HAINE : Les facteurs d’instruments de musique actifs en Wallonie et à Bruxelles en 1985 (Pierre Mardaga, 1985)

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Les facteurs d’instruments de musique en Wallonie et à Bruxelles

LES SECTEURS DE LA FACTURE INSTRUMENTALE

La Communauté française de Belgique en 1985 compte 81 artisans dans la facture instrumentale qui se répartissent en sept catégories :

      1. clavecins et pianoforte 9,
      2. orgues 12,
      3. lutherie 31,
      4. instruments à vent 12,
      5. percussions 3,
      6. instruments mécaniques 6,
      7. instruments populaires 8.

Les facteurs d’instruments rangés dans la catégorie des clavecins fabriquent indifféremment des clavecins ou des instruments plus petits de type épinettes, virginals ou clavicordes. Un seul d’entre eux se consacre aussi à la construction de pianoforte. Tout récemment. un facteur de clavecins vient de décider de mettre sur le marché des pianos munis de sa marque.

Dans le secteur des orgues, les facteurs réalisent principalement des grandes orgues d’église ; quelques-uns fabriquent aussi des orgues positifs de dimensions plus réduites. Une entreprise s’adonne à la fois à la facture des orgues et des clavecins.

La lutherie, les instruments à vent et les instruments populaires présentent une certaine diversité dans leurs spécialisations. Certains luthiers ne se limitent pas à la fabrication des instruments du quatuor moderne ou ancien : les uns se spécialisent dans les violes d’amour, violes de gambes ou barytons, les autres se consacrent aux guitares ou aux luths ; d’autres enfin s’adonnent à la fabrication d’archets ou d’outils de lutherie.

De même, dans les instruments à vent qui se subdivisent en bois et en cuivres, la spécialisation à un type déterminé d’instruments est une pratique courante. Dans les bois, seules des flûtes de type Renaissance ou baroque sont fabriquées dans nos régions. Suite à la forte concurrence étrangère, les instruments à vent en cuivre ne sont pratiquement plus construits chez nous ; seules des entreprises dont la création remonte au 19e siècle ou au début du 20e siècle présentent encore au public des instruments munis de leur marque. La plupart d’entre elles se sont tournées vers l’entretien ou la restauration des cuivres ; la vente d’instruments importés occupe par ailleurs une grande partie de leurs activités. Un seul facteur d’instruments à vent distribue une cinquantaine de modèles divers, à la fois dans les bois et dans les cuivres, qui tous sont marqués de son nom. Mais il faut souligner que c’est à l’étranger que ce facteur fait fabriquer ses produits.

Cornets à bouquin © rtbf.be

Trois artisans se sont tournés vers une activité très spécifique au sein des instruments à vent : le premier fabrique des cornets à bouquin de type Renaissance, le deuxième reproduit des embouchures anciennes, le troisième se spécialise dans des becs de saxophones fabriqués dans des matières diverses.

Le secteur des instruments populaires offre une large variété de types divers. Si l’un ou l’autre facteur se consacre uniquement à la fabrication des cornemuses, des vielles à roue ou des accordéons diatoniques, d’autres s·occupent de plusieurs catégories à la fois: dulcimers, épinettes des Vosges et harpes celtiques.

Enfin, les facteurs d’instruments mécaniques fabriquent surtout des orgues de Barbarie. Deux d’entre eux réalisent également des instruments plus importants de type orchestrion.

La facture instrumentale est un métier essentiellement masculin. Seules trois femmes facteurs exercent cette activité : deux s’occupent de lutherie et une autre de clavecins.

Les artisans de la facture instrumentale ont une moyenne d’âge de 42 ans pour l’ensemble de ses secteurs. Seules les spécialités de la lutherie et des clavecins présentent une moyenne d’âge légèrement inférieure à cette moyenne générale, avec respectivement 39 et 41 ans. Par contre, la moyenne d’âge est légèrement supérieure dans les instruments mécaniques (44 ans), les orgues (45 ans), les instruments populaires (46 ans). les instruments à vent et les percussions (47 ans).

LES SECTEURS NON REPRESENTES : CLOCHES, PIANOS, SYNTHETISEURS

Lorsque l’on observe les divers secteurs de la facture instrumentale dans la Communauté française de Belgique en 1985, on constate que trois catégories d’instruments n’y sont pas représentées : ce sont les cloches, les pianos et les synthétiseurs.

