Au-delà de la sexualité, les faux-semblants du consentement

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[THECONVERSATION.COM, 23 mars 2025] Volontiers associé à la sexualité, où il est promesse d’avancée dans la lutte contre les violences, le consentement est en fait présent dans une grande partie de nos interactions sociales. Terme ambigu, il masque bien souvent une relation déséquilibrée au préjudice de celle ou de celui qui consent. Le consentement est facilement considéré comme le fondement de toute relation sociale équilibrée et solution ultime pour en régler les maux. Cette hypervalorisation du consentement a ses raisons. Elle ne doit pas en dissimuler les profondes ambiguïtés. Plusieurs travaux récents s’efforcent d’en saisir la complexité et éclairent sur les risques qu’elle présente.

Sait-on vraiment ce qu’est consentir ? Quel est le sens du consentement ? Comment se forme-t-il ? Comment valablement l’exprimer ? Quelle en est la temporalité ?

Un consentement en trompe-l’œil

Ces questions prennent une nouvelle épaisseur dans le contexte contemporain. C’est peu dire que le consentement est un thème d’une grande actualité. Il l’est dans des domaines à fort écho social tels que les relations sexuelles, le suivi des prescriptions de vaccination, le respect de la norme (que l’on pense au phénomène des ‘gilets jaunes’).

Ce n’est cependant pas dans ces contextes, qui inclinent souvent à des réactions épidermiques peu propices à une réflexion sereine, que nous voulons situer nos propos. D’autant que nombre d’autres domaines, moins médiatisés en raison de leur dimension technique, tels que le développement des modes alternatifs de règlement des litiges, ou le consentement numérique, et qui pourtant irriguent notre quotidien, sont particulièrement éclairants lorsque l’on veut évoquer les ambiguïtés du consentement.

Derrière l’aphorisme « céder n’est pas consentir », la frontière est plus floue qu’il n’y paraît, expliquait Clotilde Leguil, psychanalyste et philosophe, en 2021, sur France Culture.

En réalité, celui-ci est omniprésent tout bonnement dans le sentiment d’une tension accrue opposant, d’une part, l’excès de consentement associé à l’individualisme (“je suis, donc je dois pouvoir consentir“), d’autre part, la réalité dégradée d’un consentement en trompe-l’œil (“je consens librement à partager toutes mes données ou à acheter impulsivement un objet ?”) et mythifié (la cérémonie du mariage, avec son échange public des consentements, a-t-elle jamais fait disparaître les mariages forcés ?)…

Le consentement, partout et nulle part. Il semblerait que rien ne peut exister sans avoir été consenti. Mais cette banalisation du consentement ne signe-t-elle pas sa fin ?

Aucune place pour la négociation

La valorisation du consentement est flatteuse dans la mesure où elle exalte l’individualisme ambiant et prétend faire rempart à l’abus, à la domination de celui qui veut obtenir d’un tiers une action. En exigeant l’expression objective et concrète d’un consentement, venant souligner l’acte à venir, on protégerait la personne en ajoutant une étape complémentaire entre son être et son comportement : prendre le temps d’objectiver, de matérialiser, son inclinaison pour ce qui vient. La réalité de la mise en œuvre du consentement oblige à modérer cette vision enjouée.

En effet, on ne peut garantir, par le seul consentement, la validité et l’efficacité de la protection des intérêts de la personne. Moins encore en considération d’un consentement de plus en plus souvent donné dans l’urgence, ou du moins dans l’instantanéité, sans qu’un processus de réflexion ne puisse être engagé ni le consentement proprement discerné.

Pourtant, nos relations sociales naviguent entre individualisme et phénomène de masse, et leur appréhension par le droit passe par une sollicitation croissante d’un consentement présenté comme une alternative à l’imposition de la norme. Plutôt que d’imposer un comportement, on sollicite la participation de l’intéressé au processus, par son consentement… Sans pour autant laisser place à la négociation, à la coconstruction de ce qu’il adviendra, sans laisser un choix véritable (on n’impose pas les cookies sur un site de commerce en ligne, mais sans consentement, pas d’accès à tous ces objets du désir).

 

Sait-on vraiment à quoi l’on consent ?

D’un côté, le recours au consentement, si fictif soit-il, est indispensable dans la mesure où il responsabilise la personne qui devra formaliser positivement, par le droit, son adhésion à tel acte, telle action. C’est aussi un insidieux transfert de charge vers l’individu : celui qui consent engage sa responsabilité ; pas de responsabilité sans consentement, à moins que ce ne soit l’inverse.

