GÖTTSCHING, Manuel (1952-2022)

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Avec E2-E4, longue pièce minimaliste d’une heure, au carrefour de la “kosmische musik”, du psychédélisme et de l’ambient, le compositeur et guitariste allemand Manuel Göttsching (…) posait, en 1981, les bases de la house et de la techno telles qu’on les connaît aujourd’hui. Le tout sans le faire exprès.

[LESINROCKS.COM, 13 décembre 2022] Dans l’histoire de la musique populaire, il existe tellement de morceaux involontairement légendaires, improvisés sur un coin de table comme si de rien n’était, qu’il serait a priori presque superflu d’en recenser ici une énième occurrence.

Pourtant, il y a quelque chose de tellement spontané, de si irrésistiblement évident et d’un enthousiasme si fortement communicatif à l’écoute de E2-E4 de Manuel Göttsching, qu’il est difficile de passer ses conditions de création sous silence, tant cette longue pièce improvisée d’une heure donne encore aujourd’hui l’impression de se construire sous nos yeux, au moment où on l’écoute.

Deux notes et un solo de guitare

L’histoire est désormais connue : en décembre 1981, peu après être rentré de tournée avec son compatriote et ex-acolyte de groupe, Klaus Schulze, avec lequel il créa l’entité krautrock Ash Ra Tempel, active jusqu’au milieu des années 1970, le guitariste et compositeur Manuel Göttsching se posa tranquillement dans son home studio pour y improviser une pièce musicale afin de se faire la main sur ses synthétiseurs et séquenceurs flambant neufs, et se constituer, en passant, une petite cassette à écouter prochainement sur la route.

Construit autour de deux seules notes répétées à l’envi et d’un solo de guitare recouvrant presque entièrement la seconde demi-heure, E2-E4 est devenu, bon an mal an, un jalon essentiel et indéboulonnable de la musique électronique. D’abord, en ne s’écoulant qu’à quelques milliers d’exemplaires, puis, en devenant un des morceaux favoris du DJ pionnier Larry Levan, résident du mythique et ô combien influent club new-yorkais Paradise Garage, dans lequel, au début des années 1980, ses sets extended ne ressemblaient plus tout à fait à du disco, et pas encore exactement à de la house.

E2-E4 a connu ensuite une seconde jeunesse, à la fin de la décennie, en se faisant retravailler sur Sueño Latino, l’hymne ultime de la house balearic par le groupe italien du même nom. Et afin de boucler la boucle, il s’est ensuite fait remixer par Derrick May, déité de la techno des origines, puis par le duo germanique Basic Channel, en 1995, avant de largement inspirer LCD Soundsystem pour son EP 45:33 dans les années 2000. Ce qui peut sembler de prime abord étonnant, lorsqu’on pense au peu d’intérêt que portait alors Göttsching à la chose dance, étonné lui-même que des gens puissent se trémousser sur son propre disque, mais aussi à quel point il improvisa E2-E4 avec une facilité et une décontraction déconcertantes, sans vraiment y réfléchir une seconde, se repassant tout de même le morceau en boucle après coup, afin d’en comprendre toutes les subtilités qui lui avaient à lui-même échappé.

Construit autour de deux seules notes répétées à l’envi et d’un solo de guitare recouvrant presque entièrement la seconde demi-heure, E2-E4 est devenu, bon an mal an, un jalon essentiel et indéboulonnable de la musique électronique.

Le seul problème avec ce type d’histoire (belle) serait de n’y voir qu’une expérimentation ex nihilo, partie de rien et arrivant à tout, comme si ce genre de tentative musicale ne s’inscrivait pas dans une histoire, un lieu, de multiples contextes d’émergence. Et E2-E4 ne déroge pas à la règle de la réalité matérielle : s’il serait aisé de n’y voir que le fruit du génie et du hasard, la vérité est que sa prouesse d’exécution ne vient pas exactement de nulle part.

