VAN SANTEN : sans titre (s.d., Artothèque, Lg)

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VAN SANTEN Anne-Catherine, sans titre
(linogravure, 50 x 50 cm, s.d.)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

© thebrusseler.eu

Née en 1955, Anne-Catherine VAN SANTEN vit et travaille à Bruxelles. Illustratrice pour divers journaux et magazines, elle a publié chaque semaine des images liées à l’actualité dans l’ancien quotidien Le Matin. Elle collabore activement à l’hebdomadaire Le Ligueur en publiant des dessins thématiques et en proposant chaque semaine une mini-BD, Les adorables. Elle travaille aussi pour Le Soir Magazine. Parallèlement, elle explore différentes techniques de gravure [d’après CENTREDELAGRAVURE.BE]

Deux enfants jouent aux cow-boys. Les couleurs très vives, le trait épais et irrégulier, ainsi que la texture de l’herbe, tout concourt à créer un effet irréel et étrange.

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Anne-Catherine Van Santen ; thebrusseleer.eu | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques

MAHOUX : “Génocide ukrainien”, un génocide sémantique (2022)

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[FACEBOOK.COM/jeanpaul.mahoux] ‘Wokisme totalitaire’, ‘génocide ukrainien’, ‘handicap salarial’, ‘retour du maccarthysme’, ‘idéologie transgenre’, ‘théorie LGBT’… Aujourd’hui, rien de plus malmené que la sémantique. Médias et politiciens rivalisent pour mal nommer les choses et ajouter au malheur du monde. La politique étant l’art de désigner l’adversaire, tous les coups à la vérité sont permis, on s’autorise toutes les outrances sémantiques, tous les contre-sens historiques, toutes les généralités abusives.

Jeudi, contre l’avis des historiens et des spécialistes de droit international, notre Parlement a approuvé une résolution qui reconnaît comme ‘génocide’, la famine dont le peuple ukrainien a été victime en 1932-33, sous le régime de Staline, une famine connue sous le nom d’Holodomor. Le texte a reçu un soutien unanime, moins l’abstention du PTB. C’est l’extrême-droite flamande, le Vlaams Belang, qui avait, en premier, déposé un texte proclamant le caractère génocidaire de l’Holodomor.

Cependant, beaucoup d’Ukrainiens et de Russes le disent depuis longtemps : l’Holodomor fût un crime de masse causé par la politique stalinienne mais pas un génocide au sens propre. La Révolution de 1917 avait donné accès à la terre à des dizaines de millions de paysans sur le territoire de l’URSS et notamment en Ukraine. La collectivisation forcée, ultra violente, ordonnée par Staline en 1929 (la bolchoïproryv), fût un désastre total qui amena la famine, particulièrement en Ukraine mais aussi au Kazakhstan, au Kouban, en Moldavie et en Biélorussie.

Les victimes ukrainiennes représentent entre trois et quatre millions des six millions de gens morts de faim en URSS en 1932-33. Avec des épisodes (parfois très embarrassants) comme l’Hetmanat cosaque du 17e siècle, l’émergence de la littérature ukrainienne au 19e siècle, les expériences nationalistes de 1918-1919 et de 1941-1944, la Grande Famine de 1932-1933 est un support mémoriel essentiel de l’identité ukrainienne.

Statue commémorant l’Holodomor © REUTERS – VALENTYN OGIRENKO

Pourquoi ? En raison de l’ampleur terrible d’une famine criminelle, sans aucun doute. En raison de sa négation par l’URSS durant 50 ans également. Mais aussi parce que la politique soviétique très favorable à l’identité culturelle ukrainienne entre 1917 et 1930, qui se traduisait par un effort d’enraciner (korenizacija) la langue et l’histoire ukrainiennes dans l’enseignement, prit fin brutalement dans le sillage de la famine de 1932-33.

Nombre d’intellectuels, d’enseignants et de cadres d’Ukraine furent alors victimes des purges staliniennes. Une russification intensive de toutes les sphères de la vie ukrainienne s’opéra sous Staline. Mais s’agissait-il d’un génocide ? Les historiens répondent non. Mais pas seulement eux. Et c’est là que le Parlement belge a commis une double faute en méconnaissant qu’une partie importante de la société ukrainienne elle-même conteste le caractère génocidaire de l’Holodomor et dénonce son utilisation par un ultra-nationalisme ukrainien, peu soucieux de vérité historique et porteur d’une vision ethnique de l’état.

Le Parlement belge aurait du examiner les débats qui eurent lieu en Ukraine en 2006 au sujet de l’Holodomor. Cela aurait rendu nos parlementaires plus prudents avec la sémantique, avec l’histoire et avec le sens de la responsabilité dans un processus de paix déjà si plombé par les évènements.

e 28 novembre 2006, le Parlement ukrainien votait, à la très courte majorité de 233 voix contre 217, la Loi n° 376-V reconnaissant l’Holodomor comme ‘génocide’ envers le Peuple ukrainien. Cette loi qui criminalisait toute négation du caractère génocidaire de la famine, a aussitôt suscité une profonde controverse dans la société ukrainienne, où partis de l’opposition, historiens, politologues, philosophes, journalistes de tous horizons ont pu exprimer leur désaccord sur la qualification génocidaire et leurs réticences sur l’instrumentalisation politique de la loi.

Le déroulement houleux des débats parlementaires, montre l’opposition des partis représentant surtout l’est et le sud de l’Ukraine (le Parti des Régions, le Parti Communiste) face aux partis majoritaires ‘oranges’, représentant surtout l’ouest et le centre du pays (Bloc Notre Ukraine, Bloc Youlia Tymochenko). Deux projets de loi étaient soumis : l’un présenté par le Président Viktor Iouchtchenko, l’autre par le Parti des Régions, dans l’opposition.

Le texte présidentiel était porteur d’un rejet des Ukrainiens russophones perçus comme des acculturés, sources de “pertes qualitatives du génotype national“. Les Ukrainiens ethniques qui avaient abandonné l’usage de l’ukrainien – parfois depuis le 19e siècle – ou les Russes ukrainiens, descendants des migrants vers les régions industrielles du Dombast et d’Azov et vers la Crimée, étaient pratiquement perçus comme des insultes vivantes à la tragique mémoire de l’Holodomor. La loi contredisait toutes les estimations historiques y compris celles des historiens ukrainiens, en procédant au calcul saugrenu triplant le nombre de victimes estimées. Selon la loi, après un calcul basé sur la croissance démographique moyenne de toute l’URSS des années 1930, 8 millions d’Ukrainiens auraient disparu dans les affres du crime stalinien. Les autres causes possibles de mortalité n’étaient prises en compte, aucune précision géographique n’était donnée, aucun lien n’était fait avec le processus migratoire, au sein de l’Union Soviétique ou vers l’extérieur, aucune mention des millions de morts soviétiques non-ukrainiens n’était faite. Il s’agissait clairement de faire de ‘l’ethnie ukrainienne’ l’unique victime d’un génocide.

Le nationalisme ukrainien pose question… © Emilio Morenatti / SIPA

Pour les communistes ukrainiens, le projet de loi était juridiquement incorrect et basé sur des faits historiques falsifiés. Comme le soutenait Olexandre Holoub, une telle loi empêchait la liberté d’expression, son nationalisme chauvin constituait une provocation mettant en danger la sécurité nationale. Le discours communiste ukrainien sur la Famine de 1932-1933 se caractérisait par trois accents récurrents : la négation du caractère ethnique du crime, la solidarité envers toutes ses victimes, indépendamment de leur appartenance ethnique, le refus de déclarer la famine comme une action planifiée par Moscou.

Pour le Parti des Régions, la loi mémorielle sur l’Holodomor devait éviter le terme de génocide et de facto, éviter la criminalisation de sa négation. Les régionalistes préféraient la qualification de “crimes du régime stalinien contre l’humanité“. La référence incontournable était l’O.N.U., qui reconnaissait l’Holodomor comme une tragédie nationale ukrainienne mais ne l’avait pas qualifié de génocide.

Les modifications proposées par le socialiste Olexandre Moroz calmèrent un peu le jeu au Parlement ukrainien. Dans la proposition de loi, le terme de nation (natsia) fut remplacé par celui de peuple (narod) employé en russe et en ukrainien pour désigner toutes les personnes vivant sur un territoire. La seconde modification au préambule exprima une compassion envers les autres peuples de l’ex-U.R.S.S., victimes des famines provoquées par la collectivisation forcée. C’est cette version amendée qui sera votée à une faible majorité par seulement 7 voix de plus que nécessaires : 233 voix pour et 217 abstentions et délibérément absents.

Les parlementaires et l’opinion ukrainienne étaient et sont partagés entre deux regards sur l’Holodomor. Il est consternant que le Parlement belge n’ait pas pris en compte le second regard ukrainien et se soit rangé du côté ultra-nationaliste. Cela s’appelle mettre de l’huile sur un feu qui a déjà consumé 200.000 vies humaines en un an. Il est consternant que le Parlement se soit placé dans le sillage de la proposition du Vlaams Belang, un parti qui puise ses racines dans la collaboration avec le régime nazi, auteur de la Shoah, un génocide exécuté surtout sur le territoire ukrainien d’ailleurs. Il est consternant que le Parlement n’ait pas vu, qu’en votant cette résolution, la Belgique fragilise sa position face aux négationnistes des génocides arménien ou tutsi qui auront beau jeu de nous dire que nous votons des textes contestés par la plupart des historiens et des juristes. Décidément, la première victime de la guerre est la vérité…

Sur ce, je vous laisse avec cette vision, celle de l’écocide stalinien de la mer d’Aral, autre crime. J’ai choisi cette photo car il me semble que la raison politique s’est totalement ensablée en Europe. Et avec elle, le sens des mots et le poids des morts. Ceux d’aujourd’hui.

Jean-Paul MAHOUX

Sources

      • OLHA OSTRIITCHOUK, Deux mémoires pour une identité en Ukraine Post-Soviétique (thèse de doctorat présentée à l’Université Laval, Québec, Département d’histoire, 2010) ;
      • Ukraine, renaissance d’un mythe national (actes publiés sous la direction de Georges Nivat, Vilen Horsky et Miroslav Popovitch, Institut européen de l’Université de Genève).

[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : Jean-Paul Mahoux | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Les photos qui circulent sur l’Holodomor datent souvent d’une autre famine, 10 ans plus tôt. Celle-ci est une rare trace qu’on doit à l’Autrichien Wienerberger © Alexander Wienerberger via Creative Commons ; © REUTERS – VALENTYN OGIRENKO ; © Emilio Morenatti / SIPA.

INGEVELDT, Victor alias Vico Pagano (1911-1997)

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Victor Ingeveldt est né à Liège en 1913. Saxophone ténor, clarinette, violon. Il fait des études de violon classique au Conservatoire de Liège. Au tout début des années 30, il commence à jouer dans des orchestres de brasserie, en banlieue, puis dans les bars du Pot d’Or à Liège. Il découvre le jazz et l’improvisation et se met au saxophone.

En 1933, il débute comme professionnel à l’Eden (Liège) dans l’orchestre Dalmans. Deux ans plus tard, il part pour Bruxelles et se produit dans les établissements les plus cotés (Saint-Sauveur, etc.). Entretemps, il assimile le style de Chuck Berry, puis celui de Lester Young. En 1939, il entre chez Jean Omer au Boeuf sur le Toit, où il accompagne Coleman Hawkins un peu avant son retour aux U.S.A. Dès cette époque, il est considéré comme un des meilleurs ténors belges.

Pendant la guerre, il travaille dans les principaux big bands bruxellois (Jean Omer, Fud Candrix, Robert De Kers, Eddy de Latte…) ainsi que, occasionnellement, en petite formation avec Vicky Thunus notamment, à Liège et à Bruxelles. Il grave un grand nombre de 78 tours. A la Libération, Victor lngeveldt joue dans l’orchestre Ernst Van’t Hof duquel se dégage bientôt la formation The lnternationals (avec Brinckuyzen, Moralès, De Boeck, etc.), formation qui, pendant quelques années, sera une des meilleures du pays et multipliera les concerts pour les Américains, les tournées et les enregistrements.

Par la suite, étant professionnel, il ne peut plus se consacrer au seul jazz et travaille dans la variété. Pendant les années 50 et 60, il fait partie des “Chakachas“, orchestre de variétés très connu, avec lesquels il fait le tour du monde. Il renoue avec le jazz en 1973 en entrant dans le Big Band de la BRT. A la fin des années 70, il part vivre en Italie où il s’intègre rapidement au milieu jazz local, jouant même, à presque 70 ans avec de jeunes musiciens de jazz-rock. Il revient de temps à autre en Belgique pour un gala avec le BRT Big Band. Il s’est remis à jouer prioritairement du violon.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © discogs.com


More Jazz…

GILLET, Jacques (1931-2022) & ARCHIDOC

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L’architecte liégeois Jacques Gillet est décédé le 26 décembre 2022 à l’âge de 91 ans. Avec lui, c’est un représentant marquant de l’école wallonne de l’architecture organique qui disparaît.

[d’après RTBF.BE, 3 janvier 2023] Diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Liège en 1956, Jacques GILLET (1931-2022) a remporté le Prix de Rome en 1963, l’année où un voyage aux États-Unis le familiarise avec les travaux modernistes de Frank Lloyd Wright et Louis Sullivan. Mais il n’y découvre pas que les gratte-ciel et le fonctionnalisme, ce voyage lui permet aussi de faire connaissance avec Bruce Goff et son style “organique”.

Le style de Jacques Gillet évolue avec comme année-pivot 1967, et la réalisation de la maison-sculpture de la rue Belle-Jardinière sur les hauteurs d’Angleur, demeure familiale de son frère Ivan. L’édifice aux courbes sixties est réalisé en béton projeté sur une structure métallique, avec le concours de l’ingénieur-architecte René Greisch et du sculpteur Félix Roulin.

Résultat: une sculpture habitable, une maison étonnante en plein bois, faite de voiles de béton aux nombreux plans inclinés, aux murs jamais très droits, mais où la famille avec ses quatre enfants a vécu pendant des années. Outre le béton, des ouvertures vitrées font office de fenêtres sans châssis, et la mousse de polyuréthane sert d’isolant.

Après quelques années de non-occupation, un nouveau propriétaire s’est engagé à la sauvegarder tout en lui donnant une nouvelle affectation. La maison a accueilli l’exposition Hors les murs en 2019 (reportage de RTC Télé Liège, ici).

Théoricien, Jacques Gillet a aussi enseigné. Il fut notamment professeur à l’Institut supérieur d’architecture de la Ville de Liège. L’an dernier [2022], une exposition “Jacques Gillet, architagogue du fantastique” lui a rendu hommage au Musée Wittert. Un livre est sorti à cette occasion. La Première lui a aussi consacré cette émission de Façons de voir.

Jean-François Herbecq, rtbf.be


Jacques Gillet © Adèle Renault
Jacques Gillet © Adèle Renault

[ARCHIDOC.ARCHI] Né à Liège en 1931 et diplômé architecte de l’Académie des Beaux-Arts de Liège en 1956, Jacques Gillet remporte le Prix de Rome en 1963. La même année, il se rend aux États-Unis, où il découvre les travaux de Wright et de Sullivan. C’est également lors de ce voyage initiatique qu’il rencontre Bruce Goff avec qui il partagera “l’héritage organique” et avec lequel il entretiendra une correspondance durable.

Si ses premières réalisations sont marquées par l’écriture fonctionnaliste, il change radicalement de posture dès 1967 avec la réalisation de la maison-sculpture lovée sur les hauteurs d’Angleur. Réalisée en collaboration avec l’ingénieur-architecte René Greisch et le sculpteur Félix Roulin, la maison-sculpture est une réponse radicale à la standardisation prônée par le Mouvement Moderne. “Il n’y a rien à comprendre, mais tout à sentir, subjectivement.” Ces mots résonnent dans la production de Gillet et notamment dans d’autres projets élaborés en collaboration avec Félix Roulin mais non réalisés comme la maison Lambotte, projet abandonné puis repris par Charles Dumont.

Extrait de Archidoc #06

ARCHIDOC ?

Archidoc est un projet éditorial et curatorial annuel qui naît du constat que l’histoire de l’architecture s’est longtemps limitée à étudier les grandes figures en délaissant celles qui, peut-être plus modestement, ont marqué le paysage. Outre l’exposition et le livre, Archidoc propose un film envisageant l’architecture selon une perspective biographique.

Archidoc entend également diffuser les recherches émanant de l’Université de Liège et notamment de sa faculté d’architecture. En effet, l’Université, à travers les travaux de ses étudiants, produit une connaissance pointue sur des personnalités qui par leur enseignement, leur pratique ou leur engagement sociétal ont joué un rôle fondamental dans les débats qui ont émaillé la culture de l’architecture dans la seconde moitié du XXe siècle.

Dans cette perspective, Archidoc place l’archive au centre de son propos. Il s’inscrit d’abord dans la continuité des objectifs du Groupe d’Ateliers de Recherche (GAR) visant à conserver et mettre à la disposition des chercheurs les archives d’architecture mais il souhaite également “construire de l’archive“. Archidoc se positionne comme le porte-voix d’un témoignage stimulé par le dialogue établi entre le chercheur et l’architecte. Le témoignage prend ainsi plusieurs postures. La première, objective, trace les faits, établit un inventaire. L’autre, plus sensible, repose sur l’entretien et amène l’architecte à s’interroger, se réévaluer, à accepter d’être parfois bousculé. Archidoc fournit ainsi une matière nouvelle, une archive pour des recherches ultérieures.

Dans son ambition de créer de la mémoire, Archidoc dépasse le discours scientifique en s’ouvrant à de nouveaux territoires. La création artistique, à travers notamment la photographie et le cinéma, offre un regard neuf, plus sensible et personnel, construisant un nouveau support de la mémoire.”

Aloys Beguin, Sébastien Charlier et Claudine Houbart


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : rtbf.be ; archidoc.archi | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne & Patrick Thonart | crédits illustration : la maison-sculpture du Sart-Tilman © Claude Lina


Plus d’architecture en Wallonie-Bruxelles… et dans le TOPOGUIDE !

HOUSSA, Gaston (1910-1984)

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Gaston Houssa est né à Liège en 1910 et y décédé en 1984. D’abord violoniste puis chanteur-animateur dans l’orchestre de Lucien Hirsch. Au commencement de la guerre, après le départ de Hirsch, il reprend l’orchestre en mains. Sollicité pour se produire en Allemagne, il monte une nouvelle formation, laissant à Pol Baud l’ex-orchestre Hirsch.

De retour à Liège, il travaille au Mondial avec une petite formation, la plus strictement jazz qu’il ait jamais dirigée ; soutenu notamment par l’excellent guitariste Roger Vrancken, il y apparaît comme un violoniste hot convaincant. Il monte avec Jean Evrard et Lou Dearly le fameux trio vocal Houssa avec lequel il part pour Paris à l’occasion de la semaine du Music-Hall belge en France. Il se produit au Théâtre de l’Etoile et enregistre quelques disques pour la firme Olympia.

Toujours à Paris, il fusionne son propre trio à celui de Bob Jacqmain, formant ainsi les fameuses Voix du Rythme qui graveront quelques faces avec les plus grandes formations belges (Jean Omer, Gene Dersin, etc.). Gaston Houssa travaillera en grande formation de nombreuses années, dans la tradition Hirsch/Ventura (show, sketches…) et apparaît encore à la Taverne du Palace à Bruxelles au début des années 50 avec un répertoire qui n’a plus aucun rapport avec le jazz. Il disparaît ensuite de la scène musicale.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © discogs.com


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FONTEYN, Fernand, dit Fernand Fontaine (1918 – ?)

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Né dans une famille de musiciens, Fernand Fontaine entre très tôt au Conservatoire de Liège, étudie le solfège et le violon. Ne désirant pas devenir musicien professionnel, il se dirige vers le droit et le journalisme. Mais, stimulé par le succès de son frère José, clarinettiste réputé (de l’orchestre de Stan Brenders), il réintègre le Conservatoire, où il étudie cette fois le contrepoint, l’harmonie, la fugue.

Il découvre le jazz dans les années 30, étudie la trompette, le piano et la batterie pour choisir finalement la contrebasse : il entre dans la formation de “Lud Green” (son frère en réalité), fait des tournées au littoral comme chanteur, dans les orchestres de Lucien Hirsch, David Carter, puis, au début de la guerre, dans la formation de Gaston Houssa pour qui il écrit ses premières “paraphrases”. Contrebassiste dans l’orchestre de Gene Dersin, où il restera de nombreuses années, il compose des pièces pour orchestre, et forme avec le guitariste Fernand Lovinfosse et le pianiste Marcel Debouny une rythmique efficace.

En pleine Occupation, il enregistre, en plus des disques de Dersin, quelques acétates à son nom : il s’y révèle non seulement un contrebassiste solide mais également un crooner à la voix agréable. Fontaine commence également à se faire connaître comme arrangeur pour des artistes de variété, belges et français. Après la Libération, il joue à Bruxelles avec Dersin, Léo Souris, Joe Lenski, Raoul Faisant, Robert De Kers et d’autres orchestres, comme la formation anglaise The Raggamuffins. Toujours attaché à la musique classique, il obtient la Médaille de contrebasse au Conservatoire. Admirateur de Slam Stewart, il s’attaquera plus tard au style plus moderne d’Eddie Safranski, émule de Lennie Tristano. Fernand Fontaine se consacre ensuite presque exclusivement à la musique classique et fera carrière au sein de l’Orchestre Symphonique de la RTB.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © V. LInard


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Historiciser le mal : une édition critique de Mein Kampf

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[AUSCHWITZ.BE, octobre 2022] En juillet 1925 paraît le premier volume de Mein Kampf rédigé par Adolf Hitler. Une traduction française est publiée en 1934 par les Nouvelles Éditions Latines, un éditeur proche de l’Action française. En Allemagne, le livre est interdit de réédition dès 1945 et ses droits sont octroyés au ministère bavarois des Finances. À l’échéance de la propriété intellectuelle en janvier 2016, il tombe dans le domaine public. Au même moment, sort en Allemagne une édition critique en deux volumes de près de 2 000 pages : Hitler, Mein Kampf: Eine kritische Edition sous la direction de Christian Hartmann, chercheur à l’Institut für Zeitgeschichte de Munich.

En juin 2021, sort aux éditions Fayard : Historiciser le mal. Une édition critique de Mein Kampf, fruit du travail minutieux et rigoureux d’une douzaine de chercheurs français et allemands, historiens ou germanistes spécialistes du national-socialisme. Florent Brayard, historien du nazisme et de la Shoah, directeur de recherche au CNRS, et Andreas Wirsching, directeur de l’Institut für Zeitgeschichte de Munich, ont dirigé cette édition critique d’un millier de pages. La traduction a, quant à elle, été confiée à Olivier Mannoni.

Florent Brayard, ainsi que Marie-Bénédicte Vincent, professeure à l’Université de Franche-Comté, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne contemporaine, et Olivier Baisez, maître de conférences en études germaniques à l’Université Paris 8, ont participé à son élaboration.

Pouvez-vous nous parler de la genèse de ce projet considérable ?

Florent Brayard : Tout part du constat qu’un certain nombre d’institutions et d’historiens, en France, en Allemagne et ailleurs en Europe, ont fait à partir de 2010 : Mein Kampf allait tomber dans le domaine public dans quelques brèves années, en janvier 2016. Cela signifiait qu’il allait être enfin possible de proposer une édition critique intégrale de l’ouvrage de Hitler. Jusqu’alors en effet, le ministère bavarois des Finances, dépositaire des droits du dictateur nazi, avait refusé toute nouvelle édition, même scientifique. L’Institut für Zeitgeschichte de Munich, qui a une grande expérience en termes de publication de sources historiques, y compris de l’époque nazie, s’est engouffré dans la brèche en constituant une équipe permanente de quatre historiens, appuyée par un réseau d’experts. Quatre années de travail intensif leur ont été nécessaires, mais ils ont tenu leur pari et ont publié leur impressionnante édition critique à la date prévue, en janvier 2016.

Du côté français, c’est une vénérable maison d’édition, Fayard, qui a lancé le projet en commandant une nouvelle traduction intégrale à Olivier Mannoni et en réunissant une première équipe d’historiens. Le dispositif scientifique et éditorial a été totalement repensé en 2015 et l’équipe s’est trouvée considérablement élargie, jusqu’à compter une dizaine de chercheurs et enseignants-chercheurs. À partir de là, il nous a fallu plus de cinq ans pour mener à bien notre projet : notre ouvrage est paru en juin 2021. Entretemps, d’autres éditions critiques, plus ou moins savantes ou satisfaisantes, ont paru en Italie, aux Pays-Bas ou en Pologne. Il s’agit ainsi
d’une tendance lourde dont il est à prévoir qu’elle va se poursuivre dans d’autres grandes langues. Un siècle après la sortie de l’ouvrage, il n’est plus possible de se contenter d’éditions non scientifiques : Mein Kampf est une source majeure pour la compréhension du XXe siècle et doit être traité en conséquence. Mais il s’agit également d’un livre compliqué qui nécessite de nombreuses explications pour être compris, c’est-à-dire déconstruit. D’où la nécessité d’une édition critique.

Qu’est-ce qui distingue l’édition française “Historiciser le mal” de l’édition allemande “Hitler, Mein Kampf: Eine kritische Edition” ?

Marie-Bénédicte Vincent : Le projet est à la fois parent et différent. Parent au sens où ces ouvrages comportent tous deux un établissement scientifique du texte (à travers la traduction, dans le cas français), un ensemble de notes infrapaginales très développé permettant de contextualiser et critiquer ce texte et, enfin, une bibliographie à jour sur les sujets divers et variés abordés par Hitler.

Différent au sens où l’édition française, en un volume, adapte les notes rédigées par les collègues allemands pour leur édition en deux volumes en réduisant leur longueur et en les reformulant à l’intention d’un public francophone, mais moins spécialisé : côté français, les spécialistes ont d’ores et déjà la possibilité de se reporter à l’édition allemande. La très riche
bibliographie a de même été complètement retravaillée ; la très grande majorité de nos lecteurs ne lisant pas l’allemand, cela n’aurait eu aucun sens de les renvoyer à des ouvrages ou des articles dans cette langue. On a donc cherché des références bibliographiques en français aussi souvent que possible, ou en anglais.

Dernière différence majeure : notre édition comporte non seulement une introduction générale très développée, mais aussi une introduction fournie pour chacun des vingt-sept chapitres. Ce choix n’était pas évident au départ, en raison de l’importance du travail supplémentaire à fournir, mais il nous a semblé que c’était faire preuve de responsabilité que de guider le lectorat francophone dans la contextualisation et l’analyse critique du texte hitlérien. La parenté entre ces deux éditions explique que l’ouvrage soit dirigé non seulement par le coordinateur français, Florent Brayard, mais aussi par Andreas Wirsching, le directeur de l’institut de Munich qui a élaboré l’édition allemande. En ce sens, on peut véritablement parler d’un « transfert culturel » au sens précis donné à ce concept : il y a eu tout à la fois exportation ET adaptation.

Quelles différences fondamentales la traduction d’Olivier Mannoni offre-t-elle par rapport à celle de 1934 ?

Olivier Baisez : L’approche est radicalement différente. En 1934, il s’agissait de rendre accessible au public français le programme politique du nouveau dirigeant d’une puissance voisine et traditionnellement hostile. L’éditeur Fernand Sorlot, lui-même fasciste et farouchement nationaliste, considérait l’idéologie de Hitler avec un mélange de sympathie fascinée, mais aussi d’inquiétude quant à ce qui, dans ce programme, concernait la France. Les deux traducteurs, André Calmettes et Jean Godefroy-Demombynes, avaient donc entre les mains un document d’actualité, un texte du présent jugé éclairant pour l’avenir, et ils ont travaillé dans une certaine précipitation. Notre projet était tout autre : nous étions en présence
d’un texte du passé qui est aussi une source historique majeure. Dégagés des enjeux de l’actualité, nous avons décidé d’en fournir une version française aussi exhaustive et exacte que possible, dans une démarche « sourciste », au plus près donc de la source, du texte original.

Le caractère redondant, souvent maladroit, du livre de Hitler a donc été conservé. Par rapport à la traduction de 1934, il se trouve même accentué, puisque nous avons renoncé à toutes les recettes traditionnelles d’amélioration du texte et aux règles du bien-écrire à la française. Dans notre version, les répétitions sont conservées ; aucune phrase trop longue n’est scindée en deux ou en trois ; les problèmes de syntaxe ne sont pas gommés et les niveaux de langue sont respectés. Notre traduction est aussi plus systématique, puisque nous nous sommes efforcés d’harmoniser le rendu de certains concepts idéologiques nazis qui ont ultérieurement joué un rôle important. En ce sens, notre travail sur la traduction était pleinement informé de l’histoire du IIIe Reich, ce qui ne pouvait évidemment pas être le cas pour les contemporains.

Mais il y a une autre singularité : la traduction de 2021 est le résultat d’un effort collectif, même si – et c’est bien normal – c’est Olivier Mannoni qui la signe. Notre équipe scientifique a relu, mot à mot, ligne à ligne, la traduction volontairement inélégante qu’il a produite en la comparant avec l’original allemand, mais aussi avec la traduction française de 1934 et même avec une traduction anglaise publiée en 1939. De nombreuses modifications ont été suggérées, allant presque toujours dans le sens d’une littéralité maximale. Olivier Mannoni a accepté de voir son travail décortiqué par l’équipe, puis de partager avec elle la décision finale sur certains points de traduction particulièrement délicats : il faut vraiment l’en remercier. Cette dimension collective et coopérative de la traduction proposée est vraiment unique et cela a constitué une expérience extraordinairement enrichissante.

Ce livre ne s’adresse-t-il qu’à un public averti ?

Marie-Bénédicte Vincent : Nous sommes partis du principe que peu de gens  allaient lire intégralement Mein Kampf ; le texte est d’une grande densité, son contenu très souvent nauséeux et son style particulièrement rebutant par endroits. Il fallait donc fournir aux lecteurs différentes portes d’entrée et leur apporter un ensemble très conséquent d’informations et d’analyses, susceptibles de se substituer au texte lui-même. D’où l’importance de l’appareil critique qui, composé dans un caractère différent, encadre, enserre littéralement la prose hitlérienne. D’où également les introductions qui fournissent aux lecteurs des armes intellectuelles pour aborder le texte de manière critique et leur proposent aussi un résumé leur permettant d’identifier les passages susceptibles de les intéresser. Même les différents index sont conçus pour frayer dans le texte en fonction de ses intérêts propres. Nous visons ainsi une lecture de consultation et donc un public spécifique : des enseignants, bien sûr, ou des étudiants souhaitant approfondir certaines thématiques, mais aussi des lecteurs cherchant, par exemple, des éclairages scientifiques sur l’idéologie nazie. Au final, on lira cette édition au moins autant pour l’appareil critique que pour la traduction de l’ouvrage de Hitler !

L’ouvrage n’a pas été distribué en librairie suivant les modalités habituelles : il ne peut s’acquérir que sur commande. Quelle en est la raison ?

Olivier Baisez : Sophie de Closets et Sophie Hogg, respectivement PDG et directrice éditoriale de Fayard, souhaitaient montrer qu’il ne s’agissait pas d’une opération commerciale classique. D’habitude, l’éditeur recherche une exposition maximale de son « produit » pour générer le plus possible de ventes. Mettre Mein Kampf trop en avant, c’était cependant risquer de heurter la sensibilité de certains publics, mais aussi de se voir reprocher de contribuer encore plus à la diffusion d’un ouvrage déjà très facilement disponible en version non critique, en particulier sur le web. En privilégiant la commande, on subordonne l’achat à une démarche active et réfléchie de l’acquéreur et on met en valeur le rôle de conseil du libraire, dont on ne soulignera jamais assez l’importance. Ainsi, puisqu’il n’est pas physiquement présent en librairie, ni a fortiori en vitrine ou sous forme de pile, personne ne se trouve confronté au livre de Hitler par hasard, sans l’avoir décidé par soi-même.

Fayard a déclaré que les bénéfices des ventes seront reversés intégralement à la Fondation Auschwitz-Birkenau. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?

Olivier Baisez : Ni Fayard ni les membres de l’équipe scientifique ne souhaitaient faire de cette publication une opération lucrative. Pour autant, c’est une opération commerciale : l’ouvrage est vendu, ce qui permet à l’éditeur de rembourser les frais très importants engagés pour mener à bien ce projet de longue haleine, techniquement complexe, et de supporter les coûts de fabrication. Mais il n’est pas question de gagner de l’argent. Les droits et bénéfices vont donc être reversés à une institution œuvrant à la préservation de la mémoire de la Shoah, en l’occurrence la Fondation Auschwitz-Birkenau qui assure le financement des travaux de conservation des vestiges de ce camp de concentration et centre d’extermination en veillant à préserver leur authenticité. C’est une sorte de paradoxe, dont on ne sait s’il est ironique ou vertueux : les recettes générées par la commercialisation du livre de Hitler contribuent à maintenir intact le site sur lequel ont été commis ses pires crimes.

Dans la grande majorité, les historiens sont favorables à cette publication. Certaines voix se sont cependant élevées déclarant que sa lecture pourrait encourager l’hitlérocentrisme. Que leur répondez-vous ?

Marie-Bénédicte Vincent : L’historiographie du nazisme est en constante évolution. Pour simplifier, on peut dire que les recherches historiques se sont, dans un premier temps, centrées sur les plus hauts dirigeants du régime nazi, à commencer par Hitler, dont les « intentions » ont été scrutées pour comprendre en quoi elles avaient dicté l’évolution de sa dictature. Dans les années 1960, dans le sillage de l’histoire sociale, un nouveau courant de recherche a attiré l’attention sur les « structures » du régime nazi : parti, bureaucratie, armée, grandes organisations. Il s’agissait alors de décentrer le regard vers d’autres facteurs d’évolution et de transformation du régime. Depuis les années 1990, le déploiement de l’histoire culturelle a mis l’accent sur les représentations en circulation à l’époque et sur leur rôle dans l’émergence d’hommes nouveaux, endoctrinés et fanatiques et donc capables de commettre le pire. La recherche sur les « bourreaux », actuellement très dynamique, se situe dans cette continuité. C’est pourquoi se pencher à nouveaux frais sur le manifeste idéologique hitlérien a du sens : ce n’est nullement régresser vers la première phase – de fait dépassée – de l’historiographie, mais au contraire approfondir notre compréhension des processus de radicalisation des masses sous le nazisme.

Serait-il opportun que d’autres livres de cette période fassent à leur tour l’objet d’une édition critique ?

Florent Brayard : Deux questions se posent, en réalité, qui sont de nature différente. D’abord, nous devons nous demander collectivement s’il est nécessaire de republier toutes les sources nazies, fascistes ou collaborationnistes : a-t-on vraiment besoin de remettre en circulation cette littérature infâme ? Pour Mein Kampf, la question ne se posait pas en ces termes : le livre n’a jamais cessé d’être distribué en France depuis 1934 et il est plus facile que jamais de s’en procurer une version électronique sur internet ; nous devions donc en proposer une édition critique. Mais, pour les autres livres, très franchement, il faut s’interroger au cas par cas.

Une fois que la décision est prise, alors se pose une deuxième question, celle de la forme de cette republication. Et ici, on peut espérer que notre travail ait fixé un standard particulièrement élevé pour les publications futures. Ce sera en particulier le cas pour les pamphlets de Louis-Ferdinand Céline : ils tomberont dans le domaine public dans une dizaine d’années et on voit mal, en raison de la célébrité de leur auteur, pourquoi ils ne seraient pas republiés. Mais l’éditeur qui prendra cette responsabilité devra aussi respecter, sauf à ternir durablement sa réputation, un cahier des charges sévère : composer une équipe scientifique de premier plan, respecter son indépendance et lui donner les moyens de travailler et, enfin, renoncer à tirer le moindre bénéfice financier de la publication de ces ouvrages qui, par la violence extrême de leur antisémitisme, n’ont pas grand-chose à envier à Mein Kampf.

Entretien avec Marie-Bénédicte Vincent, Florent Brayard et Olivier Baisez, par Nathalie Peeters, Mémoire d’Auschwitz ASBL


“Depuis 2003, l’action de l’ASBL Mémoire d’Auschwitz s’inscrit dans le champ de l’Éducation permanente. À travers des analyses et des études, l’objectif est de favoriser et de développer une prise de conscience et une connaissance critique de la Shoah, de la transmission de la mémoire et de l’ensemble des crimes de masse et génocides commis par des régimes autoritaires. Par ce biais, nous visons, entre autres, à contrer les discours antisémites, racistes et négationnistes. Persuadés que la multiplicité des points de vue favorise l’esprit critique et renforce le débat d’idées indispensable à toute démocratie, nous publions également des analyses d’auteurs extérieurs à l’ASBL.”

Auschwitz-Birkenau

“Historiciser le mal, une édition critique de Mein Kampf”, le livre d’Hitler, republié : “C’est essentiel de le remettre à la bonne distance, de le rendre accessible”

[RTBF.BE, 2 JUIN 2021] Mein Kampf, le brûlot d’Adolf Hitler, est republié aujourd’hui par la maison d’édition Fayard dans une version contextualisée et retitrée, Historiciser le mal, une édition critique de Mein Kampf. Les notes et les critiques représentent deux tiers de l’ouvrage. Il aura fallu dix ans de recherches pour élaborer ce livre. Chantal Kesteloot, historienne et responsable de l’histoire publique au Cegesoma, les archives de l’État, était invitée ce mercredi matin sur La Première.

Ce n’est pas la première fois que Mein Kampf est édité en français. Le livre est dans le domaine public.

Oui, il y a eu une première traduction en 1934 des Éditions Latines. La Belgique, par exemple, ne l’a jamais formellement interdit, donc on le trouvait, non pas en tête de gondole, mais de manière discrète ou dans les bouquineries. Il continuait donc d’exister, les Éditions Latines continuaient de vendre quelques centaines d’exemplaires chaque année.

Qu’est-ce que cet ouvrage qui sort aujourd’hui amène en plus ? Pourquoi est-il si important ?

Je crois qu’il fait toute la différence. Là où les Éditions Latines se sont  contentées d’une traduction, qui est apparemment aussi contestable par certains aspects, ici, on a toutes une remise en contexte. Historiciser le mal, c’est au fond reprendre ce document et le confronter aux éléments de recherche historique. On a donc une introduction substantielle et on a des notes d’identification qui sont intégrées dans le corps même du texte. Ce ne sont pas des notes renvoyées en fin de volume, comme c’est le cas dans l’édition allemande, mais dans l’édition française, elles sont véritablement au cœur de la page. Chacun des 27 chapitres est précédé d’une introduction, donc on a véritablement les outils pour décoder cet ouvrage.

Chantal Kesteloot (CEGESOMA) au micro de la RTBF © rtbf.be
Est-ce que c’est un texte qui peut encore servir aujourd’hui aux extrémistes ?

C’est quand même un texte très daté qui représente l’ultranationalisme, le pangermanisme, l’antisémitisme tel qu’on l’exprimait en Allemagne dans les années 20, avec toute la radicalité. Ce ne sont pas des éléments neufs, mais je dirais que le discours d’Hitler y apporte une radicalité héritée de la Première Guerre mondiale. Alors, bien évidemment, ça peut toujours servir. On sait que dans le monde arabe, ce livre est encore utilisé. On le trouve de manière relativement facile sur Internet, il n’y a aucun problème d’accès, donc il est essentiel aujourd’hui qu’on puisse continuer à se le procurer, mais dans une édition qui permette justement cette lecture critique.

Mettre uniquement le focus sur cet ouvrage ou sur la personnalité d’Hitler ne permet pas de comprendre le nazisme dans son ensemble

On trouve déjà tout en germe dans ce texte d’Adolf Hitler de ce qui va se passer par la suite, la guerre et le génocide des Juifs ?

Le génocide comme tel, non. C’est une réflexion qu’il se fait alors qu’il est détenu en 1924-1925. C’est donc l’état de sa pensée, son antisémitisme virulent, son pangermanisme, son rejet du diktat de Versailles, qui annonce effectivement ce revanchisme allemand. Je dirais que le nazisme ne se comprend pas uniquement sur base de la lecture de Mein Kampf, il y a toute une évolution qui va se faire. Et donc, au fond, mettre uniquement le focus sur cet ouvrage ou sur la personnalité d’Hitler ne permet pas de comprendre le nazisme dans son ensemble, ni son évolution, ni sa radicalisation à travers la Seconde Guerre mondiale.

Le belge Léon Degrelle (1906-1994), fondateur du mouvement rexiste pro-nazi
Est-ce que c’est un livre qui a eu du succès lors de sa sortie ?

Lors de sa sortie, le succès est relativement modeste. Mais avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, parce que là on va en faire un instrument de propagande et on va l’offrir à tous les foyers allemands qui se marient. On estime qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu un tirage de 12,5 millions, ce qui a d’ailleurs considérablement enrichi Hitler qui avait conservé les droits d’auteur. Est-ce que les gens l’ont lu ? Ça, c’est une autre question. Mais ça a effectivement été un succès. Il a été interdit en Allemagne à partir de 1945, et donc en 2016, les droits retombaient dans le domaine public, ce qui a amené des historiens allemands à une première édition critique, édition critique qui a également servi pour cette nouvelle publication en langue française.

Churchill, de Gaulle l’ont lu

En quoi ce livre est-il si symbolique par rapport aux autres ? Parce qu’il y a eu d’autres livres écrits par d’autres dignitaires nazis, notamment par Joseph Goebbels.

Il attire tant l’attention d’abord parce que c’est un livre écrit avant. On peut donc dire qu’on a une espèce de catalogue d’intentions. Hitler, à ce moment-là, est quelqu’un de relativement inconnu. Le livre paraît, et on sait à ce moment-là qu’il a circulé, que certains l’ont lu, et on sait que des gens comme Churchill, de Gaulle, qui sont des personnalités importantes pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, l’ont lu également. C’est en quelque sorte la bible du nazisme. Donc, à ce titre, évidemment, à partir du moment où le nazisme a à ce point bouleversé l’histoire de l’Europe au XXe siècle, c’est un ouvrage fondamental. Le fait qu’il ait été interdit lui a aussi donné un parfum de scandale. C’est un ouvrage auquel on n’avait plus accès selon les voies officielles, même si, je le répète, en Belgique, pas d’interdiction formelle, interdiction d’en faire la promotion.

Le fait d’avoir interdit cet ouvrage, ça l’a renforcé ?

Je crois que le fait de l’avoir interdit a fait naître toute une série de parfums de légende, de même que l’idée de savoir si Hitler s’est véritablement suicidé. On a là toute une série d’éléments qui ont entraîné des fake news relatives à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Hitler disparu dans des circonstances mystérieuses, comment l’Allemagne a à ce point pu s’effondrer, et cette bible du nazisme devenue inaccessible… Tout ça sont des éléments qui ont pu contribuer à certains mythes. Et ce mythe, effectivement, nourrissait cette curiosité un peu malsaine par rapport à cet ouvrage.

Selon vous, il ne faut pas faire tomber ce livre dans l’oubli, comme certains voudraient le faire ?

