STAS, André (1949-2023)

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Ultime farce de mauvais goût, André STAS nous a quittés ce 26 avril 2023. Ce ne sera pas dit dans les nécrologies qui vont fleurir sur sa tombe mais l’homme était avant tout bienveillant et, s’il grommelait beaucoup, il grommelait gentil : le fait est assez rare chez les trublions de la contre-culture liégeoise des années 70 pour être relevé. L’homme aimait le pastiche (51 ?), aussi allons-nous jouer sans vergogne la compil d’hommages. Ne cherchez pas le contrepet…

“Chattes, j’ai pété !”

Pour l’instant, les manchettes de nos journaux explosent d’images générées par intelligence artificielle (“IA, mijnheer”). De beaux visages de femmes aux poitrines d’oiseaux sont mariés, avec une élégance toute commerciale, avec des câbles et des connecteurs informatiques : une impression de contre-nature s’en dégage de manière indicible. Voilà bien un phénomène qui se situe aux antipattes (dixit Alice au pays des merveilles) de la contre-culture que pratiquait André Stas : manifestement, pour le pataphysicien (si peu, si différemment), l’oeuvre doit provoquer par son contenu autant que par sa facture. Stas partageait son propos au travers du fait-main, comme en témoigne son montage ci-dessous (Ensor, le timbré ?).

© Fonds Thonart

On le voit : si la culture, c’est penser à la culture, la contre-culture, c’est aussi faire penser à la culture. J’ai l’intuition qu’André Stas aurait joué sa détestation du contre-nature au travers d’un objet de contre-culture. Nous ne le verrons pas, André Stas est mort. Mais, cette détestation, dans sa bêtise aveugle, la contre-nature la lui rend bien : nous avons demandé à ChatGPT (“Chattes, j’ai pété !” aurait grommelé André) qui était André Stas :

André Stas était un chimiste belge du XIXe siècle, né le 30 décembre 1813 à Leuven en Belgique et décédé le 13 décembre 1864 à Schaerbeek. Il est surtout connu pour sa découverte de la loi de Stas, qui a permis d’établir avec précision les masses atomiques des éléments chimiques. En utilisant des techniques de mesure très précises, Stas a réussi à déterminer la masse atomique de nombreux éléments avec une précision de l’ordre de 0,01%. Cette méthode a été essentielle pour la compréhension de la composition chimique de la matière, et a jeté les bases de la chimie moderne. Stas a également joué un rôle important dans le développement de la chimie analytique, et a travaillé sur de nombreux autres sujets en chimie, notamment la synthèse organique et la chimie des gaz. Sa contribution à la science lui a valu de nombreux honneurs, notamment l’élection à l’Académie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique en 1850.

La réponse du robot est identique si la question devient : “Qui était le liégeois André Stas ?” et lorsque ChatGPT est a nouveau sollicité avec la question “Qui était l’artiste liégeois André Stas ?“, la réponse ne se fait pas attendre :

Je suis désolé, mais il n’y a pas d’artiste liégeois connu sous le nom d’André Stas. Le nom André Stas est généralement associé à un chimiste belge du XXe siècle, comme je l’ai expliqué dans ma réponse précédente.

On notera que ChapGPT travaille sur un corpus de données postérieures à 2021 et compose intégralement la réponse… la plus probable : la véracité n’est pas un critère pour un robot ! Et notre ami contre-cultureux de se réjouir dans la tombe, des inepties de la contre-nature, qui sont également des contre-vérités :

      • Le chimiste belge évoqué s’appelait en fait Jean Servais Stas ;
      • La datation (1813-1864) devait alors être (1813-1891) et, personnellement, j’avais l’habitude de les situer au XIXe siècle, et non au XXe ;
      • notre André Stas n’était pas un inconnu !

La messe est dite (et André piaffe).

Patrick Thonart


[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET] Nous apprenons le décès du collagiste et écrivain André Stas. Il avait 73 ans. André Stas est né à Rocourt le 19 novembre 1949. Diplôme de philologie romane de l’Université de Liège, il a présenté un mémoire consacré à l’aphorisme, un genre auquel il s’adonnera lui-même par la suite.

