HUME : Dans le vif de l’expérience

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[d’après PHILOMAG.COM, 25 octobre 2007] David Hume fait valoir la supériorité des sensations et des affects sur les idées qui n’en sont plus que de pâles copies. Il démonte nos habitudes de pensée et en tire le principe de sa philosophie.

L’écossais David HUME (1711-1776) sous-titre son Traité de la nature humaine, “Essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets moraux“. Référence explicite à Isaac Newton, la méthode empiriste donne la priorité à l’expérience. La “science de la nature humaine” que le philosophe entend constituer ne pourra jamais que remonter aux principes les plus généraux, sans prétendre atteindre les qualités ultimes de la nature humaine. Empiriste et phénoméniste, celui qui a réveillé Emmanuel Kant de son “sommeil dogmatique” rejette toute idée et tout concept philosophique qui ne renvoient pas à une origine expérimentale.

[…] Il n’est pas besoin de posséder un savoir bien approfondi pour découvrir l’état imparfait qui est actuellement celui des sciences : même la multitude, au-dehors des portes, peut juger, au bruit et à la clameur qu’elle entend, que tout ne va pas bien au-dedans. Il n’est rien qui ne soit un sujet de débat et à propos de quoi les savants ne soient pas d’opinions contraires. La question la plus insignifiante n’échappe pas à nos controverses, et nous sommes incapables de décider avec certitude des questions les plus importantes. Les discussions se multiplient, comme si tout était incertain, et ces discussions, on les tient avec le plus grand enthousiasme, comme si tout était certain. Au milieu de tout ce remue-ménage, ce n’est pas la raison qui l’emporte, mais l’éloquence ; et nul ne doit jamais désespérer de gagner des prosélytes à l’hypothèse la plus extravagante, s’il possède assez d’art pour la représenter sous des couleurs favorables. La victoire n’est pas remportée par des hommes en armes, qui manient la pique et l’épée, elle l’est par les trompettes, les tambours et les musiciens de l’armée. […] Dès lors, voici le seul moyen dont nous puissions attendre le succès de nos recherches philosophiques : délaisser la méthode lente et ennuyeuse que nous avons suivie jusqu’ici et, au lieu de prendre de temps à autre un château ou un village à la frontière, marcher directement sur la capitale, sur le centre de ces sciences, sur la nature humaine elle-même ; une fois que nous en serons maîtres, nous pourrons espérer partout ailleurs une victoire facile.

Traité de la nature humaine, Livre I, Introduction (1739)

Croyance

© Gary Brown – Science Photo Library

Comment savons-nous que la table existe indépendamment de nous ? qu’elle reste la même quand nous ne la voyons plus ? que le feu brûle toujours et que la glace toujours nous rafraîchit ? Beaucoup de nos prétendus “savoirs” ne sont en fait que des croyances. Si nous pouvons avoir une certitude démonstrative des relations entre nos idées (les mathématiques en donnent l’exemple), la certitude que nous avons quant aux “choses de fait” n’est pas telle. Elle existe pourtant bien comme phénomène de certitude “subjective“ : c’est la croyance. On a qualifié à juste titre la philosophie de Hume d’”enquête sur la croyance” tant cet objet traverse les domaines de sa recherche. Le lecteur rencontre tout d’abord cette notion au cœur de l’explication sceptique de la connaissance des causes : pourquoi attendons-nous que tel phénomène surgisse à la suite de tel autre, alors que rien dans les idées de ces phénomènes ne permet une telle inférence, alors que l’expérience passée ne peut stricto sensu “faire règle pour l’avenir“ ? Hume répond qu’il s’agit d’un cas de croyance, qu’il explique par le transfert de la “vivacité” du phénomène actuel à son corrélat habituel. Dès lors, en amont de cette analyse, nous pouvons reconnaître une “croyance sensible” dans la vivacité de l’impression : avoir une impression sensible, c’est croire indubitablement à l’existence de l’objet. L’homme est un animal qui croit bien plus qu’il ne sait, qui ne peut que croire. Ce qui d’ailleurs suffit à la tâche principale, celle de conduire son existence. Encore faut-il faire la part entre croyances recevables, ou connaissances expérimentales probables, et croyances superstitieuses, ou délires de notre imagination.

