ROUSSELET, Richard (né en 1940)

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Un des seuls Montois illustre dans la sphère jazz, le trompettiste Richard Rousselet est une des figures centrales de la scène belge. Né en 1940, il découvre le jazz à l’âge de quinze ans. En autodidacte, il étudie la trompette, instrument finalement peu représenté sur la scène belge d’alors. Il s’intègre bientôt à de petits orchestres amateurs et, à cette époque où, précisément, le jazz disparaît des préoccupations du public jeune, il fait ses premières apparitions en public. Ses débuts coïncident avec ceux de Philip Catherine et de Jack Van Poll qu’il rencontre bientôt dans les jams bruxelloises et anversoises (la région montoise est en réalité peu fertile en solistes modernes, la principale activité jazz y étant concentrée autour des Dixie Stompers d’Albert Langue).

En 1960, Richard Rousselet est remarqué par les journalistes comme par les musiciens, lors du premier festival de Jazz d’Ostende. li dirige alors un quintette dans lequel on trouve le pianiste Jean Leclère, le bassiste Ferry Devos, le trombone ostendais Léo Delannoit et le batteur verviétois Félix Simtaine. Malgré le caractère résolument swing de certains des musiciens, l’ensemble sonne d’une manière qui se veut proche du hard-bop. Comme beaucoup d’autres, Rousselet est en effet rapidement passé de Louis Armstrong à Clifford Brown et il semble avoir assimilé la leçon des modernes. Petit à petit, il s’intègre au milieu du jazz belge et, en 1963, il se produit au Festival de Liberchies et y fait forte impression sur le jury qui lui décerne le prix Reinhardt. C’est la première d’une série de distinctions qui affermissent sa réputation sur le plan national. L’année suivante, c’est à Lausanne qu’il obtient le prix de la Maison de la Radio, gravissant l’échelon européen avant même d’être bien connu dans son propre pays.

Mais les temps sont durs pour les jazzmen ; le free a fait fuir une partie du maigre public resté fidèle au jazz, et les jeunes ne jurent que par la pop-music, alors à son apogée. Pendant quelques années, Rousselet va voir son ascension ralentie considérablement. Le grand redémarrage a lieu pour lui en 1969. Cette année-là, en effet, il se retrouve à deux reprises sur la scène du prestigieux Festival de Montreux : en petite formation avec Philip Catherine, Jacques Bekaert, Freddie Deronde et Félix Simtaine, et en tant que représentant de la Belgique, au sein de l’International Big Band dirigé par Clark Terry et Emie Wilkins. C’est avec cette grande formation qu’il enregistre son premier disque, aujourd’hui introuvable. L’année suivante, nouvelle promotion, il est à nouveau choisi pour représenter la Belgique, cette fois au sein de l’orchestre de l’U.E.R. (Union Européenne de Radiodiffusion).

Puis, lorsque Marc Moulin monte le groupe Placebo, il engage Rousselet qui va devenir un des seuls trompettistes belges (exception faite de quelques expériences, hélas confidentielles, de Milou Struvay, complètement marginalisé) à se spécialiser dans cette nouvelle musique binaire popularisée par Miles Davis, et vouée prioritairement aux instruments électriques (guitares, claviers). C’est avec Placebo qu’il apparaît pour la troisième fois sur la scène de Montreux, où il reçoit un accueil particulièrement chaleureux. li se voit décerner le prix de la Presse. “Ces lauriers couronnent un des musiciens de jazz les plus doués de notre pays” écrira Michel Herr, alors chroniqueur jazz dans la revue Amis du Film. Interrogé par un journaliste peu après le concert, Richard défend avec véhémence les choix musicaux à l’œuvre dans Placebo : “Le pop (…) sous-tend une ouverture que nous voulons avoir. Le jazz n’est-il pas plus fermé que le pop ? Le terme “jazz-pop” quant à moi, je le revendique aussi…” se situant ainsi dans la mouvance définie par Miles et Hubbard à cette époque.

Le concert de Montreux est en fait le premier concert de Placebo ; le groupe se maintiendra trois années au moins et Richard fera l’entièreté du parcours aux côtés de Marc Moulin, y côtoyant dans la section de trompette Nicolas Fissette. Trois albums (1971, 1973, 1974) scellent cette dernière participation durable de Rousselet à un orchestre. Mais Placebo ne l’occupe pas à plein temps et il continue à participer à différentes expériences musicales, ne dédaignant aucun type de jazz (à l’occasion, il joue dans des formations dixieland, et il enregistre en 1973 avec Alex Scorier un album intitulé This is New-Orleans), du Big Band (Belgian Big Band 72) au jazz de chambre.

Rousselet restera fidèle à Marc Moulin dans quelques unes de ses expériences ultérieures (l’étrange Sam·suffit par exemple en 1974) mais c’est aux côtés d’un autre pianiste qu’il va vivre l’aventure la pus exaltante de celle période de relance. En 1972, Michel Herr décide lui aussi de monter un groupe fixe utilisant les apports des musiques électriques nouvelles au service de compositions originales. Davantage que Placebo (dont la musique est plus “statique”), Solis Lacus restera au-delà de cette forme nouvelle un orchestre de jazz – quartette puis quintette – où les improvisations effrénées foisonnent. Les deux cuivres – Richard Rousselet et Robert Jeanne – , dynamisés par Michel Herr, Freddie Deronde ou Nicolas Kletchovsky et Félix Simtaine puis Bruno Castellucci, proposent, en concert surtout, une musique musclée et inspirée que l’électronique, les rythmes binaires, les percussions, etc. ne font que colorer davantage.

