[LEVIF.BE, dossier Les 100 qui ont fait la Belgique, 2007] L’homme de Spy repose aujourd’hui au Musée des sciences naturelles. Mais, un siècle durant, il est resté entre les mains des descendants de celui qui l’a découvert: Max Lohest. Enfermé dans un tiroir, caché dans une malle, enroulé dans une carpette… C’est une épopée incroyable, que nous raconte la petite-fille de l’homme qui a vu l’homme… de Spy !
“Ma grand-mère vivait avec l’homme de Spy“, affirme Suzanne Dallemagne sans sourciller… Puis elle interrompt son récit et part d’un grand éclat de rire comme si elle percevait soudain le grotesque de la situation. Et pourtant, oui ! “C’est mon grand-père, Max Lohest, qui a découvert l’homme de Spy. Les ossements ont longtemps été conservés à la maison, emballés dans un tapis d’Orient et déposés dans une vieille malle. J’étais enfant, mais je m’en souviens très bien… De temps en temps, ma grand-mère soulevait le couvercle pour nous permettre d’apercevoir le précieux trésor…“
Max Lohest était géologue. Dans les années 1880, ce métier consistait surtout à travailler autour des gisements houillers. Mais le jeune homme se voit proposer un poste de chercheur à l’université de Liège. “Il