’aventure et sort des sentiers battus et rebattus des harmonies et du phrasé hard-bop/cool. Avec toujours une pointe de Django qui donne à l’ensemble une sorte de constante et sauvage émotion. Par ailleurs, humainement, René Thomas demeure un personnage peu banal. Martien irrécupérable pour ceux qui ne le connaissent que superficiellement, il reste, même pour ses proches, comme isolé derrière les énormes verres de ses lunettes d’écaille qui lui donnent cet air perpétuellement ‘ailleurs’. “Perdu dans une sorte de rêve sans fin, l’homme aux lunettes d’écaille ne reprend vie qu’au moment où s’allument les feux de la rampe. Alors, cet étrange personnage s’anime et le swing jaillit sous ses doigts agiles” (J.-L. Ginibre, Jazz Mag n°86, 1962).

Imprévisible dans le quotidien – et ce jusqu’à sa présence à l’heure et au lieu convenus pour un concert – « son incorrigible insouciance » (Laurent Goddet) ne se dissipe, en effet, que lorsqu’il joue. Et là, plus rien ne peut l’arrêter. C’est sans doute pour toutes ces raisons qu’il restera toute sa vie un musicien adulé de ses pairs et de la critique, mais boudé par les organisateurs, par les firmes de disques et par le public. Ce qui ne l’a jamais inquiété outre mesure : “Je joue comme je joue et je ne veux pas, sous prétexte de le séduire, m’adresser vulgairement au public. La reconnaissance des musiciens me suffit pour l’instant (…) j’ai le temps, le public me reconnaîtra un jour ou l’autre”.

En 1963 (l’année de l’enregistrement de “Meeting“), il se rend dans les studios aux côtés du saxophoniste américain Sonny Criss (les quelques témoignages de cette nouvelle association ont été récemment réédités). L’année suivante, il retrouve, à Paris, Lou Bennett et Kenny Clarke avec lesquels il donne plusieurs concerts (notamment à la salle Gaveau) et enregistre quelques titres supplémentaires. Tandis qu’à Liège, où il passe encore en fin de compte pas mal de temps, il est plus souvent qu’à son tour fidèle aux jams du “Jazz Inn” des frères Darmoise : avec Barney Wilen, avec Jacques Pelzer, avec son vieux complice des premiers temps, le pianiste Maurice Simon, avec Chet Baker, avec tous les invités prestigieux des nuits d’après Comblain, Thomas y dispense sans compter (et généralement sans autre salaire que les consommations) une musique généreuse qui ravit notamment tous les jeunes guitaristes (Robert Grahame, Jo Verthé, etc. L’un d’eux, Gustave Smeets, en est entiché au point de se faire appelé “Samoht”, Thomas à l’envers !). De ces soirées privilégiées, des échos ont été vaille que vaille préservés et, à les entendre, on comprend que le “Jazz Inn” n’était pas un club de jazz au sens presque sacré du terme : des bandes montent, en effet, enrobant la musique, un étonnant bruit de fond – verres cognés, rires alcoolisés, altercations ponctuées d’encouragements familiers aux musiciens. Mais c’est cela aussi l’univers de René Thomas, cet espace clos où tout un chacun, radicalement inconscient de la place qu’occupe en fait sur la scène mondiale du jazz ce guitariste qui fait partie des meubles, le tutoie et l’apostrophe sans ménagement.

Puis, soudain, sans crier gare, d’un jour à l’autre, René Thomas, le jammeur liégeois, redevient concertiste international, si par hasard un géant de passage l’emmène à sa suite. Ainsi, au milieu des années 60, il travaille à plusieurs reprises avec le saxophoniste Lee Konitz, à Comblain, Bruxelles, Paris, aux Pays-Bas où la radio hollandaise eut la bonne idée d’enregistrer, le 21 octobre 1965, une demi-heure de musique. Lui et Konitz y sont accompagnés par deux futurs princes de la musiques free européenne : Misha Mengelberg (p) et Han Bennink (dm). Entre-temps, l’association Thomas-Pelzer se poursuit par intermittence, renforcée de rythmiques diversent où défilent les bassistes Benoît Quersin, Alby Cullaz, Michel Finet, etc. et les batteurs Jacques Thollot, Vivi Mardens, Peter Littman, etc. Les deux Liégeois (que la mort de Jaspar en 1963 a peut-être encore rapprochés) se produisent avec succès dans les divers festivals et clubs européens. Leur répertoire, au milieu des années 60, s’est enrichi de pièces plus aventureuses (de compositions d’Ornette Coleman par exemple).

Et leur musique témoigne d’une solide complicité : “René sentait quand j’étais perdu et en un coup de pouce, il me donnait la note qui me remettait sur les rails. Et j’en faisais autant pour lui. A Comblain, nous avons joué notamment avant Bill Evans, qui est venu sur scène nous féliciter. Nous n’avions en fait répéter qu’un seul morceau, pour le reste, nous savions que ça viendrait tout seul, d’après l’ambiance du moment. On se connaissait tellement bien. (…) Une autre fois, toujours à Comblain, le public ne voulait pas nous laisser descendre de scène et Memphis Slim attendait pour jouer ! Ce sont de fabuleux souvenirs. René, c’était l’oreille, le feu, la technique, l’idée…” (interview de J. Pelzer, 1986). Témoins de cette période, un fougueux ‘live’ pirate (avec Finet et Littman) sorti sur Giganti del jazz, ou l’enregistrement – inédit à ce jour – du concert donné à Liège par Thomas, Jaspar, Quersin et Thollot, alors en soirée d’hommage à Raoul Faisant en 1965.

Les dernières années

Après 1966 (cette année-là, il est cité dans Down Beat comme “le meilleur guitariste méritant une large reconnaissance”), René Thomas, comme tous les jazzmen, subit plus encore la rigueur de la crise qui frappe le jazz pendant les “années pop”. Malgré l’un ou l’autre temps fort (quelques disques, notamment avec l’organiste allemande Ingried Hoffman, quelques tournées – en Espagne entre autres -, quelques concerts importants avec le pianiste Vince Benedetti), c’est une période plutôt creuse. Il passe des journées à jouer de la guitare devant sa télévision, dans sa petite maison rue des Maraîchers à Liège. Cependant, sous l’impulsion de quelques amis, il refait surface, entouré le plus souvent du quartette de Robert Jeanne. Jean-Marie Hacquier lui procure quelques contrats dans le Nord de la France tandis qu’en Belgique, il recommence à jouer avec Pelzer et qu’en Allemagne, en 1969, il enregistre un album avec Lucky Thompson. L’épisode décisif de ce retour étant, sans aucun doute, son association, en France, avec l’organiste Eddy Louiss, dès 1970. A la batterie, on trouve, selon les moments, des musiciens comme Daniel Humair (cfr “Au Privave” sur l’album Surrounded d’Humair), Kenny Clarke ou Bernard Lubat avec qui le trio accompagne le chanteur Léon Thomas. Ce dernier fréquente, aux États-Unis, aussi bien les milieux du blues que ceux du free-jazz et surtout, se produit dans un club parisien ce fameux soir où Stan Getz, de passage à Paris, est séduit par cette musique puissante et colorée. Séduit à un point tel qu’il décide tout simplement d’engager le trio pour une vaste tournée européenne en 1971. A Chateauvallon, le nouveau “Stan Getz Quartet” fait un malheur et René Thomas, dont le nom était bien oublié du public français, redevient pour un temps l’objet d’éloges souvent dithyrambiques.

Ainsi, à propos de ce concert à Chateauvallon, un journaliste féru de rugby écrira ce commentaire enflammé : “… Soudain, René Thomas, tel Cantoni, aperçoit le ‘trou’ et s’y engouffre. Crocheté Stan Getz, en débandade le quartette, semé en route le ‘New Sound’ : il n’y a plus sur la scène qu’un monstre de l’esquive et du contre-pied qui remonte, guitare au vent, tout le terrain et va marquer, seul, l’essai” (J. R. Masson, Jazz Mag, 196, 1971). Quand à Getz, qui n’avait pas touché son saxophone depuis des mois, il est revigoré par ses nouveaux partenaires et il joue avec une force et un lyrisme rarement atteints. Les vagues telluriques de l’orgue d’Eddy Louiss (dont la musique se démarque fortement de celle des organistes avec lesquels il a joué jusqu’alors) lui fournissent une assise exemplaire et il trouve en René Thomas un interlocuteur idéal avec lequel il rivalise d’invention et en qui il voit bien plus qu’une réplique de son ancien associé Jimmy Raney : “René est une sorte de ministrel de la guitare (…) il est comme un gitan (…). Une de ses premières idoles était Jimmy Raney (…) maintenant, il joue comme René Thomas, le seul et unique” (P. Culle, Jazz Mag, 168, 1975). On possède de ce quartette étonnant un témoignage aujourd’hui promu au rang de ‘classique’, et dont la récente sortie en CD met mieux encore en relief les inépuisables richesses : “Dynasty” a été enregistré au Ronnie Scott’s de Londres, 10 ans après les prestations du quartette Thomas/Jaspar, et le répertoire se révèle particulièrement apte à pousser les quatre musiciens à donner le meilleur d’eux-mêmes.

Parmi les compositions de Thomas (“Theme for Leo”, etc.), on retiendra le superbe “Theme for my dad” signé Getz, mais écrit en réalité en grande partie par lui à la demande du leader dont le père est mort pendant la tournée. L’interprétation qu’en donne le quartette est bouleversante et fait de cette courte pièce un des quelques chefs-d’oeuvre du jazz enregistré. On y trouve également un art dans lequel Thomas excellera tout au long de sa carrière : celui de l’introduction à un thème (“Invitations”). On aurait pu penser que René Thomas allait profiter de ce nouveau tremplin pour s’installer enfin aux premières places. Pourtant, après l’épisode Getz, il se ‘reprovincialise’ presque aussitôt. Il reprendra encore épisodiquement la route pour de ponctuelles tournées en Italie, en Allemagne et même au Mexique.

