BELOOUSSOVITCH, Léa (née en 1989)

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[CARREFOURDESARTS.BE, 2022] Léa Belooussovitch (Paris, 1989) s’intéresse au pouvoir des images, qu’elle puise dans le vaste univers de la presse et qui lui dictent ses sujets d’inspiration. Au départ d’images et de documents d’archive qui composent l’histoire collective et sauvegardent la mémoire d’évènements souvent tragiques, elle réalise des dessins aux crayons de couleurs sur un support inhabituel, le feutre de laine. Les caractéristiques de ce matériau influencent inéluctablement le rendu des scènes de guerre, de deuils, de fusillades, d’attentats ou de processions dont elle ne retient que les teintes et la symbolique lourde de sens. Les titres de ses œuvres demeurent tels des reliquats de ces sujets dont le spectateur ne reconnaîtra que formes et couleurs. À chaque dessin son agencement de tons inspirés du réel mais revisité pour basculer dans l’abstraction. Léa joue du contraste entre ces scènes de souffrance et le caractère séduisant et envoûtant de ses dessins.

Une opposition également présente entre la violence des sujets et la douceur du médium textile, traditionnellement associé à la sphère domestique et féminine. C’est particulièrement vrai lorsque la plasticienne utilise des supports comme le velours, la soie ou le satin, dont la brillance et la finesse ne dissimulent pourtant pas les scènes percutantes représentées. La série Facepalm montre des femmes accusées de crimes ou de complicité lors de la prohibition dans les années 1930 à Chicago, dont le geste connu sous le nom de Face (visage) Palm (paume de la main) incarne leur humiliation face aux journalistes à la sortie de leurs procès. Ici encore, Léa gomme le contexte historique et la temporalité des événements par un recadrage en close-up et des retouches. Car l’artiste aime laisser au spectateur un espace pour convier son imaginaire et redonner à ces images leur humanité. Elle porte néanmoins un regard critique sur le voyeurisme des médias et des réseaux sociaux, qui amplifient la position de vulnérabilité des victimes. Elle questionne dans le même temps notre rapport de répulsion/attraction à ces images et vis-à-vis de la violence. Si c’est généralement le vécu d’autrui qui intéresse Léa, au Carrefour des Arts elle avait au contraire réinterprété des images d’archives familiales révélant, comme à son habitude, sa vision personnelle du monde.


[MAMC.SAINT-ETIENNE.FR,2020] Les dessins de Léa Belooussovitch répondent à un même protocole. Elle commence par sélectionner dans la presse ou sur Internet des images qui nous assaillent quotidiennement, liées à des faits d’actualités dramatiques : attentats au Pakistan, scènes de guerre en Syrie… L’artiste se concentre sur la représentation de victimes anonymes blessées ou vulnérables. Léa Belooussovitch soumet ces images-sources à diverses manipulations (recadrage, agrandissement) avant d’entamer leur transfert sur le support du feutre. Ce travail lent et répétitif d’accumulation des traits du crayon de couleur altère l’aspect lisse de la matière et lui confère un volume duveteux.

Les formes qui émergent sont des halos colorés brouillant la reconnaissance de la scène. Dans ce passage du pixel au pigment, la netteté de l’image initiale se mue ainsi en un dessin flou qui semble contenir et atténuer sous sa surface la douleur de la représentation. Le titre de chaque œuvre ancre néanmoins le dessin dans le réel en situant la ville, le pays et la date de l’événement tragique. La bande blanche de feutre laissée vierge en haut du dessin suggère, quant à elle, le recadrage effectué à partir de la photographie d’origine.

Par ce brouillage des repères et cette mise à distance de la violence, Léa Belooussovitch nous interpelle autant sur notre rapport à l’information que sur le voyeurisme, tout en activant notre imaginaire. Le caractère esthétique et sensible, voire sensuel, de ses dessins dissimule sous un voile pudique de douceur la présence/absence de l’humain confronté aux atrocités et aux soubresauts du monde contemporain. Cette démarche vise à démontrer combien, selon les mots de l’artiste, “la violence de l’information a pris le dessus sur l’humanité que l’événement contient”.


Léa Belooussovitch, “Jodhpur, Inde, 23 mai 2018” (2019) © Gilles Ribero

[DANSLESYEUXDELSA.COM, 26 avril 2020] Léa Belooussovitch (…), une artiste dont le travail s’empare d’images médiatiques qui envahissent notre quotidien: celles de faits divers, d’images tragiques ou touchantes. Léa sélectionne des événements où l’humain est vulnérable, central et photographié sur le vif. Elle cherche à questionner notre rapport avec la violence, souvent banalisé par les médias. Son processus de création est fondé sur la recherche et la documentation d’images, qu’elle déconstruit ensuite par une multitude de techniques picturales associées à des supports textiles inattendus. Feutre, velours marbré, satin duchesse autant de matériaux qui accueillent et donnent corps à l’image tout en la modifiant chacune à leur manière. Le sujet cru et violent de ces images s’efface au profit de silhouettes humaines qui frôlent l’abstraction. Un véritable jeu du visible et de l’invisible se crée dans notre regard. Tout au long de la semaine, Léa Belooussovitch nous décrypte ce processus artistique à travers une sélection de ses œuvres !