Causalité

En mettant en question l’évidence de la relation de cause à effet, David Hume porte atteinte à l’un des principaux présupposés du rapport de l’homme au monde et à lui-même. Cette relation est d’abord une tendance de l’esprit humain : nous associons nos idées selon leur ressemblance, selon les circonstances de leur apparition (contiguïté spatiale ou temporelle) et selon la relation de cause à effet. Les deux premières associations dépendent d’un donné, intellectuel ou empirique, que la troisième dépasse toujours : affirmer qu’un fait est la cause d’un autre revient à établir entre eux un lien d’implication, une “connexion nécessaire“. Que vaut, philosophiquement, cette opération ? C’est une outrance, si l’on remarque que rien dans les idées et rien dans l’expérience n’autorise le passage d’une conjonction constante – le soleil s’est toujours levé – à une connexion nécessaire – le soleil se lèvera demain. Comment en venons-nous à penser par causes et effets ? Et quelle est la valeur de telles inférences ? Hume propose de donner à ses doutes une solution sceptique, rapportant la croyance causale à l’effet d’habitude produit par la répétition des conjonctions. Il suggère que notre croyance aux causes a elle-même sa cause, ce qui n’est pas sans faire problème, mais signifie surtout qu’il ne rejette pas notre façon ordinaire de comprendre le monde. Elle constitue un savoir moins certain que la connaissance démonstrative, mais doté du degré de probabilité le plus élevé quand toute l’expérience passée plaide pour ce que nous en inférons. Scepticisme “mitigé“, c’est-à-dire s’appliquant aussi au scepticisme lui-même : les questions que posent notre connaissance empirique n’empêchent pas la constitution d’une “science sceptique” à visée pragmatique.

Idées et impressions

Les impressions et les idées sont, pour David Hume, les seuls contenus mentaux (ou, dans son vocabulaire, “perceptions de l’esprit“). Selon cet empiriste radical, nous n’avons jamais affaire qu’à nos perceptions, qui ne sont pas sur le même pied : les idées n’ont que le rang de “copies” ou de “traces” (mnésiques) des impressions, qui sont incomparablement plus “vives” que les idées. Le rapport sensible-intelligible de Platon se trouve ici inversé, et cette notion de “vivacité” pose question. Une perception “vive” manifeste une force de conviction sans pareille, de sorte que nous sommes “sans distance” à son égard  : impressions des sens (“de sensation“), émotions et passions (“impressions de réflexion“, c’est-à-dire subséquentes) ont une “force” caractéristique. Dans la lecture, par exemple, les sensations de voir, de toucher, de prendre plaisir au livre se distinguent, sous cet aspect, des représentations que le texte lu suggère. La pensée, au sens le plus large, consiste en associations d’idées, sachant que l’esprit, libre de relier les idées selon sa fantaisie, a néanmoins tendance à certaines liaisons régulières, les associations par ressemblance, contiguïté dans le temps ou l’espace et causalité. Trois principes qui suffisent, pour le philosophe écossais, à rendre compte de notre fonctionnement mental. Mais la théorie des impressions et des idées lui fournit aussi le principe de sa pensée de la croyance avec la notion (problématique) d’”idée vive“.

Passion

Les passions appartiennent, pour le philosophe écossais, à l’ensemble des impressions, événements mentaux dotés d’une “vivacité” incomparable. Tous les états affectifs, de la simple propension à l’obsession prédominante, se rangent dans cette catégorie d’impressions à laquelle il consacre le livre II du Traité. D’une part, il dit que les passions sont des impressions “de réflexion“, ce qui signifie qu’elles constituent des réactions aux sensations qui les précèdent (désir, crainte, aversion, etc.). D’autre part, Hume les décrit comme des “modifications originelles de l’existence“, ce qui met en valeur leur puissance de détermination (le mode de leur vivacité). Quand les passions directes entretiennent un rapport simple au plaisir et à la douleur (désir, aversion, joie, tristesse, espoir et crainte), les passions indirectes, plus complexes, associent la qualité d’une cause, l’idée de l’objet relié à cette cause, la sensation pour cette qualité et la passion correspondante. Autrement dit, l’amour, la haine, l’orgueil et l’humilité “produisent” leur objet : le moi ou autrui. Enfin, l’analyse humienne fait apparaître la catégorie des “passions calmes“, préférences déterminant des jugements plutôt que des agissements, parmi lesquelles le sens moral, le goût ou même… la raison.

