La folle histoire de Franz Xaver Messerschmidt, sculpteur de ‘caractères’

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[BEAUXARTS.COM, 25 juillet 2019] Pour l’été [2019], Beaux Arts Magazine consacre tout un numéro aux émotions et aux passions traduites par les artistes depuis l’Antiquité. L’occasion de revenir sur la curieuse histoire de Franz Xaver Messerschmidt (1736–1783), sculpteur génial et incompris du siècle des Lumières à l’origine d’énigmatiques « Têtes de caractère ». La grimace, tout un art…

C’est une histoire aussi énigmatique que passionnante. Celle d’un sculpteur probablement malade, forcément incompris, qui continue aujourd’hui d’intriguer les historiens d’art comme les psychanalystes. Celle de Franz Xaver Messerschmidt, né en 1736 dans le Jura souabe, soit l’actuelle Bavière. Fin observateur, celui qui s’est formé à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne jouit dès le début de sa carrière d’une certaine notoriété qui le mène à la cour, où il séduit grâce à un style réaliste. Parmi ses commanditaires figurent l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche – dont il réalise un buste – ainsi que sa fille, Marie-Antoinette. Sa carrière semble alors toute tracée et promise au succès. Car au-delà de ses fréquentations royales et éclairées, Franz Xaver Messerschmidt enseigne aussi aux Beaux-Arts, où il occupe un poste de professeur adjoint.

Tête de caractère : le bailleur © Musée des Beaux-Arts de Budapest

Mais dans les années 1770, sa vie bascule : l’homme tombe malade et, en 1774, il se voit refuser la titularisation à son poste de professeur. En cause ? Sa santé mentale, qui, selon certaines rumeurs, lui ferait défaut. L’Académie craint pour la sécurité de ses élèves. Suite à cette décision, la famille royale ne tarde pas, elle aussi, à se passer de ses services… Dépourvu de protecteurs et de commandes importantes, Franz Xaver Messerschmidt se résout alors à quitter Vienne. Après avoir essayé de s’établir à Munich, il trouve finalement refuge chez son frère – lui aussi sculpteur – à Presbourg (actuelle Bratislava), la capitale du royaume de Hongrie.

C’est au même moment qu’il débute la série pour laquelle, par-delà les frontières autrichiennes, il est si célèbre aujourd’hui : celle dite des Têtes de caractère. Visages contractés, traits crispés, expressions forcées… Ces bustes surprenants – voire effrayants–, qui évoquent de vilaines grimaces, sont à la fois indéniablement caricaturaux et terriblement réels… Réalisés dans un alliage d’étain, ces autoportraits (car il s’agit bien de l’artiste !) l’occuperont jusqu’à la fin de sa vie, en 1783.

L’histoire aurait pu s’arrêter ainsi. Mais c’était sans compter la vente, après sa mort, de 49 des 69 têtes retrouvées dans son atelier par son frère. Celles-ci seront exposées, en 1793, faisant se déplacer les curieux venus observer ces bustes tels des phénomènes de foire. La réputation d’un artiste illuminé est forgée, et c’est d’ailleurs à cette occasion qu’on attribue à cette série singulière, dans le livret de l’exposition, le nom de Têtes de caractère. Homme de mauvaise humeur, Espiègle forcé, Homme vexé, Homme qui pleure comme un enfant, Homme souffrant de constipation… Chacune d’entre elles est alors nommée.

Tête de caractère : un hypocrite et un médisant © MMoA

Revendues plus tard puis dispersées, le mystère des têtes reste entier… Pourquoi l’artiste, pourtant si apprécié par la haute société des Lumières pour son style réaliste, s’est-il lancé dans une telle entreprise ? En 1932, le psychiatre et historien d’art Ernst Kris s’intéresse au cas Messerschmidt. Lors de ses recherches, il retrouve le témoignage d’un certain Friedrich Nicolai, un homme de lettres berlinois qui avait rendu visite à l’artiste à Presbourg. Le diagnostic tombe enfin : notre homme était bel et bien fou ! Il souffrait même, selon Ernst Kris, de schizophrénie.

Friedrich Nicolai raconte en effet dans ses écrits que Franz Xaver Messerschmidt était victime d’hallucinations et de démence, qu’il se disait harcelé par “l’esprit des proportions“, jaloux de son talent. Pour conjurer la folie qui le hantait, l’artiste avait trouvé un remède bien singulier : face à son miroir, il se pinçait les cuisses si fort qu’il grimaçait. Selon l’Allemand, il employait cette même technique pour réaliser ses fameuses têtes : “Il regardait toutes les trente secondes dans la glace et faisait avec une grande minutie la grimace dont il avait besoin.”

On pensait donc pouvoir classer l’affaire Messerschmidt. Mais d’autres voix s’élèvent et appellent à nuancer le diagnostic d’Ernst Kris, comme Martial Guédron. Celui-ci l’affirme dans son ouvrage, L’Art de la Grimace : “On aurait tort de réduire Franz Xaver Messerschmidt à un artiste illuminé et solitaire. Le fait que de nombreux visiteurs viennent le voir dans sa maison qu’il s’est achetée, en 1780 à Zuckermandel, un faubourg de Presbourg, contredit tout de même l’image de l’artiste à moitié fou, pauvre et isolé, que l’on a élaborée par la suite à son propos“, affirme l’auteur, avant de rappeler qu’à Presbourg comme à Vienne, le sculpteur fréquentait aussi la haute société et avait retrouvé une certaine stabilité. “On peut se demander s’il est bien concevable que des membres de la haute société de Presbourg […] aient accepté de faire leur portrait par un malade mental,” conclut-il. Génie incompris ? Fou à lier ? Une chose est sûre, Franz Xaver Messerschmidt continue de faire tourner les têtes.

Inès Boittiaux, beauxarts.com


[INFOS QUALITE] statut : validé | mode d’édition : partage, édition, correction et iconographie | sources : beauxarts.com | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © Metropolitan Museum of Art ; © Musée des Beaux-Arts de Budapest.


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