Revue de presse

Les dernières nouvelles…

KLINKENBERG : Culture libératrice ou culture libertarienne ? (2025)KLINKENBERG : Culture libératrice ou culture libertarienne ? (2025)
[LALIBRE.BE/DEBATS, 12 mars 2025] La rubrique Débats de La Libre vient de publier un texte intitulé “La culture ne devrait pas grimper par subsides, mais s’élever par plébiscite” (8 mars 2025). La culture a sauvé sa vie, nous explique son auteur, en lui permettant de comprendre le monde. Comment ne pas applaudir ? Nous sommes nombreux à avoir fait les mêmes expériences, et j’ai eu le plaisir tout personnel de constater que j’ai vibré aux mêmes textes que lui. Mais on est bien étonné quand il nous explique ce qui relie secrètement ceux-ci : serait-ce la passion du style ? la pénétration psychologique ? le coup d’œil sociologique ? Non : “Ces œuvres n’ont pas eu besoin d’un gouvernement ou d’un ministre de la culture pour exister.“ À partir de ce constat, l’ode à la culture se mue en une véritable charge contre la “culture subventionnée” : une culture élitiste “arrosée par l’argent public” ; une culture dont les acteurs vivraient “dans un entre-soi confortable“, “se félicitant mutuellement d’être financé par l’État plutôt que d’être acclamé par le public.” Et se profile ainsi un monde où l’artiste doit pour percer “ajuster son œuvre à des critères politiques et idéologiques“, séduire “un comité ministériel” et obéir à un “cahier des charges bureaucratique.” Je dois commencer par rassurer l’auteur. Ce qu’il décrit n’existe tout bonnement pas dans le pays où nous vivons, lui et moi : la Belgique francophone. Je ne puis certes témoigner que de quelques modestes expériences de la “culture subventionnée” de ce pays : dix années à la Commission d’aide à l’édition, vingt autres à la Commission des lettres, quarante au Conseil de la langue française. Toutes charges exercées bénévolement, à titre de service à la communauté, en marge de ma carrière de chercheur. Prenons pour seul exemple la Commission des lettres. Son travail consiste principalement à attribuer des bourses permettant à des écrivains et écrivaines d’être soulagés, un mois ou deux et quelque fois davantage, de leurs charges quotidiennes de façon à leur permettre de mener à bien leur œuvre dans les meilleures conditions ; à sélectionner les textes qui représenteront la littérature de notre Communauté dans les pays où l’on s’intéresse à nous ; à évaluer des projets éditoriaux risqués. Sont-ces des “fonctionnaires” qui opèrent ces choix ? Non : on ne trouve dans cette Commission que des citoyens comme moi, représentant un éventail de profils et de sensibilités très diversifié : des auteurs et autrices ; des représentants des associations professionnelles (d’écrivains, de l’édition), des universitaires ayant fait de la culture leur objet de recherche et offrent leur expertise à la collectivité… À elle seule, cette diversité interdit que la créativité encouragée puisse être orientée par quelque critère idéologique. Au contraire, elle rend les membres de la Commission et celles et ceux qu’elle soutient témoins et acteurs des tensions inhérentes à la création. Elle les préserve de l’encroûtement et les pousse à être sensibles aux “attentes culturelles de l’époque“, qui seraient parait-il boudées par la culture subsidiée. Et, loin de les inciter à vivre dans un entre-soi, tend à les rendre pleinement acteurs de la société. Et jamais — je dis bien : jamais — un ou une ministre de la culture n’a interféré dans notre travail pour imposer ses vues. On devrait donc sourire devant le tableau brossé, en l’attribuant généreusement à un enthousiasme frôlant la naïveté. Comme on devrait sourire devant une certaine conception romantique de la création, où l’artiste est génial parce que maudit, innovant parce que misérable : “L’histoire nous enseigne que c’est la contrainte et la nécessité qui forcent la créativité.“ Mais non : nous ne pouvons pas sourire. Derrière les critiques adressées à une culture vivant de subventions se profile en effet une conception politique de la culture. On se souviendra qu’un président de parti belge a récemment fait savoir qu’il verrait bien disparaitre chez nous le Ministère de la culture (il n’y a pas de tel Ministère aux États-Unis, et la culture étasunienne domine pourtant le monde, nous expliquait-il…). Dans cette conception, on verrait la culture débarrassée de la “tutelle étatique“, ses ressources pouvant à la rigueur provenir du mécénat privé, mais on verrait surtout ses critères de qualité désormais définis par le seul audimat. Non, nous ne pouvons pas sourire. Car une révolution culturelle a lieu, des deux côtés de l’Atlantique. Elle correspond à un plan cohérent, où les secteurs publics se voient dénier toute légitimité, que ce soit dans la culture ou dans la science. Des deux côtés de l’Atlantique, on oppose les prétendus privilèges d’une “poignée d’initiés” au vrai peuple. Ce peuple à qui les oligarques prétendent rendre sa dignité, mais en lui vendant ce temps de cerveau disponible qui lui permettra d’audimater à qui mieux mieux. Bien sûr, c’est du côté occidental de l’Atlantique que cette révolution culturelle se manifeste aujourd’hui de la manière la plus spectaculaire. Nous y voyons, éberlués, un gouvernement sabrer chaque jour dans les programmes culturels, mais aussi dans les programmes de recherche, les programmes d’éducation, les programmes alimentaires ; on l’y voit mettre en place une chasse à la science, sœur de la culture, et à l’esprit scientifique tout court. Et tout cela toujours au nom de la liberté, cette liberté qu’invoquait J.D. Vance pour critiquer une Europe ne s’ouvrant pas assez aux partis liberticides. Et s’il est trop facile d’évoquer 1984, cette terrifiante parabole où les mots sont pervertis, on ne peut être que frappé par le fait que la trumpienne traque aux sorcières (“Prendre les mesures appropriées pour corriger les fautes passées du gouvernement fédéral“) est programmée dans un décret prétendant “Rétablir la liberté d’expression et mettre fin à la censure fédérale.” On frémit donc quand on voit la notion de culture être associée à celle de liberté, quand on sait comment ce mot est aujourd’hui détourné de son sens noble, dans un tour de passe-passe orwellien. Car si c’est du côté américain que cette révolution culturelle-là se fait le mieux voir, elle a commencé aussi chez nous, et l’opposition que d’aucuns établissent entre la culture qui sait se vendre et une culture élitiste déconnectée du réel participe de cette acclimatation. Au moment où le président des États-Unis demande à la nouvelle ministre de l’Éducation, Linda McMahon, de démanteler son ministère — ce qui pourrait donner des idées plus grandioses encore à ceux qui entendent démanteler chez nous celui de la culture —, il est temps de nous opposer, à notre niveau, à un mouvement dont l’aboutissement, l’histoire nous l’a appris, est l’abolition du savoir, de la culture et, in fine, de la vraie liberté : non celle de quelques-uns, mais celle de toutes et tous. Jean-Marie Klinkenberg, Membre de l’Académie royale de Belgique statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : lalibre.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © cultures.fr ; © tract-linguistes.org ; © imdb.com | Merci à Jean-Marie Klinkenberg. Plus de presse d’opinion en Wallonie… [...] Lire la suite…
CARNE & PREVERT : 80 bougies pour les Enfants du paradis !CARNE & PREVERT : 80 bougies pour les Enfants du paradis !
[THECONVERSATION.COM, 3 mars 2025] Il y a 80 ans sortait sur les écrans Les Enfants du paradis, film à la genèse chaotique réalisé par Marcel Carné et écrit par Jacques Prévert. Après Jenny (1936), Drôle de drame (1937), Quai des brumes (1938), Le jour se lève (1939) et les Visiteurs du soir (1942), le célèbre duo du cinéma français donnait naissance à un miracle cinématographique dans une France libérée. Enfanté dans un pays que l’occupant voulait museler, le film put exister grâce à la solidarité et la ténacité d’une équipe exceptionnelle et clamer haut et fort l’amour et la liberté. Une ode poétique à l’amour et à la liberté Le sujet principal du film est l’amour contrarié. La foraine Garance (Arletty), qui adore la liberté, catalyse l’amour de quatre protagonistes. Celui de Baptiste (Jean-Louis Barrault) est ardent et rêveur. Celui de Frédérick Lemaître (Pierre Brasseur) est sensuel et tout en paroles. Celui de Lacenaire (Marcel Herrand) est plus cérébral. Celui du comte de Montray (Louis Salou) est vénal. Seul l’amour de Garance et Baptiste est vrai et réciproque. Il constitue l’intrigue principale autour de laquelle les autres amours se positionnent, comme autant d’intrigues secondaires. On retrouve là une spécificité scénaristique de Prévert : inventer des intrigues satellites et multiplier les personnages secondaires afin de composer des rôles à foison pour ses amis acteurs. C’est pourquoi, quand il commence un scénario, il conçoit d’abord les protagonistes : il saisit une immense feuille sur laquelle il trace des lignes horizontales, comme une sorte de portée musicale sur laquelle il les dispose, des plus importants aux moins importants. En bas de la page, il ajoute des musiciens et chanteurs de rue ou des marchandes de fleurs, comme autant de petits rôles supplémentaires pour les copains. Chaque protagoniste est caractérisé par des mots et des dessins. Dès ce premier stade créatif figurent des bribes de dialogues qu’on entendra in fine dans le film. C’est le cas de “Claire comme le jour, Claire comme de l’eau de roche” pour définir Garance. La qualité principale du scénario réside dans la densité de la structure dramaturgique. La multiplication des intrigues périphériques donne sa force à l’histoire et le thème central qu’est l’amour permet d’aborder la question de liberté individuelle et de la capacité à s’émanciper des diktats sociaux. Ce qui frappe aussi, c’est la présence de personnages féminins émancipés. Garance et Nathalie (Maria Casarès) sont effectivement différentes de la plupart des figures féminines cinématographiques d’alors, souvent cantonnées aux rôles de faire-valoir des hommes. Enfin, les dialogues de Prévert font mouche, ils fonctionnent à l’émotion, avec une apparente simplicité pourtant si difficile à obtenir. Ils viennent du cœur et vont au cœur, et sont prononcés avec “des mots de tous les jours“, pour reprendre une expression de Garance. Les images inventées par Carné naissent de ces dialogues ciselés et poétiques et sont au service des mots. Le réalisateur conçoit chaque plan en adéquation avec le verbe. De plus, il est doué pour les scènes de foule, pour le mouvement qu’il y insuffle. Et il excelle dans l’alternance de scènes d’ensemble et de plans rapprochés sur les visages, souvent de face, mettant à nue la solitude des personnages. Un film réalisé pendant la guerre L’acteur Jean-Louis Barrault, entré à la Comédie-Française en 1940 où il y rencontre un vif succès avec ses mises en scène de Phèdre (1942) et du Soulier de satin (1943), fut le déclic, l’étincelle des Enfants du paradis. Avec leur film précédent, les Visiteurs du soir (1942), Carné et Prévert s’étaient réfugiés dans le Moyen-Âge afin d’éviter la censure de Vichy et avaient notamment marqué les esprits avec une scène finale donnant à voir un cœur résistant, continuant de battre sous la pierre. À Nice en 1942, Carné et Prévert cherchent un nouveau sujet de film, non sans difficulté du fait de l’Occupation, quand ils rencontrent par hasard leur ami Barrault sur la promenade des Anglais. Alors pris de passion pour la vie du célèbre mime des années 1830, Deburau, et par ricochet pour l’acteur contemporain du parlant, Frédérick Lemaître, le comédien raconte à ses camarades que le mime a tué d’un coup de canne un homme qui a insulté sa compagne, et que tout Paris s’est précipité à son procès pour l’entendre parler ! Carné est enthousiaste à l’idée de mettre en scène le boulevard du Temple et sa multitude de théâtres. Quant à Prévert, il s’enflamme pour un personnage à peu près contemporain de Deburau, Lacenaire : le poète assassin, l’écrivain public, l’escroc, l’anarchiste dandy avant la lettre, celui qui se dit victime de l’injustice de l’humanité et qui a déclaré la guerre à la société. Le scénariste perçoit d’emblée une chance qu’il ne peut que saisir : “On ne me permettra pas de faire un film sur Lacenaire mais je peux mettre Lacenaire dans un film sur Deburau.” Prévert, le décorateur Alexandre Trauner, le compositeur Joseph Kosma et le costumier Mayo, œuvrent dans un mas provençal isolé près de Tourrettes-sur-Loup (Alpes-Maritimes). La documentation nécessaire au projet provient surtout du Musée Carnavalet ; elle est rapportée par Carné. Outre les gravures d’époque, les sources sont aussi textuelles, principalement Histoire du théâtre à quatre sous, pour faire suite à l’Histoire du Théâtre-Français (1881), de Jules Janin. Le mas devient alors une sorte de phalanstère où Trauner et Kosma, qui sont juifs et qui n’ont pas le droit de travailler, sont cachés et œuvrent clandestinement, grâce à la solidarité courageuse et agissante de Carné et Prévert. Six mois sont nécessaires pour l’écriture du film. C’est la première fois que Prévert écrit seul un scénario original. Le tournage débute le 16 août 1943 et se termine le 15 novembre 1944. Il connut de violents orages qui détruisent les décors des studios de la Victorine de Nice, les restrictions liées à l’Occupation, les bombardements lors des scènes tournées à Paris, la pénurie de pellicule et son achat au marché noir, l’arrestation de résistants qui participaient au tournage… Une empreinte cinématographique indélébile La sortie des Enfants du paradis a été retardée jusqu’à la Libération afin d’être proposée au public dans une France délivrée du joug nazi. L’histoire de Baptiste, l’amoureux solitaire jeté dans l’absurdité d’un monde hostile, trouve alors un fort écho chez celles et ceux qui sortent de la Seconde Guerre mondiale. En 1945, 428 738 spectateurs le voient. Cinquante ans plus tard, le film marque toujours les esprits d’une empreinte indélébile. En 1995, il est en effet élu meilleur film du premier siècle du cinéma et la même année, il est classé par l’Unesco au patrimoine mondial. L’impact des Enfants du paradis est grand chez de nombreux artistes. Il est vrai que le film rend aussi hommage au muet contre le parlant, en mettant en avant le mime, et donc par ricochet au cinéma muet ; quand on étudie le premier brouillon scénaristique de Prévert, on peut d’ailleurs déchiffrer ‘Buster Keaton’, dans la ligne caractérisant Baptiste, et découvrir un dessin des frères Lumière… Impossible de dresser ici un inventaire (à la Prévert !) de tous les artistes touchés mais citons, de manière éclectique, trois d’entre eux. En 1984, le cinéaste François Truffaut déclare : “J’ai fait vingt-trois films (exactement le même nombre que Carné), des bons et des moins bons. Eh bien, je les donnerais tous sans exception pour avoir signé Les Enfants du paradis.” En 2016, le réalisateur franco-chilien Alejandro Jodorowsky adresse un joli clin d’œil au carnaval si emblématique des Enfants du paradis dans son film Poesía sin fin. En 2020, dans son autobiographie Échappées belles, le comédien Denis Lavant évoque l’importance de “cette démonstration par le geste”, de “cette plaidoirie silencieuse” qu’il a “retenue par cœur. Beauté idéale d’un art qui servirait à rétablir la vérité…” et conclut : “Vous comprendrez donc que les Enfants du paradis m’inspire à tous les niveaux, c’est pour moi une matrice de jeu, de vie, de poésie.“ Chef-d’œuvre de poésie, de liberté et d’humanité, les Enfants du paradis a considérablement oxygéné la vie de son époque et continue à oxygéner la nôtre. Carole Aurouet, Université Gustave Eiffel statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  DP. Plus de littérature en Wallonie…   [...] Lire la suite…
AI Slop : ce phénomène créé par l’intelligence artificielle nous amène-t-il vers un “internet zombie” ?AI Slop : ce phénomène créé par l’intelligence artificielle nous amène-t-il vers un “internet zombie” ?
[RTBF.BE, 21 février 2025] L’intelligence artificielle envahit de plus en plus notre monde et brouille les frontières entre réel et imaginaire. Un phénomène relativement nouveau inonde internet : l’AI Slop. Pour le moment sans contrôle, il menace notre confort numérique. Explications dans Matin Première.  L’AI Slop se manifeste sur de nombreux sites que vous consultez peut-être tous les jours comme Pinterest. Cette plateforme d’inspiration fait défiler sous vos yeux des images selon vos centres d’intérêt – cuisine, mode, dessin, photo, coiffure, déco – et vous épinglez celles qui vous plaisent dans des tableaux dédiés qui ne sont qu’à vous, qui sont publics ou privés, sortes de vision boards de votre vie rêvée : que ce soient des idées de vêtements “vintage pour l’hiver”, ou des idées pour décorer vos toilettes avec du papier-peint. Bref, Pinterest c’est une petite bulle tout à fait superficielle et confortable dans laquelle se lover quand le monde va mal. Mais cette bulle ne protège plus sur Pinterest : la plateforme est en train de muter sous nos yeux. Les photos de déco se ressemblent de plus en plus, les modèles maquillage ou coiffure ont la peau et la beauté trop lisse. Même les recettes : les assiettes remplies de pâtes sont désormais irréelles. Internet gangréné par les images produites par l’IA En effet, Pinterest est gangrené par les images générées par l’IA. 70% des contenus sur la plateforme sont faux aujourd’hui. C’est la directrice créative d’une agence de pub qui l’affirme dans une enquête menée par le Figaro. Elle le sait car au sein de son agence elle-même, on fournit de plus en plus d’images produites par IA. C’est tellement moins cher et plus facile que d’organiser une séance photo avec des comédiens. Des milliers d’utilisateurs se plaignent du même problème sur plusieurs forums Reddit. Une dame parle même des modèles de crochet qui sont maintenant générés par IA. Et donc impossibles à reproduire dans la vraie vie. Les internautes sont en colère, demandent à la plateforme d’instaurer un outil de filtre pour signaler et éviter ces fausses images. Peine perdue semble-t-il pour le moment. Mais c’est quoi exactement l’AI Slop ? ‘AI’ c’est pour ‘Artificial Intelligence’. ‘Slop’ en anglais désigne la bouillie industrielle que l’on donne aux cochons… L’AI Slop c’est donc l’expression pour nommer cette bouillie d’IA que l’on nous sert sur tous les supports numériques. On l’a dit, Pinterest n’est pas le seul site concerné : vous trouverez des vidéos sur YouTube ou TikTok générées par l’IA, souvent pleine d’erreurs et doublée d’une fausse voix, vous tomberez sur de faux sites de recettes, avec des images fake et des instructions où il manque des ingrédients ou qui ne veulent rien dire, on parle même de livres générés par IA, auto-édités puis vendus sur Amazon. Bref, l’AI Slop, c’est une masse numérique jetable, sans aucune valeur ajoutée, qui est produite à grande échelle avec, derrière, l’intention de faire du profit. L’objectif de ce foisonnement d’images fausses, c’est de nous faire regarder des vidéos ou de nous rediriger vers des sites ‘zéro contenu qualitatif’ mais sur lesquels nous sommes exposés à de la publicité. Des enjeux financiers pour des créateurs d’images à partir d’IA en Asie Puisqu’il faut faire du clic, ces faux contenus vont suivre les logiques algorithmiques. Il faut que ça provoque de l’engagement. Les célébrités, les cryptomonnaies, les enfants, les animaux, sont des sujets qui fonctionnent bien. Et d’où viennent ces contenus ? Le site 404 Media a par exemple remonté le fil jusqu’à des internautes en Inde ou d’en d’autres pays d’Asie qui produisent ces images pour se voir rétribuer par le programme Performance Bonus de Facebook. Ils reçoivent quelques dizaines de dollars par image ayant percé et cela peut grimper quand celle-ci devient virale. Et peu importe si l’image et les informations sont fausses. Le Figaro explique par exemple que le 31 octobre dernier, des milliers de personnes ont afflué dans les rues de Dublin pour une parade d’Halloween… c’était faux. C’est un site créé par IA et sourcé au Pakistan qui avait perçu que c’était un thème qui générait du trafic. Même chose pour un soi-disant feu d’artifice à Birmingham pour le Nouvel An. Une perte de confiance et un internet à deux vitesses Face à cet afflux d’images incontrôlées et incontrôlables, il faudra voir si les plateformes vont réagir, imposer un filtre, trier ces images et ces infos. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il faut dire que les internautes postent de moins en moins sur les réseaux et cet afflux d’images artificielles vient donc compenser pour l’instant. Car les effets pourraient être dévastateurs pour des plateformes abondamment utilisées. Si le slop continue d’enfler, on va d’abord perdre confiance, se méfier de tout et se lasser. Une artiste interrogée par le Figaro explique notamment que pour elle, Pinterest n’est déjà plus un vrai moteur de recherche, fiable, essentiel. Sur le long terme, deux options s’offrent à nous, engendrant une refonte structurelle d’internet : On naviguerait sur un internet zombie, envahi de contenus irréels dont la masse exponentielle sera alimentée par des IA qui échangeront entre elles et auront leur propre compte sur les RS. On pourrait imaginer alors un internet à deux vitesses, cet internet zombie low cost pour les pauvres, et des espaces de contenus de qualité mais qui nécessitent le temps, les compétences et l’argent pour être trouvés. Autant dire réservé à une classe mieux armée socioéconomiquement ; On connaîtrait un sursaut, un grand ‘non’ généralisé à ces contenus, et des plateformes qui instaurent des filtres. Un retour vers les contenus de référence, comme les médias traditionnels ou les contenus labellisés humains. Une nouvelle ère des blogs et des sites persos, sans algorithmes. La saturation du slop serait-elle peut-être le sursaut dont on a besoin pour repenser nos usages numériques ? Marie Vancutsem statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © pplware.sapo.pt ; © radiofrance.fr. Plus de presse en Wallonie… [...] Lire la suite…
ARTIPS : La guerre des caleçonsARTIPS : La guerre des caleçons
[NEWSLETTERS.ARTIPS.FR, 7 mars 2025] Où l’on dit à des modèles d’aller se rhabiller. 1901. Il y a du rififi à l’École des Beaux-Arts de Paris ! Le conseil supérieur vient de recevoir une pétition adressée par plusieurs étudiantes. Celles-ci réclament l’égalité complète avec leurs camarades masculins lors des concours… À cette date, cela fait seulement quatre ans que la vénérable institution a ouvert ses portes aux femmes. Et on compte veiller sur la moralité des élèves, masculins comme féminines, en les séparant ! Les nouvelles étudiantes se forment donc dans deux ateliers, de peinture et de sculpture, qui leur sont réservés. Au programme, étude de l’art antique et surtout dessin sur modèle vivant, alors considéré comme la base de la formation. Cela permet d’apprendre l’anatomie et de mieux comprendre le mouvement des muscles avant de passer à de grandes compositions. Voilà justement le souci. Pour des raisons de ‘décence’, l’école a décidé que les modèles masculins exposés aux yeux des jeunes femmes seraient couverts d’un caleçon, c’est-à-dire d’un pagne. Lors des concours mixtes, cela les défavorise : les professeurs, qui doivent juger et récompenser les meilleurs dessins présentés anonymement, savent d’un coup d’œil quel est le sexe de l’auteur ! Les artistes en herbe réclament donc de dessiner des modèles entièrement nus. Le conseil voit les choses autrement : pourquoi ne pas plutôt vêtir les modèles pour tous les élèves ? La première entrée à l’école, Marguerite Jamin, plaide pour cette solution “qui ne détruit en rien l’harmonie du corps.” Mais loin de calmer les esprits, cette idée, qui rompt avec la tradition, cause une protestation générale. Bientôt, les hommes eux-mêmes manifestent pour que les modèles soient nus pour tous et toutes ! La nudité c’est la vérité, c’est la beauté, c’est l’art. Isadora Duncan C’est finalement la solution retenue. Grâce à cette absence de distinction, les femmes peuvent briller dans tous les concours. En 1911, Lucienne Heuvelmans est ainsi la première lauréate du prestigieux prix de Rome. Adeline Pavie statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : newsletters.artips.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : CAILLEBOTTE, Gustave (1848-1894), Homme s’essuyant la jambe (vers 1884) © Collection particulière Lea Gryze ; © BnF – Gallica. Plus d’arts visuels en Wallonie… [...] Lire la suite…
CHENG : Le poète français venu de Chine, une vie d’exil et de recommencementsCHENG : Le poète français venu de Chine, une vie d’exil et de recommencements
[THECONVERSATION.COM, 3 mars 2025] C’est l’un des plus grands poètes contemporains de langue française. François Cheng a pourtant appris à parler et écrire en français à l’âge adulte seulement, après un exil forcé de sa Chine natale. La sortie de son nouveau roman Une nuit au cap de la chèvre est l’occasion de revenir sur sa vie, faite d’exil et de recommencements. Elle a donné naissance à une œuvre poétique et artistique où la réflexion sur la mort et la beauté se lie à l’obsession de tracer des ponts entre l’Orient et l’Occident, entre les différents arts, entre soi et l’Autre. Rien ne prédestinait le petit Cheng Chi-Hsien, natif de la région chinoise du Jiangxi à venir un jour en France, encore moins à devenir un poète français reconnu mondialement, siégeant à l’Académie française. Au cours de son existence, Cheng Chi-Hsien va pourtant choisir le nom de François Cheng, signer ainsi une vingtaine de recueils de poésie et de romans, autant d’essais, et ne cessera de bâtir des ponts entre l’Orient et l’Occident, tout en proposant une réflexion sur les grands thèmes universels que sont par exemple la beauté, la mort et l’âme. Âgé aujourd’hui de 95 ans, voici son histoire. Une découverte précoce de la littérature française avant la douleur de l’exil François Cheng est né en 1929 dans une famille chinoise de lettrés et d’universitaires. Initié à la calligraphie par son père, il pratique cet art dès son plus jeune âge. Ses études secondaires à Chongqing, dans le sud de la Chine, sont marquées par la lecture d’auteurs occidentaux tels qu’André Gide et Romain Rolland, traduits et appréciés par les lettrés chinois du début du XXe siècle. À quinze ans, il écrit son premier poème en chinois, intitulé L’eau, qu’il retranscrit et traduit plus tard dans le cahier de l’Herne qui lui est consacré. Mais cette vocation précoce pour la création littéraire va être bouleversée par la guerre sino-japonaise de 1937 à 1945 qui, en le contraignant à un long exode, perturbe également sa scolarité. Pendant cette période, il côtoie maintes fois la mort, “sous les bombardements, emporté par une épidémie ou tout bêtement par un faux pas.” Cette vie d’exil l’empêche dans un premier temps de s’engager dans des études supérieures. Finalement, grâce aux relations de son père, il est admis en 1947 dans une université privée de Nankin, où il commence des études de littérature anglaise, avant d’abandonner au bout de six mois, dans un élan de rébellion confuse, lui qui était autrefois un bon élève devient “une espèce d’écorché vif, un révolté sans idéologie.” L’arrivée en France Il arrive à Paris le 31 décembre 1948, emmené par son père, expert en sciences de l’éducation, à l’occasion d’une conférence internationale préfigurant la fondation de l’Unesco. Son père obtient dans la foulée un contrat d’un an à Paris. L’année suivante, avec le changement de régime dans une Chine bouleversée, sa famille choisit de partir aux États-Unis, où ses parents ont fait leurs études. Âgé de vingt ans, François Cheng décide lui de rester seul en France. Fasciné par la culture occidentale, il y est venu pour étudier la peinture et bénéficie pour cela d’une bourse pendant deux ans. Il envisage ensuite de retourner dans son pays natal, mais la situation politique en Chine, notamment la campagne contre les intellectuels lancée à partir de 1954, rend cela impossible. Toute forme de création y est devenue impraticable. C’est alors qu’il prend conscience de son exil, poursuivi par une sorte d’interrogation métaphysique sur lui-même : “Qui suis-je ? Pourquoi suis-je si loin de ma terre natale ? Quel est ce destin absurde ?“ L’apprentissage du français ou l’ivresse de renommer les choses à neuf Sans connaître un mot de français, il traverse une période d’interrogation intense. L’abandon de sa langue maternelle et l’inaccessibilité de sa langue d’accueil font de lui un homme sans parole, situation particulièrement déchirante pour quelqu’un qui nourrit l’ambition de se consacrer à la création littéraire et de devenir poète. La barrière de la langue le réduit à une “condition d’immigré qu’on traite mal et dont on bafoue la dignité.” Afin de briser cette barrière, il suit des cours de langue à l’Alliance française et des cours de civilisation française à la Sorbonne. Petit à petit, immergé dans cette terre d’accueil et initié au français, il éprouve “l’ivresse de renommer les choses à neuf comme au matin du monde.” Après une première analyse d’un long poème des Tang, il applique la méthodologie du structuralisme et de la sémiologie pour introduire l’art classique chinois en France dans deux essais : L’Écriture poétique chinoise (1977) et Vide et plein, le langage pictural chinois (1979). Par la suite, il publie un ouvrage sur l’histoire de la peinture chinoise, L’Espace du rêve : mille ans de peinture chinoise (1980), et deux monographies sur des peintres classiques, Chu Ta : le génie du trait (1986) et Shitao : la saveur du monde (1998). Traductions et création Toujours à la poursuite d’un dialogue entre ces deux cultures, il traduit en chinois des poètes français dans son Anthologie de sept poètes français (1984). Ses traductions deviennent par la suite un bréviaire pour les chercheurs chinois en littérature française. Parallèlement, il traduit en français des poèmes chinois dans Entre source et nuage (1990). Il ne tarde pas à commencer sa propre création littéraire avec son premier roman, Le Dit de Tianyi (1998). Dans la préface de la version chinoise de ce livre, il explique que le parcours du personnage principal reflète celui de toute une génération d’intellectuels qui ont vécu les bouleversements suivant la fondation de la ‘Nouvelle Chine’ par Mao en 1949. En parallèle à ses romans, essais, traductions, livres d’art et monographies, il commence aussi à écrire des poèmes en français. Son premier recueil de poèmes en français, intitulé De l’arbre et du rocher, voit le jour en 1989 aux éditions Fata Morgana. D’autres suivront, dont les trois recueils publiés dans la collection Poésie/Gallimard : À l’orient de tout (2005), La Vraie gloire est ici (2015), et Enfin le royaume (2018), une trilogie qu’il considère comme “de loin la part la plus essentielle de ma création.” À cela s’ajoute un dernier recueil de poésie paru en 2024, Suite orphique. Un maître passeur qui embrasse l’unité Son innovation linguistique, marquée par l’invention de binômes et de trinômes, l’usage de mots disséqués, ainsi que l’introduction d’images et de termes chinois, enrichit le vocabulaire et le paysage artistique français. Il décide de remplacer son prénom chinois Chi-Hsien 紀賢, qui signifie ‘célébrer la sagesse’ et renvoie au confucianisme, par Baoyi 抱一, ’embrasser l’unité’. Cette expression, qui apparaît deux fois dans le Laozi texte fondamental du taoïsme, souligne l’ancrage de son univers poétique dans cette pensée. Sa poésie révèle parfois une rencontre entre les voies taoïste et christique : “Alors souffle le juste Vide médian/Alors passe, in-attendu, l’ange.” N’oublions pas que lors de sa naturalisation en 1971, il choisit François comme prénom français : “François comme France et français, oui, mais aussi l’humble entre les humbles, celui qui parlait à Assise aux oiseaux.“ Avec ses écrits, il établit un pont entre l’Orient et l’Occident, et partage son expérience de l’altérité. Ses œuvres sont traduites et présentées pour la première fois en Chine continentale en 1998. Avec son élection à l’Académie française en 2002, ses ouvrages prennent une influence grandissante en Chine. Dans un article du Nouvel Observateur, le poète Claude Roy lui décerne le titre de “maître passeur” et affirme que “François Cheng est un vivant démenti de l’adage de Kipling selon lequel l’Est et l’Ouest ne peuvent jamais se rencontrer tout à fait.” François Cheng lui-même se définit comme un “infatigable pèlerin de l’Occident.” Avec ses œuvres qui illustrent sa quête incessante du dialogue entre les arts et les cultures, il encourage ses lecteurs à embrasser les différences et à établir une relation d’échange créatif avec l’Autre. Zhang Guochuan, INALCO Cet article est publié en partenariat avec l’Agence universitaire de la Francophonie. statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © philomag.com | Voyez aussi : CHENG : Textes CHENG, François (né en 1929) : “Enfin le royaume” (extraits, 2018) Plus de littérature en Wallonie…   [...] Lire la suite…
PHILOMAG.COM : Spinoza et la joie dans l’Ethique (supplément au n°63)PHILOMAG.COM : Spinoza et la joie dans l’Ethique (supplément au n°63)
L’Éthique est un traité de l’effort de vivre, donc aussi de la joie et de l’amour. C’est pour-quoi c’est un traité de résistance : il s’agit de s’opposer à tout ce qui menace ou réduit notre existence, aussi bien à l’extérieur de nous-mêmes qu’à l’intérieur. André Comte-Sponville Le texte suivant est extrait d’un cahier central de PHILOMAG.COM, préparé par Martin Duru et préfacé par André Comte-Sponville. La traduction est de Charles Appuhn. Le numéro 63 d’octobre 2012 était consacré à la question  Comment être (un peu plus) libre ? : “…un peu plus libre – c’est-à-dire inventif, vivant, présent à soi-même ? Cette question se pose dans la vie comme dans la presse. Une réponse possible est : il faut abattre régulièrement les cloisons…” Plusieurs penseurs de marque dans ce magazine : Nietzsche, Pettit, Sunstein, Tolokonnikova, Fischer, Nathan, Latour, Salecl, Midal, Monville, Comte-Sponville et… Spinoza. En savoir plus sur PHILOMAG.COM L’Éthique est l’œuvre maîtresse de Baruch de Spinoza (1632-1677) et l’un des livres les plus fascinants de l’histoire de la philosophie. A retrouver dans ce livret, les principaux extraits de l’ouvrage qui portent sur la joie, accompagnés d’un lexique. Préface Par André Comte-Sponville. Philosophe, penseur matérialiste de la “spiritualité sans Dieu”• Il est notamment l’auteur du Petit traité des grandes vertus (PUF, 1995) et du Traité du désespoir et de la béatitude (PUF, 2° éd., 2011). Dernier ouvrage paru : Le Sexe ni la mort. Trois Essais sur l’amour et la sexualité (Albin Michel, 2012). Chef-d’œuvre austère et difficile, l’Ethique de Spinoza est un traité de la joie, et c’est ce que les pages qui suivent voudraient rendre perceptible. Pas d’illusion pourtant : Spinoza n’est pas un ‘ravi de la crèche’, qui verrait le monde en bleu et rose, ni même un optimiste qui nous apprendrait à ‘positiver’, comme on dit aujourd’hui, ou à voir les choses ‘du bon côté’. Les humains ne sont que trop portés à “croire facilement ce qu’ils espèrent, difficilement ce qu’ils redoutent” (Éthique, III, 50, scolie). Inutile d’en rajouter ! Le point de départ de Spinoza n’est pas dans je ne sais quel émerveillement d’exister, encore moins dans la foi ou l’espérance, mais dans l’expérience d’un effort (conatus), d’une résistance, d’un combat. Tout être tend à persévérer dans son être, et cet effort est son essence même, actuelle et active (III, 6 et 7). L’être est énergie, voilà ce que Spinoza, s’il avait écrit en grec plutôt qu’en latin, eût pu dire (energeia : la force en action) et qu’il nous aide à penser. Pas étonnant qu’Einstein s’y soit retrouvé ! Être, c’est s’efforcer d’être, donc agir ou résister : l’essence actuelle d’une chose n’est rien d’autre que sa puissance d’agir (agendi potentia) ou force d’exister (existendi vis). C’est vrai spécialement des vivants, donc aussi des humains : chacun d’entre nous s’efforce d’exister le plus et le mieux qu’il peut, et s’oppose pour cela à tout ce qui pourrait supprimer ou réduire son existence (III, 9, scolie ; voir aussi la définition générale des affects, explication). Cet effort, en tant qu’il peut être conscient de lui-même, prend le nom de désir, lequel est ainsi “l’essence même de l’homme” (III, déf. 1 des affects). On n’insistera jamais assez sur ce point : Spinoza, qui est sans doute le plus rationaliste de tous les philosophes, et parce qu’il l’est, a bien vu que c’est le désir, non la raison, qui est le fond de notre être. Or, que désirons-nous ? Vivre, le plus et le mieux possible ! Nous sommes joyeux lorsque ce désir est satisfait. Et tristes, lorsqu’il ne l’est pas. “La joie, écrit Spinoza, est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection” (III, déf. 2 des affects) ou réalité (II, déf. 6). Être joyeux, c’est sentir qu’on existe davantage. Être triste, qu’on existe moins. Il est donc de notre essence de désirer la joie, et de fuir, autant que nous pouvons, la tristesse. Ce désir n’est pas manque (“une privation n’est rien“, III, déf. 3 des affects, explication) mais puissance : puissance de jouir et de se réjouir, donc puissance d’aimer (III, déf. 6 des affects). C’est le cœur vivant du spinozisme : l’Éthique est un traité de l’effort de vivre, donc aussi de la joie et de l’amour. C’est pourquoi c’est un traité de résistance : il s’agit de s’opposer à tout ce qui menace ou réduit notre existence, aussi bien à l’extérieur de nous-mêmes (les dangers ou adversaires qui nous entourent) qu’à l’intérieur (les passions tristes). La vérité seule le permet durablement, qui nous libère de nos fantômes. C’est pourquoi elle est bonne et meilleure que tout. L’Éthique, ou le traité du seul combat qui ne soit pas vain : pour que la joie demeure ! Le Dieu de Spinoza, qui est tout, ne juge pas. Aussi n’y a-t-il dans la nature, à la juger objectivement, ni bien ni mal. Mais nous ne sommes pas Dieu. Mais nous ne sommes pas la nature. C’est pourquoi il y a du bon et du mauvais pour nous. Le désir est l’essence même de l’homme, et tout désir est normatif (III, 9, scolie). Il est donc de notre essence de juger et d’évaluer. Selon quels critères ? Selon “une certaine idée de l’homme, qui soit comme un modèle placé devant nos yeux” (IV, préface : le spinozisme, quoi qu’on en ait dit, est un humanisme), donc aussi selon une certaine expérience de la joie et de la tristesse (III, 39, scolie). Tout, pour les humains, ne se vaut pas ! “Tout ce qui donne de la joie est bon” (IV, chap. 30), et rien ne l’est qu’à proportion de la joie que nous y trouvons ou cherchons. C’est pourquoi l’amour est la seule éthique qui vaille : tel est “l’esprit du Christ“, à quoi Spinoza, sans croire en sa divinité, reste fidèle (Traité théologico-politique, chap. 1 et 14 ; Correspondance, lettres 43, 73, 75, 76 et 78). Cela donne tort aux nihilistes autant qu’aux censeurs. Le sage n’a rien d’un ascète ni d’un peine-à-jouir (Éthique, IV, 45, scolie). Il n’est pas davantage porté au mépris, à la raillerie ou à la haine : il lui suffit de “bien faire et de se tenir en joie” (IV, scolies des prop. 50 et 73). Cette joie, en tant qu’elle est vraie, est éternelle : c’est l’amour vrai du vrai ou de Dieu (V, 33 et passim). On n’en mourra pas moins. Mais on en vivra mieux. N’attendons pourtant pas d’être sages pour rire de nous-mêmes et de la sagesse. Car le rire, écrit Spinoza, “est une pure joie” (IV, 45, scolie du corollaire 2). Présentation par Martin DURU L’auteur Baruch de Spinoza est né le 24 mars 1632 à Amsterdam. Il est issu d’une famille juive d’origine portugaise, dont le père est négociant spécialisé dans l’import-export, d’épices notamment. Il reçoit une éducation religieuse traditionnelle, avant de reprendre avec son frère Gabriel le commerce familial à la mort de son père, en 1654. Parallèlement, il apprend le latin, découvre la science galiléenne et la philosophie moderne en suivant les cours d’un ancien jésuite, Franciscus Van Den Enden. En 1656, il est exclu de la communauté juive et interdit de tout contact avec ses membres. Abandonnant les affaires, il quitte Amsterdam et se consacre à l’étude. Il s’impose rapidement comme l’un des grands connaisseurs de la pensée cartésienne, et publie en 1663 les Principes de la philosophie de Descartes, où il prend déjà ses distances avec le père du cogito. Spinoza, qui pour vivre polit et vend des verres de lentilles, se plonge dans la rédaction de son Traité théologico-politique, défense de la liberté de philosopher et attaque en règle contre la conception judéo-chrétienne de Dieu. Paru anonymement en 1670, l’ouvrage est interdit quatre ans plus tard, en même temps que le Léviathan de Hobbes. Installé à La Haye, Spinoza mène un train de vie austère, tout en étant au cœur d’un réseau d’amis fidèles et de correspondants prestigieux. Partisan