La dernière fonderie de cloches de Wallonie installée à Tellin dans le Luxembourg a fermé ses portes cette année suite au décès de la dernière représentante d’une dynastie de fondeurs se transmettant l’art du métier de père en fils ou de père en filles depuis plusieurs générations.

Quant au secteur des pianos, il n’est plus du tout représenté. Actuellement les pianos vendus sont importés de l’étranger : U.S.A., Allemagne, Autriche, Japon et Corée. La vente des pianos importés se fait soit par des grandes maisons soit par des entreprises familiales plus réduites. Toutes ces maisons ont été créées il y a près d’un siècle : elles produisaient alors leurs propres pianos. Au fil des années, elles sont passées entre les mains de membres d’une même famille.

Alors que la facture de pianos était très florissante au 19e siècle et jusque dans les années 1920, les premières défections s’annoncent dans l’immédiate après-guerre (1945-1950) et continuent tout au long des années qui suivent: Hanlet abandonne la facture en 1960. Van der Elst en 1963 et Hautrive en 1973, pour ne citer que quelques noms.

© superprof

Les raisons de cet abandon sont d’ordres économique et financier : coût trop élevé du matériel de base souvent importé de l’étranger et charges sociales trop lourdes pour la main-d’œuvre occupée. Le coup de grâce est porté lors de l’invasion massive du marché de pianos étranger, notamment allemands et japonais de haute qualité et à des prix nettement plus concurrentiels que ceux pratiqués en France et en Belgique.

Les manufactures existantes se sont alors tournées vers des activités essentiellement commerciales. Pourtant. depuis 1960, la demande ne cesse de progresser (certaines petites entreprises vendent jusqu’à 300 pianos par an !), avec cependant une légère stagnation au cours de ces cinq dernières années, suite à la crise économique. Le système de leasing, location avec option de vente, est désormais pratiqué par tous avec succès (pour certains, il représente même 90 % des revenus). La clientèle est essentiellement formée d’amateurs, auxquels se joignent les grandes institutions professionnelles telles les conservatoires, académies, ou les radios et télévisions belges.

Pourtant, il faut noter que depuis mars 1985, une maison livre à nouveau des pianos modernes, munis de sa marque, à des prix très concurrentiels par rapport aux marques étrangères. Sans doute est-il trop tôt pour estimer la présence d’une relance dans ce secteur tout au moins peut-on parler d’un renouveau, ou en tous cas d’une tentative pour faire face aux marques étrangères. La structure d’exploitation de cette maison permet de prendre le risque d’une telle aventure. Sans doute faudra-t-il attendre encore quelques années avant de pouvoir estimer si ce secteur a réellement quelques chances de renaître dans nos régions.

Les synthétiseurs sont les derniers venus sur le marché des instruments de musique. La demande est importante mais aucun appareil n’est conçu ni réalisé, ni même assemblé dans nos régions. La majorité des synthétiseurs sont importés du Japon (marques Yamada. Korg, Kawai, Roland) ou des U.S.A. (Oberheim, Sequential Circuits, EM, MOC). Au niveau européen, la République Fédérale d’Allemagne et l’Italie se présentent comme les deux grands constructeurs, travaillant néanmoins en grande partie sous licence américaine. Enfin, la marque australienne Fairlight est à l’heure actuelle considérée comme produisant le synthétiseur le plus performant.

REPARTITION GEOGRAPHIQUE

Tels qu’ils sont répartis dans le tableau [disponible dans le catalogue], les 81 facteurs d’instruments de musique sont installés pour près de deux tiers en Wallonie et pour un tiers à Bruxelles (voir cartes pp. 12 et 13). La province la plus riche en facteurs d’instruments de musique est le Hainaut ( 17) suivie de Liège ( 14), du Brabant (11), de Namur (8) et du Luxembourg (3). Aucune province ne compte des facteurs de toutes les spécialités : de même, on ne peut dire que tel ou tel secteur est davantage implanté dans une région déterminée. Néanmoins. les facteurs d’orgues, les facteurs d’instruments mécaniques et d’instruments populaires préfèrent la province à la capitale. Le Brabant semble offrir le plus de variétés puisque seule la catégorie des percussions n’y est pas représentée.