Thomas Pelzer Limited (René Thomas et Jacques Pelzer) au Jazz Middelheim, 1974 © Studio Hugo

Chaque année, il rejoint Lou Bennett en Espagne. A Paris, il enregistre avec Louiss et Kenny Clarke un disque qu’on a un peu trop rapidement qualifié de mineur à l’époque. Et il forme avec Christian Escoudé un duo de guitares précurseur des célébrissimes associations à cordes des années à venir. En Belgique, il joue au Festival de Coronmeuse au sein de T.P.L. (c’est désormais le nom qui désigne les groupes Thomas/Pelzer. TPL : Thomas Pelzer Limited) et enregistre sous ce label un dernier album pour la petite firme belge Vogel. Au Festival de Middelheim à Anvers, il rejoint sur la scène son ancien employeur, Sonny Rollins et fait de même avec Getz à Ostende. Mais entre ces points chauds, s’écoulent de longues périodes d’inactivité pendant lesquelles il se réinstalle dans une vie liégeoise qui, à l’époque, ne laisse plus guère de place au jazz. Il se mêle volontiers aux jeunes musiciens – ceux-là même qui assureront bientôt la relance – et assiste, enthousiaste, aux répétitions d’Open Sky Unit, le groupe de jazz-rock monté par Pelzer avec les jeunes Steve Houben et Ron Wilson. Il forme un nouveau trio, mettant à profit la présence à Liège d’un géant de la batterie : Art Taylor ! On a du mal à imaginer, avec le recul, qu’un orchestre dans lequel se trouvaient René Thomas et Art Taylor n’ait pas fait salle comble à chaque concert. En réalité, c’est parfois devant une poignée de spectateurs seulement que se produit le trio. Et du coup, la vie devient difficile pour la famille Thomas (il a deux enfants). Comme beaucoup d’autres jazzmen hélas, René Thomas a fini sa vie dans un état proche de la misère. Usé prématurément – quoique ayant résisté quelque dix ans de plus que son ami Jaspar – il s’éteint lors d’une de ses tournées annuelles en Espagne avec Lou Bennett, en janvier 1975.

Des dizaines de musiciens des quatre horizons du jazz joueront bénévolement pour récolter l’argent nécessaire au rapatriement de son corps. Par la suite, les hommages se répètent, Saxo 1000 sera créé en 1980 en souvenir de Jaspar et Thomas… En 1985, nouvelle soirée en l’honneur de René Thomas, à l’occasion de la parution du livre “Histoire du Jazz à Liège“. De nombreux disques parus depuis 1975 comportent des thèmes écrits à la mémoire de Thomas (“Song for René” par Pelzer, Grailler, etc., “René’s Theme” par John Mc Laughlin et Larry Coryell, “René Thomas” par Philip Catherine, etc.). Les disques de René, par contre, restent rares dans les bacs des disquaires belges. Et au bout du compte, combien de Belges connaissent-ils simplement le nom de ce musicien d’exception qui, lorsqu’on l’interrogeait sur les progressions harmoniques qu’il utilisait, répondait sans sourciller  : “Je ne sais pas, moi, je fais des formes géométriques, des carrés, des triangles…”.

Une dernière anecdote donne la mesure du malentendu gigantesque que fut la carrière de René Thomas : pendant les années 60, alors qu’il était déjà reconnu par les plus grands musiciens comme un maître-guitariste, il se rend avec ses enfants à l’aéroport où doit débarquer Sacha Distel, en pleine période “scoubidou”. Quand Sacha apparaît, Thomas se précipite sur lui et, s’excusant presque, lui demande s’il accepterait de lui signer un autographe. Distel racontera plus tard qu’il fut rarement aussi mal à l’aise que cet après-midi-là tandis qu’il signait le disque tendu par celui que lui-même considérait comme un des plus grands guitaristes au monde.

Jean-Pol Schroeder


[INFOS QUALITE] statut : actualisé (1ère publication par wallonica sur agora.qc.ca) | mode d’édition : transcription (droits cédés) | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1991) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Jo Verthe ; Jazz Around ; Freddie Jazz ; Studio Hugo | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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THIELEMANS, Jean-Baptiste dit “Toots” (1922-2016)

Temps de lecture : 16 minutes >

Apparu sur les scènes belges à la même époque que Jaspar ou Thomas et s’intéressant d’emblée à la même musique qu’eux, prêt comme eux à tout quitter pour cette musique, Toots Thielemans aura un parcours tout à fait différent. Tandis que Jaspar et Thomas sont aujourd’hui oubliés, Toots est une des seules vedettes internationales de la sphère du jazz.

Une jeunesse bruxelloise

Jean-Baptiste Thielemans voit le jour dans le quartier des Marolles, au coeur populaire de Bruxelles. 65 ans plus tard, dans le living de Toots, vedette internationale, on trouve une plaque avec cette mention, fièrement mise en valeur : “… Je suis un authentique marollien de la rue Haute…”. Dès sa petite enfance, le petit “Jeanke” Thielemans (Toots n’apparaîtra que bien plus tard) se frotte à la musique, à la musique populaire précisément : au “Trapken Af”, le café que tiennent ses parents rue Haute, se produit tous les dimanches un accordéoniste dont l’enfant imite bientôt les gestes et les mimiques. Il le fait avec une telle conviction que, pressentant que ce “ketje” veut jouer de l’accordéon, son père lui achète, alors qu’il n’a que deux ans, son premier instrument. Caché derrière cet accordéon aussi grand que lui, Jean donne bientôt de petites représentations qui lui valent, on s’en doute, un franc succès auprès des clients qui ont alors droit à quelques airs issus des opérettes de Franz Lehar.

