ALLEMAN, Fabrice (né en 1967)

Temps de lecture : 4 minutes >

Né à Mons en 1967, Fabrice Alleman se produit déjà à l’âge de 13 ans dans l’Harmonie de Ghlin où il joue de la clarinette. Il enregistre son 1er disque, un 45 tours El’ Berdelleu en 1984 avec un groupe de Dixieland. Très tôt influencé par le jazz, grâce au tromboniste Jean-Pol Danhier, il obtient son 1er Prix de clarinette et son 1er Prix de musique de chambre à l’âge de 18 ans. Service militaire en tant que musicien, il s’intègre aux Big Bands, musique de chambre ou groupe de blues. Laissant un temps la clarinette pour le saxophone, il démarre sur la scène belge du jazz grâce aux stages des Lundis d’Hortense puis s’inscrit au Conservatoire royal de Bruxelles en jazz et obtient son 1er Prix de saxophone en 1992.

Il enseigne la clarinette et le saxophone dans diverses Académies tout en menant multiples projets: Alleman-Loveri, avec le guitariste Paolo Loveri pour l’album Duo; Fabrice Alleman Quartet où il est entouré de Michel Herr, Jean-Louis Rassinfosse et Frédéric Jacquemin pour l’album Loop the Loop enregistré en studio et en live au Festival International de jazz à Liège est récompensé en ’98 par le prix “Nicolas d’Or” et élu “meilleur album jazz de l’année”. En 1998, Fabrice est consacré “meilleur saxophoniste soprano et ténor” au référendum des radios belges et la SABAM lui décerne le prix de la “Promotion Artistique Belge”.

Faisant preuve d’un éclectisme rare il multiplie les rencontres et les styles et joue notamment du blues dans le Calvin Owens Orchestra de 1992 à 1998, du rock, de la musique ethnique, du jazz moderne avec Stéphane Galland, Fabian Fiorini, Michel Hatzigeorgiou mais aussi de la variété avec Salvatore Adamo (album Adamo Live, 1996) ou encore avec le groupe de William Sheller et ses tournées en France et en Suisse.

De 1993 à 1998, il est membre du groupe Sax no End en tournée des festivals et concerts en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique et qui lui fera rencontrer le contrebassiste Jean Warland qu’il ne quittera plus : de 1999 à 2004 avec le groupe The “A” Train sextet puis avec le Jean Warland-Fabrice Alleman Duo qui se produira en Allemagne et en Belgique jusqu’à aujourd’hui. Une autre rencontre mémorable a lieu avant cela, en 1997 lorsqu’il accompagne le Quintet de Terence Blanchard et l’OPL de Luxembourg. Tournées du Alleman-Loveri Duo au Nicaragua, Suède, Italie en 1997, jusqu’en 2001, année du 2ème album du duo On the funny side of the strings auquel se marie subtilement un quatuor à cordes.

En 1999, carte blanche pour le Festival Cap Sud à Mons, et crée la première version du One Shot Band avec le violoniste Jean-Pierre Catoul, dont l’esprit novateur et la fraîcheur rebondiront lors d’une magnifique série de concerts de 1999 à 2001. En 1999, participation au Jaco Pastorius Project de Michel Hatzigergiou au Festival du Middelheim d’Anvers, et au Gaume jazz festival avec Toots Thielemans, Otello Molina… Suivront de nombreuses tournées en Belgique et à l’étranger. En 2004 le Fabrice Alleman Quartet sort son second album Sides of Life auquel se joignent le trompettiste Bert Joris et le guitariste Peter Hertmans ainsi qu’un quatuor à cordes. L’album est alors classé “Top CD” dans le magazine Jazzmosaiek.

En 2006 le Fabrice Alleman Quartet représente avec le groupe de Philip Catherine, la délégation belge au festival Warsaw Jazz Summers Days en Pologne et, cette même année, le trompettiste Randy Brecker se joindra au Quartet lors du festival international de jazz à Liège, pour donner un concert inoubliable sous les caméras de la RTBF. En 2004, il fera 8 concerts du Sanseverino Jazz Project à la maroquinerie de Paris, dont l’heureuse expérience poussera sans doute 2 ans plus tard Stéphane Sanseverino à rappeler Fabrice Alleman pour qu’il dirige et arrange, pour la scène, la section cuivres de son Sanseverino Big Band, gravé sur l’album Exactement en 2006. Parmi les diverses activités musicales de Fabrice Alleman, on notera également les nombreux enregistrements de musiques de film composées notamment par Michel Herr ou enregistrées avec le WRD Big Band à Cologne comme au festival de Leverkusen avec Nina Freelon, Hiram Bullock, Kenwood Dennard.

d’après CONSERVATOIRE.BE


© igloorecords.be

Le musicien a débuté sa carrière en 1990. A la suite de quelques workshops décisifs, notamment avec le saxophoniste américain Tim Ries, il intègre la section jazz du Conservatoire de Bruxelles (Steve Houben, Jean-Louis Rassinfosse, Richard Roussselet) et en 1992, il reçoit un premier prix en saxophone. La même année, il rejoint la Manhattan Shool of Music à New York, où il travaille avec Phil Woods, Toshiko Akiyoshi, Steve Salgle… Il joue dans différents groupes et styles (jazz, rock, funk, variétés…) et entre autres avec Adamo, William Sheller, Calvin Owens Blues Orchestra… Cependant ses préférences le portent vers le jazz, et il se produit avec les plus éminents jazzmen belges, Michel Herr, Steve Houben, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, Jean Warland… Il enregistre son premier album en duo avec le guitariste Paolo Loveri en 1996 et vient de sortir Spirit One : Clarity.

Ce nouvel album est le premier volet d’un triptyque discographique intitulé Spirit, 3 albums indissociables dont deux restent à paraître. Ce premier album est librement inspiré du monde sonore de Chet Baker,  une grande inspiration pour le saxophoniste Fabrice Alleman. Spirit One : Clarity, rassemble neuf compositions, des mélodies d’une sensibilité et d’une profondeur rares. Une musique simple, évidente, immédiate, comme celle de Chet.

Parmi les acolytes du saxophoniste, il y a le solide Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et l’incroyable guitariste Philip Catherine, eux-mêmes grands complices de Chet Baker ! Le lumineux Nicola Andrioli les rejoint au piano et enfin, pour compléter l’équipe de haut vol, Mimi Verderame et Armando Luongo se partagent la batterie. Cerise sur le gâteau, le Budapest Scoring Orchestra s’invite sur deux morceaux.

d’après RTBF.BE


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : compilation par wallonica | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration en tête de l’article : © jazz station.be ; igloorecords.be.


More Jazz…

CHARLIER : Novissima verba (2000, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

CHARLIER Jacques, Novissima verba
(impression offset, n.c., 2000)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Jacques Charlier © Jasmine Van Hevel

Dès le début de sa carrière, Jacques CHARLIER s’inscrit dans les grands mouvements des années 1960, dont le Pop Art. Avec Marcel Broodthaers, il fréquente les galeries belges les plus en vue, imprégnées d’art minimal et conceptuel. Dès 1975, Charlier continue sa carrière seul.  Il interroge et remet en question  avec humour le système de l’art. Il s’approprie tous les médias : la peinture, la photographie, l’écriture, la BD, la chanson, l’installation. Il se met en scène en personnage flamboyant et joue avec les codes de la publicité et des médias. (d’après MAC-S.BE)

Jacques Charlier reprend la composition d’une œuvre très célèbre de Félicien Rops : Pornocratès. L’œuvre de Rops présente une femme quasi nue, les yeux bandés, tenant en laisse un cochon, qui semble la guider d’un pas conquérant. L’interprétation de Charlier à libéré le cochon et c’est la femme qui en a repris la pose victorieuse, laissant libre cours à maintes interprétations… La photographie a été réalisée par Laurence Charlier.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Jacques Charlier ; Jasmine Van Hevel | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Prévenir la violence : le “violentomètre”, du couple à l’entreprise

Temps de lecture : 4 minutes >

Le violentomètre : un outil de prévention des violences

[DIVERSITE-EUROPE.EU, décembre 2021] Le violentomètre est un outil “simple et utile pour mesurer si sa relation amoureuse est basée sur le consentement et ne comporte pas de violences” développé par les Observatoires des violences faites aux femmes de Seine-Saint-Denis et Paris, et mis à jour par le Centre Hubertine Auclert. Comme expliqué sur le site du Centre Hubertine Auclert, le violentomètre est présenté sous forme de règle, et “rappelle ce qui relève ou non des violences à travers une gradation colorée” : “Profite“, “Vigilance, dis stop !” et “Protège-toi, demande de l’aide“. Il s’agit d’un excellent outil, très visuel, qui permet à la fois de prendre conscience d’une relation potentiellement dangereuse, mais aussi de sensibiliser largement à la thématique des violences conjugales. Par exemple, en France, le violentomètre a été imprimé sur des emballages de baguette de pain, et diffusé via des boulangeries partenaires dans tout le pays.

Les dispositifs d’aide en France sont également rappelés : le 3919 et le tchat de l’association En Avant Toute(s). Rappelons qu’en Belgique le numéro “Écoute Violences Conjugales” est le 0800/30.030. Pour télécharger l’outil, c’est ici !


L’échelle du violentomètre

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

PROFITE
Ta relation est saine quand ton partenaire…
1.  respecte tes décisions, tes désirs et tes goûts,
2.  accepte tes amies, tes amis et ta famille,
3.  a confiance en toi,
4.  est content.e quand tu te sens épanoui.e,
5.  s’assure de ton accord pour ce que vous faites ensemble.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

VIGILANCE, DIS STOP !
Il y a de la violence quand il/elle…
6.  te fais du chantage quand tu refuses de faire quelque chose,
7.  rabaisse tes opinions et tes projets,
8.  se moque de toi en public,
9.  est jaloux et possessif en permanence,
10. te manipule,
11. contrôle tes sorties, habits, maquillage,
12. Fouille tes textos, mails, applis,
13. Insiste pour que tu lui envoies des photos intimes,
14. T’isole de ta famille et de tes proches,
15. T’oblige à regarder des films pornos.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

PROTÈGE-TOI, DEMANDE DE L’AIDE
Tu es en danger quand il/elle…
16. T’humilie et te traite de folle/fou quand tu lui fais des reproches,
17. “Pète les plombs” lorsque quelque chose lui déplaît,
18.  Menace de se suicider à cause de toi,
19. Menace de diffuser des photos intimes de toi,
20. Te pousse, te tire, te gifle, te secoue, te frappe,
21. Te touche les parties intimes sans ton consentement,
22. T’oblige à avoir des relations sexuelles,
23. Te menace avec une arme.

Photo de rue – Montreuil (banlieue parisienne, 2022) © Patrick Thonart

Sexisme au travail: découvrez le “violentomètre” de la FGTB

[SYNDICATSMAGAZINE.BE, 22 décembre 2022] Le sexisme est et reste une réalité à tous les niveaux de la société, y compris sur le lieu travail. Remarques déplacées, gestes inappropriés, voire agressions, menaces et intimidations sont des manifestations de ce fléau. Durant son congrès fédéral, la FGTB a distribué un outil simple, mais efficace, qui aurait sa place dans tous les lieux de travail : le violentomètre. Thermomètre de la violence, ce violentomètre permet de mesurer à quel point un comportement constaté sur le lieu de travail est sain ou toxique pour la personne qui le subit. Le concept existait déjà pour mesurer la violence au sein d’un couple. Il est aujourd’hui adapté au milieu professionnel…

© FGTB

Où commence le cycle de la violence ?

Trop souvent, les comportements sexistes continuent de faire partie du paysage professionnel, car ancrés trop profondément dans la société. Le violentomètre indique qu’un environnement professionnel sexiste et hostile commence avec des commentaires sur l’apparence. Ou encore avec la parole des femmes qui serait systématiquement coupée par les collègues masculins. S’ensuivent des blagues déplacées sur des prétendues “promotions canapé”, sur “les blondes” ou encore des questions insistantes sur la vie privée. Des attitudes qui “passent” encore trop souvent sous un faux prétexte d’humour, mais qui doivent néanmoins alerter. Malheureusement, entre les commentaires déplacés et l’intimidation, il n’y a qu’un pas, qui peut ensuite mener à de la violence physique et sexuelle.

“Non, c’est non”

La clé d’un environnement sain est bien évidemment le consentement. Un est un non, et une relation hiérarchique ou de travail ne peut en rien modifier ce fait. SMS tendancieux, e-mails et photos non-désirées, gestes, regards et paroles non consentis sont autant de comportements à dénoncer, car toxiques.

De lourdes conséquences

Stress, dépression, angoisses, perte de l’estime de soi : les conséquences sont lourdes, tant pour la santé mentale que pour la vie professionnelle de la victime. Les attitudes sexistes freinent les travailleuses, les isolent et les empêchent de s’épanouir. Que faire ? Parler. Dénoncer la situation, l’agresseur. Les collègues et délégués jouent ici un rôle crucial. En effet, il n’est pas rare que la victime elle-même s’enferme dans le silence, par honte ou sentiment de culpabilité. Aux collègues de parler, d’accompagner, de soutenir. Pour que le cycle de la violence se brise.

La rédaction de Syndicats-Magazine


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : diversite-europe.eu ; syndicatsmagazine.be | crédits illustrations : © Patrick Thonart.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

VIENNE : Elise et la neige (nouvelle, 2022)

Temps de lecture : 6 minutes >

Un peu de vent s’est levé et il a recommencé à neiger doucement. La pelouse est blanche, déjà, que foule délicatement un homme en gris, l’urne à bout de bras. Puis, d’un geste qui nous échappe à tous, il en laisse échapper une poudre noire, des cendres, les cendres, d’un noir insoutenable sur ce blanc, et qui ne cessent de se répandre, portées par le vent, c’est juste interminable. Alors je sens Elise se rapprocher de moi et sa main, humide comme ses yeux, saisir puis serrer la mienne.

Je ne sais plus à quel moment précisément la journée a mal commencé. Au réveil probablement, quand le chat, affamé, réclamant ses croquettes, a fait tomber dans la cuisine la vaisselle de la veille qui n’attendait que cela, à défaut d’être lavée. Ou bien au moment où la radio, programmée pour s’allumer à sept heures, m’a sorti de ma torpeur au son de la voix nasillarde de Phil Collins. Je me suis levé en sentant que quelque chose était différent, pas en moi, non, dans mon environnement plutôt. La lumière, sans doute mais pas seulement. Et puis, quand enfin le batteur britannique s’est tu, j’ai perçu un chuintement provenant de la rue, que j’ai vite identifié comme étant celui de pneus dans la neige. En soi, j’aimais plutôt ça, la neige. C’est juste que là, cela me contrariait parce que les bus ne rouleraient pas et que j’avais un rendez-vous à neuf heures. Et que j’allais devoir m’y rendre à pied alors que, déjà, je n’avais aucune envie d’y aller.

Entrer dans un hôpital, c’est tutoyer la mort. C’est du moins le sentiment que j’ai. En fait, je me refuse généralement à y mettre les pieds car, convaincu d’être en bonne santé, je suis persuadé que j’en ressortirai malade. Un peu comme du bus, mais en pire. Alors je ne sais plus très bien comment et pourquoi je me suis laissé convaincre d’y aller passer cet examen – parce que quand même, à votre âge, ce serait prudent et que. La neige crisse sous mes pas, enfin c’est ce que l’on dit généralement, moi je n’entends rien que le bruit des voitures dont celui, caractéristique, de celles équipées de pneus à clous, et puis des cris d’enfants qui arriveront en retard à l’école, constellés de traces de boules de neige.

En revanche, ce n’est pas tellement dans mes habitudes, à moi, d’arriver en retard. Je suis plutôt du genre à procéder à un décompte minutieux du temps. Ainsi, pour un rendez-vous à neuf heures, trente minutes de trajet plus, disons, dix minutes de battement – on ne sait jamais, avec la neige – font huit heures vingt, moins vingt minutes pour le petit déjeuner – non, il ne faut pas être à jeun – égale huit heures, moins vingt minutes pour s’habiller, sept heures quarante. Avec un réveil à sept heures, fût-il sonné par Phil Collins, j’ai donc de la marge. Et, de fait, il est à peine huit heures quarante quand j’arrive aux abords de l’hôpital. Je ne peux me résoudre à y entrer en avance, sachant que j’aurai encore à attendre. Aucun horaire de rendez-vous n’étant jamais respecté, il me faudra respirer davantage de cet air plombé de relents de maladie, non, je vais faire le tour du pâté de maison ou peut-être davantage même.

Parfois, enfants, jeunes adolescents, nous jouions à cela, mon frère et moi : suivre une personne en rue, collecter à son insu un maximum d’informations sur sa vie puis, au départ de ce canevas, tisser le récit imaginaire de son existence. Cela m’est revenu quand je l’ai aperçue, cette tache fauve dans la neige, tout d’abord, puis elle, en entier, comme une apparition préraphaélite, une Vénus de Rossetti par exemple. J’ai retrouvé ce vieux réflexe, enfoui au fond de mon histoire, d’instinct je l’ai suivie, je la suis, longeant les murs des maisons tout d’abord, du cimetière ensuite, jusqu’à retrouver un petit groupe aussi sombre qu’elle peut être lumineuse, au seuil d’un bâtiment dans lequel tous s’engouffrent, et moi sur leurs pas, notant au passage, sans pour autant me raviser, qu’il s’agit d’un crématorium. Je ne risque plus de les perdre, les laisse donc entrer, s’installer dans la salle 4, je refais un tour jusqu’à l’accueil où un tableau affiche les cérémonies du jour – salle 4 Anne Degivre. Je souris, je ne devrais pas évidemment mais je suis seul après tout et Anne Degivre, un jour comme aujourd’hui… Je retourne vers la salle 4.

Ils sont un petit nombre à être arrivés, que ma rousse accueille. Elle est visiblement une proche parente de la défunte, sa fille j’imagine, les observant de loin jusqu’à ce que tous soient rentrés dans la pièce. Alors, je pénètre discrètement à mon tour et m’assois au dernier rang. Un cercueil de bois clair gît au milieu d’un parterre de fleurs blanches. Dans un cadre, une photo d’une femme jeune, trop, d’une blondeur qui n’atteint pas la flamboyance de notre hôtesse avec laquelle, pourtant, elle présente une certaine ressemblance. Un homme se lève, fait face à l’assemblée. Elise, dit-il, m’a demandé de lire ce texte qu’elle a rédigé en hommage à sa sœur mais que, vous le comprendrez aisément, elle n’a pas la force de vous lire. A ce moment les regards convergent vers moi dont le portable se met à sonner. Evidemment, n’ayant pas prévu d’être là, j’ai omis la fonction silence, je quitte précipitamment la salle et décroche. Mon rendez-vous ? Oublié ou bien la neige ? Non, pas du tout, un décès dans la famille. Inopiné. Je ne peux donc pas me rendre à l’hôpital aujourd’hui. Oui, merci. Excusez-moi encore. Je rappellerai pour prendre un autre rendez-vous. Entretemps, je n’ai rien appris ni d’Anne ni d’Elise.

Ils sortent de la salle, déjà. Je ne peux même pas leur échapper. M’apercevant, Elise marche dans ma direction, pour m’admonester j’imagine. Je prends les devants, excusez-moi, je suis sincèrement désolé pour tout à l’heure, j’aurais dû. Oh, ce n’est pas grave, ça aurait certainement amusé Anne, vous savez comment elle était. Vous êtes un ami d’Anne, n’est-ce pas, ajoute-t-elle d’un ton empli de sous-entendus tandis que ses yeux verts, si verts bien que rougis, plongent en moi tellement profondément que j’en oublie qui je suis – si tant est que je l’ai jamais su. Et donc, être un ami d’Anne, oui, pourquoi pas mais quand même, on s’était un peu perdus de vue ces derniers temps. Ah bon, dit-elle, on en reparlera plus tard, enfin si vous restez pour la dispersion, là je dois rejoindre les autres. Oui, bien sûr, je réponds. A tout de suite alors, dit-elle, et je comprends qu’il y a méprise sur ma réponse. Je suis donc encore ici pour deux heures.

C’est interminable une crémation. Alors, on dispose les gens dans une salle et ils attendent. Pour les faire patienter, on leur sert de la tarte et des sodas ou bien de la bière et des chips, c’est un peu comme si toute la vie était résumée en ces deux heures, on boit et on mange en attendant la mort. Il ne manque que le sexe. Moi, ça me plairait encore bien de faire l’amour avec Elise, en attendant, mais évidemment je ne suis pas en deuil. Je m’installe un peu à l’écart, j’observe ceux qui restent : une vieille tante apparemment – j’en déduis qu’Anne et Elise ont perdu leurs parents, le lecteur de tout à l’heure – un cousin ou un ami proche sans doute – accompagné de sa femme, des amis et amies de l’une ou des deux sœurs. Elise porte son attention sur tous et converse avec chacun, de temps à autre elle joue avec les pointes de ses cheveux ou même les porte à sa bouche, puis se reprend, comme un enfant pris en défaut.

Excusez-moi, dit-elle, d’être si directe mais Anne avait depuis longtemps une liaison avec un homme marié, je le sais, elle me l’avait confié, même si elle n’avait rien voulu me dire de plus et donc, vu que vous ne connaissez personne ici et que vous restez en retrait, j’ai pensé que c’était vous – enfin, si c’est vous, vous pouvez bien me le dire à présent qu’elle est morte. Non, absolument pas, moi, ma femme aussi est morte. Ce n’était pas tout à fait vrai, en fait elle m’avait quitté, mais c’était un peu la même chose quand même, sauf que des funérailles m’auraient coûté moins cher qu’un divorce. Oh, excusez-moi, je suis désolée. Ce n’est pas grave, Elise. Je peux vous appeler Elise n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, je ne me suis même pas présenté, Pierre Delaunois. Si, dit-elle, c’était vraiment maladroit de ma part. Pas plus que la sonnerie de mon téléphone tout à l’heure, je réponds, et elle sourit.

Vous savez, la solitude, je connais. Anne et moi, on était très différentes sur ce plan-là. Elle, elle faisait tourner la tête de tous les hommes, c’était plus fort qu’elle de toute manière, alors que moi. Moi, je suis celle que l’on abandonne. Mais quand même, dit-elle, il n’aurait jamais quitté sa femme, Anne me l’a dit, alors je ne comprends pas ce qu’elle attendait, elle perdait, elle a perdu son temps toutes ces années. Et à présent… C’est peut-être justement cela qu’elle recherchait. Quoi donc ? Quelqu’un qui ne soit pas libre, ne pas s’engager, du moins pas au-delà d’un certain point, garder une forme de liberté et de mystère qui lui assurait aussi son pouvoir de séduction. Vous croyez ? Mais si on aime, on ne peut pas se contenter de cela. Si on aime, Elise, on n’est de toute façon jamais satisfait.

Un homme en gris vient nous interrompre. La cérémonie de dispersion des cendres va commencer. Nous remettons nos manteaux. Elise frissonne néanmoins. Nous marchons côte à côte, en silence. Un peu de vent s’est levé et il a recommencé à neiger doucement.

Philippe Vienne


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : rédaction | source : inédit | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Philippe Vienne


Plus de littérature…

LEDURE : Sans titre (2013, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

LEDURE Elodie, Sans titre
(série “Apnée”)
(photographie, n.c., 2013)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Elodie Ledure © Babelio

Photographe liégeoise née en 1985, Elodie LEDURE conjugue dans son travail personnel une forte attirance pour les beautés incongrues du paysage et l’expression d’un sentiment singulier face aux volumes, au bâti, à l’environnement construit. […] Elle a résidé en Suisse et en République tchèque, tâté de la photographie de plateau et de la presse d’actualité. Exposée régulièrement en Belgique, en France (Festival Circulations), aux Pays-­Bas, elle signait en 2014 avec Apnée“, chez Yellow Now, son premier livre personnel, peu de temps après avoir achevé une imposante mission sur l’architecture à Liège (éd. Mardaga). (CONTRETYPE.ORG)

“Sous ses dehors francs, le travail d’Élodie Ledure est un labyrinthe. Il faut se donner le temps de la réflexion et tenter de trouver, dans une intuition somnambule, la clé des doutes, leur résolution paisible, le grand dehors au bout des tunnels. […] Une façon de se déceler intimement, de se rencontrer soi dans la contemplation du monde externe, dans toute la fascinante opacité de ses apparences, de ses énigmes de surface, dans l’illusion de sa profondeur – mais toujours orientée par l’appel de l’air libre.” (Emmanuel d’Autreppe)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Elodie Ledure ; Babelio | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

LORANT : Les yeux d’Ariane (nouvelle)

Temps de lecture : 5 minutes >

Ce n’est pas un hasard si tu me qualifies de ‘domestique’ : c’est à cet endroit même que je suis née.

Ma grand-mère est d’ici, tout comme mon arrière-arrière-grand-mère. Et tu peux remonter de la sorte le fil de toute ma lignée. Sur des dizaines de milliers de générations, elle a bougé à peine de quelques kilomètres.

Chassées par les balais, écrasées par les talons, happées par des fauves ou des aspirateurs, mes ancêtres, ma famille et moi avons certes été amenées à plier régulièrement bagage mais pour toujours revenir discrètement dans notre coin. Que cela te plaise ou non, j’habite ici depuis toujours, je m’y plais et suis même très attachée à la demeure familiale. Je continuerai ainsi, quasi immobile sauf sous la contrainte, jusqu’à ce que je meure, de mort naturelle ou sous une pluie de poisons. Je n’ai pas à m’en faire : mes nombreuses descendantes trouveront et prendront, aux alentours de ma dépouille, la place qui leur convient.

Mon chez moi est à l’abri des regards et de la pluie. Le vent me berce. J’ai de quoi me nourrir – du reste, je peux me passer facilement de manger. Depuis ma fenêtre, je passe la plupart de mon temps à t’observer. Je détaille chaque instant de ton existence. Je consigne tout ce que tu fais, ce que tu dis, ce que tu manges, qui tu fréquentes, ainsi que l’ont fait mes ancêtres. Mon odorat est féroce, je suis ultrasensible aux bruits et à toute autre forme de vibration. Quant à mes yeux, ils me permettent une vision panoramique. Chaque soir, je transmets les résultats de mes observations comme on me l’a enseigné.

Mon ordre et moi étudions ton espèce depuis la nuit des temps : nous somme là pour ça. Ce n’est pas une mission, c’est une raison d’exister. Nous sommes relativement petites, très discrètes et, le plus souvent, solitaires. Nos vies sont brèves et notre périmètre limité. Cependant, nos facultés sont telles qu’elles dépassent ton entendement. Toutes écoutilles ouvertes, mes sœurs et moi sommes équipées pour te surveiller jour et nuit. Nous échangeons et accumulons des connaissances à ton propos. Ne me demande pas comment nous communiquons : tu n’as pas les facultés nécessaires pour le comprendre.

© DP

« Mais à quelle fin ?», voudras-tu savoir. Là encore, nos intentions ne pourront que t’échapper. Tout ce que je peux t’en dire est que ta prolifération et ta relative prospérité des Humains ont permis à notre espèce de conquérir de nouveaux territoires et de se multiplier parallèlement. Ton essor a effectivement favorisé le nôtre. Au fil de tes migrations, et plus encore depuis que tu te répands à la faveur de tes moyens de transport ultra-rapides, nous avons pu nous implanter, moyennant quelques adaptations, dans de nouveaux biotopes. Tu nous offres de nouveaux habitats confortables, parfois des plus inattendus.

Bien plus important encore : ta conquête nous a permis de nouer des relations suivies entre les communautés de notre ordre au niveau planétaire. Notre potentiel d’acquisition, de stockage et d’analyse des connaissances s’est amplifié et consolidé. Et il s’enrichit chaque jour à la faveur de notre interconnexion universelle. Cependant, notre mode de vie, en regard du tien, a très très peu évolué. Nous avons conservé les mêmes coutumes en termes d’habitat et d’alimentation. Nous n’étouffons pas la biosphère sous une gigantesque toile : les nôtres demeurent, en termes de dimensions, conformes à nos besoins élémentaires qui sont, je te le répète, frugaux.

Ce que je peux te dire aussi, c’est que nos toutes premières observations remontent à plusieurs millions d’années, lorsque nos ancêtres ont remarqué l’habileté particulière de certains primates qui figurent parmi tes aïeux. Ce qui a surtout piqué notre curiosité, c’est un comportement singulier de ces mammifères primitifs. Ils se sont mis à se déplacer sur deux pattes pour pouvoir utiliser leurs membres antérieurs comme des outils, à l’instar de ce que nous faisons pour tisser nos toiles, emballer nos proies, protéger notre progéniture. Je peux, comme me l’ont transmis mes ancêtres,  tirer mes fils d’un coin à l’autre, les croiser, les mêler, en faire des structures élaborées. Ce qui est à l’origine de notre intérêt est que ta lignée se développait à la faveur d’une faculté rare du vivant qui est aussi nôtre : la dextérité. Nous avons donc poursuivi notre surveillance rapprochée. Ta lignée s’est avérée redoutablement habile. Vous avez cueilli, vous avez chassé. Vous avez créé des outils pour ce faire, puis cultivé, bâti, tissé ! Devant nos yeux écarquillés, vous avez construit des engins de toutes sortes, grâce auxquels certaines d’entre-nous sont allées explorer l’espace et le fond des océans. Mais ceux de ta lignée ont aussi joué avec le feu, avec les armes, avec des produits létaux, avec l’atome.

Si bien que le constat est unanimement partagé aujourd’hui : l’évolution de notre objet de recherche devient fortement critique. Désormais, l’espèce humaine constitue, en l’état, plus une menace qu’une opportunité pour nous. Les derniers développements de nos observations montrent que la totalité de notre habitat est en péril. Notre milieu de vie est menacé. Nos sœurs agonisent de faim jusqu’à l’extinction sous les pulvérisations, d’autres meurent par millions dans des cataclysmes climatiques. Nos toiles périssent parmi les cendres, à cause de la déforestation et des incendies. Il va falloir que nous prenions la situation en mains. Nous devons mettre un terme à cette fuite en avant. L’objet de notre recherche nous échappe !

Anansi (Afrique de l’Ouest) © Ifinrod

Conscientes que la mobilisation de tous nos venins n’y suffirait pas, nous avons largement consulté les membres de notre espèce. Les acariens nous ont exposé leur stratégie, ainsi que les tiques. Mais il nous a semblé que leurs pratiques très spécifiques pouvaient difficilement être transposées au sein de tout notre ordre. Aussi avons-nous également écumé nos registres jusqu’aux plus anciens : ils font état de milliers de zoonoses, parmi lesquelles la peste, transmise par les puces des rats. Nos recueils plus récents attestent de la recrudescence et de la diversification de pathologies mortelles transmissibles par contagion. Elles résultent tout autant de la cohabitation entre animaux sauvages et humains que de la mobilité galopante de ces derniers.

Notre dernière observation se mène à une très large échelle et est collective : nous sommes mobilisées à l’échelon planétaire pour nous focaliser sur la contamination de la population humaine par un virus inconnu, qui aurait pour origine un animal sauvage non encore clairement identifié. En dépit des difficultés que nous éprouvons à pénétrer et à nous établir dans des locaux d’expérimentation étanches et des installations de soins régulièrement assainies de fond en comble, il va sans dire que nous suivons l’évolution de cette pandémie de très près, dans la mesure où elle semble en tous points concourir à nos objectifs.

L’arsenal viral paraît se déployer en toute efficacité. Il est établi que le virus ne nous affecte pas. Puisque d’autres espèces semblent se charger à notre place du boulot, nous avons décidé de surseoir à notre propre stratégie de guerre. Nous poursuivons donc simplement nos observations, comme nous l’avons toujours fait. C’est notre raison d’exister. Je suis là, au poste. Et toi, alors que tu es confiné, prisonnier dans ton propre habitat, tu me facilites grandement la tâche. Toutes mes paires d’yeux sont braquées sur toi.

Fabienne Lorant


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : rédaction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : Fabienne Lorant, auteure | crédits illustrations : en-tête, Odilon REDON, L’araignée souriante (1881) © Musée d’Orsay.


Lire encore en Wallonie-Bruxelles…

WILQUIN, Luce (1948-2022)

Temps de lecture : 6 minutes >

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Interprète et traductrice de formation, c’est vers l’édition que Luce WILQUIN a porté son dévolu, développant, à partir de 1992, sa propre maison (les Éditions Luce Wilquin), la plus importante de Wallonie et du pays dans le domaine littéraire, et qui fait partie des très rares établissements encore indépendants, à un moment où la concentration et l’absorption des structures dans des groupes internationaux sont plutôt la norme. Au printemps 2015, elle présentait le 500e titre publié par sa maison.

Passionnée de lecture et de littérature, Luce Wilquin a fait ses études à la Faculté de Traduction et d’Interprétation de Mons. Sa première expérience dans le domaine de l’édition, elle la vit alors qu’elle est encore étudiante, lorsqu’elle fait des traductions pour la maison d’édition verviétoise Marabout, en 1969. Licenciée en Interprétation de conférence et en Traduction, assistante au département d’espagnol de l’EII, Luce Wilquin est, avec son compagnon, à la tête d’une équipe de dix-sept collaborateurs, de 1970 à 1975, avant de passer vingt années en Suisse, où elle commence à travailler comme responsable des publications pour la Fondation Nestlé pour l’Alimentation.

Directrice éditoriale chez Edita, elle s’occupe, suite à la vente de cette maison d’édition, des relations avec la presse et les libraires pour des maisons de distribution et de diffusion. Ayant touché à toutes les facettes du métier – la rédaction, la direction éditoriale, la promotion, les relations publiques, etc. –, elle crée sa propre maison d’édition, en 1987, mais doit fermer trois ans plus tard, faute de réseau et de finances. En février 1992, Luce Wilquin fonde une maison d’édition de droit belge, alors qu’elle vit toujours à Lausanne, publiant des auteurs ‘de chez nous’, tels que la hennuyère Françoise Houdart, mais aussi des écrivains suisses. Revenant, dans un premier temps, tous les mois à Dour, chez ses parents – ce fut d’ailleurs la première adresse des éditions Luce Wilquin –, l’éditrice indépendante revient définitivement en Wallonie, en 1996. Souvent taxée de petit artisan régional, elle connaît des débuts difficiles et doit essuyer des critiques quant à la qualité de son travail, une situation qui ne s’améliore qu’au terme d’une dizaine d’années.

ISBN 2882532903

Travaillant “à l’ancienne“, dans un esprit familial, c’est, de son propre aveu, “le contact avec les textes et avec les êtres humains, les gens biens, qui les écrivent, qui les impriment, les illustrent et les lisent“, qui la passionne. Éditrice “de proximité“, elle met en effet l’accent sur les relations humaines et conçoit son travail comme l’accompagnement des écrivains. Être éditeur, pense-t-elle, c’est être au service de ceux-ci sans leur imposer quoi que ce soit.

Active au sein du Conseil du Livre, Luce Wilquin sut également se montrer attentive à l’évolution des technologies – elle met en page sur ordinateur, dès 1986 ! – et s’est lancée, depuis 2012, dans la numérisation de plusieurs titres de son catalogue, une première en Wallonie. Actuellement, les éditions Luce Wilquin publient chaque année une vingtaine de romans, de recueils de nouvelles et de poésie d’écrivains confirmés et de jeunes auteurs, diffusés dans toute la francophonie.

Marie Dewez, Institut Jules Destrée


[LESOIR.BE, 17 août 2022] Livres: l’éditrice belge Luce Wilquin est décédée. Elle fut durant deux décennies l’éditrice littéraire la plus importante de Belgique francophone. Luce Wilquin s’est éteinte ce vendredi 12 août à Nieuport.

Après plus de trente ans de carrière éditoriale, la traductrice et éditrice belge Luce Wilquin s’est éteinte ce vendredi 12 août à Nieuport, station côtière où elle avait décidé en 2018 de prendre sa retraite. Elle laisse derrière elle un héritage littéraire de quelque 550 romans et récits publiés et une aura littéraire remarquable tant en Suisse romande qu’en Belgique francophone. Au fil des décennies, ses auteurs et autrices avaient décroché de nombreux prix littéraires, et plusieurs talents naissants ont rejoint de grandes maisons éditoriales comme Albin Michel, Flammarion, Gallimard ou Stock.

EAN 9782882534132

Luce Wilquin incarnait la volonté têtue de désenclaver la littérature francophone de Belgique et de Suisse, de la faire connaître au-delà des frontières. En 31 ans, à la tête de diverses structures éditoriales, à Lausanne, à Dour puis enfin à Avin (Hannut), elle a soutenu et publié des auteurs aujourd’hui confirmés comme Michel Claise, Geneviève Damas, Valérie Cohen, Luc Baba ou Alienor Debrocq, dont elle a fait connaître les signatures de Brives à Morges, de Genève à Bruxelles. Avec la complicité de son époux André Delcourt, également traducteur et éditeur, Luce Wilquin mettait en avant son rôle de découvreur, de passeur, apportant à l’édition, à l’impression, à la diffusion, une patte professionnelle.

Fin 2018, à 70 ans passés, la persistance de problèmes de santé avait convaincu l’éditrice de renoncer à ses activités, de prendre le temps de les clôturer dans le meilleur intérêt de ses autrices et auteurs, et de se retirer en bord de mer pour profiter de ses enfants et petits-enfants.

Alain Lallemand, Le Soir


[LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET] Le journal Le Soir annonce ce matin le décès de l’éditrice Luce Wilquin, survenu le 12 août. Fondatrice et animatrice de la maison d’édition qui porte son nom, elle a publié plus de cinq cents livres sous ce label et a occupé une place considérable dans le paysage éditorial belge d’aujourd’hui.

Ayant suivi une formation d’interprète et de traductrice, Luce WILQUIN a tout d’abord travaillé dans le domaine de la traduction. En 1975, elle suit son mari, André Delcourt, à Lausanne en Suisse, où il a été engagé par une maison d’édition. Elle-même se familiarise là-bas avec plusieurs métiers du livre : responsable des publications pour la Fondation Nestlé, elle travaille ensuite pour la maison d’édition de beaux-livres Edita, comme éditrice puis comme directrice éditoriale. Après la cessation des activités d’Edita, Luce Wilquin se relance du côté de la diffusion et distribution, travaillant plus particulièrement les relations avec la presse et les libraires.

Elle crée une première structure éditoriale en Suisse en 1987, mais l’expérience tourne court après trois ans. Le projet du couple étant de revenir en Belgique, c’est en Belgique qu’elle installe sa nouvelle maison d’édition, à laquelle elle donne son nom, et qu’elle pilote tout d’abord depuis la Suisse. Créées en février 1992, les éditions Luce Wilquin proposent d’emblée un catalogue où les auteurs et autrices belges voisinent avec leurs homologues suisses. “Françoise Houdart ou Gérard Adam […] furent en fait les deux premiers auteurs publiés à cette enseigne” , expliquait Luce Wilquin à Ghislain Cotton pour Le Carnet et les Instants n°170 (2012). “J’ai travaillé sur les deux pays depuis Lausanne, mais en revenant en Belgique tous les mois pour une semaine. J’étais basée chez mes parents à Dour, ce qui fut donc la première adresse de la maison.

Le retour définitif en Belgique suit et la maison d’édition s’installe, comme sa fondatrice, à Avin (Hannut). Les débuts sont difficiles, tant sur le plan de la reconnaissance que sur celui des finances. Dans la même interview, Luce Wilquin expliquait ainsi : “Au bout de dix ans, je commençais à piaffer un peu. On me considérait comme un petit artisan régional. On doutait de la qualité et du travail fait avec les auteurs. Je répondais qu’il fallait leur demander à ces auteurs ce qu’il en était. Pour certains, il fallait presque reconstruire tout le roman. Ce qui a été le plus dur, surtout dans les dix premières années, c’était de faire passer l’idée que je créais un catalogue qui, sur le long terme, pourrait imposer sa cohérence et sa qualité.

Et le catalogue, en effet, se construit, d’année en année. En 2018, lorsque Luce Wilquin cessera ses activités pour des raisons de santé, il totalisera plus de cinq cents volumes, répartis dans différentes collections, telles que Sméraldine et Hypatie pour le roman, Euphémie pour les nouvelles, ou encore Noir pastel pour le policier. À côté des œuvres littéraires, Luce Wilquin a aussi un temps publié des essais monographiques consacrés à des auteurs et autrices belges : la collection L’oeuvre en lumière a ainsi notamment accueilli un essai sur Nicole Malinconi par Michel Zumkir, un autre sur François Weyergans par Jeannine Paque, sur Michel Lambert par Emilie Gäbele ou sur Xavier Hanotte par Joseph Duhamel.

Parmi les auteurs et autrices au catalogue de Luce Wilquin, on citera notamment Gérard Adam, Luc Baba, Isabelle Bary, Véronique Bergen, Valérie Cohen, Michel Claise, Dominique Costermans, Daniel Charneux, Kenan Görgün, Françoise Houdart, Françoise Lalande, Alain Lallemand, Anne-Frédérique Rochat, Liliane Schraûwen… Découvreuse de nombreux talents littéraires (elle a entre autres publié de nombreux premiers romans), Luce Wilquin a vu ses choix éditoriaux récompensés. Ainsi Norma, roman de Daniel Charneux a-t-il obtenu le prix Plisnier en 2007. Mais le grand succès de la maison reste Si tu passes la rivière de Geneviève Damas, qui a obtenu le Prix Rossel – fait extrêmement rare pour un prix qui récompense surtout les auteurs et autrices belges publiés en France – et le prix des Cinq continents de la Francophonie.

Dans leur ouvrage de référence Histoire de l’édition en Belgique (Les impressions nouvelles, 2018), Tanguy Habrand et Pascal Durand résument toute l’importance et la singularité du travail de Luce Wilquin :

Par un compromis assez remarquable entre prospection des auteurs et adresse aux lecteurs, l’éditrice de Hannut s’est ainsi créé une image de marque reconnaissable : celle d’une maison qui, sans céder aux mirages de la rareté ni aux facilités de l’édition commerciale, s’est durablement installée dans un créneau tourné tout entier vers la librairie traditionnelle.

La rédaction, Le Carnet et les Instants


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : wilquin.com ; lecarnetetlesinstants.net | crédits illustrations : entête, Luce Wilquin © rtbf.be.


Lire encore en Wallonie et à Bruxelles…

PENA-RUIZ : Le clou de l’âme

Temps de lecture : 7 minutes >

La vie est faite d’émotions. L’émotion, ce qui meut, et aussi ce qui se meut.  Rien d’inerte dans l’expérience sensible et sentimentale. Nous sommes touchés par ce qui nous arrive, voire affectés. Notre désir de vivre fait que tout événement prend sens dès lors qu’il comble ou qu’il déçoit ce désir. Le choc des émotions est durable, il laisse en nous sa trace comme un clou laisse la sienne dans le bois tendre. On peut bien décider d’être serein, de chasser les obsessions, d’être affranchi de ses émotions. Il reste que les choses ne sont pas si simples, car l’émotion vive laisse une trace, son souvenir obsède, comme le fait la peur ou le désir. Traumatismes, souffrances ou joies intenses, jouissances, ainsi va la vie qui nous marque et nous façonne. À la longue, on se fait plus sensible à certaines choses et l’on s’endurcit à d’autres. Le vœu de lucidité, pour s’accomplir, passe alors par la prise de distance.

Parlons de l’âme. Appelons « âme » ce qui en nous reçoit les messages de l’expérience, mais aussi les sollicitations du corps, et voyons son étrange aventure au fil de la vie humaine. Platon décrit le choc des émotions, et les passions qui s’inscrivent dans leur sillage…

– Lorsqu’on a ressenti la violence d’un plaisir ou d’une peine, d’une peur ou d’un appétit, le mal qu’on subit en conséquence n’est pas tellement celui auquel on pourrait penser – la maladie ou la ruine qu’entraînent certains appétits, par exemple ; non, le plus grand de tous les maux, le mal suprême, on le subit, mais sans le prendre en compte.
– En quoi consiste-t-il, Socrate ?, dit Cébès.
– En une conclusion inévitable, qui s’impose à toute âme d’homme au moment où elle éprouve un plaisir ou une peine intenses. Elle est alors conduite à tenir ce qui cause l’affection la plus intense pour ce qui possède le plus d’évidence et de réalité véritable, alors qu’il n’en est rien. Or ces objets sont par excellence ceux qui se donnent à voir. Tu ne penses pas ?
– C’est certain.
– Or n’est-ce pas quand elle est ainsi affectée qu’une âme est le plus étroitement enchaînée par son corps?.
– Que veux-tu dire ?
– Ceci : chaque plaisir, chaque peine, c’est comme s’il possédait un clou avec lequel il cloue l’âme au corps, la fixe en lui et lui donne une forme qui est celle du corps, puisqu’elle tient pour vrai tout ce que le corps lui déclare être tel.

L’enfant battu dès son premier souffle lève un regard qu’emplit infiniment une tristesse indélébile. Saura-t-il retrouver la joie espiègle qui pétille dans les yeux ? Un frisson a prolongé pour toute la chair l’intense chaleur du plaisir et la mémoire s’en propage au plus profond de la conscience. Demain, les désirs ne pourront renaître sans son écho secret et insistant. Expérience de la souffrance, expérience de la jouissance… le corps qui la reçoit n’est pas inerte, il vit de cet effort qui tend l’homme vers son accomplissement. Son désir d’être et de vivre s’affirme et retentit, et les circonstances le serviront plus ou moins bien. La vie s’anime bientôt des souvenirs laissés par les frustrations ou les assouvissements.

Les douleurs ressenties et les joies éprouvées tissent en effet une mémoire dense qui s’installe durablement dans l’intériorité de chacun. Brûlures et blessures y forment leur cicatrice, plaisirs et bonheurs y inscrivent leur trace. Dans l’ombre portée des moments de peine et de jouissance, le cheminement de la conscience se charge ainsi d’inquiétudes et de craintes, de désirs et d’espoirs. Ainsi, nous sommes rivés aux aléas de la vie, nous sommes comme cloués aux angoisses du scénario qui s’écrit en partie à notre insu. L’âme pâtit. Le risque, dès lors, n’est-il pas que le jugement ne soit réglé par les intérêts immédiats ou par l’imaginaire qui perpétue les fascinations de notre histoire singulière ?

C’est ce risque grave que Platon évoque dans son texte. Risque grave, puisque se joue la survie de la pensée comme telle. Est-ce bien penser que de ne penser qu’en étant asservi aux émotions du jour ? Platon veut d’autant plus voir dans l’âme une réalité distincte du corps qu’il entend la dégager de toute servitude, et affranchir ainsi de toute contrainte la pensée humaine. Celle-ci est donc distincte de tout ce qui dans le corps tient à la façon dont il est affecté par le monde. Reste que l’âme est captive de l’aventure corporelle, captive au point d’en être infiniment marquée, crucifiée en quelque sorte à une réalité dont les affections la touchent si vivement qu’elle en vient à se confondre avec elles.

Le risque, c’est alors d’aliéner la distance de la pensée par rapport aux émotions. Chaque épisode un peu dramatique de la vie affective tend à accentuer cet envoûtement et à fausser en conséquence le principe de la pensée. L’attrait des plaisirs et la peur des souffrances vont substituer peu à peu leurs critères à ceux de la vérité. Et Platon de conclure :

L’âme finit par tenir pour vrai ce qui répond le mieux à ses attentes ou à ses répulsions.

Bref, elle évalue, par rapport à elle-même, au lieu de s’attacher à connaître l’objet dans sa réalité, indépendamment de la façon dont il l’affecte. Captif de ses émotions, de ses craintes, de ses désirs et bientôt de ses intérêts, l’homme peut-il l’être si totalement de ses plaisirs et de ses peines qu’il leur aliène jusqu’à la pensée ? Nos pensées sont-elles simplement filles de notre vécu et de ses limites ? Une telle perspective, on le voit bien, est difficile pour la philosophie.

La philosophie, en effet, n’a de raison d’être que dans le souci d’une pensée libre, sans assujettissement aux fascinations du vécu. La difficulté de concevoir l’autonomie de la pensée tient sans doute à celle de la délier effectivement de l’aventure du corps. C’est pourquoi l’image du clou, le clou de l’âme au corps est si forte. Cette difficulté est d’abord vécue par tout homme, lorsqu’il doit contenir ses impulsions et ses passions, ses emportements soudains et ses attirances violentes. Le voilà sous l’emprise des passions, des passions qui sont comme des sortilèges.

Il lui faut donc affranchir son pouvoir de réflexion des multiples affections qui l’assaillent et le troublent, le sollicitent et l’abusent au point de l’asservir. Le corps, c’est aussi le point d’où est reçu le monde, la situation toute relative d’un être singulier dans la totalité du réel. S’émanciper du corps, ce n’est pas le nier, ce n’est pas refuser ses impulsions. Ce n’est pas tant refuser ses exigences de plaisir que se délivrer les limitations que le point de vue du corps peut nous donner. Ce n’est donc pas le corps lui-même qui corrompt et offusque directement l’âme entendue comme le principe de la pensée. C’est plutôt ce type de rapport de l’âme au corps qui fait que l’âme n’a tendance à juger des choses qu’à partir des impressions du corps. Bref, c’est la fascination qui naît des multiples affections dont le corps est le siège et la source qu’il convient de maîtriser.

Tenir pour vrai ce qui engendre le plaisir, ou ce qui va dans le sens de l’intérêt présent, c’est confondre les exigences du vrai et celles de l’agréable. On comprend, dès lors, que le travail de la pensée nécessite une sorte d’ascèse, propre à lui permettre de jouer son rôle. Mais il ne s’agit pas pour autant de vanter les vertus de l’abstinence. Le corps a ses exigences légitimes qu’il convient de satisfaire. Cette réflexion ne débouche donc pas sur une théorie de l’ascétisme, selon laquelle il conviendrait de mortifier sans cesse le corps pour permettre à l’âme de s’élever à la pensée, de se délier des envoûtements du corps. Il s’agit simplement de distinguer les registres de la vie intérieure.

ROPS Félicien, La tentation de Saint-Antoine (1878) © Bibliothèque royale de Belgique

L’homme, légitimement, peut chercher à satisfaire les impulsions de son corps, mais lorsqu’il se met à penser le monde, à tenter de le réfléchir, il doit prendre ses distances par rapport à l’expérience immédiate, par rapport aux impressions du corps. Ce travail de distanciation de l’âme par rapport au corps, ou disons ce travail de la pensée par rapport au choc des émotions, n’est nullement incompatible, mais en un autre temps, avec l’expérience vive des émotions et des passions. Ainsi, il faut bien comprendre que ce n’est pas le corps qui serait en lui-même impur, mais cet étrange mélange des fonctions qui fait que lorsque l’âme se mêle au corps, ou plutôt se laisse former, déformer par le corps, elle perd sa fonction propre qui est la pensée, le travail de la réflexion à distance.

Comment comprendre une telle idée ? Sans doute faut-il éviter le thème du corps impur, et s’en défaire. Ce n’est pas le corps qui est impur. L’impureté ne tient nullement à une sorte de substance corporelle qui en elle-même serait mauvaise. On pourrait dire plutôt que c’est le mélange de l’activité du corps et de l’activité propre de l’âme qui est source d’impureté. Une pensée qui serait un simple reflet du vécu risquerait d’ailleurs d’être complètement réactive, au sens que Nietzsche donnait au terme. Si, parce que je suis faible physiquement, j’en viens à disqualifier la force, alors, dirait Nietzsche, la pensée que je forme, et qui consiste à condamner la force, est une pensée purement réactive. Elle est en réaction par rapport à un vécu dont je ne suis pas maître. Ainsi, si la pensée doit être autre chose que la simple réaction aux aléas du vécu, elle doit s’affranchir de ce vécu, elle doit prendre ses distances. Elle doit, si l’on veut suivre la métaphore de Platon, se déclouer des aléas de ce vécu et de l’expérience corporelle.

Il en irait de même avec l’exemple du riche qui disqualifierait la pauvreté, c’est-à-dire qui n’aurait de conception de la vie sociale qu’à partir de la richesse qu’il a pu acquérir, qu’il a eu à la fois la chance et le courage d’acquérir. Théoriser cette richesse en disqualifiant la pauvreté serait une pensée réactive, de la même façon que théoriser la faiblesse en disqualifiant la force serait une pensée réactive. On comprend, à travers ces deux exemples complémentaires, ce que Nietzsche voulait critiquer en évoquant la pensée réactive : la pensée qui colle au plus près des illusions du vécu.

Henri Peña-Ruiz, Grandes légendes de la pensée (extrait, 2015)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : flammarion.fr | crédits illustrations : entête, Platon © France Culture ; © Bibliothèque royale de Belgique.


Méditer encore…

MOOLINEX : Le modèle (2016, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MOOLINEX, Le modèle
(sérigraphie, 70 x 50 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Moolinex © le7.info

Né en 1966, Moolinex est un artiste pluriel. Il est illustrateur, peintre, dessinateur, sculpteur, tapissier, brodeur, designer… et cela donne un détonnant et questionnant mélange d’arts plastiques, d’arts appliqués, d’arts contemporains, de bandes dessinées, de cultures populaires, bref, quelque chose de vivant… mais c’est peut-être cela que l’on appelle “de l’art” ?

(d’après LESREQUINSMARTEAUX.COM)

En ombres chinoises, un homme coiffé d’un haut-de-forme tient d’une main une usine en miniature et de l’autre un sabre. A ses pieds gît le corps d’une femme. Ce “capitaine d’industrie” pourrait également être un “chevalier d’industrie”, terme utilisé anciennement pour désigner les escrocs, ce que confirmerait son long nez, signe d’une excellente capacité perceptive, mais aussi symbole du mensonge. La charge anticapitaliste est donc patente, jusqu’à ce clou menaçant glissé sous le pied du trouble personnage.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Moolinex ; le7.info | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ELIASSON, Olafur (né en 1967)

Temps de lecture : 3 minutes >

“Pour les Danois, je suis islandais. Pour les Islandais, je ne le suis pas tout à fait” (Olafur Eliasson). L’artiste dano-islandais Olafur Eliasson, naît en 1967 à Copenhague.

Olafur Eliasson part du principe qu’il existe une contradiction entre l’expérience et la connaissance que l’on a du visible, ce qui le pousse à explorer, à travers les frontières de la perception humaine, les relations entre nature, architecture et technologie.

En combinant science et technologie avec la production artificielle de phénomènes naturels (lave, brouillard…), Olafur Eliasson plonge le spectateur dans une expérience aussi bien psychologique que physiologique qui lui permet de questionner le familier, le banal et les différences entre nature et culture.

Les œuvres d’Olafur Eliasson ont fait l’objet de nombreuses expositions individuelles dans les musées et galeries du monde entier, parmi lesquelles l’installation Weather Project, exposée avec succès en 2003 dans le cadre des Unilever Series à la Tate Modern de Londres. Ses travaux sont présents dans plusieurs collections publiques ou privées, notamment au Musée Solomon R Guggenheim de New York, au Musée d’Art Contemporain de Los Angeles, à la Fondation Deste d’Athènes et à la Tate Modern. Olafur Eliasson représente le Danemark à la Biennale de Venise en 2003.

Je suis né à Copenhague de parents islandais, mariés à 18 ans, divorcés à 22 ans. J’ai donc passé très vite mes vacances en Islande chez mes grands-parents, près de Reykjavík, dans un port tout au fond d’un fjord. Ma famille vient d’une lignée de pêcheurs, comme 99 % des Islandais. Nous étions une bande de gosses à jouer avec la marée qui monte sans prévenir, d’un coup, dans les fjords, à récupérer dans la mer les balles du club de golf voisin, puis à les lancer à toute force sur les carcasses de voitures dans la casse en contrebas. Cela faisait de la musique ! Rien de romantique, mais la liberté des sens en éveil.

d’après MOREEUW.COM


“Spherical Space” (2015) © blog.artsper.com

Olafur Eliasson est un artiste et architecte contemporain danois dont la pratique englobe sculpture, installation participative, peinture, photographie, vidéo… Artiste conceptuel pluridisciplinaire, Olafur Eliasson développe un travail explorant la formation de la subjectivité (perceptions, expériences vécues, sens du soi…). Depuis ses débuts, la lumière et les phénomènes chromatiques (avec leurs multiples ramifications perceptuelles et conceptuelles) jouent un rôle nodal dans son œuvre. Jusque dans la manière dont la lumière et les phénomènes visuels modèlent le rapport à l’espace, au contexte, à la façon d’habiter. En 2016, Olafur Eliasson aura été invité à exposer à Versailles, dans le château du Roi-Soleil. Un lieu parfait pour son œuvre, compte tenu de la galerie des Glaces, notamment. Il y expose alors de multiples pièces miroitantes (Your sense of unity, Deep Mirror…). (…)

Olafur Eliasson : des installations et sculptures explorant la perception et l’impact de la lumière, des couleurs

Olafur Eliasson a grandi entre le Danemark et l’Islande (dont sont alors originaires ses parents). Il a étudié à l’Académie Royale des Beaux-Arts du Danemark (1989-1995). Après son diplôme, il s’installe à Berlin et crée le Studio Olafur Eliasson. Atelier-entreprise, celui-ci rassemble, deux décennies plus tard, près d’une centaine d’artisans, architectes, techniciens spécialisés, archivistes, administrateurs, développeurs, historiens d’art, cuisiniers… Ses premières œuvres, conceptuelles, recourent à de multiples dispositifs optiques. Projection lumineuse (Window Projection, 1991) ; miroir et bougie allumée (I grew up in solitude and silence, 1992) ; lentilles optiques (Untitled (Looking for love), 1993) ; phénomènes de prisme (Beauty, 1994)… Soient des thèmes et phénomènes qu’il ne cesse de reprendre et d’approfondir au fil de ses œuvres. En accentuant les phénomènes, les complexifiant, les incluant dans des mécanismes et installations de plus en plus élaborés. À l’instar de l’installation Care and power sphere (2016), présentant de multiples facettes en verre dichroïque.

La lumière productrice d’intersubjectivités : architecture, urbanisme et compagnie d’électricité

Marqué par la dynamique lumineuse singulière des nuits (et jours) polaires, le travail d’Olafur Eliasson explore l’influence que la lumière (et les couleurs) peut avoir sur la perception de soi et de l’environnement. La lumière et les couleurs étant ici traitées tour à tour comme des phénomènes objectifs et subjectifs. Ou comme des phénomènes créant de l’intersubjectivité. Telles ses œuvres Rainbow assembly (2016), Visual mediation (2017), Midnight sun(2017)… Exposé dans le monde entier, Olafur Eliasson a également participé à la Biennale de Venise, d’art et d’architecture (2003, 2006, 2010, 2012, 2017…). En 2012, avec l’ingénieur Frederik Ottesen il fonde la société Little Sun. Une structure qui produit et vend une lampe solaire, tout en fournissant de l’électricité à prix abordables. En 2014, avec l’architecte Sebastian Behmann il fonde le Studio Other Space, à Berlin. Soit une agence se consacrant à des projets architecturaux et urbains expérimentaux.

d’après PARIS-ART.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercialisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © moreeuw.com ; © paris-art.com…

LOGIST : Tout emporter. Poèmes 1988-2008 (2008)

Temps de lecture : 3 minutes >

[KARELLOGIST.COM] Vingt ans d’écriture et dix recueils publiés, du Séismographe (1988) au Sens de la visite (2008), — mais l’on pourra désormais Tout emporter en un seul volume, publié au Castor astral : florilège auquel la livrée bleue de la collection Escales des lettres prête un vêtement approprié, car le bleu, le blues, est la couleur privilégiée des poèmes de Karel Logist. Il y a, dans le titre de cette anthologie, l’expression d’un rêve d’artiste (ainsi, à la veille de la guerre, Marcel Duchamp confectionna-t-il sa fameuse boîte-en-valise, musée portatif contenant les répliques miniatures de ses œuvres). Il y a aussi, d’entrée, un art poétique suggéré. L’idée qu’un poème est une ‘petite chose’ intime, essentielle et ténue, un condensé d’univers qu’on peut emporter partout avec soi, comme un air qui vous hante et qu’on fredonne en marchant.

ISBN 9782859207618

Léger à proportion exacte de sa gravité, Logist pratique une poésie volontiers narrative, qui excelle à épingler du réel la part de grâce fugitive, d’inconnu ou d’étrangeté : les vertiges brefs du hasard, l’ombre du chien posé sur l’évier, “un air de Parker sur une aire de parking“, une passante entrevue dont l’existence nous traverse en laissant une empreinte inoubliable. Le mode mineur a sa prédilection, les charmes de la ritournelle ne lui sont pas inconnus, l’ironie est sa seconde nature — avec son revers secret d’angoisse (qui le voit “s’extraire de l’âme une dent / douloureuse d’avoir trop ri“). C’est Paul-Jean Toulet au pays de Kafka, qui se bat contre les moulins à vent de la réalité, mais non : ce sont des moulins à café…

En vers libres, en prose ou en octosyllabes assonancés, la forme est toujours dégagée, le ton reste celui de la confidence murmurée mezzo voce ; et la construction du recueil — qui préfère, à l’ordre chronologique, des regroupements thématiques rapprochant les poèmes d’hier et ceux d’aujourd’hui — met en évidence un sens du phrasé, une science agile du mètre tour à tour fluide et brisé, un art de la modulation du thème où il nous semble que l’amour du jazz a sa part. Il est en effet frappant que les quelques poèmes titrés du recueil le soient toujours en référence à des morceaux de jazz — lesquels ne semblent pas avoir été choisis au hasard.

Un blues en mineur de Sonny Rollins (Decision), les fêlures de Bud Powell (Un poco loco), les dissonances calculées de Thelonious Monk (Round About Midnight), la mélancolie bleue, si douce et si planante, de Miles Davis (So What), les mélodies acidulées d’Ornette Coleman (Tears Inside, Turnaround), tout cela s’entend ici en sourdine.

Et comme le jazzman qui s’élance sans filet au moment du solo, il y a chez le rêveur inquiet qu’est Logist quelque chose du funambule en équilibre instable sur la corde du temps présent, aux prises avec cette fatale cohabitation du meilleur et du pire, du grave et de l’anodin, qui fait la trame de l’ordinaire. Entre les vestiges de l’enfance et les signes du quotidien, la solitude urbaine et la difficulté d’aimer, l’homo logistus est ce voyageur en porte-à-faux, ce passant du transitoire qui évite “d’employer la première personne du masque singulier pour parler de [ses] différences“, et s’étonne de ne jamais se retrouver tout à fait identique à lui-même, comme jouet d’une scission de l’être survenue à son insu : “Entre deux saisons qui finissent / et qui m’ont tenu loin de moi“, “On chasse l’impression de s’être / comme par distraction / coupé au fil de journées invisibles“.

Thierry Horguelin, Indications, n°376, février 2009

Karel Logist voit loin, Karel Logist voit tout de travers. C’est qu’il voit le monde de là où il se trouve : de l’autre côté du fleuve. Selon les heures du jour, selon les saisons de l’année, le regard doit traverser tantôt la brume qui traîne autour de l’eau, tantôt les pluies de novembre, ou alors les mirages de l’été. Ainsi il arrive que le malheur, à cette distance, vous ait des airs de complicité, pour un rien il vous tendrait la main. Et il n’est pas rare que le bonheur, avec son vieux manteau et ses pas de danse maladroits, vous lance une grimace en guise de salut. Géographe de la dérision, Karel Logist ne se moque de rien ; mais il sait qu’il faut cligner de l’oeil pour y voir clair. Après, il reste des poèmes, pour dire que rien ne dure – sauf le cœur.

Francis Dannemark

LOGIST Karel, Tout emporter (Poèmes 1988-2008) (Bordeaux : Le Castor Astral, coll. Escales des lettres, 2008, photographie de couverture par Enora Baubion, préface de Liliane Wouters)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, compilation et iconographie | source : karellogist.com ; librel.be ; castorastral.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits photos : ©  Castor astral.


Découvrir encore en Wallonie-Bruxelles…

MONTI : Sans titre (2014, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

MONTI Benjamin, Sans titre 
(sérigraphie, 2014, 32 x 24 cm)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Benjamin Monti © focus.levif.be

Né à Liège en 1983, Benjamin MONTI a participé à des fanzines notamment le collectif Mycose fin des années 90. Représenté par la Galerie Nadja Vilenne (Liège) depuis 2010, il participe à de nombreuses expositions en Belgique et à l’étranger.

L’artiste travaille d’après des images anciennes de la fin du 19e, début 20e siècle, tirées d’ouvrages se référant essentiellement à l’apprentissage : “leçons de choses”, manuels scolaires et scientifiques, dictionnaires, etc. Il hybride des images existantes de manière ludique pour en créer de nouvelles comme dans un collage mais au moyen du dessin à la plume. Il se situe dans un univers onirique, fantasque et décalé. L’œuvre présentée est au départ un dessin à l’encre de chine (format carré noir/blanc). Ce dessin est réinterprété par David Ritzinger de l’association La Belle Époque qui en a modifié le format et choisi les couleurs. (G. Vruna)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Benjamin  Monti ; focus.levif.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

BOURDOUXHE : Homo sapiens contre homo sensibilis (2022)

Temps de lecture : 4 minutes >

Tout au long de notre parcours scolaire, de l’école gardienne aux éventuelles études supérieures, on nous enseigne des matières. Des matières qui sont, pour la plupart, théoriques, factuelles et livresques. Cette approche, qui est bien entendu tout à fait louable et utile, constitue quasiment un passage obligé pour faire de nous un homo sapiens. Ou, à tout le moins, un individu capable d’exprimer des propos qui reposent sur des bases un peu sérieuses. Cette approche fait de nous des individus à même de comprendre un minimum ce qu’on leur raconte, quand on leur parle de la pluie et du beau temps, voire quand on les entraîne sur des sujets plus profonds. Qui, après tout, ne rêve pas de jouer au savant, à sa façon, et de pouvoir faire profiter son entourage de son savoir, voire de l’épater par son érudition ? Quel Narcisse ne souhaiterait-il pas voir se refléter et briller toutes ses connaissances quand il se regarde dans le miroir ? Vive, par conséquent, l’homo sapiens.

Une fois les études terminées, notre chemin vers le savoir se poursuivra dans le milieu professionnel. Certains suivront ou subiront des formations dans le cadre de leur métier. Des formations techniques, bien entendu, mais parfois aussi de petits modules de formation concoctés par des spécialistes en ressources humaines. Des formations axées par exemple sur la gestion des personnalités difficiles, la communication de crise, la gestion du stress, la maîtrise de sa colère et j’en passe.

Loin de moi l’idée de remettre en question les bienfaits de certaines de ces formations en ressources ou relations humaines, quoi que parfois le doute est amplement permis. Pourtant, je me demande si l’instauration de cours ou de cursus sur l’immatériel – c’est-à-dire les sentiments, l’amitié, l’amour, l’empathie, les relations humaines, par exemple – ne nous enrichirait pas bien davantage. Car, à bien y réfléchir, les échecs humains les plus cuisants, ne relèvent-ils pas plus souvent de failles de l’ordre du sensible, que de carences cognitives, qui selon moi, sont relativement accessoires et peuvent bien plus vite être digérées par l’individu ?

Dès l’enfance, on nous formate de multiples façons. Même quand on veut nous apprendre à apprendre, on le fait bien souvent en nous inculquant et en nous imposant des schémas de pensées, des modes de fonctionnement, des comportements modélisés voire standardisés, des conventions, etc. Mais quand nous enseigne-t-on finalement le mode opératoire de la sensibilité ? A quel moment l’occasion s’offre-t-elle à nous de découvrir et d’approfondir le fonctionnement de l’humain dans l’impalpable, l’immatériel, si ce n’est peut-être dans des cours de psychologie, de philosophie ou de morale ? Qui a déjà eu des cours sur ce qu’est l’amour, ou sur ce que sont les relations humaines ?

J’ai le sentiment que l’Homme a consenti et consent toujours de nombreux efforts, non seulement pour expliquer de manière plus ou moins rationnelle le monde qui l’entoure, mais également pour imposer des pseudo-vérités ou croyances qu’il a de toute façon lui-même façonnées : des dieux pour répondre aux questions qui le dépassent ; des religions pour soumettre ses pairs à des dogmes qui lui assurent une certaine supériorité ; des philosophies pour tenter de comprendre les choses de la vie qui guident son comportement ; des sciences qui tiennent leur crédibilité à un empirisme qu’il n’est plus besoin de remettre en cause ; les mathématiques pour circonscrire la société dans une rigidité cartésienne et un ensemble mesurable.

Cependant, toutes ces tentatives d’expliquer le monde de manière peu ou prou rationnelle, ne cachent-elles pas une incapacité manifeste à extérioriser ou extirper l’homo sensibilis qui est tapi en nous depuis la nuit des temps ? Ne trahissent-elles pas une inaptitude à nous exprimer, à comprendre et à nous faire comprendre par les sens, plutôt que par le sens et la connaissance ? L’être rationnel que nous sommes ou aimerions être, ne bute-t-il pas contre cette part irrationnelle qui nous habite et que nous ne parvenons pas à véritablement cerner ? Ce côté rationnel serait-il lié simplement à notre conception d’un progrès qui se veut technologique, quitte à sacrifier la composante humaine ?

Olivier Bourdouxhe

Vous me direz, toutes ces paroles sont bien belles, mais comment concrètement enseigner l’immatériel, si ce n’est en recourant au matériel ? Je n’ai malheureusement pas de réponse toute faite, prête à l’emploi et encore moins universelle. Au mieux, j’ai bien une suggestion utopiste qui consisterait à nous immerger dans d’autres vécus et à vivre momentanément au contact d’autres milieux. Non pas dans le but de proposer une nouvelle émission de télé-réalité, mais afin d’aiguiser nos sensibilités par une immersion dans d’autres réalités, dans des référents culturels différents qui nous aideraient certainement à ne plus prendre pour acquis ce qu’on nous sert comme des évidences, des valeurs absolues qui permettraient à l’homme d’assurer son salut.

J’ai lu d’ailleurs récemment à ce sujet que le Danemark venait d’introduire des cours sur l’empathie, qui s’adressent aux enfants et adolescents âgés entre 6 et 16 ans. Voilà peut-être une piste que nous pourrions également développer chez nous.

Olivier Bourdouxhe


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction, édition et iconographie | source : Olivier Bourdouxhe, auteur | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  La Compagnie Les Hommes Sensibles ; © Olivier Bourdouxhe.


La parole ouvre le débat en Wallonie et à Bruxelles…

HAPPART : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

HAPPART Isabelle, Sans titre 
(eau-forte, s.d., 40 x 34 cm)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Isabelle Happart © lavenir.net

Isabelle HAPPART est née en 1965. Diplômée de gravure en 2002 à l’École des Arts d’Uccle après une scolarité artistique (École Nationale Supérieure des Arts Visuels de La Cambre, 1990, Bruxelles), Isabelle Happart participe à de nombreuses expositions, prix et biennales en Belgique et ailleurs.

Passionnée par le dessin, l’artiste entretient un rapport intime avec ses sujets. Elle réalise des portraits, des paysages. La méticulosité du dessin rejoint la finesse du cadrage et le travail d’impression. Le travail de la pointe sèche travaille les nuances, entre noir et lumière, avec préciosité du papier choisi. Cette gravure, par la centralité du médaillon évoque une fenêtre sur un paysage, un jeu d’effacement d’une scène dont on ne garderait qu’un détail, ou encore un objet représentant avec préciosité et délicatesse un motif montagneux.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Isabelle Happart ; lavenir.net | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

JEUNES AUTEURS : Prologue (nouvelle, 2022)

Temps de lecture : 6 minutes >

Cela fait quelques temps déjà que je n’arrête pas de te croiser…” Quelques lignes, quelques phrases inscrites à l’indélébile sous un pont. Ce n’était pas son idée de taguer ce pont. Elle a seize ans et fait chanter les mots. C’est la seule manière qu’elle ait de s’exprimer. C’est le seul talent qu’elle possède. Elle fait chanter les mots seule, chez elle, s’acharnant sur sa page pour évacuer ses peines et sa colère. Mais lorsqu’elle les fredonne, les autres l’écoutent. Ce sont ces autres qui ont eu l’idée d’écrire sous le pont. Elle, elle aime juste faire chanter les mots pour elle-même.

Souvent, lorsqu’elle sort de sa bulle, lorsque les mots ne doivent plus rimer ou se chanter, ils restent bloqués. Elle ne manie pas l’art de l’humour, et encore moins l’épreuve d’une conversation. Hors de sa bulle, elle reste muette durant des heures, consciente de l’absurdité de sa situation. Et si elle ne choisissait pas les bons mots ? Qu’est-elle supposée dire ? Quand est-elle supposée rire ? Pourquoi se mure-t-elle dans ce silence ridicule, alors que les autres semblent s’amuser sans se soucier une seconde des mots qui sortent de leurs bouches ? Elle reste malgré tout prisonnière de son mutisme, subissant les mots des autres. Dans sa tête, elle fait chanter les mots. Et lorsqu’elle en a assez de subir, elle se lève et rentre chez elle. Jusqu’à la semaine suivante…

[Invisible] 1- Qui n’est pas visible, qui échappe à la vue ou à la connaissance.
2- Qui ne se laisse pas voir, qui ne se montre pas. Synonyme : discret, discrète.

Les autres qui parlent autour d’elle sont différents, plus âgés. Elle aussi a grandi, elle a aujourd’hui dix-neuf ans. Ils sont différents, ces autres, mais semblent avoir cette même facilité à s’amuser sans se soucier une seconde de ce qu’il faudrait dire ou faire. Sans se l’avouer, elle les envie. Pourtant, en
chemin, elle a appris à manier les mots. Elle a enregistré les règles du jeu : voici ce qu’il faut répondre, voilà quand il faut rire… Et l’application des règles semble porter ses fruits. En tous cas, elle n’est plus prisonnière de son silence. Elle peut s’appuyer sur les règles, et les mots savants qu’elle apprend lui donnent un peu de contenance. Malgré tout, elle sent toujours peser sur ses épaules le poids de sa prison. Qu’est-ce que j’ai loupé ?

[Programme informatique] Séquence d’instructions qui spécifie étape par étape les opérations à effectuer pour obtenir un résultat. Il est exprimé sous une forme qui permet de l’utiliser avec une machine comme un ordinateur pour exécuter les instructions.
[Ordinateur] Machine électronique qui fonctionne par la lecture séquentielle d’un ensemble d’instructions, organisées en programmes. Dès sa mise sous tension, un ordinateur exécute, l’une après l’autre, des instructions qui lui font lire, manipuler, puis réécrire un ensemble de données.

Elle se souvient qu’elle savait faire chanter les mots. Elle aime le sentiment que lui procure une page blanche qui se remplit peu à peu de ce trop-plein d’émotions et d’idées qui l’enserrent. Alors lorsque l’occasion se présente, elle décide de les chanter pour les autres. Elle hésite, panique, baisse les yeux, puis se lance et fredonne quelques mots, quelques phrases. Sa voix manque d’assurance, et chaque note qui franchit ses lèvres est une question lancinante : “Suis-je ridicule ?” – Bien sûr que tu l’es.Comment ne pas l’être ? – Tu le seras quoi que tu fasses.” Une part d’elle sait que ce n’est pas ce qu’elle veut, qu’elle n’est pas à sa place derrière ce micro. Mais elle l’étouffe au plus profond d’elle-même. Elle a toujours su faire chanter les mots, on l’appréciait pour ça. – On ne t’appréciait QUE pour ça. Alors c’est décidé, elle n’a pas d’autre choix, elle continuera. La musique sera son exutoire et
sa reconnaissance. Mais passer de la page à la scène ne s’improvise pas… Il lui faudra acquérir de la technique, il lui faudra se montrer, se mettre en danger. Tant pis, tu apprendras… C’est tout ce que tu sais faire, alors chante tes mots ! Et la question lancinante la poursuivra à chaque note…

© Getty Images

Les années ont passé, la vie a poursuivi son cours avec ses méandres, ses rapides et ses chutes implacables. A vingt-sept ans, elle est passée maître en art de la parole. Les conversations sont soutenues, les thèmes sérieux ou futiles… Connaître les règles lui permet de donner le change, parfois même de briller. Elle sait désormais ce qu’on attend d’elle à chaque réplique et donne à son interlocuteur ce qu’il veut entendre. Et pourtant, elle sent que le puzzle n’est pas complet. Il lui manque une règle – LA règle. Mais elle a beau observer, analyser, imiter… rien n’y fait. Qu’importe cette foutue règle ! Elle est devenue quelqu’un, et le regard que les autres posent sur elle a changé. Elle lit dans leurs yeux du respect, parfois teinté d’un soupçon d’envie. Si seulement ils savaient ce qu’il y a derrière le masque. En secret, la même question lancinante – Suis-je ridicule ? – se pose à chaque mot, à chaque phrase.

You’re a fraud and you know it…

Gotye, Smoke and Mirrors

Elle chante toujours, et a décidé depuis plusieurs années d’apprendre ces règles-là aussi. Il n’y a que comme ça que tu ne seras pas ridicule. La technique vocale d’abord : résonateurs, respiration diaphragmatique, ancrage du corps… Elle s’applique, en bonne élève qu’elle a toujours été. Chacune de ses représentations reste une épreuve, mais elle préfère l’ignorer. Il n’est pas question ici de prendre du plaisir mais de démontrer ce qu’elle vaut. Elle s’accroche à cette idée. Elle aime faire chanter les mots. Après tout, que sais-tu faire d’autre ? Et si les règles vocales ne suffisent pas pour devenir une vraie chanteuse, c’est (évidemment) parce qu’il lui faut également connaître les règles de la musique. Harmonie, modes mineur ou majeur, échelle des quintes… Elle performe dans la discipline et s’ouvre ainsi la voie vers la composition. Quoi de mieux que d’écrire la musique qui portera ses mots et ses émotions ? Arrête, tu sais que ce n’est pas la bonne voie… Elle a beau essayer, elle sent peu à peu qu’il y a quelque chose qui cloche. Comme si tout cela n’avait aucun sens. Comme si ce n’était pas ce dont elle avait… envie ? – Envie ? – On lui a déjà parlé d’un truc comme ça. Ce serait la fameuse pièce manquante du puzzle. – Ok… Et ? – C’est tout. La dernière règle, c’est d’avoir envie. Ce n’est qu’une règle de plus parmi les autres. En bonne élève, elle l’appliquera donc de son mieux. Car il faut faire les choses bien.

[Intellectualisation] Nom féminin. 1- Action d’observer et d’analyser les choses d’un point de vue intellectuel. 2- Processus de défense par lequel l’homme essaie de dominer ses émotions en utilisant le raisonnement et la logique (Psychanalyse).

Elle regarde d’un air absent le tableau qui se dresse devant elle. Un ensemble de règles qui, soigneusement appliquées, permettent de s’adapter à toute situation, voire même d’être appréciée… Que faudrait-il de plus ? A trente ans, elle a atteint une forme de reconnaissance sociale et n’a objectivement pas à se plaindre de sa vie. Alors quoi ?
Il reste cette dernière règle qui lui donne du fil à retordre. L’envie… Ce qu’elle pensait n’être qu’une règle de plus parmi les autres s’avère plus compliquée à appliquer que prévu. C’est une règle qui, étrangement, n’a pas de bonne réponse. Pour toutes les autres, c’est facile : il suffit d’observer la réaction des autres et d’agir selon ce qui semble donner les meilleurs résultats. Mais dans ce cas précis, il n’y a qu’elle qui puisse décider de la bonne réponse à donner. Et c’est bien ça le problème : elle ne s’est jamais posée cette question.

Touch, I remember touch
Where do I belong ?
I remember touch
I need something more…

Daft Punk, Touch

Elle se souvient qu’elle a toujours fait chanter les mots. Elle aime le sentiment que lui procure une page blanche qui se remplit peu à peu de ce trop-plein d’émotions et d’idées qui l’enserrent. Les mots chantent sur la page sans avoir besoin de sa voix. Serait-ce sa voie ? Si telle est – peut-être ? – son envie, écrire ne s’improvise pas. Ecrire quoi ? Un poème ? Une nouvelle ? Un roman ? Il y a sans doute des règles dans l’écriture. Par quel bout commencer ? Faut-il une idée générale de l’histoire avant d’écrire le premier chapitre ? Et pour y raconter quoi ? Cela doit avoir un sens, un message fort. Comme une métaphore de la vie à laquelle le lecteur pourra s’identifier. Ecrire n’est pas si simple, il ne suffit pas de se lancer. Il faut toujours faire les choses bien.

[Lâcher-prise] Nom masculin. Moyen de libération psychologique consistant à se détacher du désir de maîtrise.

A trente-et-un an, elle s’installa devant son ordinateur et se mit à écrire.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | auteur : anonyme, connue de la rédaction | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, © AFFA ; © Getty Images.


Lire encore en Wallonie et à Bruxelles…

BOVY : Peanuts (2015, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

BOVY Olivier, Peanuts
(5 sculptures en bronze, coffret en bois et instructions
encadrées, 2015, 11 x 22 x 11 cm)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Olivier Bovy © Jules Toulet

Sculpteur, Olivier BOVY (né en 1979) développe dans ses recherches et réalisations un questionnement sur le corps humain. Il aborde plus précisément sa position et son interaction avec le monde. Ses premières réalisations prennent la forme d’objets inspirés de la physionomie humaine ; des organes et appendices qui – très souvent – se greffent aux corps. Sobres et énigmatiques, elles fonctionnent en tant qu’éléments esthétiques pourvus d’une fonction de communication. Par la suite, la dimension sonore prend une place grandissante dans son travail. Par ailleurs, l’artiste est soucieux de présenter ses créations dans des espaces publics généralement peu fréquentés par l’art contemporain. Il joue du contraste entre l’intimité de ses réalisations et l’universalité de son propos. (d’après Bénédicte Merland, SPACE-COLLECTION.ORG)

Cette œuvre d’Olivier Bovy a été réalisée spécialement pour l’Artothèque. Elle découle d’une réflexion sur l’appropriation de l’œuvre par les emprunteurs, ainsi que sur la volonté de désacraliser l’œuvre. Si “Peanuts” signifie cacahuètes en anglais, cela peut également vouloir dire “bagatelle”, “rien” ou pas grand-chose… Les cinq cacahuètes moulées en bronze sont accompagnées d’une série de règles à respecter pour l’emprunteur, invitant ce dernier à “jouer le jeu” très sérieusement (on notera l’invitation à “ne pas manger les cacahuètes”)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Olivier Bovy ; Jules Toulet | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

Compagnie Belova ~ Iacobelli

Temps de lecture : 3 minutes >

[BELOVA-IACOBELLI.COM] L’actrice et metteuse en scène chilienne Tita Iacobelli et la marionnettiste belgo-russe Natacha Belova se sont rencontrées en 2012 à Santiago du Chili dans le cadre du Festival La Rebelión de los Muñecos. En 2015, elles créent un laboratoire de recherche autour du théâtre contemporain de marionnette dans la même ville. À la fin de cette expérience de deux mois, elles décident de créer ensemble un spectacle.

Tchaïka est le premier spectacle de la Compagnie Belova–Iacobelli. La création dure trois ans et se déroule à cheval sur quatre résidences entre Buenos Aires, Santiago du Chili et Bruxelles. Elles présentent leur travail pour la première fois fin juin 2018, au Festival La Rebelión de Los Muñecos. Le spectacle a reçu les prix du Meilleur spectacle et de la Meilleure actrice 2018 au Chili (el Círculo de Críticos de Arte de Chile) et le prix du public pour la Meilleure mise en scène au Chili (Premios Clap).

Tita Iacobelli & Natacha Belova © Pierre-Yves Jortay

Natacha Belova, historienne de formation, est née en Russie et réside en Belgique depuis 1995. C’est tout d’abord en tant que costumière et scénographe qu’elle commence ses premières collaborations au sein du réseau belge et international des arts de la scène. Elle se spécialise ensuite dans l’art de la marionnette. C’est en menant de nombreux projets liés au théâtre mais aussi au domaine de la danse, du cirque, du cinéma et de l’opéra qu’elle engrange une grande expérience, lui donnant ainsi le désir et la nécessité de créer ses propres projets. Ses premières créations sont apparues sous la forme d’expositions et d’installations. En novembre 2017, elle signe sa première mise en scène, Passeggeri de la Cie La Barca dei Matti au IF — Festival internazionale di Teatro di Immagine e Figura — Milan, Italie. Elle mène depuis ces dernières années de nombreux stages de marionnettes dans 15 pays sur trois continents et fonde son propre centre de recherche et de formation nommé IFO asbl à Bruxelles en 2016.

Tita Iacobelli commence son parcours artistique au 2001. En 2003 elle gagne le prix de la meilleur actrice dans le festival de Nuevos Directores. Elle travaille depuis 2005 au sein de la Compagnie Viajeinmóvil de Jaime Lorca en tant que codirectrice, actrice, marionnettiste et enseignante dans des ateliers de marionnette. Elle a parcouru diverses scènes d’Amérique et d’Europe, avec entre autres, les spectacles, Gulliver (2006) et Otelo (2012). Sa relation étroite avec la musique l’a amenée à diriger plusieurs spectacles de théâtre musical avec la compagnie jeune publique Teatro de Ocasión, ainsi que des concerts théâtraux avec le groupe chilien fusión-jazz Congreso et avec l’Orchestre Philharmonique du Chili au Théâtre Municipal de Santiago.

TCHAÏKA

Dans les coulisses d’un théâtre, une vieille actrice au crépuscule de sa vie ne sait plus ce qu’elle fait là. S’approchant d’elle, une femme lui rappelle la raison de sa présence : interpréter le rôle d’Arkadina dans La mouette de Tchekhov. Ce sera son dernier rôle. Sa mémoire fout le camp et si elle ne sait plus tout à fait qui elle est pas plus que son rôle, elle entend assurer la représentation. Dans sa déroute, fiction et réalité s’entrecroisent. Elle tente de suivre la trame de la pièce. Suivent des dialogues avec son fils, les abandons répétés de Trigorine son amant, qui la replongent dans son passé.
Elle renoue avec la jeune actrice qu’elle fut, avec le rôle de Nina, celui qu’elle préfère, celui de la jeune actrice qui vaille que vaille continue. Voilà Tchaïka luttant, reprenant pied, se créant un nouveau théâtre, un autre espace de jeu et de vie. Comme dans La mouette, Tchaïka est entre passé et futur, entre désillusion et espoir, et elle poursuit la route, malgré la déglingue. Conté sur la trame du rêve, ce spectacle pour une actrice et une marionnette est le premier de la compagnie belgo-chilienne Belova-Iacobelli.


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et correction | source : belova-iacobelli.com | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Pierre-Yves Jortay.


D’autres initiatives en Wallonie et à Bruxelles…

YANG, Jiechang (né en 1956)

Temps de lecture : 5 minutes >

Diplômé de l’Académie des beaux-arts de Guangzhou et formé auprès des grands maîtres taoïstes, Yang Jiechang manie le pinceau depuis l’âge de 3 ans. Initié à la calligraphie et à la peinture chinoise traditionnelle, l’artiste est invité à se rendre à Paris afin d’y exposer ses œuvres dans l’exposition mythique du Centre Pompidou en 1989, Les Magiciens de la Terre. Cette invitation change le cours de sa vie et il décide de s’installer définitivement en France.

La série d’œuvres exposée, Cent couches d’encre, sera développée par l’artiste jusqu’au début des années 2000. Elle s’identifie par l’emploi en épaisseur de couches successives d’encre traditionnelle, obtenue par distillation de charbon de bois de cyprès, de différentes huiles essentielles, résines et extraits de plantes médicinales ; le traitement précis du papier de riz et des bandes de gaze permet à l’artiste de fixer la matière en épaisseur, par la répétition, et de jouer à la fois du relief et de la brillance sur fond mat. Devenues figuratives, ses peintures récentes sur soie de style Gong-bi maintiennent la technique de l’artiste bien maîtrisée consistant à tenir son minuscule pinceau dans un axe parfaitement vertical au support, afin d’y impulser dans l’instant un trait clair, prononcé et pointu.

“Underground Flowers” ©Ph.Vienne

L’usage de la céramique ou de la sculpture dans l’œuvre Underground Flowers (1989-2009) est une extension calligraphique, sur un nouveau support, de ce que l’artiste ne peut réaliser en peinture. Composée de 2009 os en porcelaine de la Dynastie Ming (1368-1644) présentés dans des caissons en bois, elle incarne une réflexion sur le temps et les bouleversements politiques mondiaux surgis entre 1989 et 2009. Initialement créée pour la Biennale de Lyon, l’installation est exposée en 2015 lors de La Chine Ardente à Mons (Belgique), au Muséum d’Histoire Naturelle (Hors les Murs FIAC 2015) et à la galerie au sein de Quinte-Essence, air – eau – terre – feu – éther  en 2015 (…).

En 2017, l’œuvre Allah, Jesus, Buddha and your Bones est présentée lors de l’exposition Corps et Âmes et Chuchotements de la Terre à la galerie [Jeanne Bucher Jaeger] (…) Afin de célébrer les 30 années de collaboration avec Yang Jiechang, la galerie organise en 2019 l’exposition Dark Writings, en résonance avec la rétrospective majeure intitulée Three Souls and Seven Spirits qui lui est consacrée au Shanghai Minsheng Art Museum.

Invité à la Manufacture de Sèvres, Yang Jiechang a collaboré avec les artisans décorateurs de la Manufacture en utilisant la technique oubliée de la pâte-sur-pâte pour la réalisation de son œuvre Tale of the 11th Day. L’artiste signe une série de onze vases intitulée Tale of the 11th Day ou Conte du 11ème Jour exposée d’octobre à décembre 2021 à la Galerie de Sèvres, Paris, puis présentée au Musée Guimet du 6 juillet au 24 octobre 2022 dans le cadre de la Carte Blanche que le Musée national des arts asiatiques – Guimet consacre à l’artiste.

d’après JEANNEBUCHERJAEGER.COM


“Tale of the 11th day” © Philippe Vienne

Né en 1956 à Foshan en Chine, Yang Jiechang manie le pinceau depuis ses trois ans. Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Guangzhou et formé par de grands maîtres taoïstes, c’est auprès d’eux qu’il est initié à la calligraphie et à la peinture chinoise traditionnelle, dont il s’inspire énormément dans ses œuvres.

En 1989, Yang Jiechang participe à l’exposition Les Magiciens de la Terre au Centre Pompidou (Paris). C’est un coup de foudre pour la capitale française et l’Europe en général, au point qu’il choisit de s’y installer. Il vit et travaille toujours aujourd’hui entre Paris et Heidelberg en Allemagne. Depuis 1989, l’artiste a participé à des expositions et biennales dans le monde entier, comme la Gwangju Biennale (2002), la Biennale de Venise (2003), la Guangzhou Triennale (2003/2005), La Force de l’Art, première Triennale de Paris (2006), la Liverpool Biennale (2007), la Biennale d’Istanbul (2007), la Biennale de Moscou (2009), le French May (Hong Kong 2001/2015), le Metropolitan Museum (New York, 2013), Carambolages (Grand Palais, Paris, 2016), Art and China after 1989: Theater of the World  (Guggenheim Museum, New York, 2017/2018), The Street (Maxxi, Rome, 2018), Minsheng Art Museum (Shanghai, 2019).

Tale of the 11th Day

Pour sa collaboration avec la Manufacture de Sèvres, Yang Jiechang réinvente une de ses œuvres, déjà intitulée Tale of the 11th Day : une série de tableaux mêlant les techniques de peinture traditionnelle chinoise et sa touche propre.

Cette série de tableaux et la série de vases qui en découlent sont inspirées du Décaméron de Boccace. Ecrit aux alentours de 1350, l’ouvrage rapporte l’histoire de dix jeunes gens, enfermés dans une villa près de Florence, lors d’une épidémie de peste. Ils se racontent chacun leur tour des histoires pendant dix jours, chaque jour étant consacré à une thématique différente.

Dans son Tale of the 11th Day, Yang Jiechang invente un 11jour au Décaméron, où humains et animaux communiquent, jouent et s’accouplent dans des paysages paradisiaques. L’artiste imagine un monde utopique où tout n’est qu’amour et harmonie. Les vases sont décorés grâce à la technique de la pâte-sur-pâte, qui crée de délicats bas-reliefs de porcelaine blanche posés sur des fonds subtils aux couleurs pastel.

La collaboration avec les artisans de la Manufacture

Tout commence avec un dessin de l’artiste confié aux artisans de Sèvres. Le dessin en 2D doit être adapté à la forme curviligne du vase et doit tenir compte du retrait de la pâte de porcelaine subi lors de la cuisson (perte en moyenne de 15 % du volume une fois cuit).

La seconde étape est la confection des vases. Ils sont tournés, puis une couverte de couleur leur est apposée. Spécificité et difficulté de cette technique exigeante, les décors se font sur une pièce crue, la pièce est donc extrêmement fragile et le travail d’autant plus exigeant.

Les dessins de Yang Jiechang sont reproduits sur un poncif, sorte de papier calque que l’artisan perce de tout petits points en suivant les lignes du dessin. Il fait passer à travers le poncif une poudre de charbon pour en reporter les contours.

L’artisan pose ensuite au pinceau, couche par couche, de la pâte de porcelaine liquide, aussi appelée barbotine. Il monte ainsi des bas-reliefs délicats, jouant avec les transparences que permet ce matériau. Entre chaque couche, il faut attendre que la précédente sèche, ce qui en fait une technique longue et laborieuse.

La pièce est dégourdie (première cuisson à 980°) puis l’artisan reprend les contours de ses motifs à l’aide d’un bâtonnet de buis. La pièce part à l’atelier d’émaillage puis au four pour une cuisson finale au grand feu à 1280°.

d’après SEVRESCITECERAMIQUE.FR


THEATE : Sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

THEATE Dominique, Sans titre
(linogravure, 50 x 65 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Dominique THÉÂTE est né le 23 août 1968 à Liège. Il participe aux ateliers peinture de “La S” Grand Atelier (CEC La Hesse) depuis 2001. A 18 ans, alors qu’il s’apprêtait à entrer aux Beaux-Arts, un coma successif à un grave accident de moto fait basculer la vie prometteuse de ce jeune Liégeois. L’absence de rémission condamne alors Dominique Théâte à fantasmer sa vie. C’est ainsi que presque tous ses dessins sont commentés par des “Shema” (sic) où il se met en scène, tantôt dans le costume qu’il portera lors de son mariage, tantôt en comédien adulé sur les planches, tantôt en chanteur vedette, quand il ne reproduit pas à l’infini la voiture de ses rêves. Dominique Théâte a collaboré avec Dominique Goblet pour créer un récit en bande dessinée paru dans l’album collectif Match de catch à Vielsalm (FRMK) [d’après CHRISTIANBERST.COM]

Réalisée en linogravure (plusieurs impressions de la même matrice), cet autoportrait en costume-cravate présente la légende suivante : Personnages (” autoportraits”) me représentant à faire un dicton (“affectueusement”) pour (“tenter”) une femme à être ma liason [sic] d’amour en la ville de Vielsalm où je suis domicilié (“citoyen”) de (“malheureusement”) (célibataire). Liason [sic] d’amour d’espérée à vous qui y sera patiement [sic] attendue”.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Dominique Théâte ; christianberst.com | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

ORBAN, Joseph (1957-2014)

Temps de lecture : 8 minutes >

[TEXTYLES, n°53, 2018, extraits] Qu’est-ce qu’un poète maudit ? Y a-t-il une spécificité du poète maudit, par rapport à l’écrivain ? Le genre poétique, quand il fait de la part de l’intéressé l’objet d’un choix quasi exclusif, se prête-t-il davantage que le roman à la maudicité (pour reprendre le terme proposé par Laurent Demoulin de ce même volume de la revue Textyles) ?

La maudicité d’un auteur peut se concevoir, s’évaluer et, autant que possible, s’objectiver, selon deux voies différentes : soit en partant de faits avérés (biographiques, littéraires, sociaux), indicateurs d’un déclassement social, soit en partant du point de vue de l’auteur lui-même, en se fondant sur ses postures et ses discours, à travers lesquels elle est suggérée, affirmée ou revendiquée, que cette posture soit corroborée par les faits ou non.

Quand la caractérisation de “poète maudit” n’est pas le fait du poète lui-même, elle a pour source ses contemporains (à travers discours critiques ou amicaux, soutiens, déplorations) ou la postérité, y compris critique et universitaire. […]

Joseph Orban, ou le perdant maudit

Quand le tout jeune Joseph Orban commence à écrire au début des années 1970, la figure du poète maudit est largement installée dans l’imaginaire et dans l’arsenal de catégories du monde littéraire du xxe siècle. C’est d’ailleurs en 1972 que paraît l’anthologie Poètes maudits d’aujourd’hui (1946–1970) organisée par Pierre Seghers. Plusieurs faits d’ordre biographique et sociologique s’y prêtant, il est intéressant de confronter le parcours et le profil d’Orban à cette catégorie. Ces faits sont assez riches et surtout relèvent de plans multiples.

Penchons-nous tout d’abord sur les débuts du poète. Il les a résumés lui-même dans une notice biographique placée en tête du texte Le Singe de croix, publié en 1983, soit dix ans après les débuts revendiqués :

Joseph Orban naîtra le 8 juillet 1957. Premiers textes écrits dès octobre 1973, il publiera en auto-édition, L’Attente (75), L’Eurasienne ou la marée montante (77). Elle, ailes frêles (La Soif Étanche, 1976) et Le Sexe tachycarde (Atelier de l’Agneau, 1979). Depuis lors, textes en attente : Entre le blue et le jeans (Atelier de l’Agneau, 198?), Le Singe de croix (????, 19??).

Il collaborera aux revues 25, Aménophis, La Belgique malgré tout, Anthologie 80. Il lira ses textes dans les jungles et les déserts de Liège, Bruxelles, Louvain, Mont Saint Guibert, Nantes et Lausanne. Il retournera en 82 à l’auto-édition avec Des aigles bleus, des loups agiles. Il préparera un nouveau livre provisoirement intitulé Le Parfums de contrebande. Il écrira encore de nombreux mots, de nombreux silences… (dans Revue et corrigée, n°13, automne 1983, p. 59).

La précocité (seize ans), l’auto-édition, les textes en attente, le provisoire, le silence : plusieurs éléments induisent en filigrane l’idée d’une position proche de la malédiction. Ces motifs semblent soutenus par l’emploi du futur simple, en une sorte d’analepse renvoyant au moment de la naissance l’énonciation d’événements vécus, parmi lesquels sont soulignés “textes en attente”, retour à l’auto-édition et “nombreux silences”. Or le lieu de cette naissance, Jadotville au Congo belge, reste tu dans cette notice biographique : le jeune Orban ne dit rien de ces origines coloniales, ni des difficultés familiales liée à un retour précoce au pays, deux ans avant l’indépendance, et au handicap d’un père devenu aveugle — autant de facteurs propres à susciter ne serait-ce que le sentiment d’une précarité, d’une incertitude que trahissent peut-être, obliquement, les points d’interrogation qui frappent d’hypothèque la publication des inédits énumérés.

Si l’on cherche à cerner l’éventuelle maudicité d’Orban, il paraît utile, plutôt que de situer ses débuts dans l’absolu, ou dans un contexte large (le champ littéraire et poétique francophone de Belgique au milieu des années 1970), ou même local (Liège, mais nous y viendrons forcément), de confronter son cas et celui d’un exact contemporain en la personne d’Eugène Savitzkaya, lequel fait figure de “concurrent”. Le parallélisme peut s’avérer contrastif et éclairant.

Orban est plus jeune que Savitzkaya, qui est né en 1955. Tous deux sont précoces : Savitzkaya écrit depuis le même âge qu’Orban (donc deux ans plus tôt). Leur première démarche diverge : Savitzkaya s’inscrit au concours Jeune poésie de la ville de Liège en 1972 — il le remporte grâce au vif intérêt que porte à son écriture le juré Jacques Izoard —, tandis qu’Orban attend 1975 pour publier ses premiers textes en auto-édition. Si sa deuxième publication indique un certain degré d’implication dans le champ liégeois, il faut attendre quelques années pour observer une véritable intégration. Dans le même temps, Les Lieux de la douleur de Savitzkaya sont publiés dès 1972, suivis par quelques textes déterminants (L’Empire, Mongolie plaine sale, Un Attila. Vomiques) écrits dans la foulée (1973 – 1974) et directement publiés en France (1976, Seghers, Minuit), en attendant la série des romans entamée dès 1977 (Minuit), signant une réelle reconnaissance critique. Savitzkaya bénéficie d’emblée, dès 1972, du soutien actif de Izoard, qui l’intègre immédiatement au réseau de l’Atelier de l’Agneau et de la revue Odradek. Il figurera au sommaire du premier numéro de la revue Mensuel 25 en janvier 1977.

Joseph Orban, Ecce homo, autoportrait avant le linceul (8 juillet 1977) © Liège, hélas

Orban, quant à lui, malgré ses antécédents, n’entre dans le Groupe de Liège (fondé en 1975) qu’en 1978 ; il figure dans la Petite anthologie de la poésie française de Belgique du Mensuel 25 d’avril 1978, puis dans l’Anthologie 80 (1981) puis dans le numéro 50 écrivains de la province. Spécial Liège du Mensuel 25 en novembre 1983. En 1979, Le Sexe tachycarde, paraît à L’Atelier de l’Agneau. D’emblée, le succès extérieur de Savitzkaya (dès la publication d’Un Attila. Vomiques, dans la revue Minuit en septembre 1974) contraste avec le confinement liégeois d’Orban : il ne publie que dans le réseau local, quand il n’est pas ramené à l’auto-édition, notamment avec l’artiste Charles Nihoul, à l’enseigne des éditions Axe9. La publication suivante d’Orban à L’Atelier de l’Agneau ne date que de 1984. Jamais il ne sera édité en France, ni même en Belgique ailleurs qu’à Liège (à l’exception de son dernier ouvrage important, Les gens disaient l’étable, publié à Bruxelles, au Grand miroir en 2007).

D’autres faits prolongent le parallélisme, autorisant la comparaison des faits opposables : tous deux restent durablement intégrés au cercle d’Izoard ; ainsi l’un et l’autre accompagnent-ils celui-ci à plusieurs reprises à l’étranger pour représenter la poésie liégeoise et le groupe de Liège12. Tous deux ont fait une tentative d’études universitaires, en Philologie romane, qui échoua pour l’un comme pour l’autre. Tous deux ont vécu durant plusieurs décennies sans exercer aucune profession stable. Enfin tous deux ont développé une activité d’artiste plasticien, diversifiant ainsi leurs moyens d’expression. Mais, dans le cas d’Orban, la tendance à l’auto-occultation s’affirme dans le choix d’un pseudonyme, Lukas Kramer, dont la consonance germanique peut faire fonction de masque, en éloignant cet artiste inconnu de toute assignation régionale ou nationale.

On ne schématise pas trop les faits en observant que c’est le succès échu à Savitzkaya qui fut refusé à Orban. Pour le reste, s’il est vrai que, pour être un candidat à la maudicité, il faut posséder un minimum de visibilité, c’est-à-dire d’existence littéraire, sociale et institutionnelle, on constate qu’Orban en disposait.

Les facteurs de sa marginalisation mériteraient d’être explorés de plus près. Son infortune constante dans le champ littéraire procède-t-elle de facteurs internes (une tendance volontaire ou inconsciente) ou externes ? À l’appui de la première hypothèse, du côté du comportement postural, on relève dans un texte à la fois autobiographique et fantasmatique tel que Le Sexe tachycarde (1979), une allégation sans ambiguïté : “JE SUIS LE MAUDIT. Perdu dans le Larousse Médical et interdit (si tu lis tu deviens malade. Et je lisais la nuit. Blotti dans l’horreur. Je suis l’enfant dégénéré […])” — relayée plus loin par un “JE SUIS UN TROU BÉANT“. Si la malédiction revendiquée par le narrateur peut paraître être davantage d’ordre moral et héréditaire que sociale, le terme est bien là : Orban le maudit — c’est lui qui le dit.

Quant aux facteurs externes, la radicalité et la modernité pour lesquelles son écriture a d’emblée opté — prose dense et brute, matérialité, sexualité, misanthropie, misogynie, cynisme, rejet et critique de la société, (auto)portraits sans concession — pouvaient certes lui assurer une place reconnue dans un contexte tel que le Groupe de Liège et l’Atelier de l’Agneau, mais elles étaient sans doute trop peu propres à lui ouvrir les portes de plus grandes maisons, a fortiori parisiennes, comme ce fut le cas pour Savitzkaya ; mais surtout, celui-ci constituait, à proximité immédiate, un précédent et une référence difficilement concurrençable. Les mêmes ingrédients se retrouvent dans les textes contemporains de Savitzkaya, avec, en outre un souci de la cohérence stylistique qui le signalait autant aux lecteurs qu’aux éditeurs. L’écriture (de prose) d’Orban ne s’est sans doute pas suffisamment démarquée de celle de son aîné (sinon par l’outrance accrue et la démarche plus ouvertement autobiographique) pour, littéralement, pouvoir “exister” à un même niveau que lui.

Quant à Izoard, il n’est sans doute pas totalement étranger à la construction d’une image d’Orban en maudit. Toujours, dans les quelques textes critiques qu’il a consacrés à son cadet, il a souligné les aspects les plus saillants d’une posture thématique nettement orientée vers la déréliction : dans un texte de 1981 resté inédit, il parle de “dérive lyrique insensée” ; dans l’Anthologie 80, d’”autobiographie larguée” ; dans un article paru dans la revue Prologue de l’Opéra de Liège (n°160, 1983), il souligne “toutes les difficultés, tous les aléas d’une vie quotidienne âpre, sans concessions”, les “rencontres furtives, coups de solitude, errances amères”, une “Enfance triste des faubourgs sacrifiés”. Dans Le Journal des poètes, en 1984, rendant compte d’Entre le blue et le jeans, il pointe “un poète d’une très grande sincérité qui ose les aveux les plus pénibles, qui ne farde pas la réalité de couleurs trompeuses. Livre qui charrie, dans un lyrisme déchiqueté, les morceaux d’un miroir que l’on brise tous les jours. Orban traduit très justement une certaine difficulté d’être”. En 1998 encore, sur la quatrième de couverture de Des amours grises, des ombres bleues, il nomme les “trajets parfois désespérés”, des “bassesses irréversibles”, une “autobiographie en morceaux, émouvante, voire atroce”.

En dernier geste de l’aîné pour le jeune maudit, c’est Izoard qui œuvrera en 2006 pour que Joseph Orban obtienne la bourse Poésie de la fondation Spes, qui a pour vocation le soutien aux projets d’”artistes belges prometteurs” — Joseph Orban a alors près de cinquante ans. Il est décédé le 2 juillet 2014, dans une situation de vie matérielle et de santé qui traduit à elle seule la persistance de la malédiction. […]

Gérald Purnelle


© Babelio

[RTBF.BE, 7 juin 2014] Décès de l’écrivain liégeois Joseph Orban. Homme aux multiples talents, et critique d’art, il était également calligraphe, sous le pseudonyme de Lukas Kramer. Il avait purement et simplement inventé ce personnage d’un jeune peintre expressionniste allemand atteint d’une maladie incurable, et monté une exposition avec ses dessins. Joseph Orban avait réussi l’exploit de vendre l’une de ses œuvres au ministère de la culture, pour les collections d’État. Ce qui avait suscité, à l’époque, hilarité et jalousie….
Auteur discret et exigeant, il s’est toujours efforcé de produire une littérature libre, qui échappe à l’économie marchande et aux modes de consommation les plus immédiats.

Colette Jaspers


Joseph ORBAN éditait deux blogs, toujours actifs (merci probable aux “Amis de Joseph”) : Liège, hélas (“Bric-à-brac du quotidien dans la plus laide ville du monde et de sa banlieue s’étendant jusqu’aux pôles : Liège, hélas.“) et Nyota, où il écrit : “Carnet de bord et impressions d’un voyage en cargo depuis Anvers jusqu’à Cape Town. Puis, par la route, de Cape Town à Tschwane (anciennement Pretoria). Et puis retour à Liège, hélas. La plus laide ville du monde.


 

Ce sont les derniers trains,
ce sont les dernières pluies.
Déjà tout disparaît.
Une dernière fois,
je ferme la fenêtre.
La chambre n’a plus d’odeur et
j’ai éteint le feu.
Je deviens l’invisible,
le bleu sur fond de ciel.
Rester.
Partir.
Ni s’incruster.
Ni fuir.

L’invisible, le bleu (1989)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : compilation, partage, correction et iconographie | source : rtbf.be ; Textyles, revue des Belges de langue française ; collection privée | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Max Carnevale – emulation-liege.be ; © Liège, hélas ; © rtbf.be ; © Babelio | Merci à Thierry et Simone…


Plus de littérature en Wallonie et à Bruxelles…

LHOIR : Mesure 217 (roman, 2022)

Temps de lecture : 2 minutes >

[STEPHANE.DADO] MESURE 217. Après avoir exercé durant des années le métier d’écrivaine publique et “écrivaine fantôme”, la Belge Françoise LHOIR (originaire de Waterloo) a souhaité, à l’aube de ses 70 ans, rédiger à son propre compte. C’est ainsi que Mesure 217, son premier roman, vient de paraître aux Éditions Academia (Collection Evasion). Située dans les années 1990, l’action prend place au sein d’un orchestre belge (l’ONB) dont l’auteure nous propose une radioscopie fidèle d’une phalange symphonique, inspirée d’ouvrages sociologiques récents.

On y suit le destin de la violoncelliste Marie et de sa sympathique petite famille, on y évoque surtout les péripéties d’un jeune génie du violon, Sacha, dont le comportement hors normes rappelle furieusement la personnalité étrange de Pierre-Alain Volondat, ancien lauréat du Reine Elisabeth qui a longtemps fasciné Françoise Lhoir.

Dans son livre, l’auteure combine de manière brillante le monde de la raison à celui des forces irrationnelles sans nécessairement les opposer : la maladie (on taira son nom) de Sacha est au cœur du roman, perçue à travers ses différentes facettes scientifiques, elle côtoie le monde des sciences occultes, conviées par l’intermédiaire de la numérologie dont Morgane, le personnage le plus original et attachant du livre, est une adepte fervente.

Après une première partie qui décrit le monde de l’orchestre dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le roman passe à une histoire plus intimiste, à travers une galerie de caractères attachants et humains, tous reliés par la musique, qui ne sont pas sans rappeler par leur décontraction bourgeoise et bohème l’entourage de l’écrivaine.

EAN 9782806106827

Ce premier roman simple, faisant avec une certaine fraîcheur l’éloge de la différence, se lit sans lassitude et peut être considéré comme une estimable réussite. Françoise Lhoir s’impose de toute évidence comme une dialoguiste hors pair : ses phrases sont bien ciselées, rythmées, ses personnages sont dépeints avec beaucoup d’allant et de naturel, sa fiction littéraire tient en haleine tout en restant d’une fraîcheur permanente et sans prétention. Mesure 217 s’annonce déjà comme un succès de libraire !

Stéphane Dado


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage | source : Stéphane Dado | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Stéphane Dado (le bol de cuivre vient de Dyarbakir, en pays kurde) ; © Académia.


Lire encore…

 

BA, Omar (né en 1977)

Temps de lecture : 4 minutes >

L’œuvre d’Omar Ba (1977, Sénégal) est caractérisée par sa nature énigmatique et sa grande intensité poétique. A rebours d’une narration didactique, il cherche à l’inverse à exprimer son subconscient et son interprétation symbolique du réel. L’artiste traite de thèmes comme le chaos, la destruction et la dictature, drapant son discours politique d’un voile de poésie grâce à un langage pictural qui lui est entièrement propre, à la fois féroce et délicat.

Omar Ba vit et travaille entre Dakar, Genève, Bruxelles, Paris et New-York. Partagé entre plusieurs continents, il développe une réflexion issue d’une hybridation permanente, loin des stéréotypes liés à ses racines africaines. Cette hybridation se retrouve également dans ses toiles où se côtoient touches organiques et couleurs flamboyantes, mixant les formes, les techniques et les textures (acrylique, gouache, crayon et même typex). Ba peint sur fond noir (sur carton ondulé ou sur toile), demandant ainsi au spectateur de s’adapter littéralement et métaphoriquement à l’obscurité.

(…) Son iconographie, à la fois engagée politiquement et socialement, mais aussi empreinte de mythologie personnelle, soulève des questions historiques et intemporelles, tout en rayonnant un message artistique résolument contemporain, que l’on peut retrouver tant chez des artistes proches du surréalisme que du symbolisme. Omar Ba dénonce de son pinceau le chaos du monde.

d’après FINE-ARTS-MUSEUM.BE


Omar Ba © contemporary-art.mirabaud.com

Quand on regarde les peintures d’Omar Ba, on peut se demander d’où il vient. Bien sûr, il y a des éléments qui rappellent l’Afrique, mais pas l’Afrique que l’on s’attend à voir. Et il y a tellement d’autres choses dans ces luxuriantes toiles grand format. On y voit des personnages, des animaux qui se confondent avec les décors floraux ou abstraits dont ils semblent l’émanation. Il y a du symbolisme, une dose de surréalisme, une forme de maniérisme dans l’approche picturale de l’artiste sénégalais, mais surtout un plaisir et un appétit de peindre.

Dans ces peintures qui adoptent le format vertical, on a toujours une figure centrale, humaine ou animale qui négocie sa présence avec l’univers qui l’entoure. Parfois, c’est le visage qui, gagné par la végétation, n’est plus qu’une forme laissée en jachère. Ailleurs, une étrange créature en écaille et fourrure se confond avec le tapis de fleurs constellé de micro-drapeaux.

Omar Ba est un artiste nomade (…). Un nomadisme qui n’affecte pas sa création, mais lui apporte une fluidité et une ubiquité dans le temps et dans l’espace.

Chaque parcelle de toile est cultivée avec amour. Il entretient son geste comme on entretient son jardin. Il laisse grandir ses couleurs et observe les accidents de pinceau lorsqu’ils créent une matière ou une texture inattendue. “Je ne détruis jamais rien. Si ça ne me plaît pas, je le laisse de côté et je reviendrai dessus dans une autre toile. J’ai toujours plusieurs peintures en chantier.”

Mythologie plus personnelle

Autant il aime mélanger les figures et les motifs, le fond et la forme, autant il aime laisser les outils, acrylique, crayon, huile, encre de Chine ou le stylo à bille se superposer sur la toile. Les couleurs lumineuses, des roses, des ocre et des verts se jouent de contrastes avec les couleurs plus sombres ou plus éteintes. L’amour du motif et sa répétition sont peut-être de lointains échos de ses débuts dans la peinture, où il privilégiait les représentations abstraites.

Si, dans ses précédentes séries, pouvait apparaître un commentaire politique ou social dans l’évocation d’un monde de violence et de conflit, hanté par la menace du chaos ou la figure du dictateur, cette série se concentre sur une mythologie plus personnelle habitée de personnages nés de la peinture.

L’univers d’Omar Ba est un multivers pictural où les êtres se transforment, changent de taille, interagissent avec leur environnement, les hommes, les fleurs et les animaux comme si l’artiste représentait en même temps tout ce qui se passe dans son esprit.

L’illusion qui donne son nom à l’exposition n’est pas celle que l’on croit, l’artiste fait référence implicitement aux mirages technologiques, politiques ou sociaux et par extension à tout ce qui vient de l’extérieur pour se tourner vers la richesse inépuisable de l’univers intérieur. Une personne riche d’elle-même est mieux à même d’affronter le monde extérieur. Plutôt créer son propre multivers que s’enfermer dans celui d’un autre. Et c’est ce qu’il pratique dans cette série de peintures qu’il voit comme un encouragement à la jeunesse de son pays, et d’ailleurs, à faire face à la complexité du monde en se méfiant des illusions d’où qu’elles viennent.

d’après MU-INTHECITY.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © mu-inthecity.com ; © contemporary-art.mirabaud.com.


Plus d’arts visuels en Wallonie et à Bruxelles…

Ne dites plus “belle journée”

Temps de lecture : 3 minutes >

[RADIOFRANCE.FR, 11 mars 2021] Ne dites plus “belle journée” ou “belle soirée” ou “belle semaine”. Ou tout autre formule en “beau/belle”…

J’ai commis un terrible impair, une grosse bourde. Mardi soir, j’ai reçu un message d’ordre professionnel extrêmement sympathique (ce n’est pas ironique), celui-ci me souhaitant en guise de conclusion : “une bonne soirée”. Et là, dans un élan d’exaltation, sûrement dû à l’heure tardive, j’ai signé ma réponse d’un “belle soirée”.

Ça peut vous paraître anodin, vous vous attendiez peut-être à pire : insulte, familiarités ou autre… mais cette manie qui, j’osais le croire, s’effacerait avec le temps, s’accroche coûte que coûte à nos formules de politesse et voilà que certains, dont je me désole de faire partie, continuent et même s’entêtent à ne pas souhaiter du bon, mais du beau.

Belle journée, belle soirée, belle semaine, belle année… et pourquoi pas, belle réunion. Il y a quelques années (je ne sais pas s’il y a des études qui datent précisément la naissance puis l’usage étendu de ces tournures), je les avais vues apparaître au détour de quelques messages, pour ensuite contaminer les médias, la vie de bureau et la vie tout court… mais c’est vite devenu beaucoup, beaucoup trop beau pour être vrai.

Où est passé le bon ?

Je dois le dire : ces tournures m’ont d’abord enchantée : enfin, un peu de beauté dans tous nos échanges secs et attendus. Et puis, je les ai tellement lues ou entendues, que j’ai commencé à désirer l’inverse : souhaitez-moi du moche, bon dieu. Ou alors, ne me souhaitez rien. Ou alors, juste du bien, c’est déjà pas mal du bien… non ?

Ce n’est pas que j’ai un problème avec le beau, mais je me demande : où est passé le bon ? Sans même parler de bien, avec un grand B, ou de bonheur avec un B tout aussi grand, mais simplement le “bon”, ce qui, par exemple, a bon goût, ce qui nous fait du bien, ou ce qui nous met bien.

Car souhaiter une bonne journée, ce n’est pas quelque chose d’ambitieux ni de prétentieux… et c’est déjà pas mal, mieux que moyen, moins bien que génial, mais suffisant pour que tout le monde soit content… Mais une belle journée, c’est autre chose. On met la barre très haut là. On est dans le domaine de l’esthétique, dans le champ de ceux qui désirent “sublimer” l’existence ou le poulet basquaise. Et c’est bien le paradoxe de la “belle journée” : alors qu’on veut seulement passer une journée normale, on se retrouve à culpabiliser de ne pas avoir pensé à la rendre belle.

Du souhait à l’ordre

Que cherche-t-on à dire avec ces tournures ? Pas forcément à sous-entendre que la vie de son interlocuteur est vilaine, tout comme on ne souhaite pas une bonne journée à quelqu’un pour sous-entendre qu’elle va sûrement être nulle. Malgré tout, je reste convaincue que celui qui clame ses “belle journée” ne le fait pas par hasard ni par gentillesse.

Déjà, disons-le, il le fait pour se démarquer, avec lui, on voit loin, on voit haut, on voit beau. Plotin, un philosophe de l’Antiquité tardive disait ceci : “est laid tout ce qui n’est pas dominé par une forme et par une raison”. On en déduira donc facilement avec lui que ce qui est beau, à l’inverse, est dominé par une forme et une raison.

Et c’est ça le problème : tous ces diseurs de “belle journée” ne sont pas seulement de gentilles personnes qui me souhaitent du beau, ce sont surtout de petits mesquins qui sont là à me révéler que ce que j’attends d’une journée, à savoir qu’elle soit juste OK, reste bien en deçà de ce qu’ils attendent, eux, de la leur… à savoir des journées joliment dessinées, structurées et raisonnées…

Et voilà que leur “belle journée” ne sonne plus jamais à mes oreilles comme un souhait, mais comme un ordre, du genre : mais t’attends quoi pour mettre de l’ordre dans ta vie ?

d’après Géraldine Mosna-Savoye


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : radiofrance.fr | crédits illustrations : © Netflix ; © Ateliers Paulin | Et pour ceux qui, comme nous, veulent réfléchir au lien entre cette formule et le “wokisme” : lire l’article traduit de DaarDaar sur les dérives de l’idéologie woke


Plus de débats en Wallonie-Bruxelles et… belle dégustation !

SHAWKY, Wael (né en 1971)

Temps de lecture : 4 minutes >

Wael Shawky vit et travaille à Alexandrie. Utilisant divers média tels que la vidéo, le dessin, la photographie et la performance, il questionne et analyse la narration et les histoires vraies ou imaginées du monde arabe. Ses reconstructions à plusieurs niveaux engagent le spectateur à questionner les vérités, mythes et stéréotypes.

Né à Alexandrie en 1971, Wael Shawky étudie les beaux-arts à l’Université d’Alexandrie et finit sa formation à l’Université de Pennsylvanie où il obtient en 2000 son diplôme de M.F.A. Débuté en 2010, son projet en cours, Cabaret Crusades, est une série de trois films animés de dessins, objets et marionnettes basée sur le livre Les croisades vues par les Arabes de Amin Maalouf. Analysant des écrits, ce projet s’appuie sur une grande diversité de sources historiques pour représenter et traduire l’histoire des Croisades sous un éclairage différent. Les deux premières parties de la trilogie ont été présentées à la dOCUMENTA (13) en 2012 tandis que la troisième partie a été montrée au MoMA PS1 et à Art Basel 2015.

Son travail a été présenté dans d’importantes expositions internationales telles que Re:emerge, Sharjah Biennial (2013); Here, Elsewhere, Marseille-Provence 2013 Capitale européenne de la culture (2013); 9th Gwangju Biennial, South Corea (2012); 12th International Istanbul Biennial (2011); SITE Santa Fe Biennial (2008); Urban Realities: Focus Istanbul, Martin-Gropius-Bau, Berlin (2005); 50th Venice Biennial (2003). Des expositions monographiques lui ont été consacrées, parmi les plus récentes : MoMA PS1, New York (2015), Mathaf, Doha (2015), K20, Düsseldorf (2014), Serpentine Gallery, London (2013), KW Berlin (2012) et Nottingham Contemporary (2011), Walker Art Gallery, Minneapolis (2011), The Delfina Foundation (2011), Sfeir-Semler Gallery, Beirut (2010/11), Cittadellarte-Fondazione Pistoletto, Biella, Italy (2010), Townhouse, Cairo (2005, 2003). Wael Shawky a fondé MASS Alexandria, un programme de studio pour jeunes artistes.

d’après FESTIVALDEMARSEILLE.COM


© Wael Shawky / M Leuven / Ph. Vienne

Est-ce une citadelle, un mausolée, une sculpture ? L’impressionnante et mystérieuse installation que Wael Shawky a réalisée in situ pour son exposition au musée M de Louvain intrigue parce qu’elle défie les sens et l’espace. Dans cette pièce aux murs roses se détache une construction d’épaisses murailles couvertes de graphite noir scintillant qui se prolongent par des tissus tendus rappelant la tente berbère. Cette sculpture monumentale fait partie de la série polymorphe The Gulf Project Camp, où l’artiste égyptien, né à Alexandrie et qui a grandi à La Mecque, s’intéresse à l’histoire de la péninsule arabique et à la transition d’une société nomade née dans le désert vers une société qui a basculé dans la modernité et la sédentarité avec la découverte et l’exploitation de l’or noir.

L’imaginaire et la fiction se mêlent à l’histoire

Avec son projet Cabaret Crusades, Wael Shawky raconte les croisades sous une autre perspective, celle des populations arabes. Cela prend la forme d’une série de trois films d’animation en stop motion, dont le troisième volet constitue le cœur de l’exposition. Pour raconter cette fresque épique, l’artiste anime des marionnettes. “Il n’y a aucune tradition de marionnettes dans les pays arabes, j’aurais bien aimé, mais je n’en ai pas trouvé. Les marionnettes nous renvoient à l’idée de manipulation inhérente au récit historique. En fait, je ne crois pas à l’histoire, c’est pour cela que je ne fais pas de documentaires.”

La quatrième croisade, qui donne le contexte au film, est partie de Venise en 1202, ce qui a donné à l’artiste l’idée de travailler avec des marionnettes en verre de Murano. “Je voulais éviter de donner aux personnages un côté kitsch ou “cheap”, et je me suis inspiré d’une tradition différente, celle des masques africains du Metropolitan Museum. J’aime aussi beaucoup le verre parce que cela renvoie à l’idée de fragilité. En préparant ce film, je me suis souvenu de “L’évangile selon Jésus-Christ”, de José Saramago, que j’avais lu pendant ma jeunesse. Dans le roman, Jésus s’adresse à Dieu pour lui demander pourquoi il a fait les hommes si fragiles. On peut accomplir des choses fantastiques, mais on peut aussi se briser en un instant.”

A côté de ses merveilleuses marionnettes, l’artiste poursuit sa réflexion sur l’univers des Croisades, sur les migrations et la transformation des sociétés, dans une série d’aquarelles et de bas-reliefs en bois. Entre les Contes des Mille et Une Nuits et l’heroic fantasy, l’imaginaire et la fiction se mêlent à l’histoire. Des créatures gigantesques au cou couvert d’écailles s’embrassent par-dessus les remparts, où s’affrontent des nuées de combattants en armes. Et des princesses racontent des histoires à des dragons très attentifs.

Complexe et immédiat

Retour à notre présent avec The Cave, une performance filmée où l’artiste arpente les allées d’un supermarché à Amsterdam en récitant à voix haute devant des clients indifférents ou légèrement ébahis une sourate du Coran. Dans ce texte, plusieurs hommes échappent à un tyran en se réfugiant dans une grotte où ils dorment pendant 309 ans en attendant l’arrivée d’un meilleur souverain.

Pour Shawky, cette pause à travers le temps est une forme de migration. L’exposition s’achève dans la dernière salle sous les combles, où l’artiste a réalisé une autre œuvre in situ. Inspirée par la vue des toits de Louvain que l’on peut admirer par-delà la baie vitrée, il a créé un paysage imaginaire et futuriste fait de volumes abstraits couverts d’une matière asphaltée.

Complexe et immédiat, le travail de Wael Shawky est aussi politique dans son regard sur l’histoire et sur le présent. L’artiste, qui partage sa vie entre Philadelphie et Alexandrie, où il a ouvert une école d’art, refuse d’exposer dans son pays depuis la révolution de la place Tahrir en 2011. “Si en tant qu’artiste, vous n’avez pas clairement le droit de contester le régime, vous cherchez un langage où tout peut être dit mais de manière plus subtile et détournée.”

d’après MU-INTHECITY.COM


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © mu-inthecity.com ; © Wael Shawky / M Leuven / Ph. Vienne.


Plus de presse…

SEVENANTS, Marc dit Marc DANVAL (1937-2022)

Temps de lecture : 3 minutes >

Journaliste, conférencier, animateur. Marc DANVAL (né à Ixelles en 1937) possède plus d’une corde à son arc : plasticien, il expose en 1984 des jazz-collages ; poète, on lui doit Parmi moi seul un recueil d’où l’on extraira ici une Saga de Chet Baker ; homme de scène, son spectacle Les poètes du jazz sera créé en 1986 et repris en 1988 par la compagnie Lesly Bunton – Yvan Baudouin. Autant de cordes qui font vibrer chez lui le rythme du jazz, le jazz pour compte duquel il n’a cessé d’être, jusqu’ici, un des médiateurs les plus actifs. Journaliste, Danval se réclame volontiers de Robert Goffin et de Carlos de Radzitsky. Il a écrit d’innombrables critiques de jazz, que ce soit dans les publications d’information générale, tel que Spécial, L’éventail, Impact, le Pourquoi Pas ? (plus d’un millier d’articles) et l’hebdomadaire Parce que !, ou dans des revues spécialisées (le Point du jazz, Jazz streets, les Cahiers du jazz).

© Jonas Roosens

A la radio, il débute à l’INR – pendant son service militaire – en créant la rubrique Jazz pour les troupes ; on l’entendra à de multiples reprises à partir des années 60 à Radio Luxembourg ou à la RTB(F) assurer la coloration jazz dans le contexte de programmes grand public. Aujourd’hui encore, mais cette fois pour la chaîne culturelle (Radio 3) de la RTBF, il anime le Jazz vivant, une production de Jean-Marie Peterken. Il a également pris la succession de Nicolas Dor dans l’émission de Radio 1 : 25-50-75. En public, Marc Danval a assuré la présentation de nombreux concerts de jazz au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles ainsi que dans plusieurs festivals fameux tel le Northsea Festival (La Haye). Pour les Jeunesses Musicales, il a réalisé un cycle de conférences sur le jazz (1987-1988-1989). Le jazz aujourd’hui en phase de renouveau doit beaucoup à cet intercesseur convaincu et, de ce fait, convaincant et efficace.

Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie


Outre le Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie dont il était co-auteur, Marc Danval avait commis de multiples autres proses éclairées, jusqu’à son dernier recueil publié en 2020, Pittoresque de la futilité :

BIOGRAPHIES
      • Le règne de Sacha Guitry (Pierre De Meyer, 1971)
      • L’insaisissable Robert Goffin, de Rimbaud à Louis Armstrong (Quorum, 1998)
      • Toots Thielemans (Racine, 2006)
      • Robert Goffin, avocat, poète et homme de jazz (Le Carré Gomand, 2014)
GASTRONOMIE
      • Bon appétit Bruxelles ! (J.-M Collet, 1981)
      • La cuisine traditionnelle en Hainaut (Libro-Sciences, 1990)
JAZZ
VARIÉTÉS & MUSIC HALL
      • Dictionnaire de la Chanson en Wallonie et à Bruxelles (ouvrage collectif, Pierre Mardaga, 1995)
      • Lieux de fête (Mardaga, 1998)
      • Le dictionnaire des oubliés de la chanson française (l’Harmattan, 2019)
​THÉÂTRE
      • L’insaisissable Robert Goffin
      • Spectacles créés à la Compagnie Yvan Baudoin-Lesly Bunton (1985 et 1987)
POÉSIE
      • Parmi moi seul, Préface de Robert Goffin (Saint-Germain-des-Prés, 1983)
      • L’énigme résolue de Verlaine à la Trappe de Forges-lez-Chimay (CGRI, 1998)
      • Pittoresque de la futilité (Lamiroy, 2020)

Source : danval.org


Hommage (2022)

J’apprends avec tristesse le décès, ce jeudi, du journaliste, chroniqueur et ancien homme de théâtre Marc Danval, à l’âge de 85 ans ! C’est probablement la personnalité qui m’aura le plus marqué à la radio par sa faculté de partager avec simplicité et gourmandise sa folle érudition. Ses connaissances encyclopédiques sur la chanson française, la variété, l’easy listening et le jazz étaient infinies (il faut dire qu’il a connu tout le monde) et il incarnait le modèle parfait du gai-savoir ! Chacune de ses émissions (la fameuse Troisième oreille) combinait le plaisir de la découverte à un contenu intelligemment mis en perspective ; c’était une fête permanente des sens et de l’esprit ! Et puis, qu’importe son âge, il était un modèle pour le service public, tant il allait à contre-courant de tout ce qu’on nous propose de fade et de formaté, tant il avait cette capacité unique à dénicher les pépites rares et transcendantes… Autant dire qu’il était insurpassable et que cet humble serviteur d’un monde musical révolu ne sera jamais égalé ! Tout le reste n’est que dispensable fioriture et remplissage inutile.

Stéphane Dado, Orchestre Philharmonique Royal de Liège


[INFOS QUALITE] statut : maintenance requise | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © rtbf.be ; © Jonas Roosens | remerciements à Jean-Pol Schroeder | Pour en savoir plus : danval.org


More Jazz in Wallonie-Bruxelles…

SUPERSCRIPT² : Sans titre (2016, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

SUPERSCRIPT², Sans titre
(impression numérique, 40 x 30 cm, 2016)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Fondé à Lyon en 2006 par Pierre Delmas Bouly (1982) et Patrick Lallemand (1982), Superscript² est un atelier de création graphique investissant différents supports d’expression du design graphique tel que l’édition (livre ‘objet’, monographie, catalogue, magazine, poster…), la typographie ou les médias numériques (site web, installations numériques, etc.). L’ensemble et la diversité de ces collaborations ont permis au studio de produire une grande diversité d’objets graphiques passant du plan, à la tri-dimension ou au textile, considérant le design graphique comme une démarche de réflexion et d’application globale.

Cette image fait partie du premier portfolio édité par Ding Dong Paper (collectif d’éditeurs liégeois constitué de François Godin et Damien Aresta). Cette image abstraite s’appuie sur une répétition/variation de motifs géométriques. Elle évoque la construction d’une spirale parfaite via le nombre d’or.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © superscript2 | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

FN Meka, le robot-rappeur, abandonné par son label accusé de racisme

Temps de lecture : 3 minutes >

FN Meka, un robot rappeur noir star de TikTok, créé grâce à l’intelligence artificielle, a été remercié par Capitol Records après avoir été accusé de colporter des stéréotypes racistes sur les personnes noires.

Il avait “signé” un contrat il y a dix jours avec le label Capitol Records. Mais le robot rappeur noir FN Meka, star de TikTok créée grâce à l’intelligence artificielle, a été “congédié”, mercredi 24 août, après avoir été accusé de véhiculer des stéréotypes racistes sur les personnes noires. Selon le communiqué de sa maison de disques, le groupe Capitol Music a rompu ses liens avec le projet FN Meka, avec effet immédiat.” C’est le groupe d’activistes américains Industry Blackout qui, après une campagne sur les réseaux sociaux, a écrit mardi à Capitol Music, filiale d’Universal Music, pour dénoncer FN Meka, “une insulte directe à la communauté noire et à [sa] culture.” Industry Blackout avait dénoncé un amalgame de stéréotypes grossiers, d’appropriations [culturelles] d’artistes noirs et d’insultes contenues dans les paroles”. FN Meka est notamment accusé d’avoir utilisé le fameux “N-word”, expression devenue imprononçable aux Etats-Unis en raison du caractère jugé raciste, insultant et injurieux à l’égard des personnes noires.

Dix millions d’abonnés, plus d’un milliard de vues

“Nous présentons nos plus profondes excuses à la communauté noire pour notre absence de sensibilité en ayant signé pour ce projet sans nous être interrogés suffisamment sur son équité et sa créativité”, a reconnu la maison de disques. Sur les réseaux sociaux, une image numérique montre également le robot – sorte de cyborg noir au visage tatoué et au crâne à moitié rasé – se faire matraquer au sol par l’avatar d’un policier américain blanc.

Techniquement, le robot rappeur ne chante pas – c’est un vrai artiste noir anonyme qui le fait – mais la musique est, elle, générée par l’intelligence artificielle. FN Meka conserve toutefois son compte TikTok avec plus de dix millions d’abonnés et plus d’un milliard de vues pour ses vidéos.

d’après LEMONDE.FR


Peu de temps après avoir été qualifié de “premier artiste virtuel au monde à signer avec un gros label”, FN Meka a été abandonné par Capitol Records qui a annoncé le 23 août avoir “rompu les liens” avec le robot-rappeur suite aux accusations portées par Industry Blackout, un groupe d’artistes activistes. Lesdites accusations soulignent la perpétuation de stéréotypes et l’appropriation de la culture noire.

Dans un communiqué, via Billboard, Capitol Music Group a annoncé avoir rompu les accords récemment signés et a présenté ses excuses. “Nous présentons nos plus sincères excuses à la communauté noire pour notre insensibilité à signer ce projet sans poser suffisamment de questions sur l’équité et le processus créatif qui le sous-tend. Nous remercions ceux qui nous ont fait part de leurs commentaires constructifs au cours des deux derniers jours – votre contribution a été inestimable lorsque nous avons pris la décision de mettre fin à notre collaboration avec le projet.”, pouvons-nous lire d’après MusicTech.

Il est vrai que FN Meka, initié par Anthony Martini et Brandon Le, utilise le N-Word de manière décomplexée et est même victime de violences policières. Le rappeur virtuel, qui ne subit en aucun cas les oppressions qui poussent les Noirs à lever le poing et à scander des slogans pour rappeler que leurs vies comptent, semble s’en amuser dans ses clips. Dans une lettre ouverte publiée sur Twitter, le groupe Industry Blackout affirme que “Cette effigie numérique est une abomination négligente et irrespectueuse envers de vraies personnes qui font face à de vraies conséquences dans la vraie vie.”

Le groupe d’activistes décrit également le personnage “de caricature qui est une insulte à la culture noire” et “d’amalgame de stéréotypes grossiers, d’appropriation de manières qui dérivent des artistes noirs, avec des insultes infusées dans les paroles.”

La lettre se conclut par une demande d’excuses publiques et de retrait de FN Meka et ce, de toutes les plateformes. Capitol Records et le label virtuel d’Anthony Martini et Brandon Le, Factory New, sont également appelés à reverser tous les bénéfices générés par FN Meka à des œuvres caritatives soutenant la jeunesse noire dans les arts ainsi qu’à des musiciens noirs signés par Capitol.

lire la suite sur RTBF.BE


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © damrea.com ; © Capitol Record.


Plus de presse en Wallonie-Bruxelles…

Le Forum de Liège a 100 ans…

Temps de lecture : 24 minutes >

[RTBF.BE, 10 septembre 2022] En ce mois de septembre, le Forum de Liège célèbre son 100e anniversaire. C’est en effet le 30 septembre 1922 que cette salle de spectacle prestigieuse, et ancienne salle de cinéma, a été inaugurée. L’occasion pour le public de la visiter durant tout ce week-end du 10 et 11 septembre, guidé par Jean Housen, historien de l’Art au sein de l’asbl Art&Fact“On dit bien souvent que c’est un peu l’Olympia liégeois et c’est vrai que cette salle qui a accueilli des générations d’artistes, de Brassens à Bruel, a quelque chose de mythique et puis c’est aussi un lieu remarquable et assez unique par son architecture et son style art déco.”

© DR

L’architecture, la machinerie scénique, les loges d’artistes, les coulisses et bien sûr l’impressionnante salle de 2.000 places. Les visiteurs, nombreux, découvrent le Forum sous toutes ses facettes. “C’est époustouflant ! Les dorures, les vitraux, ces lumières partout, c’est vraiment magnifique !” s’exclame une dame. Et ce visiteur bruxellois d’approuver : “Je suis venu de nombreuses fois au Forum pour y voir des artistes que j’adore et je me demande si ce n’est pas le plus beau music-hall de Belgique !

d’après Bénédicte Alié


© Editions du Perron

En 1989, Thierry LUTHERS, historien de l’Université de Liège mieux connu pour ses prestations d’animateur à succès de la RTBF, publiait aux Editions du Perron un bref volume généreusement illustré : Le Forum, 77 ans de vie artistique liégeoise, aujourd’hui épuisé. L’ouvrage a connu une seconde vie quelques années plus tard, sous le titre de Le forum de Liège : 100 ans d’émotions (Editions de la Renaissance, 2022). Nous vous livrons ici de larges extraits de la première mouture…

Le Forum : 77 ans de vie artistique liégeoise

Des origines au cinéma parlant
3 ans de construction

L’homme à qui le Forum doit son existence se nomme Arthur Mathonet. Son père exploitait une usine de tissage, mais se ruina dans les premières années de 1900 en refusant de moderniser ses installations de métiers à tisser afin d’éviter de mettre ses ouvriers au chômage, en transformant son exploitation en une véritable filature moderne. Très tôt donc, Arthur Mathonet – qui était le plus jeune des enfants – fut obligé de travailler.

Il commença vers 18 ans comme employé chez un agent de change. Une gestion heureuse de ses économies lui permit très rapidement de devenir le soutien de sa famille. Il avait trois frères et une sœur. L’aîné, Julien, fit une carrière importante d’imprésario. Le second, Louis, plus doué manuellement, travailla au départ comme menuisier, et rejoignit ensuite son frère dans la gestion de ses théâtres. Le troisième, Henri, après des déboires dans les affaires de son père, travailla quelque temps comme garçon de café, ensuite il rejoignit également Arthur dans ses affaires. La situation florissante de M. Mathonet lui permit d’investir dans l’achat d’un immeuble qui se situait près du Théâtre Royal, et il y créa au rez-de-chaussée un bar-bodega-tearoom qui s’appelait l’Empire, qui connut un succès éclatant, un endroit sélect où toute la bourgeoisie de Liège se retrouvait.

Arthur Mathonet s’intéressa ensuite au spectacle et créa successivement sept théâtres, les Wintergarden dans les principales villes de Belgique. Il se fit aider pour la gestion de ces affaires par ses frères Louis et Henri. Les spectacles présentés dans ces théâtres abordaient tous les genres, aussi bien variétés avec les plus grandes vedettes de l’époque, que comédies, opérettes, opéras et ensuite cinéma. Plus tard, fortune faite, Arthur Mathonet vendit tous ses théâtres et commença une toute autre activité de promoteur immobilier qui lui réussit remarquablement bien aussi… jusqu’en 1929 !

Quelques années plus tard, pratiquement ruiné par la crise, il revint à son ancien métier et créa en 1935 l’Ancienne Belgique de Bruxelles, en 1937 l’Ancienne Belgique d’Anvers et en 1939 l’Ancienne Belgique de Gand et rétablit ainsi en quelques années la situation qu’il avait perdue. Il céda ensuite à son fils Georges la gestion de l’Ancienne Belgique de Bruxelles et plus tard l’Ancienne Belgique d’Anvers à son autre fils Arthur, mais se sépara de l’Ancienne Belgique de Gand. Arthur Mathonet devait décéder, après une vie bien remplie, à Anvers, le 3 janvier 1961.

Pour construire ce qui allait devenir le Forum, la société dut acheter une trentaine d’immeubles situés dans le rectangle formé par les rues Pont d’Avroy, Pot d’Or, Tête de bœuf et Mouton blanc. Tout cela nécessita de longues négociations durant plusieurs années car les difficultés étaient multiples. Il fallait notamment reloger les locataires qu’on allait exproprier, abattre les maisons vouées à la démolition, prévoir l’entassement des matériaux à réemployer et le déblaiement du sous-sol. On fit appel aux entreprises Fassotte à Liège pour la réalisation des travaux. Ces derniers devaient durer trois ans. Ils nécessitèrent des efforts soutenus car tout était préparé sur place. La presse de l’époque donna des chiffres éloquents : 240.000 kilos de fer et d’acier, 740.000 kilos de ciment et 3.800.000 kilos de gravier furent nécessaires.

Mais le résultat fut à la hauteur des espérances. La salle était superbe. Large de 25 mètres, la voûte ne reposait sur aucune colonne ou autre support intermédiaire. Elle comportait trois mille fauteuils, et la scène présentait des dimensions de 22 m de haut sur 15 m de profondeur. Le chauffage central était alimenté par cinq chaudières et plus de quinze mille lampes constituaient un éclairage intensif.

Le gala d’ouverture

Tout fut donc prêt à temps pour le grand gala d’ouverture programmé le 30 septembre 1922. Le Gouverneur de la Province, Gaston Grégoire, et son épouse rehaussaient de leur présence cette soirée inaugurale. La Comilière avait engagé M. Paul Brenu en qualité de directeur artistique. Cet ancien commerçant avait fait ses preuves au Pavillon de Flore qu’il avait dirigé durant une dizaine d’années. M. Brenu, avait programmé Le voyage de Suzette (3 actes, 11 tableaux), opérette peu connue, pour cette “première. Cet
ouvrage de Chivot-Dury (livret) et Vasseur (musique) était mis en scène par M . Telmas et les deux artistes principaux se nommaient Marthe Mezy et Paul Darcy. M . Van Beers était au pupitre et le programme nous apprend que ce “spectacle féérique” réunit 150 personnes en scène et a nécessité la confection de 500 costumes par la maison Weldu de Paris.

Les premiers spectateurs du Forum furent gâtés puisque trois ballets, ainsi qu’un grand cortège du cirque américain (avec ânes, chevaux, ours et dromadaires !) figuraient également au programme de cette soirée “historique”. Le prix des places s’échelonnait de 2 francs (galeries) à 10 francs (les plus chères, baignoires). La presse fut très impressionnée par la qualité du spectacle. Ainsi, pouvait-on lire dans la Meuse du lendemain : “L’inauguration du Forum a eu lieu dans une orgie de lumière. Les installations sont grandioses et dignes d’une capitale. On a eu droit a un déluge de clarté comme si la Fée Electricité avait touché d’une étincelle chaque angle des moulures. Le vrai motif décoratif est fourni par les arabesques de la lumière (…).

Autre témoignage, celui de Etto de Meda, (qui n’est autre que l’anagramme du Chevalier de Mélotte, président du conseil d’administration de la Comilière) auteur de De la baraque au Forum. Deux siècles de théâtre à Liège, édité en 1923 : “… Dès votre arrivée, vous avez été charmée par le style architectonique, l’éclairage et la décoration des salles. Quelle admirable coup d’œil, avouez-le ! Vous êtes passée sous la voûte dorée du vestibule d’entrée puis, chère madame, vous vous êtes mirée dans les glaces aux mille reflets du grand hall. ( … ) De tous les côtés des escaliers monumentaux et des couloirs spacieux ou flamboient les vitraux d’art et les tulipes incandescentes des plafonniers vous invitent à poursuivre votre marche. Et votre regard, embrassant l’ensemble, vous pensez : quel confort de bas en haut de cet édifice. Quel souci de l’hygiène et de la sécurité. Partout, au rez-de-chaussée, près des baignoires et des loges, aux balcons, à la galerie même : des buffets, des comptoirs de fleurs et de pâtisserie. Où trouver sorties mieux aménagées, système de chauffage plus moderne, lumières plus étincelantes, cube d’air aussi considérable ? Et comme sont moelleux les tapis que foulent vos pas ! Mais, hâtez-vous d’occuper vos places car déjà M. Van Beers est au pupitre et, bientôt, vont se dérouler devant vos regards curieux le joyeux épisodes de La fille de Madame Angot, de la Chaste Suzanne, de La Fille du Tambour Major, des Cloches de Corneville ou de la Poupée. Les décors sont frais et gracieux, la mise en scène soignée et les interprètes sympathiques ! Bravos et applaudissements éclatent. M. Brenu, directeur artistique, fait bien les choses. Quel charme aussi dans ces jeux de lumière de la scène, dus à l’habile magicien que nous avons pris à l’Helvétie … pour ses lanternes de toutes teintes et de toutes formes qu’il manie avec la virtuosité que vous savez : merveilles des ciels étoilés comme des nuits d’amour orientales, aurores radieuses à faire lancer l’hymne au soleil par tous les chanteclairs des environs, orages fulgurants pendant que crépite sur la scène le bruit d’une pluie torrentielle, c’est à lui que nous en devons l’illusion délicieuse ou terrible…

Malgré un style aussi pompeux que désuet, cet extrait nous donne un cliché intéressant du climat régnant lors des premières années de l’histoire du Forum. Ce dernier se spécialisa, donc, d’emblée dans les opérettes. Durant trois saisons, M. Brenu dirigea la plus étincelante scène du lyrique léger. On y jouait parfois le même ouvrage dix fois en une semaine, avec sept soirées et trois matinées. Lorsque M. Brenu montait Les cloches de Corneville, il faisait appel à Ponzio, le célèbre baryton de l’Opéra, pour interpréter le marquis de Corneville. La troupe permanente comptait parmi ses vedettes Louise Balazy, Blanche Lormont, Mary Malbos, Saint-Près, Bartholomez. Mme Damour réglait les ballets et M. Beers régnait à la fosse sur quelque trente musiciens. Mais le principal attrait du Forum résidait dans sa scène tournante qui en faisait un des théâtres d’opérette les plus prisés d’Europe.

Opérette et music-hall

Le premier directeur du Forum fut M. Neef. Durant deux saisons et demie, il joua la carte de l’opérette et du music-hall : le cinéma n’était pas encore à l’ordre du jour. Il existait alors quelques salles à Liège comme le Rialto, Liège Ciné, le Pathé Palace, le Coliseum, l’Astoria (place de la République française), la Scala (Boulevard de la Sauvenière), l’OMK (rue Puits en Stock). Pour le music-hall, les principaux concurrents du Forum avaient noms le Trocadéro, le Cirque des Variétés, Liège Palace (qui proposait du cinéma et des attractions), le Trianon, le Pavillon de Flore, et, bien sûr, le Théâtre Royal dirigé, alors, par le tandem Casadesus-Charbonnet.

Le spectateur liégeois de l’entre-deux guerres était donc confronté à une riche programmation et, très vite, le Forum se surpassa pour lui donner satisfaction. Ainsi, du 15 au 25 décembre 1922, un grand spectacle international de music-hall fut présenté quotidiennement. On y relevait la présence… d’ours polaires et de danseurs sur fil ! Pour le réveillon de Noël, sept attractions figuraient au programme. En s’acquittant d’un écot de 15 francs, les spectateurs avaient droit à un souper-spectacle qui recueillit un énorme succès. Trois iours plus tard, le Forum accueillit les prestigieux ballets russes de Diaghilev. Cette représentation fut donnée au profit des œuvres nationales Les invalides et orphelins de la guerre. Pour la circonstance, l’orchestre avait été renforcé par les meilleurs lauréats du Conservatoire, placés sous la direction de M. Van Beers.

© MGM

Le 2 novembre 1922 est une date importante. Ce jour-là, le Forum présenta son premier film : Les quatre cavaliers de l’apocalypse“, qui arrivait sur nos écrans tout auréolé du succès récolté dans les grandes capitales européennes. Mais, le music-hall et l’opérette continuaient à composer l’essentiel de la programmation. Après le “baron de vadrouille”, c’est la grande comédienne liégeoise Berthe Bovy qui se produisit sur la scène. Chaleureusement applaudie, elle remercia le public en wallon avec “les deux
lingadjes” de Defrecheux.

Le 29 novembre, on célébra le 50e anniversaire de la création de La fille de Madame Angot de Lecoq. Après une causerie de Tristan Bernard en personne, l’opérette fut interprétée par les artistes de la gaieté lyrique de Paris avec… Françoise Rosay dans le rôle principal !

Tout au long de l’année 1923, les opérettes se succédèrent sur la scène du Pont d’Avroy mais le cinéma gagna peu à peu les faveurs du public. Ce dernier put ainsi découvrir Lon Chaney dans Tu ne tueras point. Chaque projection de film était accompagnée de quatre attractions. Côté music-hall, le grand événement fut créé par la venue, en août, de Damia. Celle qui était présentée comme “l’interprète la plus instinctive de la chanson populaire” tint le haut l’affiche deux semaines durant. Le prix des places s’élevait à 1,50 F en semaine et 2 F le dimanche. Les enfants accompagnés ne payaient pas d’entrée, sauf le dimanche et les jours fériés.

La saison d’opérettes devait prendre fin au début du mois d’avril 1924. M. Brenu se retira provisoirement non sans avoir été chaleureusement et publiquement félicité par le directeur, M. Neef pour “son zèle et son appoint”. A partir du 11 avril, le cinéma et le music-hall prirent possession de la scène. L’opérette devait revenir début octobre avec La chaste Suzanne. En tête de distribution, on retrouvait Léon Bartholomez, un baryton liégeois travaillant le reste de l’année à Marseille et à Toulouse. On devait le revoir dans Vivette, une création de Gaston Dumestie et Joseph Salmon qui devait recueillir un très gros succès. Parallèlement, les projections de films avec attractions se poursuivaient pour les plus grand plaisir du public. Ouvrard, Dalbret, Alibert ou Luxor se produisirent au fil des semaines.

En février 1925, on annonça que l’opérette allait délaisser la scène du Forum. Elle y sera remplacée par les spectacles de music-hall. Dans le même temps, on apprit que Paul Brenu venait de signer un nouveau contrat de deux ans. En mars, La dernière valse d’Oscar Strauss fut la dernière création liégeoise. Le 2 avril, une ultime séance était organisée en hommage aux artistes et à leur directeur. On interpréta Chanson d’amour, ce qui ne suscita pourtant pas une émotion particulière.

Comment en était-on arrivé là ? Il y avait certes un public fidèle mais… insuffisant. Des esprits trop pudibonds coupaient les passages osés des ouvrages présentés. Enfin, une saison d’opérettes coûtait cher, surtout vu le nombre de spectacles présentés en une saison.

La Comilière décida donc de changer son fusil d’épaule et opta pour le cinéma, le divertissement à la mode. Le lendemain même de la soirée d’adieux, soit le vendredi 3 avril 1925, une séance de gala fut organisée au profit de l’Œuvre nationale des invalides de guerre. Au programme : Pêcheur d’Islande de Jacques de Baroncelli, d’après le célèbre roman de Pierre Loti. En présence du réalisateur, les principaux interprètes, Sandra Milovanoff et Charles Vanel, jouèrent une séquence du film.

Dès lors, le Forum allait proposer des séances composées de deux films, d’un documentaire, du Pathé journal et d’attractions dont le nombre variait de 3 à 5. Les spectateurs de l’époque en avaient donc pour leur argent. Pourtant, le Forum aurait pu faire grimper le prix des places car il était confronté à toute une série de taxes. La loi du 3 mars 1920 l’obligeait, en effet, à laisser 1 % des recettes brutes à l’Etat quand il donnait de simples représentations théâtrales. Venaient s’ajouter à cela la taxe de 20 % pour les projections cinématographiques (25 % si le prix moyen des places atteint 2 francs) ainsi que les dîmes communales et provinciales !

Douglas, Buster et les autres

Le cinéma ayant conquis ses lettres de noblesse, le public liégeois put, enfin, découvrir les grandes stars hollywoodiennes : Doublas Fairbanks dans Robin des Bois, Gloria Swanson dans Les larmes de reine ou Buster Keaton dans son chef d’oeuvre La croisière du Navigator. Côté français, Max Linder et Charles Vanel tenaient le haut du pavé. Dalbret, premier diseur de France, et le comique troupier Ouvrard étaient fréquemment invités par la direction du Forum dans le cadre des attractions. Pendant la période de la foire et à l’occasion de la semaine du music-hall, le nombre d’attractions pouvait monter à dix par séance. Comédiens, imitateurs, danseurs, musiciens, fakirs, acrobates et sorciers se succédèrent ainsi sur le plateau.

A la fin de l’année, Liège fut confrontée à de graves inondations. La veille du jour de l’an, les chaufferies du Forum se retrouvèrent sous eau. La salle dû fermer ses portes une dizaine de jours. Alors que la désolation régnait chez toutes les personnes touchées par ce fléau, le Forum reprit de plus belle sa programmation, histoire de rendre le moral à la population. Ainsi Le Bossu, un grand film de cape et d’épée, fut présenté avec quatre attractions et, cela, malgré sa longueur. Le critique de la Meuse souligna que “ce film contenait tous les éléments exigés aujourd’hui par le public : l’intérêt, de l’action, l’élégance du décor, les costumes et la perfection du jeu.

Au début du mois de mars, la semaine du music-hall rassembla toute une série d’attractions étonnantes dont un phoque musical. Les amateurs de cinéma eurent le plaisir de découvrir Le fantôme de l’opéra, avec Lon Chaney, présenté en couleurs naturelles et accompagné d’orgues et de chants. Pour ce film à gros budget (30 millions de francs) l’Opéra de Paris avait été reconstruit aux Etats-Unis ! Autre grand succès de 1926, la première version de Quo vadis était une fabuleuse réalisation d’Ambrasio, Emile Jennings, un des piliers de l’expressionnisme allemand, s’avérant étonnant dans le rôle de Néron.

Alors qu’Adolphe Menjou était très régulièrement à l’affiche, le Forum programmait encore de temps à autre des vaudevilles. Composé de trente musiciens, l’orchestre était alternativement dirigé par MM. Forgeur et Achille Calwaert. Ce dernier devait, par la suite, accomplir une brillante carrière à la tête de l’orchestre de l’I.N.R. Par la qualité de sa programmation, le Forum était devenu le premier music-hall de la ville. Les conditions impeccables de projection des films contribuèrent également à son succès. Pourtant, à la fin du mois d’août 1926, le ciné-théâtre ferma ses portes.

Il subit alors quelques embellissements mais, surtout, on assista à un changement de direction générale. Sous la direction de M. Forgeur, le règne de la MGM allait débuter. A l’origine, la MGM s’appelait toujours la “Loew Metro Goldwyn”. Elle signa un bail d’exploitation avec la Comilière, toujours propriétaire des lieux. Et, dès lors, la Metro s’assura l’exclusivité de ses films dans la programmation. En matinée, le prix des places variait entre 1,5 et 3 francs. En soirée, la fourchette était de 2 à 5 francs.

Tout au long de l’année 1927, le public va donc pouvoir découvrir les dernières productions de la Métro. Lors de la projection de La grande parade, 3.000 écoliers liégeois furent invités par la direction. Au gré des films, on retrouva John Gilbert, Lon Chaney, Jackie Coogan, Lilian Gish, Charlie Chaplin ou Norma Shearer. Un orchestre de 30 musiciens dirigés par F. Betbeze accompagnant les attractions à chaque séance. La publicité annonce : “De bons films, de jolies attractions, une agréable musique, une salle magnifique, un accueil aimable: voilà ce qu’on trouve au Forum !” Ou mieux encore : “Venez passer 2 bonne heures au Forum en voyant le joli film: Ensuite, vous passerez une bonne nuit…” Diversifiant au maximum ses activités, le Forum reçut la chorale La Légia pour une soirée de gala et produit un apéritif surnommé le “breuvage d’Ambroisie”, distribué par une société de Trazegnies.

Un crime passionnel

Le vendredi 4 mars, à 15 h 45, le Forum sera le cadre d’un événement peu banal . Pour bien comprendre les circonstances du drame, il faut situer les protagonistes de ce tragique fait divers. Arrivé à Liège en septembre 1926, Alfred Bertone était devenu, aussitôt directeur du Forum. Acteur et metteur en scène italien, plutôt bel homme, il fit la connaissance d’Elise Bande, une couturière de Grâce-Hollogne mais travaillant dans un magasin situé au centre-ville. Très vite, des relations très intimes devaient s’établir entre Bertone et Elise. On parla mariage, que l’on projeta pour le mois de mai. Mais, bientôt, Bertone décida de mettre fin à cette liaison. Redoutant le caractère de son ancienne amie, Bertone donna des instructions précises à son personnel : pas question de laisser entre Elise l’irascible dans le bâtiment !

Déjouant la vigilance des caissières, Melle Bande parvint en ce vendredi après-midi à faire irruption dans le bureau de son ancien amant. Elle l’abattit aussitôt de plusieurs coup de revolver. A 43 ans, Bertone venait de trouver son dernier rôle. Gageons qu’il avait rêvé d’une toute autre sortie…

Très apprécié des Liégeois, il avait eu le coup de foudre pour notre ville en venant y diriger le film Sœur blanche, dont il était également l’interprète principal. Ironie du sort, la semaine de sa mort, il était à l’affiche du Rialto dans un film intitulé Éternelle victime, un drame en six parties…

Défendue en assises par Me Lejeune, un des plus brillants avocats du barreau de Liège, Elise Bande écopa d’une peine de cinq ans. Mais son histoire ne s’arrêta pas là. Quelques années plus tard, elle fit la connaissance d’un jeune garçon dont le père exploitait le magasin L’automatique, rue du Mouton Blanc. Prise d’une nouvelle crise de jalousie, elle devait l’abattre place Saint-Jacques…

La vie du Forum reprit bientôt son cours normal. Entre-temps, la salle du Pont d’ Avroy était devenu le plus grand music-hall du Royaume : à chaque séance, six attractions accompagnaient le film. En 1928, le plus grand succès fut la première version de Ben Hur avec le ténébreux Ramon Novarro dans le rôle-titulaire. Exclusivité de la MGM, ce film à grand spectacle fut projeté quotidiennement durant un mois. A chaque séance, on devait refuser du monde.

Autre grande fresque historique, le Napoléon d’Abel Gance fut présenté en deux parties. Albert Dieudonné, qui incarnait l’Empereur, assista personnellement à la première. Quelques mois plus tard, c’est Greta Garbo qui triomphait dans Anna Karenine et Terre de volupté mais bientôt devait éclater la querelle du parlant. […]

Les années septante
Fufu a la cote

En 1970, Barbra Streisand triomphait dans Hello Dolly et Annie Girardot bouleversait les spectateurs dans Mourir d’aimer d’André Cayatte. Côté galas, la saison fut encore plus riche que les précédentes. Jugez plutôt : Claude François, Nana Mouskouri, Johnny Halliday, Adamo, Joe Dassin, Michel Polnareff, Dalida, Marcel Amont, Charles Aznavour, Rika Zaraï et Mick Micheyl. On croit rêver aujourd’hui quand on pense qu’un spectateur assidu a pu voir toutes ces vedettes sur une scène liégeoise en l’espace de quelques mois !

Nana Mouskouri à Liège © Collection privée

La venue de Rika Zaraï, alors tout auréolée de son statut d’officier dans l’armée israélienne, avait permis à une majeure partie de la communauté juive à Liège de se retrouver l’espace d’une soirée. Le concert de Johnny sera bien plus agité. Ce soir-là soixante policiers se tassaient dans la fosse d’orchestre, ce qui eut le don d’exciter encore la foule. Au cours des échauffourées qui s’ensuivirent, un des policiers eut la désagréable surprise de s’apercevoir qu’on lui avait volé son pistolet. Excédé par le trop grand nombre de représentants de la maréchaussée, Johnny perdit les pédales durant quelques minutes. Il baissa son pantalon, exhibant son slip aux flics médusés. Cette attitude inconvenante valut quelques ennuis à “Jojo” qui revint à Liège avec son avocat pour être entendu par un juge d’instruction. Mais M. Ledent joua le monsieur bons offices et on devait en rester là.

En été, le Forum se lança dans une programmation de reprises de films. Une fois encore, les Louis de Funès furent très prisés, de Hibernatus à L’homme-orchestre, Fufu faisait toujours recette. En 1971, Hubert Defawe et ses fils étendirent leur empire. En août, ils achetèrent le Palace, le Carrefour, l’Eden et le New Inn. On annonça l’ouverture prochaine des deux salles du Concorde. C’est donc une véritable chaîne de cinémas qui se constitua dans notre ville.

Mais le Forum conserva également sa vocation de salle de spectacles. Certes, l’originalité n’était pas de mise puisqu’on retrouva Joe Dassin, Jacques Dutronc, Ivan Rebroff, Annie Cordy et Nana Mouskouri au cours de la saison 71. Mais le public appréciait par-dessus tout ces artistes et, finalement, n’est-ce pas lui qui décide ? Les fans de Johnny, eux, furent ravis. Il donna un super-show avec 22 musiciens qui fut enregistré par R.T.L.

1972. Le 21 mai, le Forum fut l’objet d’un fait divers assez désagréable. Le directeur, M. Ledent, constata en effet un vol de 420.000 francs dans son coffre-fort. Le voleur était sans doute un habitué de la maison et il s’était probablement laissé enfermer après la dernière séance du samedi. Ce qui n’est nullement impossible, compte tenu des différentes cachettes qu’offre le couloir du Forum, véritable labyrinthe. Détail amusant : le film programmé cette semaine-là s’intitulait Ça n’arrive qu’aux autres

Mais, en dehors de ce vol, la saison fut plutôt… riche avec, en exclusivité pour la Belgique, la version intégrale française de Hair. La mode était aux comédies musicales puisque, quelques semaines plus tard, c’est la troupe de Jésus Christ Superstar qui débarqua chez nous. 72 marqua également le premier passage au Forum de Michel Sardou, dont Carlos et Pierre Groscolas assurèrent la première partie. Carlos reviendra en gala avec Sylvie Vartan et l’année se termina par un gala de Jacques Martin. Malgré sa renommée naissante à la télévision française, l’ami Jacques se paya un bide. Trois cents personnes pour une nuit de réveillon, bonjour l’ambiance…

Une alerte quinquagénaire

1973 fut l’année d’ouverture des deux salles du Concorde. Ce fut aussi l’occasion (avec quelques mois de retard) de fêter le 50e anniversaire de l’établissement. Le 23 janvier, une grande réception donnée dans les salons de l’Eden par M. Defawe, administrateur-gérant de la S.P.R.L. Forum – Churchill – Liège-Palace – Eden. Sur l’écran du Forum, César et Rosalie, Le silencieux (avec Lino Ventura), Le serpent ou L’affaire Dominici étaient les gros succès commerciaux de l’année.

La saison s’ouvrit avec Nana Mouskouri en février. Suivirent Sardou, Adamo, Gilbert Bécaud et la deuxième édition du festival international de magie qui réunit un brillant plateau de pickpockets, sorciers, manipulateurs et voyants en tous genres.  Gérard Majax ainsi que Myr et Myroska furent les vedettes de la soirée. Après un énième passage de Charles Aznavour, Julien Clerc fit un triomphe en novembre et la saison s’acheva par la venue du groupe Up with People.

En 1974, c’est une impressionnante brochette de vedettes qui se produisit sur la scène du Forum. Un même spectacle réunit Stone et Eric Charden, Michel Jonasz (qui n’est pas encore la star d’aujourd’hui), C. Jérome et… Charlotte Jullian. Une semaine plus tard, Michel Fugain débarqua avec son”Big Bazar” pour une soirée riche en couleurs et en chansons. Puis vint le tour des valeurs sures : Michel Sardou, Joe Dassin, Ella Fitzgerald, Johnny Halliday, Gérard Lenorman, à nouveau Johnny en novembre et, of course, Charles Aznavour. Mais l’événement fut constitué par la venue des chœurs de l’armée rouge qui firent salle comble trois soirs d’affilée !

Tout comme les années précédentes, quatre mois de 1975 furent consacrés à une programmation de reprises. Pour le prix d’un ticket, le public eut droit à deux grands films, comiques pour la plupart. De Funès se tailla encore la part du lion et, chaque année, La grande vadrouille attire toujours autant de spectateurs. Sur le plan des galas, l’année fut un peu moins riche même si on nota le retour de Julien Clerc, de Ray Charles et la venue du spectacle parisien à scandale 0 Calcutta.

Le plus grand succès cinématographique de 1976 sera L’aile ou la cuisse qui marquait le retour à l’écran de Louis de Funès après trois années d’absence forcée suite à un ennui cardiaque. Avide de spectacle soviétique, le public fit un triomphe au ballet de Sibérie en janvier, alors que, le mois suivant, Serge Lama épata son public en terminant son tour de chant par une interprétation sans micro de son grand succès Je suis malade. Pour le reste, on put quasiment parler de routine avec les venues de Dassin, Sardou, Cordy, Dave. Plus exceptionnelle sera la visite de Lionel Hampton en mai.

Le “carton” de Julio

En 1977, le paysage cinématographique liégeois s’élargit encore avec l’ouverture (en juillet) d’un complexe de six salles au Palace. Mais l’ancien “ennemi” à l’époque de la “guerre des attractions” était devenu un allié et la direction répartit intelligemment les sorties de films entre les différentes salles. Le Forum demeurait le lieu privilégié pour les grands films d’aventures et les comédies. Sur scène, on enregistra les passages de Gérard Lenorman, Fats Domino, Jane Manson, Julien Clerc, Harry Belafonte, le ballet Berezika (96 danseurs et musiciens, on les attendait depuis 13 ans), Serge Reggiani et Sylvie Vartan.

En 1978, La carapate, La cage aux folles ou Je suis timide mais je me soigne (avec Pierre Richard) attirèrent la toute grande foule et tinrent l’affiche six semaines. Devenu une grande vedette, Dave se produisait désormais seul. C’est lui qui ouvrit la saison. Dassin, Lenorman, Mathieu, Marie-Paule Belle, Sardou, Julien Clerc, Annie Cordy (avec Jean Vallée), Aznavour et, enfin, Serge Lama (deux dates) lui succédèrent.

1979. Toute l’année, le public fut très sollicité. On lui proposait carrément deux grands galas par mois. Au hasard des semaines, citons Perret, Halliday, Mouskouri, Dassin, Lenorman, Reggiani, Amanda Lear (salle à moitié vide, de plus l’androgyne aurait chanté en play-back) les chœurs et danses de l’armée rouge (2 soirées, 200 artistes sous la direction de Boris Alexandrov), Serge Lama, Charlebois, Perret, Johnny (trois passages à Liège la même année !), Brasil Tropical et le Ballet Berezka.

Mars 1979 sera une année à marquer d’une pierre noire dans l’histoire du Forum. En février, on apprit en effet le décès de M. Jean Masereel à l’âge de 86 ans. Pendant plus de quarante ans, cet industriel liégeois avait littéralement couvé son enfant de la rue du Pont d ‘Avroy. Homme affable et consciencieux, M. Masereel avait consacré une grande partie de sa vie à la gestion quotidienne d’un bien qu’il savait exceptionnellement précieux.

1980. Les artistes étaient de plus en plus sollicités et surtout de plus en plus chers. Dans cette surenchère, le sommet fut atteint avec Julio lglesias qui demanda (et obtint) 1.600.000 francs pour se produire à Liège. Julio vint en plein mois d’août et, malgré le prix élevé des places, il chanta à bureaux fermés. Depuis un mois déjà, il n’était plus possible de trouver la moindre place… Cette année-là, s’il y eut moins de galas, les événements ne manquèrent pas. Coluche triompha en janvier tout en racontant ses histoires belges ! Puis, les amateurs de jeune chanson française jubilèrent avec la double prestation de Laurent Voulzy et d’Alain Souchon. Hervé Vilard, Chantal Goya et, bien sûr, Michel Sardou (encore deux dates) complétèrent le programme de la saison. […]

Le Churchill
© les Grignoux
La Feria

En même temps que le Forum, la société la Comilière devait ouvrir une salle située au 18 de la rue du Mouton Blanc et baptisée la Feria. A l’origine, il s’agissait d’une pâtisserie ouverte tous les jours, de 14 h 30 à minuit. L’entrée était libre et un spectacle permanent avec attractions (concerts ou danses) s’y tenait. Tous les mardis et vendredis, de 16 heures à 18 heures, le public avait droit à un concert symphonique donné par l’orchestre du Forum placé sous la direction de M. Van Beers.

Pour le réveillon de Noël 1922, la direction proposait une soirée de gala avec sept attractions. Le menu à 15 francs comprenait : hors-d’oeuvre variés, croustades Don Juan, filet de bœuf à la russe, sauce printanière, dinde truffée, compote de pommes et dessert.

Au fil des mois, le côté brasserie-pâtisserie devait laisser la place à un dancing familial. Un changement de direction survint au mois de septembre 1925 et on assista, dès lors, à la réorganisation des services, les transformations firent de la Feria le plus coquet des dancings de familles. Appelée également”la Reine Feria”, la salle accueillait chaque semaine une tombola organisée “au profit des dames”. On pouvait danser tous les soirs grâce à l’orchestre The Musical Monarchies et il n’était pas rare qu’un concours de boston ou de charleston soit organisé.

En 1926, la Feria fut frappée de plein fouet par les inondations qui ravagèrent la ville cette année-là. Dans un communiqué publié dans la presse, la direction “remercia chaleureusement sa fidèle clientèle des marques de sympathie et d’attachement qu’elle lui a témoignées en venant chaque jour s’ enquérir des nouvelles à la suite du désastre qui venait de la frapper”. La salle devait rouvrir ses portes le samedi 23 janvier après une semaine de fermeture. Plus tard, un bal pour enfants y fut organisé et la publicité annonçait que “vu la grandeur de la salle et de la piste, les enfants pourront se livrer à leurs ébats” (sic).

Outre la matinée-concert avec attractions (tous les jours), le public eut également droit, deux fois par semaine, à un concert symphonique. Tous les samedis soir, le public se pressait pour danser avec le Select Seven Orpheon. Le dancing était ouvert tous les jours de 19 h 30 à minuit et l’amicale des accordéonistes liégeois (30 exécutants) y donna un beau concert.

Outre les compétitions de danse, la Feria accueillait aussi des concours de coiffure, “cheveux courts contre cheveux longs”. En novembre 1926, la Feria célébra avec un éclat particulier le mariage princier. Le réveillon de Noël se déroula sur une piste agrandie. Les années de crise semblaient encore loin… Au début du mois de janvier 1928, la Feria fit peau neuve. On inaugura une toute nouvelle piste ainsi que la tradition d’un thé dansant. L’orchestre The Orpheans d’Oro animait un apéritif dansant tous les jours de 11 h 30 à 13 h 30. Devenu un véritable palais de la danse, la Feria ouvrait ses portes les samedis et dimanches en matinée comme en soirée. En 1930, c’est l’orchestre d’Oscar Thisse qui faisait danser les 1.200 personnes présentes.

A Berlin, où il avait fait carrière quelques années, Oscar Thisse avait ramené un Dance Band de grande qualité avec Jean Bauer, Marcel Raskin, Louis Nicolaï, Sacha Graumans et Albert Brynckhuyzen. Engagé pour 10 jours, Thisse devait rester dix mois. Cette très bonne formation, qui connaissait son répertoire par cœur, se montrait également très performante dans l’improvisation.

De l’Atlanta au Ritz

A la fin 1931, la Feria devint le music-hall Atlanta. C’est Gaby Moloch, ancien batteur du Creole Five qui sera chargé de s’occuper de la programmation. A chaque séance, on dénombre cinq vedettes et le show est assuré par Tony Vaes et son orchestre de douze musiciens. A propos de Tony Vaes, notons qu’il était un inconditionnel de la Rhapsody in blue de George Gershwin. Et tous les trois mois, il s’offrait le petit plaisir de l’interpréter à l’Atlanta avec quatre musiciens. En réalité, l’Atlanta n’allait jamais rencontrer le succès escompté. Il vit le jour à une mauvaise période : notre pays subissait alors les premières conséquences de la grande crise de 1929.

Ce music-hall devait, très rapidement, tomber en désuétude ; en 1933, le dancing renaissait sous le nom de Plaza. Il devait survivre jusqu’en 1940. Cette année-là, la formation du Plaza était dirigée par Gene Dersin ; ce dernier devait bientôt céder le relais à Oscar Thisse qui signait ainsi un grand retour dans une salle qu’il connaissait bien.

Mais, entre-temps, la salle devait à nouveau être affublée d’un nouveau nom : le Ritz vit le jour en octobre 1940. Gene Dersin et René Joliet accompagnaient des revues de music-hall présentées par Jack Gauthy, devenu l’animateur attitré. Parfois, dix attractions émaillaient le spectacle alors que les soirées-crochets connaissaient un succès grandissant. Le public raffolait de ces soirées un peu cruelles au cours desquelles des chanteurs amateurs étaient enlevés de scène par un crochet lorsque leur passage s’avérait peu satisfaisant.

Au début de l’année 1941, le Ritz accueillit Fud Candrix et ses treize vedettes. A la mi-février, on procéda à l’ouverture d’un luna-park. En fait, une petite foire permanente, avec notamment des autos-scooters, venait de voir le jour. Redevenu une brasserie, le Ritz accueillait encore diverses attractions tous les jours de 16 à 22 heures et le dimanche de 11 à 22 heures. Dernier détail mais il est d’importance : l’entrée était libre.

Mais cette salle devait encore connaître un ultime changement avant de devenir le Churchill. A la fin de l’année 1942, M. Cambrisini, le directeur de l’agence Pulmann décida d’en faire un cynodrome. Des courses de lévriers derrière un lièvre électrique y furent ainsi fréquemment organisées durant la guerre.

La naissance du Churchill

La MGM ayant gagné son procès, elle reprit l’exploitation du Forum après le second conflit mondial. Cette décision de justice n’avait guère réjoui MM. Masereel et Beckers qui décidèrent dès lors d’ouvrir leur propre salle de cinéma dans le bâtiment qui leur appartenait. C’est ainsi qu’est née l’idée du Churchill.

Pour réaliser cette salle, il fallut descendre le niveau du sol de 1,20 m, ce qui posa certains problèmes car on atteignit de ce fait le lit de la Meuse. Bientôt, l’eau avait envahit le chantier. D’importants travaux de maçonnerie furent réalisés sur les plans de l’architecte Gilles Fellin, maître d’œuvre de l’ouvrage. Ce dernier disposa les huit cents fauteuils bleus en quinconce sur un plancher offrant une pente de 12 %. Deux galeries furent placées de part et d’autre. Le péristyle précédant les couloirs d’entrée latéraux fut ornés de fresques de Valère Saive et Edouard Herman, illustrant les métiers liégeois. Ce cinéma au rideau jaune brillant était destiné à programmer des grandes productions françaises, en contraste avec le Forum où la MGM s’était assurée l’exclusivité de ses films.

Pour l’épauler dans sa tâche, M. Masereel avait fait appel à Cavaillès, un jovial Français méridional (il était originaire de Sète) qui avait fait ses preuves à la direction du Coliseum, une salle située boulevard de la Sauvenière. Amateur de bons mots et de jolies filles, M. Cavaillès devait faire office de chef de salle du Churchill des années durant.

L’inauguration officielle eut lieu le 6 novembre 1947. Ce soir-là, on projeta Bethsabée de Léonide Moguy, avec Danielle Darrieux et George Marchal. Mais, très vite, les programmations du Forum et du Churchill devaient se mélanger. Un film restait généralement à l’affiche une semaine ou Forum avant de poursuivre sa carrière dans la salle du Mouton Blanc.

Mais cette salle devait être ponctuellement le théâtre de manifestations originales. C’est ainsi que le 13 février 1948, on y organisa un tournoi ou cours duquel le public présent devint jury d’assises sous la présidence de M. Dehousse. Me Jacques Henry assura les plaidoiries et Me Godfroid représentait le ministère public.

Si les attractions étaient réservées ou Forum, Jean Beirens jouait cependant aux orgues américains lors des entractes. Le 23 avril 1948, Luis Mariano assista personnellement à la projection du film Cargaison clandestine dont il était la vedette principale : ce fut une bien belle soirée de gala. La même année, le Churchill renia en quelque sorte sa vocation première en projetant également des productions américaines, dont certains films issus des studios Walt Disney.

Durant plus de trente ans, le Churchill allait connaître une histoire sans problème, à l’ombre du “grand frère” de la rue Pont d’Avroy. Il ferma ses portes quelques jours en 1981 pour subir des transformations. Le public découvrit une salle “newlook” : moins de sièges, plus de confort, meilleure acoustique. Au total, on dénombrait désormais 520 sièges recouverts d’un velours synthétique. En 1984, lors de la fermeture du bâtiment, Rush fut le dernier film programmé au Churchill. Les sièges de la salle devaient être transférés ou cinéma Le Parc à Droixhe. Depuis, le Churchill n’est plus qu’un espace vide qui attend un utilisateur.

On sait que le cinéma de Droixhe s’est porté candidat mais la Communauté française a passé une convention avec la société Blokker, de Lier. Il s’agit d’un contrat de trente ans ou cours duquel Blokker transformait la salle en magasin d’articles ménagers et d’ameublement. Mais le récent classement de la façade et de l’escalier du Mouton Blanc (4 juillet 89) ont tout remis en question. Profitant de l’occasion, le Parc, c’est-à-dire l’ASBL les Grignoux a rappelé qu’il était intéressé par cette salle. Les dix mille signataires d’une pétition l’ont appuyé dans ce sens.

d’après Thierry Luthers

[la suite dans wallonica.org : KLINKENBERG : du Cadran aux Grignoux]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : rtbf.be ; Les Editions du Perron | crédits illustrations : © rtbf.be ; forum.be.


Plus de spectacle en Wallonie-Bruxelles…

THIRY : Sans titre (2009, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

THIRY Michel, Sans titre
(dessin au feutre, 37 x 45 cm, 2009)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Michel Thiry © creahm.be

Né à Herstal en 1974, Michel THIRY est un artiste dit outsider, en référence à l’art en marge. Il développe ses travaux personnels dans l’atelier plastique du Créahm (Créativité et Handicap Mental, Liège) depuis 1994. Avec son médium de prédilection, le marqueur noir sur papier, il élabore des structures qui quadrillent l’espace de la feuille. Se construisent alors de véritables scénographies dans lesquelles prennent place des figures de la culture populaire, des écrits, des éléments de décor qui, à force d’être reproduits, composent un véritable vocabulaire symbolique.

Ce dessin au feutre s’inscrit parmi la production foisonnante de l’artiste. Dessinée à partir d’images découpées dans des magazines, cette composition est alimentée par les précédentes et nourrit à son tour l’imagination pour les suivantes, s’inscrivant dans une continuité et un certain automatisme. L’œuvre de Michel Thiry, qui travaille avec des cases, établit des liens indéniables avec la bande-dessinée.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Michel Thiry ; creahm.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

PENA-RUIZ : Le rocher de Sisyphe ou Le courage de vivre

Temps de lecture : 7 minutes >

La vie parfois vacille et doute d’elle-même. Commencer, recommencer, sans cesse. Le constat de l’éternel recommencement des choses, semblable au cycle des saisons, la vie succédant à la mort et la mort à la vie, la croissance au déclin et le déclin à la croissance, produit une sorte d’angoisse. Le quotidien qui se livre sous le signe du recommencement mérite-t-il d’être vécu ? Peut-on croire au sens de ce que l’on fait, lorsqu’il faut toujours reprendre, toujours recommencer ?

Le rocher que Sisyphe était condamné à porter dévalait la pente que Sisyphe avait gravie, chaque fois qu’il atteignait le haut de la colline. Ce rocher de Sisyphe est devenu le symbole d’une tâche absurde à accomplir, puisque sitôt accomplie, elle doit être recommencée. À certains égards, n’est-ce pas tout le déroulement de la vie quotidienne qui peut être placé sous le signe du rocher de Sisyphe ? On se lève le matin, on se prépare, on va travailler, on revient, on recommence le lendemain. Ainsi disait-on naguère des ouvriers qui allaient à l’usine : “Métro, boulot, dodo”, “Métro, boulot, dodo”, et ce recommencement semblait dessaisir la vie de toute signification.

Mais la conscience humaine interroge : pourquoi ? Camus raconte qu’à un moment ou à un autre de cet enchaînement machinal quotidien, la question du pourquoi s’élève. Il faut poser la question du pourquoi, il faut réfléchir sur cette apparence d’éternel recommencement, sur cette apparence d’absurdité qui pourrait bien, si l’on n’y prend pas garde, dessaisir la vie elle-même de toute signification. La méditation sur la tâche de Sisyphe reprend cette interrogation. Albert Camus, dans le Mythe de Sisyphe, raconte :

À cet instant subtil où l’homme se retourne sur sa vie, Sisyphe revenant vers son rocher, contemple cette suite d’actions sans lien qui devient son destin. Créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire et bientôt scellé par sa mort. Ainsi, persuadé de l’origine tout humaine de tout ce qui est humain, aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n’a pas de fin, il est toujours en marche. Le rocher roule encore. Je laisse Sisyphe au bas de la montagne. On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit à lui seul forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d’homme. Il faut imaginer Sisyphe heureux.

Sisyphos, en grec, c’est “le très sage”. Le héros de Camus était légendairement connu pour son intelligence, mais aussi pour la démesure, en grec hubris, par laquelle il voulait, en quelque sorte, s’égaler aux dieux. Sisyphe, l’être qui voulait non pas nier la divinité, mais s’en passer, voire s’égaler à elle. D’où le châtiment qui lui rappelle à la fois sa force et sa faiblesse, et va l’obliger à l’effort sans cesse répété des êtres mortels. La force, c’est celle de Sisyphe capable de rouler son rocher jusqu’en haut de la colline, la faiblesse, c’est la vanité d’un tel travail, dès lors qu’au dernier moment le rocher dévale de toute sa force jusqu’au bas de la colline, avec obligation pour Sisyphe de tout recommencer. Il faut porter le fardeau quotidien, quoi qu’il en coûte.

Dans le onzième chant de L’Odyssée, Homère décrit l’effort de Sisyphe et son inexorable recommencement.

Ses deux bras soutenaient la pierre gigantesque et des pieds et des mains, vers le sommet du tertre, il la voulait pousser. Mais à peine allait-il en atteindre la crête qu’une force soudain la faisant retomber, elle roulait au bas, la pierre sans vergogne. Mais lui, muscles tendus, la poussait derechef, tout son corps ruisselait de sueur et son front se nimbait de poussière.

On reconnaît là le châtiment de la tâche sans cesse recommencée, comme celle des Danaïdes, ces nymphes des sources que la légende représente aux enfers, versant indéfiniment de l’eau dans des tonneaux sans fond. Pourquoi ? La question du sens des actions s’étend très vite à celle du sens de la vie. Dans le ciel dont les dieux se sont absentés, nul signe désormais n’est adressé aux mortels, qui sont seuls devant leur tâche. Il leur faut conduire leur vie, la reconduire, de jour en jour, et l’effort pour le faire suffit à leur condition. L’homme va s’inventer les moyens de persévérer dans son être. Depuis Prométhée, il est capable de produire son existence. Sisyphe, un instant, s’arrête. Au moins intérieurement. Et alors va s’esquisser la sagesse  toute simple d’une interrogation première. Quelle vie voulons-nous vivre et quel bien mérite d’être recherché pour lui-même ? Question essentielle qui appelle une réflexion pour aller vers la sagesse. La tâche de la vie se redéfinit. Non, le recommencement qui appartient à la vie des hommes mortels ne peut pas disqualifier cette vie. Et Sisyphe lève les yeux vers le ciel. Ce ciel est désert. Soit. Mais lui, Sisyphe, trouvera dans la tâche quotidienne qui est la sienne les ressources même pour vivre heureux.

Sisyphe ne peut se réconcilier avec la vie qu’en prenant la mesure de ce monde où il va inscrire sa destinée. Sa force renaîtra toujours s’il décide, une fois pour toute, de vivre sa vie d’homme, de se passer de ces dieux qui sont tour à tour protecteurs et menaçants. La peur n’est plus de mise, ni la lassitude. Les rythmes quotidiens ne sont pas l’essentiel. Ils rendent la vie possible, tout simplement, sans préjuger de la direction qui l’accomplira. À l’homme de construire son monde et de dessiner les contours de son bonheur, de façon tout à fait inédite. Sisyphe ne peut pas reprendre à son compte la fameuse phrase de Dostoïevski : “Si Dieu n’existe pas, tout est permis.” Pour Sisyphe, l’humanité maîtresse d’elle-même porte seule son fardeau, mais elle est ainsi habilitée à définir seule les valeurs qui lui permettront de vivre le mieux possible.

De cette façon, un nouveau bonheur va prendre forme sur le fond de l’absurdité initiale. Celle-ci est dépassée, transcendée. L’homme se dresse et il va assumer son humaine condition. Un humanisme se dessine qui est celui d’une patience. Patientia, en latin, c’est tout à la fois la souffrance et la capacité à endurer. Vertu stoïcienne par excellence. Sisyphe s’était révolté contre les dieux qui, pour le punir, lui avaient assigné cette tâche absurde : monter et descendre, monter et descendre !

Sénèque, dans la treizième lettre à Lucilius, évoque la leçon d’espérance de l’homme qui compte désormais sur lui-même.

Tu as une grande force d’âme, je le sais, car avant même de te munir des préceptes salutaires qui  triomphent des moments difficiles, tu te montrais, face à la fortune, suffisamment décidé. Tu l’es devenu beaucoup plus après avoir été aux prises avec elle et avoir éprouvé tes forces.

Éprouver ses forces, c’est effectivement ce que vient de faire Sisyphe. Alors, avant de le reprendre, en sueur mais intérieurement rasséréné, il va contempler son rocher et se dire que la montée de la colline suffit à remplir un cœur d’homme.

Deux paroles de méditation en complément. La première porte sur la double signification du terme absurde devenu un substantif dans la philosophie de l’absurde. La deuxième évoque la disqualification du monde terrestre du point de vue de la religion chrétienne, à partir du texte biblique de l’Ecclésiaste.

Qu’est-ce que l’absurde ? L’adjectif, rapidement transformé en un nom, en un substantif, désigne soit ce qui n’a aucun sens, aucune raison, soit ce qui n’a aucune finalité. Ainsi, par exemple, si un homme s’attache à construire une œuvre, et que cette œuvre est soudainement détruite, il aura le sentiment d’une absurdité, puisque son activité aura été dessaisie de tout intérêt. Cela peut être aussi l’idée, par extension, que ce qui est destiné à mourir, à périr, n’a finalement pas de véritable finalité. Sens que l’on retrouve dans la disqualification religieuse de l’existence humaine, qui est l’existence condamnée à la vanité, c’est-à-dire condamnée à l’inutilité, à l’absence même de signification, puisque toute chose, sous le ciel, est destinée à périr. Dans le sens habituel, donc, absurde signifie contraire à la raison et au sens commun : est absurde ce qui est déraisonnable, insensé, voire extravagant. Dans le sens philosophique, par extension, est absurde ce qui ne peut être justifié par aucune finalité, par aucune raison d’être. Et une méditation sur la vie humaine en tant qu’elle se termine par la mort peut déboucher sur le sentiment de l’absurdité. De la même façon, est absurde toute activité qui ne débouche pas, qui est en quelque sorte invalidée par la destruction de ce qu’elle a permis de faire.

C’est dans le cadre de la religion chrétienne que l’idée de l’absurdité de tout ce qui est destiné à mourir, donc de l’existence terrestre, est soulignée. La théologie, qui vise à montrer que l’essentiel se trouve dans la croyance en un dieu et un au-delà, aboutit à la disqualification de tout ce qui existe sur terre. Un grand texte de la Bible a souligné l’absurdité qui tient au recommencement, à l’éternel recommencement des choses. C’est un extrait de l’Ecclésiaste que l’on peut citer ici pour montrer comment une conception de l’absurde peut s’enraciner dans la disqualification religieuse de l’existence terrestre. Paroles de l’Ecclésiaste, fils de David :

Vanité des vanités, dit l’Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité. Quel avantage revient-il à l’homme de toute la peine qu’il se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau. Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits. Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est point remplie ; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent. Toutes choses sont en travail au-delà de ce qu’on peut dire ; l’œil ne se rassasie pas de voir, et l’oreille ne se lasse pas d’entendre. Ce qui a été, c’est ce qui sera, et ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera, il n’y a rien de nouveau sous le soleil. S’il est une chose dont on dise : “Vois ceci, c’est nouveau!” cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.

Et, de ce constat de l’éternel recommencement des choses – “rien de nouveau sous le soleil” dit le proverbe -, l’Ecclésiaste tire la conclusion d’une sorte de vanité de l’existence terrestre.

J’ai vu tout ce qui se fait sous le soleil ; et voici, tout est vanité et poursuite du vent. Ce qui est courbé ne peut se redresser, et ce qui manque ne peut être
compté. J’ai dit en mon cœur : Voici, j’ai grandi et surpassé en sagesse tous ceux qui ont dominé avant moi sur Jérusalem, et mon cœur a vu beaucoup de sagesse et de science. J’ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse, et à connaître la sottise et la folie; j’ai compris que cela aussi c’est la poursuite du vent.

On voit que cette insistance sur la vanité des choses, sur l’absurdité des choses qui naissent et meurent, débouche, dans le texte de l’Ecclésiaste, sur un noir optimisme, puisque c’est l’idée même d’une sagesse humaine qui s’en trouve disqualifiée. A l’ opposé, il faudra qu’un être humain qui meurt, qui recommence, prenne la mesure de son pouvoir. La signification positive du personnage emblématique de Sisyphe sera ainsi soulignée. On pense aussi à ce que Nietzsche écrira en évoquant le thème de l’éternel retour. Certes, pour le philosophe, il y a un éternel retour, mais ce n’est pas cela qui dessaisit l’existence humaine de toute signification.

Henri Peña-Ruiz, Grandes légendes de la pensée (extrait, 2015)


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : flammarion.fr | crédits illustrations : entête, Sisyphe par Le Titien (détail) © Musée du Prado.


Méditer encore…

KLENES, André (né en 1954)

Temps de lecture : 2 minutes >

André KLENES est né à Verviers en 1954. Il débute dans des petits groupes de rock et de blues, découvre le jazz aux festivals de Bilzen et aux jams de l’Old Jazz à Liège, s’essaye au jazz-rock en 1972 en compagnie de Pierre Vaiana et d’Antoine Cirri. En 1974, il accompagne Memphis Slim à Vielsalm. Il entre en contact avec les jazzmen belges (Charles Loos, Jacques Pelzer, etc.) ; en 1976, il passe de la guitare basse à la contrebasse et devient professionnel.

Il travaille avec Jean Linsman, Stéphane Martini, le guitariste canadien Jean-François Bellec et le saxophoniste américain Lou Mc Connel, entre autres. Il joue dans le groupe Four, un des premiers groupes de la ‘relance’ du jazz après 1976. En 1978, il entreprend une formation classique, couronnée par un premier prix de contrebasse au Conservatoire de Liège. En 1979-1980, Klenes joue dans le Strues and Steps de Milou Struvay. Avec la chanteuse allemande Monika Linges, il se produit fréquemment en Allemagne.

De 1982 à 1986, il fait partie du quartette de Robert Jeanne. Entretemps, musicien polyvalent, il participe à différentes expériences aux marges du jazz : tournée en France et Italie avec le groupe Brazil Tropical (musique latino-américaine), concerts et enregistrements avec le groupe afro Eko Kuango, tournée en 1987 avec William Sheller, membre depuis 1981 du groupe Julveme, musique classique, etc. Plus récemment André Klenes travaille avec Christiane Stefanski dans un groupe de blues en hommage à Bessie Smith et avec Triades, trio à cordes, aux côtés de J.-P. Catoul et Jérome Nahon. Comme musicien free-lance, il se produit dans de nombreuses formations et assume même des remplacements dans des orchestres symphoniques.

Jean-Pol SCHROEDER

Plus sur le site d’André KLENES…


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : ©  andreklenes.com (recadrée) | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

VANGOR : La Louve aux pieds bleus (2014, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

VANGOR Sofie, La Louve aux pieds bleus  

(technique mixte, 59 x 26 cm, 2014)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

© Sofie Vangor

Sofie VANGOR est née en 1981. Sa mère était collagiste, peintre et graveur. Son père était également plasticien et, influence de leur duo artistique oblige, “entré en gravure”, lui aussi. Ses œuvres, il les imprimait en pressant son corps contre des annuaires téléphoniques. Pour Sofie, cette technique plutôt atypique ressemble étrangement à une première immersion dans cet esprit “corps à œuvre” qui va, par la suite, devenir le fil rouge de son parcours artistique. Dès 14 ans, elle étudie la peinture, la gravure et l’image imprimée à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Membre du collectif La Poupée d’Encre, elle est aussi enseignante et assistante en gravure à l’Académie des Beaux-Arts de Liège. Ce statut, elle en parle comme d’une respiration au milieu d’un travail autobiographique intense et percutant. (d’après WAWMAGAZINE.BE)

En octobre 2012, Sofie Vangor donne naissance à deux jumeaux prématurés. D’un jour à l’autre, Sofie Vangor plonge dans un univers inconnu, loin de son travail de plasticienne. Cette fois, il s’agit de mener une bataille pour la survie de ses enfants. Et si cette lutte pour la vie ne lui laisse ni le temps, ni l’énergie de créer, l’artiste va tout de même remplir des carnets, sorte de traces écrites de ces 90 jours entre parenthèses, 90 jours de “peau à peau” avec ses enfants. Cette expérience a finalement donné naissance à une exposition qui mêle les peintures, gravures, broderies et vidéos de l’artiste et les installations d’autres femmes : 90 jours, une nouvelle vie. Cet autoportrait de l’artiste porte un masque de louve, qui évoque l’instinct maternel, dans son aspect le plus sauvage. (d’après WAWMAGAZINE.BE

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Sofie Vangor | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

GRAAS : La Nature nous enseigne à ne pas avoir peur de la couleur (2012, Artothèque, Lg)

Temps de lecture : 2 minutes >

GRAAS Béatrice, La Nature nous enseigne à ne pas avoir peur de la couleur  (linogravure, 46 x 39 cm, 2012)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

Beatrice Graas © beatricegraas.be

Née en 1962, Béatrice GRAAS est diplômée de l’Institut supérieur des Beaux Arts Saint Luc à Liège en 1987, elle ajoute à ses études de peinture une formation en gravure et lithographie, d’abord avec Marc Laffineur à Liège, et ensuite, à l’Académie du soir de Verviers avec Michel Barzin. Depuis 2004, Béatrice Graas est membre du groupe Impression. (d’après BEATRICEGRAAS.BE)

Son vocabulaire pictural se rattache à l’enfance, au bonheur de créer, à la liberté, la spontanéité. Elle traduit la pureté de cet univers par des coloris imprégnés de fraîcheur. Dans ses peintures apparaissent des personnages, des animaux imaginaires ou familiers et toute une série de graffitis, de fragments d’écriture qui relèvent du côté enfantin. “Il y a comme un plaisir  d’étendre largement la couleur, d’inonder la toile de jaune de bleu, de vert, d’y introduire des éléments graphiques qui sont souvent bienvenus et accrochent la vie à ces grandes étendues peintes […]” (Pierre Deuse, cité sur BEATRICEGRAAS.BE)

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © beatricegraas.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques