Il n’est pas facile d’éditer tous les jours la revue de presse d’un blog encyclopédique comme wallonica.org. Une question revient systématiquement, lancinante ou aiguë : face à une prise de position (même honorable), comment faire du fond de l’article un objet de réflexion pour nos visiteurs et éviter d’être un relais aveugle des croyances ou des engagements individuels du ou des auteurs ?
Le texte que nous relayons ici présente à ce titre un double intérêt :
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- CRITIQUE AD FEMINEM ? D’une part, les auteurs s’élèvent contre le “wokisme“, une nouvelle forme de puritanisme hélas plus galopante que le coronavirus, et nous ne pouvons que relayer une initiative s’opposant à l’obscurantisme ou à l’endormissement du sens critique. “No pasaràn !“, qu’ils disaient. Reste que le collectif qui signe l’article se lance dans une critique presque ad hominem (ad feminem ?) à charge de la ministre concernée, confondant un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et le parti auquel elle appartient (tiens, tiens : en Belgique, seraient-ce les partis qui sont au pouvoir et non les élus eux-mêmes ?). La critique du wokisme aurait suffit à nous motiver, la harangue partisane n’était pas nécessaire ;
- OBJET DU DÉBAT ? D’autre part, le collectif à l’origine de l’article vise l’activité d’une fonctionnaire de l’Etat, soit : nous sommes en démocratie, on peut débattre des décisions prises. La démarche est a priori honorable en ceci qu’elle dénonce un wokisme rampant qui teinte des initiatives de la ministre. S’opposer à la police des esprits est nécessaire mais… également suffisant. Or, les auteurs descendent à l’intérieur de l’argumentaire de la ministre, alignant chiffres et statistiques face aux chiffres et statistiques. Qu’est-ce qui est préférable ? Qu’un camp gagne contre l’autre par l’étalage de faits (pseudo-)probants ou que les deux parties s’accordent sur l’inaliénable liberté du créateur de nos objets culturels ?
C’est pourquoi nous avons mis [en ellipse] dans l’article les mentions du nom de la ministre Bénédicte Linard et de son parti (ECOLO) pour vous permettre une lecture centrée sur le sujet : les auteurs (poussés à l’anonymat ?) dénoncent avant tout une censure rampante, masquée en “souci d’une plus grande représentation de la diversité dans nos productions culturelles“. Qu’importe la personne ou les convictions de la ministre chargée du dossier. J’ai dit démagogie ? Comme c’est bizarre…
[En-tête original] Il est hors de question de participer à la propagande woke émanant d’Ecolo…
Un formulaire émanant de la ministre Linard oblige les auteurs, réalisateurs et producteurs à s’interroger sur la représentation des minorités issues de “la diversité” dans leur projet de film. Il est hors de question de participer à cette propagande politique
[LALIBRE.BE, 18 juin 2022] L’année 2021 sonne avec fracas l’entrée dans une nouvelle ère de l’audiovisuel et des médias. Le Plan Diversité s’impose dans la vie artistique de la Fédération Wallonie Bruxelles. Il s’agit d’une démarche du cabinet de la ministre [en charge], adoptée pour “sensibiliser à la représentation dans le cinéma et l’audiovisuel.” Les institutions comme le Centre du cinéma et de l’audiovisuel (CCA) ont dû mettre en place des directives claires pour “encourager une production audiovisuelle et cinématographique plus représentative de la société belge dans son ensemble et diversifiée.“
À quoi répond-il, ce Plan Diversité ? Le CCA monitore depuis 2018 la diversité dans les productions belges via un partenariat récurrent avec l’UCLouvain. “Il s’agit de vérifier quels sont les personnages qui apparaissent à l’écran et si ces personnages sont diversifiés“, lit-on dans le rapport La diversité dans les films belges en 2019. Le but avoué du CCA est “d’aboutir à un panorama pluriannuel des représentations de la diversité dans nos films et séries et de leur évolution“. On ne peut que se réjouir d’une telle démarche.
Y règne cependant une grande confusion. D’abord, le terme “diversité” n’y est jamais défini. Le but avoué de cette collecte d’informations est teinté de la même confusion : “L’objectif de cette étude est de dresser un état des lieux pour amorcer une réflexion“, annoncent les premiers paragraphes. Réfléchir, c’est bien. Réfléchir sur un problème, c’est mieux.
L’étude de 2019 conclut que les femmes sont au centre des fictions (63 %) et majoritaires dans les documentaires (77 %). Dans les fictions, les classes populaires (38 %), moyennes (29 %) et aisées (33 %) sont réparties de façon égalitaire. On compte ensuite des personnages perçus comme arabes (17 %) et musulmans (13 %), des malades chroniques (17 %) et des personnes souffrant de troubles mentaux (21 %). Comment faut-il interpréter ces chiffres ?