vigoureux du régime républicain, il écrit son Traité politique, plaidoyer pour la démocratie, après avoir achevé l’Éthique. Mais sa santé fragile le rattrape et, vraisemblablement atteint d’une forme pulmonaire de la tuberculose, il meurt le 21 février 1677, à seulement 44 ans, laissant derrière lui l’un des systèmes philosophiques rationalistes les plus puissants jamais conçus. L’oeuvre L’Ethique est le chef d’oeuvre ultime de Spinoza, rédigé en latin et en plusieurs temps. Sa version définitive semble dater de 1675, puisque, cette année, le philosophe envisage de l’imprimer et de le publier à Amsterdam. Mais il se rétracte, de peur des polémiques et des attaques que l’ouvrage pourrait susciter, en provenance aussi bien des cartésiens que des théologiens. Son sceau portait l’inscription Caute (Prudence ! en latin), et c’est dans cette disposition d’esprit que Spinoza se résout à une parution posthume. De fait, l’Éthique paraît quelques mois après sa mort, en même temps que plusieurs autres de ses oeuvres. Elle sera interdite par les autorités hollandaises dès l’année suivante, en 1678. Le titre complet est Éthique démontrée suivant l’ordre géométrique. Spinoza adopte en effet un mode d’exposition mathématique pour tous les domaines de sa réflexion, il pose des définitions, des axiomes ou des postulats, et enchaîne les propositions rigoureusement démontrées, enrichies souvent de scolies, c’est-à-dire de commentaires en marge qui lui permettent de développer sa pensée et/ou decombattre les préjugés qu’elle ébranle. L’oeuvre se décompose en cinq parties : la première est consacrée à la définition de Dieu (lire le lexique ci-après) ; la deuxième à celle de l’âme et à son rapport avec le corps ; la troisième traite des affects et en particulier des passions ; la quatrième montre en quoi ces dernières entraînent la “servitude” et déploie la conception spinoziste du bien et de la raison ; la cinquième et dernière partie décrit, quant à elle, les voies et les moyens grâce auxquels l’homme peut atteindre la liberté et la félicité suprême – visées ultimes de l’Éthique. Les extraits Ils rassemblent certains des passages les plus significatifs de l’Ethique sur le thème cardinal de la joie. Un premier ensemble est tiré de la troisième partie (intitulée De la nature et de l’origine des affects). Il reprend les propositions 6, 7, 9 et 11, ainsi que les définitions conclusives 1, 2, 3 et 6 : Spinoza y aborde le conatus et les trois affects fondamentaux du désir, de la joie et de la tristesse. Un deuxième ensemble est puisé dans la quatrième partie (De la servitude de l’homme ou des forces des affects). Il est constitué des propositions 41 et 45, auxquelles s’ajoute le chapitre 4 de l’important Appendice qui clôt la partie : Spinoza soutient que la joie “n’est jamais mauvaise directement mais bonne” et indique que la “fin ultime” consiste à “perfectionner l’entendement ou la raison autant que nous pouvons.” Le troisième ensemble est issu de la cinquième partie (De la puissance de l’entendement ou de la liberté humaine) et reproduit les propositions 32, 33, 36 et 42 – la toute dernière de l’Éthique. La béatitude s’y voit définie comme l'”amour envers Dieu“, et Spinoza propose un portrait du sage, qui possède le “vrai contentement.” Voici donc un aperçu du chemin qui structure toute l’Éthique, celui qui mène à la joie véritable… Lexique par Martin Duru Les notions qui suivent se retrouvent dans les extraits proposés de l’Éthique. Ces définitions sont donc destinées à en faciliter la compréhension. Dieu J’entends par Dieu un être absolument Infini, c’est-à-dire une substance constituée par une Infinité d’attributs dont chacun exprime une essence éternelle et Infinie” (Éthique, I, déf. 6). Spinoza emploie l’un des mots clés de la philosophie de son temps, la ‘substance’, pour désigner Dieu, lequel se confond avec la totalité dans laquelle nous vivons. “Deus sive natura“, écrit le philosophe (IV, Préface et prop. 6, démonstration) : “Dieu ou la nature“, “Dieu, c’est-à-dire la nature.” Cette équivalence a créé le scandale : même si Dieu est conçu comme un être unique, éternel et autosuffisant, il ne s’agit pas du Dieu des religions monothéistes. Spinoza ne croit pas à un Dieu révélé, créateur et providentiel. En ce sens, il est athée et a été condamné comme tel. Cependant, il était très affecté par les accusations d’athéisme, car, selon lui, il ne fait que penser le ‘vrai’ Dieu, non pas transcendant, mais identifié à la nature. Attributs Ce sont les aspects, les manifestations ou encore les plis de la substance (à savoir Dieu ou la nature). En nombre infini, il constituent, et c’est par eux qu’elle peut être connue – Spinoza dit que les attributs sont ‘l’expression’ de Dieu. Nous, humains, n’avons accès qu’à deux attributs : la pensée et l’étendue (la matière). Comme tout attribut reflète et renvoie à Dieu, Spinoza peut écrire qu’il est à la fois une ‘chose pensante’ et une ‘chose étendue’ (II, prop. 1 et 2) – nouveau blasphème … Corollaire : si nous saisissons les lois de la pensée et de l’étendue, alors nous pourrons connaître Dieu. Le réel est entièrement intelligible ; le rationalisme intégral de Spinoza ne laisse place à aucun mystère. Modes Toutes les choses particulières sont ce que le philosophe appelle des ‘modes’. Le fondement de leur essence et de leur existence ne se trouve pas en eux-mêmes : “j’entends par mode les affections d’une substance, autrement dit ce qui est dans une autre chose, par le moyen de laquelle il est conçu” (I, déf. 5). Spinoza distingue la ‘Nature naturante’, qui recouvre Dieu et les attributs, et la ‘Nature naturée’, ensemble des modes (I, prop. 29, scolie). Une pierre, un cheval, un homme sont des modes, caractérisés comme tous les autres par leur finitude. Plus précisément encore : le corps, un mode de l’attribut étendue, et l’âme, un mode de l’attribut pensée – en cela, elle n’est pas immortelle, pied de nez à la tradition philosophique (platonicienne) et judéo-chrétienne. L’âme et le corps Spinoza utilise le terme latin mens, qui peut se traduire aussi bien par ‘âme’ que par ‘esprit’. L’âme se définit comme une idée dont l’objet est le corps (II, prop. 13), et “rien d’autre.” Ce ‘rien d’autre’ est essentiel, car il marque l’indissociabilité du physique et du psychique. Adversaire de tout dualisme, Spinoza critique la conception cartésienne d’une interaction directe entre l’âme et le corps. Pour lui, il n’y pas de relation de causalité, mais correspondance stricte entre ce qui se passe dans l’attribut pensée (donc dans l’âme) et dans l’attribut étendue (dans le corps) : “L’ordre et la connexion des idées sont les mêmes que l’ordre et la connexion des choses” (II, prop. 7) On parle parfois du ‘parallélisme’ de Spinoza. Cependant, ce terme n’est pas employé par lui, mais par Leibniz. Surtout, cette image est trompeuse : chez Spinoza, l’âme et le corps ne sont pas deux droites parallèles qui ne se recoupent jamais. Ce sont les deux faces, les deux dimensions d’une même réalité, l’homme. Affects Ils correspondent à ce qu’on appellerait aujourd’hui les sentiments ou les émotions, à ceci près qu’ils engagent simultanément le corps et l’âme : “J’entends par affect les affections du corps par lesquels la puissance d’agir de ce corps est augmentée ou diminuée, secondée ou réduite, et en même temps les idées de ces affections” (III, déf. 3). Les affects renvoient donc à une modification de la ‘force d’exister’ d’un être. Spinoza envisage deux sortes d’affects, passifs et actifs. Les affects passifs (les passions) surviennent lorsque, mus par les choses extérieures, nous sommes la ’cause partielle’ (ou inadéquate) de ce qui se passe en nous ; les affects actifs (les actions) se produisent quand nous sommes ’cause adéquate’, c’est-à-dire dès lors que nous produisons des effets qui se comprennent “clairement et distinctement” par la nécessité de notre seule nature (III, déf. 2). Tout l’enjeu de l’Éthique consiste à décrire et à rendre possible la transition des affects passifs aux affects actifs. Désir, joie et tristesse Ce sont les trois affects primitifs, à partir desquels Spinoza déduit tous les autres. Le désir est le conatus – défini de manière générale comme l’effort que toute chose fait pour “persévérer dans son être” (III, prop. 6) – rapporté à l’homme, en tant qu’il est conscient de ses “impulsions, appétits et volitions” (III, déf. des affects, 1, explication). La joie correspond à un accroissement de la puissance d’agir et donc au “passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection” (III, déf. des affects, 2). A l’inverse, la tristesse coïncide avec une réduction de la force d’exister. Spinoza dresse un inventaire des passions tristes et joyeuses, et lorsqu’il passe à l’affect comme action, il ne reste plus que les affects de désir et de joie. Autrement dit, la joie peut être active, mais pas la tristesse ou la haine, qui “ne peut jamais être bonne” (IV, prop. 45). Connaissance Il en existe trois genres (lire notamment Il, prop. 40, scolie 2). Le premier genre de connaissance procède par expérience vague, croyance ou encore imagination. Il renvoie aux inductions que nous pouvons faire : par exemple, j’apprends que l’eau sert à éteindre un feu. Ce premier genre, empiriste, ne délivre pas de certitudes inébranlables. Il faut passer au second, associé à la raison, où par le développement de notions communes présentes en tout homme (j’ai en moi l’idée de l’étendue ou du mouvement), la découverte des lois universelles de la nature devient possible. Enfin, le troisième genre est dit ‘connaissance par science intuitive‘ : nous saisissons alors l’essence de chaque chose singulière ; la clarté du savoir est maximale. Comme tout ce qui existe est en Dieu et Dieu en tout, la connaissance du troisième genre donne lieu à ‘l’amour intellectuel‘ de celui-ci et à la ‘joie la plus haute‘ (V, prop. 31, démonstration). Liberté et béatitude Spinoza considère la doctrine du libre arbitre comme une illusion ; aveugles des causes qui les meuvent, les hommes croient maîtriser le cours du monde, alors qu’il n’en est rien (1, Appendice). Le philosophe cesse d’opposer la liberté et la nécessité, et les lie intimement : une chose “est dite libre qui existe par la seule nécessité de sa nature et est déterminée par soi seule à agir” (I, déf. 7). La liberté n’est pas la licence de faire ce que l’on veut, mais l’accord avec la nature dans son ensemble (et tout homme est une partie de la nature). Guidé par le deuxième et le troisième genre de connaissance, le sage a lui “conscience de lui-même, de Dieu et des choses” (V, prop. 42, scolie). Il fait ainsi l’expérience de la béatitude comme liberté authentique (V, prop. 36, scolie). Spinoza et la joie dans l’Ethique Cette traduction est celle réalisée par Charles Appuhn (1862-1942). Il l’a fait paraître une première fols en 1906, avant d’en proposer une nouvelle version en 1934. Cette traduction a été reprise pour l’édition de l’Ethique chez Garnier-Flammarion et est aujourd’hui libre de droits. Appuhn avait choisi d’employer le même terme français d’affection pour traduire deux mots distincts en latin, affectus et affectio. Pour éviter la confusion terminologique et conceptuelle, les traductions ultérieures ont rendu affectus par affect et affectio par affection – cela d’autant plus que le terme d’affect s’est imposé dans le vocabulaire courant. Nous modifions donc la traduction d’Appuhn sur ce seul point, en rétablissant « affects » dès que Spinoza a recours à ce concept précis. Par ailleurs, les abréviations utilisées dans l’original et que l’on retrouvera Ici sont les suivantes: p. = partie ; Prop. = proposition ; Déf. = définition ; Coroll. = corollaire ; Aff. = affects. PROPOSITION VI Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’efforce de persévérer dans son être. Démonstration Les choses singulières en effet sont des modes par où les attributs de Dieu s’expriment d’une manière certaine et déterminée (Coron. de la Prop. 25, p. I), c’est-à-dire (Prop. 34, p. I) des choses qui expriment la puissance de Dieu, par laquelle il est et agit, d’une manière certaine et déterminée ; et aucune chose n’a rien en elle par quoi elle puisse être détruite, c’est-à-dire qui ôte son existence (Prop. 4) ; mais, au contraire, elle est opposée à tout ce qui peut ôter son existence (Prop. préc.) ; et ainsi, autant qu’elle peut et qu’il est en elle, elle s’efforce de persévérer dans son être. C.Q.F.D. PROPOSITION VII L’effort par lequel chaque chose s’efforce de persévérer dans son être n’est rien en dehors de l’essence actuelle de cette chose. Démonstration De l’essence supposée donnée d’une chose quelconque suit nécessairement quelque chose (Prop. 36, p. 1), et les choses ne peuvent rien que ce qui suit nécessairement de leur nature déterminée (Prop. 29, p. 1) ; donc la puissance d’une chose quelconque, ou l’effort par lequel, soit seule, soit avec d’autres choses, elle fait ou s’efforce de faire quelque chose, c’est-à-dire (Prop. 6, p. III) la puissance ou l’effort, par lequel elle s’efforce de persévérer dans son être, n’est rien en dehors de l’essence même donnée ou actuelle de la chose. C.Q.F.D. (…) PROPOSITION IX L’Âme, en tant qu’elle a des idées claires et distinctes, et aussi en tant qu’elle a des idées confuses, s’efforce de persévérer dans son être pour une durée indéfinie et a conscience de son effort. Démonstration L’essence de l’Âme est constituée par des idées adéquates et des inadéquates (comme nous l’avons montré dans la Prop. 3) ; par suite (Prop. 7), elle s’efforce de persévérer dans son être en tant qu’elle a les unes et aussi en tant qu’elle a les autres ; et cela (Prop. 8) pour une durée indéfinie. Puisque, d’ailleurs, l’Âme (Prop. 23, p. II), par les idées des affections du Corps, a nécessairement conscience d’elle-même, elle a (Prop. 7) conscience de son effort. C.Q.F.D. Scolie Cet effort, quand il se rapporte à l’Âme seule, est appelé Volonté ; mais, quand il se rapporte à la fois à l’Âme et au Corps, est appelé Appétit ; l’appétit n’est par là rien d’autre que l’essence même de l’homme, de la nature de laquelle suit nécessairement ce qui sert à sa conservation ; et l’homme est ainsi déterminé à le faire. De plus, il n’y a nulle différence entre l’Appétit et le Désir, sinon que le Désir se rapporte généralement aux hommes, en tant qu’ils ont conscience de leurs appétits et peut, pour cette raison, se définir ainsi : le Désir est l’Appétit avec conscience de lui-même. Il est donc établi par tout cela que nous ne nous forçons à lien, ne voulons, n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons bonne ; mais, au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons. (…) PROPOSITION XI Si quelque chose augmente ou diminue, seconde ou réduit la puissance d’agir de notre Corps, l’idée de cette chose augmente ou diminue, seconde ou réduit la puissance de notre Âme. Démonstration Cette Proposition est évidente par la Proposition 7, Partie II, ou encore par la Proposition 14, Partie II. Scolie Nous avons donc vu que l’Âme est sujette quand elle est passive, à de grands changements et passe tantôt à une perfection plus grande, tantôt à une moindre ; et ces passions nous expliquent les affects de la Joie et de la Tristesse. Par Joie j’entendrai donc, par la suite, une passion par laquelle l’Âme passe à une perfection plus grande. Par Tristesse, une passion par laquelle elle passe à une perfection moindre. J’appelle, en outre, l’affect de la Joie, rapporté à la fois à l’Âme et au Corps, Chatouillement ou Gaieté ; celui de la Tristesse, Douleur ou Mélancolie. Il faut noter toutefois que le Chatouillement et la Douleur se rapportent à l’homme, quand une partie de lui est affectée plus que les autres, la Gaieté et la Mélancolie, quand toutes les parties sont également affectées. Pour le Désir j’ai expliqué ce que c’est dans la Scolie de la Proposition 9, et je ne reconnais aucun affect primitif outre ces trois : je montrerai par la suite que les autres naissent de ces trois. Avant de poursuivre, toutefois, il me paraît bon d’expliquer ici plus amplement la Proposition 10 de cette Partie, afin que l’on connaisse mieux en quelle condition une idée est contraire à une autre. Dans le Scolie de la Proposition 17, Partie II, nous avons montré que l’idée constituant l’essence de l’Âme enveloppe l’existence du Corps aussi longtemps que le Corps existe. De plus, de ce que nous avons fait voir dans le Corollaire et dans le Scolie de la Proposition 8, Partie II, il suit que l’existence présente de notre Âme dépend de cela seul, à savoir de ce que l’Âme enveloppe l’existence actuelle du Corps. Nous avons montré enfin que la puissance de l’Âme par laquelle elle imagine les choses et s’en souvient, dépend de cela aussi (Prop. 17 et 18, p. II, avec son Scolie) qu’elle enveloppe l’existence actuelle du Corps. D’où il suit que l’existence présente de l’Âme et sa puissance d’imaginer sont ôtées, sitôt que l’Âme cesse d’affirmer l’existence présente du Corps. Mais la cause pour quoi l’Âme cesse d’affirmer cette existence du Corps, ne peut être l’Âme elle-même (Prop. 4) et n’est pas non plus que le Corps cesse d’exister. Car (Prop. 6, p. II) la cause pour quoi l’Âme affirme l’existence du Corps, n’est pas que le Corps a commencé d’exister ; donc, pour la même raison, elle ne cesse pas d’affirmer l’existence du Corps parce que le Corps cesse d’être ; mais (Prop. 8, p. II) cela provient d’une autre idée qui exclut l’existence présente de notre Corps et, conséquemment, celle de notre Âme et qui est, par suite, contraire à l’idée constituant l’essence de notre Âme. ( … ) DÉFINITION DES AFFECTS I Le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose par une affection quelconque donnée en elle. Explication Nous avons dit plus haut, dans le Scolie de la Proposition 9, que le Désir est l’appétit avec conscience de lui-même ; et que l’appétit est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est déterminée à faire les choses servant à sa conservation. Mais j’ai fait observer dans ce même Scolie que je ne reconnais, en réalité, aucune différence entre l’appétit de l’homme et le Désir. Que l’homme, en effet, ait ou n’ait pas conscience de son appétit, cet appétit n’en demeure pas moins le même ; et ainsi, pour ne pas avoir l’air de faire une tautologie, je n’ai pas voulu expliquer le Désir par l’appétit, mais je me suis appliqué à le définir de façon à y comprendre tous les efforts de la nature humaine que nous désignons par les mots d’appétit, de volonté, de désir, ou d’impulsion. Je pouvais dire que le Désir est l’essence même de l’homme en tant qu’elle est conçue comme déterminée à faire quelque chose, mais il ne suivrait pas de cette définition (Prop. 23, p. II) que l’Âme pût avoir conscience de son Désir ou de son appétit. Donc, pour que la cause de cette conscience fût enveloppée dans ma définition, il m’a été nécessaire (même Prop.) d’ajouter, en tant qu’elle est déterminée par une affection quelconque donnée en elle, etc. Car par une affection de l’essence de l’homme, nous entendons toute disposition de cette essence, qu’elle soit innée ou acquise, qu’elle se conçoive par le seul attribut de la Pensée ou par le seul attribut de l’Étendue, ou enfin se rapporte à la fois aux deux.J’entends donc par le mot de Désir tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l’homme, lesquels varient suivant la disposition variable d’un même homme et s’opposent si bien les uns aux autres·que l’homme est traîné en divers sens et ne sait où se tourner. II La Joie est le passage de l’homme d’une moindre à une plus grande perfection. III La Tristesse est le passage de l’homme d’une plus grande à une moindre perfection. Explication Je dis passage. Car la Joie n’est pas la perfection elle-même. Si en effet l’homme naissait avec la perfection à laquelle il passe, il la posséderait sans affect de Joie ; cela se voit plus clairement dans l’affect de la Tristesse qui lui est opposée. Que la Tristesse en effet consiste dans un passage à une perfection moindre et non dans la perfection moindre elle-même, nul ne peut le nier, puisque l’homme ne peut être contristé en tant qu’il a part à quelque perfection. Et nous ne pouvons pas dire que la Tristesse consiste dans la privation d’une perfection plus grande, car une privation n’est rien. L’affect de Tristesse est un acte et cet acte ne peut, en conséquence, être autre chose que celui par lequel on passe à une perfection moindre, c’est-à-dire l’acte par lequel est diminuée ou réduite la puissance d’agir de l’homme (voir Scolie de la Prop. 11). j’omets, en outre, le définitions de la Gaieté, du Chatouillement, de la Mélancolie et de la Douleur, parce que ces affects se rapportent éminemment au Corps et ne sont que des espèces de Joie ou de Tristesse. ( … ) VI L’Amour est une Joie qu’accompagne l’idée d’une cause extérieure.  Explication Cette Définition explique assez clairement l’essence de l’Amour ; pour celle des Auteurs qui définissent l’Amour comme la volonté qu’a l’amant de se joindre à la chose aimée, elle n’exprime pas l’essence de l’Amour mais sa propriété, et, n’ayant pas assez bien vu l’essence de l’Amour, ces Auteurs n’ont pu avoir non plus aucun concept clair de sa propriété ; ainsi est-il arrivé que leur définition a été jugée extrêmement obscure par tous. Il faut observer, toutefois, qu’en disant que cette propriété consiste dans la volonté qu’a l’amant de se joindre à la chose aimée, je n’entends point par volonté un consentement, ou une délibération, c’est-à-dire un libre décret (nous avons démontré Proposition 48, Partie II, que c’était là une chose fictive), non pas même un Désir de se joindre à la chose aimée quand elle est absente, ou de persévérer dans sa présence quand elle est là ; l’amour peut se concevoir en effet sans l’un ou sans l’autre de ces Désirs ; mais par volonté j’entends le Contentement qui est dans l’amant à cause de la présence de la chose aimée, contentement par où la Joie de l’amant est fortifiée ou au moins alimentée. Quatrième partie De la Servitude de l’homme ou des forces des Affects Proposition XLI La Joie n’est jamais mauvaise directement mais bonne ; la Tristesse, au contraire, est directement mauvaise. Démonstration La Joie (Prop. 11, p. III, avec son Scolie) est un affect par où la puissance d’agir du Corps est accrue ou secondée ; la Tristesse, au contraire, un affect par où la puissance d’agir du Corps est diminuée ou réduite ; et, par suite (Prop. 38), la Joie est bonne directement, etc. C.Q,F.D. (…) PROPOSITION XLV La Haine ne peut jamais être bonne. Démonstration Nous nous efforçons de détruire l’homme que nous haïssons (Prop. 39, p. III), c’est-à-dire que nous nous efforçons à quelque chose qui est mauvais (Prop. 37). Donc, etc. C.Q,F.D. Scolie On observera que, dans cette proposition et les suivantes, j’entends par Haine seulement la Haine envers les hommes. Corollaire I L’Envie, la Raillerie, le Mépris, la Colère, la Vengeance et les autres affects qui se ramènent à la Haine ou en naissent sont choses mauvaises ; ce qui est évident aussi par la Proposition 39, partie III, et la Proposition 37. Corollaire II Tout ce que nous appétons par suite de ce que nous sommes affectés de Haine, est vilain, et injuste dans la Cité. Cela se voit aussi par la Proposition 39, partie III. ou par les définitions du vilain et de l’injuste dans les Scolies 1 et 2 de la Proposition 37. Scolie Entre la Raillerie (que j’ai dit être mauvaise dans le Coroll. 1) et le rire, je fais une grande différence. Car le rire, comme aussi la plaisanterie, est une pure joie et, par suite, pourvu qu’il soit sans excès, il est bon par lui-même (Prop. 41). Seule assurément une farouche et triste superstition interdit de prendre des plaisirs. En quoi, en effet, convient-il mieux d’apaiser la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Telle est ma règle, telle ma conviction. Aucune divinité, nul autre qu’un envieux, ne prend plaisir à mon impuissance et à ma peine, nul autre ne tient pour vertu nos larmes, nos sanglots, notre crainte et autres marques d’impuissance intérieure ; au contraire, plus grande est la Joie dont nous sommes affectés, plus grande la perfection à laquelle nous passons, plus il est nécessaire que nous participions de la nature divine. Il est donc d’un homme sage d’user des choses et d’y prendre plaisir autant qu’on le peut (sans aller jusqu’au dégoût, ce qui n’est plus prendre plaisir). Il est d’un homme sage, dis-je, de faire servir à sa réfection et à la réparation de ses forces des aliments et des boissons agréables pris en quantité modérée, comme aussi les parfums, l’agrément des plantes verdoyantes la parure, la musique, les jeux exerçant le Corps, les spectacles et d’autres choses de même sorte dont chacun peut user sans aucun dommage pour autrui. Le Corps humain en effet est composé d’un très grand nombre de parties de nature différente qui ont continuellement besoin d’une alimentation nouvelle et valiée, pour que le Corps entier soit également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature et que l’Âme soit également apte à comprendre à la fois plusieurs choses. Cette façon d’ordonner la vie s’accorde ainsi très bien et avec nos principes et avec la pratique en usage ; nulle règle de vie donc n’est meilleure et plus recommandable à tous égards, et il n’est pas nécessaire ici de traiter ce point plus clairement ni plus amplement. (…) Appendice – Chapitre IV Il est donc utile avant tout dans la vie de perfectionner l’Entendement ou la Raison autant que nous pouvons ; et en cela seul consiste la félicité suprême ou béatitude de l’homme ; car la béatitude de l’homme n’est lien d’autre que le contentement intérieur lui-même, lequel naît de la connaissance intuitive de Dieu ; et perfectionner l’Entendement n’est rien d’autre aussi que connaître Dieu et les attributs de Dieu et les actions qui suivent de la nécessité de sa nature. C’est pourquoi la fin ultime d’un homme qui est dirigé par la Raison, c’est-à-dire le Désir suprême par lequel il s’applique à gouverner tous les autres, est celui qui le porte à se concevoir adéquatement et à concevoir adéquatement toutes les choses pouvant être pour lui objets de connaissance claire. Cinquième partie De la puissance de l’entendement ou de la liberté de l’homme PROPOSITION XXXII À tout ce que nous connaissons par le troisième genre de connaissance nous prenons plaisir, et cela avec l’accompagnement comme cause de l’idée de Dieu. Démonstration De ce genre de connaissance naît le contentement de l’Âme le plus élevé qu’il puisse y avoir, c’est-à-dire la Joie la plus haute (Déf. 25 des Aff.), et cela avec l’accompagnement comme cause de l’idée de soi-même (Prop. 27) et conséquemment aussi de l’idée de Dieu (Prop. 30). C.Q.F.D. Corollaire Du troisième genre de connaissance naît nécessairement un Amour intellectuel de Dieu. Car de ce troisième genre de connaissance (Prop. préc.) naît une Joie qu’accompagne comme cause l’idée de Dieu, c’est-à-dire (Déf. 6 des Aff.) l’Amour de Dieu, non en tant que nous l’imaginons comme présent (Prop. 29), mais en tant que nous concevons que Dieu est éternel, et c’est là ce que j’appelle Amour intellectuel de Dieu. PROPOSITION XXXIII L’Amour intellectuel de Dieu, qui naît du troisième genre de connaissance, est éternel. Démonstration Le troisième genre de connaissance (Prop. 31 et Axiome 3, p. 1) est éternel ; par suite (même Axiome, p. 1), l’Amour qui en naît, est lui-même aussi éternel. C.Q.F.D. Scolie Bien que cet Amour de Dieu n’ai pas eu de commencement (Prop. préc.), il a cependant toutes les perfections de l’Amour, comme s’il avait pris naissance, ainsi que nous le supposions fictivement dans le Corollaire de la Prop. préc. Et cela ne fait aucune différence, sinon que l’Âme possède éternellement ces perfections que nous supposions qui s’ajoutaient à elle, et cela avec l’accompagnement de l’idée de Dieu comme cause éternelle. Que si la Joie consiste dans un passage à une perfection plus grande, la Béatitude certes doit consister en ce que l’âme est douée de la perfection elle-même. (…) PROPOSITION XXXVI L’Amour intellectuel de l’Âme envers Dieu est l’amour même duquel Dieu s’aime lui-même, non en tant qu’il est infini, mais en tant qu’il peut s’expliquer par l’essence de l’Âme humaine considérée comme ayant une sorte d’éternité ; c’est-à-dire l’Amour intellectuel de l’Âme envers Dieu est une partie de l’Amour infini auquel Dieu s’aime lui-même. Démonstration Cet Amour de l’Âme doit se rapporter à des actions de l’Âme (Coroll. de la Prop. 32 et Prop. 3, p. III) ; il est donc une action par laquelle l’Âme se considère elle-même avec l’accompagnement comme cause de l’idée de Dieu (Prop. 32 et son Coroll.), c’est-à-dire (Coroll. de la Prop. 25, p. I, et Coroll. de la Prop. 11, p. 11) une action par laquelle Dieu, en tant qu’il peut s’expliquer par l’Âme humaine, se considère lui-même avec l’accompagnement de l’idée de lui-même ; et ainsi (Prop. préc.) cet Amour de l’Âme est une partie de l’Amour infini dont Dieu s’aime lui-même. C.Q.F.D. Corollaire Il suit de là que Dieu, en tant qu’il s’aime lui-même, aime les hommes, et conséquemment que l’Amour de Dieu envers les hommes et l’Amour intellectuel de l’Âme envers Dieu sont une seule et même chose. Scolie Nous connaissons clairement par là en quoi notre salut, c’est-à-dire notre Béatitude ou notre Liberté consiste ; je veux dire dans un Amour constant et éternel envers Dieu, ou dans l’Amour de Dieu envers les hommes. Cet Amour, ou cette Béatitude, est appelé dans les livres sacrés Gloire, non sans raison. Que cet Amour en effet soit rapporté à Dieu ou à l’Âme, il peut justement être appelé Contentement intérieur, et ce Contentement ne se distingue pas de la Gloire (Déf. 25 et 30 des Aff.). En tant en effet qu’il se rapporte à Dieu, il est (Prop. 35) une Joie, s’il est permis d’employer encore ce mot, qu’accompagne l’idée de soi-même, et aussi en tant qu’il se rapporte à l’Âme (Prop. 27). De plus, puisque l’essence de notre Âme consiste dans la connaissance seule, dont Dieu est le principe et le fondement (Prop. 15, p. I, et Scolie de la Prop. 47, p. II), nous percevons clairement par là comment et en quelle condition notre Âme suit de la nature divine quant à l’essence et quant à l’existence, et dépend continûment de Dieu. J’ai cru qu’il valait la peine de le noter ici pour montrer par cet exemple combien vaut la connaissance des choses singulières que j’ai appelée intuitive ou connaissance du troisième genre (Scolie 2 de la Prop. 40, p. II), et combien elle l’emporte sur la connaissance par les notions communes que j’ai dit être celle du deuxième genre. Bien que j’aie montré en général dans la première Partie que toutes choses (et en conséquence l’Âme humaine) dépendent de Dieu quant à l’essence et quant à l’existence, par cette démonstration, bien qu’elle soit légitime et soustraite au risque du doute, notre Âme cependant n’est pas affectée de la même manière que si nous tirons cette conclusion de l’essence même d’une chose quelconque singulière, que nous disons dépendre de Dieu. (…) PROPOSITION XLII La Béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même ; et cet épanouissement n’est pas obtenu par la réduction de nos appétits sensuels, mais c’est au contraire cet épanouissement qui rend possible la réduction de nos appétits sensuels. Démonstration La Béatitude consiste dans l’amour envers Dieu (Prop. 36 avec son Scolie), et cet Amour naît lui-même du troisième genre de connaissance (Coroll. de la Prop. 32); ainsi cet Amour doit être rapporté à l’Âme en tant qu’elle est active, et par suite (Déf. 8, p. IV) il est la vertu même. En outre, plus l’Âme s’épanouit en cet Amour divin ou cette Béatitude, plus elle est connaissante (Prop. 32), c’est-à-dire (Coroll. Prop. 3) plus grand est son pouvoir sur les affects et moins elle pâtit des affects qui sont mauvais (Prop. 38) ; par suite donc de ce que l’Âme s’épanouit en Amour divin ou Béatitude, elle a le pouvoir de réduire les appétits sensuels. Et, puisque la puissance de l’homme pour réduire les affects consiste dans l’entendement seul, nul n’obtient cet épanouissement de la Béatitude par la réduction de ses appétits sensuels, mais au contraire le pouvoir de les réduire naît de la Béatitude elle-même. Scolie J’ai achevé ici ce que je voulais établir concernant la puissance de l’Âme sur ses affects et la liberté de l’Âme. Il apparaît par là combien vaut le Sage et combien il l’emporte en pouvoir sur l’ignorant conduit par le seul appétit sensuel. L’ignorant, outre qu’il est de beaucoup de manières ballotté par les causes extérieures et ne possède jamais le vrai contentement intérieur, est dans une inconscience presque complète de lui-même, de Dieu et des choses et, sitôt qu’il cesse de pâtir, il cesse aussi d’être. Le Sage au contraire, considéré en cette qualité, ne connaît guère le trouble intérieur, mais ayant, par une certaine nécessité éternelle conscience de lui-même, de Dieu et des choses, ne cesse jamais d’être et possède le vrai contentement. Si la voie que j’ai montrée qui y conduit, paraît être extrêmement ardue, encore y peut-on entrer. Et cela certes doit être ardu qui est trouvé si rarement. Comment serait-il possible, si le salut était sous la main et si l’on y pouvait parvenir sans grand-peine, qu’il fût négligé par presque tous ? Mais tout ce qui est beau est difficile autant que rare. statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : Philosophie Magazine n°63 | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © onenewspage.com ; © DreamWorks Animation ; © azmovies.net. Lire pour mieux comprendre… [...] Lire la suite…
BELOOUSSOVITCH, Léa (née en 1989)BELOOUSSOVITCH, Léa (née en 1989)
[CARREFOURDESARTS.BE, 2022] Léa Belooussovitch (Paris, 1989) s’intéresse au pouvoir des images, qu’elle puise dans le vaste univers de la presse et qui lui dictent ses sujets d’inspiration. Au départ d’images et de documents d’archive qui composent l’histoire collective et sauvegardent la mémoire d’évènements souvent tragiques, elle réalise des dessins aux crayons de couleurs sur un support inhabituel, le feutre de laine. Les caractéristiques de ce matériau influencent inéluctablement le rendu des scènes de guerre, de deuils, de fusillades, d’attentats ou de processions dont elle ne retient que les teintes et la symbolique lourde de sens. Les titres de ses œuvres demeurent tels des reliquats de ces sujets dont le spectateur ne reconnaîtra que formes et couleurs. À chaque dessin son agencement de tons inspirés du réel mais revisité pour basculer dans l’abstraction. Léa joue du contraste entre ces scènes de souffrance et le caractère séduisant et envoûtant de ses dessins. Une opposition également présente entre la violence des sujets et la douceur du médium textile, traditionnellement associé à la sphère domestique et féminine. C’est particulièrement vrai lorsque la plasticienne utilise des supports comme le velours, la soie ou le satin, dont la brillance et la finesse ne dissimulent pourtant pas les scènes percutantes représentées. La série Facepalm montre des femmes accusées de crimes ou de complicité lors de la prohibition dans les années 1930 à Chicago, dont le geste connu sous le nom de Face (visage) Palm (paume de la main) incarne leur humiliation face aux journalistes à la sortie de leurs procès. Ici encore, Léa gomme le contexte historique et la temporalité des événements par un recadrage en close-up et des retouches. Car l’artiste aime laisser au spectateur un espace pour convier son imaginaire et redonner à ces images leur humanité. Elle porte néanmoins un regard critique sur le voyeurisme des médias et des réseaux sociaux, qui amplifient la position de vulnérabilité des victimes. Elle questionne dans le même temps notre rapport de répulsion/attraction à ces images et vis-à-vis de la violence. Si c’est généralement le vécu d’autrui qui intéresse Léa, au Carrefour des Arts elle avait au contraire réinterprété des images d’archives familiales révélant, comme à son habitude, sa vision personnelle du monde. [MAMC.SAINT-ETIENNE.FR,2020] Les dessins de Léa Belooussovitch répondent à un même protocole. Elle commence par sélectionner dans la presse ou sur Internet des images qui nous assaillent quotidiennement, liées à des faits d’actualités dramatiques : attentats au Pakistan, scènes de guerre en Syrie… L’artiste se concentre sur la représentation de victimes anonymes blessées ou vulnérables. Léa Belooussovitch soumet ces images-sources à diverses manipulations (recadrage, agrandissement) avant d’entamer leur transfert sur le support du feutre. Ce travail lent et répétitif d’accumulation des traits du crayon de couleur altère l’aspect lisse de la matière et lui confère un volume duveteux. Les formes qui émergent sont des halos colorés brouillant la reconnaissance de la scène. Dans ce passage du pixel au pigment, la netteté de l’image initiale se mue ainsi en un dessin flou qui semble contenir et atténuer sous sa surface la douleur de la représentation. Le titre de chaque œuvre ancre néanmoins le dessin dans le réel en situant la ville, le pays et la date de l’événement tragique. La bande blanche de feutre laissée vierge en haut du dessin suggère, quant à elle, le recadrage effectué à partir de la photographie d’origine. Par ce brouillage des repères et cette mise à distance de la violence, Léa Belooussovitch nous interpelle autant sur notre rapport à l’information que sur le voyeurisme, tout en activant notre imaginaire. Le caractère esthétique et sensible, voire sensuel, de ses dessins dissimule sous un voile pudique de douceur la présence/absence de l’humain confronté aux atrocités et aux soubresauts du monde contemporain. Cette démarche vise à démontrer combien, selon les mots de l’artiste, “la violence de l’information a pris le dessus sur l’humanité que l’événement contient”. [DANSLESYEUXDELSA.COM, 26 avril 2020] Léa Belooussovitch (…), une artiste dont le travail s’empare d’images médiatiques qui envahissent notre quotidien: celles de faits divers, d’images tragiques ou touchantes. Léa sélectionne des événements où l’humain est vulnérable, central et photographié sur le vif. Elle cherche à questionner notre rapport avec la violence, souvent banalisé par les médias. Son processus de création est fondé sur la recherche et la documentation d’images, qu’elle déconstruit ensuite par une multitude de techniques picturales associées à des supports textiles inattendus. Feutre, velours marbré, satin duchesse autant de matériaux qui accueillent et donnent corps à l’image tout en la modifiant chacune à leur manière. Le sujet cru et violent de ces images s’efface au profit de silhouettes humaines qui frôlent l’abstraction. Un véritable jeu du visible et de l’invisible se crée dans notre regard. Tout au long de la semaine, Léa Belooussovitch nous décrypte ce processus artistique à travers une sélection de ses œuvres ! Pourriez-vous nous faire une petite présentation de vous ? Je suis née à Paris en 1989. J’ai commencé des ateliers de dessin et peinture vers l’âge de 8 ans, et après mon bac, j’ai fait deux années de prépa artistique (Ecole Estienne et Atelier de Sèvres), à l’issues desquelles j’ai réussi le concours de l’école de La Cambre à Bruxelles. J’y ai étudié dans l’option Dessin pendant 5 ans, et suis sortie avec mon master en 2014. En sortant de l’école, j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour plusieurs résidences annuelles d’artiste à Bruxelles : La fondation Moonens, la Fondation Carrefour des Arts, la MAAC. Cela m’a permis de développer mon travail et mon réseau d’une manière très professionnelle. J’ai exposé dans plusieurs lieux d’art en Belgique et en France, et je suis représentée à Paris par la Galerie Paris-Beijing depuis 2017. Pourriez-vous nous parler de votre travail ? Je travaille sur la relation que nous entretenons avec les images, par le lien entre violence, humain et imagerie, à travers des questions ou faits sociétaux, des événements. Je travaille principalement avec le dessin, la photographie, la vidéo. Dans mes dessins au crayons de couleur sur feutre, les images utilisées comme source sont des photographies où l’humain est capturé contre son gré, vulnérable, en situation de souffrance. Scènes de guerres, d’attaques, de sauvetages, d’embrassades… autant d’images où l’émotion est mise en avant dans les médias, pour documenter certains événements. La recherche d’images et la documentation semblent être un travail conséquent avant l’élaboration de vos œuvres. Comment procédez-vous à ce travail ? Le processus est-il toujours le même ? Il y a cet attrait pour l’image qui serait allée “trop loin”. Trop loin dans le voyeurisme ou dans la cruauté… Mais aussi dans le rapport physique du photographe au photographié. Car les images que je choisis, dans l’actualité, respectent une certaine logique : il y a toujours une proximité avec le sujet. Ce sont des images de l’ordre du vulnérable, des images volées – les personnes sont photographiées sous la contrainte, elles n’ont pas choisi d’être photographiées. Ce sont des images de l’ordre de la douleur. Je choisis des images qui franchissent un seuil que je définis selon un certain nombre de critères et les transposer sur le feutre, c’est les transposer sur une matière sensible qui est organique, physique. Il s’agit de textile, donc quelque chose proche de nos corps. Et puis, dans le sens où ce sont des images de victimes, de personnes blessées, vulnérables, il y a cette idée de les transposer sur un support qui recevrait cette image de manière protectrice, qui envelopperait la nature de l’image. Enfin, il y a le processus de flou. Le flou est à la fois mental et en même temps il vient d’une technique : le crayon sur le feutre ne fait pas un trait précis et net comme sur du papier. Le dessin sur textile (feutre, velours) prend une part importante dans vos oeuvres. D’où vient cette envie de travailler ce support, ce textile et qu’apporte-t-il à votre travail ? Comment le travaillez-vous ? En effet je choisis souvent des matières textiles, en fibres non tissées principalement. Je récolte à l’atelier beaucoup de serpillières, des essuies, des tissus divers, des serviettes en coton, des échantillons de feutrine, des torchons, des lavettes très bas de gamme, que je trouve un peu partout. Il y a l’aspect “nettoyage” que je trouve intéressant, tout comme le fait que ce sont des textiles le plus souvent à usage unique, destinés à être salis puis jetés. J’aime en particulier les fibres non tissées car ce sont des fibres accumulées les unes avec les autres, qui s’agglomèrent, qui proviennent parfois d’un animal, parfois de restes d’autres tissus que l’on jette, et qui ont des propriétés d’absorption intéressantes. L’encre pénètre bien dedans, et quant au crayon de couleur sur le feutre, la réaction est immédiate et plastiquement fascinante. J’ai aussi travaillé avec du satin et du velours, qui sont choisis pour leurs aspect “noble”. À un niveau plus conceptuel, les tissus que j’utilise sont à envisager comme des récepteurs d’une image ou d’une donnée : ils les reçoivent et leur confère un caractère sensible, sensuel, que l’on a envie de toucher dans certains cas. Ils leurs donnent un “corps”. Il y a aussi cet aspect d’étouffement, d’enveloppement, dans les pièces qui parlent de victimes : les tissus leurs confèrent une sensibilité, un silence et une fragilité. Lorsque je choisis un papier, c’est le même fonctionnement, il doit avoir une raison de servir de support à telle ou telle idée, jusqu’au choix du format, du grammage, du grain, du blanc du papier. Donnez-nous 5 mots qui définissent votre travail. Suspend, feutre, couleur, humain, dessin. Quelles sont vos inspirations ? Je suis plutôt inspirée par des matières, des tissus, des papiers, les livres que je lis, des écrits ou essais sur le statut de l’image, les rapports à la violence, les sujets qui m’intéressent. Je suis inspirée par toutes les recherches que je fais dans les médias et l’actualité, les articles que je lis, ce que j’entends, ce qu’il se passe dans le monde. Je suis aussi bien sûr inspirée par des artistes et des expositions, parfois des films, des spectacles de danse. Qu’est-ce qui vous a poussé dans cette voie ? J’ai naturellement été vers des études artistiques, et je pense que ma formation à La Cambre a été très bonne. statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Léa Belooussevitch, Perp Walk (Hair) – detail (2019) © Gilles Ribero | Pour consulter le site de Léa Belooussovitch… Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles… [...] Lire la suite…