Je crois que c’est essentiel. C’est essentiel de le remettre à la bonne distance, de le rendre accessible. D’ailleurs, les éditions Fayard ont annoncé que les bibliothèques pourraient se le procurer gratuitement. Il ne sera pas disponible en librairie, mais uniquement sur commande. Donc, il y a une espèce de non-commercialisation de l’événement qui a été organisé par les éditions Fayard. Mais je crois qu’on a là quelque chose de tout à fait fondamental, un outil critique de réflexion. Ce texte continue d’être important pour comprendre la genèse du nazisme. Il n’est pas le seul à devoir être utilisé, il ne permet pas la compréhension totale du phénomène, mais il n’en demeure pas moins qu’il reste un des outils fondamentaux pour comprendre la pensée d’Hitler en 1924-1925 et voir comment celle-ci va évoluer durant les 20 années jusqu’à sa mort en 1945.

Même le prix est dissuasif.

Absolument, le prix est de 100 euros. Mais ce qui est aussi intéressant, c’est de se dire que les bénéfices générés par la vente seront versés à la Fondation Auschwitz-Birkenau, qui permet l’entretien du camp de concentration et d’extermination qu’a été Auschwitz. Donc, je crois que les éditions Fayard ont pris tous les garde-fous. Ce qui est intéressant, c’est qu’en 1938, les éditions Fayard avaient déjà une première fois publié Mein Kampf, et là à l’initiative des autorités allemandes, dans une version spécialement destinée au public français et qui avait été quelque peu expurgée des prises de position très antifrançaise.

Interview de Chantal Kesteloot par la rédaction de la rtbf.be


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition et iconographie | sources : auschwitz.be ; rtbf.be | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête © Fayard ; © rtbf.be.


Savoir-traduire en Wallonie et à Bruxelles…

FISSETTE, Nicolas (1928-2009)

Temps de lecture : 2 minutes >

Nicolas Fissette reçoit une formation classique au Conservatoire de Liège, mais découvre Louis Armstrong et Mugsy Spanier et se met au jazz. A la Libération, il joue dans le Hot Club de Wallonie puis, en 1946, entre dans la grande formation d’Armand Gramme, à Liège. Il rencontre Raoul Faisant qui le conforte dans sa volonté d’entamer une carrière de musicien professionnel. Un peu plus tard, il découvre Gillespie et le be-bop. Il est fasciné.

René Thomas, Jacques Pelzer et Nicolas Fissette (vers 1949) © Alex Scorier – cheratte.net

A Bruxelles, pendant son service militaire, il joue avec Jack Sels, puis de retour à Liège, se joint au noyau des modernes (Thomas, Pelzer, Boland) et participe en 1950 aux fameuses jams de la Laiterie d’Embourg. Professionnel dès 1952, Nicolas Pissette joue une musique moins aventureuse dans les formations de Roland Thyssen, Vicky Thunus, Eddie de Latte, etc. Il s’installe à Bruxelles en 1960. De 1962 à 1965, il est soliste dans le Big Band de la RTB puis, à partir de 1967, dans celui de la BRT.

Il s’est toujours réservé, parallèlement à son activité professionnelle, des “pauses-jazz” : il apparaît ainsi dans de nombreux festivals (Bilzen, Comblain, Gouvy, Middelheim, Vielsalm) et dans les clubs de jazz, se produit à plusieurs reprises dans des “trumpet-battles” où il côtoie notamment Jon Eardley, Clark Terry, Idrees Sulieman, Dusko Goykovic, Benny Bailey, Wallace Davenport, etc. Il participe aux concerts de l’UER (Union Européenne de Radiodiffusion) et joue dans quelques formations clés des années 70 – 80 (l ‘Act Big Band de Félix Simtaine, le groupe de jazz-rock Placebo (Marc Moulin), et les Bop Friends aux côtés d’Etienne Verschueren et du trio Vanhaverbeke, etc.).

En 1989, il joue régulièrement en quintette avec son compagnon des débuts le saxophoniste Christian Vanspauwen et avec Tony Bauwens, Sal La Rocca  et le batteur Mathieu Coura. Il est considéré comme un soliste de premier plan.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © discogs.com


More Jazz in Wallonia and Brussels…

CREHAY, Jules (1858-1934) : pièces de théâtre en wallon

Temps de lecture : 9 minutes >

Membre d’une illustre dynastie spadoise d’artistes et d’artisans, Jules Crehay demeure cependant fort peu connu. Troisième fils de Gérard-Jonas Crehay (les deux premiers étant Gérard-Antoine et Georges, le quatrième Maurice), il n’atteint pas la renommée de son père ni de ses frères aînés. Né à Spa, le 9 décembre 1858, sa biographie reste lacunaire ; on sait qu’il a été élève de l’Ecole de Dessin (cours supérieur et cours d’application), mais on ignore en quelle année. Artiste peintre et publiciste, il a également été secrétaire du Casino.

Le 27 mai 1884, il épouse Marie-Antoinette Baudinet dont il aura deux enfants : Marcel (1884) et Jules Marius (1888). En 1914, lors du séjour à Spa du Kronprinz, les Allemands exigent des otages afin de garantir sa sécurité. Ceux-ci sont tirés au sort, deux par deux et pour une durée de vingt-quatre heures. Jules Crehay fait partie du lot. Tout au long de sa vie, il se partagera entre ses deux passions: la peinture et l’écriture. Il meurt à Spa, le 24 mai 1934, à l’âge de septante-cinq ans.

Son œuvre picturale reste à découvrir : le Musée de la Ville d’Eaux ne possède aucun tableau de sa main. Sans doute un certain nombre d’oeuvres est-il resté dans la famille ; de plus, en ce qui concerne la décoration des Bois de Spa, les boîtes ne sont généralement pas signées. Dans le domaine de l’écriture, Jules Crehay publie en 1889, dans L’Avenir de Spa, un article intitulé “De l’organisation des Ecoles de Dessin et de Peinture au point de vue des industries locales”.  Il y critique de manière assez virulente l’enseignement artistique prodigué alors à Spa, lui reprochant notamment de ne pas répondre aux besoins de l’artisanat local et d’avoir des visées trop artistiques. Il s’exprime en ces termes: “Il (l’enseignement) ne doit pas vouloir faire des artistes, mais bien de bons dessinateurs ; l’enseignement aura atteint le summum de ce qu’il doit donner, s’il forme, de plus, d’habiles coloristes pour l’industrie spéciale des ouvrages de Spa.”

Jules Crehay, “Vue de Spa depuis le chemin Henrotte”

Mais c’est l’œuvre de Jules Crehay, auteur wallon, qui, en définitive, a le mieux assuré sa postérité. En fait, il existait un précédent, en matière de théâtre dialectal, dans la famille Crehay. En effet, Albin Body rapporte que, durant l’hiver 1865-1866, une société s’était formée “A l’effet de représenter les chefs-d’œuvre dramatiques écrits dans notre pittoresque patois.” Cette société a joué pendant trois hivers, soit jusqu’en 1868, et recruté de nouveaux membres avant d’aborder le répertoire français. Parmi ceux-ci, un Crehay, sans aucune précision de la part d’Albin Body. Il ne peut évidemment s’agir de Jules, alors âgé d’à peine dix ans, mais le fait que l’on retrouve dans cette société trois membres de la famille Istace à laquelle Gérard-Antoine (né en 1844) s’est justement allié en 1866 pourrait laisser supposer qu’il s’agit de ce dernier.

Quoi qu’il en soit, deux pièces de Jules Crehay sont parvenues jusqu’à nous et sont conservées à Liège, à la Bibliothèque des dialectes de Wallonie. Il s’agit de On mais’cop d’fier (non daté) et de On mariège èmakralé (1891). Publiée à Spa, par l’imprimerie Engel-Lievens, On mais’cop d’fier n’est donc pas datée. Le fait qu’Albin Body ne la mentionne pas dans Le Théâtre et la Musique à Spa peut donner à penser qu’elle est postérieure à la date de l’achèvement de cet ouvrage, soit 1884 (publication de 1885). D’autre part, la pièce est plus courte, moins achevée que On mariège èmakralé ce qui peut passer pour caractéristique d’une œuvre de jeunesse et la daterait des alentours de 1885-1890.

“Comèdèe en ine acte avou des tchants”, On mais’cop d’fier compte six personnages: Bietmé (Barthélemy), le chapelier (“tchaplî”) ; Marèe, sa femme ; Houbert, le frère de Marèe ; Hinri, le locataire de Bietmé ; un agent de police et un touriste anglais. Houbert vient rendre visite à son beau-frère, Bietmé, afin qu’il “donne on cop d’fier” à son chapeau qui n’est plus très présentable (il doit se rendre à un baptême). Bietmé, comme à son habitude, remet à plus tard son travail pour se rendre au café. Marèe le lui reproche, mais il prétend y traiter des affaires: “J’y vind ciet’pus d’tchepais ki ji beus’du verres !” Après le départ de Bietmé, son locataire, Henri, reste seul dans le magasin. Arrive un Anglais avec lequel il a justement eu maille à partir peu de temps auparavant et dont il a écrasé le chapeau d’un coup de poing. Henri s’éclipse, l’Anglais entre dans la boutique, s’étonne de n’y voir personne, découvre le chapeau de Houbert qu’il trouve à son goût ; il l’emporte et abandonne le sien, se promettant de revenir payer plus tard.

De retour du café, Bietmé s’étonne de l’état de ce qu’il croit être le chapeau de Houbert: “On cop d’fier a ine parêe klikotte ! Ca sereut piette su timps ! Ottant voleure rustinde li sofflet d’ine armonika !” Entre un agent qui demande à Bietmé où se trouve le propriétaire du chapeau car il est accusé d’avoir assassiné sa femme et d’avoir caché son corps dans une malle. Bietmé est consterné, croyant qu’il s’agit de Houbert. Marèe revient, après le départ de l’agent, et Bietmé ne sait comment lui annoncer que son frère est un meurtrier. Elle fond en larmes tandis qu’apparaît justement Houbert. S’ensuit un quiproquo émaillé de jeux de mots: Bietmé : “Allons, fré ! …ni blangans nin ! … vos esté d’couvrou !” Houbert : “Awet ! Jè l’sé. C’est bin po çoulà ki j’vins r’kwéri m’tchapai !” Tout s’arrange lorsque l’agent confesse s’être trompé : il n’y a pas eu de meurtre, la femme trouvée dans une malle était une attraction foraine. Bietmé s’étonne alors auprès de Houbert de l’état de sa buse, Houbert découvre qu’il ne s’agit pas de la sienne. Arrive l’Anglais qui vient payer son chapeau. Après quelques discussions, Houbert finit par récupérer le sien et part au baptême tandis que Bietmé va fêter cela au café. On le voit, l’ensemble est fort pauvre, souvent cousu de fil blanc et dépasse rarement le niveau des spectacles de patronage.

Gérard Jonas Crehay, “Ferme à Berinzenne”

On mariège èmakralé est, en revanche, plus dense et plus intéressante : “Comèdeie ès treus ack, avou dè chant, da M. J.Crehay. Riprésintèe po l’prîmi co à Spa li 31 dès meu d’Mâss’ 1891, par li Section dramatique dê Cerk artistique ès littéraire di Spa”, l’œuvre a été publiée la même année, à Liège, par l’imprimerie Camille Couchant. Mieux écrite, mieux construite, la pièce présente également des personnages à la psychologie mieux définie qui constituent des charges assez réussies. En outre, elle fait intervenir un élément des croyances locales: les macrales et leur ennemi, le “macrê r’crêyou” ou “r’crêyou macrê”, c’est-à-dire le sorcier repenti, spécialiste du désenvoûtement. Le décor est planté par Jules Crehay dans un village d’Ardenne, en voici les acteurs : Colas, le fermier (“sincî”) ; Houbert, son fils ; Rokèe (Jules Crehay attribue à son personnage, qui ne dédaigne pas la bouteille, un nom désignant une petite mesure de genièvre – une rokèye), le “ricrèou makrai” ; Madame Picolet, bourgeoise de Liège, au sujet de laquelle Jules Crehay précise que “ce rôle doit être tenu par un homme” ; Ludwige, sa fille ; Trinette, la servante de la ferme.

Colas accourt, au lever de rideau, effrayé et en colère. Il appelle Houbert et Trinette pour leur annoncer que la “makrale” lui a encore volé six œufs. Elle s’était déjà manifestée à son encontre, la veille. Trinette propose à Colas de marier son fils pour conjurer le mauvais sort: “Ki n’marièf’ Houbert ? Vos savez k’tant k’Houbert serè jône homme les makrales habit’ront l’since…” En fait, Trinette et Houbert se marieraient volontiers, mais Colas voit d’un mauvais œil son fils, héritier de la ferme, épouser une fille sans dot. Il compte plutôt sur Rokèe pour maîtriser la “makrale”.

En effet, il attend la visite d’une amie d’enfance, Madame Picolet, à qui son époux, en mourant, a légué une belle fortune et qui a une fille de l’âge de Houbert. Appelé par Trinette, Rokèe vient proposer ses services et part à la chasse aux “makrales” avec Colas. Après leur départ, Trinette confesse au public que c’est elle qui fait la “makrale” : elle vole les oeufs et les donne à Rokèe ; en échange, celui-ci soutient à Colas que le seul moyen d’en finir est de marier Houbert. L’arrivée de Madame Picolet risque de compromettre son plan, mais Trinette n’est pas disposée à se laisser faire.

De· retour, Colas explique à Houbert ses projets de mariage le concernant, puis il part à la rencontre de la diligence venant de Liège et revient avec Madame Picolet et sa fille, Ludwige. Celle-ci est le seul personnage de la pièce à s’exprimer en français, ainsi que le fait remarquer Colas :  “Elle jas, Mme Picolet, comme ine avocat, voss’demoiselle. Ji sèreus kasi bin honteux dè springlé noss’ vix patwet po l responte !” Mme Picolet: “Awet, Colas, elle ni pous s’habituer à jaser l’wallon. I fât l’excuser. Es d’ine ôte costé, c’est meyeu po ses cours…” Colas est abasourdi d’apprendre qu’elle étudie la médecine à l’Université (“Est-ce qui les feumes fiè l’docteur astheur !”) et fait remarquer qu’il doit être bien agréable de se faire soigner à Liège.

Trinette entre dans la pièce, sous un faux prétexte, pour voir les nouvelles arrivantes. Ludwige l’interroge et la traite avec condescendance. Trinette se met en valeur, rabaissant Colas et Houbert, avant de dévoiler l’existence de la “makrale” : espérant effrayer les visiteuses. Au contraire, Ludwige s’en réjouit (“Oh ! délicieux ! adorable ! la naïveté villageoise existe donc encore ?”). Elle demande plus de détails à Trinette qui l’invite à questionner Houbert. Ce dernier arrive précisément avec son père. Colas présente les jeunes gens l’un à l’autre et, sous prétexte de faire visiter la ferme à Madame Picolet, les laisse seuls. Houbert entreprend sa cour et, impressionné, essaye de parler français, mélangeant pitoyablement les deux langues : “Ma foi jè troufe què vous avez un trop malahî nom à dire.”

Trinette entr’ouvre la porte pour les observer et entend Houbert déclarer sa flamme à Ludwige qui joue le jeu. Trinette est bien décidée à se venger ; sur ces entrefaites, Colas et Madame Picolet reviennent. Ludwige supplie Colas de lui raconter l’histoire de la “makrale”. Embêté, celui-ci promet de le faire durant le souper. Les deux invitées regagnent leur chambre pour se préparer à une promenade. A sept heures et demie du soir, Trinette a dressé la table pour le souper, mais les promeneurs ne sont pas encore revenus. Elle en profite pour échafauder un plan avec Rokèe, destiné à faire fuir les intruses.

Durant le repas, Trinette cherche à dégoûter les deux femmes, tandis que Rokèe, légèrement éméché, jette de l’huile sur le feu. Les invitées se retirent dans leur chambre. Rokèe fait alors observer à Colas que l’on est la nuit du jeudi au vendredi (“Komprindéf, verdi, li jou des makrales !”). Colas s’inquiète aussitôt de ce que les “makrales” puissent tourmenter ses invitées. Rokèe se propose de rester là toute la nuit pour monter la garde. Il met un plan au point : lorsqu’il sifflera, Houbert et Colas devront arriver avec leurs cannes de néflier (“mespli”) et frapper de toutes leurs forces sur la “makrale” qu’il aura préalablement domptée avec sa formule magique.

Resté seul, Rokèe se déguise en “makrale” et attend que les femmes se relèvent, chose qui ne saurait tarder car Trinette a placé des fourmis dans leur literie. En effet, Madame Picolet entre dans la pièce ; elle trébuche contre une chaise, tombe. Rokèe en profite pour l’affubler de la coiffe de “makrale”, donne le coup de sifflet convenu et s’enfuit par la fenêtre. Colas et Houbert accourent aussitôt avec leurs cannes et rouent Madame Picolet de coups, croyant s’en prendre à la “makrale”. Ludwige arrive et leur enjoint d’arrêter, ayant reconnu sa mère. Madame Picolet écume de rage et injurie ses hôtes: “(…) vos estez deux fîs sots… deux sots, ko pu sots k’les sots k’on mine à Lierneux !” Elles s’en vont aussitôt, malgré les suppliques de Houbert et Colas. Rokèe revient innocemment. Colas et Houbert lui racontent leur tragique méprise, mais Rokèe, astucieusement, l’explique comme étant un mauvais tour joué par la “makrale”. Il insiste sur la nécessité de marier Houbert au plus vite pour mettre fin à ses agissements, avant qu’elle ne devienne encore plus agressive. Colas consent alors au mariage de Houbert et Trinette, dans sa générosité, il cède même la ferme à son fils et l’histoire finit par une chanson.

Si l’on note, à la lecture de ces deux pièces, une différence de qualité, on constate également des variantes dans l’orthographe des mots (“comèdèe / comèdeie ; tchants / chants”…). C’est la preuve, si besoin en était, que la vocation de la langue est avant tout d’être parlée, mais également que ces œuvres ont été rédigées avant la généralisation du système de transcription du wallon, proposé par Jules Feller en 1900. Tout comme pour la peinture, ces deux œuvres ne fournissent vraisemblablement qu’une connaissance lacunaire de la production de Jules Crehay auquel on attribue également l’écriture de poésies.

L’œuvre de Jules Crehay n’est pas celle d’un grand auteur, pas plus qu’elle n’est celle d’un grand peintre. Elle est néanmoins intéressante dans la mesure où elle constitue le témoignage d’une époque en un lieu donné. Sortir de l’oubli l’œuvre dialectale de Jules Crehay, c’est aussi contribuer à garder vivante la mémoire du wallon et former le vœu que plus personne ne prononce la réplique de Colas : “Ji sèrous kasi bin honteux dè springlé noss’ vix patwet.”

Philippe Vienne


[INFOS QUALITE] statut : validé| mode d’édition : rédaction | commanditaire : wallonica | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Philippe Vienne | cet article est une version remaniée et augmentée d’un article publié dans Histoire & Archéologie spadoises n°75 (1993), où l’on trouvera les notes et références bibliographiques.


Plus de littérature…

GOFFIN, Robert (1898-1984)

Temps de lecture : 5 minutes >

Avant même d’être un des premiers grands propagateurs du jazz, Robert Goffin est d’abord un poète et un homme de lettres : élevé dans une famille où l’on idolâtrait Victor Hugo, il publiera dès l’âge de vingt ans son premier recueil de poèmes ; son travail en faveur du jazz sera d’ailleurs fortement marqué par cette inclination première.

C’est à l’issue de la Première Guerre mondiale que, devenu interprète au 72e bataillon écossais de Vancouver – au sein duquel se trouvaient plus d’un Américain -, il découvre le jazz, puis les danses nouvelles importées des Etats-Unis. Dans son premier livre, il décrira avec un lyrisme qui n’appartient qu’à lui la lente infiltration de la syncope dans la culture et le divertissement occidentaux avec la fascination qui s’installe en lui. Séduit par cette musique “existentialiste ” avant la lettre, Goffin se met à la suivre à la trace.

En 1919, il découvre, à l’Alhambra de Bruxelles les légendaires Mitchell’s Jazz Kings qui initieront les Parisiens eux-mêmes à la syncope : “… Ce fut une des profondes émotions de mon existence. Une espèce de choc physique me marqua pour la vie (…) Quelque chose de nouveau était né pour moi, à côté des vers de Guillaume Apollinaire ou de Blaise Cendrars, et de la peinture du Douanier Rousseau…” (NHJ, p. 79). De Bruxelles à Berlin, de Paris à Amsterdam, Goffin, quoique théoriquement étudiant à l’Université de Bruxelles, écume les dancings et se saoule de musique. Il devient l’ami du trompettiste Arthur Briggs, un des meilleurs jazzmen américains installés en Europe au début des années 20. Après avoir inséré, dès 1920, dans le “Disque Vert” un poème à la gloire du jazz, il publie, en 1922, son fameux recueil Jazz Band, dont la préface a été rédigée par Jules Romains.

Dans la fièvre qui l’anime, il décide de passer “de l’autre côté ” et de devenir lui-même un de ces musiciens qu’il admire tant : c’est ainsi qu’en 1922, au moment où ses études se terminent et où se pose le choix classique – dans son cas : le barreau ou la musique -, il monte de toutes pièces un orchestre appelé Doctors Mysterious Six, une formation d’étudiants dont aucun des membres n’est musicien et qui ne vivra évidemment que l’espace d’une délirante parenthèse. Dès 1923 en effet, Goffin commence à travailler comme avocat, ce qui l’amène à effectuer de fréquents séjours à Paris où il côtoie l’intelligentsia d’alors : Cocteau, Cendrars, Eluard… et bien sûr les musiciens de jazz.

De dancings en conférences, de disques en rencontres, Goffin accumule souvenirs et impressions et envisage bientôt de les réunir en un volume qui serait un hymne à la nouvelle musique. Ce sera chose faite en 1932 : après avoir fait paraître une première version dans la revue de Félix-Robert Faecq Music, Goffin publie cette année-là Aux Frontières du Jazz, son premier livre, et par la même occasion, le premier ouvrage au monde à être consacré exclusivement au jazz. Préfacé par Pierre Mac Orlan, et dédié à Louis Armstrong, Aux Frontières du Jazz vaudra à son auteur d’être reconnu aux quatre coins du monde comme le véritable précurseur de la littérature jazzique.

Les quelques erreurs de perspective, bien compréhensibles vu le manque de recul, n’enlèvent rien au caractère documenté de l’ouvrage ni à la fougue et à la poésie avec lesquelles Goffin défend le jazz. Alors qu’on le représentait habituellement sous les traits d’une “musiquette” synonyme de plaisir et d’artifice, il a pressenti dès le début la profondeur réelle, la dimension non seulement esthétique, mais aussi humaine et sociale du jazz “… (le jazz) est l’expression des peuples opprimés sans patrie et sans terre : c’est le cri de délivrance des nègres et des juifs qui y ont insufflé leur inépuisable solitude et leur cafard abrutissant…”  “Le jazz fut la première forme du surréalisme. C’est le premier besoin qu’éprouvèrent les nègres de neutraliser le contrôle raisonnable pour laisser le champ libre aux manifestations spontanées de l’inconscient…”

C’est notamment suite à la lecture de ce livre que Panassié décidera de publier, en 1934, son propre ouvrage, Le Jazz Hot, dont le succès et la médiatisation feront par la suite oublier quelque peu le travail de Goffin. Entre 1932 et la fin de la décennie, Goffin écrit sur de nombreux sujets qui l’écartent pour quelques temps du jazz. Mais lorsqu’en 1939, il effectue son premier séjour aux Etats-Unis, il replonge de plus belle. De retour en Europe, il écrit une série d’articles antinazis qui lui vaudront de retourner bien plus vite qu’il ne l’avait prévu aux Etats-Unis et pour toute la durée de la guerre.

Conscients de sa valeur et de sa grande culture en matière de jazz, les Américains lui confient la rubrique jazz du magazine Esquire. Goffin participe même avec Léonard Feather à l’organisation des célèbres concerts annuels organisés par Esquire. Il dirige parallèlement à New York le journal La Voix de la France, et fréquente tous les grands exilés du monde des Arts : Chagall, Dali, Maurois, ainsi que le poète américain du jazz Langston Hugues. Pendant son séjour, Goffin publie également un livre intitulé Jazz from the Congo to the Metropolitan, qui ne sera jamais traduit tel quel en français, mais dont la plupart des chapitres paraîtront, remaniés, dans la Nouvelle Histoire du Jazz qu’il publiera à Bruxelles en 1948.

En 1945, il rentre en Belgique et avant de reprendre sa carrière d’avocat, il effectue avec Carlos de Radzitzky une tournée de conférences au cours desquelles il raconte les innombrables souvenirs glanés au fil du temps et tout particulièrement les découvertes qu’il a effectuées durant ses séjours aux U.S.A. L’année suivante, il publie La Nouvelle-Orléans, Capitale du Jazz, étonnante monographie consacrée à la première Mecque de la nouvelle musique. Admirateur inconditionnel de Louis Armstrong, auquel il avait déjà dédié son premier ouvrage et dont il s’était fait un véritable ami, Goffin publie en 1947 aux éditions Seghers une biographie légèrement romancée du grand Satchmo. Un livre qui complète, aujourd’hui encore, les renseignements fournis par l’autobiographie d’Armstrong (Ma Nouvelle-Orléans) et la somme réalisée par James Collier (Louis Armstrong). Ici encore, la perception poétique de la réalité du jazz, permet l’expression d’éléments que la simple histoire objective ne peut aborder et dont la part de “vérité ” est cependant importante.

En 1948 on l’a vu, paraît la Nouvelle Histoire du Jazz. Dans un de ses chapitres, Goffin tente à sa manière de résoudre le conflit existant alors entre les “anciens ” et les “modernes ” en ces années de mutation (Swing contre Revival, Middle contre Be-Bop, etc.) : il propose comme critère décisif en matière de jazz la notion de “transe”, notion hautement imprécise et peu satisfaisante. En réalité, Goffin n’adhérera pas au nouveau jazz qui se construit alors : “… Je ne puis affirmer que cette musique me va droit au cœur. Elle est trop antithétique à l’esprit même de tout ce que le jazz a donné. C’est une rupture intellectuelle qui est difficilement digestible pour un profane…” Ainsi, le premier des grands défenseurs du jazz va prendre des distances pour finalement disparaître purement et simplement de la carte du jazz vivant.

Après 1954, alors qu’il préside le Pen Club de Belgique, il publiera de nombreux romans, essais, etc., ainsi que des ouvrages de gastronomie, mais sur le jazz, plus rien d’important. Par contre, son travail de pionnier et de témoin actif des premiers temps du jazz européen, est aujourd’hui encore, une référence presque mythique : “A chaque fois que je m’y replonge, j’y découvre de nouvelles choses… “ déclare volontiers Robert Pernet. Et on n’a aucune peine à le croire tant étaient riches les pages de Aux Frontières du Jazz. Une richesse qui suffit à faire de Robert Goffin une des personnalités déterminantes de l’Histoire du Jazz.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be 


More Jazz…

 

Quand la “paranoïa des arcs-en-ciel” s’en prend à Pink Floyd

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[RADIOFRANCE.FR/FRANCEINTER, 2 février 2023] Les Pink Floyd ont dévoilé leur nouveau visuel à l’occasion des 50 ans de leur album The Dark Side Of the Moon. Mais la présence de l’arc-en-ciel n’a pas plu à certains soit disant fans.

Tout commence lorsque Pink Floyd, reconnu assez unanimement comme un des plus grands groupes de rock de tous les temps, décide de célébrer les 50 ans de ce qui est considéré comme leur chef d’œuvre : l’album The Dark Side Of the Moon sorti le 23 mars 1973.

Superbe coffret, livre de photos inédites et autres déclinaisons ‘collectors’ sont prévues pour l’occasion, mais aussi un nouveau logo qui accompagne la communication de la bande à Gilmour. On y voit le célèbre triangle de la pochette originelle dans lequel s’inscrit le chiffre 50 avec un zéro remplit des couleurs de l’arc-en-ciel… Vous la sentez venir la polémique ?

Une escouade de prétendus fans, trolls anti-gays sont venus s’insurger sur les réseaux. Petit florilège : “Retirez cet arc-en-ciel vous avez l’air stupide“, “Qu’est-ce qui vous prend avec l’arc-en-ciel ?“, “Quelle honte” ou encore “Est-ce que vous êtes devenus woke ?.”

© twitter

Eh oui, il fallait s’y attendre, l’arc-en-ciel drapeau de la communauté LGBT fait voir du wokisme partout. On se souvient de l’affaire du M&M’s violet accusé lui aussi de ‘wokisme’ par Fox News…

Dans cette histoire, on aurait donc des prétendus ‘fans’ de Pink Floyd outrés de voir leur groupe céder aux “sirènes progressistes LGBTQIA+” au point d’afficher leur drapeau. Evidemment n’importe quel vrai fan de Pink Floyd ou personne capable de se rendre sur leur page wikipedia sait que sur la pochette de 1973 il y a déjà un arc-en-ciel… Un grand triangle, un prisme pour être exacte, à travers lequel passe un trait de lumière qui se transforme en arc-en-ciel…

S’en sont suivis des tonnes de détournements d’autres fans, plus informés, et pas franchement du même bord. Notamment, mon préféré : un dessin d’Isaac Newton, scientifique et philosophe, devant le prisme qui lui a permis de montrer au 17ème siècle comment la lumière blanche se décompose en spectre de couleurs arc-en-ciel… L’image est associée à cette légende “Sir Isaac Newton prédisant que les Pink Floyd allaient devenir woke” ! Ça nous donne un bon instantané de l’époque mais qu’est-ce que ça raconte ?

On voit comment se livre une bataille anachronique autour de l’arc-en-ciel. Omniprésent dans les codes visuels des années 70, tout se passe comme si ceux qui avaient baigné dedans durant leur jeunesse se réveillaient dans un monde du ‘complot arc-en-ciel’. Attaquant l’idéologie ‘progressiste’ ou ‘woke’ ils pratiquent à leur tour la fameuse ‘cancel culture’ : “à partir de maintenant je n’écouterai plus ce groupe” pouvait-on lire dans les commentaires du logo. À ce stade ce n’est plus un instantané de l’époque, c’est un comble !

Mathile Serrell, podcast Un monde nouveau


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : radiofrance.fr/franceinter | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : la pochette de l’album The Dark Side of The Moon, signée Storm Thorgerson de Hipgnosis © HIPGNOSIS – EMI.


Débattre encore en Wallonie-Bruxelles…

EVRARD, Jean (1900-?)

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Jean EVRARD débute dans les années 30 en région liégeoise. Il signe son premier contrat important avec Jean Paques au Carlton de Blankenberge, en 1938. De retour à Liège, il joue quelque temps dans l’orchestre de Lucien Hirsch puis, au début de la guerre, dans la formation de Gaston Houssa avec qui il monte un trio vocal fameux (Trio Vocal Houssa), puis il joue à Paris avec ce trio. On le trouve ensuite, toujours à Paris, dans le grand orchestre de Raymond Legrand où il côtoie des musiciens aussi importants que Michel Warlop ou Hubert Rostaing.

De retour à Liège, il devient le trompettiste du “noyau swing” (Raoul Faisant, Roger Vrancken, Maurice Simon) qui offre aux Liégeois leurs premières jams de qualité. En 1943, il part pour les Pays -Bas sous un faux nom, en compagnie notamment de Raoul Faisant, Maurice Simon et René Thomas ; concerts, radios, et enregistrements (hélas perdus) à Amsterdam. A son retour, il se fait arrêter par les Allemands et envoyer en déportation pour treize mois. Libéré à la fin de la guerre, il recommence à jouer aux côtés de Faisant et effectue des tournées des “restcamps” américains.

En 1947, Evrard forme l’Equipe, groupe middle jazz (Henri Solbach, Coco Gonda…) qui se produit à Liège surtout. Comme tous les musiciens professionnels, il subit bientôt les contraintes du “métier” et doit s’orienter vers une musique plus commerciale. Il travaille régulièrement dans l’orchestre de Pol Baud et, en 1959, il se produit à Comblain avec Faisant. Il part ensuite pour Bruxelles où il travaillera durant des années dans des boîtes de nuit ; parallèlement, il obtient fréquemment des contrats comme musicien de studio.

Il se permet encore à l’occasion quelques petites escapades du côté du jazz (la plus marquante étant une jam-session avec les musiciens de l’orchestre de Count Basie, de passage à Bruxelles) mais arrête le métier en 1968. En 1974, il reprendra une activité en semi-professionnel, jouant et chantant dans l’orchestre de Jo Carlier. Il effectue alors quelques remplacements dans le Big Band de la BRT et joue de manière régulière dans le groupe Jazz de Liège. Jean Evrard stoppe toute activité au début de 1989.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : sculpture des jazzmen, Comblain © cirkwi.com 


More Jazz…

 

FLECHET, Léo (1928-2004)

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Léo FLECHET découvre le jazz vers 1945-1946 par l’intermédiaire des V-Discs, après avoir suivi une formation classique. Attiré par Johnny Guamieri, il se met au piano-jazz, rencontre René Thomas, entre dans son trio dès 1947 et devient rapidement un des pianistes les plus actifs du jazz moderne.

(de-G-a-DR) René Thomas, Félix Simtaine, Robert Jeanne, Léo Flechet, Fredd © jazzhot.net

Entre 1948 et 1951, il participe à de nombreuses expériences musicales aux côtés des chefs de file liégeois (Jaspar, Pelzer, Thomas, Boland), notamment lors des fameuses jams de la Laiterie d’Embourg.

Pianiste dans différentes formations amateurs, Léo Fléchet forme en 1957 son propre trio avec le guitariste Jo Verthé et le bassiste Jean-Lou Baudoin. Il découvre Bill Evans qui devient un de ses principaux modèles.

En 1960, il entre dans le quartette de Robert Jeanne (qui se maintiendra jusqu’en 1985 !) et continue à se produire en trio (avec cette fois Jean Lerusse et Félix Simtaine) ; ce trio sera engagé comme “rythmique-maison” aux différentes éditions du Festival de Comblain-la-Tour.

Parallèlement, Fléchet travaille en tant que sideman occasionnel et accompagne ainsi des musiciens comme Dave Pike, Bill Coleman, Dizzy Reece, J. R. Montrose, Don Byas, Anita O’Day, Slide Hampton tant en Belgique qu’à l’étranger. Il se produit aux festivals de Vienne, Zurich, Viersen et Montreux. En 1966, il reçoit la palme du meilleur pianiste amateur européen à Mönchengladbach.

Vers 1975, il s’essaye au piano Fender dans le cadre d’un jazz plus binaire et plus électrique (Karma, A. Hankart Investigation), pour revenir ensuite définitivement à la formule acoustique. A titre expérimental, il joue à deux pianos au Travers (Bruxelles) avec Pirly Zurstrassen. Pendant toute sa carrière, il a travaillé en semi-professionnel.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : Léo Fléchet au piano avec, e.a., René Thomas et Robert Jeanne © jazzhot.net ; V-Discs © DP.


More Jazz…

Femmes-artistes belges vers 1900 : 9 Femmes, 9 Artistes (exposition, 1998)

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Pourquoi pas de grands noms féminins dans les arts plastiques ?

[avant-propos du catalogue de l’exposition, téléchargeable dans notre DOCUMENTA] Cette exposition est un hommage au talent de femmes qui se sont distinguées dans les arts plastiques.

Pourquoi n’y a-t-il pas de femmes de grande renommée dans les arts plastiques ? Voilà une question qu’on ne cesse de poser avec une grande sincérité, avec un soupçon d’étonnement mais surtout en se disant que “les femmes ne sont tout de même pas égales aux hommes“. La réponse est qu’au cours des siècles passés et au début de ce siècle, les femmes, quel que soit leur milieu social, n’avaient pas l’occasion de cultiver leur intellect ou leur talent. Elles étaient traitées et élevées comme des enfants et des incapables. “L’une des premières conditions de l’instruction chez la femme, c’est d’être profondément cachée“, écrivait Balzac. Chez Jules Michelet, nous lisons dans son ouvrage La Femme, publié vers 1859, la phrase suivante: “Elle ne crée pas l’art, mais l’artiste. La femme est la principale source d’inspiration de l’artiste, elle le soutient moralement, l’encourage et surtout l’admire“. A l’homme, Jules Michelet dit: “Elle est ta noblesse, à toi, pour te relever de toi-même… Tu seras forcé d’être grand.”

A propos de la femme comme artiste, J. Michelet entretient des idées très particulières. Il prétend qu’une femme, aussi longtemps qu’elle n’a pas été déflorée, ne peut approcher l’émotion de l’artiste et de ses œuvres. Comment peut-elle ou oserait-elle, étant vierge, produire ou copier des œuvres d’art aussi bouleversantes ? Elle admettrait ainsi qu’elle sait déjà trop de la vie. Il dit: “C’est sous les yeux de son amant, c’est dans les bras de son mari, qu’elle peut s’animer de ces choses et s’en approprier la vie… c’est par l’amour que la femme reçoit toute chose. Là est sa culture d’esprit… le mari et non le père, peut faire son éducation.

Dans son ouvrage Tagesfragen, le philosophe allemand Edouard von Hartmann (1842-1906) s’exprime dans le même sens: “Das Weib wird erst ais Gattin zur Halfte Mensch und erst ais Mutter ganz Mensch.

Ces idées ont eu cours pendant tout un siècle. Un grand nombre de femmes de ma génération ont d’ailleurs encore entendu raconter de pareilles absurdités. Le changement de mentalité n’a commencé qu’avec la seconde vague d’émancipation.

Malgré tout, il y eut dans le passé un certain nombre d’artistes féminins tout à fait remarquables. Les rares femmes qui avant le XIXe siècle sont devenues des peintres de tout premier plan étaient généralement des filles d’artistes. Leur formation leur était donnée dans l’atelier de leur père. Même les femmes issues de l’aristocratie avaient très rarement accès à une formation aux arts plastiques.

Peu de femmes peintres jouissent d’une certaine notoriété auprès du grand public. On connaît Berthe Morisot (France, née en 1841 ), Mary Cassat (Etats-Unis, née en 1844), Sonia Delaunay (France, née en 1885) ainsi que Käthe Kollwitz (Allemagne, née en 1867).

De nombreuses autres, pourtant appréciées et honorées par leurs contemporains, restent inconnues, bien qu’elles méritent d’être découvertes. Dans l’histoire internationale de l’art, nous songeons notamment à Sofonisba Anguissola (Italie, 1535-1625), louée par Michel-Ange ; Angelica Kauffmann (Autriche, 19e siècle), amie de Goethe et fondatrice de l’Académie royale à Londres ; Elisabeth Vigée Lebrun (France, 1755-1842), portraitiste de Marie-Antoinette ; Rosa Bonheur (France, 1822-1899), un des peintres animaliers les plus appréciés ; ou encore Suzanne Valadon (France, 1865-1938), animatrice des styles révolutionnaires de la fin du 19e siècle, et d’autres comme la Flamande Clara Peeters (17e siècle), qui peignait surtout des natures mortes. Quatre de ses œuvres sont exposées au Musée du Prado à Madrid.

Cette année, l’UNESCO et les Nations unies entament une décennie du développement culturel. Le Nationale Vrouwen Raad a voulu, dans le programme des manifestations organisées à l’occasion du centenaire du Conseil international des femmes, faire une large place à la femme en tant qu’artiste. Cette exposition et trois concerts, au cours desquels seront interprétées des œuvres de compositrices, constituent en même temps la contribution du Nationale Vrouwen Raad aux efforts de l’UNESCO et des Nations unies.

Lily BOEYKENS, Présidente du Nationale Vrouwen Raad


Rosa Bonheur (1822-1899), Chat sauvage (1850) © Erik Cornelius, / Nationalmuseum Stockholm

[introduction du catalogue] De très nombreux auteurs ont déjà mis en lumière le lien entre société et production artistique : l’art comme miroir de la société, comme symptôme, comme symbole de la réalité sociale, comme précurseur aussi. En étudiant les œuvres d’art, on s’efforce également de sonder les causes les plus profondes de l’évolution sociale. A noter que ce parallélisme, simultané ou non, entre l’évolution de la société et l’histoire de l’art existe aussi entre l’histoire de l’émancipation de la femme et celle de la production artistique des artistes féminins.

Marie a enfanté le Christ, mais l’église est un monde d’hommes par excellence. Selon une légende ancienne, Kora a exécuté le premier dessin en silhouettant sur un mur l’ombre de son bien-aimé avant qu’il parte à la guerre, mais toute l’histoire de l’art est dominée par les hommes. Comme dans l’histoire politique, les exceptions confirment la règle. A partir du milieu du 20e siècle, des génies féminins sont enfin reconnus dans le monde artistique ; pourtant, leur condition de femme reste pour beaucoup
d’artistes un obstacle à leur carrière.

Force est de constater que parmi les femmes on ne trouve pas de Rembrandt ou de Picasso, mais on peut aussi se demander pourquoi. Comme le dit le professeur Linda Nochlin (Art and Sexual Politics, 1975), il n’y a pas non plus de grands pianistes de jazz lituaniens ni de champions de tennis esquimaux et “… in the arts as in a hundred other areas, things remain stultifying, oppressive and discouraging to all those – women included – who did not have the good fortune to be born white, preferably middle class and, above all, male.” Parallèlement à la deuxième vague d’émancipation, dans différents pays on s’est intéressé de plus en plus au travail d’artistes féminins et on a commencé à l’étudier.

Ainsi existe-t-il depuis 1977 à Amsterdam un centre de documentation actif et richement doté (Stichting Vrouwen in de beeldende kunst) qui a édité de nombreuses publications et organisé des expositions. Tout récemment encore (18.12.1987 – 7.2.1988), une double exposition a eu lieu à Berlin : d’une part, des œuvres d’artistes féminins, découvertes dans les réserves de dix musées berlinois, Das verborgene Museum ; d’autre part, des œuvres d’artistes contemporains, Dein Land ist morgen, tausend Jahre schön.

Il convient donc que le Conseil national des femmes participe à ce courant international ; son centième anniversaire est une occasion unique de montrer les tableaux de nos meilleurs artistes féminins de la période 1888 à 1938. Il est intéressant de lire leurs biographies, car leur condition féminine a déterminé dans une large mesure l’évolution de leur carrière. Les plus anciennes ont débuté à une époque où les femmes n’avaient pas encore accès aux classes de nu dans les académies, où il n’était absolument pas admis que des femmes gagnent leur vie comme artistes. Leur oeuvre est souvent étudiée et jugée par rapport à celle de leurs collègues masculins. Peu de publications y sont consacrées. Leurs tableaux mêmes sont encore difficiles à repérer de nos jours.

A-t-on jugé leur travail de façon objective ? Quand on étudie les textes des critiques d’art, on constate qu’ils utilisent souvent un autre langage que lorsqu’ils traitent du travail des artistes masculins, manifestement avec les meilleures intentions du monde, mais cela trahit incontestablement leurs idées préconçues. Marthe DONAS n’est pas la seule femme à avoir changé son prénom ou à ne pas l’avoir divulgué afin qu’on ne sache pas que l’auteur était une femme. Après avoir jugé aussi objectivement que possible – un élément subjectif intervient toujours dans l’appréciation d’œuvres d’art – les œuvres réalisées par des femmes, on peut se demander s’il y a des traits propres aux artistes féminins.

Il est très difficile de répondre à cette question, car cela exige de longues recherches. Tout artiste – homme ou femme – a son propre tempérament, son propre style : il y a des hommes qui produisent des œuvres d’art “typiquement féminines” et des femmes qui en réalisent de “typiquement masculines”!

