CHEVREUILLE, Raymond (1901-1976)

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Raymond Chevreuille débute sa formation musicale à l’école de musique de Saint-Josse-ten-Noode puis entre au Conservatoire royal de Bruxelles pour l’étude de l’harmonie. Dans cette discipline, il obtient un second prix dans la classe de Gabriel Minet en 1922 et un premier prix dans la classe de François Rasse en 1924. Il quitte très rapidement l’institution pour parfaire son apprentissage en autodidacte.

Engagé à l’Institut National de Radiodiffusion en 1936, il y travaille comme spécialiste de la prise de son et y acquiert une solide compétence dans les domaines de l’orchestration et de l’acoustique musicale. Il donnera aussi quelques cours à l’école de musique de Saint-Josse-ten-Noode. En 1956, il devient directeur des programmes francophones, fonction qu’il occupera jusqu’à la retraite en 1966.

Raymond Chevreuille a composé tant pour le concert que pour le théâtre, l’opéra ou la radio avec le souci constant de sortir des sentiers battus en multipliant les recours à l’atonalité, la polytonalité ou la modalité, sans jamais s’obstiner à suivre une de ces voies exclusivement. C’est à l’expression qu’il accorde une importance primordiale; non pas dans un but spécifiquement descriptif, mais guidé par le besoin de suggérer ou d’évoquer des sentiments. Il en résulte un style encore proche de l’impressionnisme français, mais libéré du poids subjectif et incorporant des mélodies plus anguleuses et des harmonies plus denses.

C’est dans le cadre des Concerts Pro Arte, organisés à Bruxelles par Paul Collaer dans les années vingt, qu’il commence à s’intéresser à la musique contemporaine. Après s’être imprégné de l’œuvre de Richard Strauss et de celle d’Igor Stravinski, comme en ont témoigné quelques tentatives qu’il a préféré détruire, il inscrira ses premiers essais de composition dans la veine de l’expressionnisme viennois. C’est l’influence de Berg principalement qui le guidera et il sera un des premiers compositeurs belges à tenter l’écriture musicale sérielle.

Raymond Chevreuille s’autorise à signer son premier opus, un Quatuor à cordes, en 1928. Comme Schoenberg dans son deuxième quatuor opus 10, il ajoute une voix de soprano aux quatre archets. Son intérêt pour Berg est davantage sensible dans le Quatuor à cordes opus 5 (1934), surnommé par un critique Quatuor des aphorismes tant il rappelle la brièveté de Webern. Sa réputation s’installe assez rapidement et, dès 1934, il sera régulièrement joué au Festival de la Société internationale de Musique contemporaine. Le quatuor sera pour lui une forme privilégiée de recherches et de réflexions entre 1930 et 1945 ; il en composera six (op. 1, 5, 6, 13, 23, 32) ainsi qu’un quatuor de violoncelles (op. 24, 1942).

Au fil des opus, Raymond Chevreuille cherche un style propre en s’appliquant à la technique dodécaphonique et en tentant de se libérer des contraintes de la forme. En effet, si le compositeur s’est dans un premier temps conformé à la tradition d’une forme bien établie et structurée sur la base de l’opposition de thèmes, son goût pour l’expressionnisme de Berg l’a peu à peu mené à des conceptions plus libres au sein de compositions hantées par le monde des rêves, la psychologie, la solitude, les sentiments contradictoires. Raymond Chevreuille évoluera vers un langage chromatique qui s’appuie sur une hiérarchie de polarités, c’est-à-dire en accordant une prédominance à certains sons.