X, Meta, Amazon et Google : le moment de bascule pro-TrumpX, Meta, Amazon et Google : le moment de bascule pro-Trump
[THECONVERSATION.COM, 15 février 2025] La puissance des plates-formes américaines telles que X, Amazon, Google ou Meta, désormais capables d’imposer leurs diktats aux États, est inédite à l’échelle de l’histoire. Récit d’une conquête fulgurante fondée sur une prédation généralisée. La remise en cause des grands réseaux sociaux atteint aujourd’hui un niveau jamais rencontré, souligné par les appels massifs à quitter X. Elle fait suite à l’expression par leurs leaders, lors la prise de fonctions de Donald Trump, de positions politiques extrémistes. Mais la confusion règne et il est difficile de comprendre les logiques à l’œuvre dans une telle effervescence, où certaines postures se contredisent elles-mêmes (par exemple, interdire TikTok puis l’autoriser). Essayons d’y voir clair autour de mises en perspective. Un enjeu de corruption du pouvoir politique comme point de départ Les grandes firmes de la tech se sont bousculées pour financer la campagne de Trump puis sa cérémonie d’investiture, avec des montants tels qu’ils auraient été interdits en Europe. On peut s’en émouvoir, mais le fait est que ce faisant, elles ne font que profiter des modalités de financement politique (dites ‘SuperPAC’) introduites en 2010, qui autorisent des dépenses illimitées dans le cadre d’une élection. Il convient donc de se souvenir que les plates-formes du numérique avaient fait de même précédemment en faveur du camp démocrate, en espérant des retours qui ne sont pas venus. D’un point de vue structurel, c’est bien la corruption via les SuperPAC, comme l’avait indiqué dès 2010 le juriste Lawrence Lessig (Republic, Lost, 2011), qui détruit la démocratie américaine et non les positions politiques des leaders de la tech. Pourquoi l’alliance des démocrates et de la tech a-t-elle capoté ? Dans les années 2010, le libéralisme économique assumé, la liberté d’expression sans entraves à la mode américaine, appartenaient au camp démocrate. Trump I était vent debout contre les plates-formes, assimilées à des entreprises de fake news comme les médias en général. Les soutiens financiers de Trump I venaient plutôt des industries traditionnelles, pétrolière ou automobile notamment, et des opérateurs de télécoms mobilisés contre les plates-formes. Mais en 2018, le scandale Cambridge Analytica révèle la négligence voire la complicité de Facebook, permettant d’influencer certains comptes dans des États clés lors des élections de 2016. C’est alors qu’après avoir prôné un laisser-faire absolu, dirigeants républicains comme démocrates basculent vers une politique de fermeté. En 2019, 48 procureurs et la Federal Trade Commission se coordonnent pour engager une procédure de démantèlement des grandes plates-formes agrégeant quantité de services, telles que Google et Facebook/Méta. Ces procédures, rejetées une première fois en 2022, sont encore en cours. Les élections de 2020 cristallisent cette méfiance dès lors que Trump en conteste les résultats et soutient l’insurrection du Capitole, le 6 janvier 2021. Dans la foulée, les grandes plates-formes suspendent les comptes de Trump et d’organisations des assaillants. Trump crée Truth Social, les Proud Boys se réfugient sur Parler, etc. Pour autant, les plates-formes, malgré leur prise de conscience de leur responsabilité, restent critiquées par les démocrates. Ils se rendent compte, un peu tard, que les formats de viralité qui guident les plates-formes, favorisent des expressions simplistes, réactives, clivantes, falsifiées, tout ce qui constitue un discours élémentaire d’extrême droite contre toutes les explications complexes des processus. Jen Schradie, sociologue du numérique au Centre de recherche sur les inégalités sociales (Sciences po), a montré à quel point, dès les années 2010, ce sont ces courants qui ont profité des plates-formes et, particulièrement, depuis la pandémie de Covid qui a entraîné un recul très net de l’esprit critique de type scientifique. Au même moment, les effets du Règlement général sur la protection des données (RGPD) commencent à se faire sentir en Europe. Il est même répliqué par l’État de Californie. À cela s’ajoute, le renforcement de la méfiance générale quant à la politique éditoriale trop tolérante vis-à-vis de Trump, de Steve Bannon et consorts, qui se conjugue à la suspicion de l’utilisation des données personnelles et aux effets délétères des réseaux sur certaines personnalités, ainsi que l’a montré Frances Haugen, lanceuse d’alerte qui publie les Facebook papers en 2019. Bref, le vent tourne pour les plates-formes du point de vue réglementaire, et la mise en place de modération, bien que coûteuse, s’annonce impérative. La contre-offensive lancée par Musk et suivie par les autres plateformes Nouvelle crise lorsque Elon Musk entreprend de racheter Twitter en 2022 : exode massif de comptes, départ d’annonceurs, rien n’arrête Musk qui taille dans les effectifs en visant en priorité les équipes de modération. Cet achat devient un moment clé de la campagne que Musk veut entreprendre contre l’idéologie dite woke qui, selon lui, aurait envahi ce réseau. Il a bien l’intention de devenir le porte-drapeau d’une révolution libertarienne en se servant de la plate-forme pour pousser tous ses arguments anti-État, antirégulation, anticensure. Il s’allie – alors provisoirement – avec les équipes de Trump issues d’une autre tradition réactionnaire, protectionniste et autoritaire, unis seulement par le culte du profit, de la concurrence sans régulation et de l’affaiblissement de l’État. Cette alliance s’étend, à l’occasion de l’élection présidentielle de 2024, aux autres plates-formes qui ont compris qu’elles ont tout à gagner, premièrement, à interrompre le cycle de contrôle qui se mettait en place et à profiter de la dérégulation trumpiste ; deuxièmement, à bénéficier de son offensive extractiviste pour une énergie abondante, problème clé des data centers des plates-formes qui jettent aux orties leurs ‘engagements’ environnementaux. Au point d’en rajouter sur le plan idéologique, comme Mark Zuckerberg affichant une prétention masculiniste qui rappelle les origines de cette application qu’il avait créée pour classer les filles à Harvard. Ou Musk qui se lance dans une campagne aux relents nazis, aux États-Unis puis à l’étranger, en s’affirmant anti-immigrants, tout en défendant une émigration sélective dont les entreprises de la tech ont besoin (et plus spécialement d’Indiens formés, travaillant sans limites horaires et dans l’obéissance totale). Objectif numéro 1 des plates-formes : poursuivre leur entreprise de prédation générale Le modèle économique, culturel et légal des plates-formes depuis 2009 repose sur la prédation, et cela concerne aussi bien YouTube que Meta ou Twitter/X. Prédation des données personnelles pour la publicité programmatique, contre le RGPD européen. Prédation des contenus produits par les médias professionnels, normalement protégés par des droits d’auteur qui ont suscité des conflits très vifs entre Google et Facebook et les médias en Australie et au Canada. Depuis, les enjeux se sont aggravés avec l’utilisation de ces contenus pour entraîner leur IA sans avertir les ayants droit, y compris des scénaristes qui, en protestation, ont fait grève à Hollywood. Certains médias ont conclu des accords contraints et forcés, d’autres ont refusé, comme le New York Times. Prédation des entreprises : depuis les années 2010, les plates-formes ont racheté leurs concurrents ou les sociétés possédant des technologies de pointe, comme l’IA. Enfin, prédation des investissements et des talents. Cette toute puissance, devenue l’égale des États est inédite dans l’histoire, le seul modèle comparable étant celui des compagnies des Indes (néerlandaise, anglaise et française) à partir de 1600 (Boullier, Puissance des plateformes numériques, territoires et souverainetés, Sciences po, 2022, 2e édition). Cette puissance leur permet aujourd’hui d’attaquer de front les États hors des États-Unis, d’où les conflits ouverts avec l’Union européenne et avec le Brésil. Elle leur permet aussi de pénétrer en profondeur l’État américain en vue de devenir son fournisseur exclusif – comme pour Amazon –, de lui dicter ses politiques industrielles et spatiales, et d’acheter des électeurs ou des candidats, comme l’a fait Musk avec Trump qui a immédiatement fourni le retour sous forme de poste quasi ministériel. Des solutions existent, qui feront l’objet d’un nouvel article à retrouver sur The Conversation. Dominique Boullier, Sciences Po statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © media.com. Plus de presse en Wallonie… [...] Lire la suite…
Salade liégeoise végane (recette)Salade liégeoise végane (recette)
INGRÉDIENTS 300 g de dés de tofu MildChili 250 g de mélange de salade 250 g de haricots verts 20 g de tomates cerises l botte de jeunes oignons l citron l plant de persil plat 5 branches d’estragon frais 400 g de grenailles 1 c. à café de moutarde de Dijon 5 c. à soupe d’huile d’olive poivre noir sel PRÉPARATION – 35 min Lavez soigneusement les grenailles non pelées à l’eau froide. Faites-les cuire 18 à 20 min dans de l’eau bouillante légèrement salée.  Egouttez. Entre-temps, faites cuire les haricots verts 5 à 6 min à découvert dans de l’eau bouillante légèrement salée. Égouttez et rincez-les à l’eau froide. Ciselez l’estragon et le persil plat et incorporez-les au mélange de salade. Émincez les jeunes oignons et détaillez les tomates cerises en quartiers. Pressez le citron (vous avez besoin d’1 c. à soupe de jus pour 4 personnes). Mélangez la moutarde avec le jus de citron et ajoutez l c. à soupe d’huile d’olive par personne. Salez et poivrez. Faites chauffer le reste de l’huile d’olive dans une poêle et faites dorer les dés de tofu 2 à 3 min jusqu’à ce qu’ils soient croquants. Mélangez les grenailles, les tomates cerises, les haricots verts et les jeunes oignons avec la salade. Incorporez-y le dressing. Répartissez la salade sur 4 assiettes et parsemez de tofu. statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : colruyt.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © francevegetalienne.fr. Manger encore (et encore) en Wallonie… [...] Lire la suite…
TOUSSAINT : L’affaire Rushdie, dernière carte de Khomeiny ? (Journal des procès n°147, 24 mars 1989)TOUSSAINT : L’affaire Rushdie, dernière carte de Khomeiny ? (Journal des procès n°147, 24 mars 1989)
Edito… Force est de déplorer – par les temps qui courent, où court également l’obscurantisme, jusque dans les couloirs de nos pouvoirs – que le journalisme n’exerce pas pleinement ce dernier, fut-ce en quatrième position. Car “Premier ou quatrième pouvoir, ou encore contre-pouvoir, le journalisme est mis en question en ce début de XXIe siècle. La multiplication des réseaux d’information et de communication, la mainmise de puissances économiques sur les médias, le contournement ou la stigmatisation des journalistes par des politiques, la défiance des publics envers les paroles d’experts, tout se conjugue pour considérer que le journalisme tel qu’on le connaît depuis le XIXe siècle est en passe de disparaître. Qu’en est-il ?” [Eveno, 2018] Partant, n’est-ce-pas le juste moment pour arrêter les larmoiements sidérés : indignez-vous et entrez en résistance, préconisait Stéphane Hessel ! Pour nous, il ne faut pas lire cet appel à la dignité comme un raidissement suranné, une élégance de fin de civilisation : en temps de guerre comme en temps de disette morale, un résistant, c’est un homme ou une femme qui marche debout et qui ne considère pas l’adversité régnante (qu’il s’agisse de l’occupation nazie, du marketing politique américain ou de la droitisation de l’Europe et… de la Belgique) comme une fatalité, globale et pérenne. A moins de croire en un Dieu incompétent ou pervers, on voit qu’il n’est de fatalité que par le fait d’hommes et de femmes, qui se lèvent le matin, se grattent la tête avant leur café, qui se couchent le soir avec leur mal de dos et qui, entre les deux, ont posé des actes avec plus ou moins d’aveuglement. Globale, la situation ne peut être, puisque déjà elle ne passe pas par vous et moi. Soljenitsyne martelait : “Non, le mensonge ne passera pas par moi. De tous les nœuds, c’est le plus simple à défaire. De tous les gestes, le plus dévastateur. C’est le battement d’ailes du papillon gros de toutes les tempêtes à venir. La clef de notre libération est là : le refus de participer personnellement au mensonge ! Qu’importe si le mensonge recouvre tout, s’il devient maître de tout, mais soyons intraitables au moins sur ce point : qu’il ne le devienne pas par moi !” Il appelait ainsi à rompre “le cercle imaginaire de notre inaction.” La pensée totalitaire, dans ses plus belles érections mentales, présuppose la pérennité. Hélas pour les fantoches aux cheveux oranges (qui n’aiment pas les filles aux cheveux bleus), hélas pour les prédicateurs en robe longue, hélas pour les chefs de guerre qui ne vivent bien qu’en temps de guerre, jamais une situation forcée, contre-nature, ne s’est imposée durablement dans notre histoire. A travers les temps les plus troublés – par la peste brune ou la peste tout court – jamais une crispation fasciste, jamais une tentative de figer au quotidien les mouvements des hommes et des femmes, jamais une volonté de faire durer un polaroïd pris le premier jour de la révolution n’a pu durer : le dictateur monte à la tribune “pour mille ans” et finit quelques années plus tard, en chaise roulante, à faire le guignol sur le tarmac d’un aéroport. Ciao Augusto. Voilà peut-être un parcours de rédemption ouvert à ceux de nos journalistes qui souffrent intimement d’avoir trop pratiqué le copier-coller avec les dépêches de Belga, de l’AFP ou, la chose est courante, les articles de leurs confrères. Ce n’est pas nouveau mais c’est plus visible aujourd’hui : il est grand temps que les hommes et les femmes reprennent leurs esprits et entrent en résistance contre la marée sombre. Cela demande une liberté absolue de conscience mais également un accès ouvert à cette conscience, un peu plus libre des aveuglements actuels, sans “écailles sur les yeux” dirait Proust. N’est-il pas de plus belle motivation pour un quatrième pouvoir en quête d’un renouveau ? Lors, l’élégance ironique et le sérieux pimenté du chroniqueur judiciaire Philippe Toussaint fait date, lui qui a porté à bout de bras – et pendant des années – un périodique de qualité comme le Journal des Procès (dont nous dématérialisons les archives dans notre DOCUMENTA). Sa plume est belle et… vigilante ! Patrick Thonart [Journal des Procès n°147, 24 mars 1989] Le moins qu’on puisse dire est que l’ordre d’assassinat de Salman Rushdie fulminé par Khomeiny a pris le monde occidental de court. Très vite, on a pu lire sous des plumes dites autorisées (expression irritante s’il en est !) des avis ou même des opinions plus structurées selon quoi il faudrait tenir compte de la légitime susceptibilité d’un milliard de musulmans – légitime parce qu’ils sont un milliard ? respectable s’ils étaient deux milliards ? et sacrée s’ils étaient trois milliards ? Il faudrait comprendre, entendons et lisons-nous que Salman Rushdie n’aurait pas dû… N’aurait pas dû quoi ? Ecrire les Versets sataniques, ou même songer, songer seulement à écrire ce livre ? Ou qu’on aurait pas dû le publier, donc qu’il fallait censurer ? La provocation n’a, et nous l’espérons bien, ne sera jamais notre fort au Journal des procès, même si tolérance ne rime point pour nous avec indifférence. Le pis est, en quelque manière que ce soit, de ne jamais prétendre s’engager, tout au moins de ne pas le tenter, fût-ce avec les gémissements dont parle Pascal. S’il est vrai que les choses sont souvent, ou même le plus souvent en gris, il arrive aussi que ce soit noir ou blanc. Le crime des crimes paraît pourtant être aujourd’hui, pour l’intelligentsia, de ne pas entrer immédiatement en discussion, de ne pas, comme un déclic, faire intervenir l’argumentation dont les ressources sont délicieuses et infinies. Cette tendance, devenue incoercible, obnubile peutêtre, dans l’affaire Rushdie, quelques éléments remarquables. Khomeiny est ou se prétend un mystique, c’est-à-dire un de ces imams qui seraient en communication directe avec Dieu et indiquent donc d’une voix sûre le sens de vérités révélées contenues dans le Coran. La discussion est certes difficile entre un athée ou un agnostique et un mystique. Elle engendre presque nécessairement l’ahurissement chez l’un et une colère sacrée chez l’autre, ce qui n’est point propice à la compréhension mutuelle. Toutefois, lorsque Khomeiny condamne Salam Rushdie à mort pour avoir écrit les Versets sataniques, mais fait accompagner cette condamnation d’une prime, allégoriquement en dollars, on se prend à lui retirer la moindre estime. Voilà que le Dieu d’Abraham aurait brusquement besoin, pour conforter l’alliance, de payer les fidèles ! A moins, comme le supputait récemment à la R.T.B. un des invités de Jacques Baudouin, que cela ne démontre qu’en réalité les fulminations de Khomeiny ne suscitent pas, dans le monde musulman, et même en Iran, un enthousiasme suffisant pour se passer de récompenses terrestres ? La quasi certitude, un peu honteuse, où nous sommes que Salman Rushdie sera, non point exécuté mais abattu – les mots ont leur sens – prend dès lors autre figure puisqu’il existe, en Iran comme dans le reste du monde, des personnes capables de tuer n’importe qui pour de l’argent. Ce ne seraient plus d’ardents shiîtes qui abattraient pieusement Salman Rushdie mais d’ordinaires tueurs à gages. Cette réflexion, si simple et, nous semble-t-il, si convaincante – sauf à croire qu’on peut être à la fois un soldat de Dieu et Son stipendié -, n’élude pas une des dimensions de la mort programmée de Rushdie, à savoir la provocation dont il aurait fait preuve avec les Versets sataniques, et plus précisément un souci de commercialisation. En choisissant un sujet dont il savait, par avance, qu’il susciterait une réaction indignée, il aurait tablé sur une publicité de mauvais aloi. C’est un domaine où on ne s’aventurera que prudemment. Plusieurs films, comme par exemple La dernière tentation du Christ, ont ainsi heurté (il serait dérisoire de dire : ‘à tort ou à raison’) des sensibilités chrétiennes, notamment catholiques, ce qui amène à faire réflexion sur la liberté dans la création, d’une part, qui est le propre de l’artiste et, d’autre part, l’obligation où est celui-ci de suivre son inspiration, chose très différente assurément de son compte en banque ou même de sa notoriété. A cet égard, Salman Rushdie n’est pas n’importe qui. Ceux qui s’intéressent à la littérature savent que c’est un grand écrivain dont, avant l’affaire, on citait le nom pour le prix Nobel. C’est un de ces auteurs dont on peut se persuader a priori qu’il ne choisissent  ni le sujet ni le développement de leurs livres mais que ceux-ci s’imposent à eux. Cette liberté dans la création (l’expression est de Virginia Woolf) est en réalité l’alternative aux vérités révélées et l’on conçoit dès lors aisément que Khomeiny fasse de Salman Rushdie l’ennemi numéro 1, exactement comme dans Le nom de la Rose, le seul ennemi réel est un livre consacré au rire. L’affaire Rushdie n’est-elle pas à cet égard, si l’on parvenait à se désintéresser de la vie de Salman Rushdie, une excellente chose ? Elle constitue en effet une fuite en avant de l’intégrisme shiîte incarné par Khomeiny et va contraindre l’Islam tout entier à choisir entre cet ayatollah et des conceptions, non pas plus rationnelles, mais plus inquiètes et plus soumises à la pensée de bien d’autres gloires de la philosophie iranienne islamique, d’Averroës à Ali Gilâni ou Jamshîd Nûri en passant par Sadrâ Shirâzi et tant d’autres que Khomeiny voudrait oblitérer. Qu’il ait ou non reçu un coup de téléphone de Dieu, Khomeiny essaie, oserait-on dire banalement ? de prendre le leadership de l’Islam dont le réveil, depuis si longtemps annoncé et qui, bien que compromis par les richesses pétrolières entretenant en fait le sous-développment, paraît s’annoncer ailleurs qu’en Iran. Le quitte ou double lancé avec la mort programmée et stipendée de Salman Rushdie, aura peut-être son cadavre mais ce serait aussi celui d’un Islam humilié et donc désespéré. Philippe Toussaint [d’après MARIANNE.NET, 4 février 2025] Liberté d’expression. “C’est donc toi” : le procès de l’auteur de l’attentat contre Salman Rushdie s’ouvre, près de trois ans après les faits. Le procès de l’homme accusé d’avoir failli tuer Salman Rushdie dans une attaque au couteau s’ouvre mardi au nord de New York, aux États-Unis. L’écrivain est visé depuis 1989 par une fatwa de l’Iran réclamant sa mort pour son roman, Les Versets sataniques. Le procès doit démarrer par la sélection du jury devant un tribunal du comté de Chautauqua. Cette localité bucolique de l’État de New York, au bord du lac Erié, à la frontière avec le Canada, avait été secouée à l’été 2022 par cette agression qui avait coûté un œil à l’auteur américano-britannique, né en Inde. Cette agression avait choqué le monde entier, de la communauté littéraire aux capitales occidentales qui avaient apporté leur soutien à Salman Rushdie, symbole mondial de liberté d’expression. Le jeune homme a plaidé non coupable devant la justice de l’État de New York. Il est aussi poursuivi devant la justice fédérale pour “acte de terrorisme au nom du Hezbollah“, le mouvement libanais chiite soutenu par l’Iran. Téhéran avait nié toute implication dans l’attaque. “Surpris” qu’il ne soit pas mort “C’est donc toi“, avait confié avoir pensé l’auteur à la vue de l’assaillant. Apparu en public avec un cache-œil après son rétablissement, Salman Rushdie, 77 ans, a livré son récit de l’attaque dans son livre Le Couteau (Gallimard) paru en 2024… La rédaction de marianne.net En savoir plus… RUSHDIE : Les Versets sataniques (L’IDIOT INTERNATIONAL, livre-journal, 1989) THONART : Auprès de quelle cour Salman Rushdie pouvait-il déposer les conclusions suivantes, pour que justice soit faite ? (1994) L’Idiot international RUSHDIE : Joseph Anton, une autobiographie (PLON, Feux croisés, 2012) statut : validé | mode d’édition : rédaction, partage, édition et iconographie | sources : auteur ; Journal des Procès ; marianne.net | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Die Presse ; © blick.ch. Plus d’expression libre en Wallonie… [...] Lire la suite…
Le développement de l’énergie solaire a-t-il été torpillé en 1882 ?Le développement de l’énergie solaire a-t-il été torpillé en 1882 ?
[THECONVERSATION.COM, 30 janvier 2025] À la fin du XIXe siècle, le Français Augustin Mouchot (1825-1912) inventait un ingénieux concentrateur solaire. Mais la bureaucratie technique de l’époque, chargée de l’évaluer, en a livré une appréciation biaisée en la comparant au charbon qui alimentait les machines à vapeur – condamnant, au passage, l’appareil et ses multiples applications. En matière d’énergie solaire, plusieurs moyens ont permis, au XXe siècle, de stopper l’innovation et de garantir le monopole des énergies fossiles et de leurs savoirs. Par exemple : la menace pure et simple, le rachat de brevets, la montée au capital ou encore la fermeture d’activité. L’expertise tendancieuse – sinon mensongère – a pu constituer un autre levier, ainsi que le montre le cas de l’évaluation officielle des appareils solaires d’Augustin Mouchot et de son associé Abel Pifre, à la fin du XIXe siècle. Absent des manuels scolaires et délaissé des commémorations nationales pour le bicentenaire de sa naissance en 2025, le professeur de mathématiques appliquées et de physique Augustin Mouchot (1825-1912) est le pionnier français méconnu de l’énergie solaire moderne. Il a défendu et démontré les atouts de l’énergie solaire thermique et thermodynamique, particulièrement pour les pays de la zone intertropicale. Et cela, dès son ouvrage de synthèse et de prospective en 1869, puis avec un premier moteur à vapeur solaire de retentissement international, présenté à l’Exposition universelle de 1878 à Paris. Mais ce dernier a également rencontré après une mission de trois ans en Algérie et des financements publics importants, les incompréhensions auxquelles les énergies énergies renouvelables ont été confrontées depuis cette période. Ce qui n’a pas été sans lui valoir des adversaires… Une commission d’étude transsaharienne de la chaleur solaire La Commission des appareils solaires est créée le 19 février 1880 dans le cadre des travaux préparatoires du chemin de fer transsaharien. Elle doit tester les concentrateurs solaires à vapeur développés depuis près de 15 années par Augustin Mouchot – et depuis 1878 par Abel Pifre – dans la perspective du pompage de l’eau indispensable à la recharge des locomotives et au développement de gares-dépôts de combustible. L’assassinant du colonel Flatters et de son escorte lors de la seconde reconnaissance du tracé, le 16 février 1881, un an et deux mois avant la remise du rapport de la commission, mettra fin au projet. La commission rassemble alors deux ingénieurs, un colonel et deux professeurs aux facultés de médecine et des sciences de Montpellier. L’appareil solaire testé, doté d’un réflecteur de trois mètres de diamètre, est construit par la société d’Abel Pifre, officiellement constituée en janvier 1881 et première entreprise au monde à commercialiser des cuiseurs, distillateurs et moteurs solaires. Les essais ont lieu en 1881 au fort de Montpellier sous la supervision du professeur de physique André Crova (1833-1907), qui rédigera le rapport final. Docteur en physique électrochimique, avec 74 publications touchant à l’optique, à l’électricité, aux ‘radiations calorifiques’ – dont celles du Soleil –, c’est un pionnier du calcul de la ‘constante solaire’, quantité d’énergie solaire reçue par la Terre hors atmosphère sur une surface d’un mètre carré exposée perpendiculairement au soleil. Les étranges calculs du ‘rendement industriel’ La note manuscrite d’André Crova, discutée durant la séance du 3 avril 1882 de l’Académie des sciences, est la version courte du rapport qu’il publie dans les mois suivants, qui comporte quarante-cinq pages et une illustration. Son diagnostic déborde du projet transsaharien et met en regard l’énergie solaire avec la grande énergie fossile, alors concurrente, que représente le charbon. On s’est préoccupé dans ces dernières années de tentatives faites en vue d’utiliser pratiquement l’énergie des radiations solaires. Ces radiations sont en effet la cause presque unique de tous les phénomènes atmosphériques, de tout travail moteur, et de la vie sous toutes ses formes, à la surface de notre globe. Mais ces forces motrices, irrégulières et sujettes même à faire défaut à un moment donné, sont maintenant partout remplacées par celle de la vapeur, qui, toute coûteuse qu’elle est, a du moins pour elle la constance et la régularité, qui sont une des premières conditions que l’industrie demande à un moteur. André Crova inaugure ainsi le discours des experts dont l’influence va se renforcer au fil de l’ère thermo-industrielle. Spécialiste d’un domaine étroit – la mesure des radiations solaires –, il est mandaté pour l’évaluation d’une technologie de conversion énergétique – les récepteurs solaires thermodynamiques Mouchot-Pifre –, dans le cadre d’une ligne de transport à l’intérieur du Sahara. Au final, il délivre un avis non pas sur le fond, mais sur sur les formes d’énergie qui devraient être privilégiées dans le cadre de la modernité. Ce glissement fait de son rapport la première grande condamnation officielle de l’utilisation du rayonnement solaire pour produire de l’énergie. Car la commission ne s’arrête pas sur les applications pratiques de la machine à vapeur solaire. Citons par exemple : 189 jours de fonctionnement sur l’année en 1881 à la latitude de Montpellier et 14 litres d’eau distillée (c’est-à-dire, vaporisée) par jour de fonctionnement en moyenne ; la possibilité d’y ajouter une pompe ou un moteur rotatif ; celle de procéder à la distillation d’alcools, de plantes ou à la pasteurisation de l’eau ou des aliments ; celle de procéder à la cuisson de la nourriture humaine ou pour les animaux ; celle de procéder à la calcination et au chauffage de matériaux (chaux, graisses, briques, poteries, pâte à papier) ; la possibilité d’en faire une pile thermoélectrique ; la possibilité de produire de la glace avec l’ammoniac et une machine des frères Carré, (comme Mouchot le fit en 1878) ; la possibilité éventuelle de procéder de faire tourner une machine à coudre ou d’imprimer des journaux avec. Mais non, le travail d’André Crova se limite à la mesure d’un ‘rendement industriel de l’appareil‘, à partir du ‘nombre de calories emmagasinées par la chaudière‘. Le principe est le suivant : La chaudière placée au centre du réflecteur solaire vaporise de l’eau à partir de laquelle, une fois la vapeur refroidie dans un serpentin, il est possible, ‘au moyen de la formule de Regnault’, de calculer ‘le nombre de calories utilisées par l’appareil’ ; Simultanément un ‘actinomètre’ évalue le rayonnement solaire d’heure en heure, corrigé par la température, l’hygrométrie de l’air et la hauteur du soleil (c’est-à-dire, la transparence et l’épaisseur atmosphériques), afin de calculer les ‘calories incidentes’ ; En divisant le premier chiffre par le second, on obtient un rapport, que l’on appelle ‘rendement économique de l’appareil’. En 1881 à Montpellier, il a été évalué à 0,491 calorie par mètre carré, avec un maximum à 0,854. En un mot, à l’évaluation de la puissance effective, de la fonctionnalité et de la praticité des appareils solaires s’est substituée, au prix d’une somme d’approximations considérables, la simple évaluation d’un rendement théorique : celui du nombre de calories captées par rapport aux calories disponibles. Le tour de passe-passe accompli autorise le physicien rapporteur André Crova à conclure sur des hypothèses économiques, et non à se prononcer sur l’intérêt technoscientifique du principe et du fonctionnement du moteur solaire. La condamnation du solaire C’est donc sur un mode conditionnel que la condamnation de l’énergie solaire est exprimée en 1882. Il est intéressant de noter que les termes en sont restés presque inchangés jusqu’à nos jours, y compris pour les autres types de conversion d’énergie tels que le photovoltaïque – solaire vers électrique – ou l’éolien – mécanique vers électrique. Déjà en 1882, la régularité économique et la disponibilité des combustibles fossiles dans les pays développés sont les principaux arguments avancés par André Crova. En France et dans les climats tempérés, l’énergie de la radiation solaire est trop affaiblie au niveau du sol pour que l’on puisse espérer pouvoir emprunter dans des conditions économiques et régulières une partie de l’énergie solaire pour l’appliquer aux besoins de l’industrie. Telle est mon opinion personnelle, qui résulte des expériences que nous avons faites pendant la durée de l’année 1881. Remarquons d’ailleurs que, dans les conditions dont nous parlons, le prix du travail moteur ou de la chaleur équivalente a une importance relativement faible, vu la facilité de transport du combustible. Mais dans les pays où le soleil envoie des radiations plus intenses, la conclusion serait-elle identique ? La réponse à cette question exige la connaissance de trop de points spéciaux pour que nous puissions la donner ici. Le professeur d’université André Crova, spécialiste de la mesure de la chaleur solaire, exécute avec les mots d’un expert industriel les appareils Mouchot-Pifre. Il admet pourtant des limites à son travail. En effet, lorsque le vent souffle avec force dans la direction de l’orifice de l’actinomètre les observations sont impossibles , tandis que la distillation (c’est-à-dire la production de vapeur, ndlr) se produit même dans les circonstances les plus défavorables, pourvu que le soleil brille. Autrement dit, l’appareil, plus efficient que son ‘mesureur’, fonctionne même les jours où l’on ne peut effectuer de mesures. Dans son mémoire à l’Académie des sciences, le physicien admet aussi qu’en l’absence d’isolation de la chaudière, la température extérieure influence davantage la distillation de l’eau que le soleil. Pire, puisque l’actinomètre ne laisse pas passer les mêmes longueurs d’onde que le manchon en verre de la chaudière. Comme l’écrit André Crova, par les plus fortes intensités, les radiations obscures (rayonnement infrarouge, ndlr), non transmissibles par le verre, sont arrêtées par le manchon, et le rendement diminue, quoique la quantité de chaleur utilisée augmente. Ainsi, du fait du choix d’un tel rendement comme valeur d’évaluation, les appareils solaires ‘fonctionneraient’ moins bien dans les périodes précises où justement ils chauffent le plus. On croit rêver. La notion de rendement pour une source primaire d’énergie gratuite et inépuisable révèle ici sa limite : nul besoin d’être physicien pour comprendre que plus le soleil brille, plus l’énergie solaire est abondante, quand bien même la qualité de la conversion/captation du rayonnement baisse avec l’augmentation de l’intensité de ce rayonnement. ‘De l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot’ Mais le coup de grâce tient dans l’image que retient la presse, c’est-à-dire la mise en équivalence du rendement maximum du mètre carré solaire selon les calculs précédents et de la quantité de charbon correspondant. Celui-ci représente : à peu près la chaleur produite par 240 grammes de charbon, en admettant que la moitié de la chaleur qu’il produit en brûlant soit utilisée à vaporiser l’eau. Une poignée de carbone polluant contre une heure de soleil sur un mètre carré de métal brillant ? Sans gaz à effet de serre, éternellement et gratuitement, mais avec des intermittences ? On peut se demander ce qu’il serait advenu du monde si André Crova n’avait pas déversé sans vergogne ‘de l’eau froide sur le soleil de M. Mouchot’, ainsi que relèvera immédiatement le journaliste scientifique de l’époque Louis Figuier. Malgré les démentis, deux ans plus tard l’entreprise d’Abel Pifre disparait, et avec elle les projets et brevets solaires d’Augustin Mouchot. Changer de regard sur l’énergie solaire ? L’histoire d’Augustin Mouchot n’est pas un cas isolé. L’économiste Sugandha Srivastav soulignait, au sujet d’un autre innovateur solaire – américain celui-ci – arrêté dans sa course au début du XXe siècle, que s’il est douloureux de réfléchir à ce grand “et si” alors que le climat s’effondre sous nos yeux, cela peut nous apporter quelque chose d’utile : savoir que tirer de l’énergie du soleil n’a rien d’une idée radicale, ni même nouvelle. C’est une idée aussi vieille que les entreprises de combustibles fossiles elles-mêmes. Aurions-nous aujourd’hui, 143 plus tard, la même sévérité sur le potentiel des ressources solaires et les mêmes certitudes à propos des énergies fossiles que la commission du ministère des travaux publics de Montpellier ? C’est la question qu’il nous faut poser, de façon urgente, à tous les André Crova de notre temps. Frédéric Caille, ENS (Lyon, FR) statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Rama ; © DP. Plus de presse en Wallonie… [...] Lire la suite…
AWAP : Découverte du patrimoine. Guide facile à lire et à comprendre (Journées du patrimoine 2024)AWAP : Découverte du patrimoine. Guide facile à lire et à comprendre (Journées du patrimoine 2024)