Toutefois, l’étude des thèmes choisis, la manière dont ces thèmes sont représentés, en d’autres termes la recherche iconologique sur le travail des femmes donnera incontestablement des résultats. Il y a en effet des sujets traités par des femmes, qui ne seraient jamais représentés par un homme. Tenter de trouver des explications à ce choix relève de la recherche scientifique: un terrain encore inexploré !

Je me réjouis donc de voir que le Conseil national des femmes, en organisant cette exposition, contribue à encourager cette recherche. Nous devons dès lors lui en être extrêmement reconnaissants.

Lydia De Pauw-Deveen, Professeur d’Histoire de l’Art
Directrice du Centrum Vrouwenstudies van de VUB


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : dématérialisation, partage, édition, correction et iconographie (l’article original contient plus d’illustrations et de références) | sources : Catalogue de l’exposition | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Anne Montigny, Le jardinier (1913) © MSK Gent.


Plus d’arts visuels en Wallonie-Bruxelles…

FANIS, Jean (1924-2012)

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Jean FANIS commence une formation classique au piano puis, après avoir entendu Duke Ellington à la radio, il s’intéresse de plus en plus au jazz. Il apprend d’oreille quelques standards en piano solo, puis, à la Libération, se joint au Sadi’s Hot Five à Namur. Entretemps, il a découvert Teddy Wilson qui sera sa première influence majeure. Après une tournée avec le groupe de Sadi, il commence à navetter entre les trois centres névralgiques du jazz en Belgique : Bruxelles, Anvers (où il fait la rencontre, décisive, de Roger Asselberghs et de Jack Sels) et Liège (où il joue avec Raoul Faisant, avant de se joindre au noyau des “modernes”, à l’occasion de l’un ou l’autre remplacement au sein des Bob-Shots).

Il découvre Bud Powell et Al Haig et devient rapidement un des seuls pianistes belges à oser se mesurer au phrasé be-bop et à s’exprimer de façon cohérente dans ce nouveau langage. Pendant les années 50, Fanis joue d’abord à Anvers, à l’Exiclub (où il accompagne notamment Roy Eldridge). Puis, de 1953 à 1957, il est le pianiste-maison de la Rose Noire à Bruxelles où il se frotte aux nombreux solistes de passage, et notamment à Dizzy Gillespie et Clifford Brown. Parallèlement, il travaille régulièrement avec le quintette ThomasPelzer, et avec Jack Sels.

Dès 1955, nombreux enregistrements, en particulier pour la série légendaire “Innovation“. En 1958, il accompagne Lucky Thompson en Allemagne. Pendant les années 60, il est amené, comme tant d’autres, à réduire ses activités, cessant même à plusieurs reprises de jouer (pour replonger peu après). En 1964, il joue dans le trio d’Al Jones alors installé en Belgique et qui se produit fréquemment au Blue Note. Il entre alors dans le quartette de Sadi avec lequel il travaillera et enregistrera pendant de nombreuses années. A l’extrême fin des années 60, Fanis décroche à nouveau pour une période de dix ans, avant de réapparaître au début des années 80 aux côtés de Sadi, ainsi qu’en free-lance dans différentes formations. Il se produit alors régulièrement dans la région de Bruxelles.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © rtbf.be


More Jazz…

 

ANDERS : textes

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Les considérations de Le Bon [auteur de La psychologie des foules en 1895] sur la transformation de l’homme par les situations de masse sont désormais caduques, puisque l’effacement de la personnalité et l’abaissement de l’intelligence sont déjà accomplis avant même que l’homme ne sorte de chez lui.
Diriger les masses dans le style Hitler est désormais inutile : si l’on veut dépersonnaliser l’homme (et même faire en sorte qu’il soit fier de n’avoir plus de personnalité), on n’a plus besoin de le noyer dans les flots de la masse ni de le sceller dans le béton de la masse.
L’effacement, l’abaissement de l’homme en tant qu’homme réussissent d’autant mieux qu’ils continuent à garantir en apparence la liberté de la personne et les droits de l’individu. Chacun subit séparément le procédé de “conditioning” qui fonctionne tout aussi bien dans les cages où sont confinés les individus, malgré leur solitudes, malgré leurs millions de solitudes. Puisque ce traitement se fait passer pour “fun” ; puisqu’il dissimule à sa victime le sacrifice qu’il exige d’elle ; puisqu’il lui laisse l’illusion d’une vie privée ou tout du moins d’un espace privé, il agit avec une totale discrétion.
Il semble que le proverbe allemand “un chez-soi vaut de l’or“, soit à nouveau vrai ; mais dans un tout autre sens. Si un chez-soi vaut aujourd’hui de l’or, ce n’est pas du point de vue du propriétaire qui y mange de la soupe conditionnée, mais du point de vue des propriétaires du propriétaire, de ce chez-soi, ces cuisiniers et fournisseurs qui lui font croire que sa soupe est faite maison

Günther Anders, L’obsolescence de l’homme (1956)


Pourquoi il faut (re)lire “L’Obsolescence de l’homme” de Günther Anders

[USBEKETRICA.COM, 8 juillet 2019] Soixante-trois ans après sa publication, l’essai du philosophe allemand n’a pas pris une ride. On peut même affirmer qu’Anders était plutôt extralucide…

L’été est une saison idéale pour ralentir, se déconnecter de l’actualité et, pour les plus téméraires d’entre nous, (re)lire des classiques. L’Obsolescence de l’homme de Günther Anders (1902-1992) en est un. Dans ce texte magistral de 1956, le philosophe allemand s’alarmait de l’idolâtrie pour le progrès technologique au service d’une civilisation des loisirs où les machines auraient retiré aux hommes toute la pénibilité de l’existence.

C’est un livre qui n’a pas la postérité qu’il mérite. À sa publication, en 1956, il connut pourtant un très grand succès, comme en témoignent les nombreux retirages et nouvelles éditions de l’essai à l’époque, avec des ajouts de l’auteur justifiant la réimpression de ses thèses écrites plusieurs années auparavant. Bravache, Anders écrit même ceci, en préface à la cinquième édition de L’Obsolescence de l’Homme : “Non seulement ce volume que j’ai achevé il y a plus d’un quart de siècle ne me semble pas avoir vieilli, mais il me paraît aujourd’hui encore plus actuel.” Et pourtant, peu de nouvelles éditions sont à signaler depuis le début du XXIe siècle – surtout aucune en livre de poche permettant de démocratiser ce texte essentiel.

Même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos copains portatifs.

Songeons aux économistes, sociologues et philosophes du progrès et des loisirs qui sont tombés en désuétude parce que leurs analyses de la télévision ne résistaient pas à l’arrivée d’Internet, tandis que celles les analyses sur Internet étaient rendues caduques par l’invasion des réseaux sociaux… L’obsolescence de leurs thèses était indexée sur les objets qu’ils observent. Avec le livre d’Anders, ça n’est pas du tout le cas.

Faites l’exercice honnêtement. Lisez ces quelques lignes sans chercher à savoir qui a pu les écrire et quand : “Rien ne nous aliène à nous-mêmes et ne nous aliène le monde plus désastreusement que de passer notre vie, désormais presque constamment, en compagnie de ces être faussement intimes, de ces esclaves fantômes que nous faisons entrer dans notre salon d’une main engourdie par le sommeil – car l’alternance du sommeil et de la veille a cédé la place à l’alternance du sommeil et de la radio – pour écouter les émissions au cours desquelles, premiers fragments du monde que nous rencontrons, ils nous parlent, nous regardent, nous chantent des chansons, nous encouragent, nous consolent et, ne nous détendant ou nous stimulant, nous donnent le la d’une journée qui ne sera pas la nôtre. Rien ne rend l’auto-aliénation plus définitive que de continuer la journée sous l’égide de ces apparents amis : car ensuite, même si l’occasion se présente d’entrer en relation avec des personnes véritables, nous préférons rester en compagnie de nos portable chums, nos copains portatifs, puisque nous ne les ressentons plus comme des ersatz d’hommes mais comme de véritables amis.

Impossible de ne pas être percuté par l’incroyable actualité de ces lignes… écrites en 1956. Remplacez “radio” par “smartphone“, “émissions” par “podcasts“, rajoutez “Netflix” et “réseaux sociaux” à l’ensemble, et observez comme ce texte correspond à la perfection à notre temps. La puissance de ce texte visionnaire est sans égale. Déjà, à l’époque, Anders voyait que la croyance dans un salut par le progrès technologique était vaine si cela ne nous permettait pas de nous resocialiser, de nous rapprocher les uns des autres. Pire, en consommant des loisirs de masse, le travailleur contribue lui même à la standardisation des goûts, des usages, nous dit le philosophe allemand. Les appareils de transmission et les émissions (ou les “contenus” pour être plus moderne) aliènent la singularité de chacun dans un mouvement qui nous rend interchangeables – et donc obsolètes.

Le problème de la “honte prométhéenne”

Anders est conscient des critiques que son propos peut susciter, et il se défend par avance contre ceux qui voudraient le dépeindre en réactionnaire en rétorquant que le problème est rhétorique : les défenseurs du progrès jugent ce dernier bon par essence et défendent un bloc, celui du up to date : tant que l’on peut avoir la dernière version de l’homme, on doit le faire, et honte à ceux qui ne s’adaptent pas ! C’est ce qu’Anders appelle “la honte prométhéenne.

Pour appuyer sa démonstration sur le progrès inutile et même “mortifère“, il ajoute une seconde partie intitulée : Sur la bombe et les raisons de notre aveuglement face à l’apocalypse avec des analyses qu’il développera dans d’autres livres, notamment La Menace nucléaire : Considérations radicales sur l’âge atomique. Ses thèses sont saisissantes et implacables sur l’insuffisante remise en question de notre rapport à la technique après Auschwitz et Hiroshima.

Aux États-Unis, on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable.

En tirant le fil de la “honte prométhéenne“, Anders tire des conclusions pleines de prescience. Ainsi, à la fin du livre, il prédit l’émergence du courant transhumaniste en ces termes : “De la croyance au progrès découle donc une mentalité qui se fait une idée tout à fait spécifique de “l’éternité”, qu’elle se représente comme une amélioration ininterrompue du monde ; à moins qu’elle ne possède un défaut tout à fait spécifique et qu’elle soit simplement incapable de penser à une fin (…). Aux États-Unis, on peut affirmer que la mort est déjà devenue introuvable. Puisqu’on y considère que seul existe “réellement” ce qui toujours s’améliore, on ne sait que faire de la mort, si ce n’est la reléguer en un lieu où elle puisse indirectement satisfaire à la loi universelle du perfectionnement.” La boucle est alors bouclée. Disciple de Husserl, premier mari de Hannah Arendt, Anders a fréquenté les plus grands esprits du siècle et signait en 1956 un livre de leur niveau. Si ce n’est déjà fait, lisez donc L’Obsolescence de l’homme pour comprendre notre époque.

Vincent EDIN


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Sengager en Wallonie-Bruxelles…

LED ZEPPELIN : “Stairway to Heaven”, l’histoire d’un mythe

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Fer de lance de l’album Led Zeppelin IV, le monumental Stairway to Heaven” a depuis longtemps décroché les étoiles au panthéon du rock. Retour sur l’une des chansons les plus emblématiques du groupe de Page & Plant.

Demandez à n’importe quel amateur de rock quelle est la première chanson de Led Zeppelin qui lui vient à l’esprit (hormis l’inévitable Whole Lotta Love) et invariablement, il vous citera Stairway to Heaven. Demandez à Robert Plant quelle est la chanson de son ex-groupe qui lui sort par les trous de nez et, neuf fois sur dix, il vous répondra Stairway to Heaven. Tapez le mot “Stairway” sur internet et, immanquablement, vous tomberez sur cette chanson. Une échelle vers le paradis dont plus de quarante ans après, on rêve toujours de gravir les échelons. Huit minutes et deux secondes. Un mini-opéra électro-acoustique, avec son intro, son final, ses changements rythmiques, ses mouvements harmoniques. Un tube jamais publié en 45-tours, et pourtant l’un des plus diffusés sur les radios du monde entier. Une chanson sur laquelle on a dit tout et n’importe quoi : mystique, satanisme, subliminale, prétentieuse, plagiaire… Stairway to Heaven, ou le parfait concentré de toutes les sources musicales auxquelles la musique rock s’est toujours abreuvée. L’histoire commence au fin fond de la campagne galloise, dans un cottage du XVIIIe siècle baptisé Bron-Yr-Aur.

Bron-Yr-Aur @ geograph.org.uk

C’est dans cette ancienne maison de vacances de la famille Plant, une masure sans eau ni électricité, que Robert et Jimmy se retrouvent au printemps 1970, histoire de se ressourcer après un périple américain exténuant. Comme le dira Page, ça nous changeait des palaces de la tournée, et c’est là que j’ai vraiment appris à connaître Robert”. Dans ce décor rustique, les deux hommes esquissent les prémices de leur prochain album. Page a dans sa besace des bouts de musique, qu’il joue à la guitare acoustique.

Parmi ceux-ci, une intro en arpèges fait dresser l’oreille à Plant. Mais ce n’est que plus tard, devant le groupe réuni à Headley Grange, que le puzzle va prendre forme. Cette bâtisse sise dans le Hampshire, ancien centre d’accueil pour orphelins et nécessiteux de l’époque victorienne, sert de lieu de répétition à Led Zeppelin. Un soir, devant un feu de cheminée, Plant commence à griffonner les paroles : Ma main s’est mise à écrire toute seule, presque malgré moi, et en quelques minutes j’avais près de 80 % du texte…”

“There’s a lady who’s sure all that glitters is gold…” Le début de la chanson semble évoquer une femme cynique qui, bien qu’elle fût comblée et obtienne tout ce qu’elle désire, n’offre en retour aucune attention ni considération. Plus tard, Plant dira qu’il a été inspiré par la lecture d’un bouquin du folkloriste écossais Lewis Spence, intitulé The Magic Arts in Celtic Britain. Et refusera de donner d’autres explications sur le sens du texte, affirmant que chacun peut y trouver ce qu’il veut, selon les périodes de sa vie. De fins exégètes y dénicheront aussi quelques allusions au Seigneur des anneaux de Tolkien, mais peu importe. L’échelle paradisiaque demeurera mystérieuse, et c’est tant mieux.

Car c’est surtout la musique qui retient l’attention. Après une ouverture en arpèges folk ornée de flûtiaux, l’entrée du chant et une rythmique jouée à la 12-cordes, la mélodie change brusquement avec l’irruption de la batterie (à 4 minutes 18 seulement !) qui précède un solo de guitare électrique, puis une partie hard rock, avant les mesures finales où seule résonne la voix de Plant. Page : On voulait un truc avec plusieurs sections, dans la lignée de ‘Dazed and Confused’, mais différent, sans basse, d’avantage basé sur l’orgue et la guitare acoustique, puis électrique. Ça aurait pu faire 15 minutes…” Quant au solo, légendaire, joué non pas sur sa rituelle Gibson mais sur une Telecaster offerte par Jeff Beck, Page dut en enregistrer trois versions différentes avant de choisir la meilleure.

Les sessions débutèrent en décembre 1970, aux Basing Street Studios d’Island, à Notting Hill, avec l’ingénieur du son Andy Johns. L’album, produit par Page, avec sa pochette bucolique aux fagots, fut publié le 8 novembre 1971. Curieusement, seul y est imprimé le texte de Stairway to Heaven. Malgré les demandes d’Atlantic, le groupe refusa de sortir la chanson en single. Seuls furent pressés quelques exemplaires promo destinés aux radios (devenus collectors !). Stairway to Heaven fut joué pour la première fois en public en mars 1971, à Belfast, alors que les émeutes battaient leur plein dans les rues. Selon le bassiste John Paul Jones, les spectateurs présents ne manifestèrent qu’un intérêt poli, attendant visiblement les morceaux connus.

Si elle remporta un succès immédiat, offrant à l’album des ventes record (et ce, malgré une critique féroce de Lester Bangs), la chanson vécut ensuite une existence mouvementée. En 1982, le télévangéliste américain Paul Crouch prétendit que le morceau contenait des messages subliminaux à la gloire de Satan, perceptibles uniquement quand on l’écoutait à l’envers. Une assertion d’autant plus crédible, pour certains, que Jimmy Page, amateur de sciences occultes, n’avait jamais caché son admiration pour l’écrivain controversé Aleister Crowley, allant jusqu’à acquérir son ancien manoir sur les rives du Loch Ness. Restait pour le pékin moyen à essayer d’écouter la chanson à l’envers, périlleux exploit à l’époque des platines vinyles…

Robert Plant (1980) © Ph. Vienne

Face à la rumeur, Robert Plant se contentera de répondre que Stairway to Heaven avait été écrit avec les meilleures intentions du monde, et que coller des messages cachés n’était pas sa conception de la musique. Autre accusation, celle d’avoir plagié l’intro sur un instrumental du groupe Spirit intitulé Taurus. Si Jimmy Page continue à affirmer que la chanson représente pour lui “la quintessence de Led Zeppelin”, Robert Plant, lui, a toujours renâclé à l’interpréter depuis la séparation du groupe. Rares exceptions, le Live Aid de 1985 et le quarante-cinquième anniversaire du label Atlantic, trois ans plus tard. Si, grâce à ce morceau de paradis, Led Zep a atteint le nirvana, l’échelle semble désormais tirée.

d’après ROLLINGSTONE.FR

Stairway to Heaven
(Escalier Vers Le Paradis)

There’s a lady who’s sure all that glitters is gold
Il y a une femme qui est certaine que tout ce qui brille est de l’or
And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis
When she gets there she knows, if the stores are all closed
Et lorsqu’elle y est, elle sait que si les magasins sont fermés
With a word she can get what she came for
Un mot lui suffira pour obtenir ce pourquoi elle est venue
Ooh, ooh, and she’s buying a stairway to heaven
Ooh, ooh, et elle s’achète un escalier pour le paradis

There’s a sign on the wall but she wants to be sure
Il y a un signe sur le mur, mais elle veut en être sure
‘Cause you know sometimes words have two meanings
Parce que tu sais les mots ont parfois un double sens
In a tree by the brook, there’s a songbird who sings
Sur un arbre à côté du ruisseau, il y a un oiseau qui chante
Sometimes all of our thoughts are misgiven
Parfois toutes nos pensées sont fausses
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me demander
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça me fait me poser des questions

There’s a feeling I get when I look to the west
J’ai une sensation lorsque je regarde vers l’ouest
And my spirit is crying for leaving
Et mon esprit se désespère de fuir
In my thoughts I have seen rings of smoke through the trees
Dans mes songes j’ai vu des ronds de fumée à travers les arbres
And the voices of those who standing looking
Et les voix de ceux qui laissent faire sans bouger
Ooh, it makes me wonder
Ooh, ça sème le doute en moi
Ooh, it really makes me wonder
Ooh, ça sème réellement le doute en moi

And it’s whispered that soon if we all call the tune
Et on chuchote que bientôt, si nous donnons tous la mélodie
Then the piper will lead us to reason
Alors le flûtiste nous mènera à la raison
And a new day will dawn for those who stand long
Et un nouveau jour viendra pour ceux qui sont toujours là
And the forests will echo with laughter
Et les forêts retentiront de rire
If there’s a bustle in your hedgerow, don’t be alarmed now
S’il y a du remue-ménage dans ta haie, ne t’affole pas
It’s just a spring clean for the May queen
C’est simplement le nettoyage de printemps pour la Reine de Mai
Yes, there are two paths you can go by, but in the long run
Oui, il y a deux voies que tu peux prendre, mais au bout du compte
There’s still time to change the road you’re on
Il est encore temps de changer ta route
And it makes me wonder
Et ça sème le doute en moi

Your head is humming and it won’t go, in case you don’t know
Ta tête bourdonne et ça ne partira pas, au cas où tu ne le sais pas
The piper’s calling you to join him
Le flûtiste t’invite à le rejoindre
Dear lady, can you hear the wind blow, and did you know
Chère madame, peux-tu entendre le souffle du vent, et le savais-tu
Your stairway lies on the whispering wind
Ton escalier repose sur le vent qui murmure

And as we wind on down the road
Et alors que nous dévalons la route
Our shadows taller than our soul
Nos ombres plus grandes que nos âmes
There walks a lady we all know
Une femme que l’on connait tous marche
Who shines white light and wants to show
Elle est nimbée d’une lumière blanche et veut montrer
How everything still turns to gold
Comme chaque chose se transforme encore en or
And if you listen very hard
Et si tu fais des efforts pour entendre
The tune will come to you at last
Finalement l’air viendra à toi
When all are one and one is all
Lorsque tous ne font qu’un et qu’un est tous
To be a rock and not to roll
Etre un roc qui ne roule pas

And she’s buying a stairway to heaven
Et elle s’achète un escalier pour le paradis

Paroles de Robert Plant (trad. lacoccinelle.net)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : image en tête de l’article : pochette de l’album Led Zeppelin IV © Atlantic ; Robert Plant (concert à Mannheim, 1980) © Philippe Vienne ; © geograph.org.uk.


DEBRULLE, Michel (né en 1955)

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Michel DEBRULLE est né à Hal en 1955. Il étudie le solfège et les percussions à l’Académie Grétry (Liège), puis suit les cours de l ‘I.A.C.P. à Paris. Il fait ses débuts dans les formations-laboratoires de Jean-Christophe Renault (Solaire, 1976) et Denis Pousseur (Dodécanagramme, 1979). Il suit les séances du séminaire de jazz au Conservatoire de Liège et de la classe d’improvisation de Garrett List. Boursier, il part pour New York et étudie au Creative Music Studio (juin 81), où enseignent des musiciens aussi prestigieux que Jack de Johnette, Nana Vasconcellos, Ed Blackwell, Dollar Brand, etc.

De retour à Liège, il tourne avec l’Orchestre du Lion (accompagnant différents spectacles, notamment le film de Fritz Lang, Metropolis) et participe à la création de La Rose des voix d’Henri Pousseur et Michel Butor (1982). Entre-temps, en 1981 et 1982, Debrulle travaille comme animateur et programmateur du club de jazz liégeois Le Lion s’envoile et se familiarise avec un jazz plus classique au sein de la rythmique-maison de ce même club (aux côtés de Pirly Zurstrassen, Jacques Pirotton et André Klenes) ; il accompagne ainsi un grand nombre de jeunes solistes belges.

Fin 1982, il est co-leader du groupe Baklava (jazz “mondialiste” intégrant rythmes et instruments africains, brésiliens, indiens, etc.). En 1984, Michel Debrulle monte avec Fabrizio Cassol et Michel Massot un des groupes les plus originaux de la scène belge : le Trio Bravo qui, après cinq années d’existence, s’est taillé une solide réputation sur le plan européen (nombreuses apparitions dans les festivals : Bourges, La Haye, etc.). Le trio effectue, en 1990, une tournée aux Etats-Unis et en Inde. Debrulle joue également au sein du groupe rock Glasnotes, ainsi qu’avec Combo Belge et participe à la création de ballets modernes.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Claude Lina


More Jazz…

ALLEMAN, Fabrice (né en 1967)

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Né à Mons en 1967, Fabrice Alleman se produit déjà à l’âge de 13 ans dans l’Harmonie de Ghlin où il joue de la clarinette. Il enregistre son 1er disque, un 45 tours El’ Berdelleu en 1984 avec un groupe de Dixieland. Très tôt influencé par le jazz, grâce au tromboniste Jean-Pol Danhier, il obtient son 1er Prix de clarinette et son 1er Prix de musique de chambre à l’âge de 18 ans. Service militaire en tant que musicien, il s’intègre aux Big Bands, musique de chambre ou groupe de blues. Laissant un temps la clarinette pour le saxophone, il démarre sur la scène belge du jazz grâce aux stages des Lundis d’Hortense puis s’inscrit au Conservatoire royal de Bruxelles en jazz et obtient son 1er Prix de saxophone en 1992.

Il enseigne la clarinette et le saxophone dans diverses Académies tout en menant multiples projets: Alleman-Loveri, avec le guitariste Paolo Loveri pour l’album Duo; Fabrice Alleman Quartet où il est entouré de Michel Herr, Jean-Louis Rassinfosse et Frédéric Jacquemin pour l’album Loop the Loop enregistré en studio et en live au Festival International de jazz à Liège est récompensé en ’98 par le prix “Nicolas d’Or” et élu “meilleur album jazz de l’année”. En 1998, Fabrice est consacré “meilleur saxophoniste soprano et ténor” au référendum des radios belges et la SABAM lui décerne le prix de la “Promotion Artistique Belge”.

Faisant preuve d’un éclectisme rare il multiplie les rencontres et les styles et joue notamment du blues dans le Calvin Owens Orchestra de 1992 à 1998, du rock, de la musique ethnique, du jazz moderne avec Stéphane Galland, Fabian Fiorini, Michel Hatzigeorgiou mais aussi de la variété avec Salvatore Adamo (album Adamo Live, 1996) ou encore avec le groupe de William Sheller et ses tournées en France et en Suisse.

De 1993 à 1998, il est membre du groupe Sax no End en tournée des festivals et concerts en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique et qui lui fera rencontrer le contrebassiste Jean Warland qu’il ne quittera plus : de 1999 à 2004 avec le groupe The “A” Train sextet puis avec le Jean Warland-Fabrice Alleman Duo qui se produira en Allemagne et en Belgique jusqu’à aujourd’hui. Une autre rencontre mémorable a lieu avant cela, en 1997 lorsqu’il accompagne le Quintet de Terence Blanchard et l’OPL de Luxembourg. Tournées du Alleman-Loveri Duo au Nicaragua, Suède, Italie en 1997, jusqu’en 2001, année du 2ème album du duo On the funny side of the strings auquel se marie subtilement un quatuor à cordes.

En 1999, carte blanche pour le Festival Cap Sud à Mons, et crée la première version du One Shot Band avec le violoniste Jean-Pierre Catoul, dont l’esprit novateur et la fraîcheur rebondiront lors d’une magnifique série de concerts de 1999 à 2001. En 1999, participation au Jaco Pastorius Project de Michel Hatzigergiou au Festival du Middelheim d’Anvers, et au Gaume jazz festival avec Toots Thielemans, Otello Molina… Suivront de nombreuses tournées en Belgique et à l’étranger. En 2004 le Fabrice Alleman Quartet sort son second album Sides of Life auquel se joignent le trompettiste Bert Joris et le guitariste Peter Hertmans ainsi qu’un quatuor à cordes. L’album est alors classé “Top CD” dans le magazine Jazzmosaiek.

En 2006 le Fabrice Alleman Quartet représente avec le groupe de Philip Catherine, la délégation belge au festival Warsaw Jazz Summers Days en Pologne et, cette même année, le trompettiste Randy Brecker se joindra au Quartet lors du festival international de jazz à Liège, pour donner un concert inoubliable sous les caméras de la RTBF. En 2004, il fera 8 concerts du Sanseverino Jazz Project à la maroquinerie de Paris, dont l’heureuse expérience poussera sans doute 2 ans plus tard Stéphane Sanseverino à rappeler Fabrice Alleman pour qu’il dirige et arrange, pour la scène, la section cuivres de son Sanseverino Big Band, gravé sur l’album Exactement en 2006. Parmi les diverses activités musicales de Fabrice Alleman, on notera également les nombreux enregistrements de musiques de film composées notamment par Michel Herr ou enregistrées avec le WRD Big Band à Cologne comme au festival de Leverkusen avec Nina Freelon, Hiram Bullock, Kenwood Dennard.

d’après CONSERVATOIRE.BE


© igloorecords.be

Le musicien a débuté sa carrière en 1990. A la suite de quelques workshops décisifs, notamment avec le saxophoniste américain Tim Ries, il intègre la section jazz du Conservatoire de Bruxelles (Steve Houben, Jean-Louis Rassinfosse, Richard Roussselet) et en 1992, il reçoit un premier prix en saxophone. La même année, il rejoint la Manhattan Shool of Music à New York, où il travaille avec Phil Woods, Toshiko Akiyoshi, Steve Salgle… Il joue dans différents groupes et styles (jazz, rock, funk, variétés…) et entre autres avec Adamo, William Sheller, Calvin Owens Blues Orchestra… Cependant ses préférences le portent vers le jazz, et il se produit avec les plus éminents jazzmen belges, Michel Herr, Steve Houben, Richard Rousselet, Bruno Castellucci, Jean Warland… Il enregistre son premier album en duo avec le guitariste Paolo Loveri en 1996 et vient de sortir Spirit One : Clarity.

Ce nouvel album est le premier volet d’un triptyque discographique intitulé Spirit, 3 albums indissociables dont deux restent à paraître. Ce premier album est librement inspiré du monde sonore de Chet Baker,  une grande inspiration pour le saxophoniste Fabrice Alleman. Spirit One : Clarity, rassemble neuf compositions, des mélodies d’une sensibilité et d’une profondeur rares. Une musique simple, évidente, immédiate, comme celle de Chet.

Parmi les acolytes du saxophoniste, il y a le solide Jean-Louis Rassinfosse à la contrebasse et l’incroyable guitariste Philip Catherine, eux-mêmes grands complices de Chet Baker ! Le lumineux Nicola Andrioli les rejoint au piano et enfin, pour compléter l’équipe de haut vol, Mimi Verderame et Armando Luongo se partagent la batterie. Cerise sur le gâteau, le Budapest Scoring Orchestra s’invite sur deux morceaux.

d’après RTBF.BE


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : compilation par wallonica | mode d’édition : partage, décommercalisation et correction par wallonica | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustration en tête de l’article : © jazz station.be ; igloorecords.be.


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YEATS : textes

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Wine comes in at the mouth
And love comes in at the eye;
That’s all we shall know for truth
Before we grow old and die.
I lift the glass to my mouth,
I look at you, and I sigh.

A Drinking Song (1910)

Par la bouche, on boit le vin
Et par les yeux, on boit l’amour ;
C’est là tout ce que nous apprendrons,
Avant de vieillir, avant de mourir.
Je porte le verre à ma bouche,
Je te regarde… et je soupire.

Chanson à boire (1910, trad. Patrick Thonart)

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[RADIOFRANCE.FR/FRANCECULTURE] William Butler Yeats, poète et dramaturge irlandais (1865-1923) ; il écrit en anglais mais pense en Irlandais. Toute sa vie sera habitée par cette déchirure, toute son œuvre sera articulée autour de la question du peuple, son art, son langage. L’écriture de Yeats est complexe, labyrinthique, T. S. Eliot dira de lui qu’il était le dernier des grands lyriques anglais. Yeats fut fasciné par l’occultisme et l’ésotérisme, il fut lié aux avatars de l’ordre de la Rose-Croix, on lui prêtera des sympathies pour l’Italie fasciste… En 1923, il reçoit le prix Nobel de littérature.


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Miles Davis et l’histoire du jazz rock

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La musique rock de la fin des années 60 est marquée par les grands rassemblements musicaux autour des figures artistiques les plus en vue du monde pop. Une légende venue du jazz va être accueillie chaleureusement par le public : Miles Davis. Le trompettiste qui vient de sortir de ses expériences modales au sein de son quintette (avec Herbie Hancock, Wayne Shorter, Ron Carter et Tony Williams) propose alors au public une musique aux influences funk, héritée de James Brown et de Sly and the Family Stone, baptisée du nom de jazz-rock

Come back années 60, le virage rock et pop

Du point de vue historique, les années 60 sont des années d’expérimentations sonores cruciales pour les musiques rock et jazz. Jusqu’alors, hormis la guitare électrique et l’orgue, la musique jazz a toujours utilisé des instruments acoustiques. Cependant, le développement de l’électronique conduit les luthiers et les constructeurs à imaginer d’autres instruments transportables et moins encombrants. Accompagnés d’une amplification, les instruments électriques deviennent rapidement des compagnons de routes sachant répondre aux exigences sonores des nouvelles musiques comme le rock ou le rhythm’n blues.

Sans forcément leur convenir, mais voyant leur côté pratique, les jazzmen vont incorporer dans leur formation deux instruments électrifiés : le piano et la basse. En les adoptant, les musiciens se rendent compte rapidement que leur utilisation combinée aux instruments acoustiques produit un nouveau son, et que ce nouveau son appelle une autre musique. Ainsi, sans le vouloir vraiment, des grands noms du jazz vont séduire un auditoire plus large en étant influencés par d’autres courants musicaux, tels que la musique soul, les rythmes rock ou les mélodies ‘pop’.

Les puristes d’une certaine idéologie jazz voyant s’installer un relâchement crient à la trahison. Certains critiques n’acceptent pas que des musiciens de talent aient recours à certaines facilités dans le seul but de plaire au plus grand nombre. Ce sera le cas du quintette du saxophoniste Cannonball Adderley qui, dès 1967, joue une musique quelque peu funky et rhythm’n blues pour attirer l’attention d’un public pas toujours jazz.

Depuis déjà quelque temps, des jazzmen cherchent à sortir la musique jazz de son impasse ‘free’, à l’émanciper de son élitisme. Autour d’eux, la frontière entre musique jazz et musique rock se rapproche chaque jour d’avantage. De nombreux musiciens ressentent qu’une fusion entre ces deux musiques est imminente, mais personne n’ose encore franchir le pas. Les musiciens jazz restent sur leur garde, même si les rythmes binaires jouent des coudes pour prendre un peu de place. À cette époque, la majorité des jazzmen considèrent la musique rock comme une musique rythmiquement et harmoniquement trop basique, une musique incapable d’augurer à leurs yeux les prémices d’un nouveau langage musical.

Pourtant, de son côté, la musique rock a de multiples ambitions. Quelques groupes veulent faire entendre leur différence en produisant des musiques aux écritures plus élaborées. La musique rock n’est pas encore assujettie à la performance instrumentale, mais déjà des tendances voient le jour. On ne parle pas encore de jazz-rock, mais de ‘rock progressif’ ou de ‘rock psychédélique’.

Des musiciens comme Graham Bond ou Alexis Corner font appel à des musiciens de jazz et de blues, tandis que Soft Machine tente des incursions dans un jazz avant-gardiste. Pour des formations comprenant des cuivres comme Chicago ou Blood, Sweat and Tears, la tentation d’accorder une place fusionnelle entre les rythmes rock et les harmonies jazz est plus que palpable.

De leur côté, les nouvelles orientations musicales des Beatles vont être d’une grande importance pour l’avenir des musiques rock et jazz. Les ‘4 de Liverpool’ décident d’utiliser les techniques d’enregistrement en re-recording toute récentes, pour satisfaire leur créativité débordante. Le travail mené en studio aboutira à l’enregistrement de l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band (réalisé en 1967, Sgt. Pepper’s consacre également l’avènement de l’album concept déjà auguré par les Beach Boys). Cette sophistication technologique entraînera une autre façon d’élaborer la musique en studio, mais de plus une autre façon de penser le travail en groupe.

Miles Davis et Jimi Hendrix
Miles Davis et Jimi Hendrix

Pour Miles Davis, la rencontre avec le guitariste Jimi Hendrix en 1968 va être révélatrice. Le trompettiste joue à cette époque une musique expérimentale essentiellement modale. C’est le temps où Miles enregistre quelques disques incontournables qui ont pour nom : Miles Smiles, Nefertiti ou Miles in the Sky… Miles se rend compte que Jimi Hendrix est un véritable ‘guitar hero’ de la musique pop, mais également un artiste qui a su habilement marier l’esprit de la musique blues au son populaire du rock. Pour Miles, il n’y a pas de doute, l’époque est bien celle de la rencontre de toutes les musiques.

Les groupes de rock présents dans les festivals de musique révèlent leur profond désir d’aborder la musique sous toutes ses formes. Chaque groupe revendique l’existence d’un nouveau courant, parfois vraisemblable ou parfois éphémère : folk/rock, country/rock, rock psychédélique, hard-rock, etc. Un nombre très important de groupes rock surgissent le temps d’enregistrer un ou deux disques, d’accomplir une ou deux tournées avant de disparaître aussi vite qu’ils étaient apparus.

Force est de constater que cette énergie, cette volonté créatrice, va influencer à son tour de jeunes musiciens de jazz. À cette époque, une fracture de génération, d’école, de vision musicale apparaît chez les jazzmen. La tradition étant tenace, bien peu de ceux qui ont pratiqué le swing ou le bop seront capable de s’entourer ou de se projeter musicalement à travers les rythmes et les sonorités rock.

Miles Davis lance le jazz-rock

En 1970, quand Miles Davis se produit sur scène avec sa trompette équipée d’une pédale wah-wah, il indique à tous ceux qui sont venus l’écouter, que l’époque où il interprétait So What est ‘out’, qu’il a franchi un nouveau cap et qu’il est prêt à affronter la scène rock avec l’intention de marquer les esprits.

Miles Davis, qui n’aimait pas trop la musique noire sophistiquée, telle que celle produite par la ‘Tamla Motown’, ni le rock des blancs qu’il trouvait insipide ou trop simpliste, trouve dans le funk primaire hérité de James Brown, une musique capable de stimuler son imagination. De ses aveux critiques, Miles prendra soin d’éviter tout rapprochement avec un langage musical hérité du free jazz. Même si les premiers disques de sa période ‘jazz-rock’ sont libres dans leur forme, ils n’ont pas pour revendication de prolonger l’esprit d’une musique free-jazz sur le déclin, mais plutôt la continuité d’un jazz modal.

Les enregistrements de la plupart des disques jazz-rock (In a Silent Way, Bitches Brew…) sont basés sur de longues improvisations qui sont ensuite montées en studio. L’intention était alors clairement affichée par le trompettiste : un minimum de répétitions et quelques indications sommaires relatives au tempo et à l’emplacement des improvisations suffisaient généralement. Les musiciens présents lors des séances d’enregistrement devaient s’en contenter ou partir !

En 1969, quand Miles Davis enregistre l’album In a Silent Way, le musicien décide de rompre les amarres avec l’acoustique. À l’écoute de son disque, on est surpris non pas par les compositions, mais par la sonorité qui s’en dégage. Un climat sonore très particulier, ni free, ni totalement jazz ou rock, mais à la tonalité très contemporaine. Un style encore ‘brouillon’ mais qui va devenir plus mature à partir de l’album suivant Bitches Brew (1969).

Cette musique, qui va être baptisée du nom de jazz-rock, va faire couler beaucoup d’encre. Miles et sa trompette électrique vont être condamnés par de nombreux critiques de jazz. Celles-ci atteindront les sommets quand l’album On the Corner sortira en 1972 (notamment dans la revue Jazz-Hot). La démarche du musicien n’est apparemment pas comprise. Pourtant, en invitant dans ses disques de jeunes instrumentistes virtuoses comme le guitariste anglais John McLaughlin, le claviériste Joe Zawinul ou le saxophoniste Bennie Maupin, Miles Davis crée une musique étonnamment jeune et innovante.

Miles Davis et John McLaughlin

Sa musique s’enracine dans de longues suites qui peuvent durer parfois 10 ou 20 minutes et même davantage. Le groove funk servi par les lignes répétitives de la basse (jouée par Michael Henderson) apporte son côté incantatoire, hypnotique. Les musiciens entourant Miles se dévouent sans compter pour porter au plus haut l’esprit de sa musique.

Dès lors, le “Miles Davis chercheur” va se transformer en dénicheur de talent. Chaque disque ou presque nous permet de découvrir quelques brillants musiciens qui vont, grâce à lui, se révéler au public. Citons notamment… le fidèle Herbie Hancock, mais également Chick Corea, Joe Zawinul et Keith Jarrett pour les claviers ; John McLaughlin, John Scofield et Dominique Gaumont pour la guitare ; Bennie Maupin, Wayne Shorter et Steve Grossman pour les saxophones ; Michael Henderson et Dave Holland pour la basse ; Tony Williams, Billy Cobham, Jack DeJohnette, Al Foster, Mtume et Lenny White pour la batterie ; Airto Moreira et Don Allias pour les percussions.

Cette musique, qui s’adresse d’abord aux amateurs de jazz à cause de la grande place accordée à l’improvisation, va en réalité séduire dans un premier temps le monde hippie. Le musicien sera accueilli au Festival de l’île de Wight (1970) sous les applaudissements. À cette époque, il est difficile de concevoir meilleur orchestre : Gary Bartz (saxophones), Keith Jarrett et Chick Corea (claviers), Dave Holland (basse) Jack DeJohnette (batterie) et Airto Moreira (percussions).

Pour les musiciens, un passage dans l’orchestre de Miles Davis, c’était vivre une expérience musicale unique. La plupart d’entre eux poursuivront l’élan apporté par Miles Davis en créant leur propre formation jazz-rock. John McLaughlin crée le mystique Mahavishnu Orchestra, Joe Zawinul et Wayne Shorter forment un groupe de ‘world music’ avant l’heure, Weather Report, tandis que Chick Corea va démontrer ses qualités de compositeurs au sein du Return to Forever.

Suite à Bitches Brew, des albums aux qualités inégales vont se succéder. Pour Miles Davis, l’album On the Corner (1972) souligne l’impact de sa musique auprès des jeunes noirs. Musicalement plus conciliant et plus facile d’accès, On the Corner cherche à séduire les jeunes gens qui sont attirés plus par le rock que par le jazz. Hélas, les mauvaises critiques ne permettront pas à l’album de trouver son public, même si aujourd’hui l’album fait référence dans le style jazz-funk.

La fin de la période jazz-rock

En 1975, l’épisode Jazz-Rock touche à sa fin. Armé de sa trompette, les improvisations de Miles Davis, portées par des rythmes funk de plus en plus présents, se résument souvent en quelques notes étranglées, stridentes. Le long chapelet de notes qui illustrait les phrases cool des années 50 ont totalement disparu. Seules les notes charnières supportant les harmonies subsistent. Le rythme binaire de la batterie jouée par ‘Mtume’ Foreman est à sa plus simple expression et ne se désolidarise presque jamais de celui de la basse du fidèle Michael Henderson.

La musique produite sur scène par Miles et ses musiciens n’est jamais le reflet de celle enregistrée en studio. Les concerts possèdent une certaine magie qui ne cesse de surprendre et d’étonner ceux qui y assistent. Sans faire le parallèle entre Frank Zappa et Miles Davis (les deux artistes sont à l’opposé dans leur façon d’aborder la musique), ils ont en commun d’être des chercheurs insatiables qui, d’une tournée à une autre, usent les musiciens qui les accompagnent. En effet, la musique de Miles Davis, tout comme celle de Zappa, est très exigeante. Si celle du trompettiste demande une capacité à se renouveler, à réinventer lors de chaque concert, celle du guitariste compositeur verse dans la complexité des écritures.

Après s’être produit un peu partout (Europe, Japon…), Miles Davis va s’éclipser pour des raisons de santé et fera son come-back au début des années 80 en véritable star du jazz. On retiendra de la fin de cet épisode jazz-rock, son passage au Carnegie Hall de New York en 1974 et les deux concerts de Tôkyô (album Agartha – 1975).

Jusqu’à la fin de son existence, Miles Davis ne fera jamais de mea culpa sur son passage controversé à l’électricité et sur ses choix musicaux. Pour son grand retour en 81, il restera fidèle jusqu’au bout à ce qu’il a construit, à ce mélange de jazz et de funk dont il avait le secret. Certes, sa musique évoluera (le dernier album Doo-bop sorti en 1992 fait appel à des musiciens de hip-hop) et deviendra plus stylisée et structurée.