Solis Lacus joue dans différents festivals – au Middelheim notamment – et donne de nombreux concerts en Belgique et à l’étranger ; en janvier 1975, le groupe est présent au Conservatoire de Liège pour le concert donné en mémoire de René Thomas ; et la même année, un disque est enregistré, qui sortira sur IBC puis sera réédité sur B.Sharp. Ce disque est en fait un disque-testament : en effet. peu de temps après, Solis Lacus est dissout : le rêve du jazz-rock a pris fin, l’apparition de la musique punk a mis fin aux espoirs d’ouverture entre pop et jazz, une ère se termine.

Pendant tout ce temps, Richard Rousselet a continué à jouer un jazz plus traditionnel et il a eu l’occasion d’accompagner quelques monstres sacrés des notes bleues : ainsi, il s’est associé pour un soir à de bouillonnants ténors (Johnny Griffin, Hal Singer), à de graves barytons (Pepper Adams, Cecil Payne…) etc. Il se confronte également volontiers à ses collègues instrumentaux se livrant à des trumpetbandes endiablées avec des musiciens comme Benny Bailey, Nicolas Fisselte, ldrees Sulieman, etc. Entre la fin de Solis Lacus et la fin des années 70, Rousselet ralentit ses activités, cherchant quelle sera sa nouvelle voie. Quand il refera surface, ce sera le début d’une “seconde carrière”, plus brillante encore, pendant laquelle ses qualités de soliste, davantage canalisées, lui vaudront d’être quasi omniprésent sur la scène belge ; tandis que se dévoileront d’évidentes qualités de leader, insoupçonnées jusque là.

Soliste de l’Act Big Band de Felix Simtaine depuis sa fondation (1979) et présent par le fait même sur les trois albums enregistrés par cet orchestre d’exception (1980, 1981, 1987), membre des groupes Lilith (1 LP en 1986), Leman Air, etc., membre du BRT Big Band (1984 à 1986), il est très fréquemment invité à participer à des sessions d’enregistrement : on le retrouve ainsi sur les disques de Bob Porter, Paolo Radoni, Jean-Pierre Gebler, Christine Schaller (1983), Robert Cordier, Marc Moulin (1986), etc. Il se révèle également à cette époque habile pédagogue : ce ne sont pas ses élèves du Séminaire de Jazz du Conservatoire de Liège, des stages d’été des Lundis d’Hortense, de l’Académie d’Amay ou du Conservatoire de Bruxelles qui le démentiront. Avec son orchestre, il anime également une centaine de séances d’initiation au jazz destinées au élèves de l’enseignement secondaire (tournées Jeunesses Musicales).

Richard Rousselet s’exprime aujourd’hui encore dans différents langages jazziques : son éclectisme le mène de la direction du West Music Club (orchestre style Glenn Miller) aux expérimentations de la Rose des Voix de Pousseur, en passant par les inévitables divertissements dixieland avec une prédilection plus marquée toutefois pour ce mainstream moderne qui convient si bien à sa sonorité ronde et puissante. “Mes antécédents prouvent que j’ai vraiment été ouvert à tous les genres, jusqu’à Pousseur et la musique contemporaine. Mais jamais je n’ai renié les musiques ni les musiciens que j’ai côtoyés au cours de mes différents périples. Malgré tout. la musique que je ressens le plus profondément demeure le be-bop : Clifford Brown reste, dans mon domaine, un musicien exceptionnel, idem pour Charlie Parker et Freddie Hubbard dont j’adore la puissance et l’énergie”.

A cette musique, Rousselet va ajouter un brûlant chapitre en formant un quintette qui, en quelques années, du Zaïre (RDC) au Québec, d’Ostende à la Roche-Jagu, devient un “grand classique” du jazz belge. Il dirige à l’occasion d’autres groupes (par exemple un quartette avec le guitariste Paolo Radoni ou un septette avec les frères Vandendriessche et Jean-Pol Danhier entre autres), c’est au quintette qu’il revient toujours, et c’est au quintette que restera lié son nom. La rauque modernité du ténor de John Ruocco, la vélocité de l’alto de Steve Houben, le soprano de Pierre Vaiana se sont succédé à ses côtés pour laisser la place aujourd’hui au langage du jeune et talentueux Erwin Yann. Le piano, par contre, resté aux mains expertes de Michel Herr ; Jean-Louis Rassinfosse est lui aussi un complice de longue date, et l’assurance d’un soutien de qualité ; aux tambours et cymbales enfin, Félix Simtaine, déjà présent aux côtés de Rousselet lors de son premier concert à Montreux en 1969.

L’album No, maybe sorti en décembre 1985, deviendra sans doute un album de référence ; au moment de sa sortie, on pouvait lire dans Jazz Magazine ce commentaire laconique et révélateur : “(…) du jazz comme ça, aussi intelligemment mis en jeu, je veux bien en écouter tous les jours. Un disque bon comme un verre de Rodenbach ·à la pression”. L’histoire a d’ores et déjà donné raison au choix de Rousselet et des siens : le jazz de demain sera plus enraciné que jamais dans celui des boppers. Du quintette, André Drossart écrivit un jour qu’il témoignait d’une “maturité du meilleur aloi, à peu de choses près, la rondeur d’un œuf” ! Cet œuf de Colomb, certains l’appellent simplement… le swing !

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : rtbf.be | visiter le site de Richard Rousselet 


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