Existe-t-il encore du commun entre les « communautés » ?

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[EDL.LAICITE.BE, 26 mai 2025Dans un monde où les différentes formes d’interculturalités se mélangent ou s’affrontent, la notion de “bien commun” est interrogée. Comment définir ce qui appartient à tous dans nos sociétés marquées par la diversité ? Quels conflits surgissent lorsque différentes communautés revendiquent un accès équitable aux ressources communes ?

Le bien commun pose autant de défis que le nombre de fois que nous le mettons à l’épreuve. Mais en avons-nous encore besoin et existe-t-il vraiment ? Y a-t-il quelque chose qui nous relie, nous unit tous, malgré nos identités plurielles ? Central en philosophie politique et en éthique sociale, le bien commun désigne l’ensemble des ressources, des institutions et des conditions permettant à une communauté de prospérer et de garantir le bien-être de tous.

Le bien commun n’est pas si nouveau que ça. Historiquement, chez Aristote, il est lié à la cité et à l’idée que la politique doit viser le bonheur collectif. Selon Rousseau, il est au cœur du contrat social, où chaque individu accepte de limiter ses intérêts personnels pour le bien de tous. Quand chez John Rawls, il est réinterprété à travers la justice sociale et l’équité.

Justice et équité, c’est précisément là que le combat se joue. Les inégalités structurelles marginalisent depuis la nuit des temps certaines communautés. Mais l’État de droit et nos démocraties telles que nous les connaissons doivent, en théorie, se soucier d’une juste redistribution des ressources et des droits pour garantir un accès équitable au bien commun. Le philosophe canadien Charles Taylor souligne d’ailleurs que le bien commun doit inclure une politique de reconnaissance, respectant les identités culturelles. Or comment définir le plus justement possible un bien commun qui respecterait les particularismes culturels ? Un bien commun par et pour tous ?

Balle au centre

D’après le philosophe Édouard Delruelle, nous avons moins le sens du bien commun que jadis et c’est un danger : “Nous sommes dans une société anomique, comme disait Durkheim, soit égoïste, soit identitaire, une société où la désorganisation sociale résulte de l’absence de normes communes. Toute la sociologie est née des “modernes” et de leur observation de la montée des individualismes. Nous avons de plus en plus de mal à trouver un équilibre entre l’individualisme et un chef absolu. À un niveau plus moral, il s’agirait d’éviter les extrêmes par un sens plus fort du bien commun. Mais celui-ci est exigeant, c’est à contre-courant, cela suppose aussi de se sentir impliqué et concerné par la société dans laquelle on vit.

Alors devrait-on s’interroger sur ce qui pourrait faire barrage à ce sentiment ou au contraire le renforcer ? Un autre spécialiste de l’étude des politiques migratoires, d’intégration et des inégalités sociales, Andrea Rea, évoque, lui, la notion de “sentiment d’injustice”. Selon le professeur ordinaire de sociologie, fondateur du groupe de recherche GERME (Group for research on Ethnic Relations, Migration and Equality), “il faut dépasser la question de l’inégalité. On peut être égaux, mais traités de manière différenciée, cela crée un sentiment d’injustice. Avoir par exemple le même salaire mais pas la même reconnaissance.

Multiples et uniques

Or ce sentiment d’injustice est directement lié à la notion d’identité. D’après Thomas Gillet, philosophe et éthicien, nos identités sont multiples. Dans son dernier ouvrage, Identité.s : les démocraties à la croisée des chemins, il en redéfinit les termes : “L’identité est évolutive. Elle englobe des attributs, des caractéristiques, certaines que l’on choisit, que l’on va déterminer librement, d’autres que l’on ne choisit pas, qui sont déterminées, extérieurement ou biologiquement. Ensuite, c’est un processus par lequel on va chercher à se différencier ou à s’assimiler à des groupes. C’est toujours un double mouvement. À la fois, je tente de ressembler, je m’assimile à un groupe et, en même temps, à l’intérieur de ce groupe-là, je suis unique.