[AGENCEWALLONNEDUPATRIMOINE.BE] L’Agence wallonne du Patrimoine – Pour transmettre le patrimoine wallon aux générations futures. Le patrimoine de Wallonie est un héritage commun. Il concerne tout le monde. Depuis 1988, la gestion du patrimoine culturel immobilier est réalisée par le Service public de Wallonie. Au nom de la collectivité, les agents du SPW assurent la pérennité de ce patrimoine et veillent à son maintien dans un environnement bâti et naturel de qualité. En Wallonie, on dénombre près de 4 000 biens classés au titre de monument, de site, de site archéologique ou d’ensemble architectural. La gestion du patrimoine repose sur les principes de la conservation intégrée qui visent une politique globale de sauvegarde et de réhabilitation du patrimoine culturel prenant en compte la valeur et le rôle de ce patrimoine pour la société. Ce concept a influencé l’élaboration des politiques partout en Europe et a considérablement élargi la notion même de patrimoine. La formation aux différents métiers liés au patrimoine, ainsi que la promotion du patrimoine au plus large public possible font aussi partie des missions de l’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP). [En savoir plus sur le site de l’AWAP…] Journées du patrimoine [JOURNEESDUPATRIMOINE.BE] C’est en 1989 que la Wallonie et dix-neuf communes bruxelloises accueillent la première Journée du Patrimoine. L’année 1993 constitue un double tournant. Mises au pluriel, les Journées du Patrimoine en Wallonie occupent désormais tout un week-end et c’est l’année de l’instauration des thèmes. En 1994, la gratuité d’accessibilité aux monuments, aux ensembles architecturaux et aux sites inscrits au programme est demandée à tous les organisateurs. Le libre accès généralisé est un des éléments qui fait le succès des thèmes successifs déclinés par les Journées de 1994 à 2012, ceux-ci s’avérant par ailleurs très porteurs : Patrimoine industriel et social, Patrimoine rural, Patrimoine archéologique, Patrimoine militaire, Patrimoine médiéval, Patrimoine insolite… Des centaines de milliers de visiteurs ont ainsi participé à ces Journées depuis leur création. Un pic de fréquentation a été réalisé en 2003 grâce au choix d’un sujet très accrocheur, Châteaux et demeures privées. Le record du nombre d’activités a été, quant à lui, atteint en 2016, avec la thématique Patrimoine religieux et philosophique. Parmi les centaines de sites ouverts chaque année, on compte des lieux généralement inaccessibles au public qui décident d’ouvrir exceptionnellement leurs portes à cette occasion.  Chaque année, les Journées du Patrimoine proposent, le 2e week-end de septembre, de découvrir gratuitement le patrimoine wallon.   En 2024, l’AWAP a édité une brochure didactique à l’attention des plus jeunes, un Guide facile à lire et à comprendre (FALC) dont nous transcrivons des extraits ci-dessous, pour vous en donner un avant-goût. La version complète et illustrée est téléchargeable sur le site des Journées du patrimoine…     Découverte du Patrimoine. Guide facile à lire et à comprendre (FALC) Avant-propos Le patrimoine, ce sont les choses laissées par les personnes qui ont vécu avant nous : des bâtiments ; des beaux paysages ; des objets anciens ; des traditions, comme des fêtes. La brochure est divisée en 3 parties : qu’est-ce que le patrimoine ? qui s’en occupe ? comment on s’en occupe ? Tu trouveras aussi des informations sur les métiers du patrimoine. Le patrimoine, c’est quoi ? Le patrimoine est un héritage, transmis de génération en génération. Ce sont des choses que les personnes du passé nous ont laissées. Voici quelques exemples de patrimoine : des bâtiments anciens (châteaux, églises, maisons…) ; des sites archéologiques (ruines…) ; des objets d’art (peintures, sculptures, meubles…) ; des traditions (histoires, chansons, danses, fêtes…) ; des ressources naturelles (parcs, paysages particuliers, jardins botaniques…). Certains bâtiments, qui sont construits aujourd’hui, deviendront peut-être du patrimoine. Les personnes pourront encore y vivre ou les visiter après nous. Patrimoine est un mot masculin. Depuis peu, on utilise aussi un mot féminin :  Matrimoine. Le mot Matrimoine est utilisé pour parler des choses laissées par les femmes : les traditions, leurs métiers, leurs inventions, leurs peintures et leurs livres… Les 3 types de patrimoine patrimoine naturel >< patrimoine culturel patrimoine matériel >< patrimoine immatériel patrimoine immobilier >< patrimoine mobilier Le patrimoine naturel ou culturel, c’est quoi ? Le patrimoine naturel, ce sont : les jardins de châteaux, les milieux marins, les forêts anciennes… Le patrimoine culturel, ce sont : les bâtiments, les objets, les fêtes… Le patrimoine culturel matériel ou immatériel, c’est quoi ? Le patrimoine culturel matériel, c’est tout ce qu’on peut toucher : les objets, les bâtiments… Le patrimoine culturel immatériel, c’est tout ce qu’on ne peut pas toucher : les fêtes, les danses, les chansons… Le patrimoine culturel immobilier ou mobilier, c’est quoi ? Le patrimoine culturel immobilier, c’est tout ce qu’on ne peut pas bouger : les bâtiments, les immeubles… Le patrimoine culturel mobilier, c’est tout ce qu’on peut déplacer : les objets, les peintures, les statues… Le patrimoine culturel immobilier, c’est quoi ? Ce sont les monuments et les vestiges archéologiques. Les vestiges archéologiques, ce sont des ruines, des vieux objets trouvés dans la terre. Les monuments Un monument, c’est un bâtiment qui permet de se souvenir du passé. Des spécialistes étudient les bâtiments anciens. Ce sont des historiens, des archéologues. Ils examinent les bâtiments pour comprendre leur histoire, savoir comment les protéger. Il y a plusieurs sortes de monuments. Les monuments sont classés par : Fonction : à quoi sert le bâtiment ? Un bâtiment peut servir à plusieurs choses. Exemple : un château peut aussi devenir un restaurant. Style : c’est la mode de l’époque. Chaque style a un nom différent. Exemples : l’Art nouveau, l’Art déco… Époque : c’est le moment de la construction. Dans le patrimoine, on trouve aussi un héritage industriel. Cela veut dire : des usines, des ateliers, des mines… Dans le patrimoine, on trouve aussi le petit patrimoine. Cela veut dire : des fontaines, des lampes, des cloches… Les vestiges archéologiques Les vestiges archéologiques sont des vieux objets trouvés dans la terre. Un archéologue est une personne qui fouille la terre. La personne cherche des vieux objets et des traces du passé. Ce sont les objets de nos ancêtres. Les ancêtres, c’est quoi ? Les ancêtres sont les personnes qui ont vécu avant nous. Les objets trouvés sont souvent cassés. QUI ? LES ACTEURS DU PATRIMOINE Les acteurs du patrimoine sont les personnes qui travaillent pour le patrimoine : archéologues (personnes qui fouillent la terre), restaurateurs d’art (personnes qui réparent les objets), tailleurs de pierre (personnes qui remplacent les pierres abîmées)… La Belgique est divisée en 3 grandes parties qui s’appellent les régions (la Flandre, la Wallonie, Bruxelles). La Région wallonne (la Wallonie) Chaque région a son chef qui s’occupe du patrimoine. Ce chef s’appelle un ministre. Ce ministre a ses règles pour s’occuper des choses importantes. Il doit protéger les biens du patrimoine (des châteaux, des églises, des maisons anciennes…). L’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP) Le ministre du patrimoine se fait aider par une grande équipe. L’équipe s’appelle : l’Agence wallonne du Patrimoine (AWaP) : Protéger L’équipe protège notre patrimoine en créant des lois. Restaurer L’équipe répare les bâtiments. Valoriser L’équipe travaille pour que le patrimoine serve encore aujourd’hui. Fouiller L’équipe fouille la terre pour trouver des objets et des restes du passé. Former L’équipe apprend aux travailleurs à s’occuper des bâtiments. Sensibiliser L’équipe explique aux gens que le patrimoine est important. La Commission royale des monuments, sites et fouilles (CRMSF) La Commission est une assemblée. Ce sont des personnes qui travaillent ensemble pour : conseiller le ministre sur les travaux à faire ; dire au ministre quand un bâtiment doit être protégé. Les propriétaires, associations, architectes, artisans et entreprises Il y a d’autres personnes qui s’occupent du patrimoine en Wallonie : Les associations. Ce sont des personnes qui travaillent pour faire connaître le patrimoine. Les artisans. Ce sont des personnes qui travaillent pour réparer les bâtiments. … COMMENT ? LES OUTILS POUR GÉRER LE PATRIMOINE Recensements et mesures de protection Les inventaires Pour protéger le patrimoine, on fait des listes et des classements. On fait des listes avec toutes les choses qui font partie du patrimoine. Ces listes s’appellent des inventaires. On fait des inventaires par : bâtiments ; objets trouvés dans le sol et restes du passé ; donjons ; anciennes églises ; anciennes usines ; parcs et jardins… On fait aussi des inventaires des petites choses du patrimoine : des lavoirs, des fours à pain, des moulins… Le patrimoine classé Certains bâtiments et paysages sont tellement beaux et importants qu’ils sont classés. Cela veut dire que ces bâtiments et paysages sont protégés par une loi. Il est interdit de modifier les bâtiments sans autorisation du ministre. Les bâtiments classés sont les plus importants et les plus rares. On a beaucoup de bâtiments importants et de paysages classés en Wallonie : bâtiments importants (châteaux, églises…), paysages (parcs, jardins…). Quand un bâtiment ou un parc est classé, on met un blason bleu à l’entrée. Cela veut dire qu’il est protégé. On ne peut pas le réparer ou le modifier sans autorisation. En plus des bâtiments et paysages, on classe aussi les objets importants et les fêtes : les tableaux, les sculptures, les vieux meubles, les carnavals, les chansons… Ce sont d’autres personnes qui s’en occupent. Le patrimoine exceptionnel de Wallonie Le patrimoine exceptionnel, c’est quoi ? Ce sont les plus beaux bâtiments : des châteaux magnifiques, des ruines qui racontent notre passé… La liste du patrimoine mondial En plus du patrimoine de notre pays, il existe un patrimoine mondial. C’est l’UNESCO qui s’en occupe. L’UNESCO est un groupe de personnes qui travaillent pour le patrimoine mondial. L’UNESCO a créé une liste des plus beaux bâtiments et sites du monde. Chez nous, 8 sites sont dans la liste : Les 4 ascenseurs du canal du Centre et leur site (La Louvière et Le Roeulx), Les 7 beffrois (Binche, Charleroi, Gembloux, Mons, Namur, Thuin et Tournai), La cathédrale Notre-Dame de Tournai, Les minières néolithiques de silex de Spiennes (Mons), 4 sites miniers majeurs (le Grand-Hornu, Bois-du-Luc, le Bois du  Cazier et Blegny-Mine), La ville de Spa, Des sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale (front Ouest), Des portions de la forêt de Soignes. Conservation, restauration et réaffectation Il faut prendre soin du patrimoine. Pour cela, il faut faire attention à 3 choses : conserver : c’est très important, il faut éviter que les bâtiments s’abîment. restaurer : c’est réparer les bâtiments qui sont cassés. réaffecter : c’est donner une nouvelle fonction aux bâtiments qui ne sont plus utilisés. Par exemple, un château devient une salle des fêtes. Parfois, un bâtiment classé ne peut plus être utilisé comme il l’était avant. Il est devenu : trop vieux, trop petit… Alors on va faire autre chose dedans : une ancienne ferme peut devenir un lieu de fêtes ; une vieille usine peut devenir un musée ; une église peut devenir une bibliothèque. Les bâtiments classés sont très importants. Il faut protéger les bâtiments classés. Protéger un bâtiment veut dire qu’on doit pouvoir continuer à y vivre, à l’utiliser ou le visiter sans le modifier. Parfois, un bâtiment s’abîme avec le temps. On doit alors faire des travaux. C’est le ministre qui donne de l’argent. Sur chantier : focus sur les métiers du patrimoine Lorsqu’il faut faire des travaux, il faut un chef qui décide. Le chef est un architecte. L’architecte va dire aux autres personnes ce qu’il faut faire. Ces autres personnes sont : un maçon (il répare les murs en pierre et en brique), un couvreur (il répare le toit), un peintre (il peint les murs), un plafonneur (il répare les murs à l’intérieur du bâtiment), un jardinier (il s’occupe des parcs et des jardins)… statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : awap | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © awap. Plus d’initiatives en Wallonie… [...] Lire la suite…
TRADUCTION : Néologie traductive – Vade Mecum pour traducteurs (1995)TRADUCTION : Néologie traductive – Vade Mecum pour traducteurs (1995)
La traduction (humaine) est un métier exigeant et un domaine technique qui reste vivant face aux technologies soutenues par l’intelligence artificielle (un oxymore !). Nous partageons avec vous la transcription partielle d’une plaquette réalisée en 1995 par le Centre de terminologie de Bruxelles (CTB, Bruxelles). Elle avait été réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication. N.B. Le document transcrit ici est assez technique : si vous n’avez pas d’affinités particulières avec le domaine linguistique, visitez plutôt notre BIBLIOTECA et choisissez un livre selon votre bon plaisir… TABLE DES MATIERES Présentation Introduction 1. Dérivation 1.1. Affixation 1.2. Conversion grammaticale 1.3. Suppression d’affixes 2. Confixation 3. Composition 4. Formation syntagmatique 5. Emprunt 6. Abrègement 7. Néologie de sens 8. Création ex nihilo 9. Eponymie PRESENTATION Ce vademecum est un élément d’une initiative appelée Néologie traductive, réalisée avec le soutien du Service de la langue française de la Direction générale de la Culture et de la Communication. Il s’adresse aux traducteurs, dont l’activité quotidienne est une source importante de néologismes. Cette action a trois objectifs : l’assistance en matière de néographie, le recensement et la diffusion des néologismes créés ou rencontrés par les traducteurs, et l’étude de la pratique néographique des traducteurs. Ces objectifs sont poursuivis par les initiatives suivantes : formation d’un réseau de traducteurs qui désirent signaler, par  l’intermédiaire du CTB, les néologismes créés par eux-mêmes ou rencontrés au cours de leur travail ; distribution de ce vademecum rédigé à l’intention des traducteurs ; assistance directe, par téléphone, à la création néologique ; rappel des matrices lexicogéniques de telle ou telle discipline, propositions de néologismes, recherche dans les banques de terminologie et autres sources ; collecte et échange, par domaine de spécialité, des néologismes créés par les traducteurs qui participent à l’action ; étude philologique, terminologique et socio-culturelle des néologismes ainsi récoltés. Cette initiative s’intègre également dans un projet du RINT (Réseau International de Néologie et de Terminologie), qui a l’intention de mettre sur pied un réseau francophone d’échange de néologismes. INTRODUCTION Dans les différents domaines de la vie sociale, les usagers créent leurs termes au fur et à mesure de leurs besoins. Le lexique s’enrichit ainsi continuellement, notamment pour dénommer ou désigner de nouvelles réalités. Le traducteur sera donc souvent confronté à des problèmes terminologiques qu’il devra résoudre, le plus souvent par lui-même. Il rencontrera des termes dans la langue-source (LS) pour lesquels il n’existe pas encore d’équivalent dans la langue-cible (LC). Si l’on définit la néologie comme l’ensemble des techniques de formation de nouveaux termes, il s’occupera donc, si nécessaire, de néologie. Néologie primaire et néologie traductive On peut distinguer deux types de néologie : celle où la formation d’un nouveau terme, dans une langue précise, accompagne la formation d’un nouveau concept et celle où le terme existe déjà dans une langue et où un nouveau terme est créé dans une autre langue. La situation typique dans laquelle se déroule le premier processus est la situation de travail (le laboratoire de recherche, la fabrication de nouveaux produits, etc.). La situation typique de la deuxième forme de néologie est la traduction. Appelons la première forme néologie primaire et la deuxième néologie traductive. La néologie traductive peut être le fait, sporadique ou plus ou moins systématique, d’instances chargées de terminologie. Ces instances proposent des équivalents pour des termes qui souvent circulent déjà dans la langue d’arrivée sous forme d’emprunts, de calques ou de termes jugés mal formés. Cependant, la forme la plus ancienne et la plus naturelle de néologie traductive, c’est-à-dire la formation et l’introduction de nouveaux termes qui ont déjà un précédent linguistique, est la traduction, activité quotidienne des traducteurs de textes techniques et scientifiques. Ils sont les premiers à être confrontés aux nouveaux termes en LS et aux nouveaux concepts, pour lesquels lem métier les contraint à proposer un équivalent dans la LC. Nous appelons donc “néologie” la création d’un nouveau terme par un traducteur et, pour la facilité de notre propos, “néologisme” un nouveau terme, proposé dans une traduction, tout en sachant qu’un néologisme n’existe réellement que si le terme entre dans tm certain usage, qui ne se réduit pas à une communication unique entre l’auteur du terme créé et ceux qui prennent connaissance du nouveau terme. Les principes de la néologie traductive La néologie traductive obéit en premier lieu aux principes mêmes de la traduction. Un premier principe peut être formulé ainsi : on ne traduit pas une langue dans une autre langue (Ll>L2), mais une traduction rend un message exprimé dans la langue-source. Ceci a des conséquences pour la néologie traductive. Le traducteur ne cherche pas systématiquement des équivalents pour tous les termes du texte à traduire (il ne traduit jamais mot à mot) ; il ne crée donc pas systématiquement des équivalents pour tous les termes qu’il rencontre et pour lesquels il n’existe pas d’équivalent dans la langue-cible. Il crée de nouveaux termes s’ils sont utiles pour la transmission correcte du message. Sa première obligation n’est pas l’équivalence des tennes, mais l’équivalence du message. Dans le cas de la traduction par équivalence des termes, qui joue un rôle plus important dans la traduction spécialisée que dans la traduction de textes plus littéraires, le traducteur ne cherche pas d’emblée à traduire le terme. Il identifie la notion exprimée par le terme du texte de départ et réexprime ensuite la notion dans le texte traduit. La question qu’il se posera est donc celle-ci : quel est le terme dans la langue-cible dont le sens correspond exactement à la notion exprimée par le terme dans la langue-source ? L’adéquation, c’est-à-dire la qualité qu’a un terme de bien convenir à la notion qu’il exprime, dans le contexte précis du texte à traduire, est donc l’exigence principale. Le traducteur aura la même attitude lorsque, dans le cas d’équivalents manquants, il doit combler les lacunes et proposer de nouveaux termes. Avant de passer par le prisme du système de la langue, le néologisme passe par le prisme du système notionnel, ce qui est d’ailleurs la meilleure façon de s’affranchir du terme utilisé dans la langue-source. En s’attachant avant tout au référent, le traducteur sait qu’une réalité peut souvent être considérée et dénommée selon plusieurs facettes ou points de vue. Cette attitude lui permettra de créer de bons équivalents, des termes qui donnent une image aussi nette que possible du référent. La connaissance de l’univers notionnel du domaine, grâce à laquelle le traducteur appartient à la même conummauté de pensée que l’auteur et le lecteur, lui permettra de reconnaître plus facilement la fonction du néologisme dans la LS. Un deuxième principe, d’ordre terminologique cette fois, valable pour toute traduction, est le respect des traditions pour la formation des termes dans le domaine de spécialité considéré. Chaque science, chaque discipline, chaque technique se définit par une terminologie particulière, structurée et conditionnée par la spécificité de son objet, de son point de vue et de ses finalités. Chaque discipline ne possède pas seulement son système notionnel propre, mais également ses matrices terminogéniques, qui lui font choisir de préférence certaines lois de construction des termes. Un nouveau terme n’est pas un objet isolé mais un élément d’un système plus ou moins structuré. Le traducteur professionnel expérimenté distingue ce qui est linguistique de ce qui est terminologique. Il sait qu’en terminologie, il y a peu d’équivalents établis. Les équivalents présentés dans les dictionnaires ne sont en fait que des possibilités auxquelles le traducteur est libre ou non de donner vie. On pourrait dire, paradoxalement, que le seul véritable terminologue est le traducteur. Le troisième principe, enfin, relève du respect de la langue-cible. Dans ses créations de termes, le traducteur sera conservateur et suivra les voies tracées par la langue. Les termes français se rattachent généralement à des éléments préexistants de la langue, permettant d’en saisir, ne fût-ce que superficiellement, la signification. Les termes sont souvent motivés : les raisons du choix de leur forme sont transparentes et au moins une partie des termes est immédiatement intelligible. Les nouveaux termes doivent, à leur tour, offrir la possibilité d’engendrer des dérivés dans leur catégorie lexicale ou dans d’autres catégories lexicales. Ils doivent pouvoir s’intégrer dans des formations syntagmatiques futures. Les différents procédés de formation des termes présentés dans ce vademecum permettent de créer des termes qui s’intègrent naturellement dans la langue. Le vocabulaire de spécialité est formé sur la base des mêmes principes que les mots de la langue commune. Il est rare que des mots entièrement neufs voient le jour. Les nouveaux mots, et dans une proportion encore plus grande, les nouveaux termes, sont, généralement, des assemblages d’éléments existants. Ainsi, ce guide répertorie-t-il les différents procédés de combinaison de matériaux lexicaux permettant la constitution de nouvelles unités lexicales. Ces procédés sont au nombre de neuf : la dérivation, la confixation, la composition, la formation syntagmatique, l’emprunt, l’abrègement, la néologie de sens, la création ex nihilo et l’éponymie. 1. DERIVATION Les termes peuvent être dérivés d’autres termes par adjonction d’affixes, par conversion grammaticale ou, plus rarement, par suppression d’affixes. 1.1 Affixation L’affixation consiste en l’agglutination d’éléments lexicaux, dont un au moins n’est pas susceptible d’emploi indépendant, en une forme unique. Les éléments d’un terme dérivé sont la racine et les affixes. La racine est la base à partir de laquelle sont dérivées les formes pourvues d’affixes (égal– pour le terme égalité, detect– pour le terme détecteur). Les affixes sont les éléments adjoints au radical. Ils sont appelés préfixes s’ils précèdent le radical (ex. renommer) et suffixes s’ils le suivent (ex. changement). Voici quelques préfixes: a- (moral> amoral) ; an-, (ovulatoire > anovulatoire) ; dé- (calquage > décalquage) ; co- (efficient > coefficient) ; dis- (capacité > discapacité) ; é- (changer > échanger) ; in- (égalité > inégalité) ; mé-  content > mécontent), avec la variante mes- (entente > mésentente) ; pré- (établir > préétablir) ; re- (combiner > recombiner). Un même préfixe peut avoir des significations différentes. Par exemple, le préfixe in- a un sens différent dans les termes insubmersible (qui ne peut pas être submergé) et infiltrer (pénétrer peu à peu). Les préfixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical, contrairement aux suffixes. On peut grouper les suffixes suivant les transformations lexicales qu’ils font subir aux mots auxquels ils s’attachent. Suffixes qui transforment les verbes en noms : Ils peuvent marquer l’action ou son résultat. Les principaux suffixes de cette catégorie sont les suivants : -ion (oxyder > oxydation) ; -age (empoter > empotage) ; -ment (dénombrer > dénombrement) ; -ure (couper > coupure) ; -is (semer > semis) ; -(a)nce (résonner > résonance) ; -ing (camper > camping) ; -at (alcool > alcoolat) ; -aison (incliner > inclinaison) ; -erie (pêcher > pêcherie). Ils peuvent désigner l’agent, humain ou non animé : -eur/-euse (employer > employeur/employeuse) ; -(at)eurl-atr)ice (calculer > calculateur/calculatrice) ; -oir (semer > semoir). Ce dernier suffixe peut désigner également un lieu ou un objet (présenter > présentoir) -oire (nager > nageoire). Suffixes qui transforment les adjectifs en noms : En voici quelques-uns : -eur (gros > grosseur) ; -ie (malade > maladie) ; -esse (gros > grossesse) ; -itude (exact > exactitude) ; -ise (franc > franchise) ; -té (sonore > sonorité) ; -(a)nce (résistant > résistance) ; -isme (bilingue > bilinguisme) ; -cité (critique > criticité). Suffixes qui transforment les noms ou les adjectifs en verbes : Le suffixe le plus utilisé est -er/-iser (gaz > gazer ; fertile > fertiliser). Cependant certains verbes créés par analogie ou non adoptent un autre suffixe (alunir, suivant l’exemple d’atterrir; blanc > blanchir, théâtral > théâtraliser). Une transformation du nom ou de l’adjectif en un verbe s’accompagne souvent de l’ajout d’un préfixe (froid > refroidir, mer > amerrir). Suffixes qui transforment des noms en adjectifs : -é (accident > accidenté) ; -u (feuille > feuillu) ; -(a)ble (carrosse > carrossable) ; -aire, forme savante du suffixe -ier (cession > cessionnaire) ; -el (institution > institutionnel) ; -uel (texte > textuel) ; -eux (granit > graniteux) ; -ien, utilisé pour créer des termes par antonomase (Freud > freudien) ; -if, utilisé surtout avec des noms en -tion (information > informatif) ; -in (cheval > chevalin) ; -ier (betterave -> betteravier) ; -ique, qui s’emploie surtout avec des noms qui finissent en -ie, ou en -tion (écologie > écologique) ; -iste (anarchie > anarchiste) ; -ais, sert à former des adjectifs toponymiques (Ecosse > écossais) ; -ois, qui crée aussi des toponymiques (Dole > dolois) ; de même que -ain (Amérique > américain) ; -an (Perse > persan) ; -éen (Méditerranée > méditerranéen). Suffixes qui transforment des verbes en adjectifs : On trouve dans cette catégorie les suffixes -(a)ble (programmer > programmable) ; ce suffixe présente la variante -ible (nuir > nuisible) ; -eur (détecter > détecteur). Suffixe qui transforme des verbes en adverbes : Le suffixe -ment (isoler > isolément). Suffixes qui ne changent pas la catégorie lexicale du terme source : Un certain nombre de suffixes ne changent pas la catégorie lexicale du radical : -(ijer, utilisé surtout pour dénommer des métiers (plomb > plombier), mais aussi pour former d’autres types de termes (chèque > chéquier) ; -ière (café > cafetière) ; -aire (disque > disquaire) ; -erie (chancelier > chancellerie) ; -iste, sert à désigner des “acteurs” (document > documentaliste) ; -ien, sert à dénommer des métiers, des activités (chirurgie > chirurgien) ; -ade (colonne > colonnade ) ; -at (professeur > professorat) ; -ure ( cheveu > chevelure) ; -aine (cent > centaine) ; -ance (induction > inductance) ; -ée (cactus > cactée), -eté (citoyen > citoyenneté), etc. Un autre groupe important est celui des suffixes qui servent à changer le genre du nom, généralement du masculin au féminin. Dans le cas des noms de métiers, ils sont actuellement très productifs. Les autres suffixes qui s’unissent à des adjectifs et à des verbes sans changer leur catégorie lexicale (augmentatifs, diminutifs, etc.) ont plutôt une valeur connotative, ce qui fait qu’ils ne sont pas productifs dans les langues de spécialité (LSP). Un terme peut avoir plusieurs préfixes et/ou suffixes à la fois (ex. prédébourrement). Dans le cas des termes préfixés et suffixés on parle de dérivation parasynthétique. 1.2 Conversion grammaticale La conversion grammaticale ou dérivation impropre (aussi appelée hypostase) est le processus par lequel une fonne peut passer d’une catégorie grammaticale à une autre sans modification formelle. Le terme ainsi créé est donc homonymique par rapport au terme d’origine, mais il acquiert des nuances sémantiques différentes de celui-ci. Les différents types de conversion grammaticale sont : Passage d’un adjectif à un substantif : L’adjectif substantivé garde le genre du terme de base du syntagme (ex. en informatique, on dit un périphérique pour un élément périphérique). Il s’agit en fait d’une ellipse du noyau du syntagme (dans ce cas-ci élément) qui reste sous-entendu. Passage d’un substantif à un adjectif : Dans certains mots de type N+N, le noyau du syntagme est modifié par un autre nom qui agit comme adjectif (ex. dans le terme navire-hôpital, on peut considérer le nom hôpital comme un adjectif qualificatif du mot navire). Certains substantifs se transforment parfois en adjectifs à travers des procédés métaphoriques (un atout maître). Dans les créations récentes on peut citer les termes ARN satellite ou cellule hôte. Passage d’un verbe à un substantif : Ce type de dérivation consiste en la substantivation d’un infinitif. Elle permet de traduire le procès sous la forme la plus abstraite, sans détermination de l’agent du procès. On établit une opposition entre l’infinitif substantivé et la forme nominale, le premier terme étant réservé à la forme abstraite du procès et le deuxième à la forme plus concrète (le penser/ la pensée ; le parler/ la parole). Passage d’un verbe à un adjectif : Un participe présent est utilisé comme adjectif. Il s’agit d’une alternative à la dérivation, qui peut produire également le changement de catégorie grammaticale. En fait, -ant est devenu un véritable suffixe, qui peut servir à fabriquer des adjectifs ou des substantifs sans la médiation d’un verbe. Les adjectifs verbaux en -ant peuvent se substantiver. Passage d’un adjectif à un adverbe : L’adjectif perd sa faculté de variation en genre et en nombre et devient un adverbe (ex. parler net, filer doux…). Ce procédé est très utilisé dans le langage de la publicité mais peu dans la création néologique en terminologie. Changements verbaux : Un verbe peut acquérir une constrnction pronominale (s’accidenter) ; il peut devenir transitif ou intransitif (démarrer ; il a été démissionné) ; il peut prendre la catégorie de verbe auxiliaire (voir), etc. Ce phénomène est peu fréquent. Passage d’un nom propre à un nom commun : Ce type de changement affecte surtout les noms déposés qui, par le principe de la synecdoque (relation partie/tout), finissent par dénommer tous les objets d’une même catégorie : l’exemple le plus célèbre est celui du mot bic utilisé pour désigner tous les stylos à bille. Ce procédé est aussi très courant dans le jargon de certaines sciences et techniques : le terme aspirine, par exemple, est fréquemment employé pour tout médicament à base d’acide acétylsalicylique. Il arrive également qu’un nom déposé finisse par supplanter un terme plus complexe : téflon utlisé au lieu de polytétrafluoroéthylène et fréon au lieu de dichlorodifluorométhane. 1.3 Suppression d’affixes (Dérivation régressive) La dérivation régressive consiste en la création d’une unité lexicale par réduction à la racine par la suppression d’affixes. Il s’agit d’un procédé peu utilisé. On le trouve dans le terme terminologue qui procède du terme terminologie. Pour qu’il y ait une dérivation de ce type, il faut que le terme affixé ait été créé avant le terme non affixé. (ex. le terme évaluation n’a pas été créé par dérivation régressive à partir du terme réévaluation ; le second a été créé par dérivation à partir du premier). La suppression d’affixes de catégorie grammaticale se produit dans le cas du passage d’un verbe à un nom (ajouter-> ajout ; apporter-> apport, etc.) Ce processus est apparenté à la dérivation impropre. Conseil : La dérivation est un procédé très productif dans les LSP. Les termes dérivés sont à la fois brefs, précis et constituent une hiérarchie motivée. Utilisez l’affixation pour la restriction du sens d’un mot. Il est plus facile de dériver un terme à partir d’un substantif que d’un adjectif ou un verbe. Attention : Les différentes langues ne connaissent pas les mêmes suffixes et il arrive que les mêmes suffixes ne désignent pas la même notion. ( ex. Mycosis est le terme générique employé en anglais pour dénommer toutes les affections parasitaires provoquées par des champignons, tandis que mycose en français désigne les maladies à excroissances ou tumeurs fongueuses de la peau). Les terminaisons adjectivales doivent souvent être traduites différemment. Exemple: Le suffixe anglais -al peut être traduit en français par une dizaine de formes différentes : -ai-aire > embryonal / embryonnaire -al(e) > renal / rénal ; cervical / cervical(e) -ienïne) > retinal / rétinien -ifère > seminal / séminifère -atif -ative > germinal / germinatif -e > mediastinal / médiastine -éïe) > sacral / sacré -éal > subungual / sous-unguéal -inïe) > palatal / palatin -eux, -euse > scarlatinal / scarlatineux -ue > vagal / vague -onnier > mental/ mentonnier -ulaire > appendical / appendiculaire -ique >limbal / limbique On dit artère coronaire mais maladie coronarienne ; calcul urinaire mais abcès urineux. Donnez votre préférence à des affixes plus longs (-iser au lieu de -er). 2. CONFIXATION La confixation consiste en la composition de termes à partir de radicaux liés (appelés confixes ou formants), constitués de racines grecques ou latines liées n’ayant pas à proprement parler le statut de mot. Ces formants se soudent pour donner, avec ou sans affixes, des mots confixés (hydrogène, gyroscope, biosphère, agronomie). La confixation est un processus productif, comme en témoigne la liste des termes normalisés : hectographie, hexachlorobenzène, hostogramme, homopolymère, etc. 2.1 Caractéristiques Voici quelques caractéristiques des mots confixés : Le formant qui détermine doit précéder le formant déterminé : dans le terme épigraphie, le formant modificateur épi– est placé devant le formant régissant –graphie. On ne peut généralement pas renverser l’ordre des éléments de composition quand il existe un rapport de détermination entre les éléments (philatéliste, bibliophile, philologue-logophile). Un terme peut être composé de plusieurs fonnants à la fois (ex. lévoangiocardiogramme). Un même formant peut être antérieur, postérieur ou être placé au milieu du terme (anthropologie, philanthropie, misanthrope). Les formants antérieurs se terminent par une voyelle si le confixe postérieur commence par une consonne. Autrement, on élide la voyelle du premier (amphithéâtre, mais amphotère). La voyelle de liaison est généralement o dans le cas des formants d’origine grecque (électromotricité) et i dans le cas des formants d’origine latine (fébrifuge). On ne met pas de voyelle de liaison quand le premier élément est une préposition dans la langue d’origine (permutation). Un formant peut avoir des variantes graphiques autres que celle de la voyelle de liaison (neurone, mais névralgie). Ils peuvent présenter, par exemple une alternance vocalique, c’est-à-dire une variation de voyelle (capacité, récupérer, municipalité). Pour une même notion, on trouve parfois en concurrence un formant latin et une formant grec (anthropomorphe, hominidé). De même, il peut y avoir plusieurs fonnants pour dénommer un même concept ( ex. vagin se dit en grec kolpos, elutron et koléos qui ont donné respectivement en français colpocèle, élytrotomie et koléoptose). Un terme peut présenter deux fois le même formant (mélomèle). 2.2 Combinaisons hybrides Les terminologues et les comités de normalisation préfèrent recourir à des confixes homogènes et refusent en général les combinaisons hybrides du type latin + grec (ex. sérologie, altimètre, ovoïdal, spectroscope), grec + latin (hexadécimal, hydrocarbure, automation, aéroducteur) ou classique + moderne (bicyclette, hydronef, aéronavigable). Conseil : La confixation est un procédé très productif dans la plupart des langues occidentales. Elle contribue aussi à l’unification internationale de la terminologie. Les termes formés par confixation sont courts et faciles à mémoriser. Si la signification du formant est connue, ce qui est souvent le cas, les termes sont motivés. La majorité des néologismes en médecine et en biologie sont des confixes. Attention : Les formants grecs sont souvent assortis de suffixes latins : polytechnique, pétrification, désoxyribonucléique, ou vice-versa, un formant latin peut être suivi d’autres formants grecs : alvéolite, chimiothérapie, lacrymogène, cellulite. On trouve également des combinaisons avec des composants modernes : visiophonie, extensomètre, télécopie, kleptomanie, syntoniseur, électrochoc, radiodiffusion. Certains formants ont des variantes, qui ne sont pas toujours équivalentes : CEREBRO : cérébro- cérébro-spinal, hémisphères cérébraux ; céphalo- céphalo-rachidien ; céphalopodes encéphalo- encéphalographie CHEMO : chémo- chémosensibilité chimio- chimiothérapie NEURO : neur( o )- neuroleptique névr( o )- névroptères OOPHORO : oophor(o)- oophoropexie ovari( o )- ovariopathie PROCTO : procto- proctologie recto- rectoscopie Les formants n’ont pas toujours la même forme : Changements orthographiques : apocope, addition ou suppression d’une voyelle ou d’une consonne d’appui. Exemple : cupri- / cupro olé(i)- / olé( o )- phreno- / phrénico zygomato- / zygomatico– Permutation des éléments quand l’ordre déterminant-déterminé ne correspond pas avec celui de la langue source (si l’on veut éviter un calque non-nécessaire) : Exemple : nasolacryntal / lacrymonasal cardioneural / neuro-cardiaque tibiofibular / péronéo-tibial vesicouterine / utéro-vésical Modulation d’un élément : Exemple : brachial / huméral pharyngo / glosso femoral / crural Un même préfixe peut être traduit différemment et engendrer des doublets : circum- > circon- / péri contra- > contra-/ contro- / contre dis- > dis-/ dés-/ ex hyper- > hyper- /ana-/ oxy- / poly- /super-/ sur hypo- > hypo- / infra- / sous- / sub- / a intra- > intra- / endo- / inter- Les préfixes ou suffixes sont sujets à des changements phonétiques / orthographiques pour des raisons d’euphonie. Ainsi, la voyelle o disparaît parfois devant une autre voyelle : megaloencephalon > mégalencéphalie. On peut insérer des lettres d’appui pour faciliter la prononciation : méga(l)opsie. Certains préfixes subissent une apocope ou une contraction : meg(a)- par(a)- 3. COMPOSITION La composition consiste en l’union de deux ou plusieurs mots constitutifs qui conservent leur forme complète pour donner une unité lexicale neuve (donnée-image, sous-armé, eau-de-vie, hautbois…). Le mot composé peut être soudé (alcoolépilepsie) ou bien lié par un trait d’union entre les constituants (bulbo-cavemeux). Une voyelle de liaison, généralement le o a pour fonction d’unir les composantes de l’adjectif composé qui se présentent normalement en relation de coordination (technico-industriel, euro-américain, socio-culturel). Les termes ainsi construits constituent un cas intermédiaire entre confixation et composition. 3.1 Structure La structure d’un terme composé est normalement celle d’un élément déterminé par un ou plusieurs éléments déterminants (dans le terme bloc-cylindres, par exemple, le mot bloc est déterminé par le mot cylindres). La relation entre les éléments (notamment dans le cas des substantifs) peut être également une relation de coordination (déclencheur-limiteur, contacteur-disjoncteur). Les substantifs s’accordent alors en nombre et sont souvent joints par un trait d’union. Le premier élément peut être considéré comme prédominant, puisqu’il donne son genre à l’ensemble, mais cette prédominance est très réduite du point de vue sémantique, notamment dans le cas de la désignation d’une réalité “hybride” (par exemple, le terme bar-hôtel, qui n’est vraiment ni un bar ni un hôtel). Une construction syntaxique peut recouvrir différents rapports notionnels. Ressort-soupape pourrait signifier aussi bien ressort pour soupape que ressort avec soupape. De même, tm même rapport notionnel peut s’exprimer sous des formes syntaxiques différentes. L’ordre déterminé + déterminant est propre au français bien qu’on puisse trouver également l’ordre inverse notamment dans des formations d’origine étrangère (doparéaction, radium-thérapie, lysat-vaccin), dans les confixes et les calques. Le groupe déterminé + déterminant est créé par substitution d’un trait d’union ou d’une voyelle de liaison au joncteur. Le groupe déterminant + déterminé, quoique non naturel au français, connaît un certain succès à cause de l’influence de l’anglais. Le déterminant a une valeur quasi adjectivale. Ainsi, le terme auto-école, peut être interprété comme une école “qui a rapport à l’automobile”. 3.2 Combinaisons courantes Les combinaisons les plus courantes sont : N + N (transmission-radio, bloc-cylindres, wagon-citerne). Ce type de formation établit des rapports soit de coordination (ex. président-directeur), soit de subordination (image-radar) ; V + N (pose-tube, essuie-glace, lance-torpilles). Le nom a souvent la fonction de complément direct. Ce type de composition peut être utilisé comme adjectif (ex. une galerie paraneiges) ou comme substantif (ex. un cache-radiateur) ; Adj + Adj (sourd-muet, gris-bleu, aigre-doux). Ces composés sont produits par ellipse du joncteur ; Adj + N (gros-porteur, haut-parleur) ; (l’adjectif s’accorde en genre et en nombre avec le terme de base) ; N + Prép + N (rez-de-chaussée, main-d’oeuvre). Ce type de formation est à mi-chemin entre la composition et la formation syntagmatique, car ces unités peuvent être considérées comme un syntagme soudé. 3.3 Variantes Il existe un type de formation intermédiaire entre la dérivation et la composition : la formation à l’aide de morphèmes grammaticaux autonomes antérieurs tels qu’après, demi, non et sous dont la forme et la fonction les situent entre mot et préfixe (sous-ensemble). Il existe également un type de formation intermédiaire entre la confixation et la composition. On peut réunir en un faux composé un confixe (lié) et un mot (libre). ex. téléguidage, télépéage. Ce type de formation est assez courant. Conseil : Les termes composés sont en général assez brefs (souvent deux mots), motivés et sans précision excessive. Attention : Respectez la syntaxe du français : le nom déterminé vient avant le complément ou l’adjectif déterminant : image-ratio (ratio image) image-satellite (satellite picture) chèque-voyage (traveller’s check) couvre-bec (mouthpiece cap) Utilisez le trait d’union (couper-coller, presse-papier, audio-prothèse, aide-ouïe intra-auriculaire). 4. FORMATION SYNTAGMATIQUE Un syntagme est un groupe d’éléments formant une unité de sens dans une organisation hiérarchisée. Ce nouveau terme a des propriétés dénominatives différentes de celles des éléments qui le composent. Le degré de lexicalisation d’un syntagme se situe dans un continuum dont les deux pôles sont la lexicalisation complète et le syntagme libre. Le terme-syntagme a un répertoire restreint de mots faibles (conjonctions, articles, pronoms, verbes auxiliaires). Son étendue est plus limitée que celle des syntagmes libres. A cet égard un syntagme lexicalisé ne peut pas franchir un certain seuil s’il veut rester fonctionnel dans la communication. De même, il doit pouvoir s’intégrer sans difficulté dans des textes spécialisés. Les critères de lexicalisation sont : l’existence d’une définition spécialisée, la position dans le système terminologique donné, la maniabilité, la récurrence et la cohésion syntaxique. Il n’est, par exemple, pas possible d’étendre le complément en ajoutant un nouvel élément sans briser le sens du syntagme original (gaz très inerte n’aurait pas le même sens que gaz inerte). 