D’un autre côté, le consentement protège la liberté du consentant à l’égard d’une contrainte privée, publique ou sociale, voire d’un ‘modèle de société’ lorsqu’au nom de certaines valeurs ou raisons impérieuses, on cherche à imposer une action déterminée. Pas de liberté sans consentement, à moins que ce ne soit l’inverse.

De fait, désormais, les invitations – les injonctions ? – au consentement se multiplient, au point que le domaine du consentement s’étend bien au-delà du périmètre traditionnel du contrat. Mais sait-on vraiment à quoi on consent ? Assure-t-on la qualité du consentement ? À la lumière d’un contexte de technicisation globale des relations sociales et de biais cognitifs, il est impératif de questionner le risque de discordance entre le fait de consentir et le sens de ce à quoi l’on consent.

Le développement des formes multiples de recueil du consentement, et à l’évidence l’élargissement du champ de ce dernier, ouvre de nouveaux chemins d’autonomie, mais avec quelle(s) liberté(s) réelles, quels risques, quelles finalités ?

Les formes juridiques

Les neurosciences nous éclairent sur le libre arbitre et ses conditions. La philosophie nous rappelle que consentir n’est pas vouloir. La sociologie révèle la représentation sociale qui se joue lorsque consentir devient céder à la nécessité (que n’est-on prêt à accepter pour intégrer ‘le groupe’, quel qu’il soit ?), tandis que la criminologie alerte : céder n’est pas consentir.

Il est impératif de mieux comprendre le consentement, pour mieux en observer les formes juridiques, partout complexifiées, souvent présumées voire imposées, comme en droit privé des affaires.

Les choses sont donc moins simples qu’il n’y paraît. On soulignera deux éléments.

Premièrement, exiger le consentement ne garantit pas l’authenticité de l’expression de la volonté du consentant. C’est au mieux un “euphémisme du vouloir” (M. Messu, Le sens du consentement, in M. Cannarsa, M. Disant, M. Monot-Fouletier, F. Toulieux, Le Consentement. Mutations et perspectives, Mare et Martin, 2024). Choisir d’aller dans une direction sans pour autant savoir très bien où l’on va, prendre un risque en acceptant d’ignorer partiellement ce à quoi on consent. Chacun fait régulièrement l’expérience d’accepter des cookies, de consentir au partage de données, pour accéder à un service numérique. Quant au malade qui souffre, maîtrise-t-il parfaitement les choix dans son parcours de santé face à un corps médical expert ?

Il n’y a pas dans le consentement le volontarisme que l’on voudrait y voir. Il y a au contraire, de plus en plus, une forme de passivité et de suivisme, voire un risque de fabrique artificielle du consentement (J.-Ph. Pierron, La Fabrique du consentement), mais qui n’engage pas moins le consentant. Placer l’individu à l’abri de son consentement, c’est le mettre à découvert de son engagement. S’étant prononcé avant que l’interaction sociale proposée ne se produise, il ne peut en connaître très précisément les contours : le consentement n’est pas la ratification, il n’est pas toujours libre et rarement parfaitement éclairé, et pourtant il marque de façon objective l’engagement de celui qui l’accorde.

L’une des principales illusions du consentement tient à l’instantanéité dans laquelle il s’exprime. Elle ne laisse pas le temps à la volonté de se construire et d’évoluer. Il est alors d’autant plus impérieux d’organiser le déconsentir. Ce pourrait être particulièrement utile sur Internet, où l’on consent actuellement au partage de nos données sans limites de temps, sans possible regret. Car, en l’état, l’hypervalorisation du consentement revient à préserver moins la volonté autonome du consentant que le maintien dans l’ombre du demandeur, encore considéré comme un tiers qui s’engage peu. Que dit-il précisément de son intention, de ses projets, de ce qu’il fera de notre consentement ?

L’exigence ‘brute’ d’un consentement n’est donc pas en tant que telle une garantie suffisante lorsqu’on veut protéger une potentielle victime. Il n’est pas une fin, mais simplement un moyen ; il n’est pas un aboutissement, mais une étape dont on doit penser la vulnérabilité (comment le recueillir, peut-on s’assurer qu’il soit libre et éclairé ?) et la temporalité (comment tenir compte de l’évolution du contexte ayant donné naissance au consentement ?).

