Téléphone, mail, notifications… : comment le cerveau réagit-il aux distractions numériques ?

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[THECONVERSATION.COM, 17 avril 2024] Aujourd’hui, les écrans et les notifications dominent notre quotidien. Nous sommes tous familiers de ces distractions numériques qui nous tirent hors de nos pensées ou de notre activité. Entre le mail important d’un supérieur et l’appel de l’école qui oblige à partir du travail, remettant à plus tard la tâche en cours, les interruptions font partie intégrante de nos vies – et semblent destinées à s’imposer encore davantage avec la multiplication des objets connectés dans les futures « maisons intelligentes ». Cependant, elles ne sont pas sans conséquences sur notre capacité à mener à bien des tâches, sur notre confiance en nous, ou sur notre santé. Par exemple, les interruptions engendreraient une augmentation de 27 % du temps d’exécution de l’activité en cours.

En tant que chercheuse en psychologie cognitive, j’étudie les coûts cognitifs de ces interruptions numériques : augmentation du niveau de stress, augmentation du sentiment d’épuisement moral et physique, niveau de fatigue, pouvant contribuer à l’émergence de risques psychosociaux voire du burn-out. Dans mes travaux, je me suis appuyée sur des théories sur le fonctionnement du système cognitif humain qui permettent de mieux comprendre ces coûts cognitifs et leurs répercussions sur notre comportement. Ce type d’études souligne qu’il devient crucial de trouver un équilibre entre nos usages des technologies et notre capacité à nous concentrer, pour notre propre bien.

Pourquoi s’inquiéter des interruptions numériques ?

L’intégration d’objets connectés dans nos vies peut offrir un contrôle accru sur divers aspects de notre environnement, pour gérer nos emplois du temps, se rappeler les anniversaires ou gérer notre chauffage à distance par exemple. En 2021, les taux de pénétration des maisons connectées (c’est-à-dire, le nombre de foyers équipés d’au moins un dispositif domestique connecté, englobant également ceux qui possèdent uniquement une prise ou une ampoule connectée) étaient d’environ 13 % dans l’Union européenne et de 17 % en France (contre 10,7 % en 2018).

Si la facilité d’utilisation et l’utilité perçue des objets connectés ont un impact sur l’acceptabilité de ces objets pour une grande partie de la population, les interruptions numériques qui y sont souvent attachées entravent notre cognition, c’est-à-dire l’ensemble des processus liés à la perception, l’attention, la mémoire, la compréhension, etc.

L’impact des interruptions numériques peut s’observer aussi bien dans la sphère privée que dans la sphère professionnelle. En effet, une personne met en moyenne plus d’une minute pour reprendre son travail après avoir consulté sa boîte mail. Les études mettent ainsi en évidence que les employés passent régulièrement plus de 1 h 30 par jour à récupérer des interruptions liées aux e-mails. Cela entraîne une augmentation de la charge de travail perçue et du niveau de stress, ainsi qu’un sentiment de frustration, voire d’épuisement, associé à une sensation de perte de contrôle sur les événements.

On retrouve également des effets dans la sphère éducative. Ainsi, dans une étude de 2015 portant sur 349 étudiants, 60 % déclaraient que les sons émis par les téléphones portables (clics, bips, sons des boutons, etc.) les distrayaient. Ainsi, les interruptions numériques ont des conséquences bien plus profondes que ce que l’on pourrait penser.

Mieux comprendre d’où vient le coût cognitif des interruptions numériques

Pour comprendre pourquoi les interruptions numériques perturbent tant le flux de nos pensées, il faut jeter un coup d’œil à la façon dont notre cerveau fonctionne. Lorsque nous réalisons une tâche, le cerveau réalise en permanence des prédictions sur ce qui va se produire. Cela permet d’adapter notre comportement et de réaliser l’action appropriée : le cerveau met en place des boucles prédictives et d’anticipation.

Ainsi, notre cerveau fonctionne comme une machine à prédire. Dans cette théorie, un concept très important pour comprendre les processus d’attention et de concentration émerge : celui de la fluence de traitement. Il s’agit de la facilité ou la difficulté avec laquelle nous traitons une information. Cette évaluation se fait inconsciemment et résulte en une expérience subjective et non consciente du déroulement du traitement de l’information.

Le concept de fluence formalise quelque chose que l’on comprend bien intuitivement : notre système cognitif fait tout pour que nos activités se déroulent au mieux, de la manière la plus fluide (fluent, en anglais) possible. Il est important de noter que notre cognition est motivée par une croyance qu’il formule a priori sur la facilité ou la difficulté d’une tâche et en la possibilité de réaliser de bonnes prédictions. Cela va lui permettre de s’adapter au mieux à son environnement et au bon déroulement de la tâche en cours.

Notre attention est attirée par les informations simples et attendues

Plus l’information semble facile à traiter, ou plus elle est évaluée comme telle par notre cerveau, plus elle attire notre attention. Par exemple, un mot facile à lire attire davantage notre regard qu’un mot difficile. Cette réaction est automatique, presque instinctive. Dans une expérience, des chercheurs ont mis en évidence que l’attention des individus pouvait être capturée involontairement par la présence de vrais mots par opposition à des pseudomots, des mots inventés par les scientifiques tels que HENSION, notamment lorsqu’on leur demandait de ne pas lire les mots présentés à l’écran.

Ainsi, une de nos études a montré que la fluence – la facilité perçue d’une tâche – guide l’attention des participants vers ce que leur cerveau prédit. L’étude consistait à comprendre comment la prévisibilité des mots allait influencer l’attention des participants. Les participants devaient lire des phrases incomplètes puis identifier un mot cible entre un mot cohérent et un mot incohérent avec la phrase. Les résultats ont mis en évidence que les mots cohérents, prédictibles, attiraient plus l’attention des participants que les mots incohérents.

Il semblerait qu’un événement cohérent avec la situation en cours attire plus l’attention et, potentiellement, favorise la concentration. Notre étude est, à notre connaissance, l’une des premières à montrer que la fluence de traitement a un effet sur l’attention. D’autres études sont nécessaires pour confirmer nos conclusions. Ce travail a été initié, mais n’a pas pu aboutir dans le contexte de la pandémie de Covid.

Les événements imprévus provoquent une rupture de fluence

Comme nous l’avons vu, notre système cognitif réalise en permanence des prédictions sur les événements à venir. Si l’environnement n’est pas conforme à ce que notre cerveau avait prévu, nous devons d’une part adapter nos actions (souvent alors qu’on avait déjà tout mis en place pour agir conformément à notre prédiction), puis essayer de comprendre l’événement imprévu afin d’adapter notre modèle prédictif pour la prochaine fois.

Par exemple, imaginez que vous attrapiez votre tasse pour boire votre café. En la saisissant, vous vous attendez a priori à ce qu’elle soit rigide et peut-être un peu chaude. Votre cerveau fait donc une prédiction et ajuste vos actions en fonction (ouverture de la main, attraper la tasse plutôt vers le haut). Imaginez maintenant que lorsque vous la saisissiez, ce ne soit pas une tasse rigide, mais un gobelet en plastique plus fragile. Vous allez être surpris et tenter d’adapter vos mouvements pour ne pas que votre café vous glisse entre les mains. Le fait que le gobelet plie entre vos doigts a créé un écart entre ce que votre système cognitif avait prédit et votre expérience réelle : on dit qu’il y a une rupture de fluence.

Les interruptions numériques perturbent notre système prédictif

Les interruptions, qu’elles soient numériques ou non, ne sont pas prévues, par nature. Ainsi, un appel téléphonique impromptu provoque une rupture de fluence, c’est-à-dire qu’elle contredit ce que le cerveau avait envisagé et préparé.

L’interruption a des conséquences au niveau comportemental et cognitif : arrêt de l’activité principale, augmentation du niveau de stress, temps pour reprendre la tâche en cours, démobilisation de la concentration, etc.

La rupture de fluence déclenche automatiquement la mise en place de stratégies d’adaptation. Nous déployons notre attention et, en fonction de la situation rencontrée, modifions notre action, mettons à jour nos connaissances, révisons nos croyances et ajustons notre prédiction.

La rupture de fluence remobilise l’attention et déclenche un processus de recherche de la cause de la rupture. Lors d’une interruption numérique, le caractère imprévisible de cette alerte ne permet pas au cerveau d’anticiper ni de minimiser le sentiment de surprise consécutif à la rupture de fluence : la (re)mobilisation attentionnelle est alors perturbée. On ne sait en effet pas d’où va provenir l’interruption (le téléphone dans sa poche ou la boîte mail sur l’ordinateur) ni ce que sera le contenu de l’information (l’école des enfants, un démarchage téléphonique…).

Des stratégies vers une vie numérique plus saine

Trouver un équilibre entre les avantages de la technologie et notre capacité à maintenir notre concentration devient crucial. Il est possible de développer des stratégies afin de minimiser les interruptions numériques, d’utiliser les technologies de façon consciente, et de préserver notre capacité à rester engagés dans nos tâches.

Cela pourrait impliquer la création de zones de travail sans interruption (par exemple la réintroduction du bureau conventionnel individuel), la désactivation temporaire des notifications pendant une période de concentration intense (par exemple le mode silencieux du téléphone ou le mode focus de logiciels de traitement de texte), ou même l’adoption de technologies intelligentes qui favorisent activement la concentration en minimisent les distractions dans l’environnement.

En fin de compte, l’évolution vers un environnement de plus en plus intelligent, ou du moins connecté, nécessite une réflexion approfondie sur la manière dont nous interagissons avec la technologie et comment celle-ci affecte nos processus cognitifs et nos comportements. Le passage de la maison traditionnelle à la maison connectée relève des problématiques du projet HUT pour lequel j’ai travaillé dans le cadre de mon postdoctorat. De nombreux chercheurs (sciences de gestion, droit, architecture, sciences du mouvement, etc.) ont travaillé autour des questions de l’hyperconnexion des habitations, des usages et du bien-être, au sein d’un appartement-observatoire hyperconnecté. Cela nous a permis de déterminer ensemble les conditions idéales du logement du futur, mais aussi de déceler l’impact des technologies au sein d’un habitat connecté afin d’en prévenir les dérives.

Sibylle Turo, chercheuse


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CASTELLANOS : Nous avons 7 sens et les 5 plus connus sont les moins importants

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[BBC.COM/AFRIQUE, 18 février 2023] En lisant ces lignes, comment est votre corps – droit ou voûté ? Et votre visage, est-il détendu ou froncé ? Notre posture et notre visage envoient des signaux importants à notre cerveau, et c’est à ces informations que notre cerveau réagit, explique la neuroscientifique espagnole Nazareth Castellanos, chercheure au Nirakara-Lab, une chaire extraordinaire de l’université Complutense de Madrid.

Si j’ai un visage en colère, le cerveau interprète ce visage comme étant en colère et active donc les mécanismes de colère“, a déclaré Mme Castellanos. De la même manière, “lorsque le corps a une posture triste, le cerveau commence à activer les mécanismes neuronaux de la tristesse.” Notre cerveau interagit avec le reste du corps de bien plus de façons qu’on ne le pensait auparavant. “Nous n’avons pas seulement cinq sens, nous en avons sept“, a-t-elle déclaré. Et les cinq sens les plus connus, le goût, l’odorat, etc., “sont les moins importants pour le cerveau“.

Nazareth Castellanos a expliqué à BBC Mundo comment la posture et les expressions faciales influencent le cerveau, le pouvoir d’un sourire et comment apprendre à écouter “les murmures du corps“.

Dr. Gentileza Nazareth Castellanos © bbc.com
Comment en êtes-vous venue à étudier la relation entre la posture et le cerveau ?

J’ai commencé à repenser les neurosciences après 20 ans de recherche sur le cerveau uniquement. Il me semblait étrange que le comportement humain ne dépende que d’un seul organe, celui de la tête. Avant cela, j’avais commencé à étudier l’influence d’organes comme l’intestin sur le cerveau. Et j’ai dit, ça ne peut pas être la même chose pour le cerveau si mon corps est courbé ou si mon corps est droit. J’ai donc commencé à enquêter, à voir ce que la littérature scientifique avait à dire ; j’ai découvert des choses que j’ai trouvées absolument étonnantes et je me suis dit que c’était quelque chose que tout le monde devrait savoir.

Pourriez-vous expliquer pourquoi la posture est importante et comment elle influence le cerveau ?

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les neurosciences reconnaissent désormais que nous avons sept sens. À l’école, on nous a toujours appris que nous en avions cinq – l’odorat, la vue, l’ouïe, le toucher et le goût – qui sont les sens de l’extéroception, c’est-à-dire de ce qui est extérieur. Et c’est très symbolique, car jusqu’à présent, la science s’est plutôt intéressée à l’étude de la relation de l’être humain avec l’extérieur. Depuis cinq ans environ, les neurosciences affirment qu’il faut élargir ce champ d’action. Nous n’avons pas seulement cinq sens, nous en avons sept. Et il s’avère que les cinq sens de l’extéroception – l’ouïe, etc. – sont les moins importants. Le premier sens, le plus important, est l’interoception.

Que signifie l’interoception ?

C’est l’information qui parvient au cerveau sur ce qui se passe à l’intérieur de l’organisme. Ce qui se passe à l’intérieur des organes. Nous parlons du cœur, de la respiration, de l’estomac, de l’intestin. C’est le sens numéro un, car parmi tout ce qui se passe, c’est ce à quoi le cerveau va accorder le maximum d’importance, c’est une priorité pour le cerveau.

Et la deuxième priorité est le sens de la proprioception, c’est-à-dire les informations qui parviennent au cerveau sur la façon dont mon corps est à l’extérieur, la posture, les gestes et les sensations que j’ai dans tout mon corps. Par exemple, les sensations dans les intestins lorsque nous sommes nerveux, ou une boule dans la gorge, ou la lourdeur des yeux lorsque nous sommes fatigués. Et puis viennent les cinq.

Que signifie le fait que l’interoception et la proprioception sont les premier et deuxième sens du cerveau ?

On savait déjà que le cerveau devait savoir comment se porte l’ensemble du corps, mais on pensait auparavant qu’il s’agissait d’une information passive, alors qu’aujourd’hui, il s’agit d’un sens. En d’autres termes, un sens est une information que le cerveau reçoit et à laquelle il doit répondre. En fonction de ce qui se passe, le cerveau doit agir d’une manière ou d’une autre, et c’est là le grand changement.

Où, dans le cerveau, percevons-nous notre posture ou nos gestes ?

Dans notre cerveau, il y a une zone qui ressemble à un bandeau, comme celui que l’on met pour s’épiler. C’est ce qu’on appelle le cortex somatosensoriel, et c’est là que mon corps est représenté. Ce phénomène a été découvert en 1952, et l’on pensait que les zones les plus grandes de notre corps avaient plus de neurones dans le cerveau. On a donc pensé que le cerveau consacrait beaucoup plus de neurones au dos, qui est très grand, qu’à mon petit doigt, par exemple.

© DP

Mais on a découvert que non, que le cerveau donne plus d’importance à certaines parties du corps qu’à d’autres, et que ce à quoi le cerveau donne plus d’importance dans l’ensemble du corps, c’est le visage, les mains et la courbure du corps. Ainsi, mon petit doigt a environ cent fois plus de neurones qui lui sont dédiés que l’ensemble du dos, que l’ensemble de la jambe, car les mains sont très importantes pour nous. Remarquez que lorsque nous parlons, nous utilisons nos mains, nous activons ces zones du cerveau.

Comment les expressions faciales influencent-elles le cerveau ?

Le cerveau attache une importance considérable à ce qui se passe sur le visage. Nous avons vu ici des choses qui sont très importantes. D’une part, on a vu que les personnes qui froncent les sourcils – et c’est quelque chose que nous faisons beaucoup avec les téléphones portables qui ont de petits écrans – activent une zone liée à l’amygdale. C’est une partie du cerveau qui se trouve dans les zones profondes et qui est plus impliquée dans les émotions. Lorsque je fronce les sourcils, j’active mon amygdale, donc si une situation stressante se présente, je serai plus excité, je réagirai davantage, parce que j’ai déjà préparé cette zone. L’amygdale, qui ressemble à une amande, est une zone qui s’active lorsqu’une situation stressante arrive, elle se développe davantage.

C’est donc un domaine où il vaut mieux rester calme. Mais s’il est déjà activé, lorsqu’une situation stressante arrive, il va s’hyper-activer, et cela va me faire hyper-réagir. Essayer d’adoucir cette partie, le froncement de sourcils, désactive un peu notre amygdale, elle se détend.

Dans un exposé, vous avez mentionné une étude fascinante sur les stylos qui montre comment le fait de froncer les sourcils ou de sourire change notre façon d’interpréter le monde. Pourriez-vous expliquer cette étude ?

En plus de la musculature autour des yeux, la deuxième partie du visage importante pour le cerveau est la bouche. Nous ne sommes pas conscients de la puissance qu’il a, c’est impressionnant. Pour examiner l’hypothèse du feedback facial, les chercheurs ont pris un groupe de personnes et leur ont mis un stylo dans la bouche.

Ils devaient d’abord le tenir entre leurs dents, ils simulaient un sourire, mais sans sourire, ce qui était l’important. On leur a ensuite montré une série d’images et ils ont dû dire à quel point ils les trouvaient belles. Lorsqu’ils avaient le stylo dans la bouche en simulant un sourire, les images leur semblaient plus agréables. Mais lorsqu’ils tenaient le stylo entre leurs lèvres, simulant un visage en colère, les mêmes images ne semblaient pas aussi agréables. Il s’agit d’une étude datant des années 1980, mais de très nombreuses études ont été réalisées depuis.

Il a été constaté, par exemple, que lorsque nous voyons des personnes souriantes, nous sommes plus créatifs, notre capacité cognitive augmente, la réponse neuronale à un visage souriant est beaucoup plus forte qu’à un visage non souriant ou à un visage en colère. L’insula, qui est l’une des zones du cerveau les plus impliquées dans l’identité, est activée lorsque nous voyons quelqu’un sourire ou lorsque nous sourions nous-mêmes. Sourire n’est pas rire, c’est différent. Nous voyons donc le pouvoir qu’un sourire a sur nous, car le cerveau, comme nous l’avons dit, dédie un grand nombre de neurones au visage.

Comment le cerveau réagit-il lorsque nous sourions ou fronçons les sourcils ?

Comme nous l’avons dit, la proprioception – qui est l’information qui parvient au cerveau sur l’état de mon corps et en particulier de mon visage – est une information à laquelle le cerveau doit réagir. Si je suis triste, si je suis en colère, si je suis heureux, mon visage le reflète, mais aussi l’inverse. Si j’ai un visage en colère, le cerveau interprète “ce visage est typique de la colère, donc j’active des mécanismes de colère“, ou “ce visage est typique du calme, donc j’active des mécanismes de calme.” En d’autres termes, le cerveau est toujours à la recherche de ce que l’on appelle la congruence corps-esprit.

Et c’est intéressant car que se passe-t-il si je suis triste ou en colère, stressé, et que je commence à faire un visage détendu ? Au début, le cerveau dit “ça ne colle pas, elle est nerveuse mais elle fait un visage détendu“. Et ensuite il commence à générer quelque chose appelé migration d’humeur. Le cerveau dit : “OK, j’essaie d’adapter l’humeur au visage“. Regardez donc quelle ressource nous avons.

Vous avez également parlé d’un autre aspect de la proprioception, la courbure du corps. De nos jours, avec les téléphones portables, nous sommes souvent courbés. Comment cela influence-t-il le cerveau ?

Le cerveau – et c’est une découverte faite il y a trois mois – possède une zone exclusivement dédiée à la vision de la posture de mon corps. On a constaté qu’il existe des postures corporelles que le cerveau associe à un état émotionnel. Si, par exemple, je bouge mes bras de haut en bas, le cerveau n’enregistre pas que lever la main est une émotion, car nous ne le faisons pas habituellement, n’est-ce pas ?

© un-dos-en-paix

Cependant, être avachi est quelque chose qui vient avec le fait d’être triste, et c’est comme ça, quand on est mal, on est avachi. Nous sommes tous avachis ces derniers temps, car nous passons, entre autres, huit heures par jour devant un ordinateur.

Cela fait-il référence à une étude célèbre que vous mentionnez dans vos conférences, celle sur l’ordinateur ?

Lorsque nous avons une posture voûtée, cela affecte notre perception émotionnelle du monde et notre mémoire. Et c’est là qu’ils ont réalisé une expérience célèbre où ils ont pris des gens et ont mis un ordinateur portable au niveau de leurs yeux, et une série de mots est apparue. A la fin, vous fermez l’ordinateur et vous leur dites, dites-moi combien de mots vous avez mémorisés. Et ils ont fait la même chose, mais ils ont mis l’ordinateur sur le sol de telle sorte que cela obligeait les gens à se pencher.

Qu’est-ce qu’on a vu ? Que lorsque le corps était penché vers le bas, les gens se souvenaient de moins de mots, c’est-à-dire qu’ils perdaient leur capacité de mémorisation et se souvenaient de plus de mots négatifs que de mots positifs. En d’autres termes, tout comme lorsque nous sommes tristes, nous sommes moins agiles sur le plan cognitif et nous nous concentrons davantage sur le négatif, lorsque le corps adopte une posture caractéristique de la tristesse, le cerveau commence à activer les mécanismes neuronaux caractéristiques de la tristesse.

Alors, que nous dit la science, en fin de compte ? Eh bien, ce n’est pas que vous devez être comme ceci ou comme cela, mais que tout au long de la journée, vous devez être plus conscient de votre propre corps et corriger les tendances que vous avez acquises. Par exemple, je m’observe beaucoup et je découvre de temps en temps que je suis à nouveau avachi. Vous corrigez donc cette habitude et, au fil du temps, vous en acquérez de moins en moins.

Mais si vous n’avez pas cette capacité à observer votre propre corps, vous pouvez rester comme ça pendant des heures sans vous rendre compte que vous êtes comme ça.

Comment nous entraînons-nous alors à écouter davantage notre corps ? On dit souvent que le corps ne crie pas, il murmure, mais on ne sait pas l’écouter.

Je crois que la première chose à faire pour savoir comment est notre corps est d’apprendre à l’observer. Et ce que les études nous disent, c’est qu’une grande partie de la population a une conscience corporelle très faible. Par exemple, chaque fois que nous ressentons une émotion, nous la ressentons dans une partie du corps ; les émotions sans le corps ne seraient qu’une idée intellectuelle.

Il existe des études dans lesquelles on demande aux gens : lorsque vous êtes nerveux, où dans votre corps localiseriez-vous cette sensation ? La plupart d’entre eux ne connaissent pas la réponse, car ils ne se sont jamais arrêtés pour regarder leur propre corps. La première chose à faire est donc, tout au long de la journée, de s’arrêter et d’observer, comment est mon corps ? Et lorsque nous ressentons une émotion, arrêtons-nous un instant et disons-nous : “Où est-ce que je la trouve ? Comment est-ce que je sens mon corps à cet instant ? C’est-à-dire de faire beaucoup plus d’observation corporelle.”

Et cette conscience du corps aide-t-elle à gérer les émotions difficiles ?

Lorsque je suis nerveux, par exemple, je sens quelque chose dans mon estomac ou une boule dans ma gorge. Tout cela est ressenti par mon cerveau, il le reçoit. Lorsque je suis conscient de ces sensations, l’information qui a atteint le cerveau est plus claire et, par conséquent, le cerveau est mieux à même de discerner une émotion d’une autre. C’est-à-dire que c’est une chose de chuchoter presque sans conscience, et une autre d’en faire un mot.

Et nous le faisons avec la conscience, qui est aussi un allié dans la gestion des émotions. Parce que lorsque nous sommes impliqués dans une émotion, quelle qu’elle soit, si nous nous arrêtons à ce moment-là et que nous portons notre attention sur les sensations du corps, cela nous soulage beaucoup. C’est l’une des façons de se détendre, d’arrêter ce maelström dans lequel nous nous mettons quand nous avons une émotion. C’est ce qu’on appelle la conscience du corps.

© tiandi

Dans les années 1990, Antonio Damasio, le grand neuroscientifique de notre époque, nous a parlé des avantages de ce marqueur somatique. Il a réalisé de nombreuses expériences dans lesquelles il a été démontré que les personnes qui sont plus conscientes de leur corps prennent de meilleures décisions. À mon avis, il en est ainsi car ce n’est pas le corps qui vous dit où vous devez aller, mais il vous dit où vous êtes. Et si nous sommes dans une situation complexe et qu’il y a des émotions en jeu, et que moi-même je ne sais même pas où je suis ou quelle émotion j’ai, il m’est plus difficile de savoir où je dois aller.

Les émotions sont très complexes et elles sont généralement mélangées. Pouvoir identifier une émotion par la seule analyse mentale est plus difficile que si je le fais en observant mon propre corps. Mais bien sûr, pour cela nous avons dû nous entraîner, tout au long de la journée à observer les sensations du corps, quand je suis fatigué, quand je suis heureux, quand je suis plus neutre, quand je suis en colère, quand je me sens accablé… Où est-ce que je le ressens ? Cela nous aide beaucoup à nous connaître.

Le fait de s’avachir nous fait mal respirer. Pouvez-vous nous parler de la respiration et du cerveau ?

La respiration est un allié que nous avons entièrement entre nos mains, mais nous ne savons pas comment respirer. La posture et la respiration sont intimement liées. Si vous prenez soin de votre posture, vous prenez soin de votre respiration. Ce qui a été observé dans la neuroanatomie de la respiration, c’est que celle-ci influence la mémoire, l’attention et la gestion des émotions.

Mais attention, si elle est nasale, si l’inspiration se fait par le nez. Si nous inspirons par la bouche, et une grande partie de la population respire par la bouche, nous n’avons pas autant de capacité à activer le cerveau.

Le cerveau a besoin d’être réglé sur des rythmes et la respiration est l’un des pacemakers dont dispose notre cerveau pour que les neurones génèrent leurs rythmes, leurs décharges électriques. Si nous respirons par la bouche, c’est un pacemaker atténué. Il faut que l’inspiration passe par le nez. Lorsque nous inspirons, par exemple, le moment où nous avons le plus de mémoire est celui où nous inspirons par le nez, à ce moment-là l’hippocampe est activé.

Si on vous dit quelque chose, un mot, au moment qui coïncide avec l’inspiration, on a plus de chances de s’en souvenir que si on vous le dit au moment de l’expiration, au moment où vous expirez. Cela nous renseigne sur une chose très intéressante, la respiration lente. Normalement, nous respirons très vite.

Quelle est l’importance de la respiration lente ?

Nous venons de publier une étude scientifique sur le pouvoir de la respiration lente comme analgésique dans les cas de douleurs chroniques dues à une discopathie (détérioration des disques entre les vertèbres).

Et pour les émotions, l’important est que le temps qu’il faut pour expirer, pour sortir l’air, soit plus long que le temps qu’il faut pour inspirer. Regardez comme il est important, combien de choses nous pouvons faire avec notre propre corps. Notre corps est l’instrument avec lequel notre vie sonne, mais c’est un instrument dont nous ne savons pas jouer. Nous devons d’abord apprendre à le connaître, puis à le jouer.

Alejandra Martins, BBC News Mundo


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : bbc.com/afrique | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © scripps research magazine ; © bbc.com ; © domaine public ; © tiandi.


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