Andrea Rea ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que nous sommes l’addition de plusieurs identités. “Parfois inconsciemment, nous nous réclamons d’identités différenciées. Nous ne déclinons pas la même identité dans les diverses interactions que nous avons. En fonction des personnes qui sont présentes, nous avons tendance à nous présenter de manières différentes. Nous sommes multiples, il n’y a pas une identité.

Les identités, une cause de discriminations et d’inégalités

© aivs-soleil.re

Revenir sur la multiplicité de nos identités semble être véritablement important pour pointer et peut être “re-” définir ce qui peut nous être commun à tous.tes. “Je viens d’une immigration italienne, poursuit-il, jusqu’à 18 ans, on m’appelait André, parce qu’Andréa, c’était féminin. Et pendant toutes mes études primaires, on m’a enlevé des points d’orthographe, car je ne voulais pas mettre d’accent sur mon prénom. Ce sont des processus d’institution qui imputent une identité à autrui, mais qui génèrent de la colère et un sentiment d’injustice.

Jamal a 20 ans, et est issu de l’immigration marocaine, 3e génération ; il témoigne : “Nous sommes amenés à nous poser ces questions : qui sommes-nous et d’où venons-nous ? Beaucoup de Belges nous reprochent de garder nos coutumes et notre culture marocaines. En revanche, au Maroc, les Marocains nous reprochent d’être trop européanisés. En fin de compte, nous sommes tiraillés entre deux cultures. J’ai souvent l’impression que c’est la société belge qui nous met sur le dos le statut d’immigrés et qui nous parle d’intégration. C’est de la tarte à la crème. Comment peut-on parler d’intégration à un jeune né ici ? Pour moi, l’intégration, elle est d’abord économique.

C’est en quelque sorte la notion de “double conscience” apportée par le sociologue afro-américain W.E.B. Du Bois dès 1903, posant le défi de “toujours se regarder à travers les yeux d’une société blanche.Ahmed Medhoune, co-directeur de l’ouvrage Belgica Biladi. Une histoire belgo-marocaine, commente : “C’est ce qu’exprime Jamal dans son témoignage ; cette galerie de miroirs, dans laquelle lui et ses amis grandissent, renvoie des reflets négatifs du groupe auquel ils appartiennent et d’eux-mêmes. Avoir sa “double conscience” dans une galerie de miroirs négatifs amène à la honte, au mépris de soi et pas à sa construction.”

Or pour faire “commun”, comme le disait Édouard Delruelle, il faut se sentir inclus et concerné par la société dans laquelle on vit. “Et c’est le rôle de l’institution, précise Thomas Gillet, de ne pas rappeler en permanence aux personnes dites “d’origine étrangère” qu’elles viendraient d’ailleurs et qu’elles ne seraient pas de la tendance majoritaire. Il y a là une véritable et urgente responsabilité institutionnelle et notamment de l’institution scolaire.”

Entre idéal universel et réalités locales

L’éducation tout comme la santé ou l’environnement sont des biens communs qui doivent concerner chacun et être accessibles à tous. Mais n’y aurait-il pas un risque d’universalisation forcée ? Imposer un bien commun sans tenir compte des spécificités culturelles peut être perçu comme une nouvelle forme de domination. Comment concilier des visions différentes du bien commun ? Le multiculturalisme favorise-t-il une société plus inclusive ou contribue-t-il à la création de communautés parallèles, menaçant l’idée d’un bien commun national ?

Il faudrait inciter les citoyens à produire ensemble des activités communes, dans lesquelles ils se reconnaîtraient, poursuit Thomas Gillet. Moi, j’ose espérer qu’aujourd’hui, il y a encore un élément qui peut faire commun. C’est la question des droits fondamentaux. Il convient de s’assurer que, tous, nous considérons légitime que ces droits soient maintenus pour nous et les autres. Est-ce qu’on a même jamais eu un point commun dans l’histoire de l’humanité ? Je ne pense pas. Notre travail, c’est d’arriver à le créer. La Déclaration universelle des droits humains, c’est un horizon, un objectif.” Et Andrea Rea d’ajouter : “Construire des luttes autour des biens communs comme la préservation de notre terre, c’est un élément essentiel pour moi. Puisque nous sommes aujourd’hui obsédés par la dette que nous allons laisser à nos enfants. Nous sommes des êtres humains sur une planète que nous mettons en danger.

