TOKARCZUK, Olga (née en 1962)

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[BNF.FR] Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018. Largement reconnue non seulement dans sa Pologne natale mais aussi à l’étranger, l’écrivaine Olga Tokarczuk est lauréate du prix Nobel de littérature, décerné en 2019 au titre de l’année 2018. Cette haute distinction s’ajoute à un palmarès impressionnant qui englobe Niké, le plus prestigieux prix littéraire polonais, qui lui a été attribué à deux reprises (2008 et 2015), et The Man Booker International Prize (2018). L’Académie suédoise a su reconnaître “une imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, symbolise le dépassement des frontières comme forme de vie.” Olga Tokarczuk rejoint ainsi quatre auteurs polonais nobélisés : Henryk Sienkiewicz (1905), Władysław Reymont (1924), Czesław Miłosz (1980) et Wisława Szymborska (1996).

UNE PSYCHOLOGUE INFLUENCÉE PAR JUNG

Née en 1962 à Sulechow à l’ouest de la Pologne dans une famille d’enseignants, Olga Tokarczuk a fait des études de psychologie à l’université de Varsovie, couronnées par une thèse de doctorat sur Carl Gustav Jung. L’écrivaine reconnaît explicitement sa fascination pour les idées de ce psychiatre suisse dont son œuvre se fera l’écho. Une fois diplômée elle a exercé pendant quelques années en tant que psychothérapeute avant de se consacrer entièrement à l’écriture.

Ses débuts littéraires remontent aux années de lycée avec la publication de petites formes en prose puis des poésies. Par la suite, elle écrira des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre et même un livre pour la jeunesse. En 1993 paraît son premier roman, Podróż ludzi Ksie̜gi (Voyage des gens du Livre, non traduit en français pour le moment), qui met en scène une expédition fantastique à la recherche d’un livre mystérieux dans la France du XVIIe siècle. Ce roman à l’intrigue étrange, avec une galerie de personnages extravagants, à la forme un peu naïve, aborde déjà les thèmes chers à Olga Tokarczuk qui seront développés dans ses œuvres ultérieures : le mystère, le mythe, l’irrationnel, le voyage.

UNE ŒUVRE MYSTIQUE ANCRÉE DANS LE RÉEL

Plusieurs de ses œuvres s’inscrivent dans la convention du réalisme magique où le quotidien s’entremêle avec le magique, la réalité avec le mythe, ces deux mondes s’interpénètrent et la frontière entre eux s’estompe. L’écrivaine explore cette frontière presque invisible entre le réel et le mythique dans Dieu, le temps, les hommes et les anges (1996), son premier grand succès artistique et commercial, ainsi que dans le recueil de récits Maison de jour, maison de nuit (1998). Elle sonde le mystère du psychisme humain dans son deuxième roman, E.E. (1995), où une jeune fille manifeste des dons de medium dans la Wroclaw de l’entre-deux-guerres.

Les Pérégrins, œuvre primée par Niké (2008) et The Man Booker International Prize (2018), symbolise une situation existentielle de l’homme en voyage, à travers plusieurs histoires humaines liées au leitmotiv du mouvement, de la mobilité, du voyage et de l’évasion.

Son opus magnum, Les Livres de Jakób (prix Niké 2015), est une sorte d’épopée monumentale à plusieurs strates. L’auteure y déploie sur près de mille pages l’histoire de Jacob Frank fondateur d’une secte hérétique au sein du judaïsme, le frankisme. Ce roman peuplé de nombreux personnages historiques, avec des trames multiples, brosse l’image de la Pologne des confins orientaux au XVIIIe siècle où coexistaient le christianisme, le judaïsme et l’islam. Il dépasse néanmoins la convention du roman historique et aborde également des sujets d’actualité et importants au XXIe siècle.

Le roman Sur les ossements des morts a été adapté au cinéma par Agnieszka Holland sous le titre Pokot (“Spoor”). Le film a remporté le prix Alfred-Bauer à la Berlinale 2017.

MILITANTE ET FEMME ENGAGÉE

Olga Tokarczuk est aussi une femme engagée. Féministe, écologiste, végétarienne, elle s’implique dans la défense des droits des femmes, des animaux, des minorités sexuelles et ethniques. Elle n’hésite pas à exprimer ses positions critiques sur la Pologne actuelle, mais aussi sur la construction du mur entre les États-Unis et le Mexique. Les œuvres d’Olga Tokarczuk ont été traduites en vingt-cinq langues.

