[CONNAISSANCEDESARTS.COM, 12 décembre 2023] Petit-fils du sculpteur espagnol Pablo Gargallo et fils de la sculptrice Pierrette Gargallo, Jean Anguera (né en 1953 à Paris) expose jusqu’au 11 février [2024] au musée de la Carte à jouer d’Issy-les-Moulineaux, la ville où il est arrivé à l’âge de dix ans. C’est dire les liens qui relient le sculpteur académicien et cette banlieue du Sud de Paris qu’il a arpentée, adolescent, du quartier arménien au fort militaire de l’enceinte de Thiers. Vivant aujourd’hui dans le Loiret avec sa femme, la sculptrice Laure de Ribier, il continue d’entretenir des liens avec “ces lieux qui me sont très chers”, comme il aime à le rappeler. C’est pourquoi le fait d’exposer au milieu des collections historiques de la ville d’Issy-les-Moulineaux a du sens car ses œuvres répondent volontiers à Rodin et Dubuffet. Ses figures et ses bustes surprennent par leur monumentalité et leur travail de la matière.
Au gré du parcours dans le musée, on peut imaginer des correspondances entre les grandes figures dans l’espace de Jean Anguera et les tableaux d’Henri Matisse décrivant le volume de son atelier d’Issy-les-Moulineaux, où l’artiste a vécu de 1909 à 1917. On peut également recréer des liens entre les plâtres de Rodin, placés dans une vitrine du musée pour rappeler son séjour à la Villa des Brillants à Meudon, et les bustes de Jean Anguera représentant son ami le poète Salah Stétié. Sans parler de la verticalité de certaines de ses sculptures qui rappellent celle de la Tour aux figures de Jean Dubuffet, érigée sur l’île Saint-Germain voisine.
Est-ce grâce à ses études d’architecture, menées à Paris jusqu’en 1978, à sa proximité avec le sculpteur César aux Beaux-Arts ou aux cours du scénographe Jacques Bosson que Jean Anguera a un tel sens de la monumentalité ? Parti du bloc, qui est ici malaxé, trituré, laminé, cet homme drapé dresse sa petite tête vers le ciel. Il marche comme celui de Giacometti, son aîné, mais pèse de tout son poids sur la terre avec laquelle il fait corps. Les sculptures de Jean Anguera sont modelées d’abord dans l’argile, puis reproduites dans la résine de polyester, avant d’être fondues en bronze.
Lauréat du Prix Simone et Cino del Duca en 2012, Jean Anguera a été élu en 2013 membre de l’Académie des Beaux-Arts au fauteuil du sculpteur François Stahly. Comme celui-ci, il aime les silhouettes-totems, le noir de la gravure et la patine des bronzes. Parfois, Jean Anguera joue sur la masse comme ici, avec cette Femme assise, qui semble émerger du magma.
“Pensée… pesée d’un perpétuel inachèvement, d’où la permanence de la plénitude”, écrit René Quinon. «“Il y a dans l’écriture de Jean Anguera ce qui nomme l’essentiel : l’exigence de la respiration, de l’apesanteur, de la stase”. Ainsi de cette deuxième version du Corps retrouvé qui, pareil à une crête de montagne, s’étire et deviendra, sept ans plus tard, le corps d’une femme étendue. L’horizontalité, les traces de la main et le rythme des plis donnent tout son sens à ces variations d’odalisques et de paysages anthropomorphes.
Le poète libanais Salah Stétié, maître des mots et de la calligraphie, a qualifié Jean Anguera de “sculpteur de l’impalpable”. À propos du sujet de ses sculptures, il parle d’un homme “brisé de traits à l’avancée du jour” et “enfanté par la complexité des lignes”. En réponse, le sculpteur a créé une série de bustes où les traits du visage sont encore présents mais où des scarifications plus ou moins profondes viennent altérer leur lisibilité. On ne peut s’empêcher de penser aux œuvres en trois dimensions de Jean Fautrier.
Dessins et livres illustrés (depuis 1999, Jean Anguera collabore à la collection Mémoires et réalise des manuscrits avec Joël Bastard, Michel Butor, Serge Meschonnic…) complètent la vingtaine de sculptures, corps ou paysages, présentées aux quatre coins du musée. “Chaque pièce devient le signal d’une relation humaine à la création, écrit Jean-Paul Gavard-Perret. Bref, d’une étrange intimité. Dans la fabrication de cette tension à ceindre le vide et dans tous ses états, le corps est le vaisseau-fantôme“. Ici, ce n’est plus l’homme qui marche dans la plaine mais La Plaine traversée, métonymie sculpturale transformant le corps en lieu du déplacement.