Lorsqu’il rendit hommage à Michael Jackson avec Human Nature (1985) ou lorsqu’il collabora aux écritures d’un certain Marcus Miller, le musicien n’avait jamais cessé d’être un jazzman dans l’âme. Fort de ses expériences passées, il a osé s’affranchir des codes du jazz en repoussant les différentes frontières de ses structures ; mais sa grande force est d’avoir toujours su saisir les modes et les styles qui naissaient et d’aller au devant d’eux quand le moment s’y prêtait.

d’après CADENCEINFO.COM

DELAITE : L’Académie royale des Beaux-Arts de Liège, presque 250 ans d’histoire aujourd’hui (CHiCC, 2022)

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Liégeoise d’abord

C’est François-Charles de Velbrück, prince-évêque de Liège de 1772 à 1784, qui prit en 1775 la décision de créer une “Académie de peinture, sculpture et gravure” ainsi qu’une “Ecole de dessin relative aux arts mécaniques”. Le peintre Léonard Defrance (1735-1805) et le sculpteur Guillaume Evrard (1709-1793) firent partie du premier corps professoral. Cette première académie occupa d’abord provisoirement deux salles de l’Hôtel de Ville avant de s’installer à partir de 1778 dans un hôtel particulier “Vieille Cour de l’Official”, à proximité de l’actuel Îlot Saint-Michel, jusqu’à la Révolution liégeoise de 1789.

Française ensuite

Sous le Régime français en 1797, Liège, devenue siège de la préfecture du département de l’Ourthe, ouvre une “Ecole Centrale”. Léonard Defrance, encore lui, y est chargé des cours de dessin. Comme toutes les autres écoles centrales de l’Empire, en 1808 l’école de Liège devient lycée et le cours de dessin n’est plus qu’un cours parmi d’autres. Quatre années plus tard, en 1812, à l’instigation des membres de la Société d’Émulation – une société savante instituée elle aussi quelques décennies plus tôt par ce prince éclairé qu’était Velbrück – un projet de création d’une école gratuite de dessin, de peinture, sculpture et architecture voit le jour : ce sera “l’Athénée des Arts”. Celui-ci ne connaîtra cependant qu’une existence éphémère, les circonstances politiques le voulant ainsi. En effet, les cours disparaissent peu après en janvier 1814 : les armées alliées entrent à Liège et mettent fin au Régime français. Cet Athénée des Arts occupait une grande salle de l’hospice Saint-Michel, rue de l’Étuve. Le peintre français Philippe-Auguste Hennequin (1762-1833) en était le directeur.

Puis Hollandaise…

Á la suite du Congrès de Vienne en 1815, Liège, passée sous l’autorité des Pays-Bas, devra attendre 1820 pour que soit créée une “Académie royale de dessin” et qu’ainsi l’enseignement des arts puisse à nouveau être dispensé. Cette académie, dont la direction est assurée par le sculpteur François-Joseph Dewandre (1758-1835), fut d’abord installée dans les locaux de l’ancien Collège des Jésuites wallons (l’actuelle université) avant de déménager en 1825 dans ceux de l’ancien Hospice Saint-Abraham. Cet immeuble, situé en Feronstrée entre Potiérue et la rue Saint Jean-Baptiste, fut démoli en 1963 pour libérer l’espace nécessaire à la construction de la Cité administrative et d’une grande surface commerciale (l’ancienne Innovation).

Belge enfin

Peu après l’Indépendance de la Belgique, désireux de soutenir les arts, un groupe de personnes se forme autour du bourgmestre Louis Jamme et émet diverses propositions qui aboutiront en 1835 à la réorganisation des cours et à la création d’une “Académie royale des Beaux-Arts”. Le peintre verviétois Barthélemy Viellevoye (1798-1855) en sera le premier directeur.

Au fil des années cependant, le nombre des étudiants croissant sans cesse, les locaux de l’ancien hospice deviennent rapidement exigus, mal éclairés, mal aérés, insalubres, surchauffés par les becs de gaz, ils présentent de réels dangers. Aussi, en 1890, l’échevin Gustave Kleyer présente au Conseil communal un projet de construction de nouveaux locaux sur un terrain jadis occupé par le couvent Sainte-Claire non loin de la gare du Palais. Le projet est accepté et les premiers travaux débutent en juillet 1892. L’Académie quittera la rue Feronstrée et l’hospice qui l’accueillait pour le nouveau bâtiment de la rue des Anglais en 1896.

© academieroyaledesbeauxartsliege.be

Le bâtiment

Construit entre 1892 et 1895 par Joseph Lousberg (1857-1912), à cette époque architecte de la Ville de Liège, le bâtiment qui abrite l’Académie royale des Beaux-Arts de Liège est inspiré par l’architecture de la Renaissance italienne.

Son plan comporte quatre ailes qui se répartissent autour d’une cour centrale aménagée en jardin. Tandis que l’aspect général de l’édifice depuis la rue des Anglais paraît très sobre, sévère même, les façades donnant sur la cour révèlent un tout autre esprit : les baies en plein cintre du rez-de-chaussée, les fenêtres à croisée du premier étage, les fenêtres géminées dotées de colonnettes à chapiteau corinthien, la corniche saillante ainsi que le remarquable escalier d’apparat à double révolution révèlent les sources d’inspiration de l’architecte. En cette fin du XIXème siècle, pour abriter une école d’art, il était de bon ton en effet de se référer à une époque de l’histoire qui voit les arts plastiques obtenir reconnaissance et prestige. Ainsi l’académie de Liège possède-t-elle des accents qui peuvent faire penser à un palais italien de la Renaissance.

Le 14 juillet 1895, le roi Léopold II inaugure ce nouveau bâtiment de la rue des Anglais. Les travaux ne s’arrêteront cependant pas là et, quelques années plus tard, avec une entrée située rue de l’Académie, un Musée des Beaux-Arts complète l’ensemble. Pendant plus de septante ans, l’enseignement, la conservation et la promotion des arts plastiques se feront dans des bâtiments contigus constituant ainsi un complexe homogène composé d’un musée, rue de l’Académie, et d’une académie,  rue des Anglais.

Fin des années septante toutefois, tout le quartier est soumis à d’importantes transformations : les infrastructures autoroutières doivent pénétrer jusqu’au cœur de la ville. Le Musée des Beaux-Arts doit laisser la place à l’automobile. Tous les immeubles situés côté chiffres pairs de la rue de l’Académie sont expropriés et détruits. C’est depuis cette époque que se dresse, visible de tous depuis la place de l’Yser (!), l’immense pignon aveugle de l’académie que quelques chétifs peupliers peinent à dissimuler…

Si aujourd’hui le musée a disparu, le bâtiment abritant l’Académie n’a toutefois quasiment rien perdu de la physionomie qu’il présentait en 1895.

L’architecte de l’Académie

Originaire de Baelen, Joseph Lousberg, diplômé de l’Académie en 1883, a fait carrière dans les services de la Ville avant d’être désigné architecte des bâtiments communaux en janvier 1887. Á ce titre, il dessine de très nombreux bâtiments: les écoles du boulevard Ernest Solvay au Thier à Liège (1890), de la rue Maghin (1894), du boulevard Kleyer (1911), de la place Sainte-Walburge (1905), de la place Vieille Montagne dans le quartier du Nord (1906) mais aussi l’annexe de l’Athénée du boulevard Saucy (1903), l’école d’Armurerie de la rue Léon Mignon (1904). C’est également lui qui dessine les plans de l’ancienne bibliothèque des Chiroux en 1904, des crèches de la rue Rouleau (1905) et de la rue du Laveu (1912) ainsi que les pavillons représentant la Ville de Liège aux expositions universelles de Bruxelles, Liège et Gand. Il travaille également à la restauration du Musée Curtius et de l’ancien couvent des Ursulines au pied de la Montagne de Bueren. Il dessine enfin des immeubles pour le privé comme les bâtiments, aujourd’hui détruits, du banc d’épreuve des armes à feu, rue Fond des Tawes, ainsi que de nombreuses maisons particulières dans la région de Dolhain Limbourg.

Dans l’escalier

Ciamberlani © visemagazine.be

Albert Ciamberlani (1864-1956), l’auteur de cette grande peinture décorant aujourd’hui le grand escalier, est né à Bruxelles en 1864 d’un père italien et d’une mère flamande. Après un court séjour à l’Académie de Bruxelles dans la classe de Portaels, il fait partie du groupe l’Essor avant de fonder le cercle “Pour l’Art” avec Jean Delville, Emile Fabry et Victor Rousseau notamment. En cette fin de siècle, ce groupe appartient à la mouvance symboliste. L’esprit littéraire, l’idéalisme et l’allégorie soufflent alors sur les beaux-arts.

En France, Pierre Puvis de Chavannes a ouvert une voie qui renouvelle la peinture monumentale: de grandes compositions claires, statiques, des tonalités mates, des personnages aux gestes lents, le silence. Albert Ciamberlani retient la leçon. “L’hommage aux héros de la colonisation” n’a pas été réalisé pour l’Académie, même si l’oeuvre paraît s’intégrer parfaitement à l’espace de l’escalier. La peinture décorait le pavillon de l’Etat indépendant du Congo à l’Exposition universelle de Liège en 1905. Elle a été achetée en 1929 pour le Musée des Beaux-Arts qui jouxtait jadis l’Académie. Ciamberlani a travaillé pour d’autres lieux: les Hôtels de Ville de Saint Gilles et de Schaerbeek, le Musée de Tervuren, le Cinquantenaire et les Palais de Justice de Louvain et de Bruxelles.

Les députés gantois attendant à la porte du palais de Charles le Téméraire…

Lorsque le musée des Beaux-Arts quitta la rue de l’Académie, ce grand tableau d’histoire resta accroché au mur du couloir du rez-de-chaussée de l’école. Signé Emile Delpérée et daté 1877, cette peinture évoque un épisode de l’histoire médiévale. En 1468 Charles le Téméraire avait mis à sac la ville de Liège. Quelques mois plus tard, le duc de Bourgogne évoquant la possibilité de faire subir le même sort à leur ville, les Gantois envoyèrent leurs députés afin d’implorer sa clémence. L’histoire rapporte que le Téméraire fit patienter la délégation plus d’une heure et demie dans la neige avant de l’autoriser à pénétrer dans le palais. Les députés se prosternèrent ensuite à ses pieds et lui remirent leurs chartes et les bannières de leurs métiers avant de lui dire merci. Delpérée professeur chargé du cours de peinture, comme Chauvin ou Vieillevoye avant lui, s’inscrit dans la tradition d’une peinture qui cherche par l’image à nous instruire et à nous faire réfléchir à partir d’épisodes de l’histoire nationale et locale.

Dans ce tableau, Delpérée multiplie certes les expressions, les visages sont tendus, les corps sont raides, les poings crispés mais surtout il nous propose des visages singuliers comme s’il voulait nous montrer que bien plus qu’un groupe nous avons là, dans ces circonstances, des personnalités individuelles que la peur révèle. Lorsqu’on examine ces visages, leur précision laisse penser que Delpérée a rassemblé là quelques-unes de ses connaissances. S’il est délicat de s’aventurer dans l’attribution de certains visages, on peut toutefois sans hésitation reconnaître Charles Soubre (1821-1895), son collègue professeur de dessin (1854-1889) dont il a épousé la fille.

La bibliothèque et le fonds Henri Maquet

Joseph Lousberg ne s’est pas contenté de dessiner les plans du bâtiment, il a également conçu tout l’aménagement ainsi que le mobilier de certains locaux de l’école comme l’amphithéâtre du premier étage ou, plus significatif encore, la bibliothèque ;  il dessine ainsi toutes les armoires, la galerie, jusqu’au motif des charnières et des serrures.

L’architecte Henri Maquet, né en 1839, a fait ses études à l’Académie de Liège avant de faire carrière à Bruxelles où, notamment, il conçut les plans de l’Ecole royale militaire et où il travailla à la transformation du Palais royal. A sa mort en 1909, en hommage à l’école qui l’avait formé, il lègue son exceptionnelle collection de livres anciens d’architecture. C’est ainsi que la bibliothèque de l’Académie peut offrir, à la consultation, des ouvrages comme les traités d’architecture de Vignole,  Serlio, Palladio, Perrault, Blondel…, les œuvres de Gianbattista Piranese, les livres de Gérard de Lairesse ou encore de Viollet-le-Duc…

L’Académie aujourd’hui

Les locaux de la rue des Anglais abritent trois écoles différentes : l’Académie royale des Beaux-Arts (Ecole supérieure des Arts de la Ville de Liège et ses huit options : peinture, sculpture, gravure, scénographie, vidéo, publicité, illustration et bande dessinée), les humanités artistiques du Centre d’Enseignement secondaire Léonard Defrance et enfin l’enseignement artistique à horaire réduit. C’est également dans ses locaux enfin que divers stages sont organisés durant les mois d’été pour les adultes et pour les enfants.

Philippe DELAITE

      • Pour en savoir plus…
      • image en tête de l’article : façade de l’Académie des Beaux-Arts, Liège © Philippe Vienne

La CHICC ou Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE) et wallonica.org sont partenaires. Ce texte de Philippe DELAITE  a fait l’objet d’une conférence organisée en décembre 2022 par la CHiCC : le voici diffusé dans nos pages. Pour les dates des autres conférences, voyez notre agenda en ligne

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Tubular Bells : l’exorcisme musical de Mike Oldfield

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Une introduction à Tubular Bells de Mike Oldfield. Un disque révolutionnaire composé d’une seule oeuvre, sans voix, ni batterie. L’identité musicale du film L’Exorciste fut aussi pour un adolescent de 17 ans une façon d’exorciser ses propres peurs…

C’est une étrange ritournelle qui résonne dans les bureaux new-yorkais du label Atlantic Records en cette fin d’année 1973. Le patron, Ahmet Ertegün fait découvrir à son ami, le réalisateur William Friedkin, un disque venu de Grande-Bretagne. Une nouveauté sorti il y a quelques mois chez Virgin, un tout nouveau label anglais. Quand Ertegün lance le disque sur la platine vinyle de son bureau, Friedkin a une révélation. Ce thème joué par un piano, un orgue et un glockenspiel est paradoxal, il sonne comme une mélodie enfantine et pourtant il est inquiétant. Il sera donc parfait pour accompagner quelques scènes de son nouveau film qui raconte justement l’histoire d’une jeune fille possédée par un démon.

Une scène de l’Exorciste (1973) © Morgan Creek Prods

Le succès fulgurant de L’Exorciste et par conséquent de Tubular Bells sonnent comme une délivrance pour Mike Oldfield. Aujourd’hui au sommet des charts anglais et américain, il n’a pas oublié ce passé pas si lointain ou des maisons de disques lui avaient fermé la porte au nez. On lui disait que personne n’écouterait un album composé d’une seule oeuvre, sans paroles ni batteries, que ce projet était mort-né car il ne pourrait pas être diffusé à la radio. Mais Oldfield a tenu bon. Il ne pouvait pas faire autrement car ce projet était pour lui une sorte de rédemption, le fruit d’un important travail, sa victoire sur la dépression, une oeuvre longue et ambitieuse qui se rapprochait alors de son idéal artistique !

Mike Oldfield tente de convaincre les majors anglaises. Il leur explique que cette musique inspirée par les œuvres des compositeurs minimalistes américains n’a pas vocation à être diffusé à la radio. Elle doit s’écouter dans son intégralité, sur un disque. Ce n’est que dans ces conditions que l’on peut apprécier les évolutions des motifs musicaux, la superposition des instruments et la transformation de son thème inaugural. Il cache d’ailleurs un secret car il est construit sur une alternance phrases musicales de 7 et de 8 temps. C’est pour cette raison qu’il n’est jamais redondant et qu’il dégage une sensation d’étrangeté.

Le rêve de Mike Oldfield s’est finalement accompli lorsque Virgin, un tout nouveau label anglais a finalement invité le musicien à venir enregistrer en studio. C’est dans un manoir du XVe siècle que le multi-instrumentiste a pu enregistrer les différents instruments de Tubular Bells. Un piano, des guitares, une mandoline, une basse, des flûtes tout un tas de percussions et notamment des cloches tubulaires laissées-là par John Cale lors d’un précédent enregistrement. Des cloches tubulaires, habituellement reléguées au fond d’un orchestre symphonique et qui deviennent les héroïnes de l’opus 1 d’Oldfield. Elles sont le titre de l’oeuvre, l’identité de la pochette de l’album et le climax de Tubular Bells lorsque frappée par un marteau d’acier, elles résonnent, toutes puissantes, comme une bénédiction pour Mike Oldfield !

d’après RADIOFRANCE.FR


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, correction et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Trevor Key.


CALIGARI, Serge (1909 – 1994)

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Serge Caligari étudie le violon dès son enfance. A douze ans, il se produit déjà en concert et est considéré comme un violoniste de grand talent. Il est remarqué par Stan Brenders qui l’engage dans l’orchestre qu’il dirige au Bois de la Cambre (Bruxelles).

Il se met au saxophone alto et à la clarinette, développe une sonorité veloutée qui va séduire, au début des années 30, Jean Bauer, qui vient de reprendre en mains l’orchestre d’Oscar Thisse et en a fait le Rector’s Club. Caligari remplace Thisse au sein de l’orchestre. Pendant une dizaine d’années, sa trajectoire se confond dès lors avec celle du Rector’s : engagements d’été à la Côte (Blankenberge, Knokke), saisons en Suisse, en Hollande, hiver à l’Eden (Liège), etc.

Il s’initie à l’improvisation aux côtés de Brinckhuyzen notamment et fait profiter l’orchestre de sa culture classique et d’une technique instrumentale sans failles. Pendant la guerre, il reste fidèle au Rector’s. Parallèlement, il joue avec l’accordéoniste Hubert Simplisse et participe à l’enregistrement des disques gravés par celui-ci avec Raoul Faisant et René Thomas. A l’arrivée du jazz moderne, à la fin des années 40, Serge Caligari perd progressivement le contact avec le jazz, comme la majeure partie des musiciens professionnels.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : maintenance requise | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © mesmononkes.be


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ELIASSON, Olafur (né en 1967)

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“Pour les Danois, je suis islandais. Pour les Islandais, je ne le suis pas tout à fait” (Olafur Eliasson). L’artiste dano-islandais Olafur Eliasson, naît en 1967 à Copenhague.

Olafur Eliasson part du principe qu’il existe une contradiction entre l’expérience et la connaissance que l’on a du visible, ce qui le pousse à explorer, à travers les frontières de la perception humaine, les relations entre nature, architecture et technologie.

En combinant science et technologie avec la production artificielle de phénomènes naturels (lave, brouillard…), Olafur Eliasson plonge le spectateur dans une expérience aussi bien psychologique que physiologique qui lui permet de questionner le familier, le banal et les différences entre nature et culture.

Les œuvres d’Olafur Eliasson ont fait l’objet de nombreuses expositions individuelles dans les musées et galeries du monde entier, parmi lesquelles l’installation Weather Project, exposée avec succès en 2003 dans le cadre des Unilever Series à la Tate Modern de Londres. Ses travaux sont présents dans plusieurs collections publiques ou privées, notamment au Musée Solomon R Guggenheim de New York, au Musée d’Art Contemporain de Los Angeles, à la Fondation Deste d’Athènes et à la Tate Modern. Olafur Eliasson représente le Danemark à la Biennale de Venise en 2003.

Je suis né à Copenhague de parents islandais, mariés à 18 ans, divorcés à 22 ans. J’ai donc passé très vite mes vacances en Islande chez mes grands-parents, près de Reykjavík, dans un port tout au fond d’un fjord. Ma famille vient d’une lignée de pêcheurs, comme 99 % des Islandais. Nous étions une bande de gosses à jouer avec la marée qui monte sans prévenir, d’un coup, dans les fjords, à récupérer dans la mer les balles du club de golf voisin, puis à les lancer à toute force sur les carcasses de voitures dans la casse en contrebas. Cela faisait de la musique ! Rien de romantique, mais la liberté des sens en éveil.

d’après MOREEUW.COM


“Spherical Space” (2015) © blog.artsper.com

Olafur Eliasson est un artiste et architecte contemporain danois dont la pratique englobe sculpture, installation participative, peinture, photographie, vidéo… Artiste conceptuel pluridisciplinaire, Olafur Eliasson développe un travail explorant la formation de la subjectivité (perceptions, expériences vécues, sens du soi…). Depuis ses débuts, la lumière et les phénomènes chromatiques (avec leurs multiples ramifications perceptuelles et conceptuelles) jouent un rôle nodal dans son œuvre. Jusque dans la manière dont la lumière et les phénomènes visuels modèlent le rapport à l’espace, au contexte, à la façon d’habiter. En 2016, Olafur Eliasson aura été invité à exposer à Versailles, dans le château du Roi-Soleil. Un lieu parfait pour son œuvre, compte tenu de la galerie des Glaces, notamment. Il y expose alors de multiples pièces miroitantes (Your sense of unity, Deep Mirror…). (…)

Olafur Eliasson : des installations et sculptures explorant la perception et l’impact de la lumière, des couleurs

Olafur Eliasson a grandi entre le Danemark et l’Islande (dont sont alors originaires ses parents). Il a étudié à l’Académie Royale des Beaux-Arts du Danemark (1989-1995). Après son diplôme, il s’installe à Berlin et crée le Studio Olafur Eliasson. Atelier-entreprise, celui-ci rassemble, deux décennies plus tard, près d’une centaine d’artisans, architectes, techniciens spécialisés, archivistes, administrateurs, développeurs, historiens d’art, cuisiniers… Ses premières œuvres, conceptuelles, recourent à de multiples dispositifs optiques. Projection lumineuse (Window Projection, 1991) ; miroir et bougie allumée (I grew up in solitude and silence, 1992) ; lentilles optiques (Untitled (Looking for love), 1993) ; phénomènes de prisme (Beauty, 1994)… Soient des thèmes et phénomènes qu’il ne cesse de reprendre et d’approfondir au fil de ses œuvres. En accentuant les phénomènes, les complexifiant, les incluant dans des mécanismes et installations de plus en plus élaborés. À l’instar de l’installation Care and power sphere (2016), présentant de multiples facettes en verre dichroïque.

La lumière productrice d’intersubjectivités : architecture, urbanisme et compagnie d’électricité

Marqué par la dynamique lumineuse singulière des nuits (et jours) polaires, le travail d’Olafur Eliasson explore l’influence que la lumière (et les couleurs) peut avoir sur la perception de soi et de l’environnement. La lumière et les couleurs étant ici traitées tour à tour comme des phénomènes objectifs et subjectifs. Ou comme des phénomènes créant de l’intersubjectivité. Telles ses œuvres Rainbow assembly (2016), Visual mediation (2017), Midnight sun(2017)… Exposé dans le monde entier, Olafur Eliasson a également participé à la Biennale de Venise, d’art et d’architecture (2003, 2006, 2010, 2012, 2017…). En 2012, avec l’ingénieur Frederik Ottesen il fonde la société Little Sun. Une structure qui produit et vend une lampe solaire, tout en fournissant de l’électricité à prix abordables. En 2014, avec l’architecte Sebastian Behmann il fonde le Studio Other Space, à Berlin. Soit une agence se consacrant à des projets architecturaux et urbains expérimentaux.

d’après PARIS-ART.COM


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CIRRI, Antonio “Antoine” (né en 1952)

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Après des débuts dans le milieu rock, il découvre le jazz par l’intermédiaire du trompettiste Milou Struvay. Apprentissage à Liège aux côtés des meilleurs jazzmen locaux (Jacques Pelzer, Robert Jeanne, Jean Linsman…) et de deux Américains installés à Liège à l’époque : le pianiste Ron Wilson et le saxophoniste Lou Mc Connell (milieu des années 70). II fait partie de nombreux groupes de jeunes (notamment Four avec André Klenes, Robert Woolf et Pierre Peusgen en 1976), suit parallèlement des cours de percussion classique et de batterie et étudie avec Steve Lacy, Butch Morris et Karl Berger dans le cadre de la classe d’improvisation du Conservatoire de Liège.

Il devient professionnel, se produit avec ]’orchestre du Lion, puis, au début des années 80, avec le groupe Maydance (Albert Wastiaux) et avec le quintette de Pirly Zurstrassen (aux côtés de Pierre Vaiana, Jean-Paul Danhier et Michel Hatzigeorgiou). Sideman occasionnel (John Ruocco, Serge Lazarevitch, etc.). En 1986 et 1987, Cirri suit les stages d’été des Lundis d’Hortense et du Jazz Studio d’Anvers avec Joe Lovano et Aldo Romano.

A Liège, il anime les soirées de la Péniche, accompagne Jon Eardley et Guy Cabay. Entretemps, il assume un travail musical éclectique : musique contemporaine (Pousseur), musique pour le théâtre, le cinéma, la danse ; accompagnement de chanteurs (Philippe Anciaux, J. Reinhardt et surtout William Sheller – tournée en 1987).  En 1988, il enregistre avec Pierre Yaiana de retour de New York, et fonde avec Pirly Zurstrassen et Sal La Rocca le trio Plink Barn Toung ; il travaille aussi avec Steve Houben, Richard Rousselet, Phil Abraham… Début 1989, il se produit avec les guitaristes américains John Thomas et Al Defino et monte son propre quintette : Belolita.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : maintenance requise | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Claude Lina


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BEDEUR, José (né en 1934)

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José BEDEUR est né à Huy en 1934. Après des études de violoncelle, d’harmonie et de musique de chambre aux Conservatoires de Huy et de Namur, il découvre le jazz. En 1956, il fonde le Melody Swing Quintet, orchestre “à géométrie variable” dans lequel apparaît à l’occasion Raoul Faisant, et dont le répertoire est à mi-chemin entre le jazz et la musique de danse. Il écrit ses premières compositions et participe à la fondation du Jazz-Club de Huy ; au Grenier (le club de jazz hutois de l’époque), il rencontre de nombreux musiciens belges et étrangers. Avec Jean-Marie Troisfontaine et Tony Liégeois, il monte un trio (1957) qui joue en première partie du concert de Bud Shank et Bob Cooper à Liège. Devenu musicien professionnel, il travaille parallèlement dans les orchestres de variété de Jean Saint-Paul, José Hontoir et Jerry Eve ; avec ce dernier, il tourne aux Pays-Bas, au Portugal et en Espagne, où il a l’occasion de jouer avec le pianiste catalan Tete Montoliu.

Revenu en Belgique, il monte à Liège un quintette qu’il baptise “Les Daltoniens” et qui joue un hard-bop aux arrangements plutôt audacieux pour l’époque. “Les Daltoniens” remportent en 1962 le prix Adolphe Sax, à Dinant. Puis, le quintette se réduit à un trio, le fameux Trio Troisfontaine (Jean-Marie Troisfontaine, José Bedeur, Tony Liégeois), qui se produira dans différents festivals (Comblain, Antibes, Prague). Dans les années 60, il sera l’un des premiers musiciens en Belgique tentés par le free-jazz. A la dissolution du trio, Bedeur n’apparaît plus qu’épisodiquement.

En 1978, il revient à l’avant-plan et se produit avec Charles Loos, Julverne, le groupe d’avant-garde du pianiste Christian Leroy (“Metarythmes de l’air”), Michiel Van der Esch, John Van Rymenant ainsi que, dans les contextes les plus divers, cherchant constamment à élargir le champ de ses expériences en y intégrant, par exemple, la musique classique ou électroacoustique, ou en participant à des manifestations théâtrales. Plus récemment, on le trouve dans le septette de Pirly Zurstrassen. Il a joué en duo avec le guitariste Albert Wastiaux, ainsi que dans le trio d’Alain Rochette et le quartette de Robert Jeanne.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : maintenance requise | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Robert Hansenne | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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KOCH , Henri (1903-1969)

Temps de lecture : 88 minutes >

Cet article est la retranscription intégrale de la plaquette éditée par les AMIS d’HENRI KOCH et la petite-fille du violoniste liégeois en 1989 (Martine Koch a également réalisé le dessin figurant en couverture). L’ouvrage ayant disparu des librairies, nous l’avons scanné intégralement : il est désormais téléchargeable dans notre DOCUMENTA.

José Quitin et Martine Koch ont rédigé la notice “KOCH, Henri” dans la Biographie nationale, accessible via le site Connaitre la Wallonie : nous la reproduisons ici. Après quoi, vous trouverez donc la transcription intégrale de la plaquette Henri Koch, l’homme et l’artiste, sauvée des souris de grenier !


Henri Koch
(Liège 10/07/1903, Liège 02/06/1969)

Fils d’un industriel et trompettiste amateur, la carrière musicale de Henri Koch commence très tôt, quand son père le confie à Jean Quitin, violon-solo du Théâtre de Liège [et père de José Quitin, auteur en 1938 d’une étude biographique et critique sur Eugène Ysaye, également disponible dans la documenta]. En 1914, le jeune garçon est admis dans la classe de Marcel Lejeune. S’ensuivent de nombreux premiers prix : de solfège, en 1917, de violon, en 1918, de musique de chambre, en 1920, d’histoire de la musique, en 1921, et d’harmonie, en 1922. En 1923, Henri Koch reçoit la Médaille en vermeil de violon (classe Oscar Dossin). La même année, il part pour Paris, où il joue dans de petits orchestres de cinémas et de brasseries. C’est dans la capitale française que commence sa carrière de virtuose, quand il décroche un engagement à Radiola, petite station émettrice privée de radio.
À partir de 1924, Henri Koch joue dans le Quatuor de Liège, aux côtés de Joseph Beck, Jean Rogister et de Lydia Rogister-Schor. Ensemble, ils se produiront durant quinze ans, en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Suisse, aux États-Unis, en Allemagne, en Pologne et en Autriche. Second violon dans le quatuor à cordes réuni par Marcel Lejeune depuis 1919, il devient premier violon-solo du Théâtre royal de Liège de 1925 à 1938, succédant ainsi à celui qui avait été son premier professeur, Jean Quitin.
Prix Kreisler en 1928, moniteur de la classe de violon d’Oscar Dossin puis de celle de Marcel Lejeune, cofondateur, en 1932, de l’Association pour la Musique de Chambre, Henri Koch dirige également, à partir de 1928, une classe de violon de l’Académie de Musique de Liège, jusqu’à sa nomination de professeur au Conservatoire royal de Liège, en 1932. La Seconde Guerre mondiale interrompt momentanément sa carrière internationale. Professeur à la Chapelle Reine Elisabeth à Bruxelles, de 1939 à 1944, premier violon du Quatuor de la Reine, il fonde le Quatuor municipal de Liège, en 1947.
La carrière de Henri Koch est extrêmement remplie : il est encore le premier violon-solo de l’Orchestre symphonique de Liège, de 1947 à 1969, des Solistes de Liège, soliste des Concerts d’été et du Festival de la ville de Stavelot, directeur de l’Orchestre du Cercle royal des Amateurs.

José QUITIN et Martine KOCH


© Martine Koch | Les amis d’Henri Koch asbl

 

Henri Koch, l’homme et l’artiste

Edité par l’asbl “Les amis d’Henri Koch

Parler de ces choses, chercher à comprendre leur nature, puis l’ayant comprise, essayer lentement, humblement, fidèlement d’exprimer, d’extraire à nouveau de la terre brute ou de ce qu’elle nous fournit – sons, formes, couleurs – qui sont les portes de la prison de l’âme – une image de cette beauté que nous sommes parvenus à comprendre : voilà ce que c’est que l’art.

JAMES JOYCE

A mon grand-père et à toutes les personnes qui gardent en elles son fidèle souvenir.

Martine Koch

Bruxelles, le 22 mai 1989

IN MEMORIAM HENRI KOCH

A l’occasion du vingtième anniversaire de la mort d’Henri Koch, je me devais de rendre un hommage à celui qui anima tant et si longtemps la vie musicale liégeoise.

Dès mon premier contact avec l’Orchestre de Liège, je fus impressionné par la personnalité rayonnante et généreuse de ce remarquable violoniste. Au-delà de la maîtrise incomparable qu’il conférait à son rôle de violon-solo, je fus frappé par l’enthousiasme passionné qu’il communiquait à l’orchestre pour les œuvres du répertoire et les nouveautés musicales.

Nous nouâmes vite des liens de profonde amitié qui devaient nous conduire à une collaboration artistique telle que je ne l’avais jamais connue auparavant dans ma carrière.

Jusqu’aux premières approches de cette longue maladie que, courageusement, il essayait de dominer, Henri Koch ne cessa de m’entretenir de ses préoccupations concernant les activités et l’avenir de l’Orchestre de Liège.

Avec fidélité et reconnaissance, j’honore respectueusement et affectueusement la mémoire de ce grand musicien.

Paul Strauss

C’est au cœur même de la Cité Ardente que naît, le 10 juillet 1903, François-Henri KOCH, dans une petite maison, au 18 de la rue Saint-Jean, à l’ombre du “Royal” et de la Cathédrale.

Ses parents, de condition relativement modeste, travaillent durement. Son père, Henri-Georges KOCH, dont les ascendants sont originaires de Neuwied, est artisan-nickeleur et sa mère, Eléonore-Marie DECHAMP, en bonne liégeoise vigoureuse et énergique, prête main forte à son mari dans l’atelier.

Jusque-là, rien ne laisse prévoir un musicien dans la famille, si ce n’est la passion du papa pour la trompette. Cette passion s’est emparée de lui vers l’âge de vingt ans, peut-être à force de redresser des cuivres! Aussi, dès qu’il a un moment de répit, entre un cadre de vélo et un enjoliveur à réparer, se précipite-t-il vers l’instrument pour faire des gammes et améliorer sa technique. Et il y réussit car, très vite, il est engagé dans les nombreuses brasseries qui ne manquent pas dans le quartier, ainsi qu’au “Royal” quand Aïda est porté à l’affiche, œuvre où il joue les célèbres “trompettes thébaines”. D’ailleurs, quelques jours avant sa mort, il est encore sur scène, à près de septante ans !

C’est donc au son de cet instrument que le petit François-Henri va grandir et partager ses jeux avec sa sœur Constance-Henriette, de quatre ans son aînée, qui sera aussi, tout au long de sa future carrière, sa plus fervente admiratrice. Elle épousera également un violoniste, chef d’orchestre, issu du Conservatoire de Liège, Achille Colwaert.

Pax et Max , c’est ainsi que les deux enfants surnomment affectueusement leurs parents, décident très tôt que leur fils sera musicien et réalisera ce que Henri-Georges n’a pu que partiellement réussir. Comme, selon la tradition familiale, le prénom “Henri” est un porte-bonheur, il fera sa carrière avec ce prénom seul. Reste à choisir l’instrument ! Ce qui n’est pas trop difficile étant donné la popularité dont jouit le violon en ce début de siècle, et qui règne en maître absolu sur la vie musicale liégeoise.

En effet, depuis le début du 19ème siècle, la région liégeoise est le berceau de bon nombre de violonistes virtuoses qui vont former la célèbre Ecole liégeoise du violon : Henri Vieuxtemps, Lambert Massart, Martin Marsick, Eugène Ysaye, César Thomson, Léopold Charlier… pour n’en citer que quelques-uns. De plus, cette popularité entraîne une demande car Liège ne compte plus les établissements qui utilisent des orchestres : brasseries, restaurants, café, cinémas… Le métier de musicien est devenu un “bon métier” qui assure un travail à plein temps.

Ainsi, Henri reçoit pour son huitième anniversaire non un jouet quelconque, mais un petit violon et on le confie à un violoniste voisin, Monsieur Van Missiel, qui va lui en enseigner les bases.

Quelle n’est pas la joie des parents lorsqu’ils se rendent compte qu’il ne peut bientôt plus s’en passer et possède un don réel. De plus, une petite anecdote vient prouver que c’est la bonne voie et fait disparaître à tout jamais les quelques doutes qui auraient pu subsister dans l’esprit du papa Koch quant au bon choix pour l’avenir de son fils.

Le professeur du Conservatoire Royal, Oscar Dossin, venu un jour rechercher le vélo de son fils, en réparation à l’atelier familial, entend jouer Henri et, ne sachant pas que c’est déjà chose décidée, explique avec force arguments qu’il est hors de question de faire de ce petit un nickeleur mais bien un violoniste et qu’il l’acceptera dans sa classe le moment venu.

C’est Jean Quitin (1882-1952), violon-solo au Théâtre Royal, qui se charge de le préparer à l’examen d’entrée du Conservatoire.

Il faut savoir que ce n’est pas, à cette époque, chose aisée que d’entrer dans le “Temple musical”, car il y a beaucoup de prétendants mais peu d’élus, seulement dix ou douze sur une quarantaine de candidats. Aussi, est-ce la liesse familiale lorsque, à onze ans, Henri est accepté dans la classe de Marcel Lejeune, répétiteur de Maître Dossin. C’est la joie mais la tristesse aussi car la première guerre mondiale est déclarée et Henri va faire ses études pendant une période très troublée. Ce qui n’empêche pas cependant une très grande régularité dans ses résultats.

En 1916, il est admis à suivre le cours supérieur de violon dans la classe de Maître Dossin (1857-1949), professeur émérite mais aussi très sévère, avec qui il faut “travailler dur” car, sans un travail sérieux, un don ne peut s’épanouir. De plus, c’est un digne représentant de l’Ecole Liégeoise car il fut élève de Rodolph Massart qui a formé l’illustre Ysaye dans ce même conservatoire.

Bientôt les distinctions se suivent. En 1917, premier prix de solfège, à l’unanimité, dans la classe de Lucien Mawet. En 1918, premier prix de violon, à l’unanimité et avec distinction, dans la classe d’Oscar Dossin.

(…) Je tiens à vous dire nettement tout ce que Je dois à mon bon professeur M. Dossin. C’est la base qui importe dans toute œuvre entreprise. Et la base m’a été fournie par lui, une base solide, durable, définitive. Maitre Dossin est un excellent professeur, un des meilleurs que je connaisse parce qu’il commence par FAIRE AIMER LA MUSIQUE. Je lui serai éternellement reconnaissant de m’avoir fait aimer la musique ; c’est cet amour de la musique qui m’a montré clairement la voie à suivre et qui m’a fait sentir profondément les ressources infinies de l’art violonistique au service d’un tempérament.

(…) Au Conservatoire de Liège, le respect du texte musical est inné. On met sa conscience artistique à interpréter une œuvre, de Beethoven par exemple, comme il l’eut interprétée lui-même. Et, puisque nous parlons de ce géant de la musique, je me souviens, non sans émotion, de certain concerto que M. Dossin nous faisait exécuter. Il nous disait, avant le premier coup d’archet, en nous montrant un buste de Beethoven qui figurait en bonne place dans sa classe: “Attention ! Il vous voit.” Ce “Il vous voit” nous donnait la chair de poule. Il s’agissait de bien faire. Il arrivait cependant, à notre grande honte, que notre brave professeur, mécontent du travail fourni, retourna le buste pour “qu’il ne vit plus“.

(…) L’œuvre n’est pas écrite pour l’instrument mais l’instrument est – et doit être – au service de l’œuvre.

(…) Monsieur Dossin m’avait appris ce que je considère comme un des caractères fondamentaux de l’art : la sincérité…

Interview de Henri Koch par Marcel Lépinois,
Liège-échos, novembre 1928

En 1919, au sortir d’une guerre éprouvante et désirant vivement aider ses parents, Henri, qui a à peine seize ans, enfile ses premiers pantalons longs pour entrer comme second violon au Théâtre Royal. (Voici encore une tradition familiale : son fils, Louis, y entrera comme timbalier à quinze ans, son petit-fils, Philippe, comme violoniste à seize ans, et à chaque fois sans l’autorisation paternelle !) Il tient aussi la partie de second violon dans le Quatuor Lejeune.

A partir de ce moment, il va avoir un emploi du temps assez chargé, et cela jusqu’à la fin de sa vie.

Le “Royal” à Liège (carte postale d’époque)

Le matin, il étudie lorsqu’il ne suit pas les cours du conservatoire, l’après-midi, il joue aux “Variétés” et le soir au “Royal”. Tout cela ne l’empêche nullement de continuer à décrocher les diplômes ! En 1920, premier prix de musique de chambre, à l’unanimité, dans la classe de Jules Robert. En 1922, premier prix d’harmonie, d’emblée, dans la classe de Charles Radoux. A ce sujet, mieux vaut laisser la parole à Henri lui-même :

C’était au début ! J’étais au Conservatoire et j’avais obtenu mon prix de violon. J’étais assez jeune, j’avais quinze ans, et je devais suivre le cours d’harmonie… !
J’avais devant moi une sorte de gros dictionnaire et je devais puiser là-dedans toutes les leçons ; ce qu’on pouvait faire et ne pas faire. Alors, quand j’avais consulté cela pendant une vingtaine de minutes, j’étais absolument parti sur d’autres vues… Ce qui fait que je ne suivais pas, ça n’allait pas, je n’arrivais pas à “encaisser” ces choses…
Vous savez, cela a duré deux ou trois années… Ça n’allait pas, j’étais un mauvais élève !
Et il est arrivé ceci : alors que j’étais au cours de violon, je suis appelé chez le Directeur qui était Sylvain Dupuis. C’était un homme qui adorait son conservatoire et qui l’a mené de main de maître. Il aimait ses élèves. Tous les élèves du conservatoire, il les connaissait. C’était extraordinaire ! Et la preuve qu’il les connaissait bien, c’est que je suis appelé dans son bureau et là, il me laisse, pendant je ne sais combien de temps, “mijoter” devant lui alors qu’il écrivait.
Et puis il me dit : “Mais Koch, que se passe-t-il ? …le cours d’harmonie n’a pas l’air de vous intéresser ?”
Moi, j’étais presque pétrifié. Je ne savais pas ce qu’il fallait faire ! “Pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Et il prend le registre des présences et il commence : ”Un, deux…” et il va jusqu’à je ne sais plus quel chiffre mais ça dépassait les normes.
Enfin, il me demande : “Qu’est-ce que vous avez à dire ?” Et ne sachant vraiment plus ce qu’il fallait faire, je lui réponds cette chose absolument banale, qu’un enfant de dix ans peut dire mais pas un garçon de quinze ans : “J’ai été malade !”
En disant cette phrase, je m’étais rendu compte de la bêtise, mais, enfin, rien ne sortait et il fallait absolument lui dire quelque chose !
“Ah, dit-il, tiens ! c’est curieux, ça”. Alors, il prend un autre registre, qui pesait trois, quatre kilos, et il recommence à compter puis me dit : “C’est extraordinaire chez vous, vous êtes toujours malade de dix heures à onze heures, mais jamais de neuf heures à dix heures !”
C’était vrai ! J’allais au cours de violon à neuf heures mais je ne suivais pas le cours d’harmonie à dix heures. Cela ne m’a pas mis à l’aise !
Mais il a su “arranger les choses”, comme on dit.
“Oui, c’est bien ça ! Ça ne va pas ! Eh bien, nous sommes au début de l’année scolaire, fin octobre, et dans quelques mois, vous passerez l’examen en vue du concours. Vous ne savez rien mais cela ne fait rien ! Vous passerez tout de même l’examen et si vous n’êtes pas admis, eh bien, je vous mettrai à la porte du conservatoire non seulement pour l’harmonie mais pour le violon aussi!”
A ce moment-là, vous vous rendez compte dans quelle situation je me trouvais ! Ce fut, comme on dit, un “sale quart d’heure” ! Alors, j’ai commencé à travailler comme j’ai pu. J’ai repris mon traité d’harmonie. J’étais au Théâtre mais, aux entractes, j’y travaillais. J’avais un ami magnifique, Marcel Lejeune, qui était mon aîné. C’était un harmoniste distingué, il était aussi au Théâtre et je lui demandais des conseils. Après le Théâtre, je rentrais chez moi, il était tard, on n’entendait aucun bruit, alors je recommençais à travailler très sérieusement. J’ai vraiment bloqué, j’étais affolé ! Et ce mauvais moment est devenu un moment extraordinaire quand j’ai vu le résultat : j’avais un premier prix !
Si le Directeur n’avait pas fait cela, je n’aurais peut-être jamais travaillé l’harmonie. J’aurais été un musicien, comment dirais-je, “d’école primaire”. Je n’aurais pas fait mes “humanité musicales”. C’est lui qui a permis cela, par sa dureté. Il m’a sauvé et je l’en remercie encore maintenant.

(interview radiophonique – juin 1968)

En 1923, il obtient la “médaille en vermeil” au concours supérieur de violon, récompense suprême qui couronne des études faites de régularité et de travail assidu. Il a tout juste vingt ans ! C’est un des plus beaux jours de sa vie et, pour recevoir dignement cette récompense, lors de la très solennelle remise des prix, il s’offre son premier “veston chic”, déniché par sa sœur dans une petite boutique d’Outremeuse.

Comme il est heureux lorsque, en entrant rue Saint-Jean, il s’aperçoit que tous les voisins sont sur le pas de leur porte pour lui faire l’ovation traditionnelle, selon une vieille coutume liégeoise et lui remettre une lyre faite de lauriers.

La presse commence à s’intéresser à lui. Voici d’ailleurs un témoignage concernant le jeune lauréat.

(…) Si je n’ai aucune sympathie pour le concerto de Glazounov, je ne puis taire cependant les mérites du violoniste qui s’exhiba, de Monsieur Henri Koch, médaille en vermeil de la classe de Monsieur Oscar Dossin. Il mit au service de cette page, aussi peu russe que nullement attachante, l’appoint d’une nature généreuse, d’un archet souple, d’une virtuosité et d’une maturité déjà fort apparentes. J’irai même jusqu’à écrire qu’il y avait de la flamme dans son exécution, une vivacité d’esprit sans convention et toute spontanée qui m’a plu énormément. Somme toute, Mr Koch se pose comme un espoir dans la lignée issue de notre école de violon.

(Journal de Liège – Charles Radoux – 1923)

Dès le départ, l’auteur de cet article dit ne pas aimer l’œuvre mais bien l’interprète. Et c’est bien là une des principales caractéristiques de Henri Koch violoniste. Tout au long de sa carrière, il a toujours ”transcendé” toute œuvre qu’il jouait. Il aurait pu interpréter le “bottin du téléphone”, le public l’aurait écouté avec plaisir de A jusque Z !

Son diplôme en main, la vie professionnelle s’ouvre à lui. Il pourrait continuer tranquillement une carrière déjà toute faite, à son pupitre du “Royal”, mais ce n’est pas ce qu’il ambitionne.

Ce qu’il veut vraiment, c’est élargir encore ses possibilités. Cette soif de connaissances, qui est l’un des traits dominants de son caractère, ne se limite d’ailleurs pas à la musique car, pour lui, tout est source d’enrichissement intellectuel.

Comme la plupart des artistes à cette époque, il n’a pu suivre que le cycle inférieur de l’enseignement général, les études au Conservatoire accaparant tout son temps, ainsi que le désir de travailler très tôt pour aider les siens tout en “faisant du métier”. Aussi, poursuit-il une formation d’autodidacte. Il suffit de détailler un peu sa bibliothèque : s’y côtoient Nietzsche, Dante, Plutarque, Platon, Molière, Verlaine, l‘Encyclopédie d’Histoire universelle, le Dictionnaire de la peinture

Pour se perfectionner, il faut partir à l’étranger. Aimant par-dessus tout sa langue maternelle et ne voulant pas s’éloigner trop de sa chère ville natale et de ses parents, il décide de suivre les pas de Franck, Vieuxtemps, Ysaye et part à la découverte de Paris.

Nous le retrouverons, en septembre 1923, installé dans une petite chambre de la rue des deux gares, dans le 10e arrondissement.

Une fois par semaine, il travaille avec le professeur HAYOT (1862- 1945), fondateur et premier violon d’un quatuor réputé début du siècle, et qui a fait ses études avec le liégeois Lambert Massart au Conservatoire de Paris (professeur de Wieniawsky, Sarasate, Kreisler). Ainsi, reste-t-il dans la tradition “liégeoise’ du violon, tout en étant hors de son pays.

Bien sûr, ces cours ne sont pas gratuits, de plus il doit payer son loyer et se nourrir dans une capitale qui n’a pas la réputation d’être “bon marché”. Il lui faut donc trouver des engagements pour pouvoir vivre décemment.

Heureusement, dans le Paris des Années folles de l’après-guerre, la musique tient une place importante, aussi trouve-t-il assez rapidement de nombreux “cachets” dans les multiples restaurants et brasseries (chez Barbotte, au Sélect… ) ainsi que dans des cinémas où les films, non encore parlants, sont accompagnés “en direct” par quelques musiciens. Il aurait même tenu un petit rôle dans une des productions de l’époque. Sa ressemblance avec Pierre Blanchard y serait-elle pour quelque chose ?

La brasserie, Les deux Pierrots, place Clichy, est le quartier général des musiciens en quête de travail. Les directeurs d’établissements musicaux viennent y faire des appels au micro, qui demandant un trompettiste, qui un violoniste, pour l’emmener jouer, l’heure qui suit, dans leur salle. Pour cela, il faut être doué en lecture à vue. Et Henri l’est de façon exceptionnelle. Ce qui est dû, en partie, à l’excellent enseignement du solfège au Conservatoire de Liège, reconnu dans toute l’Europe des années vingt. C’est justement ce qui va l’y faire remarquer par différents directeurs de radio. (Son fils, Emmanuel, suivant les traces paternelles passera aussi par ce quartier général quelque trente ans plus tard.)

A cette époque. la transmission sans fil en est à ses débuts, et ce sont des débuts fulgurants. Les artiste jouent “en direct” et les programmes sont “chargés”.

On le retrouve alors, plusieurs fois par semaine, dans les programmes de diverses radios de la capitale : Le petit parisien, l’émetteur de la Tour Eiffel, Radiola… , où il interprète tous les morceaux à succès de l’époque : Liebesleid de Kreisler, Légende de Wieniawsky, Berceuse de Fauré, Les clochettes de Paganini… mais aussi les concertos de Vieuxtemps ; la Symphonie espagnole de Lalo…

Le directeur de la radio émettrice Radiola, frère du compositeur Gustave Charpentier (l’auteur de l’opéra Louise) l’engage rapidement comme violon-solo à temps plein. C’est une excellente affaire pour notre ami ! Dans les brasseries et cinémas, il touchait vingt francs de l’heure, à la radio il en touche cinquante ! Radiola le charge également de l’adaptation, pour quintette à cordes, d’une sélection d’airs d’opéras célèbres. C’est bien à ce moment qu’il se rend compte que le sermon de Sylvain Dupuis a porté ses fruits, car son premier prix d’harmonie y est certainement pour quelque chose!

Bien sûr, ce genre de travail le change des études au Conservatoire, mais ne le détourne nullement de son unique but : être un violoniste “classique.”

Pendant plus d’un an, il va donc être “parisien” d’adoption, tout en revenant régulièrement passer quelques heures avec ses parents et respirer “l’air liégeois”. Toute cette activité ne l’empêche pas de consacrer un maximum de temps à l’étude des grandes œuvres du répertoire.

Vous voulez connaître une journée de musicien ? Celles de ma jeunesse musicale étaient guidées par le désir de me parfaire à tout prix, mais il fallait aussi manger son beefsteak à midi. A Paris, je travaillais ferme, j’étudiais tous les jours (un musicien qui laisse d’étudier quotidiennement est un musicien qui s’ankylose) et je me produisais à la radio. Sous plusieurs noms, figurez-vous : Boltini pour la langueur, Emilio Perez pour la chaleur rythmique et, naturellement, sous mon propre nom pour le classique.
Il faut trimer pour arriver à ne plus vivre que de sa qualité de virtuose, trimer pour acquérir cette qualité remise en question chaque jour.
Oui, beau métier, ou belle vocation plutôt. Mais tyrannique comme tout ce qu’on aime, comme tout ce que l’on veut le plus parfait possible.

(interview Germinal – A. Closset – 22.7.1961)

En novembre 1924, le service militaire le rappelle en Belgique. Caserné à Etterbeeck, il fait partie du premier régiment des Guides. Mais s’il est doué pour la musique, il ne l’est pas autant pour la cavalerie ! Les premières manœuvres ne se passent pas trop bien. D’abord, il ne répond pas lorsque l’adjudant fait l’appel et s’époumone au nom de François Koch, son nom “officiel” (on l’a toujours appelé Henri !), ce qui lui vaut quelques corvées supplémentaires. Ensuite, il part désespérément accroché à la crinière d’un cheval qui s’emballe pour revenir à la caserne, plusieurs heures plus tard, à pied et sans cheval ! (celui-ci étant rentré dans son box depuis déjà longtemps!)

Heureusement, le chef de musique Prévost apprend qu’il est violoniste et lui donne la possibilité de terminer ses obligations dans l’orchestre qu’il dirige.

En novembre 1925, ayant rempli son devoir envers la patrie, Henri décide de ne pas retourner à Paris, où il aurait pu faire une brillante carrière, s’y étant déjà fait un nom dans le milieu artistique. Il préfère rester dans sa chère ville natale et retrouve le “Royal” où il succède à son professeur, Jean Quitin, au pupitre de premier violon-solo.

A cette époque, le “Royal” est véritablement un Théâtre lyrique consacré aux opéras, opérettes, ballets, avec une prédilection pour les représentations en langue française. La saison commence vers fin septembre pour s’achever début avril. Les programmes sont conséquents : environ quinze représentations par mois, plus les dimanches en matinée, sans compter les répétitions. Il est vrai que la “sacro-sainte” télévision n’est pas encore née et que le Théâtre représente la “sortie” hebdomadaire pour bon nombre de personnes un tant soit peu mélomanes (les concerts symphoniques n’ont pas encore atteint le succès qu’on leur connaît actuellement). Lors des “matinées populaires”, il n’y a plus un seul strapontin de libre. Ce qui explique le si grand nombre de spectacles différents en un seul mois.

Prenons, par exemple, le mois de janvier 1927 qui verra à l’affiche, ou en préparation : Werther, Coppelia, Hamlet, Tannhaüser, La Favorite, Manon, Paillasse, Madame Butterfly, Les Noces de Figaro, Mignon, Tosca, Faust, Le Barbier de Séville, La Bohème, Carmen !

Henri va donc interpréter tous les grands opéras et opérettes du répertoire pendant plus de treize ans. Mais il ne reste pas toujours dans l’ombre de la fosse d’orchestre et bon nombre des habitués du “Royal” se réjouissent lorsque Thaïs est porté à l’affiche car c’est l’occasion d’entendre la fameuse Méditation dans laquelle il excelle.

(…) Celui qui remporta le plus de succès fut Mr Henri Koch, qui dut recommencer la Méditation. Il la joue avec âme, avec cœur, d’une sonorité riche et d’un archet bien assuré. Aux bravos insistants de l’auditoire, nous ajoutons nos félicitations vivaces. Peu de théâtres ont un soliste aussi distingué que celui-ci.

(Presse – 1928)

Ou dans Paganini, opérette de Franz Lehar.

Le succès de la soirée se partagea entre Mr Hirigaray, qui le méritait bien, et notre concitoyen Henri Koch, qui ne le méritait pas moins. Car le jeune et talentueux Prix Kreisler rendit à ravir les deux soli que la partition impose à Paganini. Henri Koch donna aux deux pièces son merveilleux son, un extraordinaire fini du trait et sa belle sensibilité d’artiste. Aussi, le public le réclamant sur scène, lui fit-il une belle fête.

(P. – La Wallonie – 1929)

Mais il ne se contente pas de l’obscurité de la fosse et mène, parallèlement, une carrière de soliste et de chambriste. Depuis 1925, (il a vingt-deux ans) il fait partie comme premier violon, du Quatuor de Liège.

Première variation : Le Quatuor de Liège

C’est le compositeur et altiste Jean Rogister 1879-1964) qui crée, en 1925, le Quatuor de Liège. En font partie Henri Koch (premier violon), Gaston Radermaecker puis, dès 1926, Joseph Beck (second violon), Jean Rogister (alto) et son épouse Lydie Rogister-Schor (violoncelle). Tous sont issus du Conservatoire de la ville dont ils portent le nom. Très vite, ils vont acquérir un grand renom international et, pendant plus de quinze ans, parcourir la Belgique et les principales villes d’Europe : Paris, Berlin, Vienne, Prague, Varsovie, Londres, Amsterdam, Rome… Tant en concerts qu’à la radio.

Ce succès vient, bien sûr, de la qualité artistique incontestable des membres de cet ensemble, mais aussi d’un travail assidu, sans lequel un artiste ne peut prétendre à l’approche de la perfection. D’autant moins un groupe comprenant quatre personnalités à la fois fortes et “individuelles”, somme toute, quatre “solistes”.

Aussi, pendant plusieurs années, vont-ils répéter à raison de trois ou quatre heures pratiquement tous les jours, afin de réaliser la fusion la plus parfaite possible de leurs individualités, pour ne plus former qu’un seul corps, une seule et même pensée au service d’un seul but : la musique. Et c’est assez rare de trouver quatre solistes émérites qui dominent à ce point leur instinct personnel pour obéir à la seule pensée musicale et devenir “un”.

A en juger par ces quelques extraits de presse de l’époque.

(…) Les qualités qu’on admire chez eux ? Mon Dieu ! Ce sont celles qui sont à la clef des meilleurs groupes de musique de chambre, celles qui, seules, permettent d’y réussir et d’y briller. Justesse individuelle et collective (Oh ! j’applaudis à celle-ci !), homogénéité et fondu de la sonorité qui, par surcroît, s’étale chaude et vibrante ; étude profonde du texte musical, du style, du genre sans que cette analyse engendre jamais la froideur ou la raideur ; juste équilibre des valeurs relatives d’une partie à l’autre ; dialogue aussi clair que judicieusement balancé. En somme, tout ce qu’il faut à la musique pour sortir ses effets et émaner son plein charme. Et en plus, de la sensibilité, de l’émotion, de l’enthousiasme, de l’amour et du respect.

(Ch. Radoux – Mai 1928)

(…) Le “Quatuor de Liège”, fondé par le compositeur Jean Rogister, donnait, sur l’invitation de Sa Majesté la Reine des Belges, une séance de musique de chambre au palais Royal de Laeken. Séance entièrement consacrée aux œuvres de Jean Rogister. Après chaque exécution, la Reine félicitait chaleureusement le compositeur. Le Maître Eugène Ysaye, présent à la séance, fit remarquer la grande personnalité de ces œuvres et des effets tout à fait nouveaux que le compositeur parvenait à tirer des instruments, ainsi que la haute valeur du groupe.

(Le Soir – Bruxelles)

Le quatuor de Liège atteint une parfaite homogénéité. L’ensemble est précis et fin, les nuances admirablement rendues. Un profond respect pour l’œuvre, une foi véritable, animent chacun des exécutants et les empêchent de s’isoler orgueilleusement comme il arrive parfois…

(Woollett – Journal du Havre – 1.1.1928)

Le quatuor de Liège est parmi les meilleurs, les plus homogènes, les plus compréhensifs. Et notre reconnaissance est celle d’un auditeur ravi par la magnifique discipline, l’unité de conception, le style, la précision, la souplesse et la délicatesse avec lesquels Mrs H. Koch, J. Beck, J. Rogister et Mme Rogister-Schor savent communiquer à leurs semblables leurs émotions musicales, leur enthousiasme et leur mélancolie. Rares sont les quartettistes qui possèdent au même titre la science du plan et de la répartition du discours entre les diverses parties, ceux qui jouent non seulement en surface, mais en profondeur et ceux enfin pour qui la musique n’est pas seulement l’art de combiner les sons mais aussi celui d’exprimer ses plus hautes et ses plus chères aspirations.

(Demblon)

Leur répertoire est considérable et très varié, reprenant toutes les grandes époques, mais aussi tourné vers les œuvres de l’avenir. Citons, au hasard, l’intégrale des quatuors de Haydn, Mozart et Beethoven, ceux de Schumann, Grieg, Borodine, Glazounov, Tchaïkovski, Hugo Wolff, Hindemith, Reger, Debussy, Ravel…

Sans oublier les compositeurs belges qui, bien sûr, sont au premier plan : César Franck, Joseph Jongen, François Rasse, Lucien Mawet et, bien entendu, Jean Rogister.

Il faut noter aussi que le Quatuor de Liège sera le créateur, soit à Liège, soit à l’étranger de Novelettes de Glazounov, de quatuors de Guy Ropartz et de Béla Bartok, Deux sérénades de Joseph Jongen, Deux esquisses de E. Goossens, Fantaisie de R.O Morris et d’œuvres de Ethel Smyth, Arnold Bax, V. Rieti…

L’on ne peut passer sous silence les trois tournées qu’ils effectuent aux Etats-Unis d’Amérique en 1930 (du 21 janvier au 18 mars), en 1932 (du 16 janvier au 22 mars) et en 1933 (du 4 février au 21 mars).

Actuellement, tous les grands artistes parcourent le globe terrestre en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, se produisant dans les cinq continents en une même quinzaine. Mais dans les années trente, le Concorde n’est pas encore né et Lindbergh vient à peine de traverser l’Atlantique.

Pour atteindre le “Nouveau Monde”, il faut naviguer et la traversée dure, en moyenne, entre huit et douze jours, selon les conditions atmosphériques. De plus, ils font ces tournées en plein hiver ! Les voyages ne sont pas une partie de plaisir, loin s’en faut, entre des vagues de plusieurs mètres et sur un bateau qui, comme dit Henri, “danse le swing” sans arrêt.

Et lorsqu’ils mettent pied à terre, cela ne fait que commencer ! Il faut parcourir des distances énormes, en train de nuit ou en car, avec un concert pratiquement chaque jour, dans des villes différentes, éloignées parfois de plusieurs centaines de kilomètres les unes des autres.

Ils vont donc “visiter”, si l’on peut dire, plusieurs grands centres dans différents états : New-York, Des Moines (Iowa), Urbana, Lac Michigan, Culver, Chicago, Washington (notamment en la présence de Madame Hoover, épouse du président des Etats-Unis), Philadelphie, Virginia, Albyon, Lexington (Kentucky), Tiffin (Ohio), Jacksonville, Tarkio, Minneapolis, Aberdeen (South Dakota), l’Université de Yale…

Ils y interprètent les grands quatuors du répertoire ainsi que des œuvres de César Franck, Joseph Jongen et Jean Rogister.

La presse liégeoise donne régulièrement des nouvelles des “enfants du pays” partis au-delà des mers. Voici, prise sur le vif, l’impression que garde Henri, à peine rentré dans sa chère ville natale, après l’un de ces périples.

– (…) Vous êtes content du voyage?
– Enchanté. La presse liégeoise a déjà dit l’accueil flatteur qui nous a été fait dans le nouveau monde. Partout où nous avons passé, les personnalités indigènes ont bien voulu reconnaître une certaine valeur à l’école liégeoise dont nous sommes – tous quatre – si justement fiers.
– Foin de modestie, nous avons eu des échos du succès triomphal que vous avez remporté là-bas. Madame Hoover, elle-même, n’a-t-elle pas voulu vous entendre ? N’avez-vous pas été ovationnés partout où vous êtes passés ?
– Nous avons visité une quinzaine de villes ; partout l’accueil a été favorable.
– Quel est le trait qui vous a le plus frappé, au cours de vos randonnées?
– La ferveur de certain public américain pour César Franck. Lors d’un concert d’art belge, nous avions annoncé les œuvres de plusieurs compositeurs de nos compatriotes. Quelques heures avant la soirée, nous reçûmes une délégation du comité qui nous patronnait et qui nous faisait part du désir du public d’entendre, notamment, toute la Sonate pour violon de César Franck, comportant 4 parties. Noblesse oblige. Il nous fallut interpréter l’œuvre du grand Maître… En bis, car le public connaisseur devant qui nous jouions s’enthousiasma et nous dûmes rendre la 4ème partie de la sonate.

(P.A. La Wallonie)

(Il interpréta cette sonate en compagnie d’un pianiste américain)

A présent, quelques critiques des grands journaux américains.

(…) Le quatuor de Liège fut très apprécié ici. Les belges sont reçus cordialement à leur premier concert. Individuellement, les membres du Quatuor de Liège sont d’excellents artistes. Comme quatuor, ils composent un ensemble dont l’homogénéité, l’équilibre sonore, le bon goût musical sont rarement atteints.

(New-York Times)

(…) Les critiques de personnalités musicales considérables sont des plus élogieuses. Le Directeur du Conservatoire dit : Le Quatuor de Liège est un des meilleurs que j’aie jamais entendu. L’exécution de Beethoven et Schumann était de beaucoup supérieure aux auditions de ces mêmes œuvres par les meilleurs quatuors du monde. L’audition du groupe liégeois fut l’événement le plus important, dans notre conservatoire de musique, depuis les cinq dernières années, déclare le critique musical, professeur de psychologie RUCKMIC. Le directeur des Beaux-Arts dit : chacun du Quatuor de Liège est un réel artiste. Leur concert m’a impressionné plus que n’importe quel concert entendu depuis plusieurs années.

(Daily lowan – lowan City)

(…) La salle était comble. On remarquait la présence de Mrs Herbert Hoover et du Prince de Ligne, Ambassadeur de Belgique, et d’autres notabilités. Le programme était composé d’œuvres d’auteurs belges : Franck, J. Jongen, Fr. Rasse, J. Rogister. Le Quatuor de Liège montre un sens de coordination extraordinaire. Leurs interprétations sont sympathiques, autoritaires et sincèrement artistiques à tous points de vue. Ce groupe exemplifie les meilleures traditions du jeu du quatuor.

(Evening Star – Washington)

Il y aurait beaucoup d’anecdotes, amusantes ou moins agréables à raconter. La voiture de location bloquée dans une tempête de neige en rase campagne, les bagages qui ne suivent pas, l’alto qui disparaît, les démêlés avec un imprésario peu scrupuleux… En tout cas, le quatuor garde son optimisme en toutes circonstances !

Quant à Henri, le souvenir qui l’amusait le plus concerne la première tournée. Ayant besoin de chaussures vernies pour les concerts, il s’empresse d’en acheter une paire le jour même du départ. Il les étrenne au premier concert outre-Atlantique. Et quel n’est pas son étonnement, lorsqu’il salue le public, de se découvrir de si grands pieds ! Mais, rapidement accaparé par les spectateurs, il n’y pense plus jusqu’au concert suivant. Ce n’est qu’après quelques jours qu’il en découvre la raison. Toujours très distrait et extrêmement pressé lorsqu’il s’agit de questions “bassement” domestiques ou matérielles, il a essayé ces “vernis” sans ôter le rembourrage habituellement mis dans les pointes ! Résultat : trois pointures en trop !

Bien sûr, ces tournées sont autant de découvertes mais c’est toujours une immense joie pour lui de retrouver sa famille et sa patrie, comme en témoignent ces quelques mots, inscrits à la hâte dans son carnet de notes, le jour du retour de la troisième tournée :

Vive la Belgique ! Vive les Wallons !
Anvers, ça va mieux !
Bruxelles, ça va encore mieux !
Liège : fini ! Ouf !!!

Après 1933, la dégradation de la situation politique et économique interrompt cette série de tournées outre-Atlantique. Ce qui va permettre au public européen de mieux profiter encore de ce groupe de grande valeur. Et ce, jusqu’à la seconde guerre mondiale.

Après 1945, le Quatuor de Liège ne se reformera pas, chacun ayant de nouvelles activités et l’âme du groupe, Jean Rogister, se consacrant totalement à la composition.

© Polydor

Il est dommage que le disque, en cette première moitié du siècle, n’en soit encore qu’à ses balbutiements car quelle formidable discothèque aurions-nous pu constituer avec de tels interprètes ! En fait, il n’existe qu’un seul disque du Quatuor de Liège : le Quatuor inachevé de Guillaume Lekeu (Ch. Van Lancker au piano, Henri Koch, Jean et Lydie Rogister), enregistré pour la firme Polydor à Paris, le 3 février 1933, la veille du départ pour la troisième tournée aux Etats-Unis.

Il faut souligner aussi que ce groupe est à l’origine de l’A.M.C (Association pour l’étude de la musique de chambre), créée en 1933, en collaboration avec Charles Van Lancker, claveciniste-pianiste et Claudine Boons, cantatrice. Association qui a pour but de faire découvrir tout un répertoire de musique ancienne, notamment sur des instruments d’époque, et moderne.

Après un arrêt pendant la seconde guerre, ce groupe se disloquera en 1947, suite à la disparition de certains de ses membres.

***

Revenons à Henri, au sortir du service militaire en 1925. Nous le savons déjà violon-solo au théâtre Royal et premier violon 25 du Quatuor de Liège, mais il ne se limite pas à ces deux activités qui constituent déjà, à elles seules, une carrière bien remplie.

Non seulement il enseigne au Conservatoire, où il est moniteur de la classe de Marcel Lejeune, puis dès 1928, à l’Académie de Liège dirigée par Jean Quitin, mais il entame aussi une brillante carrière de soliste en donnant de nombreux récitals tant en Belgique qu’à l’étranger. Toujours à l’affût de nouvelles connaissances, il suit aussi des cours de contrepoint et fugue.

Cependant, une grande date approche, qui couronnera son talent de virtuose : le Prix Kreisler. Ce concours, institué par la fondation de l’œuvre des artistes à la suite du récital offert gracieusement à la Ville de Liège par le Maître Fritz Kreisler en octobre 1927, est réservé aux violonistes, belges ou étrangers, ayant terminé leurs études en Belgique et se destinant à la carrière de virtuose.

C’est le 15 novembre 1928, dans la salle du Conservatoire de Liège, que se dispute cette épreuve qui promet au vainqueur, outre un gain substantiel, la reconnaissance par tout le milieu musical. Deux séances vont opposer neuf concurrents de différentes nationalités, dont deux liégeois, Maurice Raskin et Henri Koch, dans un répertoire assez conséquent.

Comme il fallait s’y attendre, le soir, la salle du Conservatoire était littéralement envahie. Des fauteuils au paradis, pas une place de libre. Et le public était là, vibrant, sensible comme un thermomètre, marquant tous les degrés de l’enthousiasme. Dès l’après-midi, M.M. Maurice Raskin et Henri Koch (deux liégeois et tous deux élèves de M. Oscar Dossin) parurent en excellente posture. Monsieur Maurice Raskin est réellement un jeune maître. Il a le charme et l’élégance d’un futur Thibaut. Compréhension, pureté de style, beauté du son, justesse, aisance, tout appartient à ce brillant instrumentiste. M. Henri Koch est également un très beau violoniste. De conscience admirable, il met au point avec une impeccable précision. Il est élégant dans son jeu, vivant, coloré, distingué. Bref, c’est, lui aussi, un violoniste rare. Devant ces deux sujets exceptionnels et supérieurs à tous leurs 26 compétiteurs, le jury ne pouvait prendre qu’une seule attitude logique : il partagea le Prix Kreisler qui, décerné pour la première fois, revient à deux élèves formés par le Conservatoire de Liège. Voilà, je l’espère, de quoi convaincre encore une fois de la nette supériorité de notre école sur toutes celles du royaume. De tels faits parlent avec une suffisante éloquence et Liège qui, politiquement, n’est pas capitale, l’est assurément dans le royaume de la musique. Ah ! quel accueil à la nouvelle du résultat, quel enthousiasme et quelle frénésie !

(lnterim – L’ express 17.11.1928)

Ce prix est commenté dans toute la province et la fierté, la solidarité des liégeois lors de la réussite de l’un des leurs, se manifeste de façon toute sympathique lorsque Henri retrouve son pupitre de violon-solo au Théâtre Royal.

Au Royal – Thaïs – une manifestation en l’honneur de M. H Koch, violon-solo, lauréat du Prix Kreisler. Devant une salle particulièrement bien garnie, Mr Dorsers monte au pupitre et l’orchestre entame le Valeureux Liégeois que l’on écoute debout. Apparaissent devant le rideau, Mr Gaillard et Mr Koch, violon-solo, un des lauréat de prix Kreisler qui est l’objet d’une longue ovation. Mr Gaillard qui, dit-il, n’est pas un orateur, trouve pourtant les mots qu’il faut pour exprimer au jeune virtuose toute la fierté, tout le bonheur causé à ses amis de l’orchestre, à leur chef et à tout le public liégeois, par le brillant succès qu’il vient de partager avec un autre de nos concitoyens, le jeune Maurice Raskin. Celui-ci a, malheureusement, été rappelé à Paris, sans quoi il serait, ce soir, à côté de son ami. Mr Gaillard souligne ce magnifique succès de l’école de violon liégeoise et y associe de tout cœur le professeur des deux lauréats: le Maître Oscar Dossin. Celui-ci, qui est dans la salle, est longuement ovationné. Puis, Mr Lemal, au nom de l’orchestre, remet à son collègue un magnifique étui à violon, et tandis que l’orchestre joue l’Où peut-on être mieux de Grétry, gerbes et cadeaux s’amènent devant le rideau, les applaudissements crépitent et une véritable pluie de fleurs tombe des étages supérieurs. Accolades, puis Mr. H. Koch répond par quelques mots venus du cœur, tandis que l’orchestre joue la Brabançonne. Manifestation spontanée, cordiale et d’autant plus émouvante.

(Edouard Lambert – L’Express – Liège 24.11.1928)

Mais le mieux n’est-il pas d’entendre le lauréat lui-même ?

…Ah! Ce fut, comme on dit chez nous, “toute une affaire” ! Parce que j’avais déjà joué pas mal, n’est-ce pas. Je faisais aussi du quatuor, j’étais… quand même… enfin… un peu connu, voyez-vous.
Mes partenaires, mes aînés me disaient :
– Attention! Tu vas concourir là, je ne sais pas s’il faut le faire… Parce que si tu ne l’obtiens pas, ça paraîtra un camouflet.
– Il y avait déjà une réputation à défendre !
H. Koch : Eh bien ! …Ils disaient cela. Alors, je répondais : “Mais je ne suis pas de cet avis. Ce qui veut dire que j’ai encore l’occasion de le faire (la limite d’âge me permettait de le faire seulement une fois) et ça, je veux le tenter, quoi qu’il arrive. Et voilà, cela s’est bien passé, j’ai pu l’obtenir en compagnie de mon ami Raskin. Nous avons passé une journée mémorable. Parce que c’était très difficile, vous comprenez… On passait, on re-passait, on re-re passait… Et nous sommes restés à deux, devant cette salle du Conservatoire qui était comble et, déjà à cette époque-là, il y avait les supporters de Raskin, de Koch, qui “discutaient le coup”. Et ça s’est terminé d’une curieuse manière. Nous attendions les résultats ou alors de devoir refaire une autre prestation. Et je me souviens très bien, dans le couloir, on discutait, avec Maurice :
– Tu sais, moi, je ne joue plus. C’est une chose terminée. Je ne veux plus jouer. Je suis à bout. Est-ce que c’est entendu?
– Ah, je dis, oui, d’accord ! Nous ne jouons plus. Et nous avons eu cette chance, n’est ce pas, de partager ce prix ! Ça, c’était magnifique. Ça c’était un beau jour ! J’étais heureux quand j’ai retrouvé mes partenaires. Ils m’ont dit “Alors, tu as réussi !” C’était un quitte ou double. Après, nous avons joué souvent ensemble. Nous jouions un concert “à deux”. Et là, restaient les supporters de Raskin, comme il y en avait de Koch ! C’était toute une histoire! Mais il y en avait deux qui s’entendaient admirablement. C’étaient les deux lauréats. C’était très amusant. Ça, c’était un bon moment.

(Interview radiophonique – Juin 1968)

Bien sûr, dans la salle, il devait y avoir une spectatrice un peu plus anxieuse que les autres, Mademoiselle Emma Antoine. Eh oui ! Malgré un emploi du temps des plus chargés, notre ami avait tout de même trouvé un instant pour découvrir la future compagne de sa vie. Ils sont fiancés depuis quelques mois. Elle aussi est musicienne, étudie le piano et fait partie des chœurs du Conservatoire.

Pourtant, leur première rencontre, lors des festivités du centenaire du Conservatoire en 1926, ne s’était pas trop bien passée. Emma chantait dans les chœurs et Henri faisait partie de l’orchestre. De son séjour à Paris, il avait conservé un léger accent de “titi”, d’où la réflexion de notre Emma, bien wallonne : “Mais pour qui se prend-t-il, lui, qui “fransquignole” sans arrêt ?

Heureusement, cette première impression s’efface immédiatement pour laisser place à un amour profond et indestructible. Ils se marient le 8 août 1929 et cette union, faite aussi de complicité, d’estime et de tendresse durera près de quarante années.

Emma n’est pas seulement une épouse attentive, elle est aussi une précieuse collaboratrice, participant activement à la passion dévorante de son mari : la musique. Le “grillon du foyer” se transforme fréquemment en accompagnatrice intrépide lorsqu’il travaille les grands concertos du répertoire : Beethoven, Brahms, Mendelssohn, Saint-Saëns…

Il faut ajouter ici une petite anecdote qui vient entériner sans conteste la “triple” union qui a lieu en cet été 1929. Triple, car en épousant Henri Koch, Emma épouse également la muse Euterpe. Il suffit pour s’en convaincre, de jeter un coup d’œil sur l’agenda de notre soliste, à cette date du 8 août 29 :

– Mariage
– Programme : souvenir de Moscou, Clochettes de Paganini, Rondo capriccioso, Havanaise, Arioso de Bach, Tambourin chinois

A la fois un programme de concert et un événement privé inoubliable. Effectivement, le voyage de noces des nouveaux époux est assez particulier. Juste après le repas familial traditionnel, les deux tourtereaux s’en vont, seuls au monde, les yeux dans les yeux, le violon sous le bras, mais suivis de près par les soixante chanteurs de la chorale Les Valeureux Liégeois!

Leur voyage de noces est aussi un tournée en Suisse où Henri va participer, en collaboration avec cette chorale, à de nombreux concerts. Ils vont ainsi visiter, tout en travaillant, plusieurs grandes villes : Zürich, Lausanne, Berne, Montreux, Evian, Genève… Ce voyage-tournée, ils le feront à plusieurs reprises dans les années à venir car tous deux adorent la Suisse et, en particulier, les longues promenades au grand air.

Henri admire profondément la nature et se révolte à chaque fois qu’elle est menacée. D’ailleurs, il interdit que l’on coupe une fleur de son jardin. Il aime aussi les animaux et leur future demeure de la rue Bassenge sera toujours un abri sûr pour toute la gent animale. Que ce soit Duc, le fidèle berger allemand, le lapin apprivoisé qui adore le chocolat ou Jules, le mainate qui l’accompagne avec ferveur lorsqu’il étudie. Jusqu’à la petite araignée descendant le long de son fil quand il travaille sur la terrasse.

Comme on peut le constater, le mariage n’est pas pour lui une façon de se “ranger”, d’avoir une vie plus calme, mais tout l’opposé. Ses activités s’enchaînent à la vitesse de l’éclair. Certes non par ambition, mais tout simplement par besoin vital. Besoin vital de servir la musique, de “respirer” à travers le violon.

Lorsqu’il n’est pas en tournée avec le Quatuor de Liège, le matin est réservé aux répétitions de nouveaux programmes, l’après-midi ce sont les cours qu’il donne à l’Académie de musique et le soir, le Théâtre Royal. Et si la saison théâtrale est terminée ou s’il y a relâche, ce sont les récitals en Belgique ou à l’étrange

Evidemment, de nombreux moments sont réservés à son foyer mais si, par hasard, il a quelques jours de vacances, le violon est toujours du voyage. La musique fait partie intégrante de la famille et, parfois, domine même certains événements heureux ou malheureux, alors que toute autre profession serait mise de côté.

Il n’en est pour preuve que ces deux exemples : Le jour, tant attendu, de la naissance de son premier fils, Henri-Emmanuel, le 4 juin 1930, il a à peine le temps d’embrasser son épouse avant d’entrer sur scène pour un récital. Gageons que, ce jour-là, il jouait non seulement pour le public mais aussi, et surtout, pour un nouveau venu qui serait, lui aussi, vite contaminé par le virus violonistique !

De même, et là dans des circonstances très pénibles, interprétera-t-il le concerto de Beethoven, en direct à l’I.N.R (la radio nationale) le 7 février 1947, quelques heures seulement après la mort de son père.

D’aucuns pourraient trouver cela inhumain, mais c’est tout le contraire. La musique s’adresse avant tout à l’âge. Et quel plus grand témoignage d’amour que, dans ces moments de grande joie ou de douleur, surpasser ses sentiments et jouer mieux encore, tout particulièrement pour un être qui arrive ou qui nous quitte.

Ainsi, en ce début des années trente, la maison s’emplit de gazouillements d’enfants sur fond de Beethoven Mais nous arrivons à un nouvel événement important dans sa carrière : le 10 juillet 1932, le jour même de ses vingt-neuf ans, il est nommé professeur de violon au Conservatoire Royal de Musique de Liège. Ce qui ne veut pas dire qu’il se sent arrivé ‘au sommet’, bien loin de là. En témoigne ce brouillon de lettre adressée à un virtuose de l’époque, alors qu’il a trente ans et pourrait s’estimer artiste accompli.

(…) Comment vous dire toute mon admiration pour le grand artiste que vous êtes ? Vous que je considère comme le premier Maître belge, depuis que notre père Ysaye n’est plus ! Vous, qui m’avez donné le grand honneur d’assister à l’exécution admirable de la sonate de J. Jongen, que vous avez joué en compagnie de Maître Scharrès à L’I.N.R., il y a quelques jours. Parler de virtuosité serait ridicule, vous êtes au-dessus de toute cette matière ! Mais votre interprétation magistrale m’a laissé confondu ! Au point, qu’à l’heure actuelle, en écrivant ces lignes, j’entends encore cette sonorité suave, vibrante, quoi… idéale. Que faut-il admirer ? La technique parfaite de cette main gauche qui semble se jouer de toutes les difficultés ? Cet archet magique courant sur la corde avec une aisance qui déconcerte ? Quelle bonne leçon vous m’avez donnée ! Aussi je me permets de vous rappeler la promesse que vous avez bien voulu me faire, m’autorisant à recueillir vos conseils, quand le temps me permettra de travailler de plus près mon violon, de façon à ce que vous ne soyez pas trop désillusionné…

(brouillon de lettre à un destinataire inconnu)

Deuxième variation : Henri Koch pédagogue

La carrière professorale de Henri Koch ne débute pas en 1932. Déjà, avant son séjour à Paris, son professeur, Maître Oscar Dossin, le choisit comme répétiteur de s classe, où il s’occupe des débutants. Il est alors, à la fois, professeur et élève (il suit les cours d’harmonie et prépare son diplôme supérieur de violon) au sein du même établissement. Ensuite, après son service militaire, il devient moniteur de la classe de Marcel Lejeune et, dès 1928, titulaire du cours supérieur de violon à l’Académie de Musique de Jean Quitin.

Il n’est donc pas novice en la matière lors de sa nomination au Conservatoire Royal où il succède à Léopold Charlier, atteint par la limite d’âge. Dans la chronologie des professeurs de violon de l’établissement, établie par José Quitin, il portera le numéro dix-neuf.

Il faut noter que cette carrière professorale débute à une période peu propice. L’euphorie de l’après-guerre s’est éteinte et la crise de 1928-1929 a provoqué une instabilité tant politique qu’économique. Le Conservatoire est moins fréquenté car la profession de musicien n’est plus ce qu’elle était. C’est devenu un métier “à risques”. Non seulement les débuts de la radio, du disque, du cinéma parlant, mais aussi les nombreuses taxes nouvelles, portent un coup fatal aux orchestres de brasseries et à toute la vie musicale liégeoise. De plus, les restrictions dans les différents pays ferment les frontières et ne permettent plus aux musiciens belges de s’expatrier dans les orchestres étrangers. La seconde guerre mondiale et ses conséquences vont encore diminuer les possibilités d’avenir.

Comme on peut le constater, les circonstances extérieures ne sont pas très favorables à l’éclosion de nombreux talents mais cela n’empêchera pas le jeune professeur de former toute une série de futurs solistes. Et cela pendant trente-six ans et sous trois directeurs successifs : François Rasse (1873-1955) de 1932 à 1938, Fernand Quinet (1898-1971) de 1938 à 1963 et Sylvain Vouillemin (1910) de 1963 à 1968, date à laquelle Henri quitte l’enseignement.

Si l’on prend en compte les années passées comme répétiteur, cela fait presque un demi-siècle d’enseignement. Un bail ! direz-vous. Peut-être ! Mais pas un bagne en tous cas, car Henri adore ses élèves et c’est un plaisir pour lui d’essayer de transmettre son savoir aux plus jeunes.

En 36 ans de professorat, outre les nombreux premiers prix, dont Boris Cotlearov (qu’il retrouvera à Londres après la guerre), Maria Mascetti (qui sera son fidèle chargé de cours tout au long de sa carrière au Conservatoire de Liège), Elisabeth Hendricks, Mathieu Levaux, Yvonne Delclisar, Elie Poslawsky (futur chef d’orchestre), Alfred Abras, Juliette Weydts, Micheline Rassart, Robert Pirau, André Havelange, Jules Conings, Talebzadeh Abolgassem… il va former quatorze diplômes supérieurs :

      • En 1937 :
        – Hubert Devillers, violoniste du Théâtre Royal, professeur, second violon-solo au Stedelykorkester de Maastricht ;
        – Lucien Fagard, chargé de cours au Conservatoire de Liège, violon-solo à la Monnaie ;
        – Marcelle Labeye, professeur au Congo belge.
      • En 1942 :
        – Fernand Paris, déporté pendant la guerre et mort dans un bombardement en Allemagne ;
        – Marcel Debot, prix Vieuxtemps, Prix François Prume, professeur à Ankara puis au Conservatoire Royal de Bruxelles, lauréat du concours reine Elisabeth en 1955.
      • En 1951 :
        – Henri-Emmanuel Koch, prix Vieuxtemps, lauréat du concours international de Munich, premier Konzertmeister du Limburg Sinfonie Orkest, Maastricht – Pays-Bas, professeur au Conservatoire Royal de Liège ;
        – Paul Lambert, alto-solo du Limburg Sinfonie Orkest, Maastricht – Pays-Bas, professeur au Conservatoire de Verviers, lauréat du concours de Genève professeur au Stedelijkconservatorium (Maastricht).
      • En 1954 :
        – Lucette Piron, violoniste à l’Orchestre de Liège, compositeur.
      • En 1956 :
        – Nadine Vossen, professeur au Conservatoire de Verviers ;
        – Jules Higny, professeur à Ankara puis à Namur.
      • En 1958 :
        – Charles Jongen, Prix Vieuxtemps, professeur au Conservatoire Royal de musique de Liège ;
        – Johanna Milder, professeur aux Pays-Bas.
      • En 1960 :
        – Paul Mouton, professeur.
      • En 1968 :
        – Richard Assayas, qui fit carrière aux Etats-Unis.

Henri aime ses élèves, doués ou moins doués, comme ses propres enfants et tout qui est passé, si peu de temps que ce soit, par sa classe en garde un souvenir que rien ne peut effacer. Loin d’être un professeur “passif”, qui laisse jouer l’élève puis donne son avis, il estime que le meilleur moyen de faire comprendre quelque chose en matière musicale, c’est de le montrer. Il n’existe pas de méthode “magique” pour apprendre la pratique d’un instrument. Rien de tel que l’exemple. Même les exercices les plus simples ou les plus rébarbatifs, Henri Koch ne dédaigne pas les faire avec ses élèves les moins avancés. Ou alors, il se met au piano pour accompagner les plus âgés.