La musique pour orchestre occupe la plus grande place du catalogue de Raymond Chevreuille : trois concertos pour piano (op. 10, 1937; op. 50, 1952 ; op. 88, 1968), trois concertos pour violon (op. 19, 1941 ; op. 56, 1953 ; op. 86, 1965), deux concertos pour violoncelle (op. 16, 1940), un concerto pour trompette (op. 58/4, 1954), neuf symphonies (op. 14, 30, 47, 54, 60, 67, 68, 84, 95), des œuvres d’inspiration thématique dont Barbe Bleue (op. 42, 1949), Breughel, peintre des humbles (op. 82, 1963), Carnaval à Ostende (op. 72, 1959), Cendrillon (op. 33, 1946). Dans Breughel, peintre des humbles, il atteint toute sa mesure dans l’art de l’évocation sonore. Construite en cinq parties (Fanfare à la gloire de Breughel, le Repas de Noces, la Fenaison, les Jeux d’enfants, le Combat de Carnaval et de Carême), l’œuvre explore toutes les ressources de l’orchestre et adopte un style très contrôlé. Son double concerto pour saxophone et piano (à l’origine pour alto et piano, op. 34, 1946) révèle aussi une grande imagination thématique et une ingéniosité rythmique manifestement très sensible à l’influence du jazz.

La sensibilité de Raymond Chevreuille est très variée. Le climat poétique, souvent tendre, éthéré, se manifeste dans ses deux cantates, Evasions (1942) et Les saisons (1943), tandis que l’intensité dramatique ou l’expression grave caractérise surtout ses quatuors. Les œuvres plus proches de l’influence de Berg (la troisième symphonie, le deuxième concerto pour piano) sont d’un pessimisme plus amer. Cette diversité expressive se reflète également dans les choix de textes de Maurice Carême, Aragon, Franc-Nohain, Emile Verhaeren, saint François d’Assise, Joseph Weterings et P. de Clairmont.

Son intérêt pour l’orchestration et très probablement son expérience d’ingénieur du son ont éclairé ses choix très distingués en matière de couleurs instrumentales et d’alliages de timbres. C’est dans ce domaine qu’il a réalisé dans les années cinquante des combinaisons totalement inédites et très réussies. Dans ses deux grandes œuvres radiophoniques D’un diable de briquet op. 45 et L’Élixir du Révérend Père Gaucher op. 48 (d’après Alphonse Daudet, 1951), il a eu recours aux techniques expérimentales de musique électroacoustique. Raymond Chevreuille a également écrit un opéra de chambre, Atta Troll op. 51 (d’après H. Heine, 1952) et plusieurs ballets : Jean et les argayons op. 7 (1934), Cendrillon op. 33 (1946), Le Bal chez la potière op. 59 (1954).

Sa carrière de compositeur fut couronnée de nombreux prix et récompenses dont le Prix de l’Art populaire en 1944, le Prix de l’Académie Picard en 1946, le Prix Italia en 1950 pour D’un diable de briquet et il vit également son deuxième Concerto pour piano imposé au Concours Reine Elisabeth en 1952. Il reçut aussi de prestigieuses commandes, dont celle d’une symphonie par le Fonds Koussevitzky de la Library of Congress et celle d’une cantate sur des chants populaires belges, à la demande du Festival de Pittsburg. Raymond Chevreuille avait été élu membre de l’Académie royale de Belgique le 4 janvier 1973.

d’après CONCOURSREINEELISABETH.BE


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica | sources : concoursreineelisabeth.be | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :© discogs.com


PÄRT : Für Alina

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PÄRT, Arvo (né en 1935) Für Alina par Jeroen van VEEN
PÄRT Arvo, Für Alina par Jeroen van Veen © Brilliant

“Arvo Pärt naît le 11 septembre 1935 à Paide en Estonie, petite ville près de la capitale, Tallinn. En 1944, l’URSS occupe le pays. Elle y maintiendra son emprise plus d’un demi-siècle. Les compositeurs estoniens devront donc suivre les mêmes injonctions esthétiques autoritaires que les Russes.