Pour une première approche

      • Les livres de Jakób : ou le grand voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions et d’autres moindres (trad. du polonais Księgi Jakubowe par Maryla Laurent : Paris : les Éditions Noir sur blanc, 2018).
        Couronné de nombreux prix étrangers et polonais dont Niké (2015) cet « opus magnum » a nécessité de nombreuses années de recherches minutieuses. Dans cette épopée de près de mille pages, riche en personnages et événements, on suit l’histoire de Jakob Frank, le « messie » autoproclamé au sein de la communauté juive aux confins orientaux de la Pologne du XVIIIe siècle. Ce roman aux nombreuses strates dépasse la convention du roman historique et se prête à de multiples interprétations.
      • Les pérégrins (trad. du polonais Bieguni par Grażyna Erhard. Lausanne : Noir sur blanc. Paris, 2010. 380 p.).
        Récompensée en 2008 par Niké, le plus prestigieux prix littéraire polonais et par The Man Booker International Prize en 2018, cette oeuvre invite le lecteur à un voyage extraordinaire à travers divers lieux et époques. C’est un patchwork des histoires et de vies humaines ayant pour point commun le voyage qui permettrait d’échapper au mal à l’instar des pérégrins nommés dans le titre. Effectivement, cette branche orthodoxe de vieux croyants espéraient apprivoiser le mal par le mouvement.
      • Dieu, le temps, les hommes et les anges (trad. du polonais Prawiek i inne czasy par Christophe Glogowski. Paris : R. Laffont, 1998. 340 p.).
        Premier succès artistique et commercial d’Olga Tokarczuk, ce roman publié en 1996 s’inscrit dans la tradition du réalisme magique. C’est une sorte de saga de deux familles dans un village imaginaire nommé Antan, ancrée d’une part dans la réalité mais imprégnée des mythes anciens.

d’après bnf.fr


Le temps du Jeu

Dans le petit livre Ignis fatuus ou Jeu instructif pour un seul joueur, voici comment commence la description du troisième monde :
“Entre la terre et le ciel s’étendent huit mondes. Ils pendent dans l’espace comme des taies d’édredon qu’on aurait mises à aérer.
Dieu a créé le troisième monde il y a très longtemps. Il a commencé par les mers et les volcans et Il a terminé avec les végétaux et les animaux. Mais comme le processus de la création n’est que travail et peine, sans contrepartie sublime, Dieu se lassa. Le monde fraîchement créé lui parut insipide. Les animaux ne comprenaient pas l’harmonie qui sous-tendait cette oeuvre, ils ne l’admiraient pas, ne louaient pas Dieu, se contentaient de manger et de se reproduire. Ils ne demandaient pas à Dieu pourquoi il avait donné au ciel une couleur bleue et rendu l’eau humide. Le hérisson ne s’étonnait pas de ses propres piquants ni le lion de ses crocs, les oiseaux ne posaient pas de questions au sujet de leurs ailes.
Ce monde dura très longtemps et il inspira à Dieu un ennui mortel. Dieu descendit donc sur terre et commença à doter chaque animal rencontré de doigts, mains, visage, peau délicate, raison, capacité d’étonnement – bref, Il entreprit de transformer de force les animaux en hommes. Mais les animaux ne souhaitaient pas être métamorphosés de la sorte, les hommes leur semblaient monstrueux. Ils se concertèrent, attrapèrent Dieu et le noyèrent. Et les choses en restèrent là.
Dans le troisième monde, il n’y a ni Dieu ni hommes.

Dieu, le temps, les hommes et les anges (1996)


L’ouvrage est dans notre bibliothèque idéale. Cliquez sur l’image…

[MLASCENE-BLOG-THEATRE.FR] SUR LES OSSEMENTS DES MORTS : UN PLAIDOYER POUR LA VIE. Les animaux victimes de la violence des hommes peuvent-ils décider de se venger ? Les événements macabres qui surviennent dans le village isolé au sud de la Pologne où elle vit, amènent l’héroïne à se poser cette question. Janina Doucheyko est une ancienne ingénieure qui passe désormais son temps entre ses cours d’anglais auprès d’écoliers et les horoscopes qu’elle établit. Cette femme d’une soixantaine d’années collectionne les dates de naissance et de mort. Elle dresse des schémas censés déterminer l’heure du décès à venir d’une personne. Des voisins et des responsables locaux meurent de façon mystérieuse. Janina, fervente défenseure de la cause animale, se persuade alors que les bêtes châtient ceux qui les chassent et les massacrent.

© DR

L’enquête commence entre humour et effroi.

Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d’aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit.

C’est par cet aveu teinté d’intime dérision que s’ouvre le roman, Sur les ossements des morts, d’Olga Tokarczuk, autrice polonaise, prix Nobel de littérature en 2018. Le titre s’inspire d’un vers du poète anglais William Blake : “Drive Your Plow Over the Bones of the Dead” (“Conduis ta charrue par-dessus les ossements des morts“). Celui-ci est extrait des Proverbes de l’enfer, dans The Marriage of Heaven and Hell (1793).

Marie-Laure Barbaud


[INFOS QUALITE] statut : mis-à-jour | mode d’édition : partage, édition et iconographie | source : bnf.fr ; mlascene-blog-theatre.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, portrait d’Olga Tokarczuk © Indicateur des Flandres ; © librel.be | L’équipe de wallonica.org est enthousiaste : un trésor d’intelligence, une incroyable habileté de conteuse, un mandala de finesse psychologique et philosophique. Qui plus est, le texte est traduit dans une langue jubilatoire. Il y a un avant et un après chaque livre de Tokarczuk (et nous en avons dévoré plus d’un) ! Pourquoi n’en a-t-on pas plus parlé en Wallonie-Bruxelles ? On nous cache tout !


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…