C’est peut-être un “père” pour ses élèves, mais pas un “papa gâteau”, loin de là. Il est sévère, très sévère même, mais jamais inhumain. Bien sûr, il met l’élève à l’aise, ne compte pas les heures supplémentaires, mais il faut travailler. Et travailler “dur”. Or, pour les élèves de sa classe, c’est un plaisir d’étudier et leur meilleure récompense est bien ce sourire au coin des lèvres du professeur lorsqu’ils apportent la preuve de leurs progrès.

Ce paternalisme envers ses étudiants (ne l’appelle-t-on pas le “Père Koch”, comme un autre grand musicien liégeois?) ne s’arrête pas à la porte de sa classe. Lorsqu’ils ont terminé leurs études, il les soutient dans toutes leurs entreprises musicales, les aide à se lancer dans la vie professionnelle et se réjouit du fond du cœur de toutes leurs réussites.

Il est soucieux aussi d’une amélioration de la situation des jeunes artistes belges, comme en témoignent ces quelques réflexions, mises sur papier en vue des réunions du “comité d’interprétation musicale” de la fondation des Beaux-Arts, dont il fait partie peu après la seconde guerre mondiale, et qui a pour but de redonner vie à la jeunesse musicale.

…Recréer l’enthousiasme ! Avant toute chose, retrouver des chefs de file qui traceraient la voie et à qui on ferait confiance.
– Créer, dans chaque ville, une amicale de jeunes : réunions où seraient discutés tous les problèmes intéressant la musique et l’instrument.
– Organiser des “auditions intimes”, cela permettrait aux jeunes élèves de prendre contact et de nous rendre compte de ce qu’ils ont à dire, de ce qu’ils désirent et de recréer une ambiance réellement artistique : leur rendre la foi !!!
– Avant le conservatoire, nécessité de créer des écoles destinées aux futurs artistes, avec un programme approprié.
– Après les études :  Il y a plusieurs écoles célèbres à l’étranger ! Il serait, à mon avis, nécessaire que nos jeunes puissent faire un séjour dans ces écoles pour se rendre compte des caractéristiques instrumentales ; etc.  Cela nous permettrait de nous rendre compte de ce qui se fait ailleurs.
– Envoyer en mission un artiste qui rendrait compte du travail accompli dans ces institutions !
– De plus, il faudrait parfaire la culture générale par des cours d’histoire de l’art et de langues étrangères.
– Donner aux élèves des places à tarif réduit aux concerts.
– En début de carrière, l’artiste a besoin de se faire entendre (aide à apporter au niveau financier, payement des divers déplacements…). Je déplore le manque d’imprésarios en Belgique car l’artiste a des difficultés à organiser lui-même ses concerts. Cela coûte trop cher et prend trop de temps à l’artiste inexpérimenté.

(notes personnelles)

Ainsi, il y a plus de quarante ans, préconise-t-il déjà ce qui commence seulement maintenant à s’organiser concrètement ! Enfin, pourquoi ne pas laisser la parole au professeur lui-même?

– Vous êtes content de cette carrière de professeur qui a duré trente-six ans?
– Oui. Et puis j’ai été trois ans moniteur, ça fait trente-huit, trente-neuf ans! Mais ça s’est passé, c’est extraordinaire, à une rapidité folle. Et j’ai eu de la chance. Beaucoup de chance ! Parce que je me suis toujours très bien entendu avec mes élèves. Et je désirais surtout une chose : c’est que les élèves entrant dans mon cours n’aient pas de complexe ”professeur-élève”. Ça, je ne le désirais pas, parce que moi, j’en ai souffert quand je suis entré au cours supérieur de violon. Pas de la faute de mon professeur, qui était un homme extraordinaire et un professeur parfait, mais, vous comprenez, les premières fois… Etant enfant, la toute première fois, je n’avais pas joué deux minutes qu’il disait “c’est mauvais” et puis il me mettait dans le coin. Alors, pendant cinq, six mois, chaque fois que je prenais mon violon devant le professeur, je n’étais pas à mon aise. Et je me suis promis que, si j’étais un jour professeur, ça ne pourrait pas m’arriver et ça n’est pas arrivé. Quant aux élèves, j’ai toujours eu de bons élèves. Oui, de bons élèves parce qu’ils étaient travailleurs. Peut-être un moins bon que l’autre, ça c’est autre chose, mais, en tout cas, ils ont été très gentils avec moi et je les considérais presque comme mes enfants. Jusqu’au bout, ça s’est passé comme cela et ma carrière professorale s’est passée vraiment dans le plaisir du travail. Et le souvenir que je garde de mes élèves ? J’en suis souvent ému car il y a des élèves que je ne reconnais pas. Vous vous rendez compte? Je les avais à l’âge de dix, douze ans et maintenant ils sont pères de famille… Il m’est arrivé, déjà, de me trouver devant un ancien élève, au Cercle des Amateurs de Liège. Il arrive, rend son violon et joue à l’orchestre. Je vais le voir après : – Comment vous appelez-vous ? – Delvaux. – Ah ! Tiens ! Avec qui avez-vous travaillé le violon ? Il me regarde et dit : “Mais avec vous !”
Vous vous rendez-vous compte ? Quelle situation terrible ! Ça, c’étaient les années qui marquaient !
– Et vous avez quand même eu un élève qui s’appelait Emmanuel Koch?
– Ah oui, ça c’est curieux ! Car ce n’est pas toujours facile de donner cours à son fils. Or, je l’ai eu comme élève pendant, je ne sais plus, sept, huit ans peut-être ! Ah ! Les débuts n’ont pas toujours été faciles! Mais j’avais dit à mon fils : “Toi, mon vieux, quand tu vas passer le pas de cette porte, attention ! Ce sera autre chose.” Alors mon fils, qui m’appelait papa, moi je l’appelais Henri : je l’ai appelé “Koch” tout court, et il s’est rendu compte qu’il n’était plus question de ”papa”. Il ne m’appelait pas “Monsieur le professeur”, il ne disait rien… Et il était bien entendu que je ne lui tolérerais rien, comme aux autres élèves. Un jour, je l’entends travailler chez moi. A la moindre chose, j’arrivais : “Mais non, ce n’est pas comme ça…” Et je me suis rendu compte, justement, que ce n’était pas comme ça qu’il fallait pratiquer. Et j’ai dit à mon fils : “Ecoute, toi, tu travailleras au second étage. Je ne veux plus t’entendre et tu auras une leçon particulière le mercredi à deux heures. Mais je ne veux plus t’entendre car ce n’est plus possible. A tout moment je vais te trouver, je t’interdis de faire ceci, cela, je dis que ce n’est pas bon or, je sais très bien qu’à ce stade, tu ne peux pas faire autrement. Donc, il n’y a rien d’autre à faire, tu dois “marcher”.
Et ça s’est très bien passé. Jusqu’au bout! Jusqu’au moment où il a eu sa médaille. Et là, c’était quand même aussi un moment difficile. Quand je J’ai vu là, derrière cette porte… Il était très fatigué, et il était pâle. Moi, j’étais en train de le réconforter. Je lui disais : “Ca va aller, mon vieux, tu vas voir…” une fois entré sur scène… j’étais aussi pâle que Iui. Et, c’est curieux, c’est au moment où je dirigeais… je l’ai vu là… j’ai eu quand même un moment… c’était le père sans doute ! …un moment difficile. Qui n’a pas duré, parce que j’étais occupé… Mais j’ai eu un moment qui n’était pas facile. Et ça c’est bien passé. Il a eu sa médaille et je suis un homme comblé. Donc, c’est vrai, j’ai eu de la chance. D’excellents élèves, en général, et des élèves qui ont fait honneur au cours car ils sont professeurs un peu partout, dans tous les orchestres… Debat, qui est professeur à Ankara ; Higny, qui est aussi en Turquie… J’en ai à l’Orchestre National, en France, au Mexique… Donc, vous voyez, je suis un homme comblé sous ce rapport. L’enseignement n’a jamais été pour moi quelque chose de difficile parce que j’aimais cela et que j’avais de bons élèves.

(interview radiophonique – juin 1968)

…Puis, il y a les leçons particulière à donner aux élèves, faire d’eux d’honnêtes musiciens. Quand on le peut, car il se trouve parfois des parents qui obligent des gosses à tenir un violon, alors qu’ils sont bien plus doués pour le diabolo. “Cent fois sur le métier, remettre son ouvrage.” Voilà la vie du musicien !

(interview par A. Closset – Germinal – 22.7.1961)

***

Ainsi, dès 1932, Henri Koch entre pleinement dans la “grande famille” du Conservatoire Royal. Depuis la création de la Société des Concerts du Conservatoire par jean-Théodore Radoux en 1883, les professeurs et les élèves les plus avancés font, d’office, partie de l’orchestre du conservatoire. Il ajoute donc une nouvelle activité à son emploi du temps déjà surchargé, une nouvelle volute au tourbillon musical qui va crescendo ! Déjà, lorsqu’il était élève, puis répétiteur, il tenait régulièrement une des parties de premier violon lors de ces concerts.

Toutes ces activités, les tournées avec le Quatuor de Liège, l’enseignement et les concerts au Conservatoire, les représentations au Théâtre Royal, ne l’empêchent nullement de poursuivre sa carrière de soliste.

Pas un jour ne se passe sans, au moins, une heure d’exercices, rien que pour garder la forme car il a fait sienne la devise du grand Ysaye : Quand je reste un jour sans travailler, je le sens ; quand je reste deux jours sans le faire, c’est le public qui le sent.

Chaque artiste sait que la musique est un passion exigeante qui demande beaucoup de sacrifices. Mais quelle merveilleuse récompense lorsque la salle de concerts crépite sous les applaudissements. Tout ce travail ardu, les heures d’étude, de découragement passager, les sacrifices, sont oubliés en un instant.

Voici deux extraits de presse des année trente qui définissent à la fois son “style violonistique” et son caractère.

…Le concerto en mi majeur de Bach, qui compte parmi les œuvres les plus importantes du Maître, révèle une inspiration particulièrement émouvante, s’alliant au style le plus élevé. Mr Henri Koch, en artiste profondément sensible, a su en traduire toute la noblesse et la magnanimité. Son jeu sobre, substantiel, et d’une admirable distinction, fit de l’adagio un épisode de haute émotion et de recueillement. Ce qui touche, chez Henri Koch, c’est de voir avec quel respect, quelle humilité, il “sert” la musique. Jamais il n’essaye de mettre en valeur sa technique – que nous savons pourtant éblouissante – et son seul souci est de satisfaire les exigences, combien plus nobles, de l’interprétation.”

(J. Janssens – Le rappel – Charleroi 21.2.1938)

( … ) Les “salons” de l’hôtel de Suède connaissaient, mardi soir, la grande foule. Tant mieux, tant mieux… d’autant mieux que cet empressement se manifeste en l’honneur d’un “Liégeois”. Car “Liégeois” il l’est, cet excellent Henry Koch, cette entité généreuse au concours de qui nul ne fit jamais appel en vain, sans cesse prêt à rendre service, prodigue toujours de mérites si vaillamment conquis. “Liégeois”, il l’est dans Ie magnétisme prenant de son archet, dans la vibration chaleureuse des quatre cordes de son violon, dans ce phrasé profond, caressant, émouvant qui est l’apanage des “bons” de chez nous. Et je suis heureux que tant de ses concitoyens aient tenu à lui prouver et leur amitié et… leur reconnaissance, eux qui l’avaient “lâché”, si seul, si misérable, lors du dernier et combien remarquable récital qu’il donna, il y a quelques semaines, au conservatoire… Combien j’aurais compris un Henry Koch écœuré s’écriant après cela: “Ingrate patrie, tu n’auras plus mes chants !” Mais Koch ne connaît pas la rancune et, surtout, Koch vit pour son art. Son violon, c’est sa raison d’être : ses joies, ses amertumes, ses rancœurs, ses espoirs, ses ambitions, à lui il les confie. En son violon il se réconforte ; pour lui il lutte et travaille ; par lui il triomphe ; sans lui… l’existence matérielle bête et son néant. Tel est Koch ; tel est ce jeune, ce modeste qui trouve en lui la force de s’échapper des tâches quotidiennes pour rejoindre son idéal, perfectionner ses qualités et purifier son âme d’artiste (…)

(Charles Radoux-Rogier – Chronique musicale – Liège 11.4.1934)

Pendant cette période de conflit politiques et de restrictions économiques qui précède les futurs bouleversements de l’Europe, il y a moins de tournées à l’étranger. Mais cela profite d’autant mieux aux mélomanes belges.

Toutes les grandes villes du pays I’accueillent, soit en récital, soit en sonates, notamment avec l’excellent pianiste Joseph Delcour qui sera, lui aussi, professeur au Conservatoire Royal de Liège.

Pour comprendre ce que peut être une semaine d’activités dans la vie de Henri Koch, il suffit de lire ces quelques pages de ses “carnets de notes” car il est totalement impossible de dénombrer tous les concerts auxquels il participe. Plusieurs volumes n’y suffiraient pas ! Prenons, au hasard, le mois de mars 1935.

Dimanche 3 : théâtre, matinée et soirée.
Lundi 4 : répétition quatuor 9h30, cours conservatoire 2h. répétition sonates 19h.
Mardi 5 : répétition quatuor 9h30, élèves de 12h à 18h.
Mercredi 6 : 9h30 répétition conservatoire, 14h répétition quatuor (œuvres de Rasse, Rogister, Mozart, Schumann), 18h élèves puis travail personnel (œuvres de Beethoven, Bach, Paganini, Ysaye, Wieniawsky, Havanaise…).
Jeudi 7 : gala cercle artistique : quatuor Rasse, Rogister, Beethoven et Mi majeur de Bach.
Samedi 9 : 20h concert Malmédy : concerto et romance de Beethoven.
Dimanche 10 : 14h30 répétition Hougardy.
Lundi 11 : récital Tirlemont : Paganini, Havanaise, Polonaise, Tarentelle, Ysaye…

Et c’est une semaine encore relativement “normale” !

Mais toute cette effervescence aurait pu ne pas exister car, un mois à peine après la naissance de son second fils, Louis (né le 1er avril 1934), toujours dans le bonheur de voir sa famille s’agrandir, survient le pire des accidents pour un violoniste. Emporté par la joie d’une partie de ballon avec Henri-Emmanuel (preuve que notre musicien n’est pas de ces virtuoses qui portent des gants jour et nuit !), il se casse l’auriculaire de la main gauche. La fracture se remet mal et le doigt a raccourci. Qu’à cela ne tienne ! Avec la volonté obstinée et le courage qu’on lui connaît, notre artiste recommence Ies exercices à zéro et renouvelle totalement sa technique.

Le fruit de sa patience et son opiniâtreté lui permettront de reprendre ses activités quelques mois plus tard, toujours avec autant, sinon plus de talent. Le début de l’année 1939 voit quelques changements dans son emploi du temps. Il vient d’abandonner le pupitre de premier violon-solo du Théâtre Royal pour se consacrer plus encore à la carrière de soliste (qui est en réalité son principal but) quand, en avril, il reçoit un télégramme de Bruxelles qui va, à nouveau, remplir son agenda.

Sa Majesté la Reine Elisabeth, admiratrice des Arts et violoniste accomplie, le désigne comme premier violon du quatuor qui portera Son Nom. La Chapelle Musicale Reine Elisabeth va ouvrir ses portes en juillet et Sa Majesté lui propose également la charge de professeur de perfectionnement.

Les voyages recommencent et, pendant près de cinq ans, Henri partagera son temps entre Liège, où il donne cours au conservatoire, et Bruxelles où il enseigne à la Chapelle, tient le pupitre de premier violon-solo de l’orchestre de cette institution et fait partie du Quatuor Reine Elisabeth.

Il a ainsi l’immense honneur d’approcher régulièrement une Personne remarquable de générosité, de bonté et d’intelligence supérieure : Sa Majesté la reine Elisabeth de Belgique.

La reine Elisabeth (1876-1965) apprenant le violon à son fils Léopold, en présence du Roi Albert I © isopix

Plusieurs fois par semaine, Cette grande Dame rend visite à la Chapelle musicale, s’intéresse à toutes les activités et Se joint volontiers à l’orchestre ou au quatuor. Il aura donc le grand bonheur d’interpréter, en Son illustre compagnie, le double concerto de J.S Bach et de nombreux quatuors.

Henri se rend aussi, régulièrement, au Château de Laeken pour travailler avec Sa Majesté. Là encore, il est le témoin privilégié de Sa générosité et de l’attention qu’Elle porte aux personnes rencontrées, toutes conditions sociales confondues.

Ayant appris qu’il a un penchant gourmand pour les truffes au chocolat, Sa Majesté veille à lui en offrir à chacune de ses visites.

Un jour, alors que Sa Majesté joue du violon en compagnie de notre ami, Elle s’arrête brusquement.
– Votre famille aime-t-elle le poisson ?
– Oh oui, Votre Majesté, répondit-il, interloqué.
– Rentrez-vous à Liège aujourd’hui ?
– Oui, Votre Majesté.
La Reine lui fait alors apporter un grand coffret à n’ouvrir que chez lui… il contenait un superbe brochet qui venait d’être pêché dans l’étang du parc. « J’ai pensé que cela ferait plaisir à votre famille », explique la Reine, le lendemain, à Henri venu la remercier.

Un matin, il arrive au Palais pour faire de la musique en compagnie de Sa Majesté. Une Dame d’un certain âge, installée dans le salon de musique, lui demande si c’est lui qui travaille avec la Reine.
– Oui, Madame.
– Alors, surtout, je vous conseille d’être très sévère ! Ma fille doit étudier.
C’était la Duchesse Marie-José de Bragance, mère de la Reine Elisabeth.

Enfin, un dernier témoignage, ultérieur à cette période, qui atteste si besoin l’est encore, de l’attention que porte la Souveraine au bien-être tant moral que physique des personnes qui ont le grand honneur de L’approcher. Quelques jours après avoir été reçu au Palais Royal en compagnie de son fils Henri-Emmanuel, Henri reçoit ce pli.

Palais de Bruxelles,
Le 2 avril 1953.

Cher Monsieur Koch, La Reine m’a chargé de vous faire parvenir l’onguent dont Elle vous a parlé lors de l’audience du 28 mars dernier, et qui est destiné à vous et à votre fils. Je joins à la présente lettre la recette, en double exemplaire, pour le pharmacien. Le paquet contenant le remède lui-même vous parviendra par courrier séparé. Croyez, cher Monsieur Koch, à tous mes meilleurs sentiments.

Edouard de Streel.
Secrétaire de la Reine.

Sa Majesté avait remarqué que Henri-Emmanuel souffrait d’une irritation de la peau due à la mentonnière de son violon.

***

Bien sûr, cette période va être plus qu’assombrie par la seconde guerre mondiale et l’occupation du pays. Henri est sans doute un artiste, mais c’est avant tout un être humain qui souffre, peut-être moins physiquement ou matériellement, mais surtout moralement, de la pénible situation de son pays, de la détresse de ses concitoyens et par-dessus tout du fait de se sentir totalement impuissant face à tout ce désastre, n’ayant qu’un “violon” pour défendre sa patrie !

En témoignent ces quelques ligne, prises au hasard dans ses carnets de notes, où il écrit fiévreusement ses sentiments au long des jours…

(…) Au conservatoire, on parle de reprendre le travail ! Pour y donner des leçons de violon !!! C’est le moment! Quelle vaste blague !!! Mon quartier, un peu isolé, paraît tellement en paix ! Mon violon me dégoûte. Ça, ce n’est plus drôle ! Pourvu que ça change ! Quel sort misérable que d’être forcé de rester quand les autres donnent leur vie ! Jamais je ne me suis trouvé dans une situation semblable ! Vraiment, j’en souffre ! Il faut être là pour la famille !!! pour ce carnet de mobilisation civile. Enfin, pour apprendre des gammes !!! c’est absurde! Quelle triste vie!

(…) Des avions passent et repassent, on les croirait inoffensifs ! Et pourtant, où vont-ils ? D’où viennent-ils? Qu’ont-ils fait ? On n’ose y penser ! Pourvu que cette boucherie finisse au plus vite avec le triomphe de la vérité et de la justice !

(…) 22h. Il fait encore clair pour aller se coucher sans tourner l’interrupteur. Le jour se meurt comme bien des êtres !

(…) Le matin est, pour moi, le moment le plus pénible ! Je ne sais que faire, pensant que d’autres souffrent de tout et meurent sur le terrain !!! Il en résulte un dégoût de tout. Quand je pense que je dois rester ici pour apprendre la musique !!! C’est terrible ! Je suis de tout cœur avec eux, mais aussi, ça ne suffit pas !! Et rien à faire, à cause de la mobilisation civile.

(…) Les enfants ! Pauvres gosses ! Quelle impression d’entendre leurs petites voix naïves et pures, dans ce fracas de feu, sang et mort ! Qu’est-ce que le ciel réserve aux hommes ! Humanité, où vas-tu ? Je donne cours à 3 élèves ! C’est insupportable ! Enfin ! Voilà pourquoi nous sommes mobilisés ! C’est grotesque!

(…) Nous, artistes, nous ne pouvons croire que le monde soit abimé à ce point ! Est-il possible que des dirigeants soient réellement sans foi, honneur… Et qu’il n’y aurait que basses combines, froidement accomplies au détriment de tout un peuple. Le bon sens, la sincérité, le travail sont pourtant des choses simples, oui, toutes simples !!! Ah ! Où sont-ils les X commandements ? Nous ne sommes rien ! Et pourtant ! C’est une fin de civilisation ! La pureté, la droiture n’ont-elles plus de place au soleil ? Non ! Il doit exister encore des hommes, de vrais hommes, qui sont, eux, quelque chose de grand et l’heure va sonner pour les hommes de bonne volonté ! Gare aux meneurs, gare aux fourbes dont, à l’heure actuelle, chaque pays doit être amplement pourvu ! Pauvre humanité ! Pauvre Belgique ! Pauvre belges ! Ils ne peuvent pas périr. Paix aux hommes de bonne volonté ! Honneur aux hommes réellement courageux ! Victoire à la vraie justice !

(…) Je souffre de l’écartelage du pays et j’y assiste impuissant.

(…) On sent que de pauvres gens souffrent atrocement la perte d’un père, la disparition d’un frère, l’attente quand même ! L’espoir, fou, peut-être ! Ajouter à cela la perte totale du sourire ! Même le rire des enfants parait presque indécent !!! Et pourtant, c’est la chose la plus incompréhensible : misère morale et matérielle d’une part… et joie de vivre, insouciance de l’autre ! Les enfants sont les seuls qui peuvent encore donner l’impression de vigueur! Les autres, comme nous, vivons et sentons que nous sommes totalement impuissants. Notre force ne peut venir que par notre art, à essayer de soulager les malheureux ! Ce que je fais de toutes mes forces, et c’est bien la moindre des choses que I’on puisse faire! Je ne demande qu’une chose, que mon art rapporte le plus possible de pain aux pauvres et le plus de joie et de réconfort moral aux autres. A cela, je voudrais m’y employer jusqu’à la limite de mes forces et le mieux possible !

(carnets de notes : mai 1940 – octobre 1940)

Et c’est bien là ce qu’il va faire. 0n ne peut compter le nombre de concerts auxquels il va participer, au profit de toute œuvre d’entraide aux malheureux. Il suffit de lire ces deux témoignages

Sclessin, le 23 mai 1943

Cher Monsieur Koch,

Je tiens à vous exprimer encore toute ma vive reconnaissance pour la délicieuse matinée de ce jour. Le public est resté sous le charme de votre si merveilleuse interprétation, nous avons reçu de si nombreuses congratulations ! Nous ne les avons pas méritées cependant.
La recette, grâce à vous, a été superbe, un résultat absolument inattendu, nous allons pouvoir aider tant de malheureux…

F. HARIGA

 

Août 1941

Monsieur le Professeur,

Le comité de notre œuvre tient à vous remercier chaleureusement pour la collaboration merveilleuse que vous avez apportée lors de la soirée organisée le 22 courant, en la salle du Palais Mosan.
Le geste aussi généreux que spontané que vous avez eu en retournant à notre œuvre la somme de 1.500 francs prouve, une fois de plus, la qualité de votre âme d’artiste qui comprend la part qu’elle doit prendre aux grandes douleurs frappant le peuple.
Un autre plaisir aussi grand pour nous a été d’apprendre que vous nous maintiendrez votre précieuse collaboration dans l’avenir.
Nous vous réitérons nos bien sincères remerciements, et vous prions d’agréer, Monsieur le Professeur, l’expression de nos sentiments les meilleurs.

Comité d’entraide aux sinistrés des bombardements du Grand Liège

A chaque demande de ce genre, il répondra toujours “oui” sans aucune condition. Mais il ne faut pas se méprendre sur ses intentions profondes. Ce ne sera jamais pour voir son nom sur une affiche, ce dont il se moque bien, mais pour participer le plus possible, avec ses moyens d’artiste, aux diverses manifestations qui ont pour but d’essayer d’aider, un tant soit peu, les personnes dans le besoin.

Ce trait de caractère n’est pas spécifique de cette période difficile car, tout au long de sa carrière, Henri Koch a toujours répondu immédiatement “présent” à toute prestation bénévole en faveur de toute œuvre humanitaire. Que ce soit pour les hôpitaux, les usines, les concerts de bienfaisance de toute sorte ; que ce soit devant plusieurs centaines de personnes, dans une salle comble ou, tout simplement, pour un seul auditeur, et particulièrement lorsque cette personne n’a pas les moyens physiques ou financiers d’assister aux concerts. Et avec d’autant plus de bonheur et de conscience artistique quand il peut faire plaisir à des personnes de condition modeste.

Jamais il n’oubliera qu’il est “peuple » et bien qu’il côtoie les plus grands, c’est surtout avec les humbles qu’il aime à bavarder, ayant toujours quelques mots d’amitié, et quittant souvent une assemblée de notables pour rejoindre le public “anonyme” et populaire.

***

Fin de l’année 1944, notre Henri retrouve sa chère ville natale à temps plein, si l’on peut dire, car la libération du pays amène des jours meilleurs, ainsi que la possibilité de reprendre les concerts et tournées à l’étranger. Ce qui ne va pas manquer !

Entre 1946 et 1948, il donne plusieurs récitals à Londres, accompagné au piano par Charles Van Lancker, professeur de musique de chambre au conservatoire de Liège. Il fait aussi plusieurs tournées en Pologne et Tchécoslovaquie, dont une notamment en compagnie du chef d’orchestre réputé, Fernand Quinet.

Prague, Wroclaw, Varsovie, Poznau, Cracovie… l’entendent dans les concertos de Beethoven, Mozart, Vieuxtemps, le Tzigane de Ravel, la Symphonie Espagnole de Lalo, la sonate de Franck…

Naturellement, ces tournées, au sortir de la guerre, ne sont pas de tout repos. Les voyages sont très longs et souvent assez éprouvants, dans des wagons sans chauffage, aux vitres brisées ; les visas ne sont pas souvent prêts quand il le faut, ce qui perturbe toute la programmation de la tournée ; le rationnement se fait aussi cruellement ressentir… Quelle n’est pas sa surprise lorsque, dans un hôtel de Poznau, il reçoit pour petit déjeuner… une choucroute sans saucisse !

De plus, il est souvent malade lors de ces tournées car le moindre refroidissement réveille une vieille bronchite dont il s’est mal rétabli pendant la guerre. Ce qui ne l’empêche pas, lorsqu’il entre sur scène, de retrouver la super forme, comme en témoignent ces quelques extraits de presse.

Londres :

…son style rappelle celui d’un autre grand technicien, belge également, César Thomson.

(Daily Telegraph)

Prague :

Henri Koch est un violoniste au sens large, concentré, et dont la technique des deux mains est parfaite. Il a présenté les deux compositions avec un sens musical développé et le prélude de Bach qu’il a exécuté pour répondre au désir du public fut joué dans le style exact.

(Svobodne – Slovo – 9 mars 1947)

Mardi soir, H. Koch a donné un concert. Il a à nouveau démontré que le niveau de son art est très élevé. Il faut surtout apprécier son tempérament qui ne nuit nullement à son récital, prémédité et maîtrisé. Il surprend par la noblesse de la cantilène au dynamisme magnifiquement articulé et par son jeu énergique, ferme et souple. Le public a été enchanté de l’exécution de Monsieur Koch.

(Rude Pravo – 14 – mars 1947)

…Le violoniste belge H. Koch a remporté à la Philharmonique Tchèque un grand succès. Il est véritablement un violoniste excellent…

(Pravo-Lido – 18 mars 1947)

Cracovie :

(…) possède tous les moyens techniques de son instrument. Le son est généreux et, à la science des jeux polyphoniques, il apporte avec lui les grandes traditions de la culture musicale de l’occident. Avant toute chose, il possède le talent, au service duquel il met toute sa science. Dans cette atmosphère, écouter la musique est un plaisir. Il semble qu’il brise la barrière entre l’exécutant et le public. Nous lui somme reconnaissants pour cette exceptionnelle et belle soirée.

(Dzienik Polski – Krakow – mars 1947)

Hollande :

…Nous fûmes heureux de pouvoir à nouveau entendre Mr H. Koch dont nous avons, à plusieurs reprises, pu admirer et apprécier le magnifique talent. C’est un virtuose de premier plan, qui ne quémande pas les applaudissements en multipliant les acrobaties : le musicien de grande classe s’adresse par les moyens les meilleurs, à nos sentiments les meilleurs. C’est le messager qui apporte la bonne parole. On sentait dans le ovations et multiples rappels, l’expression d’une reconnaissance profonde.

Mais ce ne sont là que quelques “échappées” hors de son port d’attache et, dans les années à venir, elles vont se faire de plus en plus rares. Il est vrai que son activité en Belgique, et plus particulièrement à Liège, ne lui laisse plus guère le temps de voyager. Ce dont il n’est pas mécontent, d’ailleurs ! Nous savons déjà que le Conservatoire Royal de Liège, où il est professeur, possède un orchestre dont Henri est premier violon-solo. Sous la direction de François Rasse, de 1925 à 1938, cet orchestre a fait découvrir aux Liégeois bon nombre de compositeurs comme Poulenc, Ibert, Ravel, Stravinsky… ainsi que plusieurs grands noms de la musique belge. De plus, l’organisation de Concerts d’Education Populaire à prix réduits (patronnés par l’Etat, la Province et la Ville de Liège) permettent à tout un chacun d’entendre tant les grands classiques que les compositeurs modernes.

L’orchestre, qui est devenu “permanent” depuis 1930, travaille aussi sous la direction de chefs invités de grande valeur, belges ou étrangers : S. Dupuis, E. Ysaye, F. Quinet, Vincent d’lndy…

Avec la venue de Fernand Quinet à la direction du Conservatoire en 1938, le nombre de concert augmente sensiblement ainsi que la découverte de nouveaux compositeurs : Gustav Holst, Arnold Bax, Benjamin Britten, Szalowsky…

Jusqu’en 1946, l’orchestre du conservatoire comprend plus de cent instrumentistes, tous professeurs lauréats ou élèves les plus doués de l’établissement. Mais, bientôt un Arrêté Royal change les conditions d’obtention de subsides pour le orchestres et le conservatoire ne peut plus posséder “son” orchestre.

Au sortir de la guerre, les pouvoirs publics et la Ville de Liège, qui est sinistrée, ne sont pas en mesure de prendre en charge les musiciens. Cette situation précaire provoque le départ de nombreux membres de l’orchestre, à la recherche d’un emploi “assuré”. Malgré cette instabilité, les meilleurs restent dont Henri Koch. Leur chef, Fernand Quinet, va se battre jusqu’en 1960 pour obtenir enfin un statut régulier à l’Orchestre de Liège.

Nonobstant tous ces problèmes “extra -musicaux”, le public liégeois va bénéficier d’exécutions d’un niveau tout à fait remarquable et de la création de plusieurs œuvres nouvelles, en tout cas pour la Belgique. Notamment, la création européenne de la huitième symphonie de Chostakovitch ; la septième symphonie de Prokofiev, des œuvres de Lutoslawsky, Meyers, Walton, Kabalevsky…

Il faut souligner aussi que Maître Quinet crée, en 1946, l’Orchestre de Chambre de Liège, formé par les principaux solistes de l’orchestre symphonique, et spécialement conçu pour les œuvres à petit effectif.

Henri fait donc partie, comme Konzertmeister, de ces deux ensembles. Mais il est aussi, régulièrement, invité comme soliste. Le public va pouvoir l’entendre, entre autres, dans les concertos de Max Bruch, Glazounov, Bach, Mendelssohn, Brahms, le Concertino de Milhaud, le Poème concertant d’Ysaye, lntroduction et Rondo capriccioso de Saint Saëns…

Voici un témoignage de la collaboration entre le chef d’orchestre et son soliste.

(…) Mais c’est surtout l’exécution du concerto de violon de Brahms qui importa. Mr Henri Koch s’en fit la vedette. Il l’aborda et la conduisit de pleine maîtrise, le jeu assuré, les sonorités rayonnantes. Le violon de Mr Koch chantait. Il perlait les traits et, l’archet en bataille, commandait aux difficultés.
Le rôle imparti à l’orchestre étant plein de responsabilités, sa valeur musicale disputa au violon solo une suprématie qui finit par se partager entre ces deux prétendants au pouvoir.
Comme le virtuose traita sa matière, Mr Quinet façonna celle de l’orchestre. Ce fut pour les attentifs et le observateurs, l’objet d’un double plaisir.

(La Meuse – Liège – 18.2.1961)

Ou lors de la prestation de chefs invités.

(…) l’on écouta Henri Koch dans le concerto en mi de Bach et le 2ème de Prokofiev, accompagné par l’orchestre de Liège conduit par Mr Elie Poslawsky. La maîtrise violonistique d’Henri Koch est totale. Bel archet, jeu brillant, sonorités chaudes et de bel effet, style plein d’affirmations, phrasés d’impeccable ponctuation, virtuosité de franc aloi, Henry Koch se montra superbe interprète de Bach, constructeur de traits et de formes conforme au dynamisme de Prokofiev. Il eut l’audience complète de l’auditoire et son succès fut vif.

(La Meuse – Liège – 3.4.1962)

Lorsque Fernand Quinet quitte la direction du conservatoire en 1963, I‘Orchestre de Liège est totalement indépendant, bien qu’il “habite” toujours dans les locaux du conservatoire. Et ce n’est pas le nouveau Directeur qui va le prendre en main mais un chef d’orchestre “fixe”. Henri va alors travailler successivement sous la baguette des Maîtres Manuel Rosenthal et Paul Strauss. Et toujours avec le même talent car, s’il est un grand soliste, il est aussi un Konzertmeister de “première classe”, sur qui un chef peut toujours compter et qui insuffle à tous ses collègues le bonheur et la bonne humeur dans le travail bien fait.

Tous s’en sont rendu compte, si bien que lorsque l’âge fatidique de la “pension” arrivera, les responsables de l’orchestre lui demanderont de rester à son poste. Ce sera, hélas, pour quelques mois seulement car la maladie aura déjà fait son œuvre.

Tous les musiciens de l’Orchestre de Liège se souviennent avec émotion d’une de ses dernières prestations en leur compagnie. Nous sommes en octobre 1968. Henri vient de subir de douloureux examens médicaux mais, comme toujours, il est fidèle au poste. Chacun est à son pupitre, prêt à travailler. Maître Paul Strauss, qui les dirige, attend l’arrivée du soliste pour commencer la répétition. Soudain, un coup de téléphone annonce que, par une succession de problèmes de transport, le soliste aura un retard considérable. Maître Paul Strauss décide de travailler avec l’orchestre seul et demande à son Konzertmeister d’entamer les premières mesures de la partie soliste du concerto de Brahms, qui est programmé pour le soir même, afin de donner les indications de tempi. Qu’à cela ne tienne ! Henri prend son violon et, passant du rôle de Konzertmeister à celui de soliste, commence à jouer le premier mouvement. Il jouera ainsi, sans aucune préparation, l’intégralité d’un concerto qu’il n’a pas joué depuis quelques temps et qui dure plus de quarante minutes !

Aux dires des personnes présentes en ce moment, malgré un état de santé déplorable, il en donna une interprétation des plus remarquables.

C’est aussi avec l’Orchestre de Liège que Henri va être le créateur de plusieurs œuvres de compositeurs contemporains.

Troisième variation :
les compositeurs, l’interprète, Le public

Il est intéressant d’associer, dans un même chapitre, les trois éléments fondamentaux qui participent à l’élaboration d’un concert. D’abord la source, sans laquelle rien n’est possible : le compositeur. Ensuite, l’intermédiaire, qui donne vie à la partition : l’interprète. Enfin, le récepteur, le but final, en un mot : le public. Et surtout, découvrir les relations qui s’installent, d’une part, entre le compositeur et son interprète et, d’autre part, entre l’interprète et son public.

Il serait vain d’essayer d’énumérer toutes les œuvres qui ont eu Henri Koch comme dédicataire ou premier interprète, mais il faut néanmoins en citer quelques-unes parmi des compositeurs connus ou moins connus. Déjà en 1927, il reçoit ce mot d’Armand Marsick (1877-1959), compositeur et chef d’orchestre, dont il vient d’interpréter une de ses œuvres.

Bruxelles, le 22 décembre 1927

Cher Monsieur,
Une subite indisposition m’a privé du plaisir d’aller vous entendre mardi soir. J’en ai été bien désolé ! J’ai su cependant que votre exécution de ma sonate a été vraiment remarquable et je tiens à vous en remercier très sincèrement. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments reconnaissants et très sympathiques.

Armand Marsick

De Maurice Dambois, violoncelliste de grand talent, qui aura aussi Henri Koch comme créateur de bon nombre de ses œuvres et, principalement, pour son concerto pour violon et orchestre, créé à Liège le 8 juin 1965 et qui, malheureusement, n’a plu été interprété depuis cette date. C’est pourtant une œuvre admirable de qualités mélodiques et de prouesses techniques !

22 novembre 1936

Mon cher Henry, Je ne veux pas tarder à venir te remercier du concours que tu as bien voulu nous apporter au concert d’hier. Ton succès t’aura dit, mieux que je ne pourrais le faire, combien tu fus brillant. Je t’en félicite vivement. Le compositeur te dit aussi toute son admiration, et sa reconnaissance affectueuse. Sois mon interprète auprès de ta femme pour lui exprimer mes remerciements pour son dévouement à la réussite de notre concert. Il paraît que tu viens à Bruxelles samedi, viens me dire un… petit bonjour.

Ton très dévoué, Maurice Dambois

D’un compositeur un peu moins connu en tant que tel, Mathieu Debaar, professeur de violon et de solfège au Conservatoire de Verviers. Eminent pédagogue, père du célèbre comédien André Debaar.

17 février 1947
Mon cher Henry,
Tu as été très aimable vendredi soir, de vouloir bien t’intéresser à mon “Poème” et de me proposer aussi généreusement de le jouer et de le faire connaître. C’est là, de ta part, un geste de confraternité artistique qui me touche, étant donné que je n’ai aucune notoriété comme compositeur (…)
Mathieu Debaar

Le 22 janvier 1947, Henri crée, sous la direction de Franz André, le concerto pour violon et orchestre de Sylvain Dupuis (1856-1931), directeur du Conservatoire Royal de Liège, chef d’orchestre et premier Prix de Rome de composition. Le 9 août de la même année, au “Jardin d’Acclimatation” de Liège, il crée, sous la direction de René Defossez, le concerto pour violon et orchestre que Jean Rogister a écrit tout spécialement à son intention. Voici les réactions du compositeur à la toute première audition de son œuvre :

Stoumont – La Gleize, 18 août 1947

Mon cher Henri,
Depuis 8 longs jours, la pensée de t’écrire ne me quitte pas, mais les tracas des travaux de reconstruction et tout et tout ne m’ont pas permis jusqu’aujourd’hui, de venir à toi. Je veux, une fois de plus te dire combien je suis ravi de la création de ton concerto. Tu y as mis ton grand talent et, encore plus, tout ton cœur. Avis unanimes et autorisés de eux qui ont eu la joie de t’entendre. Ils disent aussi que “ce concerto te va comme un gant“. J’en ai également la conviction.
Comme eux j’aspire à le réentendre. Puisse ce souhait se réaliser bientôt ! J’en arrive à te dire ce par quoi j’aurais dû commencer. C’est-à-dire, encore nos plus chaleureuses félicitations et mon tout grand merci à l’artiste, à l’ami !!
Il fait beau et nous te rappelons ta promesse.
C’est de tout cœur, les bras ouverts que nous te recevrions si tu voulais bien nous faire la joie d’une visite à Stoumont. Ma femme et moi comptons sur toi… bientôt.
D’avance, nous n’acceptons d’excuses.
Encore merci, mon cher Henri, et en partage chez toi, respects et bien sincères amitiés.

Jean.

Ce concerto, Henri l’interprétera à reprises et l’enregistrera sur disque en 1959, pour la firme Decca, en compagnie de l’Orchestre de Liège sous la direction de Maître Fernand Quinet. Toujours avec l’Orchestre de Liège, le 2 septembre de cette même année 1947, c’est au tour du Poème concertant d’Eugène Ysaye orchestré par François Rasse. Ensuite, le 20 février 1955, avec le Quatuor municipal de Liège dont il est premier violon, c’est la troisième symphonie en mi mineur pour quatuor à cordes solo et orchestre de Jean Rogister.

Le 10 décembre 1965 a lieu la première audition publique de Harmonie du Soir opus 31, pour quatuor solo et orchestre à cordes d’Eugène Ysaye, où il partage la vedette avec Léopold Douin (second violon), Michèle Babey (alto) et Joseph Wagene (violoncelle).

Il en sera de même pour des œuvres de Maurice Guillaume, René Driessen, François Gaillard, Léon Jongen, Jean Martinon, Pierre Froidebise, Jean Servais…

Mais le mieux n’est-il pas de découvrir la façon dont Henri accueille toute œuvre nouvelle, venant tout aussi bien de compositeurs dont la réputation est établie, que de nouveaux venus dans l’art de la composition. Et, pour cela, en référer au témoignage d’une grande personnalité liégeoise : Jean Servais.

