Existe-t-il un “langage jeune” ?

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[THECONVERSATION.COM, 9 janvier 2025On associe souvent des expressions à la mode ou des pratiques comme le verlan à la jeunesse. Mais n’est-ce pas un abus de langage d’évoquer un parler “jeune” ? Y a-t-il vraiment un vocabulaire ou un usage de la syntaxe qui permettraient d’identifier des façons de s’exprimer propres aux jeunes ?

“Gadjo”, “despee”, “tchop” : ces mots sont associés, dans les discours médiatiques, à un “parler jeune”. Nombreux sont les articles qui s’arrêtent sur ce vocabulaire pour le rendre accessible aux autres générations ou encore les dictionnaires destinés aux parents qui semblent ne plus comprendre leurs ados.

Alors, ce parler jeune existe-t-il vraiment en tant que tel ? Pourrait-il être résumé à un lexique qui lui serait propre ? Plusieurs études ont été menées en linguistique sur ces pratiques langagières, mais celles-ci ne constituent pas un champ homogène, notamment parce qu’elles concernent des situations sociolinguistiques diverses.

Si nous voulons considérer l’existence d’un parler jeune, il faudrait a minima le penser au pluriel. Il n’y a pas deux personnes pour parler de la même façon et une même personne ne parle pas constamment de la même manière. Tous les individus possèdent plusieurs répertoires ou plusieurs styles, les jeunes ne font pas exception.

Définir la jeunesse : des critères biologiques ou sociologiques ?

Avant de voir s’il existe des éléments constitutifs d’un répertoire commun aux jeunes, une question se pose : qui sont ces jeunes ? Pour reprendre Bourdieu, l’âge n’est qu’une donnée biologique manipulée autour de laquelle des catégories peuvent être construites.

La catégorie “jeune” a pu être définie selon des critères d’indépendance par les démographes : fin des études, entrée dans la vie active, départ du domicile familial… Mais ces critères ne sont plus tout à fait valables aujourd’hui. La catégorie “jeunes” est largement interrogée et interrogeable.

Dans les discours médiatiques et les études linguistiques, il s’agit en réalité surtout de jeunes issus de milieux urbains, milieux multiculturels et plurilingues. Les jeunes sont souvent des adolescents. L’adolescence correspondrait à une période d’écart maximum à un français “standard”, à un français valorisé, notamment, à l’école.

Mais y aurait-il même des traits langagiers qui nous permettraient d’identifier des façons de parler propres aux personnes regroupées dans cette catégorie ? On peut s’appuyer, pour aborder cette question, sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), un ensemble d’enregistrements (au total 83 heures) réalisés auprès de 187 locuteurs “jeunes” habitant la région parisienne.

Lexique, syntaxe, accent : des particularismes chez les jeunes ?

L’analyse des pratiques langagières de ces jeunes met en lumière plusieurs traits récurrents. Au niveau lexical, on relève des procédés comme l’apocope, ou perte d’une syllabe, dans “mytho” pour “mythomane” par exemple. On retrouve aussi le verlan, avec des mots comme “chanmé”, qui correspond à l’inversion des syllabes de “méchant”, ou encore “despee” qui cumule emprunt à l’anglais “speed” et verlanisation. À côté d’autres emprunts plus anciens, comme “kiffer” emprunté à l’arabe kiff (aimer) bien entré dans le français avec l’ajout de la terminaison “-er”, nous identifions “gadjo” emprunté au romani (“garçon”) ou “chouf”, emprunté à l’arabe et signifiant “regarde”.

Sur le plan syntaxique, peu de choses sont relevées, car il s’agit en réalité du niveau du système langagier qui est le moins souple. Si certains relèvent par exemple l’omission du “ne” dans les structures négatives (“je lui répondrai pas”), celle-ci n’est en réalité pas spécifique aux jeunes. Ce phénomène reflète davantage les usages du français parlé plus ordinaire.

Du côté de l’”accent” (regroupant la mélodie ou encore la prononciation de certaines voyelles ou consonnes), certains traits ont pu être identifiés comme l’avant-dernière syllabe qui se fait plus longue, le contour emphatique ou encore l’affrication forte des /t/ comme dans “confitchure”. Toutefois, des études montrent également que ces traits ne sont pas propres aux jeunes (c’est le cas de l’affrication ou encore du contour emphatique, nous utilisons ce dernier pour mettre en relief un élément et nous le retrouvons lorsqu’un locuteur est engagé dans l’interaction).