Deuxièmement, éluder le consentement et forcer une personne à entrer dans une relation contractuelle peut parfois être souhaitable. Car le consentement n’est pas qu’un acte solitaire. Il peut être un acte égalitaire, solidaire, conçu comme impliquant les intérêts de tiers, voire un intérêt général.

Ainsi d’une entreprise en position dominante qui, en droit de la concurrence, devra contracter avec des opérateurs qu’elle n’aurait pas choisis si sa volonté pouvait s’exprimer librement. Ainsi également du consentement forcé, lorsqu’est en jeu l’accès à un service jugé essentiel, raison d’être, par exemple, des contrats bancaires imposés aux banques pour l’accès à des services ‘de base’.

C’est bien encore l’intérêt général et la continuité de l’exécution du service public qui justifient d’apprécier de façon différenciée la gravité des vices du consentement dans les contrats administratifs, permettant au juge de maintenir un contrat contre la volonté d’un des contractants (H. Hoepffner, Le consentement dans les contrats administratifs).

Une certaine objectivisation du consentement

Forcer le consentement peut aussi se justifier par la nécessité de lutter contre une discrimination illégale : on ne peut refuser de signer un contrat, ou refuser de le maintenir, à raison du sexe, de l’origine, de l’orientation sexuelle, du lieu de domicile, de l’âge ou de la situation de famille du cocontractant potentiel.

Forcer le consentement contre le contractant, jusqu’où ? C’est un enjeu juridique concret qui traverse les frontières, non sans subtilités, illustré par l’affaire d’une fleuriste américaine ayant refusé de signer un contrat de fourniture de bouquets pour le mariage d’un couple de même sexe (R. De Caria, Love all, serve all (coactivement) : le problème de l’obligation pour les entreprises de contracter contre leur volonté in M. Cannarsa, M. Disant, M. Monot-Fouletier, F. Toulieux, Les Mutations du consentement. Études juridiques internationales, Mare et Martin, à paraître septembre 2025).

Tout ceci témoigne d’une forme d’objectivisation du consentement, qui induit que le consentement n’est plus ce qu’il a si longtemps semblé être, la forme la plus évidente d’expression de l’individualité. Il est sans doute temps d’envisager son alternative pour mieux nommer ce qu’il prétend désigner : une simple autorisation, le témoignage d’une acceptabilité dans laquelle la garantie de la loyauté, condition de la confiance, doit avoir toute sa place.

Marjolaine Monot-Fouletier & Mathieu Disant (FR)


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Plus de littérature en Wallonie…

CLIMAT : le Tribunal international du droit de la mer livre un arrêt historique

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[THECONVERSATION.COM, 11 juin 2024] Ce 21 avril 2024, le Tribunal international du droit de la Mer (TIDM, que l’on nommera simplement Tribunal dans ce texte) est rentré dans l’histoire en devenant le premier organe judiciaire international à rendre un avis consultatif sur le climat. Par là, il répondait à une question posée en 2022 par la Commission des petits États insulaires (Cosis) dans le cadre d’une demande d’avis consultatif.

L’avis conclut à l’obligation des États de protéger et de préserver les océans de la planète des effets du changement climatique. C’est la première fois qu’un tribunal international se penche sur les obligations des États en matière de changement climatique dans le cadre de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, dite de Montego Bay – que l’on nommera Convention dans ce texte.

Cet avis fait partie de la vague de textes attendus pour les mois à venir de la part des organes juridictionnels internationaux, sollicités à plusieurs reprises pour se prononcer sur les obligations des États relatives au changement climatique :

      • La Cour internationale de justice (CIJ) doit rendre prochainement un avis suite à une demande effectuée en mars 2023 par Vanuatu dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations unies. Il doit porter sur les obligations des États de limiter le réchauffement climatique et sur leurs responsabilités face aux dégâts causés par celui-ci.
      • La Cour interaméricaine des droits de l’homme a été saisie en janvier 2023 par le Chili et la Colombie, là aussi pour éclaircir les obligations des pays à répondre à l’urgence climatique dans le cadre du droit international.

Rappelons, dans ce contexte, l’importance de cet avis consultatif. Même s’il n’a pas de portée obligatoire, il peut exercer une influence non négligeable à la fois sur le droit international et sur des décisions de justice nationales en matière climatique.

Le raisonnement des juges internationaux

Avant de détailler la réponse du Tribunal, examinons d’abord la question qui lui a été posée. La Cosis interrogeait le Tribunal sur l’existence d’obligations spécifiques, pour les États parties à la Convention, de prévenir, réduire et maîtriser la pollution marine. Ceci en relation avec les effets délétères qui résultent – ou sont susceptibles de résulter – du changement climatique causé par les émissions anthropiques (c’est-à-dire, résultant des activités humaines) de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère.

Le Tribunal a estimé qu’il devait d’abord déterminer si les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère relevaient bien de la définition de la “pollution du milieu marin” au sens de l’article 1, 1, 4, de la Convention. Cet article, note le Tribunal, ne fournit pas explicitement une liste de polluants du milieu marin, mais liste trois critères pour déterminer ce qui constitue une telle pollution :

      1. il doit s’agir d’une substance ou une énergie,
      2. elle doit avoir été introduite par l’homme, directement ou indirectement, dans le milieu marin,
      3. cette introduction doit avoir (ou être susceptible d’avoir) des effets nocifs.

Cette définition est générale, en ce sens qu’elle englobe tout ce qui répond à ces critères. De même, les termes substance et énergie doivent être compris dans un sens assez large.

Les arguments scientifiques au Tribunal

Trois points décisifs ont permis au Tribunal d’affirmer l’obligation de protection et de préservation pour les États :

      1. Le rôle des océans dans la protection contre le changement climatique,
      2. La qualification des émissions de gaz à effet de serre (GES) en tant que polluants marins,
      3. Les obligations des États de préserver les océans à cet égard.

Pour cela, les arguments scientifiques ont tenu une place centrale. Dans son raisonnement, le Tribunal a repris le dernier rapport du GIEC à travers plusieurs arguments clés, notamment :

      • l’océan est “un régulateur climatique fondamental à des échelles de temps saisonnières à millénaires“,
      • l’accumulation de GES anthropiques (définies par les juges comme “résultant des activités humaines ou produit par elles“) dans l’atmosphère a eu de nombreux effets sur l’océan,
      • les émissions anthropiques de GES “ont conduit à des concentrations atmosphériques de dioxyde de carbone, de méthane et d’oxyde nitreux qui sont sans précédent depuis au moins les 800 000 dernières années.”

En ce qui concerne les risques liés au climat, le Tribunal rappelle que, selon le GIEC toujours :

      • Les risques et les effets néfastes prévus ainsi que les pertes et dommages connexes liés aux changements climatiques augmentent.
      • L’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur marine accroîtra les risques de perte de biodiversité dans les océans.

Autrement dit, le Tribunal établit, grâce aux arguments scientifiques du GIEC, un lien de causalité entre les émissions de GES d’une part, et le réchauffement des océans et la perte de biodiversité marine d’autre part. Ce sont ces éléments qui ont ensuite permis aux juges de conclure que les émissions anthropiques de GES dans l’atmosphère constituent une pollution du milieu marin.

Une obligation de protection

Revenons sur les trois critères qui permettent de caractériser la pollution marine dans la Convention : la qualification de substance ou d’énergie, l’introduction directe ou indirecte par l’humain dans le milieu marin, et les effets nocifs, réels ou avérés, consécutifs à cette introduction.

Ici, le Tribunal a estimé que ces trois critères étaient remplis.

Il estime que les gaz à effet de serre d’origine humaine, et en particulier le CO2, sont bien des “substances” et que la chaleur accumulée par les océans est de l’énergie thermique, une forme d’énergie. Une interprétation d’ailleurs partagée par la Commission du droit international dans son commentaire sur la définition de la “pollution atmosphérique.

Comme les GES introduits indirectement par les êtres humains piègent la chaleur dans l’atmosphère, et que les océans stockent ensuite cette chaleur, la seconde condition est remplie.

Le réchauffement des océans, on l’a vu précédemment, provoque une augmentation des pertes et dommages liés au changement climatique, ainsi qu’une perte de biodiversité marine. Les effets nocifs de la troisième condition sont donc caractérisés.

Restait une dernière étape dans le raisonnement des juges : les obligations spécifiques des États parties de protéger et préserver les océans face aux pollutions du milieu matin ainsi définies.

Le Tribunal cite d’abord l’article 192 de la Convention qui dispose que “les États ont l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin.