A l’intérieur de la capitale, les facteurs d’instruments de musique sont dispersés dans plusieurs communes. Certes, trois luthiers se sont installés au cœur même de Bruxelles, dans le quartier du Sablon. près du Conservatoire royal de Musique, et deux facteurs-marchands d’instruments à vent se trouvent au centre-ville. Les communes situées au sud de Bruxelles-ville semblent être davantage choisies comme lieu d’exploitation, quoique celles du nord ne soient pas pour autant complètement désertées.

Près d’un quart des facteurs, principalement les luthiers, connaissent plusieurs lieux d’exploitation. Souvent, ils changent de commune lorsqu’ils habitent Bruxelles, mais ils ne se dirigent pas nécessairement vers le centre ville. Quelques luthiers de province viennent s’installer à Bruxelles. Mais c’est plutôt le mouvement inverse que l’on observe d’une manière générale : les facteurs d’instruments de musique qui ont acquis un certain renom dans la capitale quittent celle-ci pour s’installer en province. Il faut par ailleurs remarquer que ces facteurs ne choisissent pas nécessairement les villes pour y fixer leur atelier ; au contraire, ils semblent préférer la campagne.

La grande majorité des facteurs sont de souche wallonne ou bruxelloise. Seuls six d’entre eux sont d’origine étrangère (un Français, un Italien, deux Allemands. un Anglais, un Néo-Zélandais).

APPRENTISSAGE ET FORMATION

En général, la formation des artisans de la facture instrumentale est très diversifiée. L’apprentissage en autodidacte se rencontre fréquemment parmi les luthiers (50 %), les facteurs d’instruments à vent en bois ou les facteurs d’instruments mécaniques (50 %), alors qu’il est nettement plus rare chez les facteurs d’orgues ou les facteurs de clavecins (10 %).

L’apprentissage se fait soit par des stages auprès de facteurs étrangers (50 % ) ou belges (35 % ), soit par des études dans des écoles de facture instrumentale (15 %).

La plupart des facteurs d’orgues et de clavecins ont d’abord acquis une formation de menuisier ou d’ébéniste avant d’entreprendre une spécialisation dans la facture instrumentale. Il faut également noter que 30 % des facteurs d’instruments à vent et d’instruments à percussion ont acquis leur formation dans les ateliers paternels. La majorité des facteurs connaissent la pratique des instruments qu’ils fabriquent. Ils sont quasiment tous instrumentistes amateurs ou, dans quelques cas, professionnels ; certains ont un diplôme du Conservatoire. La plupart des facteurs d’instruments populaires font partie de groupes folkloriques ou de musiques populaires.

Benoît Paulis est le seul facteur d’orgues de barbarie wallon (2023) © Pauliphonic

Quelques facteurs bénéficient aussi d’une formation de musicologue (sortis des universités francophones du pays).

Il existe deux écoles de facture instrumentale dans la partie flamande du pays, une créée en 1976 à Puurs, le Centrum voor Muziekinstmmentenbouw, et l’autre créée en 1981 comme section de l’école technique provinciale de Boom. La première de ces écoles procure un diplôme de formation sociale complémentaire tandis que la section de Boom délivre un diplôme technique. Dans chacune de ces écoles. les cours de facture instrumentale s’insèrent dans un programme de cours généraux dispensés pendant trois ans par des luthiers de métier. Chaque école compte une trentaine d’étudiants qui tous reçoivent une formation de luthier. Il semble qu’il n’y ait pas de cours concernant les autres spécialités : ni la facture d’orgues ni celle de clavecins. Il n’existe pas d’écoles semblables en Wallonie (voir p. 25).

Les deux tiers des facteurs d’instruments de musique actuels de Wallonie et de Bruxelles se sont installés à leur compte après 1971 ; plus précisément, la plupart de ceux-ci ont commencé la facture instrumentale entre 1976 et 1980, suite au renouveau de la musique ancienne. Toutefois, le mouvement s’est amorcé dès les années 1965-1975 avec une dizaine d’artisans débutant dans ce métier  Par contre. depuis 1981, il semble qu’il y ait un net ralentissement dans le nombre de nouveaux facteurs.