Pour conclure, je voudrais préciser que la particularité de ces jeunes citoyens du monde, en réalité, c’est leur hyperconnectivité et la proximité géographique des pays d’origine. Il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de jeunes femmes et hommes ont grandi avec un ici et un ailleurs“, complète Ahmed Medhoune. Le bien commun n’est donc pas une notion figée. Il doit être repensé en fonction des réalités culturelles mais aussi des inégalités sociales de chaque société. Qu’il s’agisse des ressources naturelles, du numérique, des politiques multiculturelles ou des dynamiques urbaines, il est primordial d’adopter une approche inclusive pour garantir un véritable partage des richesses et des opportunités.

Catherine Haxhe, journaliste


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2h de cours de philosophie et citoyenneté par semaine : un impératif !

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[LALIBRE.BE, 15 juin 2024] L’extension à une deuxième heure d’éducation politique, philosophique et aux médias pour tous les élèves, en primaire et en secondaire, doit être une priorité politique.

L’éducation politique n’est pas assez enseignée et de nombreux jeunes estiment ne pas être préparés, certains exprimant même un désintérêt voire une vraie méconnaissance de la politique © ÉdA Mathieu Golinvaux

Pour la première fois en Belgique, tous les jeunes de 16 et 17 ans ont pu faire entendre leur voix dans les urnes ce 9 juin [2024]. C’était une opportunité pour eux, mais aussi pour la démocratie. En tant que société civile, notre devoir est de les former à faire un choix éclairé et citoyen.

Malgré les initiatives d’enseignants, l’éducation politique n’est pas assez enseignée et de nombreux jeunes estiment ne pas être préparés, certains exprimant même un désintérêt voire une vraie méconnaissance de la politique. Exercer son esprit critique, décoder les fake news, résister aux passions haineuses… sont autant de compétences qui s’apprennent et s’exercent collectivement.

Pour y arriver, deux heures par semaine de cours philosophie et citoyenneté (CPC) sont un minimum afin d’apprendre à forger ses opinions au moyen d’outils philosophiques, à bien comprendre le fonctionnement de notre démocratie et à opérer en conscience des choix éclairés.

Le statu quo intenable

Après les élections de 2019, il semblait exister un consensus politique pour avancer vers une deuxième heure pour tous les élèves de CPC dans l’enseignement obligatoire. Le second rapport parlementaire de décembre 2021 était clair à ce sujet, et renforçait d’ailleurs celui de 2015 : il faut aller vers une extension de l’éducation à la philosophie et la citoyenneté. Cependant, en août 2023, ce projet d’extension fut reporté à la prochaine législature…

Or, au manque de formation citoyenne des élèves s’ajoute une situation sur le terrain qui est intenable. Autant les directions que les enseignants dénoncent des difficultés organisationnelles absurdes qui participent à la précarité des conditions de travail de ces derniers. Tous demandent l’extension urgente du cours à une 2e heure, sa pérennisation et une revalorisation significative de la fonction.

Du côté des élèves, le nombre d’inscrits à la deuxième heure de CPC ne cesse de progresser. Le Forum des Jeunes, porte-parole officiel des 16-30 en Fédération Wallonie-Bruxelles, affirmait en 2022 que “70 % ⌈des jeunes⌉ estiment que recevoir une meilleure éducation à la citoyenneté dans les écoles est l’un des moyens les plus importants pour que les jeunes aient davantage d’influence sur les politiques publiques et sur les processus de décisions.” Ils sont rejoints par de nombreux parents qui, depuis la création du cours, sont convaincus que son extension est une priorité.