L’affrication, nouveau phénomène de langage (TV5 Monde, février 2024)

Hormis le débit qui pourrait être spécifique aux façons de parler jeunes (les jeunes parleraient plus vite, utiliseraient plus de mots à la minute), il faut noter que les particularismes relèvent de l’exploitation de procédés qui n’ont rien de novateur. Le verlan se retrouvait chez Renaud (“laisse béton“), les emprunts qu’on ne voit plus avec abricot emprunté, par le portugais ou l’italien, de l’arabe al-barqûq, parking emprunté à l’anglais ou encore schlinguer emprunté à l’allemand et que nous retrouvons notamment chez Hugo, dans les Misérables :

C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous fait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule.

Victor Hugo

Il en va de même pour les structures où le que semble omis, “je crois c’est les années soixante“. Celles-ci sont pointées du doigt et attribuées aux jeunes. Toutefois, elles aussi sont employées par des moins jeunes, comme chez ce locuteur de 40 ans “je pense ça leur fait plaisir” et nous les retrouvons dans le Roman de Renart datant de la fin du XIIe siècle : “Ne cuit devant un an vos faille” (“je ne crois pas il vous en manque avant un an“).

Effet de loupe : des façons de parler rendues visibles par les réseaux

Si les procédés n’ont rien de novateur, alors d’où vient cette impression de “parlers jeunes” ? Celle-ci repose sur un “effet loupe” ou un effet de concentration, selon la sociolinguiste Françoise Gadet. Ces parlers jeunes seraient perçus par la multiplication des particularismes : emploi du verlan, d’emprunts, du contour emphatique, etc.

L’effet loupe est lui-même renforcé par les médias ou par les discours qui mettent en avant ces phénomènes sur les réseaux sociaux. Et si l’on a l’impression que “pour cette génération, c’est plus marqué qu’avant“, c’est probablement parce que ces façons de parler sont désormais plus facilement observables. Les communications médiées par les réseaux rendent les productions linguistiques visibles à grande échelle. Ces “effets de mode” linguistiques ne sont toutefois pas exclusifs à la jeunesse actuelle. Chaque génération a ses préférences, mais rien ne disparaît tout à fait : un terme comme “daron” bien qu’ancien, traverse les époques.

1983 : Comment parlent les lycéens ? (Archive INA, 2019)

Finalement, les jeunes exploitent le système de la langue française pour l’enrichir et répondre à différents besoins. Les mots créés ne sont pas de simples équivalents de ce qui pouvait exister, mais s’en distinguent bien. Selon Emmanuelle Guerin, un “clash” (emprunt à l’anglais) prend un sens plus spécifique que choc puisqu’il évoque une confrontation verbale : “Ils menaient le clash avec la prof.” Lorsqu’il y a créations, celles-ci enrichissent le répertoire linguistique en répondant à des besoins d’identification à des groupes (ces phénomènes se retrouvent souvent dans des interactions où la connivence prime) ou d’expression.

Il n’existe donc pas un parler jeune, mais des façons de parler par des personnes catégorisées comme “jeunes”. On qualifie des façons de parler “jeune” par la présence (et surtout la concentration) de certains éléments linguistiques, ce qu’on peut retrouver chez des moins jeunes, par exemple, chez Stéphane âgé de 36 ans : “Je sais pas qui vous êtes tu vois ce que je veux dire je leur ai fait comme ça (.) genre je parfois il y a des jeunes ils ont la haine sur nous hein […] Non mais c’était eux les nejeus en vrai.

Si certains mots utilisés par les jeunes semblent échapper aux moins jeunes, rappelons que tout le monde (y compris vous et moi) emploie parfois des termes qui peuvent être incompréhensibles pour notre entourage, notamment ceux issus de notre milieu professionnel. Il n’y a rien d’alarmant dans ces “parlers jeunes” : chaque génération a ses modes d’expression, et les quelques mots jugés incompréhensibles par les médias ne reflètent pas l’étendue des répertoires concernés.

Auphélie Ferreira, Université de Strasbourg


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Plus de presse en Wallonie…

FRANSIS : Mes souvenirs d’écolier (CHiCC, 1991)

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TEMOIGNAGE : “Nous sommes en 1906. Faute d’enseignement primaire pour les garçons de Cointe, je suis obligé de descendre à l’école du Perron à Sclessin. Quel parcours pour un petit garçon de six ans ! surtout l’hiver !