Il reconnaît aussi que, selon l’article 193, les États ont le droit souverain d’exploiter leurs ressources naturelles conformément à leurs politiques environnementales, mais “conformément à leur obligation de protéger et de préserver le milieu marin“, ce qui est une contrainte à l’exercice de leur droit souverain.

C’est en réalité l’article 194 qui constitue, dans cet avis, la disposition clé. Il exige notamment des États qu’ils prennent “toutes les mesures nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin ‘quelle qu’en soit la source’.

Pour le Tribunal, il s’agit d’une obligation commune à toutes les sources de pollution – notamment, comme on l’a vu plus haut, les GES – que les États doivent respecter.

Un avis qui fera date

Cet avis est important, car il confirme que le droit de la mer peut être utilisé pour évaluer les actions et inactions des États en matière de changement climatique. L’obligation de protéger le milieu marin contre toutes les sources de pollution marine ne pourra plus être remise en question. De ce fait, un État pourra être tenu pour responsable devant le Tribunal s’il ne déploie pas de mesures de prévention et de protection des mers et océans contre les activités émettant des GES.

Pensons ici, par exemple, à l’exploitation des énergies fossiles en haute mer, aux marées noires provoquées par les navires pétroliers, ou même à toutes les activités produisant du CO2, même indirectement. De ce fait, les États seront probablement tenus d’exercer une vigilance accrue sur les activités qu’ils autorisent en mer.

On le voit, la portée de l’avis est grande. Il a un potentiel considérable pour faire évoluer les obligations des États dans la lutte contre le changement climatique. À terme, pourquoi pas, il pourra servir de base pour lutter contre les ‘irresponsabilités’ environnementales.

Marta Torre-Schaub, CNRS, juriste


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Plus de conventions en Wallonie…

BADINTER : retour sur les plus grands combats (et colères) d’un homme épris de justice

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[RTBF.BE, 9 février 2024] Il existe des figures dont l’image demeure attachée profondément à des combats. Et qui font changer profondément les choses, les mentalités, l’histoire. Robert Badinter [1928-2024] était de celles-là. Il était une des personnalités françaises du monde juridique et politique les plus importantes depuis l’après-guerre.

Humaniste, brillant juriste, figure emblématique de la lutte contre la peine de mort, l’ancien ministre de la Justice français et président du Conseil constitutionnel Robert Badinter est décédé ce vendredi à l’âge de 95 ans. Revenons sur la carrière ébouriffante en cinq grandes étapes et aspects de sa vie…

Indignations et premiers combats

Nous sommes en 1972. Robert Badinter, brillant avocat et professeur de droit privé – aux universités de Dijon, Besançon, Amiens et bientôt à Paris-la Sorbonne – est déjà bien connu dans l’élite juridique française. Il travaille alors sur une affaire bien difficile. Il défend un dénommé Roger Bontems. Condamné auparavant à 20 ans de prison pour vol, ce dernier était alors jugé pour une prise d’otage à l’infirmerie de la prison où il était incarcéré. L’opération commise avec son compagnon de cellule, Claude Buffet. Les forces de l’ordre donnent l’assaut, et découvrent, stupéfaits, deux corps sans vie. Une infirmière et un gardien ont été égorgés. Bontems est considéré comme complice. Mais n’a pas tué. Robert Badinter tente de lui éviter la peine de mort. En vain. Bontems n’aura pas de circonstances atténuantes, et sera guillotiné tout comme Buffet le 28 novembre 72 à la prison de la Santé. Badinter en fait est touché. Il ne comprend pas le verdict. L’année suivante, il sortira un livre : l’Exécution. Débute alors un combat de toute une vie pour le jeune juriste.

Lors du procès Bontems-Buffet, un homme, présent dans la foule devant le Palais de justice, appelait à la peine de mort pour Bontems. Cet homme, c’est Patrick Henry. En 1976, il assassinera un jeune enfant. Il avait beau crier à la peine capitale pour un autre, cela ne l’empêcha pas de tuer lui-même froidement un innocent. Badinter le sait. Cette affaire Henry va, début 76, défrayer la chronique. Elle marquera aussi les Français. Notamment avec une phrase passée à la postérité : Roger Gicquel, le présentateur vedette du JT de TF1 ouvre son journal de 20 heures, d’un air grave. “La France a peur !” Les mots sont lourds. Pesants. Etouffants.