En 1927, la famille Thielemans quitte les Marolles pour Molenbeek-Saint-Jean et au décor quotidien du café, succède celui d’un magasin appelé “Au palais du cache-poussière” ! Comme tous les enfants, Jean passe le plus clair de son temps sur les bancs de l’école, primaire d’abord, secondaire ensuite, à l’Athénée de Koekelberg. Et c’est désormais pour ses copains de classe qu’il donne de temps à autre quelques petits concerts d’accordéon. En 1929, il participe à un premier tournoi pour accordéonistes. La même année, il commence à s’intéresser tout particulièrement à un instrument plus commode à transbahuter d’un endroit à l’autre : l’harmonica (la “musique à bouche”), instrument bien plus répandu à l’époque qu’aujourd’hui. C’est, semble-t-il, à la suite d’une maladie que s’est opérée cette mutation : alité pendant de longues semaines, il ne peut que difficilement manier son accordéon. En 1939, Jean Thielemans s’achète son premier “vrai” harmonica chromatique.

Peu avant la guerre, on le retrouve inscrit à l’Université Libre de Bruxelles, section mathématiques. Etudes interrompues par les  « événements » et pour lui comme pour tant d’autres, commence le scénario classique : évacuation en France, puis retour au pays après la capitulation, et adaptation au nouveau mode de vie de l’Occupation. C’est à cette époque que sera abordé le tournant décisif : Thielemans devient un auditeur assidu des émissions de jazz diffusées par les radios françaises et anglaises. Sans cette découverte du jazz – d’autant plus passionnée que le jazz fait un peu office alors de musique  « maudite » dans l’idéologie allemande – Thielemans serait sans doute devenu ingénieur et le monde de la musique aurait été privé d’un de ses plus grands interprètes. Tout au long de l’Occupation, il va chercher à en savoir toujours davantage sur cette musique sulfureuse. Il rencontre quelques-uns des personnages qui font autorité à Bruxelles en matière de jazz : Carlos de Radzitsky et Albert Bettonville, détenteurs d’une collection qui fait rêver les nouveaux venus.

Toots Thielemans à la guitare
De Jean-Baptiste à Toots

En 1941, se situe un autre événement déterminant : alors que Django Reinhardt est devenu son idole, un de ses amis, propriétaire d’une guitare mais piètre guitariste, lui lance un jour en guise de défi :  « Quand tu pourras jouer l’intro de ‘Sweet Georgia Brown’ comme Django Reinhardt, ma guitare sera à toi… ». Jean Thielemans ne se le fait pas dire deux fois et se retrouve bientôt possesseur d’une guitare, qui deviendra son second instrument. Il commence à jouer avec d’autres jeunes musiciens, comme lui férus de jazz. On possède deux acétates, probablement enregistrés en 1943, qui sont en fait la première trace discographique du futur Toots. Dans les studios Polyvox (Bruxelles), sont ainsi gravés  « Les yeux noirs » « Solitude »« Dixieland Detour » et  « Saint-Louis ». Absorbé de plus en plus par la musique, Jean ne terminera pas ses études. A la fin de la guerre, son choix est fait : comme son  « collègue » liégeois René Thomas – dont il fera bientôt la connaissance – comme le jeune vibraphoniste d’Andenne Sadi Lallemand, il se consacrera à la musique et rien qu’à la musique (à l’époque, Jaspar et Pelzer sont toujours étudiants). A la Libération, il se retrouve plongé dans le tourbillon musical que suscite la présence des Américains. Comme tout le monde, il joue pour eux dans les restcamps, officier’s clubs, etc. Puis en 1945, le trompettiste Herman Sandy lui propose de remplacer André Meersch au sein de son orchestre, un orchestre qui, sous le nom de Jazz Hot va devenir une des trois meilleures formations du pays (avec les Internationals et les Bob-Shots). On y trouve le saxophoniste Raymond Lauwers, le pianiste Gene Kempf et le batteur Jackie Thunis.

Le Jazz Hot sera au centre des folles nuits du “Duc de Buckingham” à Blankenberge, et du “Grand Siècle” à Bruxelles. Estimant que le prénom de Jean-Baptiste n’était pas ce qu’on pouvait trouver de plus swinguant, Jackie Thunis lui propose de s’appeler désormais Toots (comme les Américains Toots Camarata et Toots Mondello). Jean accepte et bientôt, dans le milieu du jazz en tout cas, on ne le connaît plus que sous le nom de Toots Thielemans, réputé comme l’un des bons guitaristes de la capitale et un des seuls jazzmen à essayer de produire des phrases jazz à l’harmonica. En janvier 1946, il est membre de l’orchestre de Robert De Kers, une des formations « pros » les plus en vue. Marcel Colbrant et Henri Winkeler ont alors la formidable idée de filmer l’orchestre pour la société anversoise “Animated Cartoons“. Et c’est ainsi qu’un court métrage intitulé “Modern Mood” nous permet, 40 ans plus tard, de voir Toots jouer aux côtés de Jean Robert, Fernand Fonteyn, etc., dans le contexte swing tout à fait réjouissant. Un joyau ! La même année, il enregistre quelques titres avec l’accordéoniste Rudd Wharton, avec l’orchestre d’Yvon De Bie (les fameux “Rose Room” et “Berceuse Nègre“) et il entre dans la formation de Ruddy Bruder, alors basée à la Malmaison. Parmi ses premiers enregistrements, on peut encore rappeler le disque Olympia réalisé avec Fud Leclerc en février 1947 et sur lequel était enregistré le célébrissime “Hey ! Ba-be-re-bop” qui fit la gloire de Lionel Hampton.