Vertu

Dans sa morale, Hume refuse de définir le bien et le mal in abstracto. Ce sont les dispositions généralement approuvées, ou vertus, qui décrivent le bien (et inversement pour le mal), à partir des intentions manifestées par les agents (et interprétées par les spectateurs). Les vertus “naturelles” sont des passions approuvées (la bienveillance, la magnanimité) ; les vertus “artificielles” sont conformes à un système conventionnel d’intérêt commun (la justice, la fidélité politique ou conjugale). L’obligation à la pratique vertueuse est toujours “naturelle“, produite par une passion, y compris l’intérêt personnel.

Dans le cas des vertus artificielles, l’obligation est “morale“ : elle provient de l’approbation générale de la conformité aux règles. Héritier de la grande tradition “sentimentaliste” anglo-écossaise, David Hume rend possibles plusieurs développements importants en philosophie morale : l’expressivisme, l’utilitarisme ou, plus proche de lui, le travail d’Adam Smith sur la figure du “spectateur moral“.

Convention

Deux rameurs qui tirent au même rythme leur aviron accordent leur mouvement de façon spontanée, sans avoir besoin de se mettre d’accord sous la forme d’un contrat, ni même de se lier par aucune promesse. L’accord de mouvement synchronisé est né sans qu’ils y prêtent attention, par “convention” note Hume. Cette notion apparaît dans le troisième livre du Traité de la nature humaine, qui porte comme titre La Morale. Elle répond à une question, celle de “la manière dont les règles de justice sont établies par l’artifice des hommes“ ; question qui fait écho à un problème, celui d’une nature humaine caractérisée par des “besoins et nécessités innombrables” et, en même temps, par “des moyens insuffisants pour y parvenir“. La solution du problème, c’est la vie en société, et Hume propose l’idée d’une mise en place progressive. Car tout contrat social supposé à l’origine des états civils est, pour lui, une fiction théorique. Les hommes ont déjà fait l’expérience de la vie sociale dans la vie familiale : aussi trouvent-ils spontanément le mode d’accord (sur la propriété, sur son transfert) qui leur permet de dépasser les conflits d’intérêt.

© Marion Brosse

S’il faut penser l’origine des sociétés en termes d’intérêt personnel à la coopération, on peut substituer à cette “illusion rétrospective” l’idée d’une conjonction des intérêts. Une convention est la découverte commune d’un terrain d’entente, d’un mode de relation profitable aux partenaires, d’un artifice utile. Au fond, Hume met l’accent sur l’accord et non sur l’échange d’engagements. Un accord qui ne nécessite aucun plan préalablement négocié puis conclu (ainsi les rameurs), aucune verbalisation (le langage ne peut se précéder lui-même), ni même un équilibre dans l’échange (comme la pièce de monnaie “vaut pour” quelque chose d’une plus grande valeur). Promesses et contrats ne sont jamais que des sortes de conventions, “expresses” et destinées à pallier l’incertitude de l’avenir. Plus fondamentale, la notion de convention sert de “clef” pour comprendre la coopération sociale et la constitution commune de croyances, d’attentes et de valeurs partagées.