Subversif, affectionnant l’humour, il était lié à l’univers des pataphysiciens et des surréalistes. Il était également l’un des incontournables du Cirque Divers. Plasticien autodidacte, il a particulièrement excellé dans l’art du collage, qui lui a valu une reconnaissance internationale.

Il a aussi pratiqué le collage dans le domaine littéraire. Cent nouvelles pas neuves, paru aux éditions Galopin en 2005, est un recueil de textes composés exclusivement d’extraits d’œuvres d’autres auteurs. Il avait d’ailleurs poursuivi l’exercice en 2021 avec Un second cent de nouvelles pas neuves, paru au Cactus inébranlable.

Bibliographie partielle d’André Stas

André Stas
ou le spadassin passe-murailles

[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET, 28 août 2022] On peut rire aux larmes, et de tout, et de rien… mais pour rédiger un traité de savoir-rire, il faut dénicher l’arme et l’avoir bien en main. L’entretenir. Depuis plus de quatre décennies, André Stas, “ce chiffonnier muni de son crochet” – comme le décrivait en 1981 Scutenaire dans sa préface à une exposition de collages au Salon d’Art, chez Jean Marchetti – a toujours trouvé matière à confectionner ses flèches et couteaux, aiguisés, effilés, enduits d’un secret mélange de curare, de houblon et d’eau de Spa, pour atteindre ses cibles. Les collages de Stas, nés dans la parfaite connaissance de ses prédécesseurs surréalistes, ont acquis très vite une autonomie personnelle, que Jacques Lizène définissait comme “des enluminures libres.” À la fois absurdes, drolatiques, parfois féériques et souvent sensuelles voire sexuelles, mais sans illusions : Stas est impitoyable à l’égard de lui-même et de ses semblables. Cet homme ne s’épargne pas, pas plus que ses collages au scalpel n’épargnent le monde qui l’environne. On cite à nouveau Scutenaire : un collage de Stas, c’est “comme si une éponge morte et saturée d’une eau sale redevenait une créature marine, vivante et fraîche, encore que parfois effrayante.

Stas passe à travers tout, en véritable passe-muraille des situations désespérées et de l’effroi : “Mon humour est noir, certes. Au moins, j’arrive encore à rire“, écrit-il dans son nouveau recueil d’aphorismes, Bref caetera, que publie Marchetti, juste continuité d’une longue complicité avec La pierre d’alun. La filiation se prolonge d’ailleurs avec les dessins de Benjamin Monti, qui accompagnent d’un même esprit, passé au savon noir, les “grenailles errantes” de Stas. Car tirant javelot de tout bois, ce spadassin de l’image et des mots pratique de longue date, on le sait, l’écriture brève, incisive, lapidaire, laissant jaillir “un aphorisme propice, comme un moment peut l’être.” Avec lui, les mots s’entraînent, s’entraident, se déchaînent, se détournent les uns des autres et se rattrapent, pour mieux contrer l’adversité. Qu’elle soit météorologique (“Le réchauffement climatique serait inéluctable. Le chaud must go on“), métaphysique (“Je pense donc j’y suis, j’y reste“), littéraire (“Quand j’entends le mot surréalisme, je rêve d’une pipe“), ou situation personnelle autant qu’universelle : “Désapprendre, se déposséder, se déliter, décliner, délirer, décéder.

L’humour, l’humeur, la gaieté désabusée, le drame derrière le nez du clown. Mais l’intime ou la gravité peuvent surgir également derrière une plaisanterie d’allure potache, un calembour, une grivoiserie (“Il n’y a pas que les écureuils invertis qui aiment les glands“) – et cela même si de nos jours “la liberté d’expression est forcément mâtinée d’autocensure, écrémage du pire.” Sans cependant ériger telle ou telle maxime délictueuse en sentence définitive, car pour Stas “les aphorismes sont les amuse-gueules de la philosophie.” Au mieux, l’aphorisme n’est qu’ “un trublion, un rastaquouère“, tel le Jésus-Christ du dadaïste Francis Picabia. […]

Alain Delaunois


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction, partage, compilation et iconographie | sources : e.a. Le carnet et les instants | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart  | crédits illustrations : l’entête de l’article montre André Stas sur le ring de l’exposition consacrée au Cirque Divers en 2018 © rtbf.be ; © Fonds Thonart.