Enfin, au niveau politique, des points restent à trancher : neutralité budgétaire, accessibilité confortable à l’éducation religieuse… Mais tout ceci peut être réglé, en accordant notamment une attention particulière à la préservation de l’emploi des professeurs de cours philosophiques si ces deux heures de CPC sont appliquées. C’est une question de volonté politique. Il y a urgence !

Une priorité politique

Pour le CEDEP (Centre d’Etude et de Défense de l’Ecole Publique), la formation actuelle à une éducation politique, philosophique et aux médias est insuffisante et ne permet pas d’outiller tous les jeunes face aux défis actuels et futurs. L’extension à une deuxième heure de philosophie et citoyenneté pour tous les élèves, en primaire et en secondaire, doit être une priorité politique et une question d’intérêt public.

Au vu de la montée des extrémismes, des inégalités hommes/femmes, des défis environnementaux et de la fragmentation du corps social, il est prioritaire d’offrir aux enfants deux heures hebdomadaires de philosophie et citoyenneté dans tout l’enseignement obligatoire durant lesquelles ils apprennent ensemble à échanger leurs points de vue dans le respect réciproque, et à élaborer une pensée complexe.

Si ces éléments font l’unanimité : qu’attendons-nous pour passer à deux heures du cours de philosophie et citoyenneté ?

Lionel Rubin, chargé d’études au CAL


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L’intelligence artificielle à l’épreuve de la laïcité

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[EDL.LAICITE.BE, 14 mai 2024] L’IA révolutionne nos vies mais soulève des questions éthiques. Des chatbots religieux aux risques de discrimination, la régulation devient essentielle. Le Centre d’Action Laïque propose la création d’un comité indépendant pour assurer une IA éthique dans une société laïque.

Depuis l’apparition de ChatGPT, l’intelligence artificielle n’a cessé de faire parler d’elle. Rapidement, les médias se sont emparés du sujet, tantôt en saluant une nouvelle technologie révolutionnaire, tantôt en alertant sur les risques d’un remplacement de l’humain par la machine. Et aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de dispositifs d’IA développés avec des agents conversationnels plus farfelus les uns que les autres. Parmi les plus surprenants : AI Jesus, un chatbot donnant vie au Christ pour qu’il prêche la bonne parole sur Twitch, tout en partageant son opinion sur la géopolitique, les relations amoureuses et même les voitures. Plus récemment, le MR a carrément accompagné son programme aux élections 2024 du robot Victor, accessible auprès de tous les électeurs cherchant à obtenir rapidement des informations sur les propositions du parti.

C’est quoi, une intelligence artificielle laïque ?

Face à ce foisonnement technologique, comment le Centre d’Action Laïque peut-il se positionner ? En créant sa propre intelligence artificielle laïque ? L’idée est amusante mais faut-il encore y trouver un réel intérêt. En revanche, avant de définir une position, nous pouvons nous demander si l’IA est en elle-même laïque. Et qui de mieux que ChatGPT pour nous éclairer sur cette question ? Voici sa réponse : “L’intelligence artificielle elle-même n’a pas de croyances religieuses ou spirituelles, donc elle est intrinsèquement laïque. Cependant, les personnes qui créent et utilisent l’intelligence artificielle peuvent avoir des croyances religieuses diverses, et cela peut influencer la manière dont elles conçoivent et appliquent l’IA. En fin de compte, la laïcité ou le caractère religieux d’un système d’IA dépendra des valeurs et des intentions de ses créateurs et utilisateurs.

La réponse a ceci d’intéressant qu’elle nous rappelle que l’IA n’est pas une entité autonome qui se serait auto-engendrée, mais bien un outil conçu par et pour des êtres humains. Et comme le démontre l’exemple d’AI Jesus, elle est le résultat des idées et croyances de ses créateurs. Or cela pose des difficultés, notamment en matière de discriminations. En effet, les recherches en sciences sociales nous prouvent l’existence de biais dans le raisonnement humain. Dès lors, de tels biais se retrouvent inévitablement dans le mode de pensée des intelligences artificielles puisqu’ils coïncident avec celui de leurs concepteurs.