Le rêve américain

Mais déjà, dans sa tête, une idée folle, démesurée commence à prendre de plus en plus de place : tant qu’à jouer du jazz, pourquoi ne pas essayer de le faire au pays même du jazz, aux Etats-Unis ? En 1947, trois ans avant le départ de Jaspar pour Paris, neuf ans avant que ce dernier ne parte lui aussi pour la Mecque, Jean “Toots” Thielemans, considéré dès cette époque comme l’un des meilleurs instrumentistes jazz en Belgique, accompagne son oncle qui doit effectuer un voyage d’affaires aux Etats-Unis. Arrivé à New York, il fait le tour des clubs, son harmonica en poche et, introduit par un photographe dont il avait la connaissance, découvre ainsi la magie des lieux saints du jazz : le “Three Deuces” entre autres. C’est le début des grandes rencontres : le trompettiste Howard Mc Ghee, le guitariste Chuck Wayne, les pianistes Billy Taylor et Lennie Tristano deviennent ses premiers partenaires américains – car, on le devine, l’harmonica ne reste pas longtemps dans la poche de Toots. En 1948, il écrit pour la revue belge “L’Actualité Musicale”, une série de lettres. Dans l’une d’elles, on peut lire : “ … Après avoir joué huit jours à New York, me voici à Miami. Ai entendu Chuck Wayne. J’ai joué sur sa guitare et il n’en revient pas qu’on puisse jouer du be-bop rien qu’en entendant des disques…”. Billy Shaw, l’impresario de Benny Goodman, l’entend et lui promet de “faire de lui le roi belge du be-bop”. Toots a en effet entre temps découvert les harmonies et les entrelacs du bop et, séduit, s’est attaqué à cette musique nouvelle, tant à la guitare qu’à l’harmonica – qu’il est alors le seul au monde à orienter dans cette voie ! De retour en Belgique, il enregistre donc, à ses frais, quelques acétates (“Laura”, “Stardust”, etc.) qu’il envoie aussitôt à Billy Shaw, pour recevoir en fin de compte une réponse de Benny Goodman lui-même. Le “King of Swing” lui propose en toute simplicité d’entrer dans le nouveau combo qu’il monte pour le Paramount Theatre à New York ! Malheureusement, quand on est européen, on ne devient pas facilement musicien aux Etats-Unis. Des questions de visa et de permis de travail empêchent Toots de rejoindre le fameux orchestre.

Toots Thielemans (Chicago, 1957)

En Belgique, auréolé malgré tout par ces propositions et ses contacts new-yorkais, Toots Thielemans est devenu une vedette. Il est acclamé lors des fameuses jams de l’Onyx Club, et le Hot Club Magazine en parle dès cette époque comme d’une des “plus grandes figures du jazz belge actuel”. Il franchit encore un jalon important au Festival de Nice en 1948 où il se produit avec les solistes des Bob-Shots dans une formation dirigée par Jean Leclère. C’est là qu’il a l’occasion d’entendre pour la première fois en direct Louis Armstrong qui lui arrache ses premières “larmes musicales”. L’année suivante, autre festival, autres lauriers, autre consécration, il se retrouve à l’affiche du Festival de Paris (1949) au même programme que Charlie Parker et Miles Davis (l’autre formation belge présente au Festival étant les Bob-Shots). Sur le disque rendant compte de la jam-session qui clôtura ce festival, on trouve les noms de Charlie Parker, Sidney Bechet, Miles Davis et… Toots Thielemans ! Comme les Bob-Shots, Toots a d’ailleurs l’occasion, lors de ce premier séjour parisien, de graver également, le 13 mai exactement, quelques disques pour le label Pacific. A ses côtés, Francis Coppieters (p), Jean Warland (b) et John Ward (dm), les deux derniers cités jouant aussi sur les disques des boppers liégeois. Le 22 août 1949, Toots Thielemans se marie avec Netty et la même année, lors d’une tournée en Italie, il participe à une séance d’enregistrement en compagnie de Flavio Ambrosetti, Gilberto Cuppini, Hazy Osterwald, Ernst Hollerhagen, etc. A Rome, il rencontre… Benny Goodman ! Celui-ci se souvenant des disques que Billy Shaw lui avait fait entendre, lui propose de le rejoindre sur la scène du Palladium à Londres. C’est le début de l’engrenage au terme duquel l’attend un succès qu’il n’aurait jamais osé espérer.

Les concerts scandinaves

La formation de Goodman compte alors quelques prestigieux musiciens : le trompettiste Roy Eldridge, le saxophoniste Zoot Sims (avec qui Toots enregistrera quelques faces à Stockholm en avril), le pianiste Dick Hyman, le batteur Ed Shaughnessy, etc., au milieu desquels, loin de détonner, il s’intègre parfaitement. Le sextette tourne au Danemark, en Suède, etc. et partout, l’accueil est enthousiaste : lors de son passage au Casino de Knokke et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la presse belge réserve une place importante à l’événement et tout particulièrement à la présence de Toots Thielemans au milieu des grandes vedettes américaines.