(…) C’est l’indissoluble unité de l’homme et de l’artiste que je voudrais mettre ici en lumière, en évoquant un souvenir personnel. Qu’on veuille bien m’en excuser: on ne connait vraiment que ce qu’on a vécu. D’ailleurs, je gage que ce n’est là qu’un exemple entre mille de l’inépuisable générosité et de l’enthousiasme désintéressé de Henri Koch. Voici trente-trois ans, j’avais, entre autres compositions, écrit un quatuor à clavier. Personne, sauf mes très proches, ne savait mon secret de musicien autodidacte.
Hélas ! une partition, on a beau la lire, tâcher qu’elle vous sonne en tête, ce n’est jamais là qu’un façon de mirage : on ne se nourrit pas longtemps de rêves, et la musique est faite pour être jouée. J’avais à ma disposition, par raison familiale, la pianiste et le violoncelliste : manquaient le violon et l’alto. Or, quand, sous mon crayon et dans mon cœur, naissaient les phrases du violon, je les entendais, littéralement, chantées par celui d’Henri Koch.
Si, depuis des années, je l’admirais, me réjouissais de ses succès et suivais ses concerts avec ferveur, jusqu’alors – par timidité, je pense, et par ignorance de son caractère – je n’avais osé aborder celui qui, par l’âge étai mon contemporain mais que son prestige me semblait rendre inaccessible. Sans doute aurais-je pu songer à quelque autre excellent violoniste ?
Dans mon esprit, lui seul était capable de rendre parfaitement ce que j’espérais avoir exprimé dans mon ouvrage. Je balançai longtemps puis, un jour, pris une résolution mise aussitôt à exécution par crainte de renoncer, si je tardais un instant.
Ainsi, par un bel après-midi de juin 1936, me voilà parti, ma partition sous le bras, sans avoir annoncé ma venue, dans une façon de coup de tête qui laissait au hasard de décider pour moi. Arrivé rue Bassenge, passant devant les fenêtres du numéro 43, j’entendis la voix d’un violon. Nul doute, ce n’était pas celui d’un élève même avancé. Mon cœur tressaillit, la chance me souriait : il était là ! Doucement, je sonnai. La musique cessa, un pas vif battit le couloir, et Henri Koch en personne ouvrit vivement la porte. Je le vois encore, en gilet de laine beige : son beau visage, qu’un mèche blonde caressait jusqu’à la pommette, marquait moins la surprise – sinon la contrariété – devant un inconnu qu’une curiosité souriante et amicale.
Je n’eus pas le temps de balbutier de confuses explications que, me prenant par le bras, Entrez, Monsieur, dit-il, et il m’introduisait dans ce studio où je devais plus tard, passer tant d’heures heureuses.
Avec force excuses, j’exposai le but de ma visite et demandai s’il était disposé, moyennant une toute naturelle rétribution, à travailler mon quatuor pour une exécution privée.
On va d’abord voir ça“, fit-il en ouvrant la partition. Et le voici, tournant les pages, l’œil attentif, s’arrêtant comme d’instinct, aux passages “écrits pour lui”. Il les phrasait, d’une voix sourde mais déjà avec cette justesse d’intention où se devinait le futur chant du violon. Et alors ses traits s’animaient, il se laissait emporter, s’interrompant parfois pour me lancer, avec un regard approbateur “Mais c’est bien, ça !” ou “c’est épatant” ou “ça va, ça va !”.
Mon cœur en bondissait d’émotion et de joie. Il parcourut ainsi les quatre mouvements puis, refermant le manuscrit cartonné qui claqua : “Eh bien ! annonça-t-il, maintenant, on va le travailler. Parce qu’il n’est pas facile !“.
Je me confondis en remerciements et revins timidement sur la question financière. Il s’esclaffa : “Pas question! D’abord, si j’accepte, c’est parce que l’œuvre me plaît – et vous aussi ! – et que j’ai envie de l’exécuter. Alors, pourquoi payer mon plaisir ? Je vous trouverai un bon altiste et lui, vous pourrez Je dédommager.
On travailla avec un zèle admirable durant une douzaine de répétitions et, un mois plus tard, devant Ie “Cercle de famille”, mon quatuor reçut une interprétation inoubliable. C’était pour moi, une réussite inespérée. Elle ne satisfit point l’enthousiaste Henri Koch. Après l’exécution, il déclara :
“Ce serait trop bête d’avoir mis au point un quatuor (on s’était rapidement tutoyés) pour ne le jouer qu’une fois ! Maintenant, il faut le donner en public ! Il s’aboucha aussitôt avec le regretté Jean Quitin, alors directeur de la Section Musicale des “Amis de l’art wallon”, et, à eux deux, ils préparèrent la séance, pour moi mémorable, qui devait, le 3 mars 1938, marquer mon entrée officielle dans le monde musical.
C’est à l’initiative, au dévouement et à l’amitié de Henri Koch que je le dois, et ma gratitude ne s’est pas éteinte avec lui. Dans ce don de soi, ce désintéressement, et élan, il s’était, tout entier, manifesté. Et pourtant je ne suis q’unus e multis, un seul parmi tous ceux à qui, sans compter, il a donné son talent, son temps et son cœur : les compositeurs qu’il a défendus, les malheureux pour le service desquels il était toujours prêt, ses élèves à qui, durant quarante ans, il s’est dévoué jusqu’à leur sacrifier, peut-être, une part de sa carrière de virtuose.

Revue La vie wallonne – n ° 326 Tome XLIII, 2ème trimestre 1969

Après s’être penché sur les rapports entre le compositeur et son interprète, il est intéressant aussi de découvrir certaines réactions du public concernant ce même interprète. Chacun sait que les critiques musicaux ont tout pouvoir pour “faire” et “défaire” les renommées. Mais le plus important n’est-il pas ce sentiment qu’éprouve l’auditeur au moment des concerts ? Voici quelques réactions sincères, prises au hasard de sa correspondance et émanant de grands artistes comme de mélomanes.

Samedi 22 avril 1939

Mon cher Henri, Je finis de t’entendre et comme je ne te rencontre plus régulièrement – ô pigeon voyageur – je m’en voudrais de ne pas, fraternellement, te dire toute mon émotion et ma joie artistique pour ton interprétation de Brahms… Précisément, je l’avais écouté hier soir à l’I.N.R. interprété par (…) et j’ai pu comparer et juger… Je ne veux faire de peine à personne, mais il faut bien qu’il y ait des premiers et des seconds !!! Ah, cher vieux frère, que tu as joué avec maîtrise et profondeur. Comme tu as chanté l’andante et que ton Guarnérius , était docile à tes doigts, à ton archet, et surtout à ton cœur : un enchantement ! Et plus que jamais, je me dis que j’ai une fière chance d’avoir eu pour interprète un artiste tel que toi ! Encore une fois et de toute mon affection, bravo ! La transmission fut excellente et ton instrument plus radiogénique que jamais !
Amitiés à tous chez toi, et à toi, comme toujours, une fraternelle poignée de mains.

Jean Servais.

5 janvier 1946

Cher Monsieur Koch, Vous m’avez donné une joie tellement réelle à l’audition du concerto de Beethoven hier au soir que je tiens absolument à vous le dire, moi qui pourtant abhorre d’écrire. Si je dis que c’était splendide, je dis la vérité en même temps qu’un mot qui a été galvaudé. Les solistes en général (même les très renommés) font de l’instrument avec de la musique, vous avez fait de la musique avec un instrument. De la musique dont l’expression était si pure, dépouillée, concentrée, intense, que je vous en remercie.
Et maintenant, bonne année, Monsieur Koch. Voulez-vous aussi transmettre mes meilleurs vœux à toute votre sympathique famille.

Marcelle Mercenier

 

Jumet, 2 avril 1947

Cher Monsieur,
J’ai tardé à vous écrire parce que je n’ai pas voulu vous adresser mes compliments à un moment que l’on pourrait qualifier d’enthousiaste. Vous savez jouer du violon, c’est entendu ; mais vous avez pour cela étudié de nombreuses années, et c’est donc là chose toute naturelle. Ainsi que vous me le contiez, vous pouvez faire des doubles croches, et même des quadruples croches par une à la fois ! Cela n’est rien que de très naturel. Ce que j’honore en vous, c’est l’homme lui-même, je pourrais dire l’humaniste, supérieurement intelligent et magnifiquement équilibré. Ce sont ces qualités qui vous font être vous-même, avec toute la simplicité, toute la cordialité qui vous caractérisent et il vous différencient de bon nombre d’autres musiciens dont la vanité n’est pas toujours le moindre défaut.
Ce n’est pas un virtuose qui participé au Festival Maurice Guillaume, c’est un ami, un homme de cœur qui ne s’est pas borné à jouer ce qu’il lisait, mais qui l’a dit, parce que comprenant ce qu’il lisait, il le disait tout simplement avec tout son cœur et avec tout son art. Permettez-moi de vous dire les choses très simplement et de vous dire quelle impression profonde et affectueuse vous avez laissée chez ceux qui vous ont entendu ou qui, comme moi, ont pu avoir le plaisir de vous coudoyer pendant ces deux jours. Je ne vous félicite pas parce qu’on ne félicite pas des gens comme vous, mais je vous adresse tous mes remerciements et tous mes sentiments d’affectueuse sympathie.

Maurice Hosdain – Architecte.

Enfin, l’interprète sur scène. Si Henri Koch est jovial, rieur, modeste, taquin dans les coulisses ; lors qu’il entre sur scène, il change totalement de physionomie. Son attitude, sa beauté physique, son “aristocratie” exercent un véritable magnétisme sur le public.

Il arrive détendu, souriant, salue le public, s’accorde et là, ce n’est plus le même homme. Son visage change d’aspect, il se transforme comme s’il était parti dans un autre monde, une autre sphère. Il n’existe plus, à ce moment précis, que par et pour la musique, par le violon et pour le violon. Tout peut s’écrouler, il est dans un autre monde.

***

Toujours en cette même année 1947, le démon de la musique de chambre le reprend. Sa rencontre avec Louis Poulet, altiste de talent et créateur des Concerts de Midi de la ville de Liège, va être déterminante à ce sujet. Bientôt, un groupe se forme avec Henri Koch au premier violon, son fils Emmanuel, qui a à peine dix-sept ans, au second violon, Louis Poulet à l’alto et Charles Bartsch au violoncelle. En lisant le nom d’Emmanuel Koch, on comprend d’autant mieux la définition que notre Henri donne d’un Quatuor :

…Un quatuor est, je l’ai souvent dit, un mariage !
Un ménage demande de la part des conjoints beaucoup de concessions réciproques, beaucoup de tolérance, et surtout un grand amour !

(Lettre à Louis Poulet)

Et c’est une immense joie pour lui de jouer en compagnie de son propre fils qui, malgré son jeune âge, fait déjà montre d’autant de talent que lui. En 1950, le groupe prend définitivement le nom de Quatuor Municipal de Liège. Vont alors commencer tout une série de concerts d’un genre nouveau dans la région liégeoise : Les Concerts du Dimanche Matin. Leur but principal est de remettre à l’honneur une forme musicale un peu (et même beaucoup) délaissée par les organisateurs de concerts et, partant, par le public : la musique de chambre, et plus particulièrement le quatuor.

De plus, programmer des concerts le dimanche à 11 heures permet de toucher un public de jeunes, ne pouvant pas toujours assister à des spectacles en soirée, ainsi que les mélomanes qui sont déjà très pris par les concerts symphoniques ou les spectacles lyriques en cours de semaine.

Ils se font entendre, tout d’abord, au Musée des Beaux-Arts, rue de l’Académie, ensuite à la Chapelle du Vertbois. Bien sûr, au cours des années, il y aura quelques changements dans la composition du groupe. En 1955, l’altiste Paul Lambert, médaillé de la classe de Henri Koch, succède à Louis Poulet. Le violoncelliste Charles Bartsch cède le pupitre à Eric Feldbusch (virtuose et compositeur de grand talent, futur Directeur du Conservatoire Royal de Bruxelles) puis à Georges Mallach (actuellement violoncelle-solo à l’orchestre de R.T.L.) enfin, en 1961 à Joseph Wagener.

Mais ces changements n’entament en rien le but initial des fondateurs, Henri Koch et Louis Poulet : servir au mieux la musique de chambre.

Interviennent également le présentateur, Madame Alice Bosman, succédée par Jean Servais, et Monique Pichon qui tient la partie de piano.

Le Quatuor Municipal est l’unique organisateur et programmateur de ces concerts, qui se donnent à raison de dix-huit séances annuelles, divisées en deux cycles, entre les mois d’octobre et mars. Tout cela dans une ambiance chaleureuse et proche d’un public très fidèle.

Il est vrai qu’il faut profondément aimer la musique pour, après une semaine déjà surchargée, sacrifier la ‘sacro-sainte’ grasse matinée dominicale afin de servir au mieux un genre musical encore peu apprécié du grand public. Sans compter les nombreuses heures de répétitions, car le quatuor n’est pas une forme des plus aisées à mettre au point !

Il suffit de regarder d’un peu plus près les programmes présentés ! La première saison débute sur les chapeaux de roue : pas moins de quarante-six œuvres, dont l’intégrale des quatuors à cordes de Beethoven. Et les saisons qui suivent sont du même gabarit !

A partir de 1963, un thème sera choisi pour chaque cycle. Le public pourra donc entendre, pendant les saisons :

      • 1963-64 :
        l’intégrale des quatuors de Beethoven.
      • 1964-65 :
        les quatuors de Haydn et les œuvres à clavier de Brahms.
      • 1965-66 :
        les quatuors et quintettes de Mozart et des romantiques allemands.
      • 1966-67 :
        la musique de chambre de Boccherini et des compositeurs français, de Couperin à Jean Françaix.
      • 1967-68 :
        les œuvres de Schubert et de la famille Bach.

Pendant dix-huit ans, Henri Koch va faire partie du Quatuor Municipal de Liège. Lui et ses partenaire vont, grâce à leur ténacité et à leur amour désintéressé de la musique pure, initier un large public aux beautés de la musique de chambre, mais aussi offrir aux liégeois de nombreuses créations ainsi que la redécouverte de bon nombre d’œuvres tombées dans l’oubli.

Chaque saison met un point d’honneur à programmer plusieurs œuvres belges. On redécouvre ainsi des pièces de César Franck, Vieuxtemps, Grétry, Pieltain… et on découvre les partitions nouvelles de Marcel Quinet, Fernand Quinet, René Defossez, Emile Mawet, Michel Leclerc, Eugène -Sébastien Monseur, Louis Lavoye, Victor Legley, Jean Absil, Eric Feldbusch, Joseph Jongen, Léon Jongen, Sylvain Vouillemin, Jean Rogister, Berthe Di Vito Delvaux…

Il ne faut pas croire qu’il n’y a de concerts que le dimanche matin. Le Quatuor Municipal voyage aussi régulièrement, pour se produire dans tout le pays et hors -frontières, afin d’étendre ce mouvement en faveur de la musique de chambre.

Mais pourquoi ne pas laisser la parole quelques critiques ?

…La séance de ce dimanche fut de celles-là où les auditeurs et exécutants vivent, sans conteste, en communion avec la pensée du Maître, les états par lesquels elle passe, si contradictoires, si poignants ou si détendus. Mme Gilbart ayant préparé l’assistance à l’audition du 13ème quatuor opus 130 de Beethoven, les quatre de notre quatuor municipal se livrèrent à une exécution concentrée sur sa signification musicale même. L’esprit tendu, la volonté soumise à l’idée et les moyens techniques à la tâche entreprise, rien ne vient soustraire exécutants et auditeurs à la pénétration de cette œuvre de beauté. Elle s’opéra dès l’emprise des impératifs du 1er mouvement, brefs, entrecoupés d’irruptions de traits alertant la virtuosité des artistes, les sentiments des écouteurs. Il serait vain, il ne serait pas indiqué de tirer de cette audition des exécutions plus particulièrement que d’autres. De grande unité, de mêmes dispositions, l’on écouta les six mouvements, tous empreints de leur caractère propre. Les exécutants ont droit à des félicitations et à un grand coup de chapeau. Ils furent magnifiques.

(L.Lavoye – La Meuse – Liège – 23.2.1958)

L’annonce de la présence du Quatuor Municipal de Liège au concert de Midi était pour l’auditeur la garantie d’un concert intéressant. On connaît, en effet, non seulement la valeur individuelle des artistes qui en font partie, mais aussi les qualités de leur ensemble. Les sonorités s’accordent admirablement (…) Le quatuor donnait en début de séance le quatuor en fa majeur op. 59 n°1 de Beethoven, œuvre qui ne demande pour ainsi dire que des sonorités discrètes où quelque fortissimi ne semblent exister que pour faire ressortir davantage la délicatesse des formules. Les artistes nous firent apprécier jusque dans ses moindres détails cette composition aussi difficile que belle. Elle était suivie de la première audition, à Bruxelles, de Prélude et chaconne pour quatuor à cordes, de Joseph Jongen. C’est un mérite pour le quatuor municipal de Liège de nous l’avoir fait connaître, et de l’avoir exécutée avec sensibilité et maîtrise.

(Bruxelles)

Le quatuor municipal de Liège a donné, au centre d’art d’lxelles, une séance de musique de chambre des plus réussies. Composé de quatre instrumentistes de valeur, ce groupement, un des meilleurs parmi les ensembles belges similaires, s’est distingué par une exécution soignée. Outre leurs qualités personnelles et de chambristes (nul n’ignore la part importante que prend ce groupement aux concours de quatuors internationaux que la ville de Liège organise périodiquement), ces artistes ont le précieux privilège de jouer sur un quatuor d’instruments émanant du luthier Gaggini (1er prix lutherie 1957). Ce précieux privilège, nos musiciens l’ont mis au service de la musique, réalisant une audition d’une homogénéité rarement entendue. Les œuvres exécutées, op. 3 de Haydn, n°5 op 18 de Beethoven, en ré mineur, op. post. de Schubert, bénéficièrent ainsi d’une remarquable interprétation et l’auditoire, charmé, manifesta chaleureusement son contentement.

(Z. Ixelles)

(…) Outre les qualités interprétatives de ces instrumentistes, on peut louer sans réserve leur probité technique et surtout leur sens de la musique de chambre. Chacun d’eux est réellement au service du texte, et sa pensée est constamment liée à celle de ses partenaires.

(M.V Bruxelles)

C’est également dans le cadre des “Concerts du Dimanche Matin” que Henri Koch se fait entendre, régulièrement accompagné au piano par Monique Pichon, dans les grandes sonates du répertoire : Beethoven, Brahms, Schubert, Lekeu, Franck… Le Quatuor Municipal participe aussi pleinement à un événement international qui, chaque année, fait de la ville de Liège la “capitale mondiale du quatuor” : le Concours International de Quatuor.

Quatrième variation : le “Concours international de Quatuor”

C’est avec l’appui de Paul Renotte, Echevin des Beaux-Arts de la Ville de Liège, et la collaboration du Quatuor Municipal que Louis Poulet va mettre sur pied ce concours d’un genre tout à fait nouveau, du moins en Europe.

Son objectif principal est double. A la fois, enrichir la vie musicale liégeoise d’une institution à caractère international et faire mieux découvrir encore une des expressions musicales les plus pures. Le projet est d’envergure car il s’agit d’un triple concours. D’abord, la composition d’œuvres nouvelles pour quatuor à cordes, ensuite l’interprétation et, enfin, la lutherie, à raison d’une épreuve distincte par année.

En ce qui concerne le concours d’interprétation, aucun gros problème ne se pose. Chaque groupe présent un programme précis devant un jury. Mais comment pouvoir juger équitablement des œuvres inédites inconnues, et des instruments nouveaux, si ce n’est en les entendant? C’est bien là où le Quatuor Municipal se montre le principal artisan des épreuves de composition et de lutherie.

Après plusieurs mois de préparation, et de travail intensif, la première session de composition, qui a lieu en septembre 1951, obtient un succès qui dépasse toutes les attentes. Le jury reçoit les partitions de cinquante-cinq quatuors, provenant de treize pays différents ! Les épreuves ont lieu, chaque année, durant septembre, au Musée des Beaux-Arts, au Château de Wégimont et ensuite au Conservatoire et à la Chapelle du Vertbois. Mais, rien de tel qu’un témoignage de l’époque :

…Le premier concours international pour quatuor à cordes a eu un succès retentissant. Si l’on songe au nombre considérable de compositeurs qui ont répondu à cet appel (55), au bref délai qui leur était accordé pour présenter une œuvre inédite et inconnue du public (4 mois), au fait que 12 pays participèrent ainsi à ce concours, il est aisé de définir la portée d’une telle entreprise (…) Une tâche écrasante attendait cependant les musiciens du Quatuor municipal de Liège (Mrs Henri Koch, Louis Poulet, H.E Koch, Eric Feldbusch) et les membres du jury (Mrs QUINET, ABSIL, DEFOSSEZ) : lire, en 3 mois, 55 partitions, les exécuter, les enregistrer, les juger.
Dès le 1er juillet, chaque instrumentiste avait reçu sa partie à travailler ; du 1er août au 1er septembre, eut lieu le travail en commun à raison de 6 à 7 heures par jour, dimanches compris : premières lectures alternaient avec mises au point. Chaque œuvre fut ainsi l’objet d’un travail approfondi : les enregistrements qui en furent faits, au cours de ce mois, et qui sont conservés au secrétariat du concours, à titre de témoignage, en font foi.
Les 5 et 6 septembre, eut lieu, à huis-clos, une première épreuve éliminatoire dont le procès-verbal, révèle la scrupuleuse méthode.
(…) De cette première épreuve éliminatoire, 13 quatuors avaient été retenus par le jury ; ils furent exécutés en séances publiques du 26 au 29 septembre. C’est le 1 octobre, au cours d’une séance solennelle, rehaussée par la présence de S.M. la Reine Elisabeth, que le jury eut à se prononcer pour le classement des 4 partitions reconnues les meilleures.

(Suzanne Clercx, Le concours international pour quatuor à cordes, 1951)

Lors des différents concours de composition, le Quatuor Municipal aura à déchiffrer jusqu’à 111 partition inédites et, souvent, d’une grande difficulté technique. Et là, les quatre membres du groupe font preuve d’une extraordinaire faculté de déchiffrage due, en partie, à l’excellent enseignement du solfège au Conservatoire Royal de Liège qui les a formés. Un tel concours pourrait-il encore avoir lieu aujourd’hui ?

Lors des sessions “lutherie”, organisées grâce au précieux concours du Maître luthier liégeois, Jacques Bernard, c’est leur grande facilité d’adaptation qui est mise en lumière car ils doivent jouer, chacun, sur parfois plus de trente instruments différents. Lisons plutôt.

…Depuis dimanche, ont lieu les secondes épreuves éliminatoires. Elles se déroulent dans la salle du Musée des Beaux-Arts, les lundi, mardi et mercredi, à 10h et 20h ; elles se poursuivent à la cadence de trois quatuors par séance. Des trente quatuors écoutés à la première épreuve, 21 ont été retenus pour la seconde.
Les membres du jury, section sonorité, par souci d’objectivité, écoutent du fond de la salle IV et derrière un rideau. Le jury section lutherie, est à l’autre bout de la salle, mais en vue de tous. Afin de n’informer aucun juré, il a été décidé de ne point révéler la devise des instruments. Une lettre alphabétique seulement les distingue les uns des autres. Il faut rendre hommage à cette objectivité, et à cette conscience des membres des jurys.
Et comment ne pas rendre hommage aussi aux exécutants, M.M Henri Koch, premier violon, Emmanuel Koch, second, Louis Poulet, alto et Eric Feldbusch, violoncelliste ? Comprend-t-on suffisamment l’ampleur de leur tâche et les difficultés qu’elles entraînent ? A-t-on jamais vu un soliste, par exemple, se produire dans un concert ou à un concours avec un instrument qu’il n’a pas travaillé au moins – et c’est un strict minimum – six mois ?
Or, les quartettistes du concours doivent continuellement s’adapter à chaque nouvel instrument. C’est un véritable tour de force qui mérite la plus vive admiration et les plus sincères encouragements.
Après avoir joué trente fois la première partie du quatuor n°1 de Haydn et l’andante cantabile du quatuor n°16 de Beethoven, au Domaine Provincial de Wégimont, ils font entendre maintenant 21 fois, au Musée des Beaux-Arts, l’adagio affetuoso et appassionato du quatuor n°1 de Beethoven, le scherzo andante-allegretto du quatuor n°4 de Beethoven et le presto du quatuor n°1 de Schumann.
Aux épreuves finales du jeudi 19 et du vendredi 20 septembre, les quartettistes donneront le quatuor de Claude Debussy.

(I. de G. – Gazette de Liège – 17.9.1957)

Comme on peut s’en rendre compte, l’organisation et la réalisation d’un tel concours ne sont pas une mince affaire, mais le jeu en vaut la chandelle car, dès les premières années, il va connaître un retentissement international. Et, très vite, la ville de Liège va prouver, sans conteste, qu’elle mérite bien le titre de “Capitale du quatuor”.

Le concours va s’honorer du haut patronage de Sa Majesté la Reine Elisabeth de Belgique, qui assistera, d’ailleurs, à plusieurs épreuves.

Le jury réunit des sommités du monde musical international dont, entre autres, Fernand Quinet (Belgique), Witold Lutoslawsky (Pologne), Hans Erich Apostai (Autriche), Jacques Chailley (France), Latochensky (U.R.S.S.), Jean Absil, Victor Legley…

Il va nous faire découvrir de nouveaux compositeurs de talent : Grazyna Bacewicz (Pologne) en 1951, Elliott Carter (U.S.A) en 1953, Manfred Kelkel en 1956, Giorgio Ferrari (Italie) en 1962…, des interprètes de haut niveau : le Quatuor Parrenin (Paris) en 1952, le quatuor Vlach (Prague) en 1955, le quatuor Bartok (Roumanie) en 1964… et des luthiers reconnus, maintenant, mondialement : Jean Bauer (France) en 1954, Pierre Gaggini (Nice) en 1957, Jean Petitcolas (Paris) en 1960, Bohumil Bucek (Tchécoslovaquie) en 1963, Rocchi (Italie) en 1966…

Pendant plus de quinze ans, Henri Koch va participer activement à la réussite de cette entreprise originale, tant au sein du Quatuor Municipal que faisant partie du jury pour la session interprétation.

***

Ainsi, approchant de la cinquantaine, alors qu’il pourrait un peu se reposer sur des “lauriers” bien mérités, Henri ajoute encore une activité à son emploi du temps déjà trop chargé !

Ce n’est, certes pas, par “arriviste”. Arrivé, il l’est déjà depuis des lustres ! Il n’a plus rien à prouver à quiconque ! Mais pour une raison toute simple, évidente pour qui le connaît un peu : il aime, il adore même son métier (si l’on peut appeler “métier” tout ce qui touche au domaine artistique).

Lorsque, un jour, le directeur du Conservatoire, inquiet de le voir, en plus de ses activités au sein de l’Orchestre de Liège, du Quatuor Municipal, de ses cours au Conservatoire, donner des récitals un peu partout en Belgique, lui dit “Mais, Monsieur Koch, vous allez vous faire cre… !”, sa réponse est immédiate : “Monsieur le Directeur, je joue en soliste parce que donner des récitals ou interpréter des concertos est ma vraie raison de vivre. Cela ne me fatigue pas, parce que j’aime ça !” Le Directeur n’a pas insisté !

Il est vrai qu’il est “infatigable” notre Henri. Il a beau se coucher à des heures impossibles, donner parfois – et même souvent – plusieurs concerts différents en une même journée, chaque matin, il est à son pupitre de Konzertmeister, cinq minutes avant les autres, toujours en pleine forme et de bonne humeur. Comme il Ie dit si bien, faire ce que l’on aime ne fatigue jamais !

A ce sujet, ses élèves se souviennent d’une petite anecdote. Si Henri Koch est plus que sérieux quand il s’agit de travailler, il aime aussi s’amuser et n’est jamais le dernier à “raconter une bonne blague”. Aussi, après un concert donné en compagnie de ses élèves, accepte-t-il volontiers d’aller fêter cela devant une bonne table. Sortie qui le fait rentrer chez lui aux aurores ! Tous ses élèves parient qu’il ne sera pas en forme pour donner cours à 9 heures du matin. Pari perdu ! Car, non seulement il est en pleine forme mais, prenant son violon, avec un petit air narquois, il leur fait faire, en sa compagnie, deux heures de gammes et exercices qui les achèvent littéralement ! Après quoi, tout guilleret, il part répéter avec l’Orchestre de Liège !

Quoi qu’il en soit, il se réserve tout de même quelques jours de “vacances”, passés le plus souvent en famille, à Esneux, dans la petite maison qu’il vient d’acquérir au bord de l’Ourthe. Maisonnette qu’il a baptisée avec l’humour qu’on lui connaît : Mi Dièse.

Il peut ainsi un peu “respirer”, en pêchant ou en faisant de longues promenades à travers la campagne environnante. Sans oublier les gammes et arpèges du matin ! Il faut bien garder la forme !

L’achat de la première voiture lui permet aussi de visiter, dans les moindres recoins, son pays qu’il aime tant. Avec une attention toute particulière pour les sites historiques et les relais gastronomiques ! Car si, avant un concert, il ne peut presque rien avaler tant sa concentration est intense, il se rattrape lorsqu’il a quelques jour de liberté et se montre fin gourmet.

Mais il ne faut pas s’imaginer Henri Koch au volant ! Il y a comme incompatibilité d’humeur entre notre artiste et la mécanique. Il a bien essayé, mais la carrosserie ne s’en est pas remise! C’est donc Emma, son épouse toujours intrépide, qui apprend à conduire, à près de cinquante ans, à une époque où la voiture n’avait pas encore le succès d’aujourd’hui. Cela vaudra, d’ailleurs, quelques équipées mémorables !

Incompatibilité d’humeur aussi avec tout ce qui touche, de près ou de loin, au domaine strictement matériel et administratif. En témoigne ce début de lettre qu’il reçoit de Fernand Quinet.

5 février 1968

Cher Monsieur Koch, Je sais ce qui s’est passé… Depuis Noël, chaque jour, vous aurez dit à Madame Koch ; “Emma, demain, je dois écrire mes cartes de visite pour le Nouvel An. Il faut me le rappeler” -Le lendemain vous aurez pensé à autre chose. Corvée pour corvée, autant la remettre au lendemain. Les vacances terminées, à l’orchestre comme au conservatoire, vous aviez autre chose à faire. Et un beau jour, vous disant: “La prochaine fois, on ne m’aura plus”, au début février, vous vous êtes dit : “J’ai une soirée de libre et je vais en profiter pour envoyer mes cartes de visite pour le Nouvel An de 1969 ! Ainsi, Je ne serai plus en retard.” J’ai donc bien reçu vos bons vœux à valoir pour 1969 et je vous adresse ici mes souhaits réciproques (…)

Heureusement, Emma est là, qui veille, et lui sert en quelque sorte d’ordinateur familial.

Il aime aussi les réunions entre amis, autour d’une bonne table, rue Bassenge. Soirées inoubliables où son talent de “raconteur de blagues”, n’ayant d’égal que son talent artistique, fera s’écrouler de rire toutes les personnes présentes. Sans oublier les “farces et attrapes”, qui l’amusent comme un enfant, et dont il fait provision au moment des fêtes de fin d’année pour amuser ses petits-enfants ! Rien, jamais, ne pourra lui faire manquer le traditionnel Noël familial, ni le concert de Nouvel An, retransmis de Vienne par la télévision.

Mais ces moments de repos sont de courte durée. A peine quelques jours par an, car le manque de scène se fait vite cruellement ressentir.

Pour lui, pas besoin de voyager pour s’évader. Son évasion à lui, c’est la musique, et le tourbillon des concerts reprend, toujours de plus belle.

Comme Berlioz, il a son idée fixe : jouer du violon. Jouer pour son bonheur personnel, mais aussi, et surtout, pour le bonheur du public. Mais pas seulement dans les immense salles capitonnées de rouge aux lustres scintillants ! Il entame, en ces années cinquante, une série de concerts, appelés un peu trop sèchement d’éducation populaire, qui vont le mener dans les usines et les campagnes wallonnes. Concerts destinés à faire connaître la musique dite “classique” à des personnes qui ont rarement l’occasion de se rendre dans les salles de concert (ni, parfois, l’envie !)

Et c’est peut-être là qu’il se sent le mieux ; devant un public sincère et authentique, qui exprime sans arrière-pensée, ni “snobisme mondain”, autant son enthousiasme que ses réticences. Car comme l’a si bien dit Jean Lejeune dans un discours : Il est peut-être aristocratique d’allure, mais aussi “peuple” et vrai liégeois, aimant aussi la plaisanterie et la gouaille.

D’ailleurs, pour Henri, la classification des êtres humains en différentes couches sociales a toujours été, selon son expression, une “vaste foutaise”.

1956 marque encore une date importante dans sa carrière, qui nous amène à voir d’un peu plus près une autre facette de son talent.

Cinquième variation : Henri Koch en sonate

En juillet 1956, il enregistre, en compagnie du célèbre pianiste André Dumortier, lauréat du Concours Ysaye 1938 (futur Concours Reine Elisabeth), les sonates de Franck et Lekeu. Deux monuments du répertoire belge.

Ce n’est pas vraiment nouveau pour Henri car on lui doit déjà un des premiers enregistrements de ces œuvres, gravé pour la firme Polydor vers 1927, avec Charles Van Lancker au piano. Il connaît également le pianiste André Dumortier. C’est avec lui qu’il participa, en juillet 1939, au concert d’inauguration de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth.

…La sublime sonate pour violon et piano de César Franck trouva en M.M Henri Koch et André Dumortier, lauréat du concours international Eugène Ysaye 1938, des interprètes d’élite. Ils en rendirent, avec une belle fermeté d’accent et un élan admirablement nuancé, l’emportement et la passion.

(La Métropole – Bruxelles 1939)

Mais lisons plutôt le témoignage du responsable de la firme Decca, concernant l’enregistrement de 1956.

Vendredi 17 août
(…) J’ai tout lieu de me déclarer très satisfait du résultat obtenu. Du point de vue technique, je me suis entouré de toutes les garanties possibles mais n’aurai de certitude absolue que lorsque les exemplaires commerciaux seront sortis ; je crois cependant que cela sera bon. Quant au point de vue interprétation,je pense que Mr Dumortier et vous, avez réussi quelque chose qui placera votre interprétation dans les “toutes bonnes”. On ne pourra plus désormais parler d’un enregistrement de la sonate de Franck sans citer votre version au même titre que celles de YAMPOLSKY-OISTRACH et CASADESUS-FRANCESCATI.
A mon avis, votre interprétation se situe juste entre les deux au point de vue conception, et je crois qu’elle fera la joie de beaucoup (…) Quant à Lekeu, vous serez la première version L.P. de cette œuvre… On manque donc de points de comparaison. J’ai pu faire entendre votre interprétation de Lekeu à quelqu’un qui a eu l’occasion de l’entendre, plusieurs fois, il y a longtemps, par Cortot – Thibaut, il a trouvé votre interprétation plus valable que la leur dans ce sens que vous aviez compris le sens “mosan” qu’il y a dans cette œuvre, que l’on ne peut “franciser” trop sans la déformer (…)

Géry Lemaire

Comme nous venons de le voir, Henri Koch n’est pas seulement un “soliste”, mais c’est aussi un “chambriste” de grand talent. Et ces deux enregistrements ne sont pas ses seules prestations dans ce domaine, loin de là.

Depuis le premier enregistrement des années vingt, le public a pu l’entendre, à maintes reprises dans ce répertoire. Et avec pour partenaires de grands noms du clavier : Jean Du Chastain, Joseph Delcour, André Dumortier, Marcelle Mercenier, Monique Pichon, Charles Van Lancker.

Il serait impossible d’énumérer toutes les œuvres de ce répertoire spécifique qu’il a interprétées mais les compositeurs belges y ont une place de choix. C’est également avec un programme de sonates qu’il va effectuer, toujours en 1956, une tournée au Congo belge avec Monique Pichon pour partenaire.

Pendant deux mois, ils vont visiter, si l’on peut dire, une région du globe considérée comme enchanteresse en ce qui concerne le tourisme, mais peu propice aux concerts, du point de vue climat. Plus de quarante concerts et enregistrements radio, dans des villes éloignées de plusieurs centaines de kilomètres les unes des autres : Stanleyville, Léopoldville, Coquiatville, Brazzaville, Kamina, Goma, Elisabethville, Bukavu… A une époque où les routes sont plutôt des pistes, et se produisant dans des salles surchauffées où les instruments se désaccordent à chaque instant. Lisons plutôt cet extrait de lettre que Henri envoie à sa famille.

(…) Enfin ! Nous avons un moment de répit ! Ce n’est pas trop tôt ! La vie africaine est une chose absolument unique ! Tout d’abord, atmosphère démoralisante, où l’homme blanc sent tout de suite qu’il n’a pas été fait pour ça ! Tout, ici, est à cent coudées de ce que tu peux imaginer ! Car écrire une lettre est le même problème que jouer un concert ! Le moindre effort se traduit toujours par une transpiration anormale ! Après 5 lignes, les sueurs du front tombent immanquablement sur le papier ! Tu sais très bien que je ne suis pas vite dérouté ! Mais ici, ça dépasse les bornes ! On propose… et le violon dispose ! Tu seras fixée – quand je t’aurai dit qu’au premier concert le vernis du Kaul était imprégné sur ma chemise ! Et ça après dix minute de jeu. Or, ici, tout le monde vit au ralenti. Ça veut dire qu’il est impossible de faire quoi que ce soit l’après-midi. Il ne faut pas bouger. L’organisme est mis à rude épreuve. J’ai essayé de travailler une heure. Eh bien, après 1/2 heure, j’étais absolument transpercé de fond en comble ! Un quart d’heure de repos et je reprends ! Encore 1/2 heure ! mais… ça suffit. J’ai peur d’être absolument vidé pour le récital de ce soir. Ici, on marche sur ses réserves et pas question d’études. Que c’est difficile !

De cette tournée, il rapportera un nombre incalculable d’anecdotes, allant de la charge du rhinocéros sur la jeep, au pied mis imprudemment au beau milieu d’une colonne de fourmis rouges, ce qui provoque une danse tyrolienne endiablée, à la grande joie du Gouverneur qui assiste au “spectacle”.

Mais ses meilleurs souvenirs se rattachent surtout aux quelques liégeois rencontrés aux détours des concerts, avec lesquels il se sent un peu “chez lui” car sa ville lui manque beaucoup. C’est dans ces circonstances qu’il retrouve une de des premières “médailles” du Conservatoire : Marcelle Labeye. Et quel plaisir, après toutes les réceptions officielles auxquelles il faut assister, de pouvoir savourer, chez des compatriotes, une bonne “fricassée au lard comme à la maison”.

***

L’année 1957 ajoute, de nouveau, une nouvelle occupation à notre “infatigable”. Depuis sa rencontre avec Géry Lemaire qui, outre ses responsabilités à la firme Decca, est aussi chef d’orchestre, une idée grandit dans leur esprit à tous deux. A ce moment, en Wallonie, il n’y a pratiquement pas d’orchestre de chambre. Pourquoi ne pas en créer un ! Et, comme instrumentistes, engager des “solistes”.

Aussitôt dit, aussitôt fait. La fin de l’année voit la naissance du groupe les Solistes de Liège.

La direction est assurée par Géry Lemaire, le Quatuor Municipal (H. Koch, E. Koch, P. Lambert, G. Mallach) en forme le noyau de base et viennent s’y ajouter des musiciens sortis brillament du Conservatoire de Liège : Charles Jongen, Alfred Abras, Nadine Vossen, Michel Jenot, Edgard Grosjean, Lucette Piron, André Antoin , Melchior Wéry, André Havelange… Une quinzaine d’exécutants environ.

Monique Pichon tient la partie de clavecin et se charge de la réalisation des basses chiffrées de nombreuse œuvres inédites qu’ils vont programmer. Car l’une des caractéristiques de cet ensemble est le soin apporté à la constitution des programmes, où figurent de nombreuses créations qui vont familiariser l’auditeur avec des noms encore peu connus ou méconnus : Jean-Noël Hamal, Willem De Fesch, Carl Stamitz, John Garth, Pierre Van Maldere, Bernardo Pasquini, Jean Absil, Michel Leclerc… De même pour plusieurs œuvres d’Antonio Vivaldi, grâce à la collaboration du Cercle Vivaldi qui fournit les manuscrits inédits du Maître vénitien.

Dès le départ, les organisations les plus diverses font appel à eux afin de participer à l’élaboration de leurs programmes car l’une des particularités de cet ensemble, composé de solistes, est d’avoir la possibilité quasi infinie de varier sa structure, chaque instrumentiste pouvant, tour à tour, jouer en soliste ou dans le tutti. Ainsi, tout le répertoire, tant baroque que classique ou moderne, peut être abordé.

Les Solistes de Liège © DR

Très vite, une importante discographie se constitue. Pour ne retenir que les enregistrements auxquels Henri Koch participe comme soliste :

– Vivaldi : Concerto en mi mineur op. 1 n°2 pour violon et cordes, Il Favorito.
– Vivaldi : Concerto grosso en si min. op. 3 n°10 pour 4 violons et cordes (avec E. Koch, Ed. Grosjean, N. Vossen).
– Vivaldi : Concerto en ut maj. pour 2 violons, hautbois et cordes (avec E. Koch et A. Antoine).
– Vivaldi : Concerto grosso en ré min. op. 3 n°11 pour 2 violons, violoncelle et cordes (avec E. Koch et G. Mallach).
– Lekeu : Adagio pour cordes et orchestre (avec P. Lambert et G. Mallach).

La presse témoigne abondamment de leurs succès.

…Ce programme de valeur rencontrait, ajoutons-le, des interprètes de premier ordre: “Les Solistes de Liège”. Ce groupe, en effet, dont chaque élément peut se réclamer d’un talent de virtuose, est un “tout” d’une homogénéité extraordinaire. On pourrait chercher en vain, une bavure, une hésitation, une déficience. Au contraire, un équilibre partout présent : dans les possibilités techniques, dans la dépense sonore, dans l’expression…

(S.V E Libre Belgique – Bruxelles)

Les Solistes de Liège peuvent désormais être comparés aux ensembles similaires de classe internationale. Il ne dépendra que du public et des circonstance , qu’ils prennent place parmi eux.

(M. Doisy)

… On ne devrait pas discourir des Solistes de Liège ; on devrait résumer : voyez-les et entendez-les.

(Dernière Heure – Stavelot – Août 1960)

Enfin, une lettre du chef d’orchestre italien Angelo Ephri kian, qui a dirigé l’ensemble dans Juditha Triumphams de Vivaldi au gala européen de Bruxelles.

Treviso, 18.10.1958

Cher Monsieur,
Avant de quitter Bruxelles, j’ai écouté la bande de “Juditha” à la radio. C’est un bon travail, dans lequeI j’ai retrouvé les accents de la vie vivaldienne. Permettez donc, cher Monsieur, que je me félicite avec vous et vos camarades pour l’enthousiasme, la musicalité, la cohésion qui nous donné la possibilité d’une exécution si vivante. Je suis heureux que toute la presse, unanime, ait reconnu les qualités de cet ensemble qui, en plus, a appris de son “Konzertmeister” I’art d’être exceptionnellement sympathique !
A vous, cher Monsieur, et à toute la famille Koch, mon affectueux souvenir.

Angelo Ephrikian

C’est aussi à la tête de cet ensemble qu’il va retrouver la ville de Stavelot, qui vient de créer son célèbre festival et connaît Henri Koch depuis déjà de nombreuses années. Dès 1927, on le voit régulièrement au programme des Concerts Micha. Depuis le 29 avril 1927 exactement, chaque année, il donne plusieurs concerts dans la ville abbatiale jusqu’en 1939, date à laquelle il fonde avec les amis d’Octave Micha, le concours de violon Prix François Prume que va remporter Arthur Grumiaux.

Seule la période de la guerre empêcher ce rendez-vous fidèle avec les stavelotains et en 1958, il devient citoyen d’honneur de cette ville.

(…) Mr Koch, qui est professeur au Conservatoire de Liège, a donné plus de quarante concerts sans cachet ; le premier de ces concerts eut lieu le 18 septembre 1928, il a trente ans. Mr Koch a fait pour Stavelot une propagande énorme dans les milieux artistiques où il évolue (…)
Notre ville s’honore elle-même à rendre cet hommage à l’un des plus grands musiciens de notre époque.

(Conseil Communal – bulletin de Stavelot – 1958)

Il ne se passera donc pas un Festival sans la participation de Henri Koch et des Solistes de Liège où ils accompagnent également d’autres solistes : Arthur Grumiaux, Jean-Pierre Rampal, Ruggiero Ricci, Jules Bastin, Andor Foldès…

La “semaine d’Art” de Stavelot s’est brillamment terminée par la première audition en Belgique de l’Ensemble Koch (Liège) dans un concert Vivaldi-Bach, musique pure s’il en fut. Formant un ensemble remarquable par sa musicalité, Henri Koch et ses partenaires – ils sont treize – se produisirent d’abord dans des concertos de Vivaldi : en ré majeur pour orchestre, en sol mineur pour hautbois, en ré mineur pour alto, en sol mineur pour violon et en ré majeur pour violoncelle. Les solistes, Mrs A. Antoine, P. Lambert, E. Koch, E. Feldbusch, collaborant étroitement avec l’orchestre cohésif et équilibré. Henri Koch joua ensuite le concerto en mi mineur “II favorito” pour violon et orchestre, œuvre de grande virtuosité, dominée toutefois par l’expression. Interprétation caractérisée par la noblesse, la profondeur, l’élégance, l’émotion. Le concert se terminait par le “concerto pour deux violons et orchestre” de J.S Bach, dont Mrs Henri et Emmanuel Koch furent les solistes, présentant une parfaite similitude de conception, de sensibilité, de maîtrise technique. L’auditoire réserva un chaleureux succès à l’Ensemble Koch qui mérite les plus vifs encouragements.

(S.V.E Libre Belgique – septembre 1957)

(…) Les Solistes de Liège ne sont plus à présenter pour qui s’occupe un tantinet de musique ; c’est là un des meilleurs ensembles du pays. On n’analyse pas la perfection. C’est pourquoi nous en arrivons à plaindre le critique musical qui se retrouve en cette occasion devant une feuille vierge : lorsqu’il aura écrit le mot parfait, il aura tout dit des Solistes de Liège.

(…) Quant à M. Henri Koch, il reste pour nous l’incarnation de l’âme d’artiste ; ce ne sont pas des doigts ni un archet, mais c’est un cœur qui s’extériorise par “l’âme du violon”. Là, pour Henri Koch, notre admiration peut paraître outrancière ou dithyrambique, mais la qualité d’un artiste de cette taille ne se traduit pas par quelque qualificatif. C’est dans le délire des applaudissements que se termina cette dernière réunion de ce deuxième festival de Stavelot.

(Gazette de Liège – 1958)

Si Henri joue en compagnie des plus grands solistes, il n’en oublie pas pour autant les personnes qui aiment la musique mais qui n’ont pas eu la possibilité d’en faire leur métier, en un mot : les amateurs. Aussi, en 1960, accepte-il la direction de la Société Royale du Cercle des Amateurs de Liège, qui existe depuis plus d’un siècle et à la tête duquel l’ont précédé d’autres grands noms de la vie musicale liégeoise : Oscar Dessin, Léopold Charlier, Maurice Dambois, Hector Clockers.

En chef dévoué mais exigeant, il va préparer l’orchestre, à raison d’une répétition par semaine, aux trois concerts annuels donnés à Liège mais aussi lui trouver d’autres engagements dans la province et organiser des concerts de musique de chambre.

Les solistes invités à participer à ces concerts ne sont pas des moindres : Jeanne-Marie Darré, André Dumortier, Emmanuel Koch, Augustin Dumay, Ruth Geiger, Michèle Boussinot, Eric Feldbusch, Louise Laloux, Louis Devos, Hector Clockers…

Quant aux programmes, ils sont “solistes” : symphonies de Beethoven, Franck, grands concertos du répertoire, œuvres avec chœurs…

(…) Henri Koch nous a déjà prouvé ses dons de conducteur en dirigeant dernièrement une des Béatitudes de César Franck, comme en soutenant avec opportunité ses élèves aux concours supérieurs du conservatoire. Il a, pour ce concert, stimulé le zèle des “amateurs” et la prestation de la phalange témoigne d’une importante préparation. Les soins du chef s’étendent d’ailleurs au solistes dont il conduit les phrases avec une sollicitude évidente.

(Dernière Heure – 15.2.1961)

Et, pour ne pas faire de jaloux, comme il réside souvent à Esneux durant l’été, il s’occupera aussi pendant plusieurs années du Cercle des Amateurs de cette ville, avec le dévouement qu’on lui connaît. Mais toute cette activité ne l’éloigne pas de son violon. Ce n’est pas parce qu’il pratique la direction d’orchestre qu’il lui est infidèle. Comme si il avait le pouvoir de démultiplier les heures, il continue toujours les récitals, le quatuor, l’orchestre, l’enseignement…

Il aime à ce point le violon qu’il s’intéresse également à son aspect “technique” et à sa construction. Aussi va-t-il collaborer avec Fernand Daces, électronicien, professeur à l’Institut Montefiore de Liège, qui fait des essais sur la Théorie électro-acoustique du violon. C’est à lui que l’on doit la mise au point d’un archet en métal encore utilisé à l’heure actuelle. Plusieurs heures par semaine, pendant près de trois ans, il va se pencher sur des problèmes d’acoustique, jouer sur des “caisses à cigare” qui, seules, permettent les calculs de probabilité, afin de pouvoir, éventuellement, améliorer encore la sonorité des instruments et, partant, aider les luthiers.

 En juin 1968, une nouvelle situation se présente à lui. Il va avoir soixante-cinq ans et l’âge fatidique de la “pension” est là. Selon la loi administrative, il doit quitter l’enseignement. C’est l’occasion pour ses nombreux collègues et amis d’organiser une “petite” fête en témoignage de leur admiration et de leur sympathie.

La salle de réception croule sous le nombre car, des amis, il en a, et beaucoup. Certains sont même venus de l’étranger pour le fêter. Il y a de multiples discours en son honneur, tous venant du plus profond du cœur. Même la presse s’en mêle…

Le violoniste Henri Koch quitte le Conservatoire Royal de Musique de Liège, atteint par la limite d’âge. L’école liégeoise du violon perd l’un de ses plus grands professeurs. Le 21 juin dernier, il accompagnait devant le jury son dernier élève : Richard Assayas, qui obtint le diplôme avec distinction. Si Henri Koch abandonne la charge d’enseigner, il n’en continuera pas moins de diriger le Cercle Royal musical des Amateurs de Liège et d’Esneux et d’être le violon-solo de l’Orchestre de Liège et du Quatuor Municipal. Le prestigieux violoniste qu’est Henri Koch n’est donc pas perdu pour la musique liégeoise. Déchargé des cours du conservatoire, il pourra mieux s’adonner encore à la pratique de son art pour la plus grande gloire de la brillante école qu’il représente et dont la renommée fut immense de par Ie monde.

(La Meuse – 1.7.1968)

Mais le héros du jour, très ému, reste modeste.

On exagère tout ce qu’on dit sur moi. J’ai fait tout bonnement ce que je devais faire. J’ai eu une vie en or parce que j’ai fait de la musique et que j’ai toujours eu des amis.

(La Meuse – juillet 1968)

En témoigne cette lettre.

Liège, le 11 juin 1968.

Mon cher Koch, Je me suis joint, évidemment, aux nombreux amis qui ces jours-ci, vous témoignent des sentiments qu’ils vous doivent, selon l’invitation qui leur a été faite. Ils ont vécu avec vous dans une intimité que je n’ai pas connue, nos occupations en ayant décidé autrement. Mais du fait de nos communautés d’existence, spirituelles et musicales, tendues vers les mêmes fins il y a, il y eut toujours entre vous et moi, des affinités de nature telle qui nous rapprochent bien mieux et bien plus que des extériorités si spectaculaires qu’elles soient. C’est donc le musicien qui, ici, s’adresse à un autre musicien, l’artiste épris de ce qui émeut dans l’accomplissement de sa tâche à son confrère en idéal vivant la sienne de même intensité et sincérité ; et qui éprouve le besoin de vous dire plus dans l’admiration qu’en une affection, non feinte pourtant, tout ce qui nous lia l’un à l’autre. Mes souvenances vont du jour où vous avez eu votre médaille pour le violon, à certain récital que vous donnâtes, rue de la Cathédrale, au premier étage d’un maison où le cercle athlétique tenait ses réunions, le concerto de Brahms vous attirant, vos mouvements de virtuose impatients de prendre forme et sens ; et aussi, de tout ce que me disaient de leur professeur vos lauréats en leur jeu, en leurs acquisitions… aux concours du conservatoire.
Aujourd’hui, un grand espace de temps écoulé, c’est LAVOYE mon cher Koch, qui vous dit “bravo”. Que belle fut votre vie et que sont vivaces en moi les faits d’ordre musical que j’ai pu réaliser en vous écoutant.
Et, laissant parler mon cœur, je vous embrasse, mon cher Koch, en FA dièse majeur, à la manière de César Franck.

Louis Lavoye.

Mais en réalité, la “pension” ne représente rien pour Henri, ce n’est qu’un mot, un arrêt “légal”

…Oui, c’est “légal”, on est à l’état et on termine à soixante-cinq ans. Mais seulement, cela ne veut pas dire que tout est arrêté. On dit souvent que le pensionné, c’est l’homme qui est sur un banc, avec sa canne, et qui lit le journal. Moi, je ne me rends pas compte de ces choses-là ! J’ai quand même autre chose à faire à côté, je suis encore à l’orchestre, au quatuor et… enfin… je joue du violon. Alors moi, je ne comprends pas bien ce mot “pension”. Je sais que c’est nécessaire et je n’en suis pas fâché, parce que, enfin, je voudrais avoir une vie un peu plus facile, c’est entendu ! Mais rien n’a changé au point de vue artistique pour moi. Absolument rien. En tout cas, j’en jouerai encore du violon ! Bien entendu, quand je sentirai que mes doigts deviennent lourds, et que ça ne me donne plus de satisfaction en ce qui concerne le public, eh bien, on ne m’entendra plus. Mais moi, je jouerai encore du violon. C’est une chose certaine, parce que je ne peux pas m’en passer, c’est tout simple.

(interview radiophonique – juin 1968)

Bien sûr, on va encore l’entendre, son violon, mais bien trop peu car la maladie est déjà là qui fait son ignoble travail. Les 27 et 28 août, il est au Festival de Stavelot, accompagné par les Solistes de Liège dirigés par son fils Emmanuel. Il partage la vedette avec son ami Arthur Grumiaux, dans les concerti pour violon de J.S Bach. En octobre, il joue une dernière fois la sonate de Lekeu, en compagnie de Monique Pichon, dans le cadre des Concerts du dimanche matin.

(…) Ce dimanche 13 octobre 1968, Henri Koch, qui se refusa toujours à quitter notre bonne ville, a donné une interprétation sublime de la sonate de Lekeu. Il nous l’a fait aimer. Avouons-le, il en fallait beaucoup ! Ni l’amitié ni l’admiration que nous portons à H. Koch n’ont aveuglé notre jugement. Ce fut du tout bon violon. Il n’y pas de mot pour qualifier la pureté, le velouté de la sonorité de l’artiste. Nous félicitons affectueusement le violoniste liégeois de son stoïcisme, certes, mais surtout des moments musicaux exceptionnels, du fluide magique dont il gratifia son auditoire enthousiaste. Ce n’est pas sans nostalgie que nous lui disons au revoir et notre espoir consiste à lui voir partager longtemps encore avec son fils Emmanuel la responsabilité des concerts du dimanche matin.

(Etienne-Marcel Mawet)

Il apparaît pour la toute dernière fois devant le public liégeois le 20 décembre 1968, dans des circonstances significatives. D’abord l’endroit : la salle du Conservatoire, qui a si souvent entendu chanter son violon. Ensuite, le programme : la symphonie de César Franck, le cinquième concerto pour violon de Vieuxtemps et I‘ouverture de L’Epreuve villageoise de Grétry, trois compositeurs allons qu’il affectionne particulièrement. Enfin, les interprètes : il dirige le Cercle des Amateurs de Liège, des gens qui “aiment” véritablement la musique, et c’est son fils Emmanuel qui tient la partie de soliste.

L’aggravation de sa maladie l’empêchera, par la suite, de continuer ses activités musicales et détruira également un de ses désirs secrets, s’inscrire à l’Académie des Beaux-Arts.

Dès janvier 1969, ses doigts sont devenus lourds, si lourds, qu’il lui est désormais physiquement impossible de faire résonner encore son violon.

Bien sûr, il est très entouré, soutenu dans cette épreuve par toute sa famille et ses nombreux amis. Supportant avec force et sourire tous les traitements médicaux pourtant très éprouvants. Mais sa plus grande souffrance, elle, est beaucoup plus profonde, plus insidieuse. Il souffre d’un manque de violon, son oxygène à lui, indispensable à sa vie.

Le lundi 2 juin 1969, en fin d’après-midi, il nous abandonne définitivement pour rejoindre un autre monde, peut-être plus mélodieux que le nôtre, en laissant dans le cœur de tous ceux qui l’ont connu un vide incomblé depuis.

Comme il l’avait fait lui-même pour son père, c’est son fils Emmanuel qui l’accompagne de son chant dans son départ vers l’ailleurs, sous les voûtes de l’Eglise Saint-Christophe, comble. Mais il ne faut pas rester sur cette note sombre, cela ne lui ressemblerait guère, lui qui était toujours gai et optimiste.

C’est à Henri lui-même de faire le dernier “bilan” d’une vie si bien remplie…

…Oh ! Eh bien, le bilan, c’est très simple! C’est, qu’en réalité, depuis le début, je vous dirai que j’ai eu de la chance. Je crois que j’ai eu de la chance. Ainsi, la Chapelle Musicale Reine Elisabeth ! Un beau jour, j’étais à Bruxelles, je faisais partie du quatuor. On m’a téléphoné et je suis devenu professeur pendant six ans ! Des choses comme ça, c’est quand même extraordinaire! C’est vrai, quand j’y pense, je suis vraiment heureux de la vie que j’ai pu mener. Ce n’est pas moi qui en ai décidé comme cela, enfin… voilà ! C’est ainsi. Et je suis heureux car j’ai été aidé par ma famille. Ma femme m’a beaucoup aidé, mes enfants ont “bien marché”. Ils aimaient la musique, vous pensez que j’étais bien heureux de cela ! Et le résultat état très bien! Donc, vraiment, je suis un homme heureux.

(interview radiophonique – juin 1968)


En 1972, sous l’impulsion du luthier liégeois Jacques Bernard, ses amis, aidés par la Ville de Liège qu’il avait tant aimée, lui érigent en témoignage de reconnaissance, un buste façonné par le Vicomte de Biolley, non loin de celui d’Ysaye, face au Conservatoire, Boulevard Piercot. Et, un peu plus tard, Liège, en donnant son nom à une rue, fondait ainsi indissolublement et pour toujours l’artiste à sa ville.


Suivent des hommages et des souvenirs de Jacques Bernard, Robert Bleser, Marcel Debot, Eric Feldbusch, Paul Lambert, René Lieutenant et Lambert Paque, ainsi qu’une une liste des sources & documents utilisés pour documenter la monographie. Ces pages sont consultables et téléchargeables dans notre documenta…


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | source : Les amis d’Henri Koch, Henri Koch, l’homme et l’artiste (1989) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR.


Ecouter encore en Wallonie et Bruxelles…

DOTREMONT : Dépassons l’anti-art – Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature, 1948-1978 (2022)

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[EDITIONLATELIERCONTEMPORAIN.NET] Acteur et témoin de plusieurs mouvements expérimentaux d’après-guerre, dont ceux du surréalisme-révolutionnaire et de Cobra, historien des arts impliqué dans l’histoire qu’il raconte, théoricien emporté cependant à l’écart de la théorie par sa fidélité à la confusion des sensations immédiates, telles sont les facettes de Christian Dotremont que révèlent ses nombreux écrits sur l’art, la littérature et le cinéma. À leur lecture, c’est d’abord comme si on déroulait plusieurs fils de noms, qui retracent certaines constellations artistiques et intellectuelles majeures de son époque, dans ce qu’elles eurent de tumultueux et de vivant.

On croise ainsi, évoquées à travers leurs œuvres comme à travers leur existence quotidienne, de grandes figures du milieu artistique belge, tels René Magritte et son “anti-peinture” traversée d’humour et de poésie, ou Raoul Ubac et la “forêt de formes” de ses photographies, mais aussi du surréalisme parisien, tels Paul Éluard accomplissant sa “grande tâche lumineuse” dans la nuit de 1940, Nush Éluard servant du porto rue de la Chapelle, ou Pablo Picasso dans son atelier rue des Grands-Augustins, occupé à faire du café et à dessiner sur des pages de vieux journaux, en ces temps de pénurie de papier. On croise également des personnages plus inattendus, comme Gaston Bachelard, lecteur des Chants de Maldoror, Jean Cocteau, “délégué de l’autre monde“, ou Jean-Paul Sartre, travaillant frénétiquement à sa table du Dôme, et s’interrompant pour lire avec bienveillance les poèmes que lui soumet jeune Christian Dotremont. Mais celles et ceux dont il esquisse les portraits les plus denses, ce sont les artistes de Cobra, qui de 1948 à 1951 fut “une somme de voyages, de trains, de gares, de campements dans des ateliers”, une manière de travailler en “kolkhozes volants“, entre Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Entre autres, sont évoqués avec une finesse critique particulière Asger Jorn, qui avec ses toiles “sème des forêts” à l’écart des dogmes, Pierre Alechinsky, dont la peinture est “comme un coquillage où s’entend l’orage“, Egill Jacobsen, inventant des “masques criants de vérité chantée“, Erik Thommesen, dont les sculptures sont “un grand mystère trop émouvant pour être expliqué“, ou Sonja Ferlov, qui réconcilie “la pierre et l’air“…

Dans les textes qu’il consacre à ses amis et amies artistes, on retrouve la musique et les images obsédantes qui travaillent aussi sa poésie, telle l’image de la forêt, pour dire chaque fois les surgissements de la trame illisible du monde qui le fascinent. Artiste révolutionnaire, déçu pourtant par l’étroitesse des conceptions esthétiques communistes, il se fait théoricien d’un art du non-savoir, contre la propension à ordonner et à policer du “réalisme-socialiste“. Il s’agit avant tout pour lui de ne pas trahir “toutes ces confuses sensations que nous apportons nuit et jour“. Cela, seule une écriture affirmant sa dimension graphique le peut vraiment. Lignes discursives et lignes expressives doivent être pensées et tracées ensemble, comme en attestent ses logogrammes ou les “peintures-écritures” de Cobra. À ses yeux, l’écrivain est un artiste, voire un artisan ; les gestes de sa main sont ce qui compte avant tout. Ses écrits sur l’art manifestent sa volonté de réconcilier la dimension intellectuelle et la dimension matérielle de l’écriture, le verbe et l’image, de même, dit-il, que sont réconciliés la création et l’interprétation dans le jazz. L’écrivain doit être, selon ses termes, “spontané” et “sauvage“.


ISBN 978-2-85035-073-3

DOTREMONT Christian, Dépassons l’anti-art (édité par Stéphane Massonet, l’ouvrage est publié avec le concours du Centre national du livre et de la Fondation Roi Baudoin par L’Atelier contemporain, 2022).

Stéphane Massonet est né à Bruxelles en 1966. Après un doctorat en philosophie sur l’esthétique de l’imaginaire, il publie les textes de Roger Caillois sur l’art, Images du labyrinthe (2008), et les écrits poétiques, Aveu du nocturne (2018). Il s’intéresse à l’avant-garde, au dadaïsme, au surréalisme belge et à Cobra. Il publie Dada Terminus (1997), un roman inachevé de Christian Dotremont intitulé Le papier à cigarette de la nécessité (2007) et coordonne le numéro de la revue Europe consacré au poète belge en mars 2019. Il est également l’auteur de Dotremont et le cinéma (2021).


Extraits :

Il fait si gris, si médiocre, si vieux dans le monde qui nous est proposé qu’un trait d’encre nous touche au cœur comme une flèche, qu’une tache de couleur fait mouche sur lui, et joyeusement fait boule de neige dans l’immense parc solitaire et glacé. C’est que le trait d’encre, la tache de couleur ont tout ensemble les empreintes de l’homme et le prestige de la matière, tandis que le monde qui nous est proposé efface nos empreintes (il préfère les traces de la radioactivité) et n’accorde plus à la matière que le prestige de nous menacer.
Dans le parc solitaire et glacé les ombres qui passent font encore des chinoiseries : Eh quoi, nous disent-elles, eh quoi vous jouez ! Parfaitement, Ombres, nous jouons, nous nous amusons, Alechinsky s’amuse (qui va au cœur de la matière avec le sien), Van Roy s’amuse (qui se fait architecte des mirages de Derrière l’Œil), Bury s’amuse (qui en a eu marre de lécher les St-Honoré du trompe-l’œil), Collignon s’amuse (qui peint les champs où la couleur est son propre engrais), Welles s’amuse (qui le jour fait de la menuiserie), Corneille, François et Claus s’amusent, et Burssens et Vlérick et Bergen et de Coninck s’amusent, et Yvonne Van Ginneken s’amuse, et s’amusent contre vous. Nous ne pensons pas que pour être de son temps il faille s’embêter : nous pensons que derrière le temps de chien qui nous est fait, le temps du plaisir attend, et déjà c’est le nôtre. Plus loin que vos tristes parades, derrière les maisons, après la banlieue, derrière le terrain vague où vous jetez vos vieilles idées (dont d’autres font de nouvelles cravates), s’étend la grande plaine de jeux de la peinture expérimentale, de la jeune peinture, de la peinture qui refuse d’être l’ombre des Ombres ! Nous jouons avec le soleil, avec la mer, avec les cheveux de Gradiva, avec les cailloux, avec la pâte, avec le bois, comme des enfants : nous désapprenons vos leçons de morte morale, de nature morte, de mort générale.

Je connais ton nom, mon amour, je connais le goût de ton sommeil, la chaleur de ton épaule, je connais grâce à toi la forêt noire, l’odeur des branches de sapins brûlées, je connais grâce à Van Gogh l’intensité de l’été provençal de 1888 – et je n’y comprends rien, mais je vis. Je me souviens de la tache de soleil sur tes cheveux, de la courbe de ton geste, et je n’y comprends rien, et je souhaite de n’y jamais rien comprendre – car je souhaite vivre. Je défendrai « toutes ces sensations confuses que j’ai apportées en naissant », toutes ces confuses sensations que nous nous apportons nuit et jour.

Christian Dotremont


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage et iconographie | sources : editionslateliercontemporain.net | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : ©  L’Atelier contemporain | Plus sur Christian Dotremont dans wallonica.org : DOTREMONT, Christian (1922-1979)


Contempler encore…

BAUDOUIN, Jean-Louis dit Jean-Lou (né en 1935)

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BAUDOUIN Jean-Louis dit Jean-Lou, né à Liège en 1935. Neveu du chef d’orchestre Pol Baud et du guitariste Pierre Monsel, il est dès son enfance en contact avec le milieu du jazz liégeois et débute (aux percussions !) aux côtés de René Thomas, lors d’une retransmission radiophonique. En 1956, il se met à la contrebasse.

Parallèlement à ses études de droit, il se fait bientôt une place dans le clan des “modernes” liégeois, se produisant dans le trio Fléchet et le quartette de Robert Jeanne, notamment lors des festivals de Comblain. Il découvre Scott La Faro qui devient son modèle. Il “monte” à Bruxelles en 1962, joue au Blue Note de Benoit Quersin et commence à voyager énormément.

Travaillant à la propagation du jazz, il fait office de manager lors des concerts de Dexter Gordon et Roland Kirk (Liège 1963), Bernard Peiffer (Antibes et Comblain 1966), Charles Lloyd-Keith Jarrett (tournée 1965) et lance en 1964 avec Benoit Quersin la fameuse émission Cap de nuit (RTBF) qui sera reprise en 1966 par Marc Moulin. Baudoin est l’un des premiers à tâter du freejazz en Belgique (avec John Van Rymenant). En 1969, il rencontre le trompettiste américain Doug Lucas avec qui il se produit dans le quartette Four and More pendant plusieurs années.

En 1976, devant le succès remporté par la basse électrique, qu’il n’apprécie guère, Jean-Lou Baudouin réduit ses activités musicales pour les reprendre quelques années plus tard avec Charles Loos, ainsi qu’avec le pianiste Michael Blas. En 1986, il forme un éphémère quintette avec ses anciens compagnons liégeois Jeanne, Fléchet et Lerusse. Il retrouve en 1987, avec Fléchet, le chemin de Comblain. En 1989, il rentre de manière plus directe encore dans le mouvement en s’insérant au quintette du jeune guitariste Jean-François Prins (avec Nathalie Loriers, Erwin Yann, Félix Simtaine) qui donne des concerts un peu partout en Belgique ainsi qu’à Paris, au Centre Wallonie-Bruxelles.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © anciensdecomblain.com | remerciements à Jean-Pol Schroeder


More Jazz…

MAHOUX : Irène. Légende urbaine (2022) | KAUFER : Pourquoi j’assume complètement mon pseudo-féminisme (2019)

Temps de lecture : 7 minutes >

[Jean-Paul MAHOUX, sur FaceBook] Mars 1973, la gauche belge, radicale et libertaire, issue de Mai 68 fonde l’hebdomadaire Pour, héritier du sartrien Le Point. Pour ? Pourquoi ? Pour une gauche renouvelée à la base, pour les comités de quartier et les conseils d’usines, pour soutenir les grèves ouvrières, le combat féministe, le militantisme homosexuel, l’antimilitarisme, l’écologie naissante, l’antifascisme, bref pour une énergie verte et des idées rouges. Un hebdo sans concession. Et sans publicité.

Jean-Paul Mahoux © Babelio

Le journal et son imprimerie, la SA Offpress – évidemment déficitaires et gérés dans un joyeux bordel anti-autoritaire – doivent être financés par la vente d’œuvres d’art organisée par un collectionneur sympathisant, Isi Fiszman. Mais aussi par des emprunts personnels contractés par les membres de l’équipe. C’est là qu’arrive ma légende urbaine qui m’a été racontée par un ami très cher : une des militantes du journal travaillait au Crédit Communal et faisait passer d’invraisemblables petits dossiers de prêt pour faire vivre son hebdo militant. Elle s’appelait Irène Kaufer. Elle était née à Cracovie de parents survivants de la Shoah, arrivée en Belgique en 1958, diplômée de psychologie en 1968.

Je ne sais plus si Irène avait fait un passage par le Crédit Communal ou si c’était elle qui prenait les crédits pour faire publier son journal de combat. C’est con. Je n’ai croisée Irène qu’une seule fois et comme j’ignorais alors cette histoire, je ne lui ai pas demandé… On a bu un coup et pris des nouvelles d’une amie commune.

Irène était donc de l’aventure Pour. C’était l’anti-réseau-social : de l’info militante à partager, des reportages sur les mouvements de lutte, des scoops à foutre à poil les dominants et leurs manigances, des articles non signés (pas du vedettariat), des journalistes typographes (pas de séparation manuel – intellectuel), tous au même salaire et pas de fausse note. POUR s’exprime clairement à ce propos :

Nous sommes d’abord des militants et c’est en tant que militants que nous lutterons avec les gens, que nous vivrons avec eux leurs problèmes, leurs espoirs, leurs défaites ou leurs victoires, et c’est avec eux que nous écrirons ce qui s’est passé, les leçons à en tirer, et c’est avec eux que nous chercherons les moyens de riposte ou d’attaque.

POUR n°100 (23/3/1976)

Et le journal d’investigation attaque ! Il a révélé l’affaire des ballets roses, sombre histoire de partouze pour ministres, hauts fonctionnaires et gendarmes impliquant des mineures. POUR a dénoncé les camps d’entraînement paramilitaire de la milice flamingante et fasciste le Vlaamse Militanten Orde (VMO). POUR a révèlé la présence de membres du Front de la Jeunesse dans les cabinets ministériels du Cepic, l’aile de droite extrême de feu le PSC devenu CdH / Les Engagés. POUR a enquêté sur les agissements du baron noir, Benoît de Bonvoisin, trésorier du Cepic, escroc, receleur, fraudeur et argentier des groupes néo-nazis.

Comme l’écrit André Lange dans Les Braises : ce journalisme militant fait reculer l’appareil d’Etat ! Avec l’acquittement de l’avocat militant Graindorge, avec un PSC mis sur la touche à la Justice et à l’Intérieur, avec les groupuscules nazis condamnés au nom de la loi contre les milices, avec la révélation sur le fichage des militants de gauche par la Sûreté.

Les tirages du Journal explosent. Le journal informe et documente tant de luttes du monde rural et des bassins ouvriers. POUR n’arrête pas ; il dénonce le scandale de l’amiante, la supercherie humanitaire au Congo. C’est aussi un carrefour culturel qui publie la bande dessinée de Bilal et Christin, Les Phalanges de l’Ordre Noir. L’hebdo mènera encore l’enquête sur les tueries du Brabant.

Les locaux du journal 22 rue de la Concorde à Ixelles, furent incendiés par des militants d’extrême droite début des années 80. Le journal tentera ensuite de survivre atteignant même de gros tirage, mais disparaîtra.

Quinze ans plus tard, Irène Kaufer tirera une fiction de l’aventure du journal Pour : Fausses Pistes (1996). C’est con l’existence. Au lieu de jouer parfois au yo-yo avec elle sur les réseaux, j’aurais bien voulu l’entendre. Sur tout ça. Toute cette vie à combattre. Une vraie légende urbaine.

Respect, Irène.

Jean-Paul MAHOUX


[LESOIR.BE, 4 juin 2019] Carte blanche : Pourquoi j’assume complètement mon pseudo-féminisme – Réplique à la Carte blanche : Stop aux salauds et aux pseudo-féministes […] Il n’y a pas de “vrai” féminisme, conclut l’auteure, mais un juste combat, dans toute sa diversité, pour le droit des femmes.

Irène Kaufer © Le Carnet et les Instants

“C’est avec une certaine consternation que j’ai lu la Carte blanche signée par Aurore Van Opstal, Stop aux salauds et aux pseudo-féministes ! En réalité, il est assez peu question des “salauds” – catégorie déjà très réductrice de la domination masculine, car si seuls les “salauds” étaient responsables de l’oppression des femmes, que le monde serait simple : il suffirait d’écarter les “méchants” pour laisser la place aux “gentils”…

Mais en réalité, dans ce texte, il est surtout beaucoup question de “pseudo-féministes” et il me semble vraiment désolant qu’au lieu de reconnaître toute la diversité des féminismes (au pluriel), on se permette de décerner des brevets de “bon” ou de “vrai féminisme”, excluant une bonne partie de celles qui se battent, parfois depuis des décennies, pour les droits des femmes.

Un combat digne, avec ou sans voile

Je ne suis pas une femme voilée, mais je reconnais sans peine que celles qui se définissent comme “féministes musulmanes” (voilées ou non) portent un combat essentiel, car ce sont elles, et pas moi, qui peuvent trouver leur propre voie vers l’émancipation. Il est faux de prétendre qu’elles nient le “patriarcat arabo-musulman” ; si elles sont solidaires de leurs frères, leurs compagnons, quand ceux-ci sont victimes de racisme, de violences policières, de discriminations, elles savent aussi les remettre à leur place lorsqu’il est question de conquérir l’autonomie des femmes. Elles ont donc toute leur place dans le mouvement féministe, et s’il arrive que nous ayons des divergences, eh bien, c’est justement ce qui fait la richesse d’un “mouvement” qui n’est pas une secte, ni un parti avec un programme défini, mais (selon les termes de la philosophe Françoise Collin) un chemin qui se construit en marchant.

Les prostituées, premières victimes de la répression

Je ne suis pas une prostituée, pas plus qu’une proxénète vivant de la prostitution d’autrui, et je ne crois pas un seul instant à des “besoins sexuels irrépressibles” des hommes. Je constate simplement que certaines personnes, et en effet surtout des femmes, et en effet principalement pauvres et/ou migrantes, ne trouvent pas d’autre issue à des situations de vie inextricables, que ce soit à cause des politiques migratoires, de la précarité économique, de violences subies. En tant que féministe, je pense surtout qu’il faut prendre au sérieux la parole des femmes : aussi bien de celles qui ont voulu sortir de cette situation que de celles qui disent l’avoir choisie ou s’y être résignées, mais qui réclament en tout cas des conditions plus dignes d’exercice de leur activité. Car on a beau proclamer qu’on “combat la prostitution” ou “le système prostitutionnel”, ce sont bien les prostituées qui sont en première ligne des mesures répressives.

Une “idéologie trans” ?

Je ne suis pas non plus une personne transgenre, mais je sais les discriminations, les violences auxquelles ces personnes sont confrontées. Parler d’”idéologie trans” c’est faire preuve d’autant d’ignorance butée que ceux qui prennent pour cible une soi-disant “théorie de genre”, bête noire des réactionnaires de tout poil, d’Orban à la Manif pour tous. Il peut y avoir des tensions entre féministes et militant·es transgenres, comme il y en a avec les mouvements politiques ou gays : il n’empêche que la remise en question de la binarité rejoint les combats féministes. L’autrice réduit ici “transgenres” au “changement de sexe”, passage quasi obligé tant que ne sont reconnus que deux genres (voir tous les formulaires qui ne comprennent toujours que les deux catégories M et F). Aujourd’hui, grâce à la lutte des transgenres, des personnes peuvent justement refuser d’entrer dans ces catégories.

Pour toutes ces raisons, j’assume complètement mon “pseudo-féminisme”, qui est mon combat depuis les années 70 et qui restera le mien avec toutes celles qui veulent que nous partagions la construction de ce chemin, au-delà de nos divergences.”

Irène Kaufer, féministe


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KAUFER Irène, Dibbouks (Paris : L’Antilope, 2021) : “Après le décès de son père, rescapé de la Shoah, sa fille part dans une quête familiale désespérée. Elle découvre un film témoignage de son père dans lequel il raconte avoir eu une enfant avant la guerre, enfant disparue en déportation. Est-elle morte, se demande la narratrice qui, à partir de ce moment, n’a de cesse de la retrouver. Recherches et hasards vont la mener à Montréal où elle rencontre enfin sa demi-sœur, Mariette. Mais leurs souvenirs ne correspondent pas. Au fil du récit, l’histoire du père révèle un homme double. Le lecteur finit par en être totalement troublé. Ce roman renouvelle le genre de la recherche de l’histoire familiale : les doutes de la narratrice deviennent ceux du lecteur. Si les faits sont graves, la manière de les relater est légère, souvent drôle…


[RTBF.BE – BELGA, 6 novembre 2022] L’autrice et militante féministe Irène KAUFER (1950-2022) est décédée samedi [5/11/2022], annonce dimanche son profil Facebook. Irène Kaufer est née à Cracovie, en Pologne, de parents survivants de la Shoah. En 1958, elle et sa famille arrivent en Belgique.

Militante féministe et lesbienne, elle s’est également distinguée dans le combat syndical et a été active au sein de l’ASBL de prévention des violences basées sur le genre Garance. Elle collaborait régulièrement avec la revue féministe Axelle et à la revue Politique.

Elle a écrit plusieurs ouvrages, dont Parcours féministes en 2005, un livre d’entretiens avec la philosophe Françoise Collin ou plus récemment Dibbouks (2021). Dans la croyance juive, un “dibbouk” est l’âme d’un mort qui s’incarne dans le corps d’un vivant. Dans ce roman, inspiré de l’histoire familiale d’Irène Kaufer, la narratrice est envahie par le dibbouk de sa demi-soeur, Mariette, assassinée en Pologne en 1942.

La secrétaire d’État à l’Égalité des genres […], a évoqué la militante, sur Facebook, la remerciant pour “le rôle modèle que tu as joué pour ma génération et les suivantes avec ton féminisme, joyeux, lesbien, nourri d’intersectionnalité avant l’heure.” Sur le même réseau, le bourgmestre d’Ixelles […] a quant à lui salué Irène Kaufer, estimant qu’il ne pensait “pas que quelqu’un ait pu me faire autant réfléchir, douter, me confronter et je l’espère avancer qu’elle.


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BAUER, Jean (1897 – ?)

Temps de lecture : 4 minutes >

Chaque vie mériterait son roman… Simplement certains romans seraient peut-être moins directement passionnants que d’autres, moins fertiles en événements colorés. Il est par contre des hommes et des femmes qui, à des degrés d’anonymat divers, ont fait de leur vie un véritable roman picaresque, la prédisposant en quelque sorte à servir de modèle à un romancier. Jean Bauer… Vous ne trouverez son nom ni dans le Larousse ni dans les Dictionnaires du Jazz [pourtant si, la preuve plus bas]. Son nom, tranquillement, s’en allait se perdre…
Pas d’enfants , plus de famille…
Poly-instrumentiste doué, il n’a rien fait, il faut bien le dire, qui ait révolutionné le jazz ni qui ait constitué un “must” dans sa catégorie… Il vous dirait lui-même qu’il était trop occupé à vivre que pour perdre son temps à faire des gammes ! Et pour vivre, ça il a vécu ! Grand voyageur, grand séducteur, grand joueur devant l’Éternel, il n’y aura pas besoin d’ajouter beaucoup d’anecdotes piquantes à sa vie pour en faire un roman chatoyant… qui viendra en son temps. En attendant, Jazz in Time vous propose de découvrir, photos à l’appui, un “parcours” musical qui, couvrant à peu près tout le XXe siècle, est lui aussi exemplaire à plus d’un titre. A travers rencontres, déceptions, enthousiasmes, un parcours qui mène en fin de compte de “presque la gloire” à “presque la misère…”

Jean-Pol Schroeder dans Jazz in Time

Jean BAUER est né à Metz en 1897. Originaire d’Alsace-Lorraine, il s’intéresse dès l’enfance aux orchestres de brasserie qui se produisent dans les grands cafés de Metz. Pendant la Première Guerre mondiale, il étudie le violon en autodidacte, alors qu’enrôlé dans l’armée allemande, il est immobilisé sur le front russe.

Après la guerre, il travaille dans l’hôtellerie, à Metz, à Paris – où il découvre le jazz – puis de nouveau à Metz où il commence à animer des bals en petite formation. En 1925, Bauer décide de devenir professionnel et part pour Paris. Il lui arrivera de se produire à la radio avec le violoniste classique belge Henri Koch. Il joue non seulement du violon mais aussi, selon les besoins, du banjo, de la batterie, de la trompette, du trombone et finalement du saxophone qui devient son instrument de prédilection.

Avec quelques musiciens français et belges (notamment Léon Jacob), il forme un petit orchestre, le Virginian Six qui effectuera deux séjours prolongés en Roumanie où il donne un concert privé pour le roi Ferdinand (c’est la première apparition du jazz en Roumanie). Il travaille ensuite à Istanbul au casino Yildish. A la dissolution du Virginian Six, Bauer travaille comme free-lance dans différentes grandes villes européennes : Amsterdam, Bruxelles et surtout Berlin où il séjourne à deux reprises, accompagnant le show de Marlene Dietrich et enregistrant des musiques de film pour la U.F.A.

En 1929, il quitte Berlin en compagnie du saxophoniste belge Oscar Thisse et se produit dans l’orchestre de ce dernier à la Feria de Liège à l’occasion de l’Exposition Universelle de 1930. Oscar Thisse parti, il reprend l’orchestre en mains et lui donne le nom de Rector’s Club. Pendant dix ans, cette formation – dans laquelle on trouve notamment le trombone Albert Brinckhuyzen – connaît un grand succès tant en Belgique qu’en Suisse ou aux Pays-Bas en proposant un répertoire mixte : jazz et variété, et en accompagnant de très nombreuses vedettes (Maurice Chevalier, etc.).

Au début de la guerre 1940-1945, Jean Bauer reprend, à Liège, la direction d’un établissement, le Grand Jeu, où continue à se produire le Rector’s devant une faune étrange où se côtoient les milieux les plus divers (des membres de la Résistance aux agents de la Gestapo !), et où il engage la chanteuse Loulou Lamberty qui avait fait, avant-guerre, les beaux soirs de l’orchestre de Lucien Hirsch. A la Libération, il renonce à assurer à la fois la gestion de l’établissement et la programmation musicale et, en 1947, il quitte provisoirement le métier et part pour le sud de la France.

De retour en Belgique quelque temps plus tard, il reforme un orchestre (le New Rector’s) qui, avec un personnel extrêmement fluctuant (y joueront notamment Raoul Faisant et Eddie Busnello), animera galas et bals divers un peu partout dans le pays pour se fixer finalement au Casino de Chaudfontaine. La crise du jazz (ramené alors à peu de chose dans le répertoire de l’orchestre) et la disparition progressive des orchestres “à l’ancienne”, l’obligent à décrocher pendant la seconde moitié des années 60. Il a continué cependant à enseigner la musique pendant une quinzaine d’années encore.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : maintenance requise | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © mesmononkes.be | remerciements à Jean-Pol Schroeder | Pour découvrir plus de détails encore sur Jean Bauer, visitez le blog mesmononkes.be


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BUSNELLO, Eddie (1929-1985)

Temps de lecture : 2 minutes >

Eddie BUSNELLO est né à Seraing en 1929 et décédé à Nervesa della Battaglia (IT) en 1985. Il étudie divers instruments (accordéon, piano, guitare…) avant d’opter pour le saxophone alto. Il commence alors une carrière professionnelle à la fin des années 40, dans les bars du Pot d’Or, le quartier chaud de Liège. Il découvre le be-bop et, parallèlement à son travail de professionnel, se met à fréquenter les jams aux côtés des jeunes musiciens de l’école moderne (Pelzer, etc.).

Remarqué par Kurt Edelhagen, il est engagé en 1957 comme saxophone baryton dans son orchestre, où il rejoint quelques-uns des meilleurs solistes européens (le yougoslave Dusko Goykovich, l’anglais Derek Humble, le français Jean-Louis Chautemps, le belge Christian Kellens…). Mais, de tempérament bohème et peu discipliné, il est bientôt renvoyé de cette formation. Dès cette époque, il sera un “musicien pour musiciens”, méconnu du public et de la critique mais considéré par ses pairs comme un des meilleurs altistes européens.

Il fréquente assidûment les jams du Jazz Inn (Liège), de la Rose Noire (Bruxelles), de l’Exiclub (Anvers), etc. En 1960, il se produit au Festival d’Ostende et enregistre à Cologne au sein d’un All Stars belgo-américain (Don Byas, Christian Kellens, Busnello, Franey Boland, Jean Warland, Sadi et Kenny Clarke). Il apparaît à plusieurs reprises au Festival de Comblain, notamment en compagnie de Robert Grahame, un de ses partenaires privilégiés d’alors. Il joue avec Bud Powell à Paris, avec Elvin Jones en Allemagne, avec Lee Konitz en Belgique ainsi qu’avec la plupart des grands musiciens européens (Mangelsdorff, Urtreger, etc.). Avec Dusko Goykovich, Mal Waldron et Nathan Davis entre autres, il enregistre en 1966 l’album Swinging Macedonia. Au début des années 70, il part pour l’Italie, où il travaille au sein de de différentes formations (notamment le groupe Area). Souffrant, il réduit ses activités. Il projette de revenir en Belgique mais, au terme d’une longue maladie, il meurt en 1985, dans l’anonymat.

Jean-Pol SCHROEDER


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : transcription (droits cédés), correction et actualisation par wallonica.org | source : SCHROEDER Jean-Pol, Dictionnaire du jazz à Bruxelles et en Wallonie (Conseil de la musique de la Communauté française de Belgique, Pierre Mardaga, 1990) | commanditaire : Jean-Pol Schroeder | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Alberto Negroni | remerciements à Jean-Pol Schroeder


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