Le 10 mai 2022, lors de la visioconférence La diversité dans les films belges en 2021, la directrice du Centre du cinéma et de l’audiovisuel, Jeanne Brunfaut, présente l’enjeu de ces études en ces termes : “On voudrait que ce qu’on montre à l’écran soit le plus possible proche de ce qu’est la réalité de la société dans laquelle on vit.“
Cependant, la comparaison avec le réel pose problème.
On constate qu’en Belgique, les femmes sont majoritaires (51 %) ; que les classes sociales sont réparties de façon égalitaire (sauf les classes aisées, 5 %) ; que 8 % de personnes issues d’Afrique du Nord et 6 % issues d’Afrique subsaharienne vivent sur le territoire ; de même que 3 % d’homosexuels et 3 % de bisexuels ; que le pays compte 62,8 % de chrétiens, 9,1 % d’athées et 6,8 % de musulmans ; que 11 % de la population manifestent un trouble anxieux, 9 % souffrent d’une dépression et 7 % sont affectés par un trouble du comportement alimentaire. Autrement dit, les œuvres audiovisuelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles sur-représentent certaines minorités par rapport au réel. Un en-tête éloquent conclut d’ailleurs ce rapport de l’année 2019 : “Une représentation déséquilibrée des personn(ag)es non blancs.” Faut-il y voir, en toute logique, l’aveu d’une surreprésentation des minorités issues de “la diversité” dans les films belges ? Pas du tout. Ce rapport conclut même l’inverse. Mais pourquoi ?
Au nom de l’inclusivisme woke
Le courant sociologique qui sert de base à ces études statistiques ne cherche pas l’adéquation entre le réel et le fictif. Son but est de permettre à des minorités sociales d’accéder à l’écran dans les œuvres fictionnelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ce courant sociologique n’est pas nouveau. Nous observons depuis un moment des dérives ethno-différentialistes dans le champ des sciences humaines et sociales. Ces dérives s’enracinent dans le présupposé que l’individu est “premier en droit“, que son ressenti est une donnée réelle et légitime et qu’il n’est plus possible de faire autre chose que répondre immédiatement à ses revendications. Les individus y sont appréhendés en catégories ethniques et sexuelles (les “Blancs“, les “Noirs“, les transgenres, les non-binaires, etc.). Au nom de l’égalité et de l’inclusion, ce courant sociologique (mais surtout politique et militant) sépare chaque minorité qui se replie sur elle-même au détriment d’un projet commun. Ces identités isolées et sans références communes appartiennent à un tout indistinct nommé “diversité“. Dans ce contexte, l’inclusivisme culturel ou “la diversité” est l’autre nom d’un séparatisme racial et de genres.
De la liberté du créateur
Cette nouvelle ère de l’audiovisuel et des médias qu’annonce le Plan Diversité, c’est celle du fondamentalisme démocratique qu’est l’inclusivisme woke. Le cabinet de la ministre […] semble avoir pour cheval de bataille la représentation à l’écran de toutes les minorités reconnues par les courants sociologiques ethno-différentialistes. Dans ce programme politique, le CCA sert visiblement d’incubateur. Depuis plusieurs mois, un formulaire oblige les auteurs, réalisateurs et producteurs à s’interroger sur la représentation des minorités issues de “la diversité” dans leur projet de film. “En aucun cas les réponses apportées n’influenceront la sélection et l’aide au financement de votre projet, explique ce document. La fiche 7 doit être envisagée comme une note explicitant la réflexion autour de la notion de diversité au sein du projet […]” Autrement dit, il ne s’agit nullement d’influencer l’écriture des projets mais de pousser à la réflexion. Nous voulons bien les croire.
Cependant, le parti politique de la ministre […], multiplie les initiatives. En témoigne cette journée d’étude du 18 juin intitulée : “La diversité dans la culture : les quotas comme solution ?” Malgré les propos rassurants du CCA, nous ne pouvons que constater l’écart entre les promesses de cette institution et les initiatives du parti de la ministre. Après un formulaire obligatoire, cette réflexion sur les quotas est le premier pas vers l’incursion du politique dans notre travail.
Cette dérive nous force à prendre position. En tant que citoyen, voulons-nous que le cinéma de notre pays représente le monde tel qu’il est, dans sa complexité et sa nuance, ou voulons-nous qu’il convoque le monde idéal d’un parti politique particulier ?
Une chose est sûre : nous assistons à une nouvelle ère de l’audiovisuel et des médias. Car, s’il faut le résumer, le choix qu’on nous propose est simple, c’est celui de la liberté du créateur ou celui de sa participation à une propagande politique.
d’après des auteurs connus de la rédaction de LALIBRE.BE
qui s’expriment ici de manière anonyme
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction, décommercialisation | sources : lalibre.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR ; © lalibre.be | Plus dans wallonica.org sur le mouvement woke, le nouveau puritanisme et l’inclusivisme : Les dérives de l’idéologie woke ; Pourquoi n’existe-t-il pas de genre neutre en français ; ATWOOD : La servante écarlate…
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