Mais pour la carrière de Thielemans, les concerts les plus importants ont peut-être été ceux effectués en Scandinavie. Le courant passe dès le premier abord entre le Marollien et les Suédois. Dans les années qui suivent, Toots séjournera de nombreux mois à Stockholm où il aura l’occasion de lier connaissance de manière approfondie avec Charlie Parker, rencontré sur scène de la salle Pleyel en 1949. En 1950-1951, le Bird lui aussi se sent comme chez lui en Suède, où il vit peut-être ses derniers mois de bonheur. Un soir de novembre, alors que Toots se produit avec l’organiste Reinhold Svensson dans un hôtel de Stockholm, il voit entrer Charlie Parker. Aussitôt, il entame, suivi par son partenaire, le célèbre Lover Man, reproduisant note pour note le chorus de Parker qu’il a évidemment écouté mille fois. Bird s’approche, sidéré et, à la fin du morceau, serre la main de Toots et lui dit que ce qu’il vient d’entendre est le plus grand hommage qu’on puisse rendre à sa musique… et d’ouvrir son portefeuille afin de récompenser Toots à coup de dollars. Moment particulièrement intense pour un jazzman européen, faut-il le dire, que cet enthousiasme du maître lui-même !

Par la suite, Toots et le Bird auront l’occasion de passer ensemble plus d’une nuit nordique. Et lorsqu’ils se retrouvent aux States, Parker engagera notamment son ami pour une semaine au Earl Theatre de Philadelphie à une époque, hélas, où Charlie Parker était au bout du rouleau. “Quelques fois, nous devions soulever Bird afin qu’il tienne debout, et lui mettre son saxophone aux lèvres. Mais même dans ces moments-là, il jouait admirablement bien”. Pendant un certain temps, Toots va aussi “navetter” entre Stockholm (où il enregistre plusieurs disques, dont un supervisé par Léonard Feather, avec Arne Domnerus et Rolf Ericson) et Bruxelles (où il retrouve, toujours avec plaisir, au détour d’un studio, ses amis Bill Alexandre, Billy Desmedt, Gus Deloof, Jean Warland, etc.). Mais l’appel des States se fait de plus en plus pressant et fin 1952, il s’embarque à nouveau en direction de New York, espérant bien que, cette fois, c’est la bonne.

Back to the USA

Pour se conformer à la réglementation américaine sur l’immigration, il commence par travailler pour la Sabena, puis décide de prendre la nationalité américaine. Le pas décisif est franchi. Toots se trouve un appartement à Manhattan, dont l’écrivain Arthur Miller est le voisin. Un nouveau musicien américain est né. Très vite, il séduit le public, “les” publics car – et c’est une constante dans sa carrière – il joue désormais sur les deux tableaux : admiré des amateurs de jazz pur et des musiciens pour sa musicalité et sa virtuosité, il est également prisé du grand public auquel il délivre régulièrement des pièces plus commerciales, plus proches de la variété que du jazz. Sa réputation l’a d’ailleurs précédé dans certaines sphères. Ainsi, plusieurs de ses disques commerciaux réalisés en Belgique (“Happy go lazy”, “Latin Quartet“, etc.) ont été adoptés aux Etats-Unis par les fameux Harmonicats !

Les grandes rencontres ne tardent pas à s’effectuer. La première année de son émigration, il se produit au Down Beat Jazz Club avec Charlie Parker et le groupe de Max Roach. A Philadelphie, il travaille avec Jackie Davis au Show Boat. Il enregistre son premier disque américain – sous le nom de Jon Tilmans – le 6 décembre 1952 (avec Dick Hyman et Harry Reser). Quelques semaines plus tard, il rentre en studio, en sideman cette fois, avec Dinah Washington et Wardell Gray ! Mais c’est surtout sa rencontre avec Georges Shearing, alors très populaire auprès du public américain, qui lui vaudra sa véritable et définitive intégration au monde du spectacle U.S. Shearing lui propose d’entrer dans son fameux quintette. Il y restera environ sept ans !  “C’est le seul travail vraiment fixe que j’aie eu de toute ma vie” dira Toots avec un clin d’œil.

Les premiers enregistrements avec Shearing datent de mars 1953, amorçant une série au terme de laquelle le nom de Toots sera connu aux quatre coins du monde jazz. “Au début, j’ai eu un petit coup de feu à la guitare que je n’avais pas touchée depuis la tournée Goodman. Après une quinzaine de jours, j’ai eu tous les arrangements dans les doigts, quoique certains soient assez compliqués. Shearing a été charmant avec moi et n’a cessé de m’encourager. Dans les band, j’ai retrouvé le bassiste Al Mc Kibbon, venu en Belgique avec l’orchestre de Dizzy, le drummer Bill Clark et le vibraphoniste Joe Roland, tous d’excellents musiciens et copains parfaits” (Act Mus. 1992). Aux côtés de Shearing, Toots fait le tour des grandes villes américaines : New York, Boston, Chicago, Pittsburgh, Los Angeles, San Francisco, et pousse même jusqu’à Toronto et Haïti.