Plus d’artistes en Wallonie-Bruxelles…

Le Jardin du Paradoxe – Regards sur le Cirque Divers (Liège, BE)

Considérant que nous nous trouvons en période de “creux de vague”, signe d’une crise économique “saine”. Que nous sommes à Liège, la Cité Ardente, capitale de la Wallonie. Que ces deux faits engendrent une situation de cirque. Cirque urbain (humain/urbain) où se côtoient des mondes parallèles, nous fondons l’asbl Cirque Divers, dernière représentation de l’Art Banlieue, unique et inique.

Manifeste du Cirque Divers, janvier 1977


Proposée au Musée de la Vie Wallonne (Liège, BE) jusqu’au 16 août 2018, une exposition insolite et singulière invite à redécouvrir les années glorieuses du Cirque Divers !

La Province de Liège est aujourd’hui dépositaire du patrimoine du Cirque Divers, de sa collection et de ses archives. Ce Cirque Divers, d’un genre si particulier, fut créé par cinq amis (Michel Antaki, Jacques Jaminon, Brigitte Kaquet, Jacques Lizène et Jean-Marie Lemaire) en 1977, en Roture à Liège. Concerts, performances, conférences, lectures, interventions artistiques, expositions s’y succéderont sur un rythme effréné, témoignant de l’émergence d’un art d’attitude et d’une volonté renouvelée d’abolir les frontières entre l’art et la vie. Une occasion de mettre en valeur ce patrimoine unique et d’interroger cet héritage, reflets de deux décennies de vie en société.

Le cirque Divers : une histoire…

Ce Cirque urbain et humain surgit dans le paysage culturel alors que s’essouffle la pensée de Mai 68, teintée de toutes les libérations politiques, sociales, esthétiques et de modes de vie, et disparaîtra, mort de fin en 1999. Durant ces deux décennies, il sera le Jardin du Paradoxe et du Mensonge Universel. Réaction contre la société bourgeoise, anticonformiste, mû par un esprit de liberté, il est le lieu d’une lecture critique et féroce du monde contemporain et de la société belge. L’absurde, la provocation, l’irrévérence, la transgression, l’ironie, le grotesque, la dérision, l’insolence et la bouffonnerie sont des armes redoutables face à l’hypocrisie.

Entre rire et tragique, le clown révèle bien des choses de la condition humaine. Ainsi, le Cirque Divers sera sans cesse bouffon et fou du Roi, activiste, expérimental, contestataire, une expérience unique dans le domaine de l’art, de la culture et des contre-cultures, un cabaret hydropathe où l’on sert cent sortes de bières, un laboratoire des avant-gardes et des arrière-gardes, une auberge espagnole, un formidable charivari turbulent, ludique et intempestif, bien évidemment toujours d’une certaine gaieté.

Comme aux portes de l’abbaye de Floreffe en 1977 lors du Temps des CerisesFoncièrement la Petite Maison Unifamiliale, cette maison de toiles aux mille objets quotidiens, se dresse dans le cloître du Musée de la Vie wallonne. Œuvre collective, elle est l’aboutissement des Théâtralisations du Quotidien, démarche fondatrice du Collectif du Cirque Divers, volonté de tout théâtraliser, et, dans un esprit très situationniste, de « spectaculariser » jusqu’au moindre de nos gestes quotidiens les plus triviaux. L’exposition aborde bien sûr ces détournements ludiques, volonté de transcender un quotidien aliénant par cette créativité permanente, cette invention de soi que l’on retrouve dans l’Eternal Network – Fête Permanente, cette attitude de Robert Filliou.

