BRIGODE : Les églises romanes de Belgique (1943)

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DIVISIONS CHRONOLOGIQUES ET GÉOGRAPHIE DE L’ARCHITECTURE ROMANE EN BELGIQUE

Antérieurement à l’ère romane, s’étend, pour l’historien de l’art, une longue période qui va des invasions barbares à la fin du Xe siècle. Dénommée préromane dans son ensemble, cette période comprend la phase mérovingienne, du Ve siècle au milieu du VIIIe, et la phase carolingienne, du milieu du VIIIe siècle aux approches de l’an 1000. L’architecture romane proprement dite couvre, chez nous, tout le cours des XIe et XIIe siècles. Elle reste fort attachée à l’architecture carolingienne durant le XIe siècle, qui peut être considéré comme une première étape du style roman en Belgique. Durant le siècle suivant, les principes esthétiques et les méthodes constructives évoluent vers un certain souci du détail architectonique et décoratif, de même que vers plus de perfection technique. C’est la seconde étape, qui. dans les régions de l’Est, se prolonge durant le XIIIe siècle, concurremment avec les premières manifestations de l’architecture gothique.

Le territoire compris dans les frontières actuelles de la Belgique ne constitue alors ni une entité politique, ni une entité religieuse. Dès la seconde moitié du Xe siècle se créent les deux grandes formations politiques sur lesquelles s’appuie l’Europe chrétienne : Otton est sacré empereur à Rome. en 962 ; avec lui débutent les destinées de l’Empire Romain Germanique. En France, Hugues Capet est élu roi en 987, inaugurant les huit siècles d’histoire de sa longue dynastie. Notre pays se situe ainsi aux marches de deux grandes civilisations. Par ailleurs, quatre diocèses se partagent nos contrées : trois d’entre eux relèvent d’un archevêché français, le quatrième – qui est le plus étendu – d’une métropole germanique.

Cette position géographique particulière n’est guère sensible dans l’architecture préromane. pour cette raison qu’en ce moment l’art de bâtir, moins soumis que plus tard à des mouvances politiques, n’accuse encore que de faibles instincts régionaux. Mais il n’en sera pas toujours de même ; en effet, à partir du XIe siècle, avec l’âge roman, les œuvres d’architecture commencent à se diversifier en variétés locales. Sur les alluvions des siècles précédents, naissent alors des écoles d’art dans le cadre d’une géographie où agissent, tout à la fois, des facteurs géologique et hydrographiques, où se meuvent des courants commerciaux, où se dessinent des frontières politiques et diocésaines. Au XII’ siècle, ces écoles, échappant au traditionalisme préroman du siècle précédent, seront constituée avec tous leurs caractères distinctifs.

La Belgique, placée de lu sorte sous les feux croisés des différents foyers de rayonnement que sont l’école rhénane, d’une part, et l’école française du Nord, d’autre part, subira des influences convergentes.

Tout naturellement, la partie orientale du pays relèvera de la puissante école germanique. Il se créera ainsi, le long de la Meuse, et parallèlement au Rhin, un groupe qui s’y rattache : le groupe mosan. Au XIe siècle, il s’y rattache par une commune fidélité aux traditions préromanes : fidélité plus exclusive dans les régions mosanes que partout ailleurs. C’est l’époque des grandes églises lotharingiennes. Au XIIe siècle, le groupe mosan subit l’évolution de l’école rhénane, sans jamais atteindre, toutefois. ni le déploiement de ses masses monumentales, ni la richesse de ses partis décoratifs.

Par ailleurs, l’Ouest du pays, relevant de l’école voisine de la France du Nord – fortement influencée elle-même par l’architecture normande – donnera naissance au groupe du bassin de l’Escaut, au groupe scaldien. Le XIe siècle scaldien reste fidèle, lui aussi, aux traditions préromanes et particulièrement à la vieille architecture neustro-austrasienne ; tandis que le XIIe siècle se dégage de cette emprise pour créer un art spécifiquement tournaisien. Les églises romanes de la Flandre maritime se rattachent au groupe scaldien, bien qu’on y relève certaines particularités de détail.

La limite fort indécise entre les deux tendances, mosane et scaldienne, traverse l’ancien Brabant, coïncidant quelque peu avec la frontière des diocèses de Liège et de Cambrai. Bien que les apports s’y mêlent, le courant mosan prédomine nettement. C’est à l’époque gothique seulement que le Brabant acquerra son individualité artistique.

A Maastricht et au nord de notre frontière actuelle, l’architecture romane relève plus directement de l’architecture germanique que dans les régions mosanes de Belgique qui se caractérisent, répétons-le, par une survivance tenace de l’esprit carolingien.

Cette forte tradition carolingienne doit être soulignée. C’est elle qui endigua, hors de nos contrées, la marée montante du “premier art roman” d’origine méditerranéenne, sur les alluvions de laquelle le moyen-âge dressa les premières créations de son génie monumental. C’est elle qui, par ailleurs, confère à nos vieilles églises romanes, en pays mosan surtout, leur simplicité rustique et leur austère grandeur.

Ainsi, la division linguistique du pays et la démarcation de ses tendances architecturales n’ont rien de commun. La superposition de leurs lignes est impossible. L’une d’elles, séparant la Flandre de la Wallonie, barre notre carte suivant une longue délimitation horizontale ; l’autre, au contraire, s’établit verticalement suivant l’axe de nos deux grands fleuves : la Meuse et l’Escaut. C’est en fait sur eux que se charpente la géographie artistique de la Belgique.

L’ARCHITECTURE PRÉROMANE

Période mérovingienne

Déjà à la fin du IIIe siècle, mais surtout dans le courant du IVe, les premières semences chrétiennes ont germé sur le sol de l’ancienne Belgique. Quelques vestiges découverts, au cours de fouilles. à Tongres et, plus récemment à  Arlon, appartiennent sans doute à des sanctuaires édifiés par les premières communautés de fidèles, groupées dans les quelques centres populeux de cette époque.

La poussée des peuples barbares déferlant sur nos régions, vers 406, ne fut pas aussi préjudiciable qu’on pourrait le supposer au développement de la civilisation du haut moyen âge. En effet, les nouveaux arrivés ne tardent pas à s’intégrer dans les cadres anciens et à adopter, parfois, la religion des vaincus. Du reste, de l’époque de Clovis jusqu’au début du VIIIe siècle. l’entreprise missionnaire se poursuit sans relâche. Les évêchés s’organisent ; des monastères s’élèvent en grand nombre, au point que, vers 730, quarante fondations se répartissent sur l’ensemble de notre territoire.

A cette activité religieuse devait correspondre une commande architecturale dont les textes contemporains nous ont laissé le souvenir.

Les églises rurales de l’époque mérovingienne se construisaient fréquemment en bois et en torchis. Certains soubassements de pierre exhumés dans les cimetières du Namurois ou du Luxembourg ne seraient pas autre chose que l’assise solide de ces humbles sanctuaires. Grégoire de Tours nous rapporte la misère de ces constructions de bois ; mais, par ailleurs, il nous parle des grandes églises de pierre élevées dans les bourgs importants et dans l’enceinte des monastères. Les corps des saints missionnaires attiraient la foule des pèlerins, et c’est ainsi, qu’au VIe siècle,
l’évêque Monulphe fit construire une basilique à Maastricht, sur le tombeau de saint Servais.

Eglise Saint-Lambert à Liège (reconstitution) © rtbf.be

Deux siècles plus tard, saint Hubert érigera à Liège une grande église pour abriter dignement les restes de saint Lambert. Les religieux ne se contentent pas de dresser une vaste église au centre de leurs abbayes ; suivant la tradition orientale apportée avec la règle de la vie cénobitique par les moines syriens, un groupe de plusieurs sanctuaires complète l’ensemble des bâtiments monastiques.

De tout cela, il ne nous reste que quelques vestiges épars, quelques murs de substructions, nous renseignant à peine sur le plan des édifices et la technique des maçonneries. L’ensemble le plus digne d’intérêt est celui qui vient d’être mis au jour sous la collégiale de Nivelles : ce sont les restes de divers édifices religieux antérieurs à l’église romane actuelle et dont les plus anciennes parties semblent remonter au VIIe siècle, époque de la fondation du monastère par sainte ltte et sainte Gertrude.

Les textes nous aident à connaître la structure de ces édifices : structure simple, reprise, comme le plan, aux basiliques latines et orientales. La technique, cependant, est fruste, ne différant pas de celle qu’on retrouve dans les· villas romaines, avec une mise en œuvre assez rudimentaire, dérivant de l’architecture romaine, sans doute, mais d’une architecture romaine coloniale, simplifiée aux plus élémentaires méthodes constructives et abâtardie par de grossières traditions indigènes.

Quant au décor sculpté, pour peu qu’il existât, il devrait s’inspirer, dans nos régions surtout, de thèmes relevant de l’art barbare et marqués par là de lointains apports asiatiques. Si des motifs antiques se rencontrent, il s’agit alors d’éléments de remploi arrachés aux ruines romaines. En réalité, le luxe des églises, dont nous parlent avec admiration les auteurs des chroniques et des vitae mérovingiennes, est un luxe d’ornement adventices, où les tentures aux couleurs vives et les orfèvreries délicatement refouillées l’emportent en richesse et en magnificence sur le décor architectonique.

Période carolingienne

L’époque carolingienne ne fut pas pour la vie religieuse une ère d’épanouissement et de splendeur telle que pourraient le faire supposer les fastes de l’histoire impériale. L’Eglise s’inscrit alors dans un ordre féodal qui l’enserre étroitement, la rend vassale des princes et l’asservit au régime des sécularisations. Aussi, cette situation ne sera guère favorable à l’éclosion de nouvelles fondations monastiques.

Par contre, la vie de cour assigne un programme qui ne peut que rejaillir sur les arts et sur l’architecture civile en particulier. L’architecture religieuse ne reste pourtant pas sans en profiter. En effet, les chapelles s’édifiant dans les palais impériaux adoptent un plan spécial qui s’imposera à toute une série de monuments. créant de la sorte un groupe bien typique dans l’ensemble de l’architecture carolingienne. Ce plan est constitué par un polygone qu’entoure une galerie surmontée d’une tribune. Le premier édifice du genre, dans nos contrées, fut l’oratoire que Charlemagne fit construire, de 790 à 804, à proximité de son palais d’Aix-la-Chapelle. L’influence de l’église Saint-Vital de Ravenne construite au VIe siècle, sous le règne de Justinien, y est indéniable. Et ainsi, par l’intermédiaire d’une ville de l’Adriatique, une des formes architecturales particulièrement chères à l’Orient chrétien se transmettait jusqu’au cœur de l’Empire carolingien.

San Vitale (Ravenne) © viator

Cette même disposition du plan central, quoique simplifiée parfois et réduite dans ses dimensions, fut adoptée, à l’imitation d’Aix, pour différentes chapelles palatines, à Thionville notamment et à Nimègue, où elle est encore conservée. En Hollande également, une construction semblable subsista à Groeninghe jusqu’au XVJIe siècle. La filiation de ce plan se perpétuera, mais avec une vogue décroissante, jusqu’au XIe et même jusqu’au XIIe siècle, principalement dans les régions rhénanes (Ottmarsheim, Essen, Mettlach, Saint-Martin de Bonn, Hugshofen, Wimpfen).

Chez nous. deux sanctuaires dérivaient directement de la chapelle palatine d’Aix. Tout d’abord, l’église Saint-Donatien de Bruges érigée par le premier comte de Flandre, Baudouin Bras de Fer, dans la seconde moitié du IXe siècle : nous ne la connaissons que par les textes et par d’anciennes gravures. Ensuite. l’église Saint-Jean, à Liège, construite par Notger en 982, et dont les substructions forment encore la base de l’édifice actuel. Récemment, on découvrit à Torhout les fondations d’une église préromane à plan central ; mais ici, des bras semblaient s’y greffer pour former une croix grecque.

Ajoutons que le plan central d’origine orientale, avait été adopté dès l’époque mérovingienne dans des édifices de petites dimensions : oratoires de monastères, baptistères ou chapelles funéraires.

Tout compte fait, cette disposition reste exceptionnelle, le plan en longueur conservant, comme toujours, la faveur du clergé. Mais à l’époque carolingienne, le plan basilical des grandes églises se complique. A l’ouest. un chœur fait face au sanctuaire normalement situé à l’est. Il faut chercher le motif de cette transformation dans la double destination des édifices affectés, en partie, au service épiscopal ou monastique et, en partie, au service paroissial. Parfois, ce sont les deux vocables sous lesquels s’élève un même édifice qui exigent le dédoublement du chœur. Au sanctuaire occidental s’ajoute généralement un complexe architectural, avec une tour robuste. des chapelles aux étages et des tourelles d’escaliers qui les desservent. Il arrive qu’un second transept souligne l’aspect bicéphale de ces grandes basiliques préromanes.

L’avant-corps carolingien de Nivelles, dont les substructions viennent d’être mises au jour, fournit un des plus intéressants exemples de cette disposition que des miniatures et des textes nous signalaient par ailleurs, et entre autres, aux anciennes cathédrales de Cologne et de Reims, ainsi qu’aux abbatiales de Saint-Gall et de Saint-Riquier.