Amené parfois à se produire dans un orchestre renforcé, il adopte, pour pouvoir se faire entendre, un système d’amplification particulier qui fait de son harmonica un instrument à part entière, un instrument auquel Shearing décide d’ailleurs de consacrer un concerto ! Au hasard de ses tribulations, Toots rencontre de vieilles connaissances : Jack Kluger à New York, Jackie Thunis à Spokane, Malou Honey et Joe Lenski lors d’une jam chez Marian Mc Partland. Et les années passent. 1955, lorsqu’on l’interroge sur ses souvenirs, Toots finit toujours par évoquer – et on le comprend – une certaine tournée à travers les Etats-Unis avec le “Birdland All Stars” : “Pour moi, ce voyage tenait du prodige. Nous étions tous dans le même autocar : Count Basie et John Williams, Billie Holiday avec ses chihuahuas sur les genoux, Lester Young toujours à l’arrière. Toutes mes idoles étaient bel et bien là et je pouvais leur tenir compagnie : Philly Joe Jones, Miles Davis, Cannonball Adderley, Tommy Flanagan, … Et j’étais toujours assis à côté d’Eddy Jones, le gros bassiste de Count Basie, parce qu’on était en plein hiver et qu’il avait un long manteau en cuir, bien fourré, contre lequel nous essayions tous deux de rester au chaud. Le vibraphoniste de Shearing et moi, nous étions les seuls blancs à bords”. Pour réaliser l’émotion que devait représenter ce genre d’expérience, il faut se souvenir qu’à l’époque, Toots Thielemans était loin d’être aussi connu qu’aujourd’hui ; côtoyer les géants était encore nouveau pour lui. Et à propos de “reconnaissance”, rappelons que cette même année 1955 est celle de l’enregistrement de l’album “The Sound”. Un album qui nous semble presque “banal” aujourd’hui qu’il nous a donné mille autres preuves – souvent bien plus intenses encore – de sa puissance expressive et de son talent. Mais en 1955, ce disque marque un tournant dans sa carrière : enregistré sous son nom avec des musiciens comme Ray Bryant, Oscar Pettitford, Toots Mondello, etc., il reçoit quatre étoiles dans le magazine Down Beat !

Toots Thielemans
Vers la naissance de “Bluesette”

En 1956, autres rencontres de taille : le quintette de Shearing joue au légendaire “Basin Street Club”, en alternance avec la formation de Max Roach dans laquelle se trouvent alors… Clifford Brown et Sonny Rollins ! Toots Thielemans reçoit à cette occasion, de la bouche de Clifford Brown, un compliment qui restera à jamais gravé dans sa mémoire, le grand trompettiste lui signifie qu’à son avis, joué comme il en jouait, l’harmonica était un véritable instrument de jazz et ne devait plus être noyé, lors des référendums, dans la catégorie floue “instruments divers”

35 ans plus tard pourtant, c’est toujours dans cette catégorie qu’est classé Toots (en tête bien sûr). En 1957, Toots enregistre un album décisif pour Riverside : “Man Bites Harmonica“, avec comme sideman, rien moins que Pepper Adams (bs), Kenny Drew (p), Wilbur Ware (b) et Art Taylor (dm). Il fait désormais partie du Cénacle Majeur. Pendant les années 1957-1958-1959, il enregistre sans cesse avec Shearing (plus de vingt albums !). En 1959, il signe l’album “The Soul of Toots Thielemans” avec les frères Bryant (Ray au piano et Tom à la basse) et le batteur Oliver Jackson, et il enregistre avec un autre Européen américanisé, l’altiste Arne Domnerus. En 1960, il rentre en Europe pour quelques temps, travaillant à Berlin avec Kurt Edelhagen, à Stockholm avec Harry Arnold (pour un album étonnant dans lequel la radio suédoise a invité différents solistes : Nat Adderley, Benny Bailey, Coleman Hawkins, Lucky Thompson, et… Toots), à Paris avec Georges Arvanitas, en Italie, etc.

C’est sans doute pendant ce séjour qu’il ajoute une nouvelle corde à son arc : il produit en effet un nouveau “sound” qui va faire fureur et qu’il obtient en doublant ses phrases de guitare en sifflant ! C’est avec cette même formule qu’un soir de 1962, lors d’un concert donné à l’Université Libre de Bruxelles en compagnie de Stéphane Grapelli, il chantonne pour la première fois, dans sa loge, la mélodie qui le rendra riche et célèbre : “Bluesette”. Grapelli l’entend et l’encourage à développer cette mélodie. Quelques temps plus tard, probablement en juin 1963, Toots grave dans un studio suédois, pour l’album “The Whistler and his guitar“, la première version de son “tube”, la première d’une longue série. “Bluesette” deviendra non seulement l’indicatif de Toots, mais un véritable standard, repris au répertoire des plus grandes vedettes de jazz et de variété (Sarah Vaughan, Ray Charles, …). C’est l’étape ultime au-delà de laquelle Toots Thielemans figure désormais parmi les Grands du show-business international.

De retour aux Etats-Unis (1964), il fréquente tant le milieu du jazz que le milieu “variété”, travaillant avec de géants tels que Quincy Jones, Phil Woods, Freddy Hubbard, J.J. Johnson, Mc Coy Tyner, Clark Terry, Herbie Hancock, Astrud Gilberto, Peggy Lee, etc., devenant un habitué des studios new-yorkais et une “guest-star” souvent sollicitée. Les albums enregistrés à son nom – souvent dans un contexte commercial – se multiplient. Dans les bandes sonores des films produits tant aux Etats-Unis qu’en Europe, on entend monter la plainte de l’harmonica de l’homme des Marolles : “Midnight Cowboy“, “Sugarland Express“, “The Gateway“, “Salut l’artiste” et des dizaines d’autres. Du lot, se dégage la bande sonore bouleversante d’un film néerlandais à petit budget, “Turks Fruit“, sur laquelle figurent quelques-unes des plus belles plages enregistrées par Toots.

Toots Thielemans et Philip Catherine
Les années 70 et 80

Impossible, dès cette époque, de faire le détail d’une activité aussi débordante, Toots lui-même en serait bien incapable. Au début des années 70, il enregistre plusieurs albums avec Quincy Jones, côtoyant une fois encore le gratin des musiciens américains. En 1972, c’est au violoniste Svend Asmussen qu’il s’associe le temps d’un disque. L’année suivante, il est invité comme “instrumenteur” à la fameuse Eastman School of Music. En 1975, il fait un pas de plus vers la reconnaissance internationale tous publics en “tournant” et en enregistrant avec Paul Simon.