De nombreux exemples illustrent ce phénomène, comme celui du logiciel américain COMPAS consacré à la justice prédictive qui attribuait à des prévenus noirs une probabilité plus élevée de récidive qu’aux prévenus blancs. Autre exemple, celui des algorithmes utilisés par les entreprises lors des processus de recrutement. En fonction du poste à pourvoir et des stéréotypes de genre associés, l’IA privilégie la candidature soit d’une femme, soit d’un homme. De cette façon, les femmes se retrouveront plus systématiquement exclues des postes à haute responsabilité, puisque ceux-ci sont toujours majoritairement occupés par des hommes.

Ces exemples démontrent l’ampleur des nouveaux défis soulevés par l’intelligence artificielle en matière de lutte contre les discriminations. Alors que les laïques aspirent à une société réellement égalitaire, voilà que les algorithmes risquent d’accentuer davantage les inégalités. Mais gardons néanmoins à l’esprit que cela est loin d’être une fatalité. Il est tout à fait possible de supprimer la présence de ces biais par la mise en place d’un cadre éthique qui oblige les concepteurs à respecter un certain nombre de principes humanistes dans la configuration des algorithmes. Par ailleurs, l’investissement dans la recherche peut aider à prévenir les éventuels problèmes éthiques et sociaux liés à l’usage de l’intelligence artificielle. De cette façon, si les laïques doivent rester attentifs aux soucis de discriminations engendrés par l’IA, ils peuvent en même temps soutenir sa régulation éthique afin d’en faire un instrument de lutte contre ces mêmes discriminations. Si nous revenons à notre exemple d’égalité à l’embauche, un algorithme entraîné aux enjeux féministes pourrait tout à fait garantir une chance égale à une femme d’accéder à un poste à haute responsabilité ; là où les ressources humaines continueraient d’employer des raisonnements sexistes. Une IA éthique qui applique les valeurs associées à la laïcité pourrait donc être vectrice d’émancipation à l’égard de tous les individus.

L’aliénation de l’humain par la machine

Mais cette question de l’émancipation ne se pose pas uniquement pour des enjeux liés aux discriminations. La multiplication des outils d’intelligence artificielle offre aux individus des avantages considérables en matière de rigueur et d’efficacité. Citons l’exemple des algorithmes d’aide au diagnostic. Leur précision en fait des alliés de choix dans la détection et la prévention de certaines maladies graves et qui nécessitent une prise en charge rapide. Mais qu’en est-il lorsqu’ils se substituent carrément à l’expertise du prestataire de soins ? Le Wall Street Journal a récemment publié un fait divers sur l’issue dramatique à laquelle peut mener une utilisation aveugle de l’usage des algorithmes. Il évoque le cas d’une infirmière californienne, Cynthia Girtz, qui a répondu à un patient se plaignant de toux, de douleurs thoraciques et de fièvre en suivant les directives du logiciel d’IA de son institution. Le logiciel n’autorisant une consultation urgente qu’en cas de crachement de sang, elle a fixé un simple rendez-vous téléphonique entre un médecin et le patient. Or celui-ci est décédé d’une pneumonie quelques jours plus tard, et l’infirmière a été tenue responsable pour n’avoir pas utilisé son jugement clinique. Cet exemple malheureux démontre bien les risques d’aliénation du jugement des utilisateurs de l’IA. L’opacité des algorithmes et la complexité de leur fonctionnement rendent difficile la gestion totale de ceux-ci. Si l’utilisateur cesse de s’interroger sur la méthode qui a permis à l’algorithme de produire des résultats, il risque alors de se voir doublement déposséder de son jugement. D’abord, au regard des outils qu’ils ne maîtrisent pas, mais aussi par rapport à des conclusions auxquelles il ne serait désormais plus capable d’aboutir par lui-même. Un tel impact de l’IA sur l’autonomie humaine attire nécessairement l’attention des laïques qui militent pour l’émancipation des citoyens par la diffusion des savoirs et l’exercice du libre examen. La transparence des algorithmes et la connaissance de leur fonctionnement par tous les usagers deviennent donc des enjeux laïques à part entière.