Le programme de ces églises se complète souvent, à l’extrémité opposée, d’une crypte située, non pas sous le chœur, mais au chevet de celui-ci, c’est-à-dire extérieurement à lui et quelque peu en contrebas de son niveau.

Quant à leur structure, les édifices cultuels de celle époque restent des basiliques à plafond de bois, construites sur piliers carrés, en d’épaisses maçonneries de moellons et sans grand souci de décoration architectonique. Dans les régions mosanes, ce type, avec son avant-corps et sa crypte extérieure, se maintiendra sans changements notables jusqu’à la fin du XIe siècle et même plus tard. Les maçonneries antérieures à l’an 1000 présentent parfois des bandes d’appareil formées de pierres disposées en arêtes de poisson (clocher d’Oostham, anciens murs de l’abbaye de Saint-Bavon à Gand. etc.).

L’ARCHITECTURE ROMANE

Groupe mosan

XIe siècle

L’Eglise ne lardera pas à se relever des ruines morales et matérielles laissées par les invasions normandes. Des réformes s’opèrent un peu partout, et il se trouve, dans nos monastères, des esprits décidés à les promouvoir. Ce mouvement aboutira à de féconds résultats dans le domaine politique et religieux : l’application de l’investiture se fera plus souple ; il y aura aussi plus d’indépendance dans les élections abbatiales ; les sécularisations seront moins nombreuses et moins vexatoires. En un mot, l’Eglise se dégagera des cadres féodaux qui l’étouffaient. Par ailleurs, les abbayes deviendront, au plus haut degré, des foyers de spiritualité, de science et d’art.

Si l’on songe que ce renouveau coïncide avec la splendeur de l’époque ottonienne ainsi qu’avec le développement du commerce et de l’industrie dans la vallée de la Meuse, où la population s’accroît considérablement, on comprendra pourquoi les abbayes et les églises paroissiales s’élevèrent en si grand nombre à cette époque, dans tout l’ancien diocèse de Liège.

Dans la ville épiscopale, dix églises sont consacrées en l’espace de cinquante ans, dont quatre aux alentours de l’an 1000, sous la brillante administration de Notger. Les moines de Fosses, Gembloux, Florennes, Hastières, Celles, Nivelles, Saint-Aubain à Namur, Lobbes, reconstruisent leurs abbatiales durant la première moitié du XIe siècle. Ils font aussi bâtir dans les villages qui sont sous leur dépendance. La chronique de Saint-Trond nous rapporte que l’abbé Adélard II (1055-1082), outre les trois églises qu’il construisit dans la ville, dota de nouveaux sanctuaires onze villages de sa juridiction ; et ceci n ‘est qu’un exemple parmi bien d’autres. En réalité, c’est par douzaines que s’érigent alors les églises, grandes et petites, le long des vallées de la Meuse et de la Sambre.

Il ne nous reste que bien peu de monuments de cette époque en regard d’une production aussi considérable. Durant tout le cours du moyen âge, l’ancienne principauté de Liège et le comté de Namur furent particulièrement éprouvés par les guerres ; les églises en ont souffert. Celles qui n’avaient pas été entièrement détruites subirent souvent des transformations pour répondre à de nouvelles exigences. C’est ainsi que bien des églises ne conservent de l’époque romane que la robuste tour de façade : elle seule a résisté aux assauts du temps et des hommes. Parfois, la nef ou le chœur subsiste, en tout ou en partie. Mais rares sont les édifices qui, comme l’église de Celles ou la collégiale de Nivelles, se conservèrent sans grand changement à travers les neuf siècles qui nous séparent de leur érection.

Collégiale Sainte-Gertrude (Nivelles) © Destination Brabant wallon

Certaines églises romanes ne nous sont connues que par les textes qui les décrivent ou les dessins anciens qui en reproduisent l’aspect. Nous savons ainsi que la cathédrale Saint-Lambert de Liège, construite par Notger et Baldéric II, avait un plan bicéphale et qu’un plafond de bois la couvrait. On possède également des données précises sur les abbatiales, aujourd’hui disparues, de Saint-Laurent à Liège, de Lobbes. Malmedy, Stavelot, Saint-Trond ou Gembloux, et l’on peut constater à la lumière de ces sources anciennes que tous ces édifices, avec leurs grandes nefs à plafond et leur avant-corps occidentaux, répondaient bien au type rhénomosan.

Le plan des églises mosanes se caractérise par sa simplicité. Un chevet semi-circulaire termine assez fréquemment les églises rurales ; il en sera ainsi également à Hastière, Celles et Thynes. Mais, des sanctuaires importants, comme la collégiale de Nivelles, Saint-Barthélemy à Liège, l’église de Lobbes ou les anciennes abbatiales de Gembloux et de Fosses, furent construites avec des chevets plats.

En façade, se dresse un puissant avant-corps hérité de l’architecture carolingienne. Il est formé, le plus communément, d’une tour massive flanquée de tourelles d’escalier ; ainsi le rencontre-t-on à Saint-Jean et à Saint-Denis de Liège, à Amay, Celles et Fosses. Une seule tourelle s’appuie à la tour occidentale d’Hastière, ainsi que dans un certain nombre d’églises moins importantes. La plupart des églises de campagne sont pourvues d’une simple tour en façade, diminutif des lourds westbauten des grandes abbatiales. A part quelques exceptions, comme à Lobbes ou à Fosses, l’entrée n’est pas percée sous la tour, mais elle est reportée latéralement vers les premières travées des bas-côtés. L’avant-corps se présente donc comme un massif entièrement fermé de l’extérieur.

Le caractère bicéphale de la construction s’accuse parfois par la présence d’un second transept édifié à l’occident : c’est le cas à Nivelles et à Lobbes.

Des cryptes se construisent sous le chœur, comme à Nivelles, Hastière, Celles, Thynes et Huy ; mais dans de très nombreux cas, elles sont établies extérieurement au chevet, suivant la tradition préromane. Les textes nous en révèlent des exemples aux anciennes abbatiales de Saint-Trond, Stavelot, Malmedy, Saint-Hubert. Vraisemblablement en était-il de même à Gembloux, et à Lobbes avant l’agrandissement du chœur. Seuls, deux exemples sont parvenus jusqu’à nous, et encore, dans un état incomplet : il s’agit des cryptes extérieures de Fosses et de Saint-Barthélemy de Liège. Les cryptes de ce genre se rencontrent également dans les régions rhénanes ; mais elles semblent avoir joui d’une vogue toute particulière dans l’ancien diocèse de Liège, au XIe siècle.

La structure de ces églises se présente tout aussi simplement que le plan. Les supports sont presque toujours formés de piliers de section carrée, terminés par une imposte moulurée recevant la retombée des arcades. Lorsqu’il y a une abside semi-circulaire, celle-ci se couvre d’une voûte en cul-de-four ; le rez-de-chaussée de la tour reçoit généralement une voûte d’arêtes, de même que les travées des cryptes. Mais, c’est un plafond qui règne sur toutes les autres parties de l’édifice. Suivant la disposition primitive, ce plafond était porté, tous les mètres environ, par les puissants extraits de la charpente à chevrons-fermes.

A l’extérieur, l’accent se met à l’occident, par la présence de la grosse tour accostée ou non de ses tourelles. Le chœur et les bras du transept sont moins élevés que la nef, ce qui permet d’ouvrir deux petites fenêtres à hauteur de la croisée, par dessus les toitures des croisillons : ce détail est propre à l’architecture mosane exclusivement.

L’ornementation se réduit à un décor architectonique composé, extérieurement de larges arcades aveugles qui retombent sur des bandes murales, soulignant ainsi les travées de la construction. Parfois, un jeu d’arcature anime les murs intérieurs de la tour, comme à Hastière et à Celles ; parfois, comme au chœur de Nivelles, ces arcatures se font plus profondes et s’appuient sur des fûts monolithes ; mais ici, ce souci du décor mural est poussé à un degré qu’on n’atteint guère avant la fin du XIe siècle. Il en résulte que toutes ces églises se caractérisent par un aspect fruste et sévère, qu’accuse encore l’appareil irrégulier des murs, fait de moellons grossièrement taillés.

Par leur plan comme par leur structure, les églises mosanes du XIe siècle ne font que continuer la tradition de l’âge précédent. On peut les rapprocher des églises rhénanes de la même époque ; mais, si les partis constructifs sont semblables, on ne doit pas nécessairement en conclure que les unes dérivent des autres. Leurs ressemblances proviennent d’une tendance commune à perpétuer les formules carolingiennes ; et ces formules demeurent spécialement chères aux architectes du pays mosan.

XIIe siècle

Avec le XIIe siècle, s’ouvre pour l’architecture mosane une ère nouvelle  caractérisée par le souci d’un perfectionnement technique, la recherche de l’aspect monumental et le goût du décor architectonique. Nos constructeurs ne font que suivre en cela le courant germanique.

Dès la fin du XIe siècle, des influences lombardes se manifestent sur les bords du Rhin, résultat des relations commerciales et politiques qui unissent les deux contrées par delà les Alpes. Ces influences se font davantage sentir au fur et à mesure qu’on avance dans le courant du XIIe siècle. L’architecture rhénane abandonne l’austère majesté des formules carolingiennes auxquelles elle avait été fidèle jusque-là, pour adopter, en partie, le répertoire des formes lombardes, notamment le décor d’arcatures, les galeries extérieures et le voûtement des nefs. La silhouette traditionnelle se modifie également, contre-balançant le monumental westbau par une imposante tour de croisée. C’est dans cet esprit que seront réédifiées les prestigieuses cathédrales romanes qui jalonnent le cours du Rhin.

Les constructeurs mosans ne suivront pourtant cette tendance qu’avec timidité, avec un retard marqué sur leurs voisins de l’Est, et sans jamais atteindre l’ampleur des réalisations rhénanes. Ou reste, on avait édifié trop d’églises dans le courant du XIe siècle pour qu’il en restât encore beaucoup à bâtir. Aussi. la plupart des œuvres architecturales que nous conservons de cette époque ne sont que des parties de monuments dont l’achèvement avait été retardé jusque-là. Seules quelques églises de moyenne importance et des édifices ruraux appartiennent en entier à ce siècle.

Dans certaines églises, la division en travées se marque plus nettement que par le passé et répond à un désir de voûtement. On y constate, en effet, le principe lombard d’une travée de nef correspondant à deux travées de bas-côtés ; de la sorte, les espaces à voûter d ‘arêtes se limitent au plan carré. Il en résulte une alternance de soutiens forts et de soutiens faibles, comme à Saint-Pierre de Saint-Trond, entièrement voûtée d’arêtes, et à l’église de Saint-Séverin-en-Condroz, influencée par l’architecture clunisienne, où un voûtement semblable avait été prévu. Ce n’est pas à dire que ce principe se généralise, car bien des édifices de moyenne importance – l’église d’Aldenijk, par exemple – et les églises rurales restent fidèles aux nefs couvertes de plafonds et au rythme ininterrompu des piliers carrés.

Le chevet plat a tendance à être remplacé par le chevet semi-circulaire ; les  cryptes perdent leur vogue. Mais l’avant-corps. sous forme d’un massif de plan barlong, subsiste dans de grandes églises comme Saint-Barthélemy ou Saint-Jacques à Liège, Aldenijk, Sainte-Gertrude de Nivelles dont l’élévation occidentale rappelle sous beaucoup de rapports le chœur de la cathédrale de Mayence. Les sanctuaires ruraux conservent la tour en façade, flanquée ou non d’une tourelle d’escalier. L’ancienne Sainte-Gudule de Bruxelles possédait une grosse tour occidentale enserrée entre deux énormes tourelles d’escalier (vers 1200). Ces avant-corps reçoivent des voûtes d’arêtes sur leurs différents étages. Nous y voyons aussi la coupole, comme à Nivelles, exemple à ajouter à ceux de Saint-Servais de Maastricht et de certaines églises rhénanes.

Les grandes arcades aveugles marquant extérieurement les travées de l’édifice seront remplacées par de petites arcatures sous corniche reliant les bandes murales. Un autre thème consistera en séries d’arcades aveugles de petites dimensions, superposées en registres, telle qu’on les voit au pignon Saint-Pierre de la collégiale de Nivelles et au chevet de l’église de Cumptich. Des clochers, comme ceux de Herent ou de Zepperen, se parent également d’un jeu d’arcades aveugles retombant sur des pilastres ou sur d’élégantes colonnettes. A Orp-le-Grand, la partie haute de la nef accuse vers l’intérieur, le rythme des travées, grâce à un décor d’arcades s’appuyant sur des colonnes engagées. Parfois. les formes extérieures se compliquent jusqu’à présenter une étroite galerie de circulation sous la corniche de l’abside : cette galerie est limitée, dans le plan du mur, par une série de petites arcatures sur colonnettes. ainsi qu’on le voit à Saint-Pierre de Saint-Trond. L’église de Saint-Nicolas-en Glain, démolie au XIXe siècle, possédait une galerie semblable, et il en était de même à l’abside occidentale de la collégiale de Nivelles. Ce détail est emprunté directement à l’architecture rhénane. A Hamoir, le chevet de l’église de Xhignesse s’orne simplement de niches juxtaposées formant une fausse galerie.

Aux grossiers appareils de blocage, se substitue peu à peu une tendance à maçonner par lits horizontaux. Dans la suite on emploiera couramment l’appareil régulier. C’est ainsi que les églises des campagnes, qui, souvent, ne diffèrent pas de formes durant les XIe et XIIe siècles, peuvent se dater avec une certaine approximation d’après le soin apporté à la mise en œuvre des matériaux. Les voûtes participent à ce progrès : celles de l’église Saint-Pierre à Saint-Trond, par exemple, sont construites en pierres taillées et appareillées avec science. La mouluration, elle aussi, se fait plus savante, surtout dans les dernières années du XIIe siècle.

Première moitié du XIIIe siècle
Chapelle du prieuré de Frasnes-lez-Gosselies (arcatures, 1237) © wikipedia

Alors que la France élève depuis longtemps ses grandes cathédrales gothiques, les régions mosanes et le Brabant conservent encore, à travers le XIIIe siècle, les formes et les dispositions propres à l’époque romane. C’est le cas pour des monuments sur lesquels les textes nous fournissent des dates exactes, comme l’église abbatiale de Parc, consacrée en 1228, ou la chapelle du prieuré de Frasnes-lez-Gosselies, consacrée en 1237.

D’autres édifices restent romans par leur parti constructif, bien qu’on y relève maints détails appartenant au vocabulaire gothique. L’avant-corps monumental de Saint-Germain à Tirlemont, tout roman d’aspect, est touché par l’influence gothique qui se manifeste dans sa décoration architectonique et aussi dans sa construction (vers 1220). Il en sera de même à l’abbatiale de Postel, vers 1225, à la tour de Saint-Jacques à Louvain, à l’église de Neerheilissem, au chœur occidental de Sainte-Croix à Liège. La voûte de la chapelle Saint-Pierre à Lierre, n’est plus le cul-de-four
roman, mais la voûte établie sur de larges nervures plates, plus proche de la technique gothique que des méthodes romanes qui régissent pourtant l’ensemble de l’édifice. Le portail de l’Hôpital Saint-Pierre à Louvain (vers 1220), celui de Winxele (vers 1225) sont romans dans leurs lignes générales, alors que les détails décoratifs appartiennent au style nouveau. Il en est ainsi également à l’aile nord du cloître de Nivelles – la seule qui soit ancienne – où les arcatures en plein cintre reposent sur des colonnettes à bases et chapiteaux gothiques.

Par contre, certains constructeurs de la première moitié du XIIIe siècle adoptent systématiquement l’arc brisé, alors que la structure reste essentiellement romane, avec ses piliers carrés et sa nef couverte d’un plafond. Nous en avions un exemple vraiment typique dans l’ancienne église du Saint-Sépulcre, à Nivelles, dont les derniers restes furent démolis en 1939.

Ce sont là des œuvres de transition, avant la conquête définitive de l’art gothique. Il faut y voir la preuve du caractère foncièrement traditionnel de notre architecture. L’art roman se prolonge à travers les premières manifestations gothiques, comme, plus tard, le style gothique le fera à travers la Renaissance et l’époque baroque.

Groupe scaldien

XIe siècle

La région scaldienne ne connut pas, au XIe siècle, cette éclosion de fondations monastiques qui, pour la même époque, caractérise l’histoire religieuse des contrées mosanes. Le siège métropolitain de Reims était trop éloigné des rives de l’Escaut pour y exercer une influence aussi directe que Cologne, par exemple, sur les vallées du Rhin et de la Meuse. Il en résulte que le degré de culture est moins développé qu’ailleurs. D’autre part, le commerce n’a guère pris d’extension jusque-là. Enfin, du point de vue artistique, toute cette région dépend de la France du Nord sur laquelle règne la plus pauvre de toutes les écoles romanes. Il est donc naturel de n’y rencontrer qu’un petit nombre d’églises remontant à cette époque.

Collégiale Saint-Vincent de Soignies © cirkwi

Outre quelques sanctuaires ruraux, un seul édifice important, la collégiale Saint-Vincent de Soignies résumera les tendances de l’architecture du IXe siècle dans la partie occidentale du pays. C’est dès la fin du Xe siècle, vraisemblablement, que la construction débuta, à la fois par le chœur, le transept et la tour de façade. Le chœur à chevet plat est couvert, du côté de la nef, par une voûte d’arêtes sur plan carré – qui serait la plus ancienne des voûtes de grande dimension en Belgique – et, vers l’est, par une voûte barlongue relativement récente, ayant remplacé trois petites voûtes d’arêtes s’appuyant sur des supports et couvrant le chevet surélevé alors de quelques marches. Une telle disposition, réalisée déjà vers 800 à l’ancienne abbatiale de Saint-Riquier. en Picardie, se retrouvait sous une forme quelque peu différente à Saint-Barthélemy de Liège, à Fosses et à Aubechies, ce qui prouve une fois de plus la persistance, chez nous, des traditions préromanes.

Le transept, commencé en même temps que le chœur, aurait été achevé aussitôt après la construction de celui-ci, de même que la tour-lanterne de la croisée. Ce n’est qu’un peu plus tard, mais encore dans le courant du XIe siècle que furent entamés les travaux de la nef. Avec ses tribunes et son alternance de supports, elle appartient, en effet, à un stade plus avancé de l’architecture romane.

La tour occidentale ne sera achevée que dans le courant du XIIIe siècle ; mais son plan, qui remonte aux alentours de l’an 1000, peut-être même un peu plus tôt, reprend. avec ses deux tourelles latérales, la disposition des avant-corps carolingiens ; il appartient donc à la famille de ceux que nous avons rencontrés en si grand nombre dans le groupe mosan. Mais ici. détail à signaler, l’entrée est percée sous la tour.

Ce qui caractérise la collégiale de Soignies, c’est, tout d’abord, sa tour-lanterne qui met un accent sur le centre de l’édifice, alors que, dans le groupe mosan, cet accent est reporté sur la façade occidentale ; c’est ensuite la présence de tribunes sur les bas-côtés, disposition pour ainsi dire inconnue à l’Est du pays, mais qui ne peut paraître que normale ici, si l’on songe aux églises à tribunes du Nord de la France et de la Normandie auxquelles Saint-Vincent de Soignies se rattache.

Signalons encore la présence de tourelles cantonnant les angles orientaux de la tour-lanterne, tourelles démolies à une époque indéterminée. Ce détail, qui souligne encore l’accent central, se retrouvait à Sainte-Walburge de Fume et à Saint-Nicolas de Messines, puis, plus tard, aux anciennes abbatiales romanes de Saint-Bavon à Gand et d’Affligem, ainsi peut-être, qu’à la collégiale Saint-Hermès à Renaix et à l’église du prieuré de Saint-Liévin, à Hautem. Un tel parti semble avoir eu la faveur de l’époque carolingienne. Nous le retrouvons, du reste, à l’ancienne abbatiale de Saint-Riquier, que nous avons citée par ailleurs. Il s’agit donc, encore une fois. d’une formule préromane qui paraît s’être répandue plutôt dans l’Ouest de notre pays : ce serait, en somme, une survivance de la vieille architecture neustro-austrasienne, dont l’église Saint-Vincent de Soignies conserve certaines particularités après le Xe siècle.

Ainsi. l’accent sur la croisée du transept et, dans les grandes églises, la présence de tribunes sur les bas-côtés, différencient assez nettement les églises scaldiennes des églises mosanes. Dans le Brabant, le long de la zone assez mal définie qui sépare les deux groupes, se rencontrent des églises de campagne fort semblables à leurs sœurs mosanes, mais sur lesquelles l’unique tour se dresse à la croisée du transept ou, lorsque le transept n’existe pas, sur le presbyterium, c’est-à-dire la travée carrée du chœur. Il faut y voir, manifestement, l’influence du courant scaldien.

A ces caractères généraux qui perdureront jusqu’à la fin de l’époque romane, il convient encore d’ajouter l’entrée occidentale, en façade, – et non pas l’entrée latérale propre aux églises mosanes -, de même que la rareté des cryptes, dont celles de Saint-Hermès à Renaix, de Messines et d’Aubechies offrent des exemples sporadiques et d’importance diverse.

Les églises ne sont pas voûtées. A Soignies, par exception, le voûtement en arêtes, réalisé sur les bas-côtés, avait été prévu vraisemblablement sur la nef. Les charpentes adoptent le même système à chevrons fermes que celui des églises mosanes et soutiennent le plafond de chêne. De très beaux spécimens de ces charpentes romanes couvrent encore la nef et le transept de la collégiale de Soignies.

Le décor est quasi nul. A la nef de Soignies, des bandes murales et des arcades aveugles encadrent les fenêtres. Les chapiteaux se réduisent à une mouluration très sobre au sommet des supports, même si ceux-ci sont cylindriques, ce qui arrive, lorsque, comme à Soignies encore, il y a alternance de piles fortes et de piles faibles.

L’appareil irrégulier des maçonneries participe de la technique rudimentaire qui s’emploie, à la même époque, dans le bassin de la Meuse et en Brabant.

XIIe siècle

L’architecture scaldienne ne prendra un réel essor qu’au XIIe siècle. Plusieurs conjonctures en seront la cause. Tout d’abord, Tournai profite du commerce qui se développe à ce moment dans les Flandres et le long de l’Escaut avec une prodigieuse ampleur. Tournai devient, en même temps, un lieu de pèlerinage très fréquenté, où les foules viennent vénérer Notre-Dame et participent, chaque année à la Grande Procession organisée en son honneur depuis 1090. Jusque-là, un seul titulaire administrait les deux évêchés de Tournai et de Noyon et son siège était établi dans cette dernière ville ; mais, en 1146, Tournai recouvre un évêque particulier, ainsi qu’il en était, du reste, au début du VIe siècle, au moment de l’organisation des premiers cadres religieux.

A ce concours de circonstances, s’ajoute l’extraction à Tournai même et dans les environs, d’une pierre apte à la construction et à la sculpture. Les qualités de cette pierre seront reconnues à l’étranger, à tel point qu’elle pourra s’exporter. L’Escaut, voie naturelle, la portera dans les Flandres ; son marché gagnera la Hollande et même l’Angleterre, sous forme de blocs bruts ou de pièces appareillées. de dalles funéraires ou de fonts baptismaux., et aussi, sous forme d’éléments architectoniques, tels que bases, colonnettes ou chapiteaux, qui, au XIIIe siècle surtout, répandront dans tout le bassin scaldien une architecture spécifiquement tournaisienne.

Cathédrale de Tournai © rtbf.be

A la faveur de cette situation et à l’exemple des églises anglo-normandes, s’élève la cathédrale de Tournai. une des plus puissantes créations de l’architecture romane. La nef, commencée vers 1110, s’acheva sur une trentaine d’années. C’est un vaste vaisseau avec bas-côtés, tribunes, triforium aveugle et fenêtres hautes, c’est-à-dire. une superposition de quatre registres d’arcades soulignés par des cordons horizontaux. Aucun élément vertical ne rompt cette impérieuse horizontalité accusée encore, dans la disposition primitive, par le plafond que des voûtes du XVIIIe siècle ont remplacé.

Le transept fut édifié par après, de même que le chœur roman, auquel succédait, un demi-siècle plus tard, le vertigineux chœur gothique. Ce transept, impressionnant par ses dimensions, trahit un parti constructif assez différent de la nef. lci, des faisceaux de colonnettes partent de fond, et accentuent, sur toute la hauteur, la verticalité des travées, ce qui semble indiquer la volonté de couvrir les croisillons au moyen de ces grandes voûtes sexpartites dont les premières cathédrales gothiques avaient répandu la formule. A part les doubleaux de la croisée, tous les arcs sont en plein cintre, la mouluration reste romane et le décor aussi ; mais, en fait, la structure relève déjà de l’architecture gothique et ne peut avoir été conçue avant la fin du XIIe siècle.

A l’extérieur, l’accent se porte sur le centre, et mieux que jamais, par la présence d’une lanterne entourée de quatre tours plantées vers les extrémités des croisillons. Ce groupe de cinq clochers confère à la cathédrale sa silhouette massive et absolument particulière. Cette puissance monumentale s’affirme encore par les hémicycles du transept pourvus d’un étroit collatéral avec étage, terminaison qui avait été adoptée également pour le chœur roman, et qui ne peut s’expliquer que par des influences normandes. Elle s’affirme aussi par l’importance du décor architectonique et notamment par les galeries de circulation qui se développent, vers l’extérieur, à hauteur du clair-étage. La magnificence du décor sculpté anime les portails trilobés et se déploie dans la variété infinie des chapiteaux.

La cathédrale restera, dans le groupe scaldien, un monument unique par ses proportions et par la richesse de ses partis constructifs. La nef nous offre, somme toute, l’aboutissement des principes qui ont caractérisé l’architecture romane française du Nord : c’est une grande basilique conçue pour recevoir une couverture horizontale formée par un plafond de chêne. Mais l’architecte de Tournai en a amplifié la structure et il a créé ainsi le prototype des élévations de nef sur quatre étages qui auront la faveur de l’école anglo-normande dans la seconde moitié du XIIe siècle. Par l’implantation de ses nombreuses tours – deux tours avaient été prévues également en façade occidentale – par les hémicycles de ses bras de transept et par ses coursières extérieures, la cathédrale de Tournai influencera, d’autre part, l’évolution des grandes cathédrales gothiques de France.

Des églises paroissiales s’élèvent à Tournai, en même temps que la cathédrale. Bien qu’ayant été achevées ou transformées dans la suite, elles conservent encore une partie de leurs formes primitives : ce sont les églises Saint-Piat, Saint-Brice, Saint-Quentin et Saint-Nicolas. Dans tout le bassin de l’Escaut, bien d’autres édifices appartiennent au même groupe. On connaît aussi, grâce à des documents anciens, de grandes églises scaldiennes du XIIe siècle, aujourd’hui disparues, comme Saint-Donatien à Bruges, rebâtie sur des restes carolingiens. ou comme les grandes abbatiales de Saint-Martin à Tournai, d’Anchin, d’Affligem, de Saint-Bavon ou de Saint-Pierre à Gand.

Ces monuments sont bien plus variés dans leur plan et leur élévation que les églises mosanes. Il est donc plus malaisé d’établir la liste de leurs caractéristiques. D’ailleurs, il arrive fréquemment qu’un édifice ne se rattache au groupe que par un ou deux liens de parenté.

Le plan basilical reste simple, avec chevet plat ou semi-circulaire. Le transept est généralement plus saillant que dans les églises mosanes. Les cryptes deviennent fort rares ; celles de Saint-Bavon à Gand et de Saint-Brice à Tournai seront désaffectées peu de temps après leur construction. Citons toutefois les cryptes d’Anderlecht et de Bornhem. Saint-Basile à Bruges est souvent considérée comme la crypte de la chapelle du Saint-Sang ; il s’agit, en réalité, du sanctuaire inférieur d’une chapelle castrale à deux étages.

© Semantic Scholars

En élévation, le centre de l’édifice s’impose presque toujours par la présence d’une tour-lanterne, complétée parfois, ainsi que nous l’avons vu pour le XIe siècle, par des tourelles carrées. A Saint-Piat, à Tournai, les tours devaient s’élever au-dessus de chacun des croisillons. Signalons, qu’à la fin du XIIe siècle, le chœur de Saint-Brice, à Tournai, était formé de trois parties d’égale hauteur, offrant ainsi, pour la première fois en Belgique, le schéma de la hallekerk dont la vogue sera si considérable dans les Flandres, à l’époque gothique.

Le plafond reste le système normal de couverture, sous la charpente à chevrons-fermes. Ce n’est qu’à l’époque gothique que ce plafond des églises tournaisiennes sera remplacé par un berceau lambrissé. Parfois, les parties arrondies se voûtent sur de larges bandeaux de maçonneries, ainsi que nous en avions vu un exemple à l’église Saint-Pierre de Lierre. La même formule, déjà gothique dans son essence, sera adoptée au lavatorium de l’abbaye de Saint-Bavon, à Gand, et enfin, dans des proportions jusque-là inusitées, au transept de la cathédrale de Tournai.

Comme au XIIe siècle mosan, mais avec une inspiration plus large, le décor architectonique s’enrichit. Les piliers accusent des sections cruciformes, ou même se compliquent de colonnettes adossées. Le pilier cylindrique, pour ainsi dire inconnu à l’Est du pays à l’époque romane, se rencontre au· transept de la cathédrale de Tournai, à Saint-Basile à Bruges, dans des églises rurales, comme celle de Blaton, dans les cryptes de Saint-Brice à Tournai et d’Anderlecht, dans les celliers des abbayes, etc. La simple imposte des piliers est souvent remplacée par un chapiteau dont la corbeille affecte, pour finir, une forme évasée, avec une tendance décorative qui évoluera rapidement vers l’ornementation végétale gothique. Les surfaces murales s’animent. Les registres intérieurs de la cathédrale se retrouveront à Saint-Donatien de Bruges. Le triforium aveugle se déploie au long des nefs de Saint-Piat et de Saint-Brice. Dans cette dernière église, les fenêtres hautes prendront place dans une rangée d’arcades aveugles, suivant la formule des églises rurales de Normandie.

A l’extérieur, on continue l’emploi des arcs aveugles, tandis que les petites arcatures sous corniche deviennent rares, inexistantes, même, à Tournai. Les corniches sont soutenues par des corbeaux moulurés. Le jeu des petites arcades se déploie en registres superposés sur les clochers et sur les façades occidentales, ainsi qu’il en était primitivement à Saint-Piat. La galerie extérieure de circulation, si magnifiquement réalisée à la cathédrale, se rencontre à Saint-Quentin de Tournai. On l’avait employée également au chœur de l’ancienne église Saint-Pierre de Gand. Ses origines sont indiscutablement normandes. mais elle est interprétée avec une réelle originalité. D’autre part, l’usage du contrefort se généralise.

Les églises de la Flandre Maritime

Ces églises se rattachent à l’architecture scaldienne par les mêmes tendances générales. On y observe cependant divers caractères communs qui concourent à donner une physionomie assez distincte à tout un groupe d’églises notamment.

L’emploi de matériaux différents de la pierre de Tournai, comme le veldsteen, le tuf et, surtout, la brique, n’est pas étranger, de prime abord, à cet aspect particulier des églises de la région côtière. La construction en est fort simple et nous y retrouvons assez fréquemment le pilier carré à imposte. Mais c’est surtout la silhouette d’un certain nombre d’églises qui devient typique du fait que la tour centrale passe du plan carré au plan octogonal, ainsi que nous le voyons à Ichtegem, Oostkamp, Snellegem, Deerlijk, Pittem, Vyve-Saint-Bavon,  Afsné, etc. Exceptionnellement, comme à Torhout, ce clocher terminé par ses étages d’ouïes à huit pans, prend place à l’occident, laissant passage à un porche d’entrée. La tour de façade, peu répandue, est parfois flanquée de tourelles d’escalier sur plan carré ; nous en voyons des exemples à Saint-Pierre à Ypres et à Dudzele. Le type normand, avec la façade occidentale encadrée de deux clochers, type qui avait été prévu à la cathédrale de Tournai, qui fut réalisé à l’ancienne abbatiale d’Affligem, que nous retrouvons à Saint-Jacques à Gand et jusqu’à Orp-le-Grand, église par ailleurs mosane, n’est pas adopté dans la Flandre maritime. Quant à la tour carrée à la croisée, elle continue à trouver faveur dans les régions d’Ypres et de Messines, qui relevaient alors de l’évêché de Thérouanne.

* * *

Au pays de Meuse et en Brabant, les constructeurs demeurent fidèles à la tradition romane, après le XIIe siècle. Par contre, l’architecture scaldienne, bien qu’en retard, elle aussi, sur le courant français, abandonne plus librement les formules du passé.

Ainsi que nous l’avons vu, malgré l’apparence des formes, le transept et le chœur primitif de la cathédrale de Tournai s’élèvent dans un esprit gothique, à la fin du XIIe siècle. Des voûtes sexpartites semblent y avoir été prévues dès les fondements ; et, dans les premières années du XIIIe siècle, on finit par les couvrir de larges voûtes d’ogives sur simples croisées, qui attestent la volonté précise de suivre le progrès. Du reste, la chapelle épiscopale venait d’être construite, en 1198, en pur style gothique.

Les provinces françaises voisines du Tournaisis, restées plus arriérées que d’autres durant la période romane, se placent maintenant à l’avant-garde de l’architecture nouvelle. Les régions de l’Escaut, et Tournai tout particulièrement, ne peuvent qu’être entraînées dans ce mouvement décisif.
Aussi s’ouvrent-elles au règne triomphant du gothique !

PRINCIPAUX MONUMENTS

Architecture préromane

Période mérovingienne

ARLON, TONGRES, etc., substructions de quelques basiliques primitives ; NIVELLES, substructions des premières églises du monastère de Sainte-Gertrude.

Période carolingienne

NIVELLES, substructions de l’avant-corps carolingien de Sainte-Gertrude et quelques maçonneries en élévation ; LIÈGE, fondements de l’église Saint-Jean ; appareil préroman à OOSTHAM et à l’abbaye Saint-Bavon à GAND ; fouilles à TORHOUT, SAINT-TROND, TOURNAI, etc.

Architecture romane

Groupe mosan
XIe siècle

BERTHEM, vers 1000, la plus ancienne des églises romanes du Brabant ; HASTIERE, 1033-1035, agrandie aux XIIe et XIIIe s. ; CELLES (lez-Dinant), église, première moitié du XIe s. ; THYNES, crypte ; FOSSES, tour et crypte extérieure ; AMAY, avant-corps ; NIVELLES, nef consacrée en 1046, – transept, chœur et crypte, vers 1100 ; LIEGE, avant-corps de Saint-Denis ; crypte extérieure (vestiges) et parties orientales de Saint-Barthélemy ; LOBBES, vers 1045, chœur agrandi en 1095 ; églises rurales d’ANDENELLE, WIERDE, WAHA, AUDERGHEM, etc.

XIIe siècle

SAINT-SEVERIN-EN-CONDROZ, milieu du XIIe siècle ; SAINT-TROND, Saint-Pierre, deuxième moitié du XIIe siècle ; ALDENlJK, id. ; LIEGE, Saint-Barthélemy, nef et avant-corps, id. ; Saint-Jacques, avant-corps, id. ; NIVELLES, avant-corps, fin du XIIe siècle ; BRUXELLES, Sainte-Gudule, vestiges de l’avant-corps roman, vers 1200 ; clochers de HERENT et ZEPPEREN ; cloître de TONGRES, milieu du XIIe siècle ; transept de l’abbatiale de FLOREFFE, deuxième moitié du XIIe siècle, remaniée au XVIIIe siècle ; églises rurales de BIERBEEK, CUMPTlCH, ORP-LE-GRAND, THEUX, etc.

Première moitié du XIIIe siècle

PARC, abbatiale, 1228 ; POSTEL, abbatiale, vers 1225 ; LIERRE, chapelle Saint-Pierre ; TIRLEMONT, avant-corps de Saint-Germain, vers 1220 ; LIEGE, chœur occidental de Sainte-Croix, vers 1220-1225 ; aile nord du cloître de NIVELLES, premier quart du XIIIe siècle ; LOUVAIN, tour de Saint-Jacques ; églises de FRASNES-LEZ-GOSSELIES, NEERHEILISSEM, etc.

Groupe scaldien
XIe siècle

SOIGNIES, chœur, transept et base de la tour occidentale, vers 1000 – nef, deuxième moitié du XIe siècle – tour occidentale achevée au XIIIe siècle ; cryptes de LESSINES, de Saint-Hermès à RENAIX ; églises rurales d’ESQUELMES, AUBECHIES, etc.

XIIe siècle

TOURNAI, cathédrale : nef, 1110-1141 – transept, fin du XIIe siècle – chœur gothique reconstruit au XIIIe siècle ; églises paroissiales de Saint-Piat, Saint-Brice, Saint-Quentin et Saint-Nicolas, parties romanes ; GAND, crypte de Saint-Bavon ; Saint-Martin, tour de croisée, milieu du XIIe siècle Saint-Jacques, tour de croisée et tours de façade, fin du XIIe siècle ; BRUGES, Saint-Basile, deuxième moitié du XIIe siècle ; ANDERLECHT, crypte, première moitié du XIIe siècle.

Flandre maritime

BRUGES, Saint-Sauveur, tour : base de la première moitié du XIIe siècle, continuation des travaux à la fin du XIIe siècle, la partie supérieure date du XIXe siècle ; tours de TORHOUT, Saint-Pierre à YPRES, DUDZELE, SNELLEGEM, ZUIENKERKE, HARELBEKE, PITTEM, WAARMAARDE, etc. ; églises rurales d’AFSNE, ETTELGEM, WALVERINGEM, etc.

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© Collection privée

“La réédition du présent ouvrage, faisant partie de la collection L’art en Belgique, a été achevée d’imprimer le 31 mars 1943, sur les presses de l’imprimerie Laconti s.a., rue du Boulet 26 à Bruxelles. O.C.P. 1659 – Autorisation n°2329. Les photographies des planches II, III, V à VIII, X à XIII, XVIII à XXI, XXIII à XXX ont été fournies par le service de documentation des Musées Royaux d’Art & d’Histoire ; celles des planches IV, IX, XIV à XVII et XXII appartiennent à la collection de M. Paul Becker. Les clichés ont été confectionnés par les établissements de photogravure Adrianssens Frères et Swillens.”


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : BRIGODE, Simon, Les églises romanes de Belgique (Bruxelles : Editions du cercle d’art, 1943) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, l’église romane d’Ocquier (Clavier, Condroz) @ geneanet ; © rtbf.be ; © viator ; © Destination Brabant wallon ; © wikipedia ; © cirkwi ; © Semantic Scholars.


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MASSON, Arthur (1896-1970)

Temps de lecture : 23 minutes >

[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] MASSON, Arthur (Rièzes-lez-Chimay 22/02/1896, Namur 28/07/1970). Professeur à l’Athénée et à l’École normale de Nivelles (1922-1946), Arthur Masson commence à écrire les aventures de Toine Culot, personnage qui devient très populaire, peu avant la Seconde Guerre mondiale. Mêlant des événements vécus et imaginés, Masson décrit des gens simples, de la vallée du Viroin, en faisant souvent appel à des expressions wallonnes au suc intraduisible. Toine dans la Tourmente évoque explicitement le sort que son auteur partage avec une centaine d’otages lorsque, en décembre 1942, il est emprisonné à la citadelle de Huy, à la suite de l’assassinat d’un rexiste. Après la Libération, sa prose, pleine d’une drôlerie populaire, piquante et de bon goût, se retrouve sous la forme de feuilleton dans La Libre Belgique. La saga de Toine Culot est la partie immergée de l’œuvre de Masson qui hésite longtemps entre la poésie et le conte. Auteur d’un livre par an entre 1946 et 1970, Arthur Masson remporte un très grand succès de librairie en 1967 avec Un Gamin terrible.

Paul Delforge


Dans son Arthur Masson ou le partage du plaisir (Charleroi : Institut Jules Destrée, 1999), Robert D. Bronchart compile la biographie suivante (ci-dessous, en extraits) , en citant Ménandre d’entrée de jeu :

Un homme de bien dans le bonheur est un bien public.

ISBN 9782870350096 © Jules Destrée

“L’HOMME. Son portrait, nul ne pouvait mieux le réaliser que Marcel Lobet, qui l’a bien connu. Ceux qui l’ont fréquenté ont apprécié la probité de sa personnalité autant que la générosité de sa littérature. Il était jovial, bienveillant, accueillant, spirituel mais modeste ; il s’attardait volontiers à dialoguer avec des amis sur des thèmes sérieux. Il vivait une sobriété faite de contemplation, de contentement et de dévouement aux siens. J’ai voulu rappeler ici l’itinéraire de sa vie pour que le lecteur se familiarise mieux avec l’homme. Je me suis inspiré de l’ouvrage de Marcel Lobet, que l’on consultera pour une information plus complète.

Sa biographie en bref

      • 1896
        22 février, naissance d’Arthur Masson en Thiérache, à Rièzes-lez-Chimay, 44, rue Bertrand (aujourd’hui rue Arthur Masson).
        28 février, baptême à l’église de Baileux.
      • 1903
        La famille s’installe à Oignies, au 181 de la rue Grande.
      • 1908
        Les Masson quittent Oignies pour Heer-Agimont. Arthur termine ses études primaires, à l’école communale d’Agimont.
      • 1909
        Le père occupe un poste de douanier à Seloignes, tandis qu’Arthur commence ses humanités au Collège Saint-Joseph, à Chimay.
      • 1910
        La famille se fixe à Forges-lez-Chimay.
      • 1818
        Arthur entreprend des études de Philosophie et Lettres à l’Université  de Louvain.
      • 1921
        Du 3 octobre au 20 décembre, il enseigne à l’Athénée royal de Chimay.
        Du 21 décembre 1921 au 30 septembre 1922, il fait son service militaire.
      • 1922
        10 novembre, il obtient son doctorat en Philologie romane.
        Du 31 octobre 1922 à 1946, il est professeur à l’Athénée royal de Nivelles.
      • 1923
        24 mars, il épouse Anna Fremy, à Ixelles, et habite au 32, rue Antoine Labarre.
      • 1924
        17 mai, Anna Fremy lui donne un premier enfant, Anne-Marie, à Ixelles.
      • 1926
        30 septembre, le couple s’installe à Nivelles, 59 avenue de Burlet.
      • 1928
        11 octobre, Arthur et Anna ont un deuxième enfant, Pierre, né à Ixelles.
        1er novembre 1928 à 1946, Arthur est professeur de français à l’Ecole normale moyenne de Nivelles.
      • 1930
        La famille déménage du 59 au 39 de l’avenue de Burlet.
      • 1932
        17 août, Anna donne naissance, à Nivelles, à son troisième enfant, Bernadette.
      • 1935
        Arthur compose de nombreux poèmes. L’un d’eux, à la gloire du roi Albert, obtient le Prix Albert Ier et est publié à Paris. C’est L’adieu des petites gens.
      • 1935
        9 août, décès de sa mère, Juliette Bajomez.
      • 1942
        16 décembre, Arthur Masson est arrêté par les Allemands, à la suite de l’assassinat d’ un rexiste.
      • 1943
        17 février, il est libéré.
      • 1946
        28 octobre, la famille Masson s’installe au bord de la Meuse  namuroise, à Tailfer-Lustin, dans la villa des Acremonts.
        1er décembre, Arthur est mis à la retraite, pour des raisons de santé.
      • 1947
        12 avril , il devient membre d’honneur des Rèlîs Namurwès, cercle  littéraire fondé en 1909.
      • 1948
        Il reçoit, pour l’ensemble de son œuvre, le prix triennal Georges Garnir, décerné par l’Académie royale de Langue et de Littérature françaises.
      • 1955
        8 novembre, décès de son épouse, Anna Fremy.
      • 1956
        Juillet, il s’installe au quatrième étage de la Résidence Ardennes, 11 avenue de Smet de Nayer, avec sa fille aînée Anne-Marie.
      • 1959
        Mai, il se rend à Rome, où il assiste à un salut de béatification, dans la basilique Saint-Pierre. Il est reçu en audience par le pape Jean XXIII.
      • 1960
        Frappé d’un infarctus, il est retardé dans le travail de rédaction de son roman Ulysse au volant.
      • 1961
        Il est victime d ‘un second accident cardiaque.
      • 1964
        31 mai, on procède à la mise en place d’ une plaque commémorative,  devant sa maison natale, à Rièzes.
      • 1970
        28 juillet, Arthur Masson meurt inopinément à Namur, à deux heures du matin.
        30 juillet, funérailles célébrées en l’église Saint-Nicolas. Arthur Masson est enterré au cimetière de Dave, face à «sa» Meuse qu’il a tant aimée.

Commentaires, anecdotes et documents

a. Mazée : ses parents

Ses parents sont tous deux originaires de Mazée, à une trentaine de kilomètres de Rièzes. Sa mère s’appelait Juliette Bajomez. Son père, Jules-Gillain Masson, était douanier, son grand-père paternel maçon (sic !), l’autre cultivateur. Mazée est une paisible localité située à proximité de la frontière française. Le Viroin, affluent de la Meuse, baigne cette jolie vallée, inspirant le nom évocateur de Viroinval. Le village, encadré par la forêt de Thiérache, la Calestienne ou Famenne méridionale, et le plateau ardennais, s’étend autour de l’ancienne ferme-château, construite en 1629 par Jean de Condé. Celle-ci fut ensuite la propriété de l’abbaye Saint-Jean de Florennes avant d’être revendue en 1795 comme bien national. L’église, érigée en 1875, est dédiée à Notre-Dame de la Nativité.

De nombreuses traces de sondage et différents puits, encore visibles aujourd’hui, attestent que, autrefois, dans cette contrée, on exploitait les minerais de fer et de plomb. D’autre part, d’anciens écrits nous apprennent que le mazéage est la première opération que l’on fait subir à la fonte, avant l’affinage, pour la débarrasser du silicium. Ainsi s’expliquerait l’origine du nom du village. Comme dans toutes les régions limitrophes, le passage de la frontière créait parfois des relations difficiles entre les douaniers et la population locale. Pour les ouvriers qui travaillaient aux Forges de Vireux, le péquet et le vin étaient à l’honneur mais, au passage de la douane, ils étaient
l’objet de fortes taxes d’accises. Un petit sentier partant de la douane française, sillonnait à flanc de coteau et évitait le poste frontière de Najauge. Les fraudeurs connaissaient bien ce passage, mais les douaniers aussi, et le père d’Arthur Masson en était !

b. Rièzes-lez-Chimay : sa naissance 1896

Ce petit village étale sa solitude autour de l’église. Propriété des Princes de Chimay, Rièzes s’érigea en Commune en 1851. Accueillant, au milieu d’une nature environnante un peu sauvage, ce village est situé dans une zone argilo-schisteuse, retenant l’eau en surface et formant dès lors de vastes marécages appelés là-bas rièzes. Le paysage ayant une influence sur l’activité économique, les mines de fer et les forêts orientèrent la région de Rièzes vers la métallurgie et la saboterie. Autrefois, on fondait le minerai de fer à Boulon, Nimelette et Forge-Jean-Petit : des vestiges d’anciennes forges y subsistent encore. Quant au métier de sabotier, ce n’est qu’après la guerre 1940-1945 qu’il disparut petit à petit avec l’évolution de l’art de se chausser.

Une stèle sur le pont de l’Eau Noire rappelle que, durant les années de  guerre des maquisards menèrent une vie courageuse et aventureuse dans les forêts qui encerclent Rièzes. Les prénoms y étaient déjà si caractéristiques et peu courants qu’il n’était pas habituel, comme on le faisait ailleurs. d’affubler les habitants d’un surnom, à la manière des Trignollais dans la Toinade.

c. Tournai : son service militaire 1921-1922

Le 21 décembre 1921, Arthur Masson entre au 3ème Régiment de Chasseurs à pied, à Tournai. Il y terminera son service le 30 septembre 1922. Un détail cocasse : il rate son examen de caporal ! Et pourtant, pendant son service militaire, il obtiendra le diplôme de docteur en Philologie romane à l’Université catholique de Louvain !

d. Huy : son incarcération 1942

Le 16 décembre, Arthur Masson était arrêté par les Allemands et incarcéré à  la citadelle de Huy, à la suite de l’assassinat d’un rexiste. J’ai retrouvé, dans les archives de l’auteur, une copie de son ordre de détention , daté du 15 décembre 1942. Il émane de la Kreiscommandantur, c’est-à-dire du bureau de district, agissant sur ordre du commandant militaire pour la Belgique et le nord de la France. Il est transmis par le chef d’ administration du bureau de campagne supérieur.

Parmi ses compagnons de captivité, figurent G. Bohy – G. Charlier – P. Cornil – M. Deveze – L. Homme! – J. Nerincks – J. Marx – M. Delforge – J. Pholien (futur ministre) – le général de gendarmerie Dethise – des professeurs – des députés – des magistrats – des avocats.

e. Rièzes : son testament spirituel 1964

Le 31 mai 1964, eut lieu la séance d’inauguration de la mise en place d’ une  plaque commémorative, apposée à la façade de la maison natale de l’écrivain, à Rièzes. Arthur Masson, qui avait l’émotion souriante mais réelle, y prononça un discours de remerciement, une sorte de testament spirituel, laissé à la postérité grâce à un enregistrement conservé au Musée de la Parole, à la Bibliothèque royale Albert Ier, à Bruxelles.

Il y a quelque soixante ans, sur les petits bancs du catéchisme, au brave curé qui me posait la question : “Qui vous a mis au monde ?”, je répondais  comme il se doit: “Dieu et mes père et mère.” Et j’apportais à réciter ces mots d’autant plus de gravité que je ne les comprenais pas.
Aujourd’hui, pourvu de notions plus claires que j’ai payées au prix d’une bienheureuse innocence, si l’on me demandait: “Qui vous a fait ce que vous êtes ?”, je répondrais : “Dieu, mes père et mère, bien sûr, et mes éducateurs aussi, mais surtout mon pays natal.”
Car c’est chez moi une conviction de plus en plus ferme qu’un enfant puise, dans la terre qui l’a vu naître, dans l’air qu’il y respire, dans les images et les exemples qui s’offrent à ses yeux en ses primes années, tous les éléments qui donneront à son cœur et à sa vie une tournure définitive.
Je ne sais pas ce que je vaux et ne m’interroge guère sur ce point car j’y apporte chaque fois, je le crains fort, une indulgence très tendancieuse. Mais s’il est en moi quelque bien, je le dois à une chance que, de plus en plus, je tiens pour inestimable et c’est la chance d’être né au pays des Rièzes et des Sarts, en cette modeste maison que votre aimable initiative, mes chers concitoyens, honore aujourd’hui d’une inscription commémorative que je n’aurais jamais osé espérer et dont je suis aussi confus que reconnaissant.
Le cher Docteur André m’a prié d’évoquer pour vous quelques souvenirs de l’enfance que j’ai vécue ici. J’ai accepté d’enthousiasme parce qu’un romancier est d’abord un monsieur qui raconte des histoires, et surtout parce que vous tous qui m’entourez en ce moment êtes mes amis. Comment vous prouver mieux ma gratitude qu’en vous livrant quelques confidences qui, avec l’évocation de communs souvenirs, sont le propre de la vraie amitié  ? Voici donc une confidence.
Jusqu ‘à leur dernier souffle, mes parents ont regretté leur départ de Rièzes et ils justifiaient ce regret. Ils disaient en substance : Le pays était beau. La vie y était tranquille. Et les gens, simples et gentils, se montraient accueillants, serviables et gais. Surtout, ils usaient d’un langage charmant, une sorte de français dialectal toujours poli et qui charmait l’oreille et le cœur par sa douceur, sa réserve, son originalité.
La seconde confidence, c’est que, une fois parti d’ici, je n’ai rencontré que rarement, ailleurs, l’exacte équivalence de cette douceur de vivre et de cette sérénité presque biblique. Plus d’une fois même, en certains endroits éloignés d’ici, ma sensibilité d’enfant fut déconcertée, je pourrais dire meurtrie, par les contrastes que je rencontrais à chaque pas. Mon âme avait pris ici un pli d’éternité et tout ce qui ne ressemblait pas à ce qui avait enchanté mon enfance faisait de moi un exilé.
Comme tout homme, au long des années, j’ai connu des jours heureux, mais aussi des heures dures ou mélancoliques. Et chaque fois, ma tristesse, invinciblement, me ramenait à l’évocation saisissante de netteté, d’une petite maison de pierre bâtie dans une rangée de quelques autres demeures identiques. Elle était précédée d’une pelouse qui la séparait d’une route plate filant entre des haies vers une petite église, humble mais proprette, où conduisait une allée de tilleuls. Elle rassemblait autour d’elle, cette église, le presbytère, l’école des sœurs, celle de l’instituteur et un cimetière discret, recueilli et comme noyé dans sa verdure, où nichaient des oiseaux. Je revoyais aussi, à l’ombre d’un haut sapin, le vieux puits à manivelle protégé par un coffrage de planches…
Et ici, quittant les confidences, j’en viens aux souvenirs et aux histoires, car le vieux puits a la sienne. Sa mystérieuse profondeur m’intriguait et m’attirait tellement et si dangereusement que mes parents, pour m’en éloigner, en étaient venus à m’assurer qu’il était hanté par un monstre terrifiant, mi-homme, mi-bête, qu’ils appelaient Croque-Mitaine et de qui la spécialité, chacun sait ça, est de dévorer les petits enfants qui ne sont pas sages. Alors, à mon père douanier et détenteur d’un énorme revolver d’ordonnance et même d’une espèce de fusil chassepot, je disais: “Le Croque-Mitaine, pourquoi que tu ne le tues pas ?” Mon père me faisait chaque fois une réponse évasive d’où je conclus bientôt qu’il avait tout bonnement peur des armes à feu. Mais je lui en voulais, moi, à cet ogre aquatique, et l’idée de vengeance me travaillait. J’aurais voulu lui lancer des pierres sur les cornes, mais c’était impossible parce que, le jour où j’avais fait mes premiers pas, on avait cadenassé le portillon du puits.
Puisque je ne peux pas tuer le Croque-Mitaine, me dis-je, je peux tout de même le faire enrager. Alors… alors, je l’avoue sans vergogne, sans orgueil non plus, je recours à un procédé que le petit Jésus lui-même eut sans doute employé à l’âge candide où j’en étais alors. Je pris donc l’habitude d’aller derrière le puits et de faire subrepticement sur les planches mal jointes du coffrage ce que notre national Manneken-Pis, au titre de fonctionnaire ornemental et avec une tranquille et touchante impudeur, fait sans arrêt. Ce qui m’étonnait et me dépitait le plus, c’était de ne pas entendre le Croque-Mitaine hurler de fureur. Le jeu ne dura guère, d’ailleurs, car une bonne vieille dame, Madame Collard, belle-mère du douanier voisin, prétendit que, depuis tout un temps, elle trouvait un goût déplaisant à sa tasse de café. C’était là, j’en suis sûr, un ingénieux mensonge mais, si je haïssais le Croque-Mitaine, je respectais la bonne vieille et j’eus la générosité de ne pas empoisonner ses derniers plaisirs.
La morale de l’histoire est bien triste et c’est que, devant ce 1896 implacable, j’ai perdu tous mes droits à croire au Croque-Mitaine et surtout de lui infliger des vexations.
Autre souvenir? il est loin, je vous en préviens, d’être aussi drôle, car l’affaire aurait pu finir en tragédie. Peut-être en est-il quelques-uns, parmi les plus âgés de mes auditeurs, de qui la mémoire l’a enregistré. Ma mère vaquait à son ménage dans la pièce avant du rez-de-chaussée. Mon père, je m’en souviens fort bien, sciait du bois clans une remise. Elle est toujours là. Ma mère me dit: “Va me chercher quelques échalotes dans le petit panier qui se trouve dans l’armoire de la seconde pièce.” Tout fier de me rendre utile, me voilà devant l’armoire. Mais, au moment de l’ouvrir, je vois, allongée et immobile tout contre le mur, une bête longue, d’un gris noirâtre et dont la tête plate ne me revenait pas du tout. Tranquillement, je vais trouver mon père : “Papa, prête-moi ton courbet. il y a un grand ver comme ça près de l’armoire et je vais le tuer.” En même temps, j’ouvrais mes petits bras pour donner à mon auteur une idée des dimensions du grand ver. Intrigué, vaguement inquiet aussi, le père me dit: “Viens me montrer ça…” Ce qui se passa ensuite, je ne l’ai pas compris tout de suite, mais je me sentis soulevé du sol par un papa que je crus subitement fou et je me retrouvai assis au beau milieu de la pièce avant avec cette injonction : “Ne bouge pas de là !” Le grand ver, c’était une vipère. Faut-il vous dire qu’elle paya de sa vie son audace… Comment avait-elle réussi sa violation de domicile ? C’est simple : dans le mur de la seconde pièce était pratiquée, au ras du sol, une ouverture servant à l’écoulement des eaux de nettoyage. Dans le pays, cela s’appelle une sève. Le dictionnaire Larousse, lui, vous offre le choix entre deux noms, à savoir un souillard ou, beaucoup plus poétiquement, une chantepleure. Et c’était par là que la vilaine bête était entrée, cherchant sans doute l’ombre et la fraîcheur, car cet été-là était chaud. Le tableau qui suivit, vous l’imaginez fort bien. Les jambes fauchées par l’émotion, le cœur battant et le corps inondé de sueur, mon père réclama une goutte et puis une seconde et puis beaucoup d’autres, qu’il but avec les voisins et voisines accourus pour entendre le récit de l’équipée. Il paraît que, pour finir, il y introduisit des variantes assez bafouillantes et que la vipère prit des proportions de serpent équatorial. Ma mère, elle, qui cultivait une dévotion particulière à Saint-Antoine, brûla toute une boîte de bougies devant la statuette du bon saint de Padoue. Quant à moi, nimbé d’une inconsciente auréole éteinte depuis longtemps, je passai aux yeux du village, et même du canton, pour un enfant miraculé. Le fait est que, si je m’étais mêlé de m’expliquer moi-même avec mon grand ver, je ne serais pas ici, aujourd’hui, pour vous raconter le match. Et, s’il a horrifié les plus émotifs de mes auditeurs, voici qui les ramènera sur les rives de la gaieté.
Il y avait à Rièzes, dans ce temps-là, un vieux bonhomme qui vivait seul dans une masure branlante, non loin de l’église. C’était ce que l’on appelle un doux innocent, un chimérique inoffensif, allergique au moindre travail, mais tout compte fait pas trop malheureux, car les gens du village, charitables de nature, le préservaient de la faim et du froid. Un pain par-ci, quelques œufs par-là ou un morceau de lard et, aux premiers frimas, une vieille chemise, une culotte rapiécée, suffisaient à son bonheur. Son nom, je ne l’ai jamais su, pour la bonne raison qu’il portait un surnom. C’était Le Pwè. Seulement, si les gens étaient charitables, ils étaient tout aussi farceurs. Et l’on voit d’ici ce que pouvait donner la conjuration du syndicat des joyeux drilles formé par les douaniers, l’instituteur, Monsieur Bernard et les sabotiers, loustics par définition. Il me faudrait des heures pour vous raconter tout le parti qu’ils tirèrent du pittoresque Pwè et qui atteignit par moments les dimensions de l’épopée burlesque.
Un jour, un gaillard de la bande lui offrit un vieux frac de cérémonie et un chapeau melon, d’ailleurs beaucoup trop vaste pour son crâne de sous-développé. Et du coup, l’idée leur vint de le nommer bourgmestre de la commune, ce qu ‘il trouva tout naturel. Et tous ces lurons procédèrent à l’investiture, au cours d’une cérémonie soigneusement montée. On le ceignit d’une écharpe approximativement tricolore qu’il appela tout de suite “ma ventrière”. Après quoi, on lui passa autour du cou un ruban rouge au bout duquel pendillait une grande médaille gagnée par quelque étalon ou quelque bœuf gras. Et l’instituteur lui adressa un discours si émouvant qu’à la fin, paraît-il, ils pleuraient tous les deux. Dans un café voisin, on trinqua à la santé du nouveau maïeur avec surabondance et recommandation lui fut faite de veiller avec fermeté sur les intérêts de la commune car, soulignait-on, le maïeur en titre, que l’on venait de destituer avec la même simplicité protocolaire, les avait fort négligés. Et pour commencer, on signala spécialement à son attention le garde champêtre qui, je crois bien, s’appelait officiellement J. B. Poucet, mais Titisse pour le Pwè, lequel, pour des raisons obscures, ne l’aimait pas. On lui dit donc, au Pwè : “Ce Titisse, à présent que te v’là maïeur, tu dois le dresser. Il n’en fait qu’à sa tête et abuse de ses pouvoirs. Faut que ça change et qu’il marche droit.”
Or, quelques jours plus tard, c’était la ducasse du village et la tradition comportait une procession religieuse. Par tradition aussi, le garde champêtre, en tenue de gala et le torse bombé, se plantait au moment du départ derrière le baldaquin et mettait, si l’on peut dire, sabre au clair car ce fameux sabre n’était qu ‘une sorte de yatagan. “Ecoute, maïeur, dit l’un des farceurs, le Titisse, il n’est pas à sa place derrière le baldaquin. C’est toi qu’on doit voir là et personne d’autre !” Mon Pwè fut tout de suite convaincu. Et le dimanche suivant, tout juste au moment où la procession allait s’ébranler, on vit jaillir de l’école proche un maïeur en grande tenue lui aussi, avec son frac qui lui battait les talons, son chapeau melon qui l’aveuglait, sa ventrière nouée à la diable, sa médaille qui brimbalait et… ses pieds nus dans des sabots garnis de paille. Avant d’être revenu de son étonnement, Titisse, qui ne savait rien du complot, se voyait bousculé avec cette injonction grasseyante: “Eh, r’tire-toi d’là, eh, l’baldaquin, c’est pou l’maïeur !” On dut se mettre à plusieurs pour renfourner le pauvre Pwè dans l’école où l’on finit par le calmer, non par des piqûres, vous pensez bien, mais par l’infaillible panacée des villages proches de la frontière gauloise.
Et cette procession-là fut l’une des plus joyeuses de l’histoire de l’Eglise. Il paraît que le Saint-Sacrement lui-même riait parce que le bon curé Lambert qui le portait était secoué par la gaieté. Le jour même, après enquête, il voulut chapitrer les auteurs du complot. Il n’arriva jamais au bout de sa mercuriale car, au beau milieu, il fut pris d’une crise de fou rire. On l’aimait beaucoup. On l’aima un peu plus.
Mesdames, Messieurs, permettez-moi de m’en tenir à ces quelques souvenirs et d’en revenir aux confidences. Lorsqu’il m ‘arrive de méditer sur la tournure que prit ma vie et de me demander comment j’en vins à écrire et pourquoi mon œuvre toute entière porte un coloris d’optimisme et souvent de tendresse, la réponse est toujours la même et ne fera que répéter ma déclaration liminaire…
Sans doute, j’ai vécu en beaucoup d’endroits. C’est le sort des enfants de la gabelle, et mes études et ma carrière, et même la retraite, m’ont valu pas mal de déménagements et de souvenirs divers. Mais c’est mon Rièzes natal qui m’a marqué de l’empreinte la plus profonde. Né ailleurs, je n’aurais pas écrit, je le crois, avec l’accent que proclame ce mémorial. Peut-être même n’aurais-je pas écrit du tout.
C’est que, mieux encore que sa jovialité, votre terroir possédait alors quelque chose de subtil et d’envoûtant que j’appellerai sa poésie. Elle était faite, cette poésie, de toutes les humilités bénéfiques et sanctifiantes d’une terre pauvrement nourricière, mais dont tiraient quand même bon parti les braves gens qui ne rêvaient rien d’autre qu’une existence sereinement agreste, passée toute entière en leurs modestes demeures, devant un horizon de prés et de bois, parmi ceux-là qu’ils voyaient naître et mourir et qui leur étaient confraternels. On y était bûcheron, cultivateur, menuisier, transporteur, charron, forgeron, garde forestier, cordonnier et, deux fois sur trois, sabotier. Ah, ce beau, ce merveilleux métier de sabotier! On ne peut guère l’évoquer sans un serrement de cœur. Sa disparition fut un malheur. Elle dépeupla le pays, en modifia l’aspect, le priva de son parfum. Dès l’automne, la fumée des saboteries annonçait de loin le village, comme celle de l’encens révèle un sanctuaire. Et ces petits ateliers, construits souvent de clayonnages et d ‘argile, c’était le refuge d’aimables conciles où chaque passant s’arrêtait pour commenter, assis dans les copeaux, les nouvelles du jour, conter la dernière farce, respirer la joie de vivre. Les sabotiers nourrissaient les gens, les fixaient au sol, les préservaient de l’exode vers ces centres empoussiérés dont les fallacieux avantages se paient par une vie étriquée et fiévreuse et par des regrets et des nostalgies à la longue mortels.
Les deux guerres sans doute ont tourné des pages sur lesquelles il est vain de nous lamenter. Tout a changé, surtout depuis vingt ans, à un rythme si brutal que l’homme ne peut y opposer qu’un seul frein, et c’est sa volonté de vivre avec les ressources de sa région natale qui, toujours et malgré tout, portera en elle les ineffables récompenses de la fidélité. Souvent, nous courons beaucoup trop loin pour découvrir le bonheur, pour nous extasier aussi devant des horizons dont une savante organisation commerciale nous vante les beautés. Et nous en oublions d’admirer ce qui entoure notre clocher, d’apprécier le privilège d’être près de Dieu, le maître de notre foyer, de pouvoir élever des enfants dans la saine liberté des champs et des bois. Mais à l’âge où la sagesse lucide ne se laisse plus prendre aux duperies des apparences, on en vient toujours à faire siens ces quelques vers d’un poète oublié qui exprimait ainsi le testament de son expérience :

Frère , un seul pays est vraiment beau .
C’est celui qui nous voit naître, aimer, souffrir, vivre,
Et qui , lorsque la mort clémente nous délivre,
Offre à notre dépouille un maternel tombeau.

Je crains d’avoir abusé un peu de votre indulgente attention. C’est que, vieillissant, j’attrape peut-être le défaut des vieux curés : je prêche trop longuement. Je ne puis toutefois terminer sans m’acquitter d’un devoir de très sincère gratitude envers tous ceux à qui je dois l’hommage de cette touchante manifestation.
Mes amis, lorsqu’on est jeune, on se laisse facilement éblouir par des choses dont l’optique plus objective de l’âge mûr estompe les prestiges. On admire la beauté, l’intelligence, la science, la richesse, la réussite, le luxe, la notoriété. Au crépuscule de la vie, ce que l’on recherche et que l’on aime, c’est le cœur des gens. Votre présence ici me prouve que le cœur des gens de ma terre natale n’a pas changé. Il est resté bon, cordial, accueillant. A deux mains frémissantes de fraternelle reconnaissance, je vous offre le mien avec tout ce que mon enfance vécue parmi vous y puisa de meilleur.

Arthur Masson


Toine Culot, obèse ardennais (résumé par Arthur Masson)

© Editions Racine

Né un dimanche d’avril de l’an de grâce 1888, en un beau village ardennais.  Toine pèse déjà ce jour-là onze livres è co ène rawette. Son père, c’est le Choumaque, cordonnier de son état. Sa maman, c’est la grosse Phanie. Choyé par ce couple de braves gens et par toute la parenté, Toine grandit vite, mais grossit d’autant. Son enfance est tissue de minuscules aventures que les siens, un peu pusillanimes, dramatisent beaucoup. Son écolage primaire terminé, Toine tâte du métier de forgeron. Il quitte bientôt l’enclume pour l’encoche du sabotier, s’éprend – un peu par suggestion – d’une bringue dédaigneuse, et s’estropie à cause d’une distraction dont la belle est la cause. Le pied écrasé de Toine lui guérit le cœur. D’ailleurs, lâchant la sabotetie, le voilà au service du châtelain-maïeur du village, le bon Duverger des Sprives. Là, Toine, d’abord très heureux, est happé par l’engrenage de la politique. L’équipée ne lui vaut que désillusions. Il se croit revenu de tout, vidé et racorni. Bien décidé à vivre en égoïste, à mépriser les hommes et même les femmes, et à ne plus croire en grand’chose, il fait la connaissance d’une jeune et aimable Flamande venue passer quelques jours au château auprès de sa vieille tante Mieke, la servante au grand cœur. C’est le coup de foudre. Après des transes pathétiques, Toine épouse son Hilda. Cette belle union fructifie généreusement. En quelques années, Toine et Hilda sont devenus les très heureux parents de quatre petites filles ravissantes. Les deux cadettes sont jumelles.

Le bon maïeur décédé, Toine quitte le château et s’installe dans ses propres terres comme horticulteur-pépiniériste. Le conseil lui en est venu de son cousin T. Déome, augure débonnaire mais malin de la tribu des Culot. Ce gros homme pittoresque, sensible et farceur, à la fois secrétaire communal, marchand de graines et chantre-amateur, pense pour toute la famille et, même, impose souvent d’autorité les initiatives qu’il juge opportunes. N’ayant pas d’enfants, il a reporté sur la nichée du gros Toine tout le trésor d’une bourrue, mais riche tendresse, qui ne va pas sans rosserie. Couvé par cette affection tutélaire, choyé par sa femme, Toine voit la vie lui sourire, ce qui ne l’empêche pas de se croire le moins chanceux des hommes et de traverser l’existence en geignant. La vérité est que, gras et vite las, il prend ses courbatures pour des douleurs, ses inquiétudes pour des, maladies et ses
sueurs pour des symptômes fort alarmants.

Les filles de Toine sont à présent des jeunesses très accortes et rieuses. Mais lui se croit cardiaque Il décide de consulter un jeune médecin, nouvellement installé dans le pays, et surnommé Tchouf-tchouf, à cause de sa motocyclette. Tchouf-tchouf se moque de Toine et de ses alarmes et lui donne le conseil de travailler un peu plus. Furieux, le gros, fouissant dans son jardin, donne un coup de bêche tellement rageur qu’il défonce, en s’y engloutissant, la cachette dans laquelle, depuis la Révolution, moisissait l’effigie d’un Saint indigène, le Bienheureux Caboulet.

C’est là pour le jeune docteur Tchouf-tchouf, féru d’archéologie, l’occasion de revenir fréquemment dans la maison du gros. Mais à présent, plus et mieux qu’à Saint-Caboulet, le docteur s’intéresse à l’aînée de Toine, la belle Godelieve. Les deux jeunes gens s’aiment beaucoup, mais gardent tous deux un silence timide·. C’est l’illustre Pestiaux, droguiste, touche-à-tout, trublion, et, par surcroît, bête noire de T. Déome, qui se charge de la déclaration dans un discours qui serait une gaffe historique si le dieu des amoureux n’en tirait un idyllique dénouement. Les deux jeunes gens vont s’épouser…


Toine, Maïeur de Trignolles (extraits)

I. Mondanités

En se donnant ces petites peines, tout le monde peut arriver à acquérir l’aspect d’un gentleman.

La Baronne Staffe, Usages du monde (édition complètement refondue)

Trois jours avant le mariage de sa fille aînée, Godelieve, avec le docteur  Eugène Dognies, dit Tchouf-tchouf, Monsieur Toine Culot invita son cousin T. Déome à assister à ce qu’il appelait « la revue générale de l’équipement ».
T. Déome se rendit à l’invite et vit un Taine éblouissant. Pour harmoniser sa toilette avec celle des amis de son beau-fils, tous jeunes gens très distingués, le gros, généreux jusqu’à la prodigalité, s’était nippé comme un ambassadeur.

© Editions Racine

Aux yeux de T. Déome qui n’en revenait pas, il apparut chapé d’une redingote de tissu peigné, à revers de soie. Le pli de son beau pantalon à rayures vieil-argent tombait droit sur des souliers vernis. Une cravate blanche s’étalait sous le double menton du gros, qui, tenant d’une main une paire de gants couleur crème, avait passé trois doigts de l’autre main entre les boutons de son gilet. T. Déome, assis sur une chaise basse, émit finalement :
T’as l’air d’in dentisse ambulant !
Habitué à ces appréciations rugueuses, Toine, qui réservait d’ailleurs une surprise à son cousin, dit à sa femme :
Hilda, m’tchapia, si vous plaît…
En riant, Hilda sortit d’une armoire une boîte cylindrique en carton blanc, qu’elle ouvrit avec précaution. Ensuite, délicatement, elle couronna son Toine d’un haut de forme plus noir et plus miroitant qu’une loutre sortant de l’eau. D’abord, T. Déome mit une main en abat-jour au-dessus de ses yeux, puis, d’ébahissement, laissa tomber sa pipe sur ses genoux. Il se leva de sa chaise, fit le tour de Toine, se dressa sur la pointe des pieds pour regarder de plus près l’étonnante coiffure, recula, fit mettre le gros en pleine lumière, et, brusquement, se rassit pour rire à son aise, jusqu’à la suffocation. Immobile, la tête droite, Toine le regardait gravement. Il finit par ronchonner, mi-figue, mi-raisin :
Dji l’saveùs bé d’avance qu’y s’foutreùt co d’mi. C’est del djalouserie, è ré d’ aute.
T. Déome riait trop pour pouvoir répondre. Son rire était tellement large et tumultueux, si loin de ressembler au jaune ricanement d’un jaloux, que Hilda, la pimpante épouse de Toine, gagnée par le plaisir du drôle, se mit à rire aussi, et de bon cœur.

Les quatre filles de Toine, qui s’affairaient dans les chambres de l’étage aux préparatifs interminables de la noce, entendirent les échos de la scène joyeuse et descendirent l’une après l’autre. La mère de Toine, à travers le mur qui séparait les deux logis, entendit rire aussi. Le Choumaque, sourd, n’entendit rien, mais il vit l’air de Phanie, et la suivit chez son fils.

Toute de suite, cela fit autour de Toine un cercle de huit spectateurs. Tous riaient, sauf lui et sa mère, car elle n’avait jamais admis que l’on se moquât de son fils, qu’elle trouvait beau, bien portant, intelligent et distingué. Et aussitôt, elle voulut remettre les choses au point.
Laisse-les rire, hé m’fi ! Tu peux t’ossi bé mette in tchapia-buse qu’in aute. T’est prope, è d’ailleurs, fas les moyés d’fai ça.
Oï ! approuva T. Déome, il a les moyés, mais y n’a né l’tiesse qu’y faut.
Puis il ajouta :
– Y n’li manque pus qu’ène pwaire di bottes, ène escorie [un fouet] è des moustatches au cosmétique pou z’awè l’air d’un directeur di cirque !
Toine trouva cette opinion vraiment injurieuse et se fâcha pour de bon. Il se mit à gesticuler et à dire en substance à T. Déome, qui crevait de rire, qu’il préférait de beaucoup les directeurs de cirque à certains marchands de graines qui, coiffés d’un haut de forme ou d’un bonnet de coton, chaussés de sabots ou de souliers vernis, n’auraient jamais que l’air de ce qu’ils étaient, à savoir de paysans mal dégrossis et d’herbivores endimanchés.
Bé respondu m’fi, dit Phanie toute fiérote de voir tant d’esprit à son fils. Mi dji prétinds qu’tu n’as jamais sti si bia.
Et, résumant toute son admiration, elle conclut :
T’as l’air d’in maïeur !
Ce mot ramena brusquement T. Déome au sérieux.
A propos d’maïeur, commença-t-il…
Mais il n’acheva pas. Une pétarade de motocyclette s’arrêtait net devant la maison de Toine, et le fiancé de Godelieve, aussitôt, s’encadrait dans la porte, vêtu de son éternel veston de cuir, boucles au vent, souriant d’un air heureux et un peu timide. Suivant son habitude, il dit “bonjour” trois fois. Toine qui, depuis quelques mois, se permettait avec le docteur une familiarité d’ailleurs plausible, répondit :
Mons-sieur Ugenne, salut !
Et, majestueusement, il se découvrit et fit un large salut de son haut de forme. Catastrophe ! Ensemble les six femmes poussèrent un cri désespéré.

* * *

La veille, Mathilde, une des jumelles, avait fixé au plafond de la pièce, au moyen d’une punaise, un de ces gluants engins que l’on appelle des attrape-mouches. Elle avait déroulé à peu près vingt centimètres du ruban, se réservant de dérouler le reste au fur et à mesure des nécessités. Mais chacun sait que cette invention insecticide, en dehors de son prix modique et de la traîtrise de ses contacts, possède comme caractère spécifique celui de se dérouler lentement, mais sûrement, sans autre sollicitation que celle de la pesanteur du godet de carton qui contient la réserve de glu et de ruban.
Vingt-quatre heures après le placement, l’engin fixé par Mathilde avait déjà, sans faire plus de bruit qu’un escargot qui évacue sa coquille, dévidé les trois quarts de ses entrailles hors du godet.
Et Toine, saluant son futur gendre, venait de coller au ruban la soie miroitante de son huit reflets, avec une grâce si vigoureuse, que l’attrape-mouches, cernant aussitôt le chapeau, s’y était fixé et que Toine, qui n’avait rien vu, achevant son geste largement cérémonieux, arrachait la punaise au plafond et des cris désolés aux femmes, et sentait tout à coup sur son nez et sa joue le contact froid de la glu, tandis qu’une mouche, captive, et vivante encore, libérée par les heurts et les secousses, venait se coller sur la paupière du gros, soudain congestionné, furieux et malheureux.
T. Déome s’enfuit au jardin, pour rire à son aise. Le docteur le suivit…

***

Voyons, dit le fiancé à celui qui était devenu son grand ami, vous trouverez bien le moyen, je vous en supplie, de l’empêcher de s’affubler de ce machin-là ! Il est trop cocasse. Et il répéta : Oui, cocasse… cocasse…
Ce ne sera pas facile, objecta le gros. Il y tient, à sa buse. Mais enfin, j’essaierai…
Puis ils parlèrent d’autre chose. T. Déome s’était montré joliment généreux pour le nouveau couple. Une fois le mariage décidé, il avait fait cadeau, aux jeunes gens, d’une belle partie de son grand verger, à condition que le docteur y fît bâtir sa maison, idée que le fiancé avait trouvée séduisante. T. Déome s’était chargé des plans, de la direction et de la surveillance de l’entreprise. Aussitôt, on avait abattu un large pan de haies. Des terrassiers avaient creusé le fossé des fondations, tandis que de lourds tombereaux amenaient la pierre, la brique, le bois, le fer, et tout le reste, sur le chantier.
Quand T. Déome prenait une besogne à cœur, ça marchait toujours rondement. En moins de trois mois, le gros œuvre de la maison du médecin était mené à bien. Sans désemparer, les ouvriers spécialisés avaient relayé maçons, couvreurs et plafonneurs. A présent, il ne restait plus qu’à essuyer les plâtres, passer une dernière couche de peinture sur quelques boiseries et, dans quinze jours, quand les jeunes mariés reviendraient de leur voyage de noce, ils pourraient entrer dans une maison dûment meublée où un bon feu, entretenu par le ménage T. Déome, aurait créé un climat chaudement accueillant, ce qui est à la fois poétique et utilitaire. […]


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | contributeur : Patrick Thonart | sources : Institut Jules Destrée ; connaitrelawallonie.wallonie.be ; collection privée | crédits illustrations : © rtbf.be ;  © destree.be ; © Editions Racine.


Plus de littérature en Wallonie-Bruxelles…

LEVÊQUE, Auguste (1866-1921)

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Auguste LEVÊQUE est un peintre belge, né à Nivelles en 1864 et mort à Saint-Josse Ten Noode en 1921. Peintre réaliste et symboliste, il était également sculpteur, poète et théoricien de l’art. Plusieurs de ses œuvres sont conservées aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.

Idylle d’été (1918)

Pour aller à la découverte d’Auguste LEVEQUE, parcourons les journaux parus au lendemain de sa mort survenue en février 1921. La Gazette de Charleroi publie :

Le peintre Auguste Levêque, qui vient de succomber à 54 ans, possédait supérieurement le dessin, la technique, la science de la composition. Il aimait les vastes toiles, les emplissait d’allégories qu’il peuplait de nymphes, de naïades, de dryades et autres figures sacrées. Certaines de ces scènes mythologiques, symboliques ou simplement décoratives ne manquaient ni de virtuosité, ni de lignes, ni de contours. Malheureusement, l’artiste se fatigua et depuis quelques années, ses œuvres faisaient oublier celles des débuts, les grands espoirs mis en elles. Auguste Levêque s’en rendit compte et il en conçut un vif chagrin. Il continua cependant à peindre, espérant se reprendre. Il n’y parvint pas et ses derniers jours furent emplis de tristesse. Sort cruel qu’il faut plaindre. Après qu’il eut remporté le prix Godecharles avec un Job d’un relief rare [ci-dessus, en tête d’article], on lui avait prédit le plus brillant avenir. Il fut bien près de l’atteindre comme en témoigne son tableau du Musée Moderne, Les Ouvriers tragiques. Il est hautement regrettable qu’il n’ait pu poursuivre sa route première. Sa mort a attristé ceux qui connaissaient la fierté de son caractère et qui avaient applaudi à ses premiers tableaux et à ses écrits. Il est mort dans l’atelier qu’il avait pavoisé de ses œuvres, rue du Marteau à SaintJosse-ten-Noode.

Cité par Jacques de Winter (2018)

La Parque (1900)

[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources : lenouveaurif.website (site nivellois) | mode d’édition : compilation | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © 


Savoir-contempler en Wallonie-Bruxelles…

tarte al djote : une spécialité nivelloise qui fête ses 800+ ans

Temps de lecture : 4 minutes >

La tarte al djote (également al d’jote) fête cette année ses 800 ans [article de 2018]. Cette spécialité nivelloise à base de bettes et de fromage, qui se déguste après avoir fait fondre du beurre salé sur la tarte chaude, est défendue par une confrérie qui veille à sa qualité en octroyant des labels aux fabricants. Chaque année, environ 300.000 tartes al djote sont vendues à Nivelles.

“Les premiers écrits se référant à la tarte al djote remontent à 1218. Pour estimer la production annuelle de tartes, la confrérie a interrogé les 16 fabricants du circuit officiel -certains amateurs n’en cuisinent que pour leur cercle d’amis- et les 32 revendeurs identifiés à Nivelles. Parmi eux, quatre fabricants réputés enfournent plus de 1.000 tartes al djote chaque semaine, tandis que d’autres en produisent jusqu’à 1.500 hebdomadairement.

D’après la confrérie, qui inclut les recettes annexes lorsque la spécialité nivelloise est dégustée dans les restaurants de la ville, ces quelque 300.000 tartes al djote produites chaque année génèrent un chiffre d’affaires global de trois millions d’euros. Le prix d’une tarte al djote en boulangerie varie de 7 à 10 euros, selon les endroits.

Si les anciens Nivellois en raffolent, la tendance au retour aux produits de terroir et aux recettes authentiques accroît l’intérêt pour la tarte al djote des nouveaux habitants de Nivelles, et des touristes qui visitent la cité des Aclots.” [WEEKEND.LEVIF.BE]

En savoir plus ?
  • “Cette tarte est vraiment une spécialité locale, limitée à la ville de Nivelles, situé à quelques dizaines de kilomètres de Bruxelles. La tradition de cette tarte se perd dans la nuit des temps, mais selon les légendes populaires, la recette fut introduite par les abbesses de Sainte-Gertrude. Des documents d’époque attestent par ailleurs que les chanoinesses en ont régularisé la recette. Lors de la consécration de l’Abbaye de Nivelles, le 4 mai 1046, la tarte al d’jote fut servie à l’empereur allemand Henri III…”

  • “La confrérie fut créée en 1980 et est composé de 33 chevaliers et de 11 compagnons, essentiellement de Nivelles et tous indépendants du commerce et de la fabrication de la tarte al djote. Le mot “djote” signifie tout simplement bette en patois nivellois.”

  • “La tarte al djote ce déguste également bien chaude: “bi tchaude, bi blète, qu’el bûre dèsglète” (“bien chaude, bien molle, que le beurre dégouline“).”
La bette (ou blette) est une bisannuelle qui se mange cuite, de juin à novembre.
Recette préconisée par la Confrérîye dèl târte al djote

D’origine, les proportions renseignées par la Confrérie conviennent pour 12 tartes d’un diamètre de 19 cm. Notre source, PASSION-CUISINE [conseillé par GASTRONOMIE-WALLONNE.BE], a divisé la recette pour la pâte en 2. Les quantités pour la makayance ont été divisées par 6, ce qui donne une quantité correspondant à 2 tartes.

Ingrédients
  • Pâte
    • 950 g de farine de froment + 50 g pour “sécher” la pâte
    • 250 à 300 g de beurre salé
    • 40 g de levure fraîche (à délayer dans du lait tiède)
    • 4 œufs entiers + 2 jaunes d’oeuf
    • 30 g de sel (1 bonne cuiller à soupe)
    • 20 cl de lait
  • Garniture (ou makayance)
    • 2,4 kg de bétchèye (fromage de type “boulette” de Nivelles)
    • 150 g de feuilles de bette (sans les cardes)
    • 75 g de persil haché (sans les tiges)
    • 4 oignons blancs de la grosseur d’une noix (+/- 150 g)
    • 9 œufs entiers
    • 8 g de poivre blanc (2 cuillers à café)
    • 450 gr de beurre de ferme salé fondu (couleur noisette foncée)
    • 4 g de sel (1 cuiller à café)

N.B. Après avoir émietté le fromage, s’il n’est pas assez fait, on le laisse graisser près d’une source de chaleur en le remuant régulièrement. Il doit obtenir une belle couleur dorée. Attention : surveillance spéciale par temps orageux !

Préparation

PATE :

    • Tamiser la farine pour la rendre plus légère.
    • Mélanger le sel à la farine.
    • Délayer la levure dans le lait tiède (et une pincée de sucre), la laisser germer.
    • Former une “fontaine”, y verser les 4 œufs entiers + les 2 jaunes d’oeuf.
    • Mélanger le beurre (consistance “pommade”).
    • Dans la farine, verser la levure.
    • Travailler la farine délicatement afin d’y incorporer le tout.
    • Bien pétrir jusqu’à l’obtention d’une pâte bien lisse.
    • La pâte devant être souple et ferme, séchez-là (si nécessaire) avec le reste de la farine.
    • Séparer la pâte en boulots de 180 g pour des platines de 21 cm de Ø ou en boulots de 150 g pour des platines de 19cm de Ø.
    • Laisser lever les pâtons (sous un linge sec, à l’abri des courants d’air et près d’une source de chaleur), ceci pendant 1 heure minimum.

MAKAYANCE :

  • Séparer les feuilles de persil de leurs tiges.
  • Laver les feuilles des bettes et le persil et les essorer.
  • Mélanger le fromage émietté avec les 9 œufs entiers et le beurre fondu chaud (couleur noisette foncée).
  • En dernière minute, hacher finement les légumes (bettes, persil, oignons) à la main (éviter les robots).
  • Malaxer le fromage avec les légumes, le sel et le poivre.
  • Rectifier l’assaisonnement si nécessaire. Vous obtenez ainsi ce que les Nivellois appellent le fromage préparé macayance.

PLATINES :

  • Au rouleau, abaisser les pâtons au diamètre extérieur de vos platines.
  • Foncer délicatement la pâte dans les platines bien beurrées.
  • Piquer le fond de chaque tarte à l’aide d’une fourchette.
  • Étaler la makayance sur une épaisseur de +/- 8 mm.
  • Enduisez éventuellement les bords de la pâte d’oeuf battu.

    Cuire +/- 10 à 15 minutes à four préchauffé (200°C) jusqu’à ce que la croûte soit dorée. Eviter de brunir le fromage par une cuisson trop longue. Après cuisson, retirer immédiatement les tartes des platines et les déposer sur des claies (afin de pouvoir sécher). Servir les tartes bien chaudes nappées de beurre de ferme salé. Vous verrez : c’est du costaud !


Bon appétit !

HAREM : Plans reconstitués (2003, Artothèque, Lg)

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HAREM Habib, Plans reconstitués
(gravure – techniques mixtes, n.c., 2003)

Et pourquoi pas emprunter cette oeuvre gratuitement
à l’Artothèque Chiroux de la Province de Liège ?

HHabib dans l'atelierBW
Habib Harem © cultureplus.be

Né à Agadir le 23 janvier 1953, Habib HAREM fait ses études d’arts plastiques à l’Institut Saint-Luc à Saint-Gilles. Il est professeur d’arts plastiques à l’Institut Sainte Marie à Saint-Gilles et à l’Institut du Sacré-Coeur de Nivelles. Plusieurs expositions personnelles de gravure et de peinture luis sont consacrées en Belgique (Bruxelles, Liège, Nivelles) et il particpe à de très nombreuses expositions de gravure internationales (Liège, Sarcelles, Rijeka, Zagreb, Cadaquès, Ljubljana, Cracovie, Yamanashi…) (d’après CENTREDELAGRAVURE.BE)

“Depuis plus de trente ans, Habib Harem explore fasciné le moment de l’émergence, il donne à toucher la première lumière, il grave le temps et prospecte l’espace, il invente des rythmes et des lignes, il couche des plages de pâleur, des champs veloutés de suie, de grands nappés silencieux. Prince acharné de la matière, il s’y enfonce avec tous ses sens au point qu’il voudrait effacer l’idée même du papier : que le papier soit pour sa seule impression, que l’artiste n’existe que pour l’unique empreinte de son art. ” (d’après CULTUREPLUS.BE).

[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation (droits cédés) et mise à jour par wallonica.org  | source : Artothèque Chiroux | commanditaire : Province de Liège – Culture | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : © Habib Harem ; culturelles.be | remerciements à Bénédicte Dochain et Frédéric Paques