Le Cirque Divers fut Fluxus à sa manière, peut-être plus Fluxus que Fluxus, jusqu’à prétendre qu’on s’en Fluxus ! Il sera pataphysique aussi, cultivant cette science des solutions imaginaires et des exceptions. Il investira le champ de la performance, prise au sens le plus large. ORLAN, Lydia Schouten, Barbara Heinisch, Paul McCarthy, Ria Pacquée, Carolee Schneemann, Laurie Anderson, s’y produiront, au même titre que John Massis ou Jack in the Box. Le Cirque adoptera l’esprit Panique cher à Topor, Arrabal, Alejandro Jodorowsky, Olivier O. Olivier et Christian Zeimert. Il s’inscrira dans les réseaux du mail art et de l’art postal, ce qui contribuera à sa notoriété. Sa galerie accueillera les Inouïs du circuit, des collectionneurs compulsifs tel Alfred Laoureux, des artistes représentants de la banlieue de l’art et de l’art de banlieue, d’autres de renom – Alechinsky, BEN (Vautier), Marcel Mariën ou Glen Baxter -, les débutants, les régionaux de l’étape, bref l’art majeur et mineur confondus tout comme les arts modestes défendus par Hervé Di Rosa, ce dont témoigne le Décor du Cirque Divers.

On évoquera les Fêtes du Cul du Cirque Divers, elles participent de la mythologie du lieu comme de la contre-culture. Roland Topor, Hervé Di Rosa, d’autres aussi en furent les animateurs. Films, vidéos, installations, peintures, archives, photographies, pièces sonores : bon nombre d’œuvres et de documents sont issus du patrimoine du Cirque Divers, d’autres ont été empruntés pour l’occasion à des collections privées ou muséales. On retrouvera tous les précités, mais bien d’autres artistes également.

Enfin, trois artistes, qui n’ont pas connu le Cirque Divers, ont été invités à créer une œuvre ou un environnement spécifique. Benjamin Monti, en encyclopédiste collecteur d’images patenté, investit le mail art et l’iconographie singulière du mensuel du Cirque Divers. D’origine libanaise tout comme Michel Antaki, Marie Zolamian explore les itinéraires de l’Explorateur Syrien. Sophie Langohr revisite la Collection de Printemps de Jacques Charlier, créée au Cirque Divers en 1987, et actualise ainsi de nombreuses pistes de réflexion explorées par le collectif du Cirque Divers.

Une monographie, sous la direction de Jean-Michel Botquin, accompagne l’exposition, publiée aux Editions Yellow Now. L’exposition vivra au rythme de nombreuses activités : rencontres, colloques, conférences, performances, fêtes, ateliers, concerts, processions et débats. Un site internet lui est dédié, il sera informatif quant aux événements qui jalonneront l’exposition et valorisera régulièrement les archives du Cirque Divers.

Les Artistes

Dans l’exposition, on retrouvera Pierre Alechinsky, Michel Antaki, Laurie Anderson, Fernando Arrabal, Glen Baxter, Silvana Belletti, BEN Vautier, Jan Bucquoy, Jacques Charlier, Le chevreuil buvant au crépuscule, Roman Cieslewicz, le Collectif Cirque Divers, le Collectif Frais d’Orifice, Les Coleman, Oscar De Wit, Hervé Di Rosa , Robert Filliou, Charles François (RAT), Barbara Heinisch, Joël Hubaut, Brigitte Kaket, Milan Knizak, Pierre Kroll, Jacques Jaminon, Sophie Langohr, Jacques Lennep, Jacques Lizène, Capitaine Lonchamps, Loulou, Jean Martin, Mettalic Avau, Marcel Mariën, Benjamin Monti, Mouna Aguigui Ier, Olivier O. Olivier, ORLAN, Ria Pacquée, PHIL, José Picon, Pol Pierart, André Stas, Lydia, Schouten, Daniel Spoerri, Georges Thiry, Richard Tialans, Roland Topor, Calogero Tornambe, Geneviève Van der Wielen, Denyse Willem, Willem, Christian Zeimert, Marie Zolamian, etc. La liste n’est de loin pas limitative.

Commissaire de l’exposition : Jean-Michel BOTQUIN.