Face aux enjeux et risques précités mais aussi à tous ceux liés encore à la désinformation, le cyber-contrôle, la cybersécurité, aux coûts environnementaux, etc., le Centre d’Action Laïque a décidé de reprendre un contrôle humaniste sur la technologie. Les enjeux étant de taille pour parvenir à une IA laïque, le CAL propose de doter la Belgique d’un comité consultatif indépendant relatif à l’éthique en matière d’intelligence artificielle et d’usages du numérique dans tous les domaines de la société.

Ce comité serait chargé, par saisine ou autosaisine, de rendre des avis indépendants sur les questions éthiques liées à l’utilisation de l’intelligence artificielle, de la robotique et des technologies apparentées dans la société, en prenant en compte les dimensions juridiques, sociales et environnementales. Il serait aussi chargé de sensibiliser et d’informer le public, notamment grâce à un centre de documentation et d’information tenu à jour. Mieux qu’un chatbot laïque, non ?

Lucie Barridez, Déléguée Étude & Stratégie


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, édition et iconographie | sources : edl.laicite.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © Anne-Gaëlle Amiot – Le Parisien.


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PARUTION | CAL : Les difficultés d’aborder certains sujets à l’école (publication, 2021)

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MAI 2021. Le Centre d’Action Laïque publie les résultats d’une enquête sur les difficultés d’aborder certains sujets à l’école…

“La mort de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie à Conflans-Sainte-Honorine, a suscité la tristesse, l’indignation et la colère. Elle a également remis en relief des formes de violence à l’égard des personnels de l’enseignement.

Quels qu’en soient les degrés, cette violence fait le plus souvent écho à des thématiques sociétales en lien avec le vivre ensemble et le socle de nos valeurs communes : la liberté d’expression et de conscience, la différence entre les faits/les opinions/les croyances, les religions comme faits historiques, la sexualité, ou encore l’égalité femmes-hommes.

Très vite, en particulier sur les réseaux sociaux, le débat public prend alors une tournure violente et clivante, ne laissant aucune place à la nuance et à l’argumentation raisonnée. Ces événements en question peuvent aussi être liés de près ou de loin au contexte scolaire avec des jeunes en plein apprentissage de la citoyenneté et en plein développement de leur esprit critique.

Certains sujets, lorsque abordés avec des enfants et adolescents en classe et en dehors, semblent en effet faire l’objet des remises en question voire des rejets. Certaines de ces expressions semblent également bousculer le corps enseignant. Le savoir scientifique et les progrès éthiques se heurtent-ils en classe aux croyances et aux préjugés, au détriment de toute pensée critique ? Quelles sont les questionnements des acteurs et actrices de terrain à ce sujet et quelles sont les réponses à apporter ?

Le Centre d’Action Laïque a voulu objectiver cette réflexion en donnant la parole aux acteurs et actrices de terrain sur les difficultés rencontrées dans l’enseignement obligatoire, mais aussi sur certaines pratiques qui permettent de prévenir ou désamorcer les situations problématiques. À travers 40 questions, il brosse les constats et les pratiques d’enseignement pour en dégager des pistes de solution basées sur des faits. Cette analyse quantitative et qualitative permet d’ouvrir la réflexion et de dégager des pistes pour favoriser le développement critique des élèves dans un environnement agréable pour les enseignants.

La lecture des réponses à ce questionnaire est instructive à plus d’un titre :

  • Elle permet avant tout de cerner de manière un peu plus détaillée une réalité et de réfléchir à des pistes concrètes de solution.
  • Elle pointe un contexte qui évolue et modifie le comportement de professeurs, parfois avec des effets bénéfiques, mais surtout vers un risque d’autocensure lorsque certains sujets sont abordés, en particulier les avancées éthiques et les pratiques démocratiques.
  • Elle met en évidence la nécessité de doter les enseignants d’outils lors des formations initiale et continue, et les élèves d’une EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle) et d’un cours de philosophie et citoyenneté de deux heures.
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