4.1 Structure La structure des termes-syntagmes est toujours la même : le noyau, qui peut être un substantif, un verbe, un adjectif ou un adverbe, est modifié par un ou plusieurs éléments (le complément) : de(s) nom(s), adjectif(s) ou un ou plusieurs syntagmes prépositionnels ou nominaux. 4.2 Combinaisons courantes Les formules les plus productives sont les suivantes : N + Adj, appelé syntagme épythétique (hélice carénée, chaine pyrotechnique, charge utile) ; N + N, appelé aussi syntagme asyndétique (plan média, point zéro, fréquence vidéo) ; N + Prép + N (chambre de combustion, arrêt d’urgence, barre de contrôle, fermeture à glissière) ; N + Adj + Adj (couverture fertile interne, séquences répétées directes, munition chimique binaire) ; N + Adj + Prép + N (épaisseur réduite d’ozone, distance proximale au sol, plasmide hybride de résistance). Il y a une nette prépondérance des termes-syntagmes nominaux. Dans les syntagmes verbaux, le verbe est normalement suivi d’un objet direct ou d’un complément circonstanciel, l’un et l’autre pourvus d’un article (fondre au noir). En français, on construit surtout des syntagmes épithétiques et des syntagmes avec joncteur, aussi appelés synapses, du type réacteur à eau lourde. A l’intérieur d’un terme-syntagme, on peut établir des rapports hiérarchiques de type syntaxique. Par exemple, dans un syntagme nominal subordinatif, le noyau est constitué d’un nom modifié par un adjectif, un syntagme prépositionnel, un syntagme nominal ou une combinaison des précédents. Ainsi, dans le terme réacteur à neutrons rapides, le noyau réacteur se voit modifié par le syntagme prépositionnel à neutrons rapides. L’extrême flexibilité paradigmatique fait du syntagme nominal un excellent instrument en terminologie. Un grand nombre de néologismes est construit de cette manière (cellule à haute pression à enclumes de diamants, angioplastie transluminale, archéologie sociale, polymérisation par transfert de groupe). Conseil : Procédé très productif en sciences et en techniques. Les termes-syntagmes sont faciles à comprendre. Attention : Les termes-syntagmes ne doivent pas être trop longs. Utilisez éventuellement l’abrègement. Les termes-syntagmes de la langue-source peuvent souvent être traduits comme tels, mais tenez compte des règles grammaticales de la langue d’arrivée : coal-fired fumace > chaudière à charbon air-operated ejector > éjecteur à air pressure type terminais > bornes à pression Ou bien cherchez des termes équivalents dans la langue d’arrivée : growth of germs > prolifération microbienne retaining wall > mur de soutènement crossing sweeper > balayeur de rues 5. EMPRUNT Il y a emprunt quand une langue A utilise et finit par intégrer une unité linguistique qui existait précédemment dans une langue B et que A ne possédait pas ; l’unité empruntée est elle-même appelée emprunt. Le terme peut être emprunté avec ou sans adaptation phonique ou graphique. On distingue l’emprunt direct, l’emprunt intégré et le calque. 5.1 Emprunt direct L’emprunt direct consiste en l’introduction d’un mot d’une autre langue sans modification. Un terme emprunté ne garde pas toujours sa signification originelle. Drugstore, par exemple, ne recouvre pas les mêmes réalités aux Etats-Unis et en France. L’emprunt peut avoir des synonymes : cabine de pilotage / cockpit ; liste de vérification / check-list ; aérofrein / spoiler ; volet de bord d’attaque / slat. Dans le cas de termes-syntagmes ou de mots composés, il peut exister des emprunts partiels (ex. bande-vidéo). 5.2 Emprunt intégré L’intégration d’un emprunt se fait par adaptation lexico-morphologique, graphique ou phonique complète ou partielle (le radical du terme ne change généralement pas tandis que les affixes sont adaptés (containeur, listage). Le suffixe anglais -ing est très souvent substitué par le suffixe -age, (dopage, doping), -er est substitué par -eur (hydrocraker > hydrocraqueur). 5.3 Calque Le calque est un type d’emprunt particulier : ce n’est pas le terme de la langue-source qui est conservé, mais bien sa signification qui est transférée, sous forme traduite et à l’aide de mots existants, dans la langue-cible (ex. steam engine, machine à vapeur). Conseil : L’emprunt se justifie quand le terme est précis dans la langue-source, quand il est court, quand il est en usage dans une communauté internationale. Le fait qu’il soit facile à prononcer est un atout. Quand il s’agit d’une terminologie spécialisée, l’intégration graphique n’est pas nécessaire. Attention : Vous pouvez expliquer ou paraphraser un emprunt. Tout dépend de votre public-cible. Il convient d’éviter l’abus des calques, tel que, par exemple, thérapie occupationnelle pour traduire occupational therapy, alors qu’il existe en français le mot confixé ergothérapie. 6. ABREGEMENT L’abrègement consiste en la suppression d’un certain nombre d’éléments (quelques lettres, des syllabes, quelques mots…) d’un terme. Le procédé est fort répandu dans les sciences et les techniques. Il existe trois types essentiels d’abrègement : la troncation, l’acronymie et la siglaison. 6.1 Troncation La troncation consiste en la formation de nouveaux termes par la réduction à une syllabe de plus de deux phonèmes d’un mot source. Il existe trois types de troncation: l’aphérèse, la syncope et l’apocope. L’aphérèse est la suppression de la partie initiale d’un mot (autobus -> bus). Ce procédé est rare dans les langues de spécialité. La syncope est la suppression d’une ou plusieurs lettres de la partie médiane d’un mot. Elle se rapporte le plus souvent à des mots composés contenant plusieurs radicaux qui font que le mot est trop long. (alcoolomètre >alcoomètre). L’apocope est la suppression de la partie finale d’un mot. C’est une méthode souvent utilisée pour abréger les unités de mesure (ex. radiation -> rad, kilo(gramme)). Les apocopes étant employées au pluriel reçoivent la terminaison correspondante, ce qui démontre leur fonctionnement autonome. 6.2 Acronymie L’acronymie consiste en la formation de termes à partir de plusieurs autres termes, dont on utilise des éléments (transpondeur > transmetteur +répondeur). Les éléments peuvent être : une apocope et une aphérèse : gravicélération (gravitation + accélération), aldol (aldéhyde+ alcool) ; deux apocopes : modem (modulateur + démodulateur), aldéhyde (alcool + dehydrogenatum) ; deux aphérèses : nylon (vinyl + coton) ; une apocope : publipostage (publicité + postage), musicassette (musique + cassette) ; une aphérèse : bureautique (bureau + informatique), vidéophone (vidéo + téléphone) ; une apocope et une syncope : amatol (ammonium nitrate + trinitoluène). 6.3 Siglaison La siglaison consiste en la création d’un nouveau terme à partir de certaines lettres d’un terme de base (souvent un syntagme). Les sigles peuvent faire partie d’un syntagme lexical (ADN hyperhélicoïdal). Les sigles sont souvent polysémiques. Par exemple, dans le domaine de l’environnement, le sigle TOMS peut se référer à Total Ozone Monitoring Spectrometer, Total Ozone Monitoring System, Total Ozone Mapping Spectrometer et Total Ozone Mapping System. Si on consulte un dictionnaire de sigles, on s’aperçoit rapidement qu’il n’y a pas de règles de formation précises en ce qui concerne la siglaison : On peut prendre seulement les mots forts du syntagme (Organisation des Nations Unies -> ONU) ou les mots forts et les mots faibles (Société à Responsabilité Limitée-> SARL) ; On peut prendre seulement la première lettre des mots qui composent le syntagme (Habitation à Loyer Modéré-> HLM) ou quelques lettres (Association Française de Normalisation -> AFNOR) ou les syllabes initiales de chaque mot (Belgique-Nederland-Luxembourg -> BENELUX). Les nouveaux termes peuvent se référer à des termes syntagmes (Aliments végétaux imitant la viande -> AVIV) ou à des termes composés (magnétohydrodynamique -> MHD, électrosplanchnographie -> ESG). Souvent, les termes à plusieurs composants se trouvent réduits en des sigles qui ne représentent pas la totalité de leurs composants (Action dynamique spécifique des aliments -> ADS). Les sigles peuvent paraître dans le texte avec ou sans points. L’absence de ponctuation peut être indicative du degré de lexicalisation. Le genre des tennes créés par siglaison est, en général, celui de la base générique du syntagme principal sous-jacent (on dit une LSP parce que la base générique est langue). Un grand nombre de sigles, symbolisant des concepts spécialisés, sont commandés par l’ordre syntaxique anglo-américain. Les sigles qui se prononcent comme s’il s’agissait d’un mot sont bien intégrés dans le système phonique. Ce phénomène favorise la création de dérivés et, par conséquent, la lexicalisation. Conseil : La brièveté est, cela va de soi, l’atout principal de ces termes. Les sigles peuvent se combiner avec des termes-syntagmes : ADN polymérase, ARN nucléaire de grande taille. Certains sigles internationaux ne sont pas traduits : ASCII (American Standard Code for Information Interchange) DOS (Disk Operating System) SONAR (Sound NAvigation Ranging) Traduisez de préférence un sigle par un sigle (quitte à l’expliquer), mais respectez la syntaxe de la langue d’arrivée. Ne dépassez pas 5 lettres. Le terme produit doit pouvoir être prononcé facilement. 7. NEOLOGIE DE SENS La néologie de sens consiste à employer un signifiant existant déjà dans la langue considérée et à lui conférer un contenu qu’il n’avait pas jusqu’alors. La relation établie entre le terme existant et le terme nouveau est normalement de type métaphorique, qu’il s’agisse d’un trope proprement dit ou d’un emprunt de sens. 7.1 Tropes Ce procédé de formation consiste à donner un nouveau sens à un terme existant à travers l’établissement de rapports d’analogie : on fait abstraction de certains traits significatifs du terme existant et on les “transporte“, en ajoutant les nouveaux traits qui fourniront un nouveau signifié tout en neutralisant les traits qui ne conviennent pas à la nouvelle dénomination. La métaphorisation peut être appliquée à un terme simple ou à un terme-syntagme. La différence entre la métaphore et la métonymie réside dans le fait qu’il s’agit d’un rapport de contiguïté dans le cas de la métonymie ou la synecdoque et qu’un rapport de similitude dans le cas de la métaphore. Le terme famille de gènes, par exemple, qui désigne l'”ensemble de gènes ayant de grandes ressemblances fonctionnelles et structurelles,” a été créé par métaphore à partir du mot famille dont un des traits sémantiques est celui de la ressemblance entre les personnes qui la forment. C’est un rapport de similitude. Dans le cas du terme antenne appliqué à une émission de radio, on a un rapport de contiguïté avec l’appareil qui sert à diffuser les ondes. On parle de métonymie quand on établit des relations de type : cause-effet (le mot émission désigne l’action de diffuser à distance et le résultat de cette action), contenant-contenu (le terme aérosol peut désigner le liquide projeté sous pression, le jet lui-même, l’appareil servant à produire ce jet encore le liquide présent dans le récipient diffuseur), activité-résultat (le terme terminologie peut faire référence aussi bien à l’activité de recherche et d’étude du vocabulaire scientifique et technique qu’aux produits résultant de cette activité : les dictionnaires spécialisés ou les bases de données terminologiques), abstrait-concret (le terme tribune désigne à la fois le lieu physique où l’on exprime des idées et un genre d’émission où le public peut exprimer ses vues par téléphone). Ce processus de création est lié à un autre trope: la synecdoque, qui consiste à établir un rapport partie/tout (ou relation d’inclusion) entre le néologisme et le mot de base. 7.2 Emprunt de sens L’emprunt de sens est un calque sémantique: le sens du mot dans la langue A est repris dans le mot de la langue B. Un néologisme créé par métaphore, métonymie ou synecdoque peut être traduit en utilisant le même processus. 7.3 Changement de sens Il arrive aussi qu’un mot reçoive une signification entièrement nouvelle lors du passage d’une LSP à une autre ou lors du passage de la langue commune à une LSP. Le passage d’un terme d’une LSP à une autre LSP se produit fréquemment dans le cas de domaines apparentés. Il s’agit généralement d’une modification partielle du sens premier et non pas d’un changement complet. Le vocabulaire des mathématiques a, par exemple, prêté de nombreux termes aux informaticiens : aléatoire, algorithme, interpolation, matrice… Dans tous ces cas, le terme conserve dans sa nouvelle acception des traits sémantiques de son champ lexical d’origine et en acquiert d’autres de celui où il entre. Quand les domaines ne sont pas apparentés, la signification du terme peut changer entièrement. Le mot divergence est employé en mathématiques ou en physique pour décrire une situation où deux lignes ou deux rayons vont en s’écartant. La divergence nucléaire est l’établissement de la réaction en chaîne dans un réacteur. Le passage d’un mot de la langue commune à une LSP se produit surtout à travers les tropes. Le mot prend alors un sens plus restreint. Ainsi le mot autonome a plusieurs significations mais en informatique, il signifie “matériel fonctionnant de façon indépendante“. Conseil : Procédé productif en LSP. Les termes sont souvent motivés. Les métaphores, qui prédominent par rapport aux autres tropes, introduisent parfois un élément ludique et sont de ce fait accueillies favorablement. Attention : L’emprunt de sens ou le calque sémantique est condamné par certains, bien que les linguistes nous assurent qu’il ne porte pas atteinte à la langue. Pour les tropes: utilisez la même métaphore ou cherchez une métaphore analogue. 8. CREATION EX NIHILO La création ex nihilo consiste en la combinaison libre d’unités phonétiques choisies de façon arbitraire. Toute combinaison de phonèmes est théoriquement susceptible d’acquérir une signification. Le terme babar, qui dénomme dans le vocabulaire de la technique nucléaire un moniteur, a été créé ainsi. Dans l’industrie certains noms de marques déposées ont été créés de cette façon. Une variante de ce type de formation est la création ludique. Le terme anglais cotarnine (ou cotarnin) est l’anagramme de narcotine (la cotarnine étant obterme par oxydation de la narcotine) ; l’acide contenu dans la noix de galle est connu sous le nom d’acide ellagique (adjectif ayant été formé sur la base de l’inversion). Une autre variante est celle des termes formés par onomatopée (le bang des avions à réaction, qui dénomme la percussion du mur du son, ou de l’emprunt anglais big bang, qui dénomme l’explosion qui donna lieu à l’univers connu). Conseil : Procédé rare en traduction. Importez directement les néologismes ainsi créés et ajoutez une explication, si nécessaire. 9. EPONYMIE L’éponymie est la création néologique qui consiste à dénommer un nouveau concept par un nom propre, un éponyme (le nom d’un inventeur, un toponyme, etc.) En chimie, un certain nombre d’éléments portent le nom de dieux classiques (plutonium, neptunium, uranium…) ou bien font référence à des personnes ou à des institutions connues (l’élément 99 est aussi connu sous le nom d’einsteinium, en souvenir d’Einstein, et l’élément 98 est appelé également californium en hommage à l’Université de Californie où en avait fait la découverte). L’éponyme est parfois utilisé pour remplacer une expression descriptive d’une longueur incommode. On dit plus facilement maladie de Pick-Herxheimer que pachydermie plicaturée avec pachypériostose de la face et des extrémités.  L’éponyme est parfois en concurrence synonymique avec un autre terme. Ainsi, l’espace de Kauth-Thotnas est aussi appelé espace indiciel, l’indice de Tucker est également connu sous le nom d’indice de végétation, etc. Les éponymes varient d’un pays à l’autre : les auteurs anglais appellent syndrome de Homer le syndrome Claude Bernard-Homer des Français, mais dénomment syndrome de Claude Bernard le syndrome d’excitation du même sympathique appelé en France syndrome de Pourfour du Petit. Les éponymes peuvent être polysémiques. Le terme syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale (l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraurie) soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce. Les noms propres sont parfois employés comme adjectifs. (agathonique, kafkaïen, cartésien…) ou pour dénommer les membres d’une école de pensée ou d’un mouvement politique (épicurien, kantien, gaulliste…). Ce type de création néologique est aussi appelé antonomase. Un nom propre peut également s’unir à un formant savant (ex. chlorobrightisme, nom formé à partir de l’éponyme Bright ou curiethérapie, formé à partir du nom propre Curie). Conseil : Ce n’est pas aux traducteurs d’inventer des éponymes. Demandez conseil aux spécialistes du domaine. Ils vous donneront, en l’absence d’un éponyme correspondant, un synonyme. Attention : Un même éponyme peut parfois désigner des notions différentes : syndrome d’Albright dénomme soit une tubulopathie congénitale, l’acidose tubulaire chronique idiopathique avec hypercalciurie et hypocitraturie, soit une dysplasie fibreuse des os avec pigmentation cutanée et puberté précoce. Même si l’éponyme semble identique dans deux langues, il peut correspondre à des concepts tout à fait différents. Quelques affixes et radicaux a-, an- : non, sans ab-, abs- : de, hors ad-: vers aéro-: air agro-, agri- : champ amb- : les deux anté- : avant anti- : contre apo- : loin de, à partir de haro- : poids bary- : lourd bathy- : profond bi-, bis: deux fois bio-: vie calci-, calcio: chaux calori- : chaleur centi- : cent circon-, circum- : autour de co-, con- : avec cryo- : froid, glace cyclo- : cercle déci-: dix di- : deux fois dia- : à travers dis-: éloigné dynamo- : force épi- : sur ex-: hors de exa-: six exo-, ex- : au dehors géo-: terre giga- : géant gonio- : angle gyro- : cercle hecto- : cent hém(at)o- : sang hepta- : sept holo- : entier homéo- : semblable homo- : le même hydro-: eau hygro- : humide hyper- : au-dessus hypo- : dessous hypso- : hauteur in-: dans infra- : au-dessous inter- : entre intra-: à l’intérieur isc-: égal kilo-: mille macro- : grand maxi-: maximum méga- : grand méro- : partie méta- : au-delà micro- : petit milli-: mille mini-: minimum mono-: seul moto- : moteur multi- : nombreux nano- : nain, petit octo-, octa-, oct- : huit ornni-: tout ortho- : droit pan-, panto- : tout para- : à côté de para- : protégeant penta- : cinq per- : à travers péri- : autour de, au dessus pétro- : pierre phono- : voix , son photo- : lumière pico- : un millième de milliardième de pluri- : plusieurs poly- : nombreux post- : après pro- : pour, en avant de proto-, prot- : premier pseudo- : menteur pyro-: feu quadri-, quadr- : quatre radio- : rayon rétro- : en arrière servo- : qui sert sidér-, sidéro- : fer stéréo- : compact, solide sub-: sous super- : sur, au-dessus supra- : au-dessus, au-delà syn-, sy-, sym- : avec techno- : art télé- : loin, à distance téra- : monstre tetra, tétr- : quatre thermo- : chaud topo-: lieu trans- : par-delà tri- : trois ultra- : au-delà uni-, un-: un -chrome : couleur -chrone : temps – cide: tuer -cole : cultiver -colore : couleur -culteur : cultivateur -ergie : travail -fère : qui porte -fuge : fuire -gène : produire -gone : angle, côté -gramme : écriture -graphie : écrire -ide(s) : apparence, forme -logie : discours, théorie -rnétr: mesure -morphe : forme -nôme: nom -nome: loi -ode : chemin -oïde : apparence, forme -onyme: nom -phile : ami, aimer -phobe : craindre -phone : voix, parler -scope : observer -sphère : sphère -stat : fixer -techn : art, savoir-faire -thèque : ranger statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : Réseau de néologie traductive – Centre de terminologie de Bruxelles (RINT) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP. Traduire plus en Wallonie… [...] Lire la suite…
BOUKHENAISSI, Djabril (né en 1993)BOUKHENAISSI, Djabril (né en 1993)
[LAREPUBLIQUEDELART.COM, 20 mars 2024] Encore peu connu il y a seulement quelques mois, le jeune peintre Djabril Boukhenaïssi, né en 1993, a fait une percée remarquée sur la scène artistique française : repéré chez Private Choice de Nadia Candet au moment de Paris+ et lors d’une exposition collective à la galerie Peter Kilchmann en septembre, il a été lauréat du premier Prix Art et Environnement décerné par la Fondation Lee Ufan et la maison Guerlain, qui lui a donné une résidence et lui permettra d’exposer à Arles cet été sur le thème de la nuit. En attendant, il montre ses mystérieux et évanescents tableaux à la galerie Sator, qui le représente désormais. Depuis l’enfance, Djabril Boukhenaïssi a toujours su qu’il voulait peindre et dessiner. C’est la raison pour laquelle, aussitôt après le Bac, il a naturellement intégré les Beaux-Arts de Paris, dans l’atelier de Djamel Tatah. Mais si l’enseignement lui convient, l’environnement ne lui permet pas de s’épanouir pleinement : “Aux Beaux-Arts, je ne trouvais pas d’interlocuteurs, explique-t-il, et je n’avais pas beaucoup d’affinités avec les autres étudiants que je considérais comme des petits bourgeois qui pensaient surtout à eux et étaient peu sensibles aux problématiques sociales. Aussi ai-je complété mes études artistiques avec de la philo. Initialement, je voulais m’inscrire en biologie, car malgré mon goût pour la peinture, j’ai fait des études scientifiques et je pensais pouvoir trouver dans ce milieu le dialogue auquel j’aspirais. Mais pour des raisons d’équivalence, il m’a été plus simple de faire de la philo, qui me passionnait tout autant. Aussi me suis-je inscrit à Paris VIII, une université axée sur le marxisme, dont je me sentais proche. Mais mon cursus a été rapidement interrompu par la Covid”. En deuxième année des Beaux-Arts, toutefois, il découvre une technique qui va prendre chez lui autant d’importance que le dessin ou la peinture : la gravure. C’est à l’occasion de l’exposition Fantastique ! L’estampe visionnaire qui se tient au Petit Palais qu’il a cette révélation. “J’ai été fasciné par toutes les possibilités qu’offrait la gravure, dit-il. Mais je n’ai pas cherché à la mêler à la peinture. Au contraire, ce qui m’intéressait était la spécificité de chaque médium. On a souvent utilisé la gravure pour des raisons commerciales, pour reproduire en plusieurs exemplaires une œuvre qui existait déjà. Or, pour moi, la gravure a une grammaire différente de la peinture, elle est souvent liée à la littérature et c’est la raison pour laquelle les premières gravures que j’ai faites ont un lien très fort avec la poésie romantique allemande que j’apprécie beaucoup.” La littérature a d’ailleurs une place importante dans le travail de Djabril Boukhenaïssi. Comme la musique, qu’il écoute beaucoup, ou les autres arts : “C’est Jean-François Chevrier, aux Beaux-Arts, qui m’a fait comprendre cela. C’était un prof formidable et il nous apprenait à ne pas cloisonner les arts, à voir comment tel auteur ou tel compositeur traite un lien en littérature ou en musique et à voir quel équivalent on peut trouver en peinture. D’ailleurs, sous sa direction, j’ai rédigé un mémoire autour d’À Rebours de Huysmans. Dans le premier manuscrit, il y a une phrase étonnante où le protagoniste substitue Degas par Moreau dans sa collection et je voulais comprendre pourquoi il n’était pas possible pour lui d’avoir un Degas à ce moment de son existence. C’était comme une enquête policière, mais sans doute étais-je influencé par le fait que je n’aimais pas Degas.” Dans sa peinture, le thème principal est la disparition, un terme avec lequel les gens de sa génération ont l’habitude de vivre. Les questions politiques viendront sans doute plus tard, lorsqu’il aura acquis suffisamment de maturité pour trouver le juste mode de représentation. Les images sont comme entre-deux : entre la réminiscence et l’oubli, le resurgissement et la perte, le sommeil et l’éveil. “Ce sont des souvenirs qui me reviennent et dont j’essaie de fixer les contours, dit-il, en sachant qu’ils n’ont plus de réalité et qu’ils risquent de s’évanouir définitivement. Pour cela, j’utilise une peinture très diluée, presque laiteuse, qui évoque cette disparition. Et j’y ajoute du pastel, un matériau que je trouvais plutôt kitch avant de comprendre qu’on pouvait l’utiliser autrement. En effet, je me suis rendu compte que sur la peinture à l’huile, en l’utilisant sur la tranche et non sur la pointe, cela donnait une profondeur à la toile, comme un glacis, mais poreux. Ce qui m’apportait beaucoup, car ma palette est assez restreinte, je suis assez timide avec les couleurs, plus à l’aise avec la composition. J’utilise beaucoup d’ocre et de jaune, ce qui vient sans doute du fait que pendant mes études, j’ai fait beaucoup de copies de maîtres anciens”. Mais tout cela est en train de changer, car pour l’exposition qu’il prépare pour la Fondation Lee Ufan d’Arles, cet été, sa palette s’élargit. “L’exposition a pour thème la disparition de la nuit, explique-t-il. Elle vient du fait qu’aujourd’hui, il y a un tiers de l’humanité qui ne voit pas la nuit, en partie à cause de la pollution. Bien sûr, à la campagne, comme dans le Perche, là où je vis, on peut encore voir la nuit. Mais dans les villes ou dans de nombreux autres endroits, cela n’est plus possible et l’éclairage nocturne n’est pas innocent : soit il incite à la surconsommation, soit il permet la surveillance. Et ne plus voir la nuit, ne plus pouvoir s’allonger sur l’herbe pour contempler les étoiles, par exemple, c’est perdre la notion de l’humilité, ne pas savoir ce qui est infiniment grand et infiniment petit, oublier l’humain. D’où ma volonté de travailler sur ce thème et pour le faire, j’ai choisi le violet qui sera au centre de toute cette nouvelle série de tableaux et qui symbolisera la nuit”. Pour l’heure, l’exposition qu’il présente à la galerie Sator s’intitule Phalène. Elle a pour source un week-end que l’artiste a passé avec quelques amis chez lui, à la campagne, et au cours duquel ils voulaient évoquer la question de la disparition à partir des Vagues, le roman de Virginia Woolf. Un soir, une phalène d’une taille inhabituelle a tapé sur une vitre et le lendemain, un de ses amis lui a dit que le roman aurait pu s’appeler “Phalène”, car il était très imprégné par une scène que la sœur de Virginia Woolf, Vanessa Bell, lui avait rapporté dans une lettre et au cours de laquelle un même évènement se serait produit. “J’ai donc décidé de construire toute l’exposition autour de cette anecdote et avec Vincent Sator, on a décidé de faire un accrochage qui raconte un peu cette histoire”. On y voit donc une très grande phalène qui tape dans une porte, une jeune femme allongée dans une chaise longue, sa fille de sept ans qui tient la phalène entre ses mains, des phalènes aux motifs différents. On y voit, ou plutôt on y devine, car les toiles de Djabril Bekhenaïssi ne donnent jamais d’informations précises. Elles suggèrent un temps qui est, ou qui aurait pu être, et qui est comme le souvenir, une bulle qui gonfle avant d’éclater. Patrick Scemama [CONNAISSANCEDESARTS.COM, 22 juillet 2024] “J’ai trente ans, j’appartiens à une génération qui a vécu toute son existence avec, en bruit de fond, le mot « disparition ». Déjà petit, on me parlait de la disparition des emplois, par exemple, de la disparition de la neige, de celle des espèces”. Ces mots sont ceux de  Boukhenaïssi, jeune plasticien diplômé des Beaux-arts de Paris (…). La sainte, l’ineffable, la mystérieuse nuit Une série étroitement liée au problème de la pollution lumineuse, de la disparition de l’environnement nocturne du fait de l’éclairage public omniprésent, et de ses conséquences et implications sur le vivant. Saviez-vous que la lumière électrique est la seconde cause de mortalité des insectes après les pesticides ? Que l’éclairage public n’a cessé de progresser de 1960 à aujourd’hui ? On dénombre, aujourd’hui, 11 millions de points lumineux, soit une augmentation de 89% depuis les années 1960. Grand lecteur, l’artiste puise d’abord son inspiration dans la littérature, dans des écrits de Novalis, éminent représentant du premier romantisme allemand. Dans ses Hymnes à la nuit notamment qui évoquent “la sainte, l’ineffable, la mystérieuse nuit” – et dans d’autres écrits, ceux de Rilke dont Le poème à la nuit et de Georges Didi Huberman. Il s’est imprégné aussi de ses déambulations nocturnes dans la ville d’Arles et aux Alyscamps. Disparition symbolique Les œuvres de son exposition À ténèbres – une expression ancienne qui signifie “à la nuit tombée” – constituée de peintures, de dessins et de gravures – des eaux-fortes et des aquatintes, rehaussées à la pointe sèche – évoquent toutes l’impact de la disparition de la nuit sur l’imaginaire. Une disparition métaphorique et symbolique. Il s’intéresse à la tension entre la disparition de notre environnement nocturne, des constellations notamment, et la disparition de la nuit comme objet allégorique. Que restera- t-il de nos rêves sous une voûte céleste privée d’étoiles ? Privée de ces étoiles, sources de beauté, d’émotion et de questionnement. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Que savons-nous ? La phalène symbole de la fragilité des existences Un motif, ou plutôt un lépidoptère, est omniprésent dans cette série d’œuvres : la phalène, ce papillon de nuit aux ailes décorées qui symbolise la fugacité et la fragilité de nos existences malmenées par notre fuite en avant “croissanciste” qui détruit le vivant. Attiré par la lumière des réverbères, ce papillon de nuit meurt souvent brûlé par les éclairages publics. Les espèces, qui vivent la nuit, plus nombreuses que celles qui vivent le jour, ont une vision adaptée à la vie nocturne. L’impact de la lumière sur la biodiversité est donc redoutable. Djabril Boukhenaïssi enduit ses toiles brutes de colle de peau de lapin, avant de réaliser ses peintures à l’huile qui sont appliquées en glacis. Il lui arrive aussi d’utiliser des pastels. Ses compositions, peuplées de phalènes, hésitent entre beige pâle et violets délavés, en laissant des parties des toiles non peintes. “J’ai cherché à décrire les nuits blêmes que sont les nuits baignées de lumières électriques”, explique-t-il. Ses œuvres puisent aussi chez Odilon Redon et chez Caspar David Friedrich. Il s’inspire notamment des strates de couleurs horizontales et superposées du Moine au bord de la mer du peintre romantique allemand. En témoigne ce pastel figurant une succession de couches horizontales bleu pâle, mauves et bleues foncé. Et cet autre pastel mangé par un ciel immense, embrasé de couleurs roses, jaunes et mauves, en suspension au-dessus d’une mer bleu pâle. Eric Tariant statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : Djabril Boukhenaïssi, Camélia (2020) © Galerie Sator ; © Amélie Blanc Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles… [...] Lire la suite…
DADO : 80ème anniversaire de la libération des camps de concentrationDADO : 80ème anniversaire de la libération des camps de concentration
À l’occasion du 80e anniversaire de la libération des camps de concentration, une question se pose avec acuité : que deviendra la transmission de cette mémoire lorsque les derniers témoins directs auront disparu ? La mémoire vivante des déportés est en train de nous filer entre les doigts, et ce lundi, ils ne seront plus que quelques-uns à prendre la parole à Birkenau. Ces derniers témoins ne manqueront pas de souligner la montée inquiétante de la haine et de l’antisémitisme à travers le monde, exprimant leurs craintes de voir l’Histoire se répéter. Mon étude sur les musiques et les musiciens des camps m’a permis de rencontrer quelques survivants de l’Holocauste et de collecter une matière qui, bien que n’étant qu’un infime grain de sable dans l’immense édifice du savoir concentrationnaire, m’a néanmoins offert la possibilité de faire preuve d’empathie — de “vibrer par sympathie“, comme dirait tout théoricien de la musique qui se respecte — avec ces témoins. Ce phénomène s’étend également à tous les écrits de ceux qui sont partis avant nous, à commencer par Primo Levi, Simon Laks, Eugen Kogon, Germaine Tillion et Léon Halkin. Ces récits possèdent un pouvoir de persuasion si profond qu’ils nous transforment, presque malgré nous, en dépositaires de ces événements et de ces témoignages. Bien sûr, aucun historien qui parle aujourd’hui de la Shoah n’a vécu dans sa chair l’immense douleur de la perte des siens dans une chambre à gaz, la peur d’un avenir incertain, les tourments infligés par le froid, la faim et la maladie, l’agression incessante des kapos et leur domination sadique, ni l’effroyable odeur persistante des corps réduits en cendres. Malgré ce savoir dont nous sommes dispensés, une conscience des faits s’installe en nous et nous aide à estimer la gravité de l’horreur, en même temps qu’elle nous permet de mesurer l’immense courage (et la formidable pulsion de vie) qui a maintenu debout ceux qui ont lutté, elle nous permet de sentir ces ressources insoupçonnées que certain(e)s hommes et femmes eurent au plus profond d’eux-mêmes, fussent-ils plongés dans les situations d’horreur les plus insoutenables. Le jour où les derniers survivants auront disparu, leur mémoire sera à jamais la nôtre si l’on accepte de dédier une partie de sa vie à cet indispensable travail de transmission que l’on nomme maladroitement le devoir de mémoire. À mon sens, il n’y a aucun devoir qui tienne. Les humains sont libres de ne pas transmettre, de ne pas écouter, d’ignorer les faits. La mémoire n’est pas un devoir qui s’impose – toute obligation ou contrainte ne ferait rien d’autre que trahir partiellement l’histoire – mais un droit que l’on s’octroie. Il s’agit même d’une vocation qui répond à ce que nous avons de plus profondément d’humain et d’éthique en nous. D’une certaine façon, ce droit à la mémoire est un sacerdoce qui nous transforme en gardien(ne) du Temple, en nous dotant d’une force de conviction telle qu’elle nous permettra un jour de prendre le relais de ceux qui ne seront plus. Cette appropriation de l’expérience d’autrui nous donne la capacité de convaincre (j’allais presque écrire convertir) les générations futures qui n’auront plus accès aux témoignages de première main. Il m’est arrivé de rencontrer dans certains camps (notamment à Auschwitz, Belzec ou à Mauthausen) de jeunes historiens incroyablement bien informés sur les crimes nazis et qui avaient digéré à la perfection les témoignages des anciens déportés. Ces passeurs étaient capables d’évoquer et d’assimiler dans les moindres détails les mécanismes psychologiques et le ressenti de ceux qui les avaient exprimés. Cette énergie de la transmission, si elle s’effectue à partir de sources d’une extrême qualité (je pense par exemple aux témoignages filmés par l’ULB dans les années 90, qui constituent souvent entre deux et quatre heures de récits individuels, ou encore les films de Claude Lanzmann), pourra entretenir la flamme du souvenir, intacte, et être à l’origine de récits capables de se transmettre de génération en génération. Lorsque les derniers déportés auront disparu, le patrimoine qu’ils auront légué sera si considérable qu’il paraîtra impossible d’effacer la puissance de leur expérience individuelle, tout comme il semblera impensable d’oublier la nature abjecte des crimes nazis. Stéphane DADO statut : validé | mode d’édition : partage, iconographie | source : wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Stéphane Dado | crédits illustrations : © CCLJ. Plus de parole en Wallonie-Bruxelles… [...] Lire la suite…
UPANO, cité oubliée d’AmazonieUPANO, cité oubliée d’Amazonie
