A mon père,
[FACEBOOK.COM/JEANPAUL.MAHOUX, 23 décembre 2023] Marre des reconstitutions où des garçons jouent à la guerre ? L’histoire d’Augusta CHIWY (1921-2015) est pour vous. Cette belgo-congolaise fût l’une des deux infirmières volontaires pendant le siège de Bastogne en 1944. Avec un courage hors du commun et des séquelles à vie. C’est ‘l’ange noir’ de la bataille des Ardennes.
Augusta est née au Congo le 6 juin 1921, fille d’un vétérinaire de Bastogne et d’une congolaise dont elle et son frère Charles ne savent pratiquement rien. Quand son père rentre en Belgique (sans son ‘épouse’ africaine mais avec ses deux enfants métis), Augusta a neuf ans. En 1940, elle en a dix-neuf et suit des études d’infirmière à Louvain. Le 16 décembre 44, elle revenait chez elle, pour passer Noël. Après plus de 15 heures dans le chaos des routes de cet hiver de guerre, par moins 15 degrés sous zéro, après un voyage en train, en camion, en vélo, elle atteint Bastogne… en pleine tempête de feu.
Les civils et les collégiens fuient la ville encerclée et bombardée par les Allemands. Parmi eux, mon père, Paul Mahoux (1928-1982), 16 ans. La famille d’Augusta, elle aussi, est déjà partie, mais Augusta reste. Elle s’engage, volontaire, auprès du médecin de l’armée américaine, le capitaine-chirurgien Jack T. Prior du 20th Armored Infantry Battalion. Dans un brouillard incroyablement dense, les blessés graves commencent à affluer au seul poste de secours de Bastogne.
Prior n’a que deux volontaires : Renée Lemaire, infirmière à l’hôpital Brugmann, 30 ans, et Augusta Chiwy, 23 ans. Le poste médical est installé dans une épicerie, un ancien Sarma, rue de Neufchâteau. Logements à l’étage, opération à la cave, 150 places. Sous les bombardements, Augusta soigne les blessures les plus graves, les amputations, les blessures thoraciques des soldats américains et des civils belges piégés dans la ville encerclée. Renée accompagne les agonisants et fait les transfusions.
En pleine boucherie et en plein chaos, le racisme des États-Unis ségrégationnistes trouve encore le moyen de la ramener. Quelques GI américains refusent d’être soignés par une infirmière noire. Prior les engueule en leur criant : “She treats you or you die.” [Elle te soigne ou tu meurs].
John Prior et Augusta Chiwy effectuent des déplacements extrêmement risqués pour évacuer les blessés. Au promontoire appelé Mardasson Hill que l’on voit si bien depuis le Collège des Jésuites de Bastogne, Chiwy et Prior subissent des tirs intenses. Augusta porte une gabardine d’infirmière trop grande, Elle s’en sort indemne, avec des trous dans le vêtement. Elle sourira plus tard en disant : “Vous pensez, un visage noir dans la neige, les Allemands me voyaient.” A Bastogne, Renée, Augusta et Prior n’ont bientôt plus de fournitures médicales, ils utilisent des draps comme bandages. Le cognac devient la seule anesthésie pour des hommes atrocement blessés. Prior et Augusta vont devoir amputer mains et jambes avec le côté dentelé des couteaux militaires. La veille de Noël, vers 20h30, le quartier est illuminé par des fusées éclairantes allemandes, des fusées au magnésium. Un terrible bombardement commence. Le poste de secours de la rue de Neufchâteau, est touché par un obus. Renée Lemaire est tuée et avec elle plus de 30 patients. Augusta, qui se trouvait dans le bâtiment voisin, est projetée par l’explosion à travers un mur effondré. Elle s’en sort vivante. Et elle continue à s’occuper des blessés jusqu’à la fin du siège. Elle aura sauvé une centaine de vies.
Après-guerre, Augusta sera infirmière dans un hôpital spécialisé dans les problèmes de moelle épinière. Elle se mariera et aura deux enfants. Elle a souffert d’un stress post-traumatique sévère toute sa vie, succombant souvent à des accès de mutisme.
Dans les années 1950, la Croix-Rouge lui avait envoyé une lettre de remerciements pour service rendu aux États-Unis puis la mémoire de son héroïsme s’est estompée jusqu’à ce que, dans les années 1990, Martin King, historien militaire britannique vivant en Belgique, raconte son histoire. Lors de ses recherches pour son livre Voices of the bulge, il parvient à retrouver Augusta dans une maison de retraite près de Bruxelles. L’écrivain Stephen Ambrose parle d’elle dans son livre Band of Brothers où elle porte le nom de Anna. Elle apparaît dans la série éponyme créée par Steven Spielberg et Tom Hanks (épisode 6).
En 1994, Augusta reverra John Prior lors des commémorations du 50e anniversaire de l’offensive. Mais ce ne sera que le 12 décembre 2011 qu’Augusta sera reconnue pour son héroïsme, Le général-major américain Michelle Johnson lui remet la Médaille du mérite civil pour mission humanitaire en présence de l’ambassadeur des États-Unis en Belgique. Le 24 juin 2011, le ministre de la Défense belge De Crem lui remet le titre de Chevalier de l’Ordre de la Couronne. Le 21 mars 2014, Augusta Chiwy est faite Citoyenne d’Honneur de la ville de Bastogne.
Ce jour là Martin King qui poussait sa chaise roulante lui chuchota à l’oreille: “C’est pour toi, Augusta.” Elle a répondu en souriant : “Ils ont pris leur temps, n’est-ce pas ?” Augusta est décédée à 94 ans le 23 août 2015 .
Jean-Paul MAHOUX
[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, correction et iconographie | sources : facebook.com/jeanpaul.mahoux (avec plus de photos) | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : en-tête, Le brigadier général Anthony McAuliffe et le lieutenant-colonel Harry Kinnard II à Bastogne, en Belgique, fin décembre 1944 @ Land of Memory ; © Jean-Paul Mahoux | sources de l’auteur : Martin King, Searching for Augusta: The Forgotten Angel of Bastogne (documentaire) et Jason Nulton, The Battle of the Bulge. The forgotten nurse who saved hundreds of American lives.
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