Goût

Comme beaucoup de ses contemporains, Hume rapproche le jugement esthétique (ou jugement de goût) et le jugement moral : tous deux sont prononcés par un plaisir (ou un déplaisir) d’un genre particulier. Dans l’un de ses essais les plus subtils (De la norme du goût), il repousse l’idée que la beauté puisse être une qualité des choses. Mais tout n’est pas pour autant “de bon goût” pourvu que cela corresponde au goût de quelqu’un. Il y a tout de même “certains principes généraux d’approbation et de blâme” au milieu de la variété des goûts possibles. Mais de tels principes ne reconstituent-ils pas des “canons de la beauté“ ? L’une des originalités de l’essai se trouve dans la proposition, en guise de réponse, d’un portrait : celui de l’homme de goût, de l’esthète. Il y a des experts, au jugement plus sûr, parce qu’ils ont accumulé une expérience, savent comparer et se déprendre de la “mode“. La délicatesse du goût est aussi une perfection de grande valeur pour l’existence, puisqu’elle nous protège des malheurs de la “délicatesse de passion“. L’une comme l’autre augmentent l’intensité de nos plaisirs et de nos peines, mais la première nous oriente vers l’inépuisable fonds d’expériences esthétiques possibles, quand la seconde nous livre à la contingence des rencontres heureuses ou malencontreuses…

Religion naturelle

Est appelée “religion naturelle” la thèse philosophique qui prétend justifier rationnellement quelques vérités religieuses, au premier rang desquelles l’existence de Dieu. Ainsi appuyé sur la seule autorité de la raison, ou “lumière naturelle“, le théisme pourrait se passer de la tutelle d’interprètes autorisés et se distinguer des formes “faibles” de croyance. Hume oppose souvent la philosophie, la méthode philosophique et les conclusions qui sont les siennes, à la superstition. Il n’en conteste pas moins la “religion des savants“, en particulier dans les Dialogues sur la religion naturelle. Ce livre donne un très bon exemple de ce type d’écriture philosophique qui oppose des thèses par l’intermédiaire de protagonistes fictionnels. Deux théismes s’y opposent : l’un est nourri d’arguments a priori, l’autre de la considération du monde (argumentation a posteriori). Dans cette audacieuse mise en scène, l’analyse critique des thèses de la religion naturelle conclut à la faiblesse de toute pensée des “causes finales” et à l’accointance de la “religion des savants” avec celle des ignorants.

Philippe SALTEL, philomag.com

Pour aller plus loin

© Vrin
Les œuvres de David Hume
      • Traité de la nature humaine : premier ouvrage du philosophe, en trois volumes, le Traité a d’abord reçu un accueil discret avant d’être reconnu comme l’une des contributions majeures à l’histoire des idées.
        • L’Entendement, livre I et appendice ;
        • Les Passions, livre II ;
        • La Morale, livre III.
      • Enquête sur l’entendement humain : cette reprise condensée du premier livre du Traité est l’ouvrage le plus lu de Hume, souvent considéré comme renfermant la quintessence de sa pensée.
      • Dialogues sur la religion naturelle : œuvre posthume dans laquelle le philosophe attaque aussi bien les fondements de la religion que la croyance en la toute-puissance de la raison, que développaient les encyclopédistes et les tenants de la religion naturelle.
      • Essais moraux, politiques et littéraires : où l’on découvre la verve de l’amateur de salons, qui affûte son esprit sur le mariage, le suicide, la liberté de la presse ou les partis politiques.
      • Essais esthétiques : des textes subtils, consacrés à l’éloquence, à la norme du goût ou au raffinement, qui témoignent d’une esthétique expérimentale.
L’œuvre commentée
      • Le Vocabulaire de Hume, de Philippe Saltel : pour se familiariser avec les notions clés de sa pensée empirique.
      • Empirisme et Subjectivité. Essai sur la nature humaine selon David Hume, de Gilles Deleuze : dans cet ouvrage exigeant, le philosophe montre comment, avec Hume, l’empirisme ne se définit plus seulement par l’origine sensible des idées, mais par la substitution plus radicale de la croyance au savoir.
      • David Hume. Une philosophie des contradictions, de Jean-Pierre Cléro : pour une étude approfondie de la philosophie humienne.
      • Hume et la fin de la philosophie, d’Yves Michaud : pour prendre la mesure de la rupture introduite par le penseur écossais dans l’histoire de la philosophie.
      • La Philosophie empiriste de David Hume, de Michel Malherbe : cette étude pointue est la plus complète de la pensée du philosophe.
      • Hume et la naissance du libéralisme économique, de Didier Deleule : pour comprendre les fondements philosophiques d’une doctrine économique.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : philomag.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : RAMSAY Allan, Portrait de David Hume (1766) © DP ; © Gary Brown/Science Photo Library ; © Marion Brosse ; © Editions Vrin.