[WEBZINE.VOYAGE, 2024] La forêt amazonienne, souvent vue comme un sanctuaire de biodiversité, cache sous son manteau vert un secret historique de taille : une vaste cité perdue en Amazonie, sur les rives de l’Upano, datant de 2500 ans. Cette découverte dans le piémont andain, révélée par une équipe de chercheurs dirigée par l’archéologue Stephen Rostain, ouvre un nouveau chapitre fascinant dans l’histoire précolombienne de l’Amazonie. Elle offre également un aperçu fascinant de la complexité et de la sophistication des sociétés qui y ont prospéré. A partir de recherches démarrées en 1996, un gigantesque réseau urbain avec jardins, d’une population comparable à la ville de Londres à l’époque romaine, a été mis à jour grâce au système de télédétection LIDAR. Découverte et LIDAR La révélation géographique de cette cité perdue est le fruit de l’application du LIDAR (Light Detection and Ranging, détection et estimation de la distance par laser en français). C’est une technologie de télédétection par laser qui permet de scanner et de cartographier des surfaces à travers des obstacles visuels tels que la dense forêt de l’Amazonie. Cette méthode, particulièrement innovante dans le domaine de l’archéologie, a permis aux chercheurs de scruter au-delà de la végétation et d’obtenir une image détaillée du sol forestier, révélant ainsi les contours cachés d’une civilisation disparue. Les données obtenues grâce au LIDAR ont dévoilé une complexité architecturale et urbaine inattendue, démontrant que les terres que nous considérions comme sauvages étaient en réalité le siège d’une activité humaine intense et structurée. En superposant ces nouvelles informations avec les découvertes archéologiques existantes, les chercheurs ont pu reconstituer une étendue impressionnante de 300 km², révélant une image inédite de la cité perdue de l’Upano et du site de Kunguints. Cette reconstitution numérique a permis de visualiser non seulement les structures individuelles, mais aussi leur agencement au sein d’un réseau urbain structuré avec de nombreux jardins. Ce travail minutieux d’analyse a ouvert la voie à de nouvelles hypothèses sur la vie, la culture et l’organisation de cette société ancienne, jetant un regard inédit sur une période de l’histoire humaine jusqu’alors enveloppée de mystère. L’étude détaillée des données récoltées a révélé un plan urbain étonnamment sophistiqué. Les chercheurs ont identifié des routes et des structures organisées selon un schéma qui rappelle celui de grandes métropoles modernes. Cette découverte suggère une société précolombienne organisée avec des compétences en construction et une compréhension approfondie de l’urbanisme. Les routes, tracées de manière parallèle et perpendiculaire, évoquent les artères d’une ville planifiée, loin de l’image traditionnelle d’une société amazonienne primitive. Ces voies de communication formaient une véritable toile d’araignée, reliant différentes parties de la cité antique et facilitant ainsi le déplacement et l’échange entre ses habitants. Au cœur de cette organisation urbaine se trouvaient des places carrées, des plateformes et de grands monticules. Ces places, souvent entourées de plateformes périphériques, formaient le centre de la vie communautaire. Certaines supportent des structures résidentielles, tandis que d’autres avaient probablement des fonctions cérémonielles. Les chemins partant de ces plateformes menaient vers d’autres zones de la cité ou descendaient vers les rivières, indiquant une interaction étroite entre les différentes parties de l’urbanisme et l’environnement naturel. Quant aux grands monticules, qui peuvent atteindre jusqu’à dix mètres de hauteur, ils sont vraisemblablement des sites de cérémonies ou des points de repère importants dans le paysage urbain. Une caractéristique remarquable de cette civilisation révélée par les données LIDAR est le concept de cités-jardins. Les espaces interstitiels entre les quelque 6000 plateformes en terres identifiées étaient utilisés pour l’agriculture, avec des systèmes de drainage ingénieux rappelant des rigoles. Cette harmonie entre urbanisme et agriculture dénote une compréhension avancée de l’écologie et une capacité à modeler l’environnement selon les besoins humains. Ces jardins, en plus de fournir de la nourriture, jouent probablement un rôle important dans les aspects sociaux et religieux de la société. La complexité des structures et de l’agencement urbain implique l’existence d’une organisation sociale bien établie. La nécessité de terrassiers pour la construction, d’ingénieurs pour la planification des routes, et de paysans pour l’agriculture suggère une répartition des rôles et des spécialisations professionnelles. Cette structuration sociétale indique également la présence d’une autorité centrale, peut-être sous la forme de prêtres ou de dirigeants, orchestrant et supervisant ces vastes projets. Les chercheurs restent prudents dans leurs interprétations mettent en évident une société complexe avec des hiérarchies et des fonctions diverses. Une nouvelle histoire de l’Amazonie La découverte de cette cité perdue change fondamentalement notre perception de l’Amazonie. A contre-courant de l’image d’une terre vierge, seulement peuplée de chasseurs-cueilleurs, l’Amazonie se dévoile comme le berceau d’une civilisation avancée, avec des agglomérations sophistiquées et une interaction prospère avec l’environnement. Cette révélation souligne également la diversité ethnique et humaine de l’Amazonie, une région qui a abrité des sociétés complexes, bien loin de l’image stéréotypée souvent véhiculée. La proximité des sociétés urbaines avec des groupes de chasseurs-cueilleurs met en lumière un panorama social et culturel diversifié en Amazonie précolombienne. Cette coexistence indique une région où différentes formes de sociétés et de cultures se côtoient et interagissent, remettant aussi en question l’idée d’une évolution linéaire et uniforme des sociétés humaines. Les mystères d’une civilisation disparue La disparition de cette civilisation soulève des questions captivantes. Parmi les théories de l’effondrement, la possible méga-éruption du volcan Sangay comme cause potentielle, bien que les analyses récentes indiquent une variété de dates pour les couches de cendres trouvées, affaiblissant cette hypothèse. Une autre explication possible est l’effondrement interne de la société, à l’image de ce qui est arrivé à des civilisations comme Rome ou l’Égypte. Cette piste soulève des interrogations sur la durabilité des sociétés urbaines en fonction de leur impact sur l’environnement. Cette découverte marque seulement le début d’une vaste entreprise de recherche. L’ampleur des structures et l’importance des données montrent que de nombreuses découvertes restent à faire. Stephen Rostain lui-même admet que la portée du phénomène a dépassé ses attentes initiales, ouvrant la voie à une exploration prolongée de cette civilisation et à une meilleure compréhension de son impact historique et culturel. Plusieurs questions restent sans réponse : Quelles étaient les causes précises de l’effondrement de cette cité perdue ? Quel était le niveau exact de leur technologie et de leur connaissance ? Comment ont-ils influencé ou été influencés par d’autres civilisations contemporaines ? La révélation de cette mégalopole antique sous la canopée amazonienne n’est pas seulement une prouesse archéologique; elle représente une fenêtre ouverte sur un passé oublié, offrant un nouveau récit sur les civilisations précolombiennes. Ce voyage dans le temps nous confronte à la réalité d’une Amazonie complexe, peuplée de sociétés avancées et ingénieuses, loin des clichés habituels. Cette histoire éclaire d’un jour nouveau la relation entre l’homme et son environnement, et nous rappelle l’importance de préserver ce patrimoine historique et culturel inestimable. [LEJOURNAL.CNRS.FR, 18 janvier 2024] D’impressionnants complexes urbains en damier ont été dévoilés dans la vallée, en Équateur. Taille, organisation, âge, longévité, localisation… ces sites bouleversent toute l’archéologie sud-américaine. Explications avec Stéphen Rostain qui a dirigé ces travaux. Vous venez de publier une découverte importante sur les sociétés qui peuplaient l’Amazonie il y a quelque 2 500 ans. Comment s’inscrit-elle dans notre compréhension du monde précolombien ?  Stéphen Rostain Cela fait bientôt quarante ans que je travaille sur l’archéologie amazonienne. À l’époque, les archéologues se précipitaient comme des lucioles sur les pyramides mayas et les temples incas, mais peu s’intéressaient à l’Amazonie. Beaucoup pensaient que, sur deux mille ans et plus, la région n’avait été peuplée que par des tribus similaires à celles d’aujourd’hui. Hormis la poterie, on n’a longtemps pas su repérer leurs vestiges et traces camouflés par la forêt. J’ai rencontré de la résistance à mes débuts en Guyane, car cette opinion dépréciative sur les premiers peuples de la forêt était répandue. J’y ai malgré tout effectué des repérages aériens et découvert dans les savanes inondables côtières des milliers de buttes utilisées pour la culture, notamment du maïs. L’archéologie du paysage semblait donc dévoiler une autre facette du passé humain de la région. Vous vous êtes intéressé à un site en particulier, la vallée d’Upano, en Équateur. Pourquoi ? S. R. La vallée d’Upano se situe dans la région amazonienne du piémont andin. Elle est insérée entre deux cordillères et mesure une centaine de kilomètres de long sur une vingtaine de large. Elle est surplombée par le volcan Sangay, en état constant d’éruption depuis des décennies et dont les rejets rendent la région particulièrement fertile. Les agriculteurs locaux m’ont dit qu’ils obtenaient trois récoltes de maïs par an, c’est énorme ! Sur des sites aussi étendus qu’une vallée entière, on manquerait trop d’informations si l’on creusait à la truelle, par sondage limité à la superficie d’une cabine téléphonique. J’ai donc préféré le décapage de grandes surfaces, une approche qui a depuis fait école en Amérique du Sud. Nous avons identifié et fouillé des plateformes en terre qui servaient à isoler des bâtiments du sol humide, ainsi que des places, des chemins et des routes. La première occupation de la vallée commence environ en 500 avant notre ère pour durer jusqu’en 400-600 de notre ère. La première occupation de la vallée commence environ en 500 avant notre ère pour durer jusqu’en 400-600 de notre ère. Si ces fouilles dans plusieurs sites ont fourni de nombreuses informations originales, il manquait encore une vision globale de la vallée. En 2015, une compagnie privée russe a été contractée par le service du Patrimoine équatorien pour réaliser une imagerie Lidar aérienne de l’Upano. Cette technologie fonctionne comme un sonar, sauf que le signal n’est pas sonore, mais lumineux. Le faisceau laser est tellement fin qu’il traverse la canopée jusqu’au sol, qu’il déshabille de sa couverture végétale. Le tout est ensuite reconstruit par des modèles informatiques. Nous avons alors pu comprendre la structure du terrain et repérer avec une grande précision les modifications qu’il a subies. Qu’avez-vous appris grâce à ces relevés auxquels vous avez eu accès en 2021 ? S . R. Qu’il n’y avait pas seulement des centaines de plateformes artificielles dans la vallée d’Upano, mais des milliers. Avec des mesures prises sur 600 kilomètres carrés, nous avons aussi obtenu un plan global des transformations anthropiques. La vallée d’Upano a abrité de véritables cités, densément peuplées et conçues en damier en pleine forêt tropicale. Leur réseau est incroyablement complexe, avec des rues, des chemins vers les rivières, des routes primaires et secondaires… Les grands axes sont parfaitement rectilignes, faisant jusqu’à treize mètres de large, et traversent la vallée en faisant fi de son relief naturel. Ils coupent aussi bien des ravins que des élévations. Un tel réseau réclame une véritable planification, ce qui montre que les différentes implantations de la vallée sont contemporaines. La vallée d’Upano a abrité de véritables cités, densément peuplées et conçues en damier en pleine forêt tropicale. Leur réseau est incroyablement complexe… L’insistance à passer outre tous les obstacles, alors qu’il serait souvent plus simple de les contourner, suggère fortement que ces routes avaient une fonction symbolique. Elles peuvent avoir été un moyen d’imprimer dans le sol les relations entre voisins, et servir à des processions et des visites ritualisées, comme on peut encore le voir dans les villages annulaires du haut Xingu en Amazonie brésilienne. Certaines plateformes sont encore plus hautes, jusqu’à dix mètres. Ici, pas de soubassements d’habitations, mais on suppose que ces espaces étaient plutôt consacrés à des cérémonies collectives. De tels systèmes urbains ont été découverts chez les Mayas du Guatemala ou à Teotihuacan, au Mexique. La grande différence est qu’il n’y a pas de constructions en pierre dans l’Upano. En plus, il n’y a aucun site semblable en Amazonie précolombienne, y compris au Brésil. Comment est-ce que les gens vivaient dans cette vallée ? S . R. Nous sommes encore en train d’estimer la population de la vallée, mais nous savons qu’elle a dû rapidement épuiser les ressources naturelles. L’analyse de ces données Lidar menée par Antoine Dorison, postdoctorant du laboratoire Archam, a conduit à la découverte d’un système de drains en damier qui évacuent l’eau, dont le sol est gorgé, afin de cultiver les espaces entre les complexes de plateformes. Cette technique était encore employée dans les années 1970 par les Karibs du bas Orénoque au Venezuela. Des terrasses agricoles ont également été bâties sur le piémont des cordillères alentour. Le Lidar nous a beaucoup aidés, mais il ne remplace pas les fouilles classiques. Nous avons ainsi retrouvé dans le sol enterré au niveau des maisons des restes de végétaux et des graines brûlées de diverses plantes consommées : manioc, patate douce, fruits, haricots et, surtout, du maïs. Ce dernier était broyé avec des meules en pierre pour obtenir une pâte, ensuite utilisée pour produire de la chicha. Cette bière épaisse et douce est si nourrissante qu’elle peut servir de repas. On en a dépisté des traces dans d’énormes jarres, montrant que la chicha était consommée en grande quantité. Nous avons également identifié des graines de plantes médicinales. Qu’est devenu le peuple qui habitait la vallée ? S . R. Leur culture disparaît brusquement après un millénaire, autour de 400-600, sachant qu’il n’y avait alors pas d’écriture dans la région. Des Aénts Chicham – dénomination préférée par les peuples connus par le public sous le nom de Jivaros – se sont installés plus tard dans la vallée et y vivent toujours. L’aire a d’ailleurs été très peu visitée jusqu’au milieu du XXe siècle, notamment à cause de la réputation guerrière de ces tribus. J’ai une hypothèse, hélas non confirmée, sur cette disparition. Les fouilles ont montré, au-dessus des derniers niveaux d’habitation, plusieurs couches noires qui évoquent des éruptions volcaniques. Mais, les datations ne correspondent à aucun évènement suffisamment catastrophique pour faire fuir tout le monde. C’est peut-être une série d’éruptions plus petites, mais plus nombreuses, qui a fini par décourager les habitants, ou alors une crise climatique. Ils auraient alors pu partir vers le sud, au Pérou, où l’on retrouve des céramiques similaires à celles d’Upano. Seule une société spécialisée et stratifiée a pu construire un réseau aussi vaste et complexe que dans la vallée d’Upano. Or, on sait que les sociétés urbanisées et hiérarchisées sont moins résilientes aux aléas climatiques. Peut-être que cette civilisation a tout simplement implosé au profit d’un retour à une organisation tribale et forestière. Nous n’avons pas d’explication ferme à proposer pour le moment. Mais, la recherche se poursuit… Martin Koppe statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article © Stephen Rostain ; webzine.voyage Plus de presse en Wallonie et à Bruxelles… [...] Lire la suite…
TOLKIEN : La lettre qui révèle sa haine pour l’idéologie nazie (1938)TOLKIEN : La lettre qui révèle sa haine pour l’idéologie nazie (1938)
[FR.ALETEIA.ORG, 9 mai 2014] Une lettre à son éditeur révèle que le chantre de la mythologie nordique, J.R.R. Tolkien éprouvait le plus profond mépris pour le national-socialisme et son idéologie raciste et antisémite. Tolkien éprouvait un profond mépris pour l’idéologie nazie, pour son idéologie raciste et antisémite, lui reprochant également d’avoir manipulé et perverti l’esprit et la mythologie nordique à l’étude de laquelle il a consacré une grande partie de sa vie. C’est ce que révèle la lettre qu’il voulait envoyer à un éditeur allemand qui lui demandait, comme condition pour publier Le Hobbit en allemand, s’il était “arish” (aryen) d’origine. Peu d’auteurs du XXe siècle ont contribué, comme Tolkien, à la diffusion de la culture et de la mythologie nordique. Pour autant, Tolkien n’éprouvait aucune sympathie pour l’idéologie nazie qui a essayé de se construire sur ce patrimoine. On en veut pour preuve la lettre qu’il voulait envoyer à l’éditeur allemand intéressé de publier Le Hobbit : celui-ci, lui ayant demandé, comme condition pour la publication, s’il était d’origine aryenne, Tolkien répondit que si ces critères racistes devaient devenir la règle, il cesserait d’être fier d’avoir un nom allemand. En 1938, la maison d’édition allemande Rütten & Loening négocie la publication d’une édition allemande de Le Hobbit avec Allen & Unwin. Avant de la publier, ils écrivent à Tolkien, pour lui demander s’il est d’origine aryenne. Outré, Tolkien écrit à son éditeur et ami Stanley Unwin, dans une note, sa souffrance de recevoir une telle lettre : “Souffrirai-je cette impertinence de par la possession d’un nom allemand, ou bien leurs lois démentes requièrent-elles un certificat d’origine ‘arish’ de toutes les personnes de tous les pays ?” Il poursuit : “Personnellement, je devrais être enclin à refuser de fournir une quelconque déclaration et laisser en plan toute traduction allemande. Dans tous les cas, je devrais fortement m’opposer à ce qu´une telle déclaration soit imprimée… J’ai beaucoup d’amis juifs, et devrais regretter de donner le moindre soupçon à l’idée que je puisse souscrire à une théorie des races aussi totalement pernicieuse et non scientifique.” Mais, comme l’éditeur aussi était impliqué personnellement, Tolkien lui joignit deux ébauches de réponses possibles : l’une éludant la question, et l’autre entrant dans le vif du sujet et montrant tant son amour de l’Allemagne que son mépris pour les nazis. Aryen ? Ni indien, ni perse, ni gypsy On ne sait pas laquelle des deux lettres reçurent les Allemands, mais le contenu de la seconde, la seule conservée jusqu’à aujourd’hui, est suffisamment clair : “Je regrette de ne pas comprendre ce que vous entendez par ‘arisch’. Je ne suis pas d’origine aryenne, c’est-à-dire indo-iranienne ; à ma connaissance, aucun de mes ancêtres ne parlait flindustani, persan, gypsy, ou autre dialecte apparenté. Mais si je dois comprendre que vous cherchez à savoir si je suis d’origine juive, je puis seulement répondre que je déplore de ne pouvoir apparemment compter parmi mes ancêtres personne de ce peuple si doué.” “Mon arrière-arrière-grand-mère quitta d’Allemagne pour l’Angleterre au XVIIIe siècle. La majeure partie de mon ascendance est donc purement anglaise, et je suis sujet anglais – ce qui devrait vous suffire. J’ai toutefois été habitué à considérer mon nom allemand avec fierté, même tout au long de la période de la dernière et regrettable guerre, au cours de laquelle j’ai servi dans l’armée anglaise.” Les nazis ont perverti “ce noble esprit nordique” “Je ne puis cependant m’empêcher d’ajouter que si des requêtes de cette sorte, impertinentes et déplacées, doivent devenir la règle en matière de littérature, alors le temps n’est plus si loin où un nom allemand cessera d’être une source de fierté.” Curieusement, le mépris de Tolkien pour le nazisme n’avait rien à voir avec l’opinion des nazis sur l’auteur anglais. Ses recherches sur les langues et la mythologie nordique, que le national-socialisme voulait utiliser dans le contexte de sa nouvelle société, lui ont valu d’être très apprécié. D’où l’intérêt de l’éditeur de publier, rapidement, Le Hobbit. Cela attristait tout particulièrement Tolkien, qui voyait une des questions qui l’avait le plus intéressé dans sa vie devenir un instrument de propagande. Trois ans plus tard, dans une lettre à son fils Michael écrite en 1941, il exprime ouvertement son ressentiment à l’égard d’Hitler, “ce petit ignorant rougeaud ruinant, pervertissant, détournant et rendant à jamais maudit ce noble esprit nordique, contribution suprême à l’Europe, que j’ai toujours aimée et essayé de présenter sous son vrai jour.” María Martínez López, Aleteia statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : fr.aleteia.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DP. Plus de littérature en Wallonie… [...] Lire la suite…
FRAZIER : Guide de la sécurité en ligne pour les femmes en 2025FRAZIER : Guide de la sécurité en ligne pour les femmes en 2025
[d’après FR.WIZCASE.COM, 23 mai 2024] Les femmes et les filles sont à la fois les cibles et les boucs émissaires du harcèlement en ligne : nous sommes choisies et puis blâmées, comme si nous demandions à être harcelées. Le cycle a toujours été vicieux et sans fin, mais nous en avons assez. Il est temps pour nous de prendre le contrôle et de mettre fin aux attaques contre les femmes en ligne. En ligne, les femmes sont soumises au harcèlement, à la violence, à l’oppression et à des situations généralement inconfortables auxquelles peu d’hommes (voire aucun) sont confrontés. L’Intelligence Unit de The Economist a mené une étude et découvert que 85 % des femmes dans le monde ont été témoins de violences en ligne contre d’autres femmes. Uniquement dans l’UE, 10 % des femmes signalent avoir été victime de cyberharcèlement depuis l’âge de 15 ans. Les effets du cyberharcèlement peuvent être écrasants et avoir de vraies conséquences, telles qu’une faible estime de soi, l’insomnie, la dépression et les pensées suicidaires. Heureusement, la prise de conscience toujours croissante de la cyberviolence à l’égard des femmes a donné naissance à des outils et stratégies utiles pour prévenir et lutter contre le harcèlement en ligne. Vous avez le droit de vous sentir en sécurité dans votre peau et de participer au monde pleinement. Avec ce guide de la sécurité en ligne, vous disposerez des outils dont vous avez besoin pour réduire, prévenir et gérer les nombreuses formes de harcèlement en ligne. Comment vous protéger du harcèlement sur les réseaux sociaux Les utilisatrices les plus fréquentes des réseaux sociaux dans le monde sont les filles de 15 ans et, malheureusement, c’est aussi l’âge auquel la plupart des filles signalent subir leur première expérience de harcèlement en ligne. Alors que les jeunes filles apprennent généralement de meilleures stratégies pour gérer le harcèlement en ligne à mesure qu’elles grandissent et continuent à utiliser les réseaux sociaux, 42 % des femmes réagissent au harcèlement en l’ignorant. Le harcèlement sur les réseaux sociaux ne se limite pas aux seules femmes, mais il est indéniable que le harcèlement sur les réseaux sociaux est bien pire pour les femmes que pour les hommes. Les femmes doivent faire face à des commentaires répugnants sur leur corps, à des photos sexuelles non sollicitées, à des menaces de mort, à des menaces de viol, et pire encore. Et les études montrent que les femmes trans courent encore plus de risques d’être victimes de violence en ligne et hors ligne. La transphobie et le harcèlement en ligne envers les femmes trans mettent souvent en œuvre des erreurs de genre intentionnelles, du deadnaming  et des insultes transphobes, qui ont toutes des conséquences néfastes sur la santé mentale et l’estime de soi des femmes trans. Mais il y a bel et bien une lumière au bout du tunnel. Partout dans le monde, les femmes s’empouvoirent grâce aux réseaux sociaux pour attirer l’attention sur ces problèmes et bien plus encore, principalement via le mouvement #metoo. En plus d’attirer l’attention sur la violence et les maltraitances subies par les femmes, le mouvement sensibilise le monde aux problèmes systémiques plus vastes auxquels les femmes sont confrontées. Nous avons le droit absolu de nous sentir en sécurité en personne et nous méritons de nous sentir en sécurité en ligne. Pour vous protéger du harcèlement sur les réseaux sociaux, vous ne devez pas pour autant supprimer vos comptes et perdre le contact avec votre réseau. Il y a en fait beaucoup de choses que vous pouvez faire pour vous protéger, tout en continuant à participer. Certains sites et applications proposent des options spécifiques à la plateforme, mais il existe des astuces et conseils généraux qui s’appliquent partout. Pour rendre les choses faciles, j’ai choisi de vous indiquer à la fois ce que vous pouvez faire en général, et les fonctionnalités spécifiques à plusieurs plateformes pour vous protéger. Conseils pour utiliser les réseaux sociaux 1. Bloquer et signaler – Si quelqu’un vous dérange ou dérange quelqu’un d’autre, bloquez-le et signalez-le à la plateforme. La première chose que vous devez faire lorsque quelqu’un commence à vous harceler, ou que vous voyez quelqu’un se faire harceler, est de le bloquer et de le signaler. Ce n’est pas un idéal, car nous savons, grâce aux controverses passées, qu’un harcèlement manifeste est parfois ignoré et que les gens peuvent créer de nouveaux comptes après les avoir bloqués. Mais au moins de cette façon, la personne ne pourra plus vous contacter. 2. Rendre vos paramètres privés – Empêchez les utilisateurs indésirables de vous identifier, de vous envoyer des messages ou de vous trouver. Presque toutes les applications et tous les sites Web vous offrent la possibilité d’empêcher les autres de vous identifier, de gérer qui peut vous envoyer des messages directs, et de contrôler votre visibilité. Vous souhaiterez peut-être laisser votre profil public sur certains sites et le rendre entièrement privé sur d’autres, mais je vous recommande fortement de choisir au moins les options qui ne permettent pas à des inconnus de vous envoyer un message privé. J’ai fait cela et ma boîte de réception est devenue un endroit beaucoup plus zen. 3. Supprimez l’accès à votre emplacement – Gardez votre emplacement exact à l’abri des regards du public. Ce n’est presque jamais une bonne idée d’indiquer votre emplacement exact sur les réseaux sociaux. Cela peut vous rendre plus vulnérable face au harcèlement et rend vos profils beaucoup plus faciles à trouver pour les indésirables. Si vous souhaitez partager votre emplacement, faites-le lorsque vous n’y êtes plus, ou choisissez une zone plus large. Par exemple, choisissez la ville dans laquelle vous vous trouvez, et non le quartier. 4. Gérez vos contacts – Assurez-vous de connaître la personne avant d’accepter un ami ou de suivre une demande. Soyez attentive face aux demandes d’amis que vous acceptez. Si leur nom et leur photo de profil ne vous disent rien et que vous n’avez pas d’ami(e)s commun(e)s, ce n’est probablement pas une bonne idée d’accepter. Ces personnes peuvent être des escrocs, des robots ou, pire encore, un compte finsta (faux Instagram). Les Finstas deviennent un moyen populaire de cacher ce que vous faites aux autres et de traquer les personnes qui les ont bloqués. Si vous acceptez des demandes de personnes que vous ne connaissez pas ou de comptes professionnels, veillez à ne pas partager trop de données personnelles. Twitter Amnesty International a longtemps critiqué Twitter (ou X) pour ses réponses laxistes à la violence et au harcèlement envers les femmes. Malgré quelques progrès mineurs au cours des dernières années, le fait est que l’entreprise n’en fait pas assez pour protéger les femmes, en particulier les femmes appartenant à certains groupes ethniques ou minoritaires. Par exemple, l’actrice Leslie Jones s’est sentie obligée de quitter Twitter après la sortie du nouveau Ghostbusters en 2016. En tant que seule actrice de couleur dans le film, elle a été visée plus par rapport au reste des femmes. Elle a reçu tellement de commentaires et de menaces racistes qu’elle a estimé qu’elle n’avait d’autre choix que de quitter la plateforme, car Twitter n’en faisait pas assez pour mettre fin au harcèlement. Cela peut sembler extrême, mais ce n’est qu’un autre jour dans la vie d’une femme qui s’exprime (ou même existe simplement) sur Twitter. Même les femmes moins célèbres, voire pas du tout, doivent subir des flots constants d’insultes et de menaces. Toutefois, même si l’histoire de Twitter est glauque, il existe plusieurs façons de vous protéger sur le réseau. Protégez vos tweets – Choisissez qui peut consulter vos tweets. Le plus souvent, les femmes sont harcelées en ligne par des inconnus ou par des comptes anonymes sur Internet. La meilleure façon d’éviter toute attention indésirable de la part d’étrangers est de « protéger » vos Tweets. Cela signifie que seuls vos abonnés peuvent voir ce que vous tweetez et les informations complètes de votre profil. Cela signifie également que vous devez approuver chaque nouveau follower. Si vous préférez ne pas protéger vos Tweets, vous pouvez également restreindre les personnes qui peuvent vous répondre. Vous pouvez choisir d’autoriser n’importe qui à vous répondre, uniquement les personnes que vous suivez, ou uniquement les personnes que vous mentionnez. Cela peut être particulièrement utile si vous tweetez sur un sujet controversé. Créez 2 profils – Ayez un compte personnel privé et un profil professionnel public. En tant que femmes, nous comprenons que le harcèlement au travail est bien réel et bien sérieux. Malheureusement, cela peut également s’étendre aux comptes Twitter liés à votre job. Si vous devez conserver un compte Twitter pour votre vie professionnelle, je vous suggère fortement de créer des comptes distincts. De cette façon, vous pouvez limiter qui a accès à vos données personnelles, tout en attirant des abonnés et en développant votre réseau. Facebook et Instagram Il est facile de se sentir assez à l’aise et partager des données personnelles sur Facebook, car c’est pour cela que le réseau a été conçu. Malheureusement, il n’y a aucun moyen de vraiment vérifier qu’une personne avec qui vous êtes ami(e) sur Facebook est bien celle qu’elle prétend être. Vous ne savez jamais donc vraiment qui a accès à ce que vous publiez sur la plateforme. Les femmes courent un risque plus élevé d’être harcelées en raison de la nature d’Instagram. Le plaisir de voir des gens aimer vos photos et la possibilité de monétiser votre compte rendent attrayants la création d’un compte public et l’ajout d’autant de followers que possible. Mais cela vous expose également au harcèlement de la part d’inconnus. Pire encore, comme les Leaks 2021 de la société Facebook (maintenant appelée Meta) l’a montré, Meta est peu réactif en matière de suppression des contenus préjudiciables et est pleinement conscient des dommages que ses plateformes peuvent causer. C’est pourquoi, en tant que femme, il est essentiel que vous soyez attentive à ce que vous partagez et à qui peut voir votre contenu. Voici quelques façons de reprendre le contrôle de vos comptes Facebook et Instagram. Limiter le partage – Décidez si et qui peut partager vos publications avec d’autres personnes en dehors de votre liste d’amis. La meilleure façon d’éviter les commentaires indésirables d’inconnus sur Facebook et Instagram est de faire en sorte qu’ils ne puissent simplement pas voir vos publications. Vous pouvez définir votre profil comme privé et désactiver le partage afin que vos ami(e)s ne puissent pas partager vos publications avec leurs ami(e)s. Ce n’est pas un moyen infaillible de vous assurer que les personnes indésirables ne voient pas vos publications, mais cela réduit la probabilité. Choisissez votre public – Choisissez qui peut voir vos publications et qui ne le peut pas. Facebook et Instagram vous permettent de contrôler qui peut voir vos publications : ami(e)s, ami(e)s d’ami(e)s (uniquement sur Facebook), vous seule ou tout le monde. Vous pouvez créer un public par défaut pour chaque partie de votre profil et modifier le public pour vos publications individuelles si vous préférez. Les deux réseaux proposent des vidéos et des photos qui disparaissent, que vous pouvez partager dans votre Story et qui ont les mêmes contrôles de confidentialité que votre page principale. Vous pouvez créer des listes d’ami(e)s proches, ou partager avec tous vos ami(e)s et abonné(e)s. Mais n’oubliez pas que même si elles disparaissent après 24 heures, les utilisateurs peuvent toujours faire une capture d’écran ou prendre une photo avec un autre appareil, afin que vous ne receviez pas de notification de capture d’écran. C’est tout à fait normal de vouloir un profil public sur Facebook et Instagram. C’est fun de partager vos opinions avec le monde entier ! Si vous choisissez cette option, je vous recommande de créer un profil ouvert au public, et un autre privé et réservé aux personnes que vous connaissez. TikTok TikTok est devenu une plateforme sociale fun et sympa pour réaliser ou regarder des vidéos créatives. Malheureusement, tout comme les sites de réseaux sociaux plus anciens, TikTok est également un site sur lequel les femmes sont souvent victimes de harcèlement, de cyberintimidation et ciblées par des contenus inappropriés. La bonne nouvelle est que TikTok offre un contrôle très précis sur qui peut voir ce que vous publiez, qui peut commenter, qui peut vous taguer et bien plus encore. L’un des plus grands atouts de TikTok, et l’une des choses qui le rendent si dangereux, est son algorithme de pointe. Lorsque vous avez un profil ouvert, vos vidéos sont présentées à des personnes aléatoires en fonction de votre emplacement, du contenu de la vidéo et de vos abonnés. Contrairement à d’autres sites et applications, il n’existe aucun moyen de désactiver complètement l’accès de TikTok à votre emplacement. Vous pouvez désactiver les services de localisation, mais l’application indique “Si vous désactivez les services de localisation, TikTok continuera à estimer votre position en fonction des informations de votre système/opérateur et de votre adresse IP.” Même lorsque j’utilise un VPN, TikTok me montre toujours du contenu clairement basé sur le pays dans lequel je me trouve. L’une des choses les plus intéressantes avec TikTok, ce sont ses outils de collaboration vidéo. Ainsi, lorsque vous cherchez à protéger votre vie privée sur TikTok, la première chose que vous devez décider est la manière dont vous souhaitez interagir avec les autres utilisateurs. Si un harceleur fait un Duo ou un Collage de votre vidéo, cette vidéo devient son contenu. Après cela, à cause de l’algorithme de TikTok, il est probable que cela se retrouve dans les flux d’autres personnes, ce qui multipliera les risques de harcèlement. Heureusement, les paramètres de TikTok vous permettent de choisir exactement qui peut voir vos vidéos et qui peut en faire quoi. Vous pouvez choisir d’autoriser les « abonné(e)s », les « abonné(e)s que vous suivez » ou « uniquement moi » séparément pour presque toutes les fonctionnalités proposées par l’application. Si vous souhaitez autoriser les Duos et les Collages, vous devez les définir sur « abonné(e)s que vous suivez ». De cette façon, vous pourrez collaborer avec d’autres et savoir où votre contenu est publié. Snapchat Snapchat a été l’une des premières applications à introduire des messages et des photos qui disparaissent. Même s’il est moins populaire qu’avant, les gens l’utilisent toujours pour ces fonctionnalités, car il est omniprésent. Il n’existe pas autant de façons de sécuriser votre profil que sur d’autres applications, mais elle dispose des mêmes paramètres de confidentialité de base que la plupart. Vous pouvez définir votre compte comme privé, masquer votre emplacement, et choisir qui peut et ne peut pas vous contacter. Jetez un œil au tutoriel sur les paramètres de confidentialité de Snapchat pour voir comment sécuriser votre profil. LinkedIn LinkedIn est un hybride de réseau social et professionnel. En tant que service de réseautage professionnel et de recherche d’emploi, il est destiné à un usage professionnel, mais il fonctionne comme les autres grands réseaux sociaux. Malheureusement, les femmes sont également victimes de harcèlement dessus. Des femmes ont signalé ont été invités à sortir via des messages LinkedIn, ont reçu des commentaires misogynes sur des publications et ont même vu leurs données personnelles obtenues via leur CV être exploitées. Même si les utilisateurs ne bénéficient pas de l’anonymat sur LinkedIn comme sur d’autres sites, le harcèlement sur LinkedIn n’en est pas moins grave et non moins dangereux. Voici quelques moyens de vous protéger sur LinkedIn : Acceptez prudemment les connexions – Refusez les demandes de connexion émanant de personnes extérieures à votre secteur d’activité ou à vos cercles personnels. Vous pouvez analyser les demandes de connexion demandées en examinant les degrés de séparation de LinkedIn, en vérifiant si vous êtes dans le même secteur et en examinant leur profil. Si vous ne les connaissez pas et qu’ils ne font pas partie de votre domaine d’activité, il est plus sûr de refuser la demande de connexion. Supprimez les informations de contact de votre CV – Supprimez votre numéro de téléphone et votre adresse e-mail de votre CV public. Vous ne devez pas mettre votre numéro de téléphone et votre adresse personnelle sur votre CV LinkedIn, pour éviter tout contact indésirable et anonyme. Au moins si vous recevez un message sur LinkedIn, vous pouvez voir le nom et le profil de la personne. Comment partager des photos en toute sécurité Les commentaires désagréables sur les photos sont devenus l’un des principaux moyens par lesquels les femmes sont harcelées sur Internet. Malheureusement, de nombreuses personnes ont l’impression qu’une photo partagée est une invitation à partager une opinion (non demandée) sur le corps, la sexualité, les vêtements d’une femme, etc. Instagram est l’un des pires endroits pour cela, mais le triste fait est que Meta a reconnu que ses applications posaient problème et ne fait toujours rien pour y remédier. Cela signifie que, pour l’instant, il nous incombe de faire de notre mieux pour nous protéger. Et les femmes n’ont pas seulement à se soucier de ce qu’elles publient sur les réseaux sociaux. Nous devons également nous soucier de ce que nous envoyons aux gens en privé. Le revenge porn, les deep fakes, et le simple fait de partager des images avec d’autres personnes ou sites Web sans consentement est devenu un énorme problème. Il n’existe pas de règles strictes pour éviter les problèmes liés au partage de photos. Il existe de bonnes raisons de partager des moments personnels de notre vie, et nous ne devrions pas avoir à nous enfermer pour éviter d’être des victimes. La bonne nouvelle est qu’il y a des choses que nous pouvons faire pour atténuer le harcèlement, tout en étant en mesure de partager toutes nos photos les plus sympas. N’utilisez pas de géotags – Évitez de partager votre position. Les géotags indiquent votre emplacement ou l’emplacement dans lequel une photo ou une vidéo a été prise. Des sites tels qu’Instagram et Facebook vous permettent d’indiquer un emplacement sur vos photos. Lorsque vous ajoutez cette balise, n’importe qui peut voir votre photo lorsqu’il ou elle recherche cette balise (sauf si votre profil est verrouillé ou privé). Éviter l’utilisation de géotags permet d’éviter que le harcèlement en ligne ne se transforme en problèmes en personne. Si vous souhaitez que les gens sachent où vous vous trouvez, vous pouvez ajouter votre emplacement une fois que vous n’y êtes plus, choisir un emplacement plus général (par exemple, choisir la ville dans laquelle vous vous trouvez et non votre localisation exacte) ou restreindre les personnes qui peuvent voir les photos que vous avez géolocalisées. Supprimer les informations EXIF – Supprimez manuellement les informations EXIF potentiellement révélatrices des photos. Les informations EXIF sont les données stockées par votre appareil photo sur vos photos. Ces détails incluent le nom de votre appareil, les paramètres que vous avez utilisés pour prendre la photo, où et quand la photo a été prise et parfois même le numéro de série de votre appareil photo. Dans la plupart des cas, il n’est pas possible d’avoir un accès immédiat à ces données sur les photos de quelqu’un d’autre, mais il existe des programmes conçus pour révéler les données EXIF sur des photos qui ne vous appartiennent pas. Donc, si quelqu’un voulait obtenir cette information, il pourrait. Il existe des moyens de désactiver et de modifier les données EXIF directement depuis votre appareil, bien que ceux-ci diffèrent considérablement en fonction de ce que vous avez utilisé pour prendre vos photos. Il existe également des applications que vous pouvez obtenir pour votre appareil et qui sont conçues pour supprimer les données EXIF de vos photos. Découvrez à quoi servent les données EXIF et comment les supprimer avec Consumer Reports. Si elles sont effacées par la plupart des réseaux sociaux et des applications de messagerie chiffrées, les données EXIF restent lorsque vous partagez une photo par email ou SMS. Si vous souhaitez conserver certaines données EXIF, mais que vous ne faites pas entièrement confiance à la personne avec laquelle vous partagez des photos, vous devez au moins supprimer vos données de localisation avant de les partager, peu importe comment ou ce que vous partagez. Soyez prudent avec le contenu qui disparaît – Prenez les mêmes précautions que vous prendriez avec des photos normales. Ce n’est pas parce que les photos et les vidéos disparaissent de votre flux qu’elles ont disparu pour de bon. Il va sans dire que la disparition de contenu est l’une des nombreuses méthodes utilisées par les agresseurs pour harceler les femmes en ligne. Snapchat et Instagram disposent tous deux de fonctionnalités permettant aux photos et aux vidéos de disparaître après un certain délai. Parce que ces messages et publications disparaissent, les gens envoient souvent des choses via Snapchat ou publient des choses sur leur Story qu’ils ne feraient pas si c’était plus permanent. Pourtant, les agresseurs et les harceleurs peuvent toujours les sauvegarder, soit en prenant des captures d’écran et des enregistrements d’écran, soit en prenant une photo avec un autre appareil. Alors que Snapchat était autrefois l’application incontournable pour les activités torrides, d’autres options plus sûres ont été développées ces dernières années. Dust est une application hautement chiffrée qui n’affiche pas votre nom à l’écran avec vos messages et vos photos, ce qui rend plus difficile pour quiconque de relier les messages à vous. Confide est un autre choix populaire, en particulier pour l’envoi de nus, en raison de sa fonctionnalité de flou sur capture d’écran, qui permet de réduire le risque de revenge porn. Comment utiliser les applications de messagerie en toute sécurité ? Les commentaires et photos inappropriés et explicites, le catfishing, le cyberharcèlement et les escroqueries sont autant de problèmes courants que les femmes rencontrent sur les applications de messagerie. La structure, les fonctionnalités et les paramètres de confidentialité de chaque application indiquent à quel point il est difficile de faire face au harcèlement lorsqu’il se produit sur la plateforme. Les applications de messagerie telles que WhatsApp, Kik et Discord sont des endroits populaires, car elles fournissent des plateformes chiffrées qui rendent la communication instantanée et sécurisée. La plupart des applications de messagerie sont plus sécurisées que les SMS, ce qui attire des milliards d’utilisateurs sur leurs plateformes par an. Toutefois, tout comme les autres espaces en ligne, les applications de messagerie présentent des inconvénients et des risques pour les utilisateurs, en particulier les jeunes femmes. Malgré les risques liés à l’utilisation de l’une de ces applications, les applications de messagerie ne sont pas mauvaises en soi. Alors, ne désinstallez pas vos applications de messagerie pour revenir aux SMS. Avec la bonne application et les bonnes stratégies de sécurité, vous pouvez communiquer en toute confiance et mettre un terme au harcèlement avant qu’il ne dégénère. Toutefois, vous remarquerez maintenant que de nombreux conseils s’appliquent également à d’autres espaces virtuels. Mettre en œuvre ces stratégies sur toutes les plateformes constitue le moyen le plus efficace de se défendre contre le cyberharcèlement et de prendre le contrôle de votre présence en ligne. [L’article original décrit ici les qualités, risques et bonnes pratiques liés aux messageries instantanées : Kik, Discord, WhatsApp & Signal] Comment utiliser les forums en ligne en toute sécurité Comme tous les autres espaces sur Internet, les forums en ligne peuvent être dangereux pour les femmes. Reddit, l’une des plateformes de discussion les plus populaires, est largement connue pour renfermer du contenu grossier, du harcèlement, du trolling et d’autres problèmes. Ce n’est pas surprenant, puisque Reddit est le septième site le plus populaire aux États-Unis et le neuvième dans le monde. Historiquement, les millions de personnes qui affluent sur la plateforme trouvent des « subreddits » en fonction de leurs intérêts, qui peuvent inclure n’importe quoi, depuis des pages innocentes pleines de photos d’animaux jusqu’à des personnes qui s’identifient comme des incels et utilisent le forum pour répandre leur haine envers les femmes. Les trolls envahissent depuis longtemps des espaces en ligne qui ne leur sont pas destinés dans le seul but de harceler les autres, le plus souvent des femmes et des minorités raciales. Les