Pärt entre au Conservatoire de Tallinn en 1954 où, à côté des cours de compositions de Heino Eller, on lui enseigne jusqu’aux sciences de l’athéisme. Il apprend seul la technique des douze sons, mal vue par le pouvoir soviétique (pour son formalisme bourgeois) dans un livre d’exercice d’Eimert et Krenek. Il travaille comme ingénieur du son à la radio, écrit ses premières musiques de film et ne cessera d’ailleurs jamais d’en composer (en témoignent des bandes originales récentes mais aussi des partitions préexistantes, ainsi Für Alina utilisé par Gus van Sant dans son Gerry en 2003 ou Fratres pour There will be blood en 2007). Ces musiques de film notamment, quand il quitte le Conservatoire en 1963, ont déjà fait de lui un compositeur professionnel depuis longtemps. Il était d’ailleurs salué, dès l’année précédente, aux côtés de seulement cinq autres compositeurs, lors du Festival moscovite de surveillance des œuvres créatives des jeunes compositeurs de l’Union pour sa cantate pour enfants Meie Aed (Notre jardin) et son oratorio Maailma samm, bien que son Nekrolog, par ailleurs, ait déplu par son emploi des douze sons (c’est la première œuvre sérielle estonienne). La mainmise esthétique du pouvoir n’est cependant plus si pesante depuis 1957 où le deuxième Congrès des compositeurs de l’Union, à Moscou, a vu le rejet du conformisme de la décennie précédente. Des programmes d’échange avec l’Ouest étaient alors imaginés et Schoenberg n’était plus absolument proscrit à partir de 1958 bien que l’année suivante, Chostakovitch mettait en garde les jeunes compositeurs polonais contre les “séductions du modernisme expérimental“. Durant les années soixante, Pärt peut ainsi tenter quelques nouvelles expériences sérielles (et être joué), dans ses deux premières symphonies notamment. Il se détourne bientôt lui-même du rigorisme des douze sons, et tente ensuite des collages. Si son Credo fera finalement scandale en 1968 ce sera moins pour son atonalisme partiel que pour sa profession de foi évidente.

Suit une sévère période de doute, aggravée de problèmes de santé : une crise existentielle et créative majeure. Le musicien s’impose lui-même des ascèses religieuses de silence contemplatif. Il se plonge dans l’étude des musiques françaises et franco-flamandes des XIVe, XVe et XVIe siècles. Il rejoint l’Église orthodoxe russe, prend Nora en seconde noce (1972). La santé s’améliore et l’année 1976 voit une renaissance nette : le nouveau style postmoderne, en rupture complète, est inventé (la même année que la création d’Einstein on the Beach de Glass et des premières œuvres postmodernes de Krzysztof Penderecki et Gorecki). Le musicien appelle ce style tintinnabuli (“petites cloches” en latin). Cette année et la suivante, singulièrement fécondes, engendrent les œuvres restées les plus célèbres : après le fondateur Für Alina viennent notamment les fameux Cantus in Memoriam Benjamin BrittenFratresSarah Was Ninety Years Old ou Tabula rasa.

Le nouveau style est d’abord autant rejeté par les avant-gardes de l’Ouest, pour sa tonalité naïve, que par le pouvoir soviétique, pour son mysticisme sous-jacent. En 1980, grâce à un programme d’ouverture qui délivre des visas aux juifs d’URSS (pour éventuellement rejoindre Israël), madame Pärt étant juive, le couple prend le train pour Vienne. Un représentant des éditions Universal les attend sur le quai (c’est une surprise). Le ménage devient autrichien et profitant d’une bourse d’échange allemande, s’installe définitivement à Berlin en 1981.

Les années suivantes jusqu’à nos jours verront le développement du nouveau style. Les années quatre-vingt, tout d’abord, privilégient les œuvres religieuses vocales. Pärt s’aventure hors du seul latin et met en musique des liturgies en allemand, anglais, russe. Sa célébrité s’assoie particulièrement dans le monde anglo-saxon (américain et anglais). À soixante-et-un ans, il est élu à l’American Academy of Arts and Letters. En mai 2003, il reçoit le Contemporary Music Award durant la cérémonie des Classical Brit Awards au Royal Albert Hall à Londres. Le 11 Septembre 2010, à l’occasion de son soixante-quinzième anniversaire, le Festival Arvo Pärt a lieu dans diverses villes estoniennes, renvoyant enfin la gloire planétaire à son pays d’origine…” [lire la suite sur BRAHMS.IRCAM.FR…]

Pour en savoir plus, visitez le site du Centre Arvo Pärt, ARVOPART.EE…


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