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CONDILLAC : L’éveil de la statue

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[d’après PHILOMAG.COM, 31 août 2012] En imaginant l’éveil d’une statue de marbre, le philosophe sensualiste Étienne Bonnot de CONDILLAC explore le problème de la connaissance de soi.

C’est une statue de marbre, mais elle est “organisée intérieurement comme nous.” Elle est inerte, froide, sans vie. Soudain, elle s’anime et nous suivons les modifications dont elle devient le théâtre. Que se passe-t-il ? En s’éveillant, la statue découvre d’abord la sensation. Elle est envahie par des odeurs, des sons, des images. Elle sent, elle entend, elle voit. Mais, absorbée par ces sensations nouvelles, la statue se fond avec tout ce qui l’entoure : sentant une rose, elle “sera cette odeur de rose“, nous dit Étienne Bonnot de Condillac, philosophe sensualiste du XVIIIe siècle. La statue fraîchement éveillée ne connaît alors ni son corps ni les corps extérieurs, incapable de les démêler dans ces sensations confuses.

Sensation

Première selon Condillac, la sensation permet d’engendrer la connaissance de soi et des autres corps, ainsi que les facultés humaines. L’exemple de la statue illustre cette hypothèse en plaçant le lecteur dans la situation propre au dénuement de la naissance.

Condillac (1714-1780)

Cependant, la statue jusqu’alors immobile commence à se mouvoir. Elle bouge sa main, la pose sur le corps qu’elle ignore être le sien : elle se touche. Elle sent la “solidité” de sa peau contre sa main, et découvre qu’il existe quelque chose hors d’elle-même puisque “le propre de cette sensation est de représenter à la fois deux choses qui s’excluent l’une hors de l’autre“. En se touchant, la statue découvre d’abord l’extériorité, car le contact de sa peau lui fait en même temps sentir l’écart, la séparation. Mais elle sent en même temps autre chose, d’intime et de confus : ce qu’elle touche, c’est elle, sa peau, son corps. En se touchant, elle se sent à la fois touchant et touchée, car “en distinguant la poitrine de sa main, la statue retrouvera son moi dans l’une et dans l’autre, parce qu’elle se sent également dans toutes deux.” La statue vient de découvrir qu’elle avait un corps, mais ne pourrait jamais en reconnaître l’unité si, “sous sa main“, “une continuité de moi” ne remplaçait la contiguïté des membres touchés.

Solidité

C’est une sensation donnée par le toucher qui nous permet de distinguer les corps, parce que nous sentons, à travers elle, la résistance que se font deux corps qui s’excluent mutuellement. Avec elle commencent pour la statue “son corps, les objets et l’espace.

En mettant en scène l’éveil progressif d’une statue à la sensibilité, Condillac introduit dans le Traité des sensations une expérience de pensée insolite où le philosophe rejoint Pygmalion. Pourquoi la statue ? pourquoi ce détour par ce qui ne sent ni ne connaît pour explorer la lente émergence de la conscience de soi et de la connaissance du monde ? Parce que la statue permet au penseur de faire cette table rase dont le sujet sentant et pensant est incapable, parce qu’il faut remonter en deçà de la conscience et de la sensibilité pour trancher la question délicate de l’origine : origine du sentiment, origine des facultés et encore origine des idées.

Avec sa statue, Condillac expose une idée novatrice et audacieuse : contre ceux qui, comme Descartes, postulent l’existence des facultés et des idées innées (créées avec nous par Dieu), il démontre que c’est la sensation qui découvre au sujet son identité, et engendre toutes les facultés humaines comme la mémoire, l’entendement ou bien la volonté. Au faux commencement imaginé en Dieu, Condillac oppose la véritable origine ancrée en chacun : la sensation.

Cécilia Bognon-Küss, philomag.com


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : philomag.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : statue du Camposanto de Pise © Patrick Thonart.


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