Mais toute cette activité ne lui fait pas oublier le jazz, le vrai. En témoignent, par exemple, les trois albums “live” (1974, 1975, 1976) enregistrés avec son groupe européen (Rob Franken, Niels Pedersen, etc.), un disque intitulé “Captured alive” enregistré aux Etats-Unis avec le pianiste Joanne Brackeen (1974), le contrebassiste Cecil Mc Bee et le batteur Freddy Waits, un “Toots and Friends” avec Philip Catherine et Joachim Kühn (74), et quelques disques Pablo (avec Oscar Peterson, 1975-1980 ; Dizzy Gillepsie, 1980 ; Joe Pass, 1980 ; etc.). Mais plus que tout autre, s’agissant du jazz, c’est l’album “Affinity“, enregistré en 1978 avec Bill Evans, qui représente le sommet de l’art de Toots. “Affinity” témoigne d’une bouleversante connivence entre les accents déchirés de l’harmonica et les harmonies souvent douloureuses de Bill Evans, qui enregistre là un des albums les plus achevés de sa dernière période.

Quand on l’interroge sur ses souvenirs les plus intenses, Toots Thielemans évoque toujours cette session magique aux côtés d’un des grands maîtres du piano moderne, session hélas sans lendemain, Evans devant disparaître quelques années plus tard. Entre ces enregistrements “strictement jazz”, qui lui valent des nominations dans les divers “polls” américains, Toots continue à enregistrer de la musique grand public. Dans cette production, une perle : enregistré à Londres avec son quartette européen renforcé d’un grand orchestre à cordes, l’album “Slow Motion” est un concentré superbe de la musique de Toots, une musique dans laquelle l’émotion, omniprésente, ne se fait jamais sirupeuse, et ce n’est pas son moindre mérite.

Il semble en réalité que Toots, en ces années 70-80, loin de décliner comme l’ont fait tant de musiciens de sa génération, ait atteint une maturité prodigieuse. Ses chefs-d’œuvre, c’est maintenant qu’il les signe. On croyait tout savoir sur lui, on ne savait encore rien ! Sans doute le fait de ne plus être préoccupé par le souci alimentaire lui a-t-il permis de se consacrer bien plus pleinement qu’auparavant au jazz, à cette musique qui l’avait bouleversé dans l’après-guerre et qu’il n’a cessé de servir depuis lors. En 1981, hélas, des ennuis de santé viennent ternir quelque peu le paysage de Toots Thielemans.

Mais fermement décidé à ne pas se laisser dominer par la maladie, il reprend la route. Se partageant entre Bruxelles et New York, il apparaît dans les contextes les plus divers : aux côtés du monstre sacré du jazz-rock Jaco Pastorius au Lincoln Center de New York (1982), puis dans un studio d’enregistrement, aux côtés du maître de l’intimisme et de la profondeur, Chet Baker, au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (1984), et encore à Los Angeles, avec Ella Fitzgerald, Stevie Wonder, Dizzy et tant d’autres. Tournant énormément, Toots s’entoure bientôt de deux formations régulières, une européenne et une américaine : Michel Herr, Michel Hatzigeorgiou, Bruno Castelluci d’un côté, Fred Hersch, Marc Johnson, Joey Baron de l’autre. Il obtient un regain de succès en adaptant avec un goût peu commun le “Ne me quitte pas” de Brel et interprète ce titre avec l’une et l’autre de ses formations. Deux albums, “Ne me quitte pas” (Milan, pochette réalisée par Jean-Michel Folon) et “Only trust your heart” (Concord), achèvent de convaincre les derniers sceptiques que le travail commercial de Toots avait déçus. Toots est bel et bien (re)devenu un des grands jazzmen de son temps !

Un seigneur de l’émotion

Aux quatre coins du monde, du Congo à Hong Kong, le mot “harmonica” est plus que jamais associé à son nom. Un nom qui devient un nom commun en 1989, lorsque l’Association des Critiques de Jazz belges décide de décerner chaque année, en plus des Sax, un… Toots !  En 2001, Toots est anobli par le roi Albert II et reçoit le titre de baron. En 2009,  la plus grande distinction pour un jazzman américain: le Jazz Master Award, lui est décernée. Mais, en mars 2014, il annonce qu’il met un terme à sa carrière. Toots Thielmans décède deux ans plus tard, le 22 août 2016. La Bibliothèque Royale conserve un fonds Toots Thielemans qui rassemble des centaines d’enregistrements sonores et des milliers de documents. Au-delà des anecdotes, des honneurs et des discographies, Toots Thielemans restera un des grands seigneurs de l’émotion faite jazz. Tout le personnage est en réalité dans cette formule qu’il aime employer lorsqu’il parle de musique : “L’accord parfait que je préfère, c’est le Mineur Septième : mineur en dessous, majeur au-dessus. Ce doux territoire entre le sourire et les larmes… “.

Toots Thielemans (Jazz à Vienne, France, 1994) © Pascal Kober

[INFOS QUALITE] statut : actualisé  (1ère publication par wallonica sur agora.qc.ca) | mode d’édition : transcription (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Pascal Kober | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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