Patrick Henry malmené par la foule © Daniel Houpline – SIPA

Un enfant est mort“, poursuit-il, glaçant. Cet enfant, c’est Philippe Bertrand, 7 ans. Enlevé à la sortie de l’école, il est séquestré contre une demande de rançon. La police parvient à coincer Patrick Henry et le met en garde à vue. Celui-ci nie tout en bloc. Remis en liberté, il se déclare innocent à la presse et stipule que le “véritable criminel” mérite la peine de mort pour s’être pris à un enfant. Il s’avérera être coupable du meurtre du jeune garçon, étouffé puis enroulé dans un tapis et mis sous un lit. Patrick Henry était un ami de la famille Bertrand. Un paisible notable de Troyes de 23 ans.

La France a peur“, de Roger Gicquel marque les esprits. Mais il faut l’écouter un peu plus attentivement. Il s’agit en fait d’une mise en garde sur la tentation de justice expéditive. Car en France, on guillotine encore à cette période. L’affaire Henry, et l’apparente désinvolture de l’accusé (ses déclarations, mais aussi le fait qu’il soit parti skier 4 jours pendant l’enquête ou encore son passé criminel) ne semblent pas d’actualité pour faire changer l’opinion publique… En ce moment, Michel Sardou chante d’ailleurs “Je suis pour“. Pourtant, Robert Badinter va entrer en scène. Il prend en charge comme co-avocat, la défense de Patrick Henry – nombre d’avocats s’étant auparavant désistés.

Badinter va faire de ce procès celui de… la peine de mort. “Guillotiner ce n’est rien d’autre que prendre un homme et le couper, vivant, en deux morceaux.” Il s’inspira de cette phrase pour dérouler son argumentaire. Même si la culpabilité de Patrick Henry ne fait pas l’ombre d’un doute et aussi odieux que soit son crime, Badinter va mettre les jurés devant leurs responsabilités. “Si vous décidez de tuer Patrick Henry, c’est chacun de vous que je verrai au petit matin, à l’aube. Et je me dirai que c’est vous, et vous seuls, qui avez décidé” s’exclamera l’avocat. Avec 7 voix pour contre 5 (il en fallait 8 pour qu’un accusé soit condamné à la peine capitale), Patrick Henry sauve sa tête. Ce sera la prison à perpétuité. “Vous n’aurez pas à le regretter !“, lancera le tueur d’enfant aux jurés.

Force de persuasion

EAN 9782253011224

A la suite de cette affaire Henry, la guillotine ne sera pas pour autant rangée au placard de l’histoire dans l’Hexagone. La justice se montrera – peut-être sciemment ? – moins clémente avec deux autres accusés. Deux personnes furent encore guillotinées avant l’avènement de Mitterrand au pouvoir (Jérôme Carrein et Hamifa Djandoubi). Ça aurait pu être plus. Robert Badinter, sûr de son combat, empêchera la peine de mort pour cinq prévenus entre 78 et 80. Pendant cette période, il s’illustrera dans d’autres affaires. Il défend Jimmy Connors, le joueur de tennis, contre la Fédération française de tennis en 74, intervient dans l’affaire du talc Morhange, et surtout dans le procès du négationniste Robert Faurisson. Le professeur d’université et écrivain sera durement mis en cause par Badinter. Ce dernier dira : “[…] Avec des faussaires, on ne débat pas, on saisit la justice et on les fait condamner“. Ce qui sera fait.

Action politique

Robert Badinter avait déjà participé à la campagne de François Mitterrand de 1974. En 1981, c’est la consécration pour l’homme de Jarnac. Le socialiste est élu à la tête de l’Etat français. Dans les 110 propositions qu’il fit lors de la campagne, l’abolition de la peine de mort était déjà présente. Une conviction profonde qu’avait le candidat de gauche alors que les sondages eux, montraient qu’une majorité de Français et de Françaises était toujours favorable à la guillotine.

Robert Badinter va être nommé Garde des Sceaux (ministre de la Justice) le 23 juin 1981. Le 17 septembre, il est déjà devant l’Assemblée nationale, son projet de loi pour l’abolissement de la peine de mort sous le bras. Il le portera avec passion devant les députés. Tribun magnifique, ses mots feront mouche. Et c’est avec 369 voix contre 113 que les élus vont se prononcer pour la suppression de la peine capitale. La France était la dernière contrée de l’Europe des dix à encore l’appliquer – la Belgique l’abolira formellement en 1996, mais ne la mettait plus en pratique. Des députés, pourtant dans l’opposition, comme Jacques Chirac ou Philippe Seguin, se rallieront à la proposition du nouveau Garde des Sceaux.