Pourriez-vous nous faire une petite présentation de vous ?
Je suis née à Paris en 1989. J’ai commencé des ateliers de dessin et peinture vers l’âge de 8 ans, et après mon bac, j’ai fait deux années de prépa artistique (Ecole Estienne et Atelier de Sèvres), à l’issues desquelles j’ai réussi le concours de l’école de La Cambre à Bruxelles. J’y ai étudié dans l’option Dessin pendant 5 ans, et suis sortie avec mon master en 2014. En sortant de l’école, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour plusieurs résidences annuelles d’artiste à Bruxelles : La fondation Moonens, la Fondation Carrefour des Arts, la MAAC. Cela m’a permis de développer mon travail et mon réseau d’une manière très professionnelle. J’ai exposé dans plusieurs lieux d’art en Belgique et en France, et je suis représentée à Paris par la Galerie Paris-Beijing depuis 2017.
Pourriez-vous nous parler de votre travail ?
Je travaille sur la relation que nous entretenons avec les images, par le lien entre violence, humain et imagerie, à travers des questions ou faits sociétaux, des événements. Je travaille principalement avec le dessin, la photographie, la vidéo.
Dans mes dessins au crayons de couleur sur feutre, les images utilisées comme source sont des photographies où l’humain est capturé contre son gré, vulnérable, en situation de souffrance. Scènes de guerres, d’attaques, de sauvetages, d’embrassades… autant d’images où l’émotion est mise en avant dans les médias, pour documenter certains événements.
La recherche d’images et la documentation semblent être un travail conséquent avant l’élaboration de vos œuvres. Comment procédez-vous à ce travail ? Le processus est-il toujours le même ?
Il y a cet attrait pour l’image qui serait allée “trop loin”. Trop loin dans le voyeurisme ou dans la cruauté… Mais aussi dans le rapport physique du photographe au photographié. Car les images que je choisis, dans l’actualité, respectent une certaine logique : il y a toujours une proximité avec le sujet. Ce sont des images de l’ordre du vulnérable, des images volées – les personnes sont photographiées sous la contrainte, elles n’ont pas choisi d’être photographiées. Ce sont des images de l’ordre de la douleur. Je choisis des images qui franchissent un seuil que je définis selon un certain nombre de critères et les transposer sur le feutre, c’est les transposer sur une matière sensible qui est organique, physique. Il s’agit de textile, donc quelque chose proche de nos corps. Et puis, dans le sens où ce sont des images de victimes, de personnes blessées, vulnérables, il y a cette idée de les transposer sur un support qui recevrait cette image de manière protectrice, qui envelopperait la nature de l’image. Enfin, il y a le processus de flou. Le flou est à la fois mental et en même temps il vient d’une technique : le crayon sur le feutre ne fait pas un trait précis et net comme sur du papier.
Le dessin sur textile (feutre, velours) prend une part importante dans vos oeuvres. D’où vient cette envie de travailler ce support, ce textile et qu’apporte-t-il à votre travail ? Comment le travaillez-vous ?
En effet je choisis souvent des matières textiles, en fibres non tissées principalement. Je récolte à l’atelier beaucoup de serpillières, des essuies, des tissus divers, des serviettes en coton, des échantillons de feutrine, des torchons, des lavettes très bas de gamme, que je trouve un peu partout. Il y a l’aspect “nettoyage” que je trouve intéressant, tout comme le fait que ce sont des textiles le plus souvent à usage unique, destinés à être salis puis jetés. J’aime en particulier les fibres non tissées car ce sont des fibres accumulées les unes avec les autres, qui s’agglomèrent, qui proviennent parfois d’un animal, parfois de restes d’autres tissus que l’on jette, et qui ont des propriétés d’absorption intéressantes. L’encre pénètre bien dedans, et quant au crayon de couleur sur le feutre, la réaction est immédiate et plastiquement fascinante.
J’ai aussi travaillé avec du satin et du velours, qui sont choisis pour leurs aspect “noble”. À un niveau plus conceptuel, les tissus que j’utilise sont à envisager comme des récepteurs d’une image ou d’une donnée : ils les reçoivent et leur confère un caractère sensible, sensuel, que l’on a envie de toucher dans certains cas. Ils leurs donnent un “corps”. Il y a aussi cet aspect d’étouffement, d’enveloppement, dans les pièces qui parlent de victimes : les tissus leurs confèrent une sensibilité, un silence et une fragilité. Lorsque je choisis un papier, c’est le même fonctionnement, il doit avoir une raison de servir de support à telle ou telle idée, jusqu’au choix du format, du grammage, du grain, du blanc du papier.
Donnez-nous 5 mots qui définissent votre travail.
Suspend, feutre, couleur, humain, dessin.
Quelles sont vos inspirations ?
Je suis plutôt inspirée par des matières, des tissus, des papiers, les livres que je lis, des écrits ou essais sur le statut de l’image, les rapports à la violence, les sujets qui m’intéressent. Je suis inspirée par toutes les recherches que je fais dans les médias et l’actualité, les articles que je lis, ce que j’entends, ce qu’il se passe dans le monde. Je suis aussi bien sûr inspirée par des artistes et des expositions, parfois des films, des spectacles de danse.
Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette voie ?
J’ai naturellement été vers des études artistiques, et je pense que ma formation à La Cambre a été très bonne.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Léa Belooussevitch, Perp Walk (Hair) – detail (2019) © Gilles Ribero | Pour consulter le site de Léa Belooussovitch


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