Guy Boyer
[CANALACADEMIES.COM] Issu d’une famille d’artiste, petit-fils du sculpteur Pablo Gargallo, Jean Anguera naît à Paris en 1953. Passionné par le modelage depuis son plus jeune âge, il suit les cours de l’atelier César en parallèle à ses études d’Architecture à l’École nationale supérieure des beaux-arts ; choisissant à partir de 1978 de se consacrer entièrement à la sculpture et au dessin, il retiendra de l’enseignement de l’architecture l’apprentissage d’un langage rigoureux et les rapports entre intériorité et extériorité qu’il transposera dans l’imaginaire de sa sculpture. Jacques Bosson, architecte-scénographe, ainsi que le comédien Jacques Lecoq et le sculpteur Gérard Koch influenceront les recherches formelles de sa sculpture.
À partir de 1981, il choisit d’utiliser un matériau auquel il restera fidèle, la résine de polyester, qui lui permet de reproduire avec précision les modelages qu’il effectue dans l’argile. Ayant épousé en 1977 Laure de Ribier, une jeune femme sculpteur rencontrée à l’atelier de César, il part s’établir avec elle en Auvergne ; la variété des paysages et des reliefs lui procure un vocabulaire formel qui alimente ses premières «images doubles» où se mêlent le corps humain et la représentation du paysage (série des Géographies sentimentales).
Il se rapproche de Paris en 1983 et installe son atelier dans un village au cœur de la plaine entre Beauce et Gâtinais. Il découvre un paysage réduit à l’essentiel – où tout se joue entre l’étendue de la terre et l’immensité du ciel induit par la séparation virtuelle de l’horizon – un paysage qui rencontre peu à peu sa sculpture en y inscrivant la relation intime de l’homme avec l’espace. “Il y a avant tout l’horizontalité absolue, et puis cette rupture, cet accident inouï qu’est la verticalité de la silhouette.” (Pierre Edouard in Jean Anguera – Trinité de la sculpture,2017).
Pour Jean Anguera, le modelage constitue l’essentiel d’une démarche artistique qui tente d’unir dans une même forme la présence et le lieu. “L’art ne saurait éluder le périmètre où il se forge, et à fortiori la sculpture, qui participe d’un environnement donné, tant il s’avère consubstantiel de sa viabilité.” (Gérard Xuriguera in Jean Anguera, terre d’appui, catalogue galerie Marwan Hoss, 2006).
Jean Anguera a exposé régulièrement à la galerie Marwan Hoss et avec elle à la FIAC ou à ARCO à Madrid et avec la galerie Michèle Broutta à partir de 1999. En témoignage d’amitié le poète et essayiste Salah Stétié lui consacre en 2011 une monographie illustrée de photographies de l’artiste Jean Anguera, sculpteur de l’impalpable. La même année, le musée Goya de Castres consacre à son travail une première rétrospective (L’argile est éternelle, commissariat Jean-Louis Augé). Suivront deux expositions importantes en 2012 au musée du COMPA à Chartres et en 2013 à la Propriété Caillebotte à Yerres . En 2015 il expose à la Fondation Elsa Triolet-Aragon et début 2016 le Palacio de la Lonja de Saragosse présente les quinze dernières années de sa sculpture (Camino de la escultura – commissariat Rafael Ordonez). Une partie significative des œuvres constituera l’exposition à l’abbaye de Flaran la même année. En 2017 le Musée Espace d’Art de la Ville de Pithiviers présente son travail sous le titre Un désir de présence (commissariat Jean-Marc Providence). Et en 2018 c’est au tour de la Ville de Tarbes d’accueillir au Carmel un ensemble représentatif de son travail.
Depuis 1999, il collabore à la Collection Mémoires dirigée par Eric Coisel et travaille à la réalisation de livres peints manuscrits avec de nombreux poètes, dont Jacques Ancet, Joël Bastard, Michel Butor, Jean-Paul Gavard-Perret, Serge Gavronsky, Robert Marteau, Henri Meschonnic et Salah Stétié. En 2012, l’Académie des beaux-arts lui décerne le Prix de Sculpture de la Fondation Cino del Duca pour l’ensemble de son œuvre. L’année suivante il est élu membre de l’Académie des Beaux-Arts au fauteuil de François Stahly. Les titres de ses expositions personnelles tels que De la présence et du lieu (1997), Pensée du paysage (1999), L’intime dehors (2004), Terre d’appui (2006), Le paysage à travers l’homme (2008), L’homme jusqu’à la plaine (2011), Le paysage sculpture (2012), témoignent de la thématique centrale dans son œuvre : celle du paysage qu’il unit de manière indissociable à l’image de l’homme. Depuis 1997 son épouse Laure de Ribier l’assiste dans son travail. La plupart des œuvres seront signées de leur deux noms. Jean Anguera est Chevalier des Arts et Lettres. Il a été élu membre de l’Académie des beaux-arts le 27 février 2013.
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