Droits des homosexuels, indemnisation des victimes de la route…

L’orateur sera ministre de la Justice jusqu’en 1986. Un ministre des plus décisifs de la Ve République. Car il n’en restera pas là, et d’autres mesures phares seront à mettre à son actif. Citons le fait de permettre à tout un chacun de saisir la Cour européenne des droits de l’homme, la suppression de juridictions d’exception (comme la Cour de sûreté de l’Etat), la création d’un régime d’indemnisation des victimes d’accidents de la route, l’instauration de peine de travaux d’intérêt général pour les petits délits… Il relance la révision du Code pénal et œuvre pour les droits des homosexuels. Dans ce dernier cas, il fera en sorte que l’âge de la majorité sexuelle pour les rapports avec des personnes du même sexe soit ramené à celle des hétérosexuels. En mars 1986, sa carrière se tournera vers le Conseil constitutionnel, où il sera président jusqu’en 1995 (soit la fin du deuxième mandat de François Mitterrand). En 1992, le président hésitera à le nommer Premier ministre. Ce sera Edith Cresson qui prendra Matignon finalement.

L’engagé

Seul sénateur socialiste des Hauts-de-Seine de 1995 à 2011, Robert Badinter ne quittera jamais le débat public. Et continuera inlassablement à prendre position sur les thèmes qui lui tiennent à cœur. Admirateur du Dalaï-Lama, il soutiendra la résistance non-violente du peuple tibétain. Au début des années 2000, il défendra la libération pour raison de santé de Maurice Papon (homme politique responsable de complicité de crimes contre l’humanité, pour l’organisation de la déportation de 1600 Juifs de Bordeaux vers Drancy). Condamné à 10 ans de réclusion en 1998, il sortira de la prison de la Santé, à Paris, en 2002. En cause, un rapport médical, qui le déclarait “impotent et grabataire”. Un vaste débat s’empare alors de la société française. “Il y a un moment où l’humanité doit prévaloir sur le crime” déclare Robert Badinter, qui approuve sa libération. Sur d’autres sujets, il se montrera aussi indigné quant au traitement policier et médiatique lors de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn en 2011, sceptique dans le débat sur l’euthanasie et sur une entrée de la Turquie dans l’Union européenne.

Elisabeth, compagne philosophe

© Kasia WANDYCZ – PARISMATCH – SCOOP

Il formera un couple uni avec sa deuxième épouse, Elisabeth. De seize ans sa cadette, “Madame Elisabeth Badinter“, comme elle se fera appeler – et non pas “Madame robert Badinter“, selon les conventions bourgeoises, comme le souligne ce beau portrait de Paris Match, il l’a connu alors qu’elle était encore petite. Fille de Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de l’agence Publicis (Publicité et sondages) et de Sophie Vaillant, la maison de ses parents était alors le lieu de passage de toute une kyrielle d’intellectuels et d’homme politiques. De Mendès France à Raymond Aron, de Françoise Giroud aux Bolloré, en passant par Robert Badinter, l’avocat de son père. Depuis ses douze ans, ce dernier lui offrait chaque année pour son anniversaire un petit éléphant de bois. Nos confrères de Paris-Match expliquent que leur appartement de la rive-gauche de Paris en comptait 58, en 2014… La jeune fille s’est mariée avec le brillant avocat à l’âge de 22 ans, en 1966, après que celui-ci se soit séparé de sa première épouse, Anne Vernon. Il avait été uni à cette dernière, actrice de profession, de 1957 à 1965. Elisabeth, elle, en plus d’avoir repris Publicis, est devenue une célèbre historienne et philosophe.

A deux, ils eurent trois enfants. Judith, Simon et Benjamin. Un amour fort liait les deux personnalités. La spécialiste du XVIIIe siècle, féministe et engagée, était de tous les combats avec son époux, fringuant juriste au verbe haut. Ils écrivaient de concert, et apparaissaient souvent dans les médias ensemble, inséparables. Elisabeth, bien que devenue une farouche laïque avec un père qui fit rentrer la réclame dans l’ère de la publicité, est d’origine juive de Russie. Tout comme celui de Robert, Samuel (dit Simon). Celui-ci était originaire de Bessarabie (ancienne Moldavie). Il est arrivé en France en 1919, et épousa Charlotte Rosenberg, native de la même région orientale. Le commerçant, naturalisé français en 1928, fut arrêté par la Gestapo, parqué à Drancy puis déporté à Sobibor en 1943. Il n’en reviendra pas. Robert, son frère Claude et sa mère parviendront à s’échapper de Paris et trouveront refuge près de Chambéry. Ils auront de faux papiers. Cette histoire tragique marquera fortement Robert Badinter.