participantes au subreddit r/BlackGirls ont été confrontées à des commentaires racistes et misogynes de la part de trolls dans ce qui était censé être un espace sûr permettant aux femmes noires de se connecter. Lorsqu’elles ont lancé un nouveau subreddit appelé r/BlackLadies pour échapper au harcèlement, les trolls ont également migré. De même, le subreddit r/rape était destiné à être un endroit sûr pour les victimes d’agression sexuelle. Malheureusement, il a aussi vu son lot de commentaires de trolls accusant les victimes, ou autres commentaires violents et autrement inappropriés avant que Reddit ne décide de le fermer. Si Reddit a finalement pris des mesures pour résoudre les problèmes qui prévalent sur le site, son personnel a longtemps été critiqué pour son focus sur la liberté de parole au lieu de la sécurité de ses utilisateurs. Que vous utilisiez Reddit, Quora ou une autre plateforme de forum en ligne populaire, les meilleures pratiques en matière de sécurité sont les mêmes. Suivez ces étapes pour rester en sécurité sur les forums : Fournissez le moins de données personnelles ou d’identification possible. Utilisez un service d’adresse email temporaire pour vous inscrire. Créez des comptes jetables si vous souhaitez demander des conseils ou donner des données personnelles. Désactivez les notifications de réponses à vos publications et commentaires en cas de besoin. Comment gérer le harcèlement sur un lieu de travail virtuel Si les formes les plus courantes de cyberharcèlement se produisent sur les réseaux sociaux, le harcèlement des femmes en ligne sur leur lieu de travail constitue également un problème. Étant donné qu’une grande partie de notre travail se fait aujourd’hui en ligne, ce problème n’a fait qu’empirer. Vous avez le droit de vous sentir en sécurité et en confiance au travail, même si votre « travail » se déroule techniquement à votre domicile via Zoom, Slack ou Microsoft Teams. Les gens interagissent différemment en ligne, même les collègues que vous connaissez en personne. L’anonymat que ressentent les gens derrière leur écran leur permet souvent de faire des choses qu’ils ne feraient pas normalement en personne. Selon une étude, 52 % des femmes ont été victimes de harcèlement au travail au cours de l’année écoulée. Le harcèlement auquel les femmes sont confrontées sur le lieu de travail virtuel va de commentaires inappropriés (verbaux ou textuels), d’images ou de vidéos non professionnelles, de comportements menaçants et bien plus encore. Il peut parfois être difficile de savoir ce qui constitue du harcèlement. Certains cas de harcèlement sont évidents, comme celui de Jeffrey Toobin qui se masturbait sur Zoom. D’autres exemples peuvent ne pas être aussi clairs, comme lorsque Marc de l’équipe marketing vous fait des blagues légèrement inappropriées en réunion. Une bonne règle de base est que si jamais vous vous trouvez dans des situations professionnelles où vous vous sentez mal à l’aise, commencez à prendre des notes. Voici quelques mesures importantes que vous pouvez prendre pour lutter contre le harcèlement au travail : Documentez tout – Tenez un journal de chaque interaction inconfortable. Garder une trace de tout ce que quelqu’un fait pour vous mettre mal à l’aise ne fera que renforcer votre cause. Chaque commentaire, email ou autre correspondance inappropriée constitue une preuve essentielle, si les interactions ont été intentionnelles ou persistent. Conservez des captures d’écran, enregistrez les dates et heures de tout incident, et conservez un fichier de tout ce qui concerne vos interactions avec cette personne. Évaluez la situation – Déterminez le degré de danger et agissez si nécessaire. Vous devez signaler tout cas de harcèlement que vous rencontrez. Mais si vous remarquez une escalade du harcèlement en termes de degré ou de fréquence, il est peut-être temps d’agir le plus tôt possible. Si vous pensez que la communication inappropriée est moins flagrante ou moins fréquente, il peut être préférable de continuer à documenter la situation et d’attendre qu’un ensemble important de preuves se soit accumulé avant d’aller de l’avant. Rapport – Apportez votre documentation à l’autorité compétente. Une fois que vous avez la preuve du harcèlement, il est temps de faire remonter le problème. Adressez-vous à votre service RH ou à votre manager, et demandez les prochaines étapes à suivre pour savoir comment procéder. Chaque lieu de travail a généralement sa propre politique décrivant la manière dont le harcèlement doit être géré. Si vous n’êtes pas satisfaite de la façon dont ils gèrent la situation, ou si votre agresseur est votre manager ou responsable des ressources humaines, demandez des conseils juridiques. Rencontres en ligne et harcèlement sexuel Les rencontres en ligne sont désormais tellement intégrées dans notre société et notre culture que plus 44 millions de personnes utilisent les services de rencontres en ligne aujourd’hui. Parmi ces utilisateurs, 60 % des femmes de 18 à 34 ans ont déclaré avoir été contactées par quelqu’un même après avoir déclaré qu’elles n’étaient plus intéressées, et 57 % ont déclaré avoir reçu des messages inappropriés non sollicités. Même si les applications et les sites de rencontres permettent de rencontrer facilement de nouvelles personnes, ce côté pratique comporte un risque élevé, en particulier pour les femmes. Comme sur les réseaux sociaux et sur les lieux de travail virtuels, le harcèlement sur les sites de rencontres est endémique et prend de nombreuses formes. Les applications de rencontres regorgent de catfishing et romance scams, et il est très facile d’être victime de ces arnaques. Voici quelques astuces pour rester en sécurité : Faites vos devoirs – Recherchez des correspondances en ligne pour vérifier leur identité. Une recherche rapide sur Google est très utile. Recherchez les personnes à qui vous parlez sur les réseaux sociaux. Aucune trace d’elles nulle part ? Méfiez-vous d’une personne qui a une présence en ligne minimale. Avoir une petite empreinte numérique n’est pas nécessairement un signal d’alarme. Si quelque chose ne va pas, effectuez une recherche d’image inversée pour vérifier si les photos de la personne sont utilisées ailleurs. Soyez attentif au partage – Évitez de partager des informations personnelles jusqu’à ce que vous ayez établi la confiance. Gardez vos données de contact privées jusqu’à ce que vous soyez sûre de vouloir les partager. L’envoi de sextos et l’envoi de nus sont normaux et peuvent ajouter de l’excitation aux relations, nouvelles ou anciennes. Toutefois, il est important de savoir que vous ne pouvez pas garantir où ils aboutiront ni comment ils seront utilisés une fois publiés dans le cyberespace. Il existe des risques, peu importe avec qui vous partagez des nus. La meilleure chose que vous puissiez faire est d’éviter de montrer des caractéristiques distinctives (telles que des tatouages, des grains de beauté, votre visage, etc.) sur les photos que vous partagez, et de suivre ces conseils pour partager des photos en toute sécurité. Planifiez soigneusement les réunions en face à face – Rendez publiques ces premières réunions F2F et utilisez votre propre moyen de transport. Lorsque vous décidez de rencontrer quelqu’un en personne, rencontrez-vous dans un lieu public et pendant la journée, faites savoir à vos amis proches et à votre famille où vous serez, et conduisez vous-même ou prenez les transports en commun. Si la personne insiste pour venir vous chercher ou vous rencontrer chez vous, c’est un signal inquiétant ! Partager votre position avec des ami(e)s de confiance est un excellent moyen de rester en sécurité lors d’un date en personne. J’avais toujours l’habitude de planifier un appel ou un SMS avec un(e) ami(e) pour m’assurer que tout se passe bien. Ce n’est pas non plus une mauvaise idée de vous familiariser avec les raccourcis d’urgence de votre téléphone. Les deux téléphones iPhone et Android ont des options d’appel SOS intégrées. Il existe des applications SOS spécifiques, mais la disponibilité et les fonctionnalités varient considérablement en fonction de votre emplacement et de votre budget. Sécurisez d’autres comptes – Utilisez des images uniques pour empêcher la recherche d’images inversées ou assurez-vous simplement que vos autres comptes ne révèlent aucune information personnelle. Si vous recherchez un partenaire en ligne, il y a de fortes chances qu’ils vous recherchent également. Si vous souhaitez minimiser leur capacité à enquêter sur vous, envisagez d’utiliser des images sur vos profils de rencontres qui n’apparaissent pas sur vos autres comptes de réseaux sociaux. Si vous choisissez d’utiliser certaines des mêmes photos, assurez-vous que vos autres comptes ne révèlent pas d’informations personnelles à des inconnus. Savoir que vous avez d’autres profils peut donner à votre match l’assurance que vous êtes celle que vous prétendez être, mais cacher vos informations personnelles au-delà de cela vous aidera à assurer votre sécurité. Bloquer et signaler – Cachez votre profil et signalez tout comportement inapproprié. Si vous rencontrez des commentaires inappropriés, des interactions inconfortables ou une agression sur un site de rencontre, bloquez et signalez la personne. Signaler le harcèlement réduit les chances qu’une personne continue son comportement envers vous et les autres. Heureusement, la plupart des applications de rencontres disposent de fonctionnalités de signalement sur toutes les pages de profil et fenêtres de messagerie, et encouragent activement les utilisateurs à signaler toutes les infractions aux politiques. Les conditions générales relèvent généralement du bon sens : ne pas demander d’argent, ne pas prétendre être quelqu’un que vous n’êtes pas, ne pas envoyer de messages de harcèlement ou de photos explicites, etc. Mais si vous n’êtes pas sûre de ce que vous pouvez signaler sur les applications de rencontres, consultez les conseils et politiques de sécurité de l’application que vous utilisez. Ghoster quelqu’un sur une application de rencontres (ou dans la vraie vie) a une mauvaise réputation, mais je ne pense pas que vous devriez vous sentir mal du tout. Les femmes risquent d’être harcelées ou pire par des hommes qui ont été rejetés, et nous devons donner la priorité à notre sécurité avant toute autre chose. Comment éviter et arrêter le piratage et le doxxing Le piratage et le doxxing sont deux attaques majeures qui peuvent arriver aux femmes. Ces deux atteintes à la vie privée, mais pire encore, peuvent mettre en danger le travail, la famille, la réputation et la vie d’une femme. Le piratage est une manière pour les internautes d’obtenir vos données personnelles, et le doxxing est le fait que ces données sont partagées publiquement à des fins malveillantes. Il existe des dizaines (au moins) d’exemples de vies de femmes mises en danger après que leur numéro de téléphone, leur adresse ou d’autres données personnelles aient été publiés en ligne. L’un des plus connus est la développeuse de jeux Brianna Wu dans la saga GamerGate en 2014. Elle a été traquée, harcelée (sexuellement et autrement) et sa vie a été menacée. En plus des injures et autres formes de harcèlement, elle a pu constater par elle-même comment des femmes ordinaires peuvent se faire doxxer par des cybercriminels. Une équipe de police entière est arrivée chez une amie de Brianna après que quelqu’un l’ait faussement accusée d’avoir commis une activité criminelle. Des photos des enfants d’un autre ami ont été publiées sur des forums de discussion pédophiles. Bien qu’il existe de nombreuses victimes très médiatisées du doxxing (Beyonce, Kim Kardashian et Hilary Clinton, pour n’en nommer que quelques-unes), il est tout aussi courant que cela arrive à des gens ordinaires. Dans un autre exemple, une femme qui ne voulait pas être nommée a raconté son expérience : quelqu’un en quête de vengeance a posté une annonce sur Craigslist avec son numéro de téléphone. Elle a reçu des centaines de messages osés, qui comprenaient souvent des photos tout aussi osées. Et elle n’a jamais découvert qui l’avait doxxée. Le piratage et le doxxing vont souvent de pair, mais parfois les personnes qui doxxent les femmes trouvent leurs données personnelles dans des informations publiques. La première étape pour mettre fin à ce type de harcèlement est de vous assurer que vous n’avez pas été piratée. La deuxième étape consiste à prendre des mesures pour mettre fin au harcèlement. Il existe de nombreuses façons différentes pour les pirates d’accéder à vos données, il est donc essentiel de connaître les signes indiquant que vous avez été piratée et ce que vous pouvez faire pour l’arrêter ou l’empêcher complètement. Voici quelques éléments à rechercher si vous pensez avoir été piratée : Vérifiez vos comptes : assurez-vous de pouvoir accéder à tous vos comptes : réseaux sociaux, banques et autres profils en ligne. Si votre mot de passe ne fonctionne pas ou si vous détectez une activité suspecte sur vos comptes (comme des amis recevant des messages inhabituels de votre part), cela peut être le signe que vous avez été piratée. L’impossibilité d’accéder aux paramètres clés du système indique également une faille dans votre cybersécurité. Les meilleurs moyens d’éviter ces types d’attaques sont d’utiliser des mots de passe forts, de configurer un firewall et d’éviter les escroqueries par hameçonnage via email. Vous pouvez également activer l’authentification à deux facteurs pour renforcer votre sécurité. Il vous faudra donc plus que votre mot de passe pour vous connecter à vos comptes, et Microsoft a conclu que l’utilisation de l’authentification à deux facteurs bloque 99,9 % des attaques automatisées. Applications suspectes sur votre appareil : si vous trouvez des applications que vous ne vous souvenez pas avoir installées ou vues sur votre appareil, il peut s’agir de malwares. Les malwares sont tout type de programme malveillant conçu pour compromettre la sécurité de votre système et constituent un moyen courant pour les pirates informatiques d’obtenir vos données. Si vous avez des malwares sur votre appareil, vous verrez probablement d’étranges fenêtres contextuelles et de faux messages de logiciel antivirus. Une bonne règle de base consiste à examiner minutieusement tous les logiciels avant de les télécharger sur votre appareil et à ne jamais ajouter quoi que ce soit qui semble suspect ou peu recommandable. Page d’accueil redirigée : lorsque vous ouvrez votre navigateur Internet, vous constaterez peut-être que votre page d’accueil normale est redirigée vers un site inconnu. Alors que parfois, il s’agit simplement d’une erreur de l’utilisateur qui peut être facilement corrigée, d’autres fois, c’est le signe que quelqu’un vous a piraté. Pour arrêter cela, supprimez tous les modules complémentaires, extensions ou barres d’outils de navigateur tiers inconnus. Vous devez également rétablir la page d’accueil de votre navigateur par défaut et redémarrer votre appareil. Si le problème persiste, cela peut être le signe d’un problème de malware plus grave. S’il est presque impossible d’éliminer complètement la menace du doxxing en ligne, il existe plusieurs conseils de sécurité pour vous aider à éviter d’être victime de doxxing : Évitez le partage excessif – Faites preuve de prudence en fournissant le moins d’informations personnelles possible. Cela peut paraître évident, mais il est si facile de trop partager en ligne. Soyez extrêmement attentive avec quoi, comment et avec qui vous partagez des informations sensibles. Tout ce qui est lié à votre identité ou à vos finances doit être conservé dans la plus stricte confidentialité et partagé uniquement en cas d’absolue nécessité. Soyez également attentive aux données personnelles que vous révélez sur des forums tels que Reddit et Quora si vous les utilisez. Les soi-disant détectives d’Internet peuvent dénicher des données sur vous à partir des moindres détails. Effacer les informations des annuaires – Demandez aux annuaires en ligne de supprimer toutes vos informations personnelles de leurs sites. Les annuaires en ligne tels que whitepages.com et peoplefinder.com peuvent avoir des informations sur vous qu’ils vendent à des tiers pour une somme modique. Pire encore, il existe d’autres sites (que je ne nommerai pas) qui incluent des informations beaucoup plus détaillées comme les revenus, les proches, les adresses passées et présentes, les adresses email, les comptes de réseaux sociaux, les casiers judiciaires, et bien plus encore. Si vous accédez à ces sites et demandez la suppression de vos données, ces sites doivent légalement se conformer et respecter votre vie privée. Malheureusement, pour certains des pires sites, vous devrez peut-être demander la suppression de vos données chaque année, car la plupart d’entre elles sont considérées comme des informations publiques et leur partage n’est donc pas illégal. Obtenez un VPN – Protégez votre emplacement et améliorez votre cryptage en obtenant un VPN doté de fonctionnalités de sécurité renforcées. Les VPN cachent votre adresse IP, ce qui peut révéler votre emplacement. Recherchez des VPN dotés d’un cryptage avancé et d’un kill switch (bouton d’arrêt d’urgence) pour protéger vos données lorsque vous êtes en ligne. Si vous avez déjà été doxxée, j’ai rassemblé quelques conseils sur la façon de mettre fin au harcèlement, ou du moins d’en atténuer l’impact. Bloquez et signalez : comme indiqué précédemment, le blocage et le signalement sont une solution imparfaite, même si cela devrait être votre solution de prédilection. La bonne nouvelle lorsqu’on signale que l’on a été doxxée, c’est que cela est généralement pris beaucoup plus au sérieux que le harcèlement. Verrouillez vos comptes sur les réseaux sociaux : vous pouvez prendre de nombreuses mesures pour rendre difficile la communication en ligne. Vous ne pourrez peut-être pas empêcher les gens de publier des messages sur vous, mais vous pouvez certainement faire en sorte qu’il soit plus difficile pour vous de voir. Appelez la police : le doxxing est considéré comme un cybercrime dans de nombreuses juridictions, donc n’ayez pas peur d’appeler vos forces de l’ordre locales. Mais soyez prêtes, car la police peut ne pas vouloir ou être incapable de vous fournir beaucoup d’aide, surtout si vous ne savez pas qui vous a doxxé. Néanmoins, assurez-vous que la police prend au moins votre signalement en note officiellement, car cette documentation peut aider à accélérer le processus d’obtention d’une injonction, voire une plainte ou plus. Et n’oubliez pas que lorsque votre sécurité est menacée, vous avez le droit d’être prise au sérieux par la police. Si l’officier qui répond est impoli ou inutile, n’hésitez pas à demander à parler à quelqu’un de plus haut placé dans la chaîne de commandement. Tous les policiers n’ont pas une connaissance approfondie de ce qui constitue ou non un crime ou de ce qu’il faut faire lorsqu’un tel crime est commis. Ne supprimez pas vos comptes : même si cela peut sembler contre-intuitif et que cela irait certainement à l’encontre de vos désirs, ne supprimez pas vos comptes pour l’instant. La militante contre le revenge porn Charlotte Laws recommande en fait d’accroître votre présence en ligne pour noyer les trolls. Vous devrez probablement verrouiller vos profils afin que les harceleurs ne puissent pas commenter sur vos publications ou vous envoyer des messages, ainsi que supprimer certaines publications, mais cela peut toujours être une stratégie qui fonctionne pour vous. Dans des situations graves, vous pouvez également envisager de faire appel à une entreprise qui s’efforcera d’améliorer votre référencement. Obtenez de l’aide : vous n’êtes pas la première, la dernière ou la seule personne à avoir été doxxée et vous n’avez très probablement rien fait pour le mériter. Lorsque le harcèlement devient trop difficile à gérer, envisagez de laisser un(e) ami(e) de confiance prendre en charge vos comptes sur les réseaux sociaux et demandez-lui de filtrer vos messages pour vous. Ce que vous pouvez faire en tant que parent Les jeunes filles courent un risque sérieux face au harcèlement en ligne. S’il est impossible d’interdire à vos filles d’accéder à Internet ou de leur retirer complètement leur smartphone, vous pouvez faire certaines choses pour essayer de les aider. Gardez les voies de communication ouvertes : avoir une relation ouverte et de confiance avec votre fille l’aidera à se sentir plus à l’aise pour vous parler lorsque quelque chose ne va pas. Assurez-vous de parler de la façon de partager des choses en toute sécurité et de ce qu’il faut faire lorsque quelque chose ne va pas. Prenez-la au sérieux : il y a de très nombreux exemples de femmes et filles qui ne sont pas prises au sérieux lorsqu’elles signalent des problèmes. Si votre fille vous dit que quelque chose ne va pas, croyez-la. Guidez-la pour sécuriser ses comptes, signaler et bloquer ses harceleurs, et soutenez ses décisions. Adressez-vous aux autorités : le harcèlement en ligne peut souvent conduire au harcèlement hors ligne. Si votre fille est victime de harcèlement, parlez-en autour de vous : la police, l’administration scolaire et les autres parents ne sont qu’un début. Si vous n’êtes pas pris(e) au sérieux, faites remonter votre plainte. Points clés à retenir pour que les femmes restent en sécurité en ligne ! Vous avez le droit absolu de vous sentir en sécurité chez vous, sur votre lieu de travail et en ligne. La mise en œuvre des meilleures pratiques en matière de cybersécurité, l’utilisation des dernières ressources numériques et le maintien d’un réseau d’assistance ne sont que quelques-unes des façons dont vous pouvez rester en sécurité en ligne. Certaines des meilleures pratiques de sécurité en vigueur sur Internet incluent : Bloquez et signalez : si le site sur lequel vous vous trouvez vous permet de désactiver et/ou de bloquer d’autres utilisateurs, profitez de cette opportunité. Signalez le harcèlement, en particulier les incidents qui semblent particulièrement menaçants, aux autorités compétentes. Partagez le moins possible : évitez de partager le plus de détails personnels possible. Nous savons toutes qu’une fois qu’un contenu est en ligne, il n’y a aucune garantie qu’il disparaisse, même si vous le supprimez ultérieurement. Documentez tout : notez minutieusement les cas de harcèlement. Les captures d’écran/photos, vidéos/enregistrements et logs ne sont que quelques façons de documenter les preuves. Cela deviendra un filet de sécurité important si vous choisissez de demander l’aide des forces de l’ordre. Ne vous contentez jamais des paramètres par défaut : si vous créez un compte en ligne, une fois inscrite, la première chose à faire est de configurer vos paramètres de confidentialité et de sécurité. Réglez-les à votre niveau de confort, en faisant toujours preuve de prudence en cas de doute. Adressez-vous à la police : le harcèlement en ligne, le revenge porn et le doxxing sont considérés comme des crimes ou délits dans de nombreux endroits. Ce n’est pas parce que quelque chose se passe sur Internet que vous n’êtes pas (ou ne serez pas) impactée dans la vraie vie. Sarah Frazier, rédactrice en chef WizCase statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | sources : fr.wizcase.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © marieclaire.fr ; © Parlement européen | Remerciements à Estelle Autrey… Plus de presse en Wallonie… [...] Lire la suite…
Existe-t-il un “langage jeune” ?Existe-t-il un “langage jeune” ?
[THECONVERSATION.COM, 9 janvier 2025] On associe souvent des expressions à la mode ou des pratiques comme le verlan à la jeunesse. Mais n’est-ce pas un abus de langage d’évoquer un parler “jeune” ? Y a-t-il vraiment un vocabulaire ou un usage de la syntaxe qui permettraient d’identifier des façons de s’exprimer propres aux jeunes ? “Gadjo”, “despee”, “tchop” : ces mots sont associés, dans les discours médiatiques, à un “parler jeune”. Nombreux sont les articles qui s’arrêtent sur ce vocabulaire pour le rendre accessible aux autres générations ou encore les dictionnaires destinés aux parents qui semblent ne plus comprendre leurs ados. Alors, ce parler jeune existe-t-il vraiment en tant que tel ? Pourrait-il être résumé à un lexique qui lui serait propre ? Plusieurs études ont été menées en linguistique sur ces pratiques langagières, mais celles-ci ne constituent pas un champ homogène, notamment parce qu’elles concernent des situations sociolinguistiques diverses. Si nous voulons considérer l’existence d’un parler jeune, il faudrait a minima le penser au pluriel. Il n’y a pas deux personnes pour parler de la même façon et une même personne ne parle pas constamment de la même manière. Tous les individus possèdent plusieurs répertoires ou plusieurs styles, les jeunes ne font pas exception. Définir la jeunesse : des critères biologiques ou sociologiques ? Avant de voir s’il existe des éléments constitutifs d’un répertoire commun aux jeunes, une question se pose : qui sont ces jeunes ? Pour reprendre Bourdieu, l’âge n’est qu’une donnée biologique manipulée autour de laquelle des catégories peuvent être construites. La catégorie “jeune” a pu être définie selon des critères d’indépendance par les démographes : fin des études, entrée dans la vie active, départ du domicile familial… Mais ces critères ne sont plus tout à fait valables aujourd’hui. La catégorie “jeunes” est largement interrogée et interrogeable. Dans les discours médiatiques et les études linguistiques, il s’agit en réalité surtout de jeunes issus de milieux urbains, milieux multiculturels et plurilingues. Les jeunes sont souvent des adolescents. L’adolescence correspondrait à une période d’écart maximum à un français “standard”, à un français valorisé, notamment, à l’école. Mais y aurait-il même des traits langagiers qui nous permettraient d’identifier des façons de parler propres aux personnes regroupées dans cette catégorie ? On peut s’appuyer, pour aborder cette question, sur le corpus MPF (Multicultural Paris French), un ensemble d’enregistrements (au total 83 heures) réalisés auprès de 187 locuteurs “jeunes” habitant la région parisienne. Lexique, syntaxe, accent : des particularismes chez les jeunes ? L’analyse des pratiques langagières de ces jeunes met en lumière plusieurs traits récurrents. Au niveau lexical, on relève des procédés comme l’apocope, ou perte d’une syllabe, dans “mytho” pour “mythomane” par exemple. On retrouve aussi le verlan, avec des mots comme “chanmé”, qui correspond à l’inversion des syllabes de “méchant”, ou encore “despee” qui cumule emprunt à l’anglais “speed” et verlanisation. À côté d’autres emprunts plus anciens, comme “kiffer” emprunté à l’arabe kiff (aimer) bien entré dans le français avec l’ajout de la terminaison “-er”, nous identifions “gadjo” emprunté au romani (“garçon”) ou “chouf”, emprunté à l’arabe et signifiant “regarde”. Sur le plan syntaxique, peu de choses sont relevées, car il s’agit en réalité du niveau du système langagier qui est le moins souple. Si certains relèvent par exemple l’omission du “ne” dans les structures négatives (“je lui répondrai pas”), celle-ci n’est en réalité pas spécifique aux jeunes. Ce phénomène reflète davantage les usages du français parlé plus ordinaire. Du côté de l’”accent” (regroupant la mélodie ou encore la prononciation de certaines voyelles ou consonnes), certains traits ont pu être identifiés comme l’avant-dernière syllabe qui se fait plus longue, le contour emphatique ou encore l’affrication forte des /t/ comme dans “confitchure”. Toutefois, des études montrent également que ces traits ne sont pas propres aux jeunes (c’est le cas de l’affrication ou encore du contour emphatique, nous utilisons ce dernier pour mettre en relief un élément et nous le retrouvons lorsqu’un locuteur est engagé dans l’interaction). L’affrication, nouveau phénomène de langage (TV5 Monde, février 2024) Hormis le débit qui pourrait être spécifique aux façons de parler jeunes (les jeunes parleraient plus vite, utiliseraient plus de mots à la minute), il faut noter que les particularismes relèvent de l’exploitation de procédés qui n’ont rien de novateur. Le verlan se retrouvait chez Renaud (“laisse béton“), les emprunts qu’on ne voit plus avec abricot emprunté, par le portugais ou l’italien, de l’arabe al-barqûq, parking emprunté à l’anglais ou encore schlinguer emprunté à l’allemand et que nous retrouvons notamment chez Hugo, dans les Misérables : C’est très mauvais de ne pas dormir. Ça vous fait schlinguer du couloir, ou, comme on dit dans le grand monde, puer de la gueule. Victor Hugo Il en va de même pour les structures où le que semble omis, “je crois c’est les années soixante“. Celles-ci sont pointées du doigt et attribuées aux jeunes. Toutefois, elles aussi sont employées par des moins jeunes, comme chez ce locuteur de 40 ans “je pense ça leur fait plaisir” et nous les retrouvons dans le Roman de Renart datant de la fin du XIIe siècle : “Ne cuit devant un an vos faille” (“je ne crois pas il vous en manque avant un an“). Effet de loupe : des façons de parler rendues visibles par les réseaux Si les procédés n’ont rien de novateur, alors d’où vient cette impression de “parlers jeunes” ? Celle-ci repose sur un “effet loupe” ou un effet de concentration, selon la sociolinguiste Françoise Gadet. Ces parlers jeunes seraient perçus par la multiplication des particularismes : emploi du verlan, d’emprunts, du contour emphatique, etc. L’effet loupe est lui-même renforcé par les médias ou par les discours qui mettent en avant ces phénomènes sur les réseaux sociaux. Et si l’on a l’impression que “pour cette génération, c’est plus marqué qu’avant“, c’est probablement parce que ces façons de parler sont désormais plus facilement observables. Les communications médiées par les réseaux rendent les productions linguistiques visibles à grande échelle. Ces “effets de mode” linguistiques ne sont toutefois pas exclusifs à la jeunesse actuelle. Chaque génération a ses préférences, mais rien ne disparaît tout à fait : un terme comme “daron” bien qu’ancien, traverse les époques. 1983 : Comment parlent les lycéens ? (Archive INA, 2019) Finalement, les jeunes exploitent le système de la langue française pour l’enrichir et répondre à différents besoins. Les mots créés ne sont pas de simples équivalents de ce qui pouvait exister, mais s’en distinguent bien. Selon Emmanuelle Guerin, un “clash” (emprunt à l’anglais) prend un sens plus spécifique que choc puisqu’il évoque une confrontation verbale : “Ils menaient le clash avec la prof.” Lorsqu’il y a créations, celles-ci enrichissent le répertoire linguistique en répondant à des besoins d’identification à des groupes (ces phénomènes se retrouvent souvent dans des interactions où la connivence prime) ou d’expression. Il n’existe donc pas un parler jeune, mais des façons de parler par des personnes catégorisées comme “jeunes”. On qualifie des façons de parler “jeune” par la présence (et surtout la concentration) de certains éléments linguistiques, ce qu’on peut retrouver chez des moins jeunes, par exemple, chez Stéphane âgé de 36 ans : “Je sais pas qui vous êtes tu vois ce que je veux dire je leur ai fait comme ça (.) genre je parfois il y a des jeunes ils ont la haine sur nous hein Non mais c’était eux les nejeus en vrai.“ Si certains mots utilisés par les jeunes semblent échapper aux moins jeunes, rappelons que tout le monde (y compris vous et moi) emploie parfois des termes qui peuvent être incompréhensibles pour notre entourage, notamment ceux issus de notre milieu professionnel. Il n’y a rien d’alarmant dans ces “parlers jeunes” : chaque génération a ses modes d’expression, et les quelques mots jugés incompréhensibles par les médias ne reflètent pas l’étendue des répertoires concernés. Auphélie Ferreira, Université de Strasbourg statut : validé, republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : theconversation.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © babbel.com. Plus de presse en Wallonie… [...] Lire la suite…
CAVAIGNAC : La franc-maçonnerie – 101 questions sans un tabou (Dervy, 2018)CAVAIGNAC : La franc-maçonnerie – 101 questions sans un tabou (Dervy, 2018)
101 questions sans un tabou. “Que désigne l’expression enfants de la veuve ?” “Pourquoi le crâne est-il un symbole en franc-maçonnerie ?” “Pourquoi les francs-maçons portent-ils des gants blancs ?” Défiez-vous sur le sens des symboles et du rituel maçonniques. Percez le mystère de leur origine et découvrez l’histoire des pratiques qui se déroulent dans le secret des Loges. Rédigé avec franchise et sans langue de bois par François Cavaignac, historien spécialiste de la franc-maçonnerie, le livret inclus dans ce jeu vous guidera vers un chemin maçonnique éclairé… Table des matières Règle du jeu, Questions/Réponse rouges (les valeurs, l’institution), Questions/Réponse vertes (l’histoire), Questions/Réponse bleues (les symboles), Un jeu de cartes pour s’initier à la franc-maçonnerie ? Par François Cavaignac, Biographie de l’auteur, Bibliographie de l’auteur. Règle du jeu Un jeu conçu, écrit et réalisé par : Yasmine Bonhomme, François Cavaignac et Valeria Cassisa. Ce jeu est constitué de 101 cartes réparties en trois domaines auxquels est associée une couleur pour les différencier. Rouge : ce qui se rapporte aux valeurs, à l’institution. Vert : ce qui se rapporte à l’histoire. Bleu : ce qui se rapporte au symbole. À partir de trois joueurs : chaque participant prend trois cartes et les tient devant lui. Le joueur 1 lit à voix haute la question inscrite sur l’une des trois cartes de son choix. Cas A : si personne ne sait répondre, la carte est considérée comme perdue. Elle est donc mise de côté et formera un tas avec les cartes perdues à venir. Le joueur 1 reprend une carte pour avoir toujours trois cartes en main, et c’est au tour du joueur suivant de poser une question. Cas B: le joueur qui répond en premier correctement à la question posée remporte la carte qu’il dépose à côté de lui. Le joueur 1 lit alors une deuxième question à laquelle seul le joueur qui a bien répondu est autorisé à répondre. Si celui-ci ne sait pas répondre, voir cas A (le joueur 1 devra reprendre deux cartes pour avoir trois cartes en main). Si la réponse du joueur interrogé est bonne, celui-ci remporte la carte et le joueur 1 lui lit la troisième et dernière question. Si sa réponse est juste, il récupère la carte. Le joueur 7, qui n’a plus de carte en main, reprend trois cartes. Et c’est au tour du joueur suivant de poser les questions. Deux joueurs : le joueur 1 lit la question au joueur 2. Cas A : si le joueur 2 ne sait pas répondre, la carte est considérée comme perdue. Elle est mise de côté et formera un tas avec les cartes perdues à venir. Le joueur 1 reprend une carte pour avoir toujours trois cartes en main, et c’est au tour du joueur 2 de poser les questions. Cas B : si le joueur 2 donne la bonne réponse, il remporte la carte qu’il dépose à côté de lui. Le joueur 1 lui pose une deuxième question. Si le joueur 2 ne sait pas répondre, voir cas A (le joueur 1 devra reprendre deux cartes pour avoir trois cartes en main). Si le joueur 2 répond correctement, il prend la carte et le joueur 1 lui pose la dernière question. Si le joueur 2 sait répondre, il prend la troisième carte. Le joueur 1, qui n’a plus de carte en main, tire trois nouvelles cartes. Puis c’est au tour du joueur 2 de poser les questions suivant le même principe. Les cartes comportent un nombre de points allant de l à 3 en fonction du degré de difficulté de la question. C’est le joueur qui a le plus de points à la fin du jeu qui a gagné. Nous avons reproduit les différentes cartes dans wallonica.org : Les cartes rouges : questions-réponses sur les valeurs, l’institution, Les cartes vertes : questions-réponses sur l’histoire, Les cartes bleues : questions-réponses sur la symbolique. Un jeu de cartes pour s’initier à la franc-maçonnerie par François Cavaignac Le jeu est dans la nature humaine ; l’historien néerlandais Johan Huizinga (1872-1945) en a fait l’un des critères anthropologiques de la culture (Homo ludens, 1938) et l’écrivain français Roger Caillois (1913-1978) en a rappelé l’importance sociale dans Les Jeux et les Hommes (1957). La tension, la joie et l’incertitude sont-elles liées à l’instinct de compétition qui anime la plupart des enfants et des hommes dans leurs jeux ? Faut-il voir dans le jeu un lien ontologique avec le sacré ? Autant de questions – parmi d’autres – qui animent de nombreux psychologues, sociologues et historiens des Games Studies à la recherche d’une explication globale du phénomène. Si le jeu semble immémorial, le jeu de cartes est attesté en Chine à partir du VIIème siècle. Il a connu un développement considérable et universel, toutes les cultures semblant l’avoir pratiqué. Exemple type du jeu de société, le jeu de cartes est très lié au contexte social et historique dans lequel il s’inscrit : sa graphie est souvent le reflet des structures collectives, politiques ou idéologiques. Le standard mondial du jeu de cartes est de 52 cartes. Il ne faut pas s’étonner que la franc-maçonnerie, institution éminemment sociale car porteuse de tolérance et de fraternité, fasse l’objet depuis quelques temps d’une approche ludique sous plusieurs formes : cartes, jeu de l’oie, quizz, énigmes, Trivial Pursuit, etc. Pour ce qui concerne ce jeu, notre utilisation d’un système de cartes répond aux objectifs classiques de facilité, de compétition et de valorisation par points pour chaque joueur, clairement définis dans un règlement. L’idée est également pédagogique : dans un monde ouvert et connecté, dominé par les technologies de la vitesse et du virtuel, pourquoi ne pas se servir des outils les plus simples pour mieux faire connaître une société décriée depuis sa création moderne (fin du XVIIème siècle) ? Les maçons éclairés ont conscience de cette nécessaire ouverture au monde. Nous avons donc choisi 101 cartes – plutôt que mille et une – dont les réponses sont toutes argumentées mais dont le contenu retrace les aléas et les incertitudes de l’histoire et du symbolisme, matières ne constituant guère des domaines de vérités définitives. Enfin, ce jeu s’adresse en priorité aux Apprentis, c’est-à-dire aux maçons nouvellement initiés, mais il peut également intéresser les Compagnons fraîchement montés en grade et, bien sûr, les profanes que le sujet titille. La franc-maçonnerie sans un tabou Cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur, N’imagine pas que les pages qui suivent soient l’exercice convenu d’une introduction classique ! Peut-être est-il présomptueux de l’affirmer ainsi, mais il te faut savoir, et c’est, je l’espère, l’originalité de ce texte, qu’il est le fruit de trente-huit ans d’une pratique maçonnique assidue, d’échanges, de lectures, d’études, de travaux personnels, de situations vécues, de confrontations d’idées, de fâcheries et de réconciliations, de convictions confirmées ou aménagées, de critiques adressées ou reçues qui ont souvent agacé la sensibilité. Devenir franc-maçon est un engagement : non pas un engagement indéfectible et sacralisé comme celui des ordres religieux, mais un engagement raisonné sans cesse et renouvelé à chaque tenue. La franc-maçonnerie n’est pas une secte : elle n’implique pas de  subordination psychologique ni de changement de personnalité ; on peut la quitter sans avoir à craindre la vengeance des Frères, contrairement à ce que soutiennent encore les anti-maçons sur la base d’une interprétation littérale de rituels anciens façonnés par le romantisme. Mais elle réclame une volonté, une lucidité, une persévérance, une ouverture d’esprit qui sont continus. Je te propose dans ces quelques pages trois perspectives, qui seront autant de parties du texte, non pas pour rester dans l’académisme du plan ternaire mais plutôt pour respecter la symbolique du grade d’Apprenti dont le chiffre spécifique est le trois. Tu dois d’abord saisir l’exceptionnalité de cette institution : la franc-maçonnerie est unique. Je ne te cacherai pas ensuite ses faiblesses : suis mon précepte, n’idéalise jamais la franc-maçonnerie ! Enfin, j’essaierai de te montrer combien elle représente, par sa méthode et sa culture, un outil philosophique capable d’appréhender l’avenir. LE LECTEUR.– En quoi la franc-maçonnerie est-elle aussi exceptionnelle ? LE NARRATEUR.– Elle est d’abord et avant tout une société de pensée initiatique ; cette société repose sur une philosophie de la Raison et de la Liberté ; elle promeut des valeurs humanistes dont l’amalgame en fait une association unique. La formulation moderne de l’histoire légendaire de la franc-maçonnerie remonte à 1723, date à laquelle un pasteur écossais, James Anderson, a publié un ouvrage intitulé Constitutions. Ce texte contient quatre parties : une Constitution, qui reprend l’histoire du métier de maçon ; des Obligations, qui comportent les principales modalités du travail des Frères ; des Règlements généraux, qui complètent les articles précédents en organisant le fonctionnement de la fédération des Loges ; enfin, on trouve plusieurs chants maçonniques. L’une des originalités de ce texte, parmi de nombreuses autres, est de considérer que la franc-maçonnerie doit devenir un “Centre d’Union” entre des hommes que rien ne prédisposait à se rencontrer : ” le moyen de nouer une amitié fidèle parmi des personnes qui auraient pu rester à une perpétuelle distance» (art. ler). Ces hommes – les femmes ne seront admises qu’à la fin du XIXème siècle, en France – se réunissent régulièrement pour travailler et réfléchir ensemble. LE LECTEUR.