Je quittais l’Observatoire où Papa était “concierge garde-consigne”, traversais le parc privé de Cointe, puis descendais l’avenue du Petit-Bourgogne, totalement inhabitée. D’avenue, elle n’avait que le nom, car c’était un chemin plein d’ornières, boueux sous la pluie, poussiéreux sous le soleil. Le haut était boisé, le reste traversait les cultures avec, légèrement en retrait, la laiterie Purnémont.

Arrivé en bas, à la maison du garde, je remontais la rue Côte d’Or, un long parcours encore, peu habité, avec à gauche, le pré de chez Cuhl, inondé l’hiver, et, à droite, les cotillages des maraîchers et la laiterie dite “Villa des Roses“. J’arrivais alors en droite ligne à l’école du Perron, car à l’époque, la rue Côte d’Or était encore rectiligne. Ce n’est que plus tard qu’elle fut détournée vers la colline afin de permettre l’édification de la ligne de Fexhe-le-Haut-Clocher. Le remblai de celle-ci recouvre entièrement, aujourd’hui, le site que l’école occupait.

Les bâtiments étaient à gauche du chemin, dans l’angle formé avec la rue de Trazegnies. Les quatre classes-garçons, côté rue Côte d’Or, les six classes-filles, côté rue de Trazegnies. Monsieur Heine enseignait en première année. Nous étions 72 ! A cause des retardataires, le travail avançait lentement. A l’examen de fin d’année, je fus premier. Ce fut d’ailleurs la seule fois dans ma vie !

En deuxième et troisième, le maître était très sévère. Il maniait le bâton.Un bâton que des élèves lui avaient apporté, la schlague comme il disait.

“Schlague : peine disciplinaire, longtemps en usage en Allemagne, dans les écoles et dans l’armée, et consistent dans l’application de coups de baguette.” (Larousse)
C’était -ne l’oublions pas- avant 1914 !

C’est ainsi qu’en troisième, à la leçon de musique, l’instituteur s’asseyait sur un dossier de banc, face à moi, et me faisait chanter. “C’est faux !”, disait-il, et …clac ! “Recommence”… et re-clac ! Et plus je recevais des coups de bâton, plus ma tête bourdonnait et plus je chantais faux évidemment. Aussi, à la fin de la troisième, mon meilleur ami, Jules Duchêne, terrorisé par le système, convainquit ses parents de le mettre “aux Rivageois”.

En quatrième, nous avions comme instituteur Monsieur Henrion. C’est alors que mon condisciple Thunus nous quitta pour aller à l’école catholique que le curé Schiepers, de Sclessin, venait d’ouvrir. Les classes de cinquième et sixième se trouvaient dans la vielle école, qui existe encore aujourd’hui, au pied de la rue du Perron et qui sert de Centre Récréatif. Ce changement de locaux, pour moi, raccourcit le parcours car je monte la rue du Perron, puis le thier Del Dague. Au déboulé du thier, je soulève les barbelés de la prairie, pour gagner au plus court, évitant les bouses et les vaches, l’avenue du Hêtre. Parfois, je suis poursuivi par le fermier Tonglet…

Dommage que le laitier n’est passé par là qu’une vingtaine d’années plus tard ! J’aurais pu utiliser le sentier que nous connaissons aujourd’hui. Et ce trajet incommode, je devais l’effectuer quatre fois par jour, cinq jours par semaine, le jeudi excepté, où je ne le faisais que deux fois. A cette époque, on n’avait congé que le jeudi après-midi, le samedi étant jour de classe entier.

En ce temps-là, à l’école primaire, les écoliers travaillaient beaucoup sur l’ardoise… Et, quand il m’arrivait d’attraper une punition, comme j’avais peur de la faire à la maison, je remplissais mon ardoise en chemin, mais la cachais dans le bois… et je la reprenais pour redescendre. Notre instituteur de cinquième était Monsieur Stevens, qui allait devenir directeur des écoles communales d’Ougrée.

En fin d’études primaires, toutes les sixièmes de la commune étaient réunies à Ougrée, pour participer au grand concours final. Hélas, nous les élèves de l’école du Perron, nous fûmes handicapés, car notre maître, Monsieur Sauvenier père, avait omis de nous enseigner les intérêts composés ! Evidemment, il y eut un problème dans cette matière… Conséquence : je retombai à la 24ème place… mais sur plus de cent élèves. L’effectif de 72 élèves en première année avait fortement diminué d’année en année, car -ne l’oublions pas- l’instruction n’était pas obligatoire à cette époque ! Elle ne le devint qu’en 1914. L’absentéisme était donc important, comme l’abandon en cours de route, de nombreux parents n’étant guère exigeants. Et l’art de l’école buissonnière était florissant !