La colère du “Vel d’Hiv”

Robert Badinter, répondant aux invectives contre François Mitterrand, lors de la commémoration du 50ème anniversaire de la rafle du Vel D’Hiv, le 16 Juillet 1992. © AFP – Gérard Fouet

Et quand vint le jour où François Mitterrand fut le premier président à assister aux commémorations de la rafle du Vel d’Hiv, en 1992, Badinter ne supporta pas que le président se fasse huer par une partie du public. Cette dernière désirait que l’Elysée reconnaisse le rôle actif de l’Etat français dans celle-ci. La chose n’avait pas encore été avouée, comme le fera quelques années plus tard Jacques Chirac. Mais pour le président du Conseil constitutionnel, s’en est trop. On ne hue pas quelqu’un dans une telle occasion. Sa colère fut foudroyante. Son indignation, bien visible. “Vous m’avez fait honte ! […] Les morts vous écoutent ! Croyez-vous qu’ils écoutent, là ?” Il fut dit qu’en privé, Robert Badinter eut une franche discussion et “réglé ses comptes” avec François Mitterrand, son ami, qui, sur la question, s’était montré plutôt ambigu à l’époque.

Passeur et créateur

En 2013, Robert Badinter s’immisça dans le monde de l’opéra. Il écrira le livret de Claude, œuvre inspirée du Claude Gueux de Victor Hugo. Il écrivit aussi des pièces de théâtres et des essais. Dans l’abolition, paru en 2000, il revient sur son combat contre la peine de mort. Concerné par les questions juridiques jusqu’à la fin de sa vie, il créera un cabinet de consultations juridiques pour des juristes en 2011, il se verra confier la rédaction d’un nouveau “Code du travail” par le Premier ministre Manuel Valls en 2015. Outre cela, Badinter a aussi contribué à l’écriture de la constitution de la Roumanie (après Ceausescu), il a présidé la “Commission d’arbitrage pour la paix en Yougoslavie”. Cette dernière, sous l’égide de l’Europe, devait pouvoir répondre aux problèmes juridiques concernant la dislocation de l’ex-Yougoslavie. Elle sera appelée Commission Badinter. Plusieurs écoles et promotions portent son nom dans l’Hexagone (parfois accolé à celui de sa deuxième épouse). Et celles-ci ne sont sûrement que les premières.

Car les hommages à ce grand humaniste de la fin de ces 60 dernières années, formant un couple fusionnel avec sa compagne, tous deux attachés à la justice, à la liberté, au mieux vivre-ensemble et à la compréhension entre les peuples et les individus, ne feront sans doute, que débuter.

Kevin DERO, rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : veille, partage, édition et iconographie | sources : rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  Pierre Guillaud ; © Daniel Houpline – SIPA ; © AFP – Gérard Fouet ; © Kasia WANDYCZ – PARISMATCH – SCOOP.


Plus d’engagement en Wallonie et à Bruxelles…

Conférence CHiCC | Victor-Vincent DEHIN : La contrefaçon : être ou ne pas être

Fake News, complots, arnaques, falsifications…

Quel meilleur environnement immédiat que la fausse basilique de Cointe pour échanger sur l’éthique et le mensonge ? Et pour évoquer à bâton rompus les rapports entre l’authenticité et la contrefaçon au sein de notre société démocratique dans laquelle chacun détient sa propre vérité.

Victor-Vincent Dehin est avocat et membre actif de l’Association Littéraire et Artistique Internationale (Paris). Fondée par Victor Hugo cette société savante est à l’origine de la Convention de Berne (1886) qui a introduit le droit d’auteur dans le monde juridique international et qui demeure l’un des plus important lobby d’influence pour protéger au niveau planétaire la propriété exercée par les créateurs des ‘œuvres de l’esprit’. Il est également l’auteur de nombreuses études recherches scientifiques dans ce domaine, publiées en Belgique, France, Espagne, Italie et Allemagne.


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