Les facteurs d’instruments de musique s’installent à leur compte généralement vers l’âge de 30 ans. Toutefois, selon les spécialités, on constate de légères variations oscillant entre 27 ans (facture d’orgues) et 35 ans (instruments populaires). Il faut cependant remarquer qu’il est parfois assez malaisé de préciser exactement le début de leurs activités de facteur : la plupart commencent en amateur, bien souvent en sus d’une autre activité professionnelle qu’ils n’abandonnent d’ailleurs parfois pas complètement. Ce lent démarrage n’est bien entendu possible que dans les secteurs qui ne nécessitent pas de capitaux importants de départ.

Mais pour une fabrication continue et de choix. il faut toutefois investir dans des réserves de bois importantes qu’on laisse sécher plusieurs années. Dans le secteur des orgues, le montant des capitaux nécessaires est par ailleurs plus important.

D’où viennent ces capitaux de départ ? Quelques luthiers et facteurs de clavecins installés après 1970 ont remporté une bourse de la Fondation belge de la Vocation qui leur a permis un démarrage plus facile. D’autres ont bénéficié d’un emprunt spécial jeune ; certains possèdent des économies personnelles provenant d’une autre occupation principale ou de facilités familiales.

Si la grande majorité des facteurs d’instruments de musique de Wallonie et de Bruxelles ont ouvert de nouveaux ateliers en s’installant à leur compte, il faut remarquer qu’il existe quelques entreprises à tradition familiale. Six d’entre eux en sont à leur deuxième ou troisième génération de facteurs d’instruments : Gomrée (orgues), Schumacher (orgues), Thirion (instruments mécaniques), Camurat (lutherie), Bantuelle (cuivres), Kerkhofs (cuivres), Maheu (cuivres) (certains toutefois se sont à présent convertis uniquement dans la vente d’instruments) ; huit facteurs d’instruments appartiennent à des maisons qui remontent au 19e siècle : la maison Delmotte (orgues) date de 1812, la maison Kaufmann (clavecins) quoique créée à l’étranger remonte à 1828, la maison Mahillon (cuivres) est fondée en 1836 et passe aux mains de Steenhuysen en 1939, la maison Bernard (lutherie) est ouverte en 1868, la maison Van Linthout (cuivres) a débuté en 1870, la maison Persy (cuivres) s’est établie en 1897, la maison Maheu (cuivres) débute en 1890 et la maison Biesemans (percussions) commence en 1908.

MILIEU FAMILIAL

La moitié des facteurs d’instruments de musique sont issus d’une famille dont les parents exerçaient, dans 30 % des cas, une profession libérale (médecin, industriel, avocat) et, dans 20 % des cas, des activités dans la facture instrumentale. Pour le reste, on peut dénombrer 11 % appartenant à un milieu ouvrier (verrier, tourneur, menuisier, textile, tôlier), 10 % issu d’un milieu d’artistes (musicien professionnel, peintre, photographe), 8 % d’un milieu de petits commerçants (boucher, pâtissier), 7 % d’un milieu d’enseignants (instituteur, régent, professeur dans le secondaire). Un dernier groupe représentant 14 % de l’ensemble des facteurs d’instruments de musique s’apparente à des milieux divers : comptable, employé, chef de gare, officier dans l’armée de l’air ou ébéniste.

Dans la catégorie des facteurs de clavecins, des luthiers, des facteurs d’instruments à vent en bois, on remarque une nette tendance à l’appartenance à un milieu familial de type professions libérales. La majeure partie des facteurs d’orgues et des facteurs d’instruments à vent en cuivre est issue d’un milieu de facteurs d’instruments de musique. Quant aux facteurs d’instruments mécaniques, ils appartiennent à un milieu plus populaire. […]

Suivent les sujets suivants :

      • Structures d’exploitation
        • Artisan ou chef d’entreprise ?
        • Nature des activités
        • Activité principale ou activité secondaire ?
        • Choix du métier
        • Clientèle
      • Importance de la production
        • Evolution au cours des dernières années
        • Publicité
        • Prix des instruments
        • Difficultés économique
        • Frais et répartition des charges
      • Initiatives souhaitées
        • Au niveau des professionnels
        • Au niveau des pouvoirs publics
La suite est disponible dans le PDF complet avec reconnaissance de caractères, à télécharger dans la DOCUMENTA. L’ouvrage présente également une fiche individuelle pour chacun des 82 facteurs identifiés par l’étude… en 1985.

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription, correction, édition et iconographie | sources : Pierre Mardaga, éditeur |  contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Pierre Mardaga ; © rtbf.be ; © superprof ; © pauliphonic.


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