Mais les filles et les autres garçons, où allaient-ils à l’école, me demanderez-vous ? Les enfants des belles villas du Parc n’allaient pas à l’école. Ils avaient pendant cinq ans, des précepteurs qui venaient les instruire à domicile. Ensuite, ils descendaient en ville, au Collège ou à l’Athénée, pour y accomplir une “septième” qui les préparait à entreprendre les Humanités. Les garçons des autres quartiers descendaient aux “Rivageois”, à “Don Bosco” ou vers Saint-Gilles. Il y avait bien, à l’hospice de la Vieille-Montagne, dirigé par les Sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, un orphelinat où une bonne-sœur à grande cornette blanche donnait la classe aux petits orphelins, mais les enfants de Cointe n’y étaient pas admis.

Pour les filles, il y eut d’abord l’école de Bois-l’Evêque, attenante au pensionnat tenu par les Dames du Sacré-Cœur. Dès 1865, cette école gratuite compta bientôt plus de cent élèves qui recevaient à la fois -nous apprend Gobert- un enseignement primaire et professionnel. Dès octobre 1866 lui fut adjoint le pensionnat de Demoiselles. Voici en quels termes – dans le journal “La Meuse” du 21 juin 1989 – Julie Amandine Sourdon,une Tilleurienne de 85 ans, nous parle de cette école gratuite qu’elle fréquenta avec ses sœurs Marguerite et Julie :

…l’école du Couvent de Bois-l’Evêque à Cointe. Il a brûlé et c’est bien dommage, c’était une si belle école. Je n’étais pas une bonne élève, je n’aimais pas l’école et puis surtout, on ne m’obligeait pas à y aller. Nous mettions une heure pour aller à pied de Saint-Gilles Plateau, où nous habitions, jusqu’à Cointe. Il y avait en fait deux écoles : celle pour les “Mademoiselles Riches” et puis celle des pauvres. Quand nous étions gentilles, les Sœurs nous emmenaient voir les riches qui nous donnaient des vêtements. C’était la seule fois où nous les rencontrions. Ma sœur fréquenta cette école et elle me raconta que chaque écolière avait, au pensionnat, une “marraine” qui la recevait chaque premier vendredi du mois pour lui offrir un don. Je sais aussi que pendant la guerre de 1914, le Consul des Etats-Unis vint y présider une distribution de secours. Et on avait appris aux enfants -pour l’accueillir et le remercier- à crier “Vive l’Amérique”! “

Ecole communale de Cointe © pss-archi.eu

Il y eut aussi un pensionnat place du Batty, “Maria Immaculata” qui allait devenir plus tard le “Chanmurly“. C’est lorsque Cointe fut érigé en paroisse que Monsieur le Curé y adjoignit une école gardienne et une école primaire pour filles. L’école communale du boulevard Kleyer n’accueillit ses premiers élèves qu’en 1911, en commençant par les classes inférieures, les classes s’ajoutant d’année en année. S’il y avait eu une sixième année en 1911, j’y serais allé pour ne plus me “taper” les quatre trajets quotidiens de Sclessin. Elle débuta dans un baraquement qui se trouvait dans l’allée qui longe la plaine des sports et qui aurait survécu – selon les uns – à l’Expo de 1905. Quant à moi, j’ai toujours entendu dire que ce baraquement nous venait de l’Expo de Bruxelles 1910. Hormis le kiosque à musique, il ne subsistait rien, à Cointe, de l’ancienne exposition.

Mon école primaire terminée, je poursuivis mes études secondaires au collège Saint-Servais, me tapant à pied, quatre fois par jour, le trajet Observatoire-Saint-Servais !… Je n’eus mon premier vélo qu’à l’âge de 19 ans ! Mes études terminées, j’entrai à l’Université en qualité de commis, puis en 1925, je fus promu appariteur à la faculté des Sciences, place du Vingt-Août.

Ce que les Cointois ignorent, c’est que l’école Saint-Maur a débuté dans la maison du curé, sise à l’entrée de la rue du Batty, côté gauche. Le jardin donnait sur un terrain vague où est aujourd’hui la villa numéro 13 de l’avenue de Cointe. C’est sur ce terrain que les élèves allaient en récréation.

