MONSAINGEON : Richter l’insoumis (1998)

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MONSAINGEON Bruno, Richter l’insoumis (documentaire, 1998)

Faire un film sans images, telle est l’impasse a priori sans issue à laquelle je me suis longtemps heurté pendant l’intense période de gestation de ce “Richter, l’insoumis”, le dernier en date des grands fauves de la musique auxquels j’ai passionnément désiré consacrer les ressources émotionnelles que je me sentais capable de communiquer sous une forme cinématographique. Lorsque Richter et moi avons commencé à travailler à ce projet, dans son esprit il ne pouvait être question de caméra, et ce n’est qu’après près de deux ans d’un contact presque quotidien avec lui que je suis enfin parvenu à élaborer une structure de tournage qui lui soit acceptable. Je me suis largement exprimé par ailleurs à ce sujet […] et n’y reviendrai pas ici. Cependant, quelles étaient les alternatives possibles? Utiliser les entretiens que j’enregistrais au magnétophone avec Richter comme narration d’un film exclusivement constitué d’archives de concerts, et au cours duquel pas une fois sa voix ne pourrait être identifiée avec un visage? Oui, j’aurais pu sans doute tirer de cette méthode un joli petit film documentaire traditionnel, mais qui n’aurait rien eu à voir avec la grande fresque que j’avais l’ambition de réaliser. Sinon, avoir recours à des témoignages? C’était là la méthode facile qui, à partir d’une thèse suffisamment vigoureuse, aurait permis de révéler les tensions et contradictions présentes dans la vie de tout artiste, de ficeler en réalité un gentil programme de “télévision” bien objectif, avec tout l’assortiment conventionnel des jugements critiques “pour” et “contre”, du débat, et débouchant, comme presque toujours, sur l’hagiographie. Je résistais à cette idée de toutes mes fibres. Je faisais un film sur un personnage hors-normes qui était le contraire de la convention, qui n’avait rien de “gentil”, et si “tensions et contradictions” il y avait, elles apparaîtraient bien d’elles-mêmes dans les propos que je lui ferais tenir, dans sa manière toute personnelle, pleine d’humour et d’amertume de raconter sa propre histoire. Il n’y aurait ni apport extérieur au sujet, ni même commentaires, à l’exception d’un texte que j’écrirais et que je placerais en tête du film, accompagné du mouvement lent de l’ultime sonate de Schubert qui conclurait également une œuvre que je voulais passionnément subjective, ou bien alors qui ne serait pas. Je crois que si Richter s’est finalement prêté au tournage avec une caméra, c’est que, consciemment ou non, il avait saisi en moi cette volonté farouche d’échapper aux conventions du portrait…

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Lire le livre Richter – Ecrits et conversations (Van de Velde / Arte Editions / Actes Sud, 1998)

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