Manuel Göttsching © thevinylfactory.com
Le nouvel âge

Rembobinons donc un peu le cours des événements. A l’orée des années 1980, alors que cela fait désormais plusieurs années que l’aventure Ash Ra Tempel a pris fin, que ses principaux membres sont partis et que Manuel Göttsching évolue désormais seul sous le nom de Ashra, l’homme a des envies d’ailleurs. Et cet ailleurs, il va le trouver dans les longues plages minimalistes des maîtres new-yorkais en la matière, Terry Riley, Steve Reich et Philip Glass en tête. Épris de new age, de space rock, des signatures rythmiques sous influence latine qu’il peut entendre dans les clubs new-yorkais, Göttsching est également féru de tous ces instruments et machineries électroniques qui paraissent alors, se faisant la main sur les séquenceurs, boîtes à rythmes, cordes synthétiques, bref, tout ce qui est à portée de main pour poursuivre ses trips psychédéliques entamés sous Ash Ra Tempel.

E2-E4 peut donc être vu comme le prolongement pur et radical de tout ce que le guitariste a entrepris jusqu’ici, le croisement entre la révolution technologique naissante et les hallucinations soniques dont le guitariste se fait un spécialiste depuis le début des années 1970, période où Timothy Leary, pape déclaré et théoricien du LSD, était invité à chanter en 1973 sur l’album Seven Up de Ash Ra Tempel, E2-E4 pourrait être vu comme une sorte de pendant ralenti de la rêverie synthétique de New Age of Earth, disque paru en 1977 sous le nom de Ashra, ou encore une version dénudée de son premier album solo, intitulé Inventions for Electric Guitar, disque absolument inouï, dans lequel son instrument de prédilection agit comme un continuum de notes, bien aidé en cela par cet effet si hypnotique et obsédant du tape echo, pour lequel la guitare n’apparaît plus comme le meneur de jeu, mais plutôt comme une bande magnétique environnante permettant à son auteur de s’adonner plus avant à l’exploration de formes nouvelles.

Épris de new age, de space rock, des signatures rythmiques sous influence latine qu’il peut entendre dans les clubs new-yorkais, Göttsching est également féru de tous ces instruments et machineries électroniques qui paraissent alors, se faisant la main sur les séquenceurs, boîtes à rythmes, cordes synthétiques, bref, tout ce qui est à portée de main pour poursuivre ses trips psychédéliques entamés sous Ash Ra Tempel.

Tout entière dédiée à l’avant-garde sonore, l’œuvre discographique de Manuel Göttsching trouve en E2-E4 sans doute son point d’ancrage, mais le fait bien involontairement, alors même que le disque est plutôt globalement ignoré lors de sa parution, et que des critiques allemands n’hésitent pas à le comparer à de la musique d’ascenseur, décrétant que Göttsching ne comprend rien à la musique électronique. Sans doute ne voient-ils pas, alors, tout ce que ce disque comporte de trouées hypnotiques et de boucles en lévitation qui inspireront bien des héritier·es par la suite, bien décidé·es à poursuivre ce geste cosmique avec ce qu’il faut de transe, de danse et d’extase. Soit une certaine idée de ce que l’on appelle plus communément, aujourd’hui, la dance music.

Marc-Aurèle Baly


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation, illustration et décommercialisation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  © lesinrocks.com ; thevinylfactory.com 


 

SCHULZE, Klaus (1947-2022)

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Klaus SCHULZE, l’un des pères fondateurs de la musique électronique allemande, est mort. De nombreux artistes, de Brian Eno à David Bowie, en passant par Damon Albarn et Kanye West, se sont réclamés de son héritage.

Pionnier de la musique électronique allemande, inspiration de nombreux musiciens, Klaus Schulze, est mort à l’âge de 74 ans, a annoncé, jeudi 28 avril 2022, son fils sur Facebook. Il s’est éteint mardi, de façon soudaine et inattendue” bien qu’il luttait contre une maladie, écrit Maximilian Schulze.

Né le 4 août 1947 à Berlin, Schulze est considéré comme l’un des pères fondateurs de la musique électronique allemande, dont l’influence peut être décelée sur quantité d’enregistrements contemporains.

Dans les années 1970, ce colosse de 2 mètres est un des principaux ambassadeurs du rock planant, partageant la scène avec Mike Oldfield ou encore le groupe anglais Pink Floyd. Il est un temps membre du groupe de krautrock allemand Tangerine Dream.