Au début du siècle, mon père faisait partie du “Cercle des Montagnards de Cointe”. Ces joyeux compagnons avaient leur local dans l’atelier du président, le menuisier Ranquet, rue du Batty. C’était un groupe folklorique de joueurs de cartes qui s’occupaient un peu de tout sur le Plateau : un petit comité de quartier avant la lettre, si l’on peut dire !

Or, les Cointois étaient mécontents du Curé, l’abbé de Gruyter, un riche Hollandais qui avait dédié la nouvelle paroisse à Notre-Dame de Lourdes, détrônant “Saint-Maur”, si cher aux Cointois. Nos “Montagnards” envoyèrent donc une délégation “protestataire” au Curé. Celui-ci leur répondit que la Vierge Marie étant bien plus connue que Saint-Maur, il l’avait choisie, mais que, pour faire plaisir à ses paroissiens, il dénommerait sa nouvelle école, “Ecole Saint-Maur”.

C’est cette même année – en 1912 – que Monsieur le Curé, me rencontrant, me dit : “Alors Georges, j ‘espère que tu vas venir à ma nouvelle école ?” Je lui rétorquai : “Trop tard, Monsieur le Curé, je l’ai attendue six ans votre école ! Maintenant, je vais aller à Saint-Servais !”

Il y avait alors à Cointe, un jeune architecte fort compétent, Albert Guilitte, qui avait réalisé un projet d’église destiné à remplacer le baraquement-chapelle de la rue du Chera, projet qui fut exposé chez le boulanger Kordel, avenue de l’Observatoire. Mais notre curé hollandais, en bon Hollandais, avait contacté un architecte hollandais, ce qui mécontenta -vous vous en doutez- Albert Guilitte. Aussi, celui-ci, contacté plus tard pour réaliser les plans de la nouvelle école, refusa tout net !

Pour accéder à l’école, construite sur un terrain offert par la famille Collinet, le curé acheta une parcelle libre, rue du Loup, plus tard rue des Hirondelles. Evidemment, la création de cette nouvelle école ne fut pas du goût de certains habitants non-pratiquants de cette rue. Aussi ces derniers organisèrent-ils un “charivari” de protestation à l’ouverture des nouveaux locaux. Je tiens ce fait de mon ami Rouvroy qui me dit ce jour-là : “Il faut que je te quitte car je dois aller “pèl’ter” près de la nouvelle école Saint-Maur”… C’est que nos “tièsses di hoye” cointoises avaient les “cheveux près du bonnet” à cette époque !

C’est ainsi qu’à Sclessin, en 1909, des manifestations eurent lieu dans les rues, pour protester contre l’exécution, en Espagne, de Francisco Ferrer, fondateur de “l’Ecole Moderne“. A l’école du Perron, le cours de religion était donné par un vicaire et le sacristain Jamoulle. Un jour, le vicaire ne vint pas. Nous apprîmes que la veille, les deux vicaires avaient été lapidés par les manifestants. Et, le 29 octobre de la même année, le conseil communal d’Ougrée décidait de débaptiser la “Place du Nord” que tout un chacun appelait “Place de l’Eglise”, et de la dénommer “Place Francisco Ferrer”. Bien vite, à l’école, les instituteurs furent obligés de commencer les cours en s’efforçant de dissuader les enfants de prendre pour cibles les nouvelles plaques fixées sur l’église et rendues illisibles par les mêmes pierres qui furent probablement jetées sur les vicaires…

Couvent des Filles de la Croix et verger © histoiresdeliege.wordpress.com

Et nos jeux à l’époque ?… Certes, nous jouions à la “puce“, à la “cachette“, aux billes, à saute-mouton, etc., mais, avec le Standard à Sclessin et le Football Club Liégeois, avenue du Hêtre, c’était déjà le “foot” qui était roi. Dès que la neige faisait son apparition, toutes les belles descentes de Cointe étaient envahies par les traîneaux, au grand dam des policiers du quartier. Ces descentes vertigineuses provoquèrent pas mal d’accidents, particulièrement au “Saut-de-la-Mort” où les descendeurs déboulaient dans l’avenue de l’Observatoire et coupaient la ligne du tram de Cointe !

Personnellement, je me souviens d’une fillette qui fut vilainement blessée à la jambe par un de ces petits piquets de fer destinés à interdire l’accès des pelouses du parc. Pendant la guerre 14-18, une sentinelle allemande, de faction rue Mandeville, au bas de la rue Saint-Maur où se trouvait une cabine d’aiguillages de la gare des Guillemins, fut fauchée et tuée par un traîneau qui dévalait la rue Saint-Maur. La “petite histoire” ne nous dit pas si le maladroit pilote de cette arme nouvelle fut décoré après la guerre !

Mais le grand sport, à la saison des fruits, c’était la maraude qui se pratiquait dans les jardins des villas, les vergers des fermiers ou des “cotis” ou encore dans les anciens vergers du Champ des Oiseaux qui avaient été expropriés pour l’expo de 1905, et dont les arbres fruitiers étaient toujours debouts. Toutefois, notre endroit préféré, c’était le jardin du Couvent des Filles de la Croix, auquel nous accédions en sautant le mur du côté de la plaine des sports.

Pendant ma vie de jeune écolier, ce qui me dérangea le plus, ce furent les grandes vacances. A Cointe, elles avaient lieu en juillet et août, à Sclessin-Ougrée, en août et septembre, ce qui me laissait un mois sans mes bons copains du Plateau. Pourquoi cette différence ? Mais parce que, malgré l’industrialisation et la diminution des cultures, une ancienne réglementation qui était d’application lorsque Sclessin était encore essentiellement rural, voulait que les vacances puissent permettre aux petits Sclessinois de participer à l’arrachage et au ramassage des pommes de terre.”

Georges FRANSIS

  • illustration en tête de l’article : Vestiges de l’ancienne école communale de Sclessin, rue du Perron © Philippe Vienne

Brochure éditée par “ALTITUDE 125”, la Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’ Avroy.


 

 

ILLICH : L’école enseigne à l’enfant qu’il doit être inévitablement classé par un bureaucrate

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Ivan Illich à son domicile en 1976 © Bernard Diederich / LIFE

“Aujourd’hui, les mots éducation et école sont devenus quasiment synonymes. Pourtant, l’école ne représente qu’une infime partie de l’histoire de l’éducation. Comment cet amalgame a-t-il pu se produire ? Pourquoi en sommes-nous arrivés à croire que l’éducation de nos enfants devait relever de la responsabilité de l’État ? Quelles logiques sont à l’oeuvre derrière cette vaste entreprise de normalisation des masses ? En 1972, dans un décor peuplé d’oiseaux, au micro de Roger Kahane, Ivan ILLICH (1926-2002) partageait ses observations, ses analyses après un séjour de quatre années à Puerto Rico. Le tutoiement est de mise.

Il faut substituer une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter. Il faut libérer la jeunesse de cette longue gestation scolaire qui la conforme au modèle officiel. Alors, les nations pauvres cesseront d’imiter cette coûteuse erreur.

Ivan Illich

L’école obligatoire, la scolarité prolongée, la course aux diplômes, autant de faux progrès qui consistent à produire des élèves dociles, prêts à consommer des programmes préparés par les “autorités” et à obéir aux “institutions”. À cela il faut substituer des échanges, dit Ivan Illich, entre “égaux” et une véritable éducation qui prépare à la vie dans la vie, qui donne le goût d’inventer et d’expérimenter.

A l’école, l’enfant apprend avant tout qu’apprendre est le résultat d’un processus d’une institution officielle. Il apprend que, d’année en année, on acquiert de la valeur, parce qu’on accumule plus de bien non tangible. On apprend que ce qui est valable à apprendre, ce qui servira plus tard à la société, c’est ce qui est transmis par quelqu’un qui est “professionnel”. On apprend qu’enseigner, si on n’est pas professionnellement instituteur, est en quelque sorte moins valable. L’école inévitablement introjecte le capitalisme, la capitalisation du savoir. Parce qu’il est le capitaliste en savoir, qui peut démontrer avec les certificats ce qu’il a accumulé intérieurement et auquel la société reconnait une valeur sociale supérieure.

Ivan Illich

Implacable critique de la société industrielle, Ivan Illich a démontré qu’au-delà d’un certain seuil, les institutions se révèlent contre-productives et a dénoncé la tyrannie des “besoins” dictés par la société de consommation. Il fut l’un des premiers à voir dans l’aide au développement une tactique pour généraliser le productivisme et y acculturer les peuples. À cette idée comme à celle de croissance, véritables “assauts de l’économie contre la condition humaine“, il oppose une ascèse choisie et conviviale, un mode de vie qui entremêle sobriété et générosité.

Pour écouter le podcast de l’émission de Philippe Garbit sur FRANCECULTURE.FR (2 mai 2017)


D’autres discours sur les hommes et/ou les petits d’homme…