– Mais ce n’est qu’un club à l’anglaise ?! LE NARRATEUR. – Cela peut paraître ainsi ! Et même si cela était, quoi d’inavouable ? En vérité, cette société de pensée obéit à des valeurs morales, nous le verrons plus loin, et permet à ses adhérents d’évoquer tous les sujets possibles à l’exception de la politique et de la religion, toujours sources de conflit. Le Grand Orient de France s’est affranchi, en 1877, de cette double obligation, en affirmant la liberté absolue de conscience de chacun de ses membres ; cela a été un pas décisif dans la construction d’une franc-maçonnerie tournée vers la société profane. Mais ne nous éloignons pas ! La pratique régulière des réunions maçonniques crée rapidement entre les membres des liens de camaraderie ; l’esprit de l’institution est d’accepter de se livrer devant les autres en mettant de côté les conventions sociales : une discussion maçonnique est, par principe, franche et intime. Au-delà, s’établit donc une amitié telle qu’indiquée par Anderson et se construit une fraternité. Anderson l’érige en valeur absolue: ” l’amour fraternel le fondement et la pierre angulaire, le ciment et la gloire de cette ancienne fraternité” (Constitutions, art. VI, § 6). Ce concept d’amour fraternel, tu t’en doutes, Lecteur, est l’objet de multiples interprétations philosophiques et morales dans la vie des Loges : il trouve à s’exprimer à l’occasion des infortunes de la vie profane des uns ou des inévitables difficultés de gestion administrative de tout groupement humain (démissions, radiations, etc.). Mais il constitue la quintessence et l’idéal même de l’Ordre. À la fin de chaque tenue une chaîne d’union, où les frères et soeurs se tiennent par la main, rappelle l’importance de l’amour fraternel et insiste sur “la grandeur et la beauté de ce symbole”, son sens profond étant de conserver “les uns envers les autres la plus fraternelle affection et de travailler sans relâche à réaliser la grande oeuvre de la fraternité universelle.” Sur les sceaux maçonniques, la poignée de main apparaît souvent pour représenter ce lien fraternel. La seconde caractéristique de cette société maçonnique est d’être initiatique. Mais qu’est-ce que cela signifie ? L’initiation est un processus anthropologique classique repris par la franc-maçonnerie ; mais les sciences humaines contemporaines ont du mal à l’appréhender, c’est pour elles une énigme, tout comme d’ailleurs la franc-maçonnerie… Pourtant, Lecteur, mon Frère, ma Soeur, comprends une chose simple : l’initiation est un fait social universel. Dans la plupart des sociétés humaines, depuis les temps les plus immémoriaux, les hommes semblent s’être livrés à des cérémonies pour honorer les dieux, les ancêtres ou la Nature. Ces cérémonies ont donné lieu à des rituels et ont été auréolés de mystère parce que le cycle mort/renaissance est systématiquement abordé, comme si les hommes étaient obsédés par cette question. Le tout enrobé du secret et de la promesse du passage dans un état censé être supérieur ! Quoi de mieux pour enflammer l’imagination dans les grands moments de la vie ? Bien sûr, les religions à mystères, orientales et gréco-latines, s’en sont emparé. Fille de la culture occidentale, la franc-maçonnerie à son tour l’a reprise pour en faire la clé de voûte de son propre mystère. LE LECTEUR.- Mais tous les maçons sont-ils d’accord sur ce problème de l’initiation ? LE NARRATEUR. – Oui, sur le principe, mais pas sur la définition ! Ce serait trop facile ! L’initiation donne lieu à des interprétations nombreuses, divergentes et parfois opposées ; au fond, chaque franc-maçon, selon sa conception philosophique ou son cheminement, en a une vision personnelle. On s’accorde toutefois à penser, au minimum, que c’est un long processus d’éveil à la conscience ; c’est un processus actif et personnel car c’est l’individu qui doit se réaliser pleinement par l’enseignement et la méthode qui lui sont transmis. Par l’initiation, l’homme cherche à comprendre le sens de sa condition sur terre et à bâtir une harmonie avec le monde. Tu le vois, Lecteur, la franc-maçonnerie est intéressante : elle est une démarche individuelle mais pas solitaire car la construction de soi ne se fait pas sans les autres. D’autant que les principes philosophiques qui sous-tendent cette institution appartiennent à l’Histoire et promeuvent la Raison et la Liberté. La franc-maçonnerie est en partie issue des Lumières. Ce mouvement du XVIIIème siècle repose sur trois fondements philosophiques qu’il est indispensable de rappeler en ce début du XXIème siècle: la raison, la liberté et le progrès. La raison cherche à connaître et à comprendre le monde ; la liberté permet à l’individu d’être un sujet de droits, ce qui justifie le contrat social ; le progrès, enfin, accorde la primauté à l’esprit scientifique sur la Providence, il promeut l’esprit critique comme seul moyen d’analyse. Les philosophes rejettent ainsi toute autre autorité que la raison. N’est-ce pas extraordinaire, à notre époque post-moderne et déconstructrice, d’avoir une société de pensée qui rappelle ces évidences de l’humanisme ? Les Loges ont très vite adhéré à cette nouvelle vision du monde, même celles qui donnaient la priorité à la Tradition. LE LECTEUR.– Les Lumières ont aussi été accusées d’être à l’origine des Révolutions qui ont détruit l’ordre ancien. Et beaucoup pensent que l’individualisme exacerbé de notre temps en provient également… LE NARRATEUR.– On peut le soutenir, bien sûr ! Mais la franc-maçonnerie échappe à ce type de critiques car elle assigne à la raison et à la liberté un objectif clair la recherche de la vérité. J’y reviendrai plus loin. LE LECTEUR.– Et la morale dans tout ça ? LE NARRATEUR. – Ne sois pas trop pressé ! Ton empressement montre ton intérêt, c’est parfait ! La morale n’est pas oubliée ; elle est même omniprésente dans les Constitutions d’Anderson : “Un maçon est obligé, par son engagement, d’obéir à la loi morale“,  écrit-il d’entrée (art. 1er). S’en suivent tout au long du texte l’énonciation des vertus nécessaires : loyauté, discrétion, bonne réputation, obéissance, humilité, courtoisie, sincérité. Tous les auteurs maçons mentionnent depuis lors la morale car elle est au coeur de l’institution. Tout tourne autour de la notion de devoir, qui est devenue la clé de voûte de la philosophie morale maçonnique. Certes, il existe une subtilité quelques textes maçonniques évoquent l’étude de la morale plutôt que “l’obligation pratique de la morale”, mais ce n’est qu’une habileté formelle. Car un travail d’analyse profond et régulier, tel qu’il est demandé au franc-maçon, qui ne déboucherait pas sur une praxis ne pourrait s’expliquer que par la dissimulation et le mensonge envers soi-même. Tu le vois, cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur, il y a la lettre, et il y a l’esprit ! Je reconnaîtrais volontiers que, s’il s’arrêtait là, cet ensemble philosophique pourrait être banal, ou bancal. Heureusement, la franc-maçonnerie adogmatique y ajoute le principe d’égalité et celui, déjà énoncé, de liberté absolue de conscience. La liberté est déjà l’une des conditions prérequises d’admission en franc-maçonnerie. Anderson précise qu’il faut être “né libre“, et la formule traditionnelle reprise par les rituels indique que le candidat doit être “libre et de bonnes moeurs” où l’on retrouve la morale… Cette faculté s’exprime en Loge par le droit de vote individuel, par la liberté de penser et de parole, par la liberté d’interprétation des symboles. Le Grand Orient de France y a ajouté la liberté absolue de conscience : ce principe lui est consubstantiel. Tu me pardonneras de citer le texte de l’article premier de la Constitution du Grand Orient de France : “Considérant les conceptions métaphysiques comme étant du domaine exclusif de l’appréciation individuelle de ses membres, elle se refuse à toute affirmation dogmatique.” C’est exceptionnel et unique ! Quelle société de pensée en fait autant ? Cette maxime ne consiste pas à nier les croyances ; il s’agit simplement du droit pour un franc-maçon de croire ou de ne pas croire, l’obédience restant neutre vis-à-vis des convictions de ses membres. L’adjectif “absolue” s’adresse d’abord aux athées, agnostiques et libres penseurs, la portée de ce principe ayant été surtout religieuse. Quant à l’égalité, elle est rappelée par la Constitution du Grand Orient de France : :dans les réunions maçonniques, les francs-maçons sont placés sous le niveau de l’égalité la plus parfaite ; il n’y a pas d’autre hiérarchie que celle des offices exercés. Les rituels d’ouverture des travaux indiquent à chaque tenue qu’il faut “laisser les métaux à la porte du temple“, l’expression signifiant qu’il faut abandonner la posture profane et accepter l’égalité entre tous. Enfin, le niveau reste le symbole très présent de cette égalité maçonnique. Anderson le rappelle : ” Les maçons sont comme des Frères sous le même niveau” (art VI, § 3). Que dis-tu de tout cela, cher Lecteur ? LE LECTEUR.– Je saisis bien la présentation qui est faite. Effectivement, elle est séduisante. Mais, excuse ma naïveté, il manque quelque chose. Ces grands principes que tu évoques avec chaleur, peut-être avec fougue, impliquent-ils des valeurs particulières ? Ou la franc-maçonnerie pratique-t-elle des valeurs communes aux sociétés humaines? Dans ce domaine, quelle est sa particularité ? LE NARRATEUR.– Bien vu ! Tu as raison, je dois aborder cet aspect des valeurs, il est essentiel ! Trois valeurs représentent l’épine dorsale de la franc-maçonnerie : la solidarité, la tolérance et le travail. Anderson, on l’a vu, érige la fraternité en valeur absolue. Mais, cher Lecteur, mon Frère, ma Soeur, la fraternité pourrait ne rester qu’un vain mot, plus théorique que pratique. Les maçons lui ont donné une traduction concrète : la solidarité. Cette valeur est directement issue des corporations de métiers médiévales qui mutualisèrent leurs moyens pour se prémunir contre les aléas de la vie. La pratique de la solidarité est un devoir de tout maçon non seulement envers un Frère mais aussi envers chacun. Le serment prêté par l’Apprenti lors de l’initiation est clair. “Je promets de mettre en pratique, en toutes circonstances, la grande loi de solidarité humaine qui est la doctrine morale de la franc-maçonnerie.” La deuxième valeur consubstantielle à la franc-maçonnerie est la tolérance. Largement issue des Lumières – souviens-toi de Locke et de Voltaire – elle est née dans les conditions de luttes politiques et religieuses de l’Angleterre des XVII et XVIIIèmes siècles. Elle ressort implicitement du fameux article premier des Constitutions d’Anderson : ceux qui pratiquent la maçonnerie peuvent garder leurs propres opinions du moment qu’ils sont loyaux envers les autres. Pour moi, la tolérance est inséparable de l’éthique maçonnique ; elle est une vraie pratique tant la variété des opinions est infinie. Crois-en mon expérience, elle est souvent difficile à vivre car elle a une dimension contraignante c’est une attitude positive qui permet d’admettre que l’autre dispose d’une part de vérité , mais c’est aussi un exercice de maîtrise de soi et de liberté d’être soi. Son champ d’application est infini, ce qui lui confère un caractère flou, qui se heurte à une aporie : peut-on tolérer l’intolérance ? Le franc-maçon doit réfléchir à tout. Enfin, je ne voudrais pas oublier le travail. Toute Loge est symboliquement un chantier en activité, de nombreux symboles rappellent la nécessité permanente du travail. Lors de l’initiation, il est demandé au candidat de prendre la ferme résolution de travailler sans relâche à son perfectionnement spirituel et moral, une phrase du serment de l’Apprenti développe ce point : “Je promets de travailler avec zèle, constance et régularité à l’oeuvre de la franc-maçonnerie”. Les frères et soeurs sont qualifiés d’ouvriers et il est régulièrement rappelé la nécessité de longs et pénibles efforts car l’heure du repos n’est pas arrivée… Tu le comprends, la franc-maçonnerie estime que le travail est un devoir. Et ce principe est plus que jamais d’actualité ; par exemple, la question du revenu universel est importante : remet-elle en cause ce principe quand on pense que le travail permet à l’homme de se réaliser ? Un ultime point dans cet ensemble de valeurs humanistes qui caractérisent la franc-maçonnerie, en particulier la franc-maçonnerie adogmatique comme celle du Grand Orient de France, c’est la laïcité. C’est l’essence même du Grand Orient Depuis la loi de 1905 qui organise la séparation de l’Église et de l’État et qui garantit la liberté de culte, elle est une construction permanente car elle touche profondément à la fois la vie personnelle et la vie en société. Cette particularité philosophique en fait une conception sociale globale qui nécessite des ajustements continuels au regard des évolutions sociétales : l’élaboration de la laïcité n’est jamais finie ! Ne pas oublier, en effet, qu’elle signifie autant la liberté d’incroyance que la liberté d’indifférence ou la possibilité de changer d’opinion. Elle conjugue la liberté de conscience, la sécularisation des institutions et l’égalité des religions via la neutralité religieuse de l’État. Elle est un principe régulateur des relations sociales démocratiques. Nous savons tous que ce principe de laïcité s’est effrité au cours du XXème siècle, nous savons tous qu’il est menacé par la réapparition du religieux et la faiblesse du politique, nous savons tous que ses enjeux actuels concernent aussi le domaine culturel et identitaire ! Raison de plus pour réaffirmer combien elle est importante devant la montée des communautarismes ! LE LECTEUR.– Devant une présentation aussi élogieuse, pourrais-tu me dire quels sont les défauts de la franc-maçonnerie ? Je ne peux imaginer, même si je suis prêt à reconnaître votre exceptionnalité, même si vous êtes censés rechercher la perfection, que vous y soyez parvenus ! Les saints eux-mêmes ont des zones d’ombre… LE NARRATEUR.– Oh ! Comme tu as raison, cher Lecteur ! Les francs-maçons n’aiment guère aborder cet aspect de leur vie ! Je dis à tout candidat à la franc-maçonnerie, comme je le dis à tout Apprenti déjà initié, comme je te le dis à toi-même : il ne faut pas idéaliser la franc-maçonnerie ! Je ne vais rien te cacher ; ton engagement n’en sera que plus éclairé et plus solide. Les maçons sont des hommes de conviction ; la maîtrise de soi tant recherchée est un perfectionnement permanent qui n’aboutit pas à chaque coup ! Oppositions et affrontements existent : non seulement au moment des élections annuelles qui peuvent donner lieu à des rivalités de personnes, mais aussi, plus noblement, lorsqu’il s’agit de conceptions philosophiques ou sociétales. Ces crises de sensibilité n’empêchent pas la fraternité, aussi paradoxal que cela puisse te paraître. Il peut y avoir des conflits de personnes violents qui engendrent des scissions de Loges – ce que nous appelons un essaimage – et des réconciliations plusieurs années après entre les antagonistes. La variété des caractères humains se retrouve ainsi dans nos Loges. On y discerne tous les types décrits par les moralistes et dramaturges. L’attitude la plus désagréable, et malgré tout assez répandue, est la cordonnite : ce n’est pas une maladie, encore que… Cette appellation désigne la recherche systématique d’une fonction élective. En effet, cette fonction s’accompagne, pour le frère une fois élu, de marques de respect et de reconnaissance dans les cérémonies maçonniques. Il entre solennellement dans le temple, parfois accompagné d’un rituel particulier ; il est présent à l’Orient, bien visible sur l’estrade à côté du Vénérable , il porte un cordon spécifique – ou un autre signe extérieur (rosette, cocarde ou médaille) – qui se doit d’être significatif pour cela, on y trouve des motifs symboliques brodés de fil d’or, il y a des décors satinés, des sautoirs aux couleurs vives. Bref ! Il y a parfois des relents de courtisanerie d’Ancien Régime et de mépris aristocratique en contradiction avec la simplicité et l’humilité maçonnique. Ces écarts individuels ne sont pourtant pas décisifs : l’Ordre continue d’exister grâce aux milliers de frères et de soeurs anonymes qui pratiquent du mieux qu’ils peuvent les vertus réclamées. Plus gênantes sont les faiblesses collectives. Elles concernent essentiellement l’affairisme que les anti-maçons mettent si souvent en exergue à la moindre occasion. On a souvent reproché à la franc-maçonnerie de favoriser, sous couvert de solidarité, l’affairisme de certains de ses membres ; les affaires (abus de biens sociaux, détournements de fonds, abus de confiance, trafics et fraudes) ont effectivement parfois éclaboussé la vie de l’Ordre. Dans la même perspective, on reproche aux fraternelles de favoriser cet affairisme. Les fraternelles ? Les maçons apprécient de se retrouver en dehors des Loges et des obédiences, pour se connaître et échanger. Ces regroupements, parfois informels, ou plus souvent associatifs, s’effectuent généralement selon un critère unique : il faut être domicilié dans une même ville, ou être membre d’un même corps de métier, d’une même entreprise ou d’un même ministère. Les réunions sont régulières mais sans cérémonial ni décors maçonniques : il s’agit souvent de déjeuners ou de dîners dans lesquels un frère fait un exposé ouvrant un débat. C’est vrai, la dérive peut être rapide vers la constitution d’un lobby motivé uniquement par des perspectives professionnelles ou privées, avec de dangereuses conséquences affairistes. À la fin du XXe siècle, de nombreux scandales ont impliqués des adhérents de plusieurs obédiences françaises via des fraternelles. Je te rassure, cher Lecteur, la plupart des grandes obédiences ont pris des mesures destinées à assainir ce domaine, même si les tentatives de contrôle ou les condamnations n’altèrent pas la vigueur des fraternelles qui semblent correspondre à un vrai besoin des frères et soeurs. En réalité, personne ne peut garantir que la procédure de recrutement et l’enseignement moral diffusé en Loge empêchent des aigrefins de s’infiltrer. Un frère qui cherche à se constituer un carnet d’adresses et un réseau de relations se trouve assez rapidement en contradiction avec l’esprit maçonnique, sauf exception il est rare que l’atmosphère de la Loge l’y encourage. La proportion d’escrocs est infime mais le scandale public est toujours dévastateur ; les obédiences prennent des mesures de suspension et d’exclusion pour remédier à la situation. LE LECTEUR.– As-tu d’autres aspects désagréables à m’indiquer aussi franchement ? LE NARRATEUR.– Oui, cher Lecteur, il existe également au moins deux autres sources d’inquiétude. D’abord les risques d’un “symbolisme symbolâtre” et ensuite ceux de l’élitisme. LE LECTEUR.– Qu’entends-tu par ce redoublement barbare : “symbolisme symbolâtre” ? LE NARRATEUR.– C’est une invention de mon cru ! Certains auteurs ont popularisé le terme unique de “symbolâtrie.” Comme j’aime le symbolisme dans une version modérée, je préfère accoler un adjectif disqualifiant pour montrer qu’il s’agit d’une dérive ; dérive qui, hélas, prend de plus en plus d’importance… Le symbolisme dispose de deux facultés : celle de transformer un objet en signe pour exprimer un fait ou une opinion ; et celle de créer, pour appréhender ce signe, une chaîne indéfinie de correspondances qui sont autant de significations pouvant tout à la fois se conforter ou s’opposer. C’est une magnifique manifestation de l’intelligence humaine qui a été reprise par la franc-maçonnerie et dont elle est de venue la substance de la vie initiatique. Tant qu’il s’agit de considérer le symbolisme comme un moyen, il n’y a rien à dire, mais quand il devient une fin, une fin absolue, il présente plusieurs risques que les maçons ne veulent pas prendre en compte, aveuglés qu’ils sont par ce finalisme. D’une part, le symbolisme est amené à minimiser, sinon dans certains cas, à nier la raison ; pour ce courant de pensée, le symbole dépasse en lui-même les mesures de la raison car celle-ci fragmente la richesse du symbole. Or, la franc-maçonnerie telle qu’elle est issue des Lumières est fondée sur la raison. D’autre part, quelles que soient les formules utilisées, le symbolisme recherche en réalité une transcendance, de nombreux auteurs l’admettent sans fard ; affranchi des contraintes de la raison, le symbole s’élève au-dessus de l’ordre intelligible des choses. Or, la franc-maçonnerie adogmatique accepte l’athéisme. Enfin, se considérant comme une voie d’exploration des profondeurs de l’Être, le symbolisme promeut l’inconscient, or, l’initiation est, de l’avis de tous, une démarche d’accès à la conscience. Pour finir ce registre délicat pour les maçons il faut évoquer la double tentation de l’élitisme et du conservatisme, souvent associés. Les francs-maçons aiment à se donner de l’importance ! Depuis qu’Anderson a décidé qu’Adam était le premier maçon ils s’imaginent bien volontiers qu’ils sont sortis de la cuisse de Jupiter… Plus sérieusement, ils sont saisis par l’idée qu’ils sont supérieurs au profane du simple fait de la pratique réflexive en Loge : celle-ci crée une distance par rapport à la vie quotidienne ou à l’événementiel et donc une certaine lucidité éclairante. C’est aussi l’une des grandes idées véhiculées par l’ésotérisme : il existe une élite spirituelle seule capable de l’approfondissement intellectuel susceptible de comprendre les vérités éternelles. Cet élitisme a également des origines historiques l’aristocratisme des Hauts Grades qui se retrouve dans le caractère monarchique de certains Rites. Tu dois me trouver bien sévère ? Mais j’ai oublié la tentation conservatrice ! Elle est très liée à la précédente. Les raisons sont multiples : l’application d’un rituel immuable qui répète une gestuelle formelle, la mentalité née du secret protecteur vis-à-vis du monde profane, la prise en compte des opinions de chacun au nom de la tolérance, qui obère tout questionnement critique, le thème de la Tradition dans son acception la plus simple (saint Paul aux Corinthiens : transmettre ce qui a été reçu), le tribalisme obédientiel, le ronronnement dans l’environnement convenu de la Loge, voilà autant d’éléments qui confortent un traditionalisme insidieux qui s’empare du maçon à son insu. Le risque conservateur est en fait consubstantiel à la franc-maçonnerie ! Dans le monde postmoderne, le narcissisme et le repli identitaire ont touché les maçons qui y trouvent confort et conventionnalisme… LE LECTEUR.– C’est accablant ! LE NARRATEUR.– Non ! C’est la vie de toute société humaine ! Rien de dramatique ni d’anormal. La nature humaine est ce qu’elle est ! D’autant que la franc-maçonnerie, dont j’ai d’entrée souligné l’exceptionnalité, dispose aussi d’une culture et d’une méthode qui en font une voie d’avenir indéniable.  Les maçons passent leur temps à se poser des questions, la pratique du doute étant l’une de leurs méthodes essentielles. Ils s’interrogent ainsi régulièrement sur la signification de leur propre histoire et sur celle de leur devenir. Pour eux, la question qui s’est posée assez rapidement a été celle de la relation entre la Tradition et la Modernité. Le traditionalisme maçonnique, dans sa version courante, se veut une volonté explicite de retour aux sources, notamment chrétiennes, et des valeurs qui s’y rattachent. La tradition est ainsi un dépôt dont les attributs sont l’ancienneté et la continuité, dépôt capitalisé avant d’être transmis par chaque génération à la suivante. Pour certains, plus catégoriques encore, il existe une Tradition primordiale dont toutes les religions et les courants ésotéristes sont des manifestations dégradées ; le traditionalisme exprime ainsi un refus définitif de la Modernité. La Tradition, par nature, est élitiste : je te l’ai déjà fait entrevoir. Elle serait réservée à des esprits supérieurs capables de différencier l’éphémère, qui est factice, du sérieux plus proche de la Vérité ; cette capacité est fondée sur l’ésotérisme comme moyen et fin de la Vérité. Avec Anderson, on est dans la Modernité : les notions maçonniques de base sont la tolérance et l’universalisme, complétées ensuite par celles de liberté, d’égalité et de fraternité, et couronnées par le concept de laïcité. Cette franc-maçonnerie permet de séparer la sphère des convictions religieuses d’ordre individuel de la sphère des convictions sociales d’ordre collectif. Elle accepte ainsi toute la gamme des opinions intermédiaires ou partielles dans une pratique équilibrée de la maçonnerie : mixité, adaptation des rituels, etc. Le mécanisme de l’élection aux fonctions maçonniques est un point qui focalise ce débat. Les traditionalistes soutiennent que la Tradition s’accompagne d’un fonctionnement hiérarchique et symbolique absolument contraire à la démocratie. Dès lors, l’idéologie démocratique serait une fausse séduction car la franc-maçonnerie reste malgré tout fondamentalement hiérarchique, un Apprenti et un Compagnon n’ayant pas, par exemple, les mêmes droits qu’un Maître. Inversement, les modernes trouvent dans ce dispositif électoral le soubassement d’un Ordre démocratique. Dans la continuation de cette perspective moderniste, la philosophie maçonnique de l’Histoire trouve à s’épanouir dans deux utopies : le progrès et l’idée d’un gouvernement mondial. LE LECTEUR.– Ce ne sont pas des idées proprement maçonniques ? Les philosophes, déjà… LE NARRATEUR.– Pas complètement, en effet. j’en conviens bien volontiers  ! Mais la franc-maçonnerie les a érigées en idéal pour créer de l’harmonie entre les hommes. L’idée de progrès apparaît avec force en franc-maçonnerie avec la Révolution française : le progrès philosophique place l’Homme au centre de la réflexion et de la connaissance et le progrès politique établit le peuple souverain. Ces idées correspondent aux attentes et aux pratiques maçonniques d’éducation par la raison, d’égalité des hommes, d’espoir dans un avenir meilleur libéré des contraintes naturelles par la science et les techniques. La participation des francs-maçons à la vie de la Cité – ils furent actifs dans la rédaction des cahiers de doléances mais se répartirent ensuite dans tous les camps politiques – montre leur attachement à une transformation à la fois individuelle et collective de l’Homme et de la société. Quant à l’idée d’un gouvernement mondial, elle est liée au pacifisme profond de la franc-maçonnerie : cette institution n’a jamais en tant que telle commandité un crime par exemple ; peut-on en dire autant de l’Église ? Ce pacifisme traduit la volonté de l’Ordre d’étendre la fraternité à toute l’humanité. Fort en vogue au XVIIIème siècle, l’idée d’un gouvernement mondial, qui a inspiré la création de la Société des Nations (7929), puis de l’ONU (7948), est plus que jamais présente au Grand Orient de France, très attaché à l’idée d’une république planétaire : constitution d’une entité politique universelle fondée sur la laïcité, reconstruction d’un État-providence, création d’une gouvernance mondiale et d’une citoyenneté planétaire avec un parlement universel. Bien sûr, ce sont là de belles idées, mais, regarde combien la question environnementale conduit à un embryon de coopération entre tous les pays : l’accord de Paris de 2015 sur le climat est le premier accord universel de ce type. Il faut avoir espoir en l’Homme ! D’autant que les maçons, avec leurs nombreuses légendes proposées dans leurs différents rituels, détiennent toute une série d’instruments de réflexion philosophique. Pour faire face à l’avenir, la franc-maçonnerie dispose de deux grandes potentialités philosophiques : la construction de soi et l’élaboration d’une conscience critique sociale. La construction de soi repose d’abord sur la recherche de la perfection. Non ! Non ! Ce n’est ni la perfection divine, ni la sainteté religieuse ! C’est la capacité à apprendre à se connaître de même que c’est le travail de l’Apprenti ; on appelle cela “polir sa pierre.” Ce travail se continue au grade de Compagnon car il faut que cette pierre, une fois polie, puisse s’intégrer parfaitement dans l’édifice commun que représente la Loge. Je l’ai déjà évoqué plus haut : cette démarche n’est pas sans adversité. Eh bien ! la maçonnerie suggère la structuration du moi dans l’adversité. Elle n’est pas un simple club, rien n’est facile. Mais quel plaisir de travailler sur soi avec l’aide des autres ! La construction de soi résulte aussi de la maîtrise du Temps. Qu’est-ce à dire ? Notre société contemporaine considère le présent comme le référent principal, déconnecté du passé comme du futur ; les nouvelles formes d’expression de notre rapport au temps, ce sont l’urgence, l’immédiateté, l’instantanéité, la vitesse. Nous avons perdu la notion de profondeur. Cette réalité rend bien difficile l’introspection qui requiert un temps intérieur et une réappropriation de soi. Accepte ce diagnostic : l’image éphémère ne facilite pas la pensée construite. Or, la maçonnerie apprend à prendre en compte le temps ! Il faut du temps pour se développer et mûrir, il faut du temps avant de gravir les échelons rituels de la démarche maçonnique, il faut du temps pour être reconnu par ses frères et soeurs. Le temps est une nécessité absolue. Certains n’hésitent pas à dire aux jeunes Apprentis qu’en franc-maçonnerie, le temps n’existe pas ! Je ne vais pas jusque-là car s’il faut tenter de maîtriser le temps, je ne pense pas qu’on puisse l’abolir. La seconde potentialité philosophique de la franc-maçonnerie c’est, à mon avis, la capacité à élaborer une conscience sociale critique. Elle s’établit par la recherche d’un idéal de justice. La problématique de la justice est essentielle : le développement des inégalités et de la précarité, la concentration des richesses chez un nombre de plus en plus restreint de personnes sont des marqueurs contemporains de cette absence de justice qui nourrit, du moins en partie, les populismes. La franc-maçonnerie traite sans cesse de ce problème dans ses rituels, dans ses travaux et dans ses actions de solidarité. Cette recherche s’accompagne d’une autre. plus âpre peut-être, c’est la quête de la Vérité. Je l’ai déjà évoquée précédemment. La recherche de la Vérité est le but ultime de la philosophie. C’est un thème permanent en franc-maçonnerie et il est peu de textes, quels que soient les degrés, qui ne la mentionnent. Le franc-maçon essaie d’être un chercheur consciencieux et désintéressé de la Vérité. Dès sa demande d’adhésion il accepte une remise en cause de ses certitudes. Des questions apparaissent très vite dans son cheminement : la recherche de la Vérité est-elle un besoin naturel de l’homme ? La vérité est-elle objective? Quelle place donner à l’expérience personnelle ? Une vieille formule hermétique, plus connue sous la forme V.I.T.R.I.O.L., l’oriente dans cette voie : Visita interiora terrae, rectificandoque invenies occuftum lapidem que l’on traduit par “Visite l’intérieur de la Terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée”, c’est-à-dire la vérité intérieure. Ainsi, la vérité maçonnique n’est-elle pas institutionnelle ou dogmatique ; elle concerne le for intérieur de chaque maçon. Or, elle est d’autant plus importante que nous sommes entrés dans l’ère de la post-vérité, où plus rien n’est considéré comme vrai, où tu peux affirmer le contraire de ce que tu fais sans risquer l’erreur ou le mensonge ! Ici, la maçonnerie est vraiment à la pointe de l’actualité et de la philosophie. Cher Lecteur, je t’ai dit tout ce que je pouvais pour t’éclairer à ce stade. À toi de jouer à présent ! Puisse ce jeu de cartes t’aider à saisir les diverses facettes de la franc-maçonnerie : historiques, humaines, institutionnelles, rituéliques, etc. Mais je ne voudrais pas te décourager : il est difficile de tout comprendre de l’extérieur. Les Anciens l’affirmaient déjà sans complexe. Pour preuve, un quatrain attribué au compositeur de musique Jacques Naudot, qui a vécu au XVIIIème siècle, et qui est très répandu parmi les maçons. Pour le public, un franc-maçon Sera toujours un vrai problème, Qu’il ne saurait résoudre à fond Qu’en devenant maçon lui-même. Bon jeu ! François Cavaignac [CEPADUES.COM] François Cavaignac, né en 1948, est cadre supérieur de la fonction publique (administrateur civil) à la retraite. Après un début de carrière au Ministère de l’Éducation nationale il a notamment été Directeur des services administratifs et financiers de l’Etablissement Public du Musée d’Orsay (Ministère de la Culture), Adjoint au secrétaire général du CNRS (Ministère de la Recherche), et Secrétaire général de la Commission Interministérielle du Château de Vincennes (Ministère de la Défense). Titulaire de deux maîtrises (Droit public et Lettres-Histoire) il est également docteur en histoire avec une thèse soutenue en 2001 à Paris I Panthéon-Sorbonne sur Eugène Labiche. Franc-maçon depuis 1979 il a participé à la création de plusieurs loges, exerçant à différentes reprises les fonctions de vénérable de loges symboliques et de président d’ateliers de la Juridiction écossaise. Ses principaux thèmes de recherche concernent l’histoire de la franc-maçonnerie, la perception de la franc-maçonnerie par le monde profane à travers certaines institutions (le théâtre et la littérature) et l’herméneutique des rituels et des mythes maçonniques. Il a ainsi publié régulièrement depuis 2004 plusieurs articles et ouvrages sur ces sujets. Il est membre du comité de rédaction des Chroniques d’histoire maçonnique (GODF). Ouvrages du même auteur (hors articles de revues) La Franc-maçonnerie, 300e anniversaire, 1777-2017 (Levallois-Perret, Bréal, 2017), Les Mythes maçonniques revisités (Paris, Dervy, 2016), Balades maçonniques en littérature (Bruxelles, EME, 2014), Second Surveillant. Comment faire avec les Apprentis ? (Paris, Dervy, 2013), 50 fiches pour comprendre la franc-maçonnerie (Paris, Bréal, 2012), Les Francs-maçons au théâtre de la Révolution à la Belle Époque (Paris, Véga, 2011), La Culture théâtrale à Étampes au XIXe siècle (Paris, L’Harmattan, 2007), Eugène Labiche ou La gaieté critique (Paris, L’Harmattan, 2003). statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : dervy-almora.fr | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © Le Lombard. Plus de symboles en Wallonie… [...] Lire la suite…
LEMAIRE : La Société libre d’Émulation, une histoire riche et vivante (CHiCC, 2003)LEMAIRE : La Société libre d’Émulation, une histoire riche et vivante (CHiCC, 2003)
Au fil des générations, dans la mémoire des Liégeois, l’Emulation est restée synonyme de séances d’Exploration du Monde, du Touring Club, de concerts ou pièces de théâtre dans l’écrin confortable qu’était la salle de spectacles. Toute l’aventure partit d’une bonne idée, celle qui, à la fin du 18e siècle, rassembla plusieurs citoyens soucieux de pourvoir leur ville d’un centre de réunions et d’actions culturelles, dirions-nous aujourd’hui. Créée en 1779 sous la protection éclairée du prince-évêque François-Charles de Velbrück, la Société d’Emulation, constituée sur le modèle des académies qui florissaient alors en France, oeuvrait dans une ambiance de sociabilité érudite ; elle était également chargée de la surveillance de la plupart des établissements scolaires fondés à Liège par ce prince-évêque : la Société pour l’Encouragement des Beaux-Arts, l’Académie de peinture, de sculpture et de gravure, l’Ecole de dessin appliqué aux Arts mécaniques, le Cours de Droit civil et économique, l’Ecole d’accoucheuse,… Grâce à un don de Velbrück, ses activités avaient pour cadre un petit mais bel édifice de 1762, appelé “Salle des Redoutes”. Elle était située place du Grand Collège dont les constructions seront incorporées plus tard dans l’Université. On y trouvait une bibliothèque, les journaux liégeois et aussi parisiens, un cabinet de physique expérimentale et une salle de réunion où se donnaient des concerts, des conférences et des expositions. La chute de l’Ancien Régime a entraîné la fermeture des salons de l’Emulation et on peut considérer qu’elle n’a rouvert ses portes qu’en 1809, sous le régime français. L’épithète “libre” a alors été adjointe à son nom. Il y avait eu occupation de troupes dans les locaux et il a fallu reconstituer les collections et le mobilier, faire deuil du cabinet de physique expérimentale dont le matériel avait disparu. Le 19e siècle fut un siècle d’or pour la Société avec le développement de l’Université car la plupart des professeurs étaient aussi membres de l’Emulation. Les étudiants y avaient entrée libre. On put alors assister à l’audition de conférenciers (dont un des plus acrobatiques fut assurément Paul Verlaine, plutôt éméché), de littérateurs et critiques, d’œuvres musicales, dont certaines dirigées par leurs compositeurs, tels Franz Liszt et des représentants de l’Ecole de Musique russe venus sous l’égide de la Comtesse de Mercy-Argenteau. Le bâtiment bénéficiera au cours du 19e siècle de modifications importantes, par l’adjonction d’un deuxième étage surmonté d’un fronton triangulaire, et par la rénovation, vers 1850, de la salle néo-gothique par l’architecte Jean-Charles Delsaux. Ulysse Capitaine a établi, en 1862, un catalogue de la bibliothèque qui recensait 2 262 manuscrits. Comme nous le renseigne le Liber memorialis de Renier Malherbe (publié pour le centenaire de l’association), l’Emulation établit très vite des relations avec des sociétés savantes étrangères et compta parmi ses membres résidants, correspondants et honoraires de nombreuses sommités scientifiques nationales et internationales. Le siècle suivant débuta par une catastrophe : le soir du 20 août 1914, au début de la première guerre mondiale, une soldatesque, avinée pour la circonstance, fusilla 28 personnes et mit le feu à de nombreuses maisons de la place de l’Université. L’Emulation brûla de fond en comble, avec perte totale de sa bibliothèque, de ses archives, de ses collections et des orgues. Seul vestige conservé de son passé foisonnant : une feuille de titre des Mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand ! En mars 1918, Emile Digneffe, Président du Conseil, et son collègue Auguste Laloux entamèrent la reconstitution de la Société. La Ville mit à disposition de l’Emulation un ensemble de parcelles expropriées. Dans le projet de l’architecte Julien Koenig, le nouvel immeuble aura une façade, sur la place du Vingt-Août, de 31 mètres de large, avec une surface près de six fois supérieure à celle de l’ancienne. Inspirée du style Louis XVI, elle sera revêtue de petit granit et de brique avec des bas-reliefs sculptés en calcaire de Larochette. En comptant la galerie et la loge royale, la salle pouvait asseoir quelque 600 participants. Dans son prolongement se trouvait la salle d’expositions dont les cimaises ont accueilli des manifestations de l’Union liégeoise du Livre et de l’Estampe (alors filiale de l’Emulation), de l’A.P.I.A.W., de l’Oeuvre des Artistes… Le 17 mai 1939 eut lieu, en grande pompe, l’inauguration de ce nouveau bâtiment qui allait, cette même année, contribuer aux fastes de l’Exposition Universelle de l’Eau, dont le Commissaire du Gouvernement se trouvait être le baron de Launoit, Président de la Société. Hélas, moins d’un an après, la deuxième Guerre mondiale et l’Occupation allaient entraîner, pour l’Emulation, l’indisponibilité de ses locaux. De 1940 à 1948, ils sont réquisitionnés par le Département de la Justice. Ensuite, les trois derniers étages seront loués à la Radio, à l’Université, au Grand Liège ainsi qu’à des services-clubs. Depuis 1985, le bâtiment de la place du Vingt-Août est loué à la Communauté française pour y abriter la Section des Arts de la Parole du Conservatoire Royal de Musique de Liège. La Société libre d’Emulation est réinstallée depuis 1986 dans la Maison Renaissance, dans une courette de la rue Charles Magnette. Ce petit édifice à tourelle d’angle, vestige subsistant du couvent des Sœurs de Hasque (classé, entièrement restauré en 1931 puis, extérieurement, en 1990) est à la fois son siège administratif, le lieu de certaines activités et le creuset de ses initiatives culturelles. D’après un texte de Guy Dehalu, Administrateur-Secrétaire général de l’Emulation, Alfred Lamarche, membre de l’Emulation, et Anne-Françoise Lemaire. image en tête de l’article : le nouveau bâtiment de l’Émulation après son inauguration en 1939 © histoiresdeliege.wordpress.com La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte est le résumé d’une conférence de Anne-Françoise LEMAIRE, organisée en novembre 2003 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne… Plus de CHiCC ? [...] Lire la suite…