Guitariste, puis batteur, il s’est frotté à tous les exercices : musique de film, interprétation détournée de thèmes du répertoire classique, et même à la production de vedettes de variétés (le groupe allemand Alphaville). Ses morceaux, qui pouvaient dépasser trente minutes, sont devenus des classiques de la musique électronique.

d’après LEMONDE.FR


Klaus Schulze, figure de proue du krautrock et de la musique électronique allemande, est décédé à l’âge de 74 ans. La cause exacte du décès n’a pas été révélée, mais il était malade depuis quelques années.

D’abord percussionniste, mais également multi-instrumentiste, ce futur virtuose des synthétiseurs a fondé Ash Ra Tempel et milité au sein de Tangerine Dream avant de se lancer dans une carrière solo. Il a marqué l’ère des synthés analogiques.

Influencé par Wagner, la musique stochastique de Xenakis et probablement par Stockhausen, même s’il a toujours nié ces références avant-gardistes, mais également le psychédélisme, il a créé un nouveau genre musical auquel vont se rallier de nombreux disciples.

En introduisant des sequencers et percussions électroniques dans sa musique, il est devenu, un peu avant Kraftwerk, le grand pionnier de la musique entièrement électronique et reste le principal artiste du courant de musique dite “planante”, à l’origine essentiellement germanique, une musique qui a souvent été assimilée au rock progressif. Il a aussi tracé la voie de la New Age et de la techno. Et tout comme Brian Eno, à l’ambient. Prolifique, il a publié plus d’une soixantaine d’albums (sans compter les “live”) sous son nom et celui du pseudo Richard Wahnfried et on ne compte plus ses collaborations. Parmi lesquelles on épinglera celles qu’il a réalisées pour Steve Winwood, le percussionniste japonais Stomu Yamash’ta ainsi que l’ex-drummer de Santana, Michale Shrieve. Notamment. Et on en oublierait presque son rôle de producteur (Alphaville, Lisa Gerrard, Schiller…)

d’après MUSICZINE.NET

Klaus Schulze et Lisa Gerrard © last.fm

Klaus Schulze, pionnier de la musique électronique, qui a contribué à façonner le genre du krautrock avec Tangerine Dream tout en menant une carrière solo prolifique, est décédé à l’âge de 74 ans. L’influent musicien allemand Klaus Schulze a sorti plus de 60 albums aux côtés de Tangerine Dream, Ash Ra Tempel et Cosmic Jokers.

La famille du multi-instrumentiste a annoncé sa mort mercredi, ajoutant que Schulze est décédé de manière inattendue” le 26 avril après une longue bataille contre une maladie. Sa musique continuera à vivre et nos souvenirs aussi, a déclaré la famille de Schulze dans un communiqué. Il y avait encore tant de choses à écrire sur lui en tant qu’homme et artiste, mais il aurait probablement dit : nuff said !. Les adieux auront lieu dans le cercle familial le plus proche, comme il le souhaitait. Vous savez comment il était : sa musique compte, pas sa personne…”

Nous avons été choqués et attristés d’apprendre la nouvelle de la mort soudaine de Klaus Schulze, a ajouté son représentant Frank Uhle dans un communiqué. Nous perdons et nous regretterons un bon ami, l’un des compositeurs les plus influents et les plus importants de la musique électronique, un homme de conviction et un artiste exceptionnel… Sa nature toujours joyeuse, son esprit d’innovation et son impressionnant corpus d’œuvres restent indélébilement ancrés dans nos mémoires.”

Au cours d’une carrière qui s’est étendue sur plus de 50 ans et 60 albums, Schulze a joué un rôle essentiel dans le mouvement musical qui a donné naissance au krautrock ainsi qu’à la scène révolutionnaire de la musique électronique de “l’école de Berlin”, précurseur des genres ambient, New Age et Space Rock.

Schulze n’est resté au sein de Tangerine Dream que pour un seul album (en tant que batteur sur leur premier album Electronic Meditation en 1970) avant qu’il ne parte cofonder son propre groupe, l’influent groupe de krautrock Ash-Ra Tempel, aux côtés de son collègue Manuel Göttsching.

Après la sortie de l’album éponyme d’Ash Ra Tempel en 1971, Schulze quitte le groupe (bien qu’il y revienne sporadiquement au cours des décennies suivantes) pour se lancer dans une carrière solo, qui voit le claviériste-percussionniste sortir de la musique presque chaque année à partir de l’album Irrlicht en 1972.

Après le succès de Cyborg en 1973, sorti sur le label allemand Cosmic Couriers, Schulze et ses partenaires de label ont formé le supergroupe Cosmic Jokers, avec un premier album éponyme. Cette collaboration a débouché sur la période la plus importante de la carrière solo de Schulze, puisque le milieu et la fin des années 1970 ont vu la sortie de classiques de la musique électronique comme Timewind en 1975, Moondawn en 1976 et en 1978.

Schulze a continué à repousser les limites de la musique électronique au cours des décennies suivantes, en solo, dans des groupes comme Go, en collaboration avec des artistes comme Rainer Bloss et Pete Namlock (avec qui il a enregistré 11 volumes de réinterprétations de Pink Floyd sur le Moog), et sous son pseudonyme Richard Wahnfried.

Plus récemment, Klaus Schulze a collaboré avec le compositeur et innovateur électronique Hans Zimmer sur “Grains of Sand”, un morceau de la bande sonore de Dune, nominée aux Oscars. Klaus Schulze a ensuite enregistré un album inspiré de Dune, Deus Arrakis, une sorte de suite à son album Dune de 1979, également inspiré du classique de la science-fiction.

La musique de Klaus Schulze n’a jamais été aussi pertinente qu’aujourd’hui. Le monde a enfin rattrapé un véritable pionnier, a déclaré Zimmer en décembre dernier.Plus que jamais, le travail de Klaus est l’équilibre parfait entre l’âme et la technologie… Un maître, une influence et un influenceur pour d’innombrables autres, qui nous connecte encore tous avec un sens profond de l’humanité et du mystère.”

d’après ROLLINGSTONE.FR


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations :  image en tête de l’article : Klaus Schulze à Paris en 1975 © kdm archives ; last.fm | En savoir plus sur le site officiel de Klaus Schulze ou dans wallonica.org.


Tangerine Dream, le rock allemand et la “musique cosmique”

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Tangerine Dream en concert © Melanie Reinisch

“Ce segment du rock allemand, souvent très apprécié par les amateurs de “beau son” et de “grandiose”, trouve ses racines à Berlin. Le groupe fondateur en est Tangerine Dream, né en 1967 mais qui ne prendra le virage de l’électronique que quelques années plus tard. Le groupe a toujours été à géométrie variable, mais ses membres essentiels dans les premières années, aux côtés d’Edgard Froese, sont Klaus Schulze et Conrad Schnitzler.

Schulze, très marqué par les opéras de Richard Wagner, prendra sa liberté dès 1970 et sera le véritable inventeur du rock spatial ou “space rock” dans la première moitié des années soixante-dix, avec ses albums comme le double “Cyborg”, “Picture Music”, “Blackdance” et “Timewind”. Tangerine Dream, reconfiguré autour d’Edgard Froese lui emboîtera le pas, comme en témoignent des disques tels “Phaedra” et “Rubycon”.

Cette musique est liée par une sorte de pacte technologique à toutes les évolutions des nouveaux instruments électroniques de l’époque, les synthétiseurs bien sûr mais aussi les boîtes à rythmes et les séquenceurs, augmentés d’effets et de machines de toutes sortes, les instruments prenant à ce moment-là beaucoup de place et exigeant une manutention délicate et un câblage sophistiqué.

Schulze et Tangerine Dream sont très prolifiques, le premier avec une approche plus rythmique (il est batteur à la base) et les seconds de façon plus romantique, à tel point que l’on peut parfois se demander s’ils ne font pas de la musique au kilomètre… Schulze sous son nom et sous le pseudonyme (wagnérien !) de Richard Wahnfried, Tangerine Dream avec un groupe qui n’arrête pas de changer autour du pilier Edgard Froese, ont chacun à leur actif des dizaines d’albums, des “live”, des coffrets, et nombre de musiques de films puisque le style s’y adapte plutôt bien, jusque dans des superproductions type “Body Love” pour Schulze ou plus tard “Risky Business” et “Red Nights” pour Tangerine Dream. Les qualificatifs de “spatiale” et de “planante” ont souvent été employés pour décrire cette musique que les critiques ont tout de suite nommée, à cause de son aspect futuriste, “kosmische Muzik” ou “musique cosmique”.

Moins médiatiques, deux autres créateurs ont aussi très largement participé à l’avènement des nouvelles esthétiques électroniques. D’abord, Conrad Schnitzler ; peintre de formation, il a étudié avec l’artiste plasticien avant- gardiste et performer Joseph Beuys et c’est un musicien autodidacte. Avec Hans-Joachim Roedelius, il a fondé le Zodiac Free Arts Lab, un lieu important de Berlin qui n’a connu qu’une existence de quelques mois, en 1969. Artistes de free jazz, de nouveau rock et pionniers des machines s’y retrouvaient pour des concerts fleuves propices à des rencontres et à une émulation entre groupes et musiciens. Schnitzler y a croisé Schulze et Edgard Froese et tous trois ont été Tangerine Dream pendant un temps, laissant même un album à la postérité, “Electronic Meditation”. C’est ensuite que Schnitzler a initié Kluster avec Roedelius et Moebius, avant de poursuivre une carrière solo jusqu’à sa mort en 2011. Bruitiste autant qu’électronicien, il a résumé à la fois l’esprit de cette période et ses propres théories en expliquant : “Nous sommes des artistes anti-mélodistes, nous nous concentrons sur une musique de sons et de bruits.”

Klaus Schulze © echoes.org

Le guitariste Manuel Göttsching, au moment où il fonde Ash Ra Tempel en 1970, gravite lui aussi dans la nébuleuse de musiciens qui fréquentent le Zodiac. Schulze en est le premier batteur, mais c’est Wolfgang Mueller qui lui succède. Lui et Göttsching mettent au point un “space rock” inventif, un temps proche de ce que fait Pink Floyd dans “Ummagumma”. “Schwingungen” est un grand album de rock planant, publié en 1972, la même année que “Seven Up” qui lui est enregistré avec la complicité de l’écrivain et philosophe américain Timothy Leary, célèbre pour ses préceptes qui prônent la consommation de L.S.D.

Edgard Froese a souvent raconté que l’un des facteurs qui l’avaient poussé à faire la musique de Tangerine Dream était sa rencontre avec Salvador Dali à Cadaqués en Espagne. Âgé de vingt ans, avec son groupe The Ones dont il était le guitariste et qui jouait du rock et du rhythm’n’blues, il avait été invité à jouer dans la villa du Maître au cours d’une soirée artistique où la musique voisinait avec la poésie et avait été profondément marqué par la liberté de création qui régnait. On retrouve l’influence de l’univers surréaliste de Dali dans la musique de Tangerine Dream, dans les visuels de ses pochettes d’albums, jusque dans le nom du groupe… Sous son nom, Edgard Froese publiera d’ailleurs en 2004 le disque “Dalinetopia”, décrit par le musicien comme “un voyage sonore surréaliste dans le monde fantastique de Dali”.

L’influence des psychotropes est notable chez plusieurs formations allemandes de l’époque. Elle a parfois mené à des expériences restées sans lendemain voire des impasses (les sessions improvisées d’Amon Düül I qui étaient ouvertes à toute personne, musicien ou non, qui voulait se joindre au groupe…), à un rock extrémiste (voir le travail de Klaus Dinger avec ou sans Neu !), et a coloré nombre de travaux qui restent importants aujourd’hui, d’Ash Ra Tempel à Guru Guru en passant par Amon Düül II.

Un peu plus tard, avant de commencer une période “space pop” à la fin des années soixante-dix, Manuel Göttsching réalisera, seul mais toujours sous le nom d’Ash Ra Tempel, l’un des albums les plus passionnants de cette décennie allemande des années soixante-dix. Il s’agit de “Inventions For Electric Guitar” (1974), qui est un peu le pendant pour guitare et machines de ce que fait à l’époque le minimaliste Terry Riley avec un orgue électrique et une chambre d’écho.

Si toutes ces musiques possèdent des parfums d’évasion et de science-fiction qui proviennent bien sûr du pouvoir de l’électronique (synthétiseurs, effets, etc.) et de son potentiel à faire rêver, on peut risquer une hypothèse : Klaus Schulze et Tangerine Dream, comme d’ailleurs un Jean-Michel Jarre ou un Vangelis, s’écouteraient plutôt de manière passive, alors que Conrad Schnitzler et Ash Ra Tempel exigeraient plutôt une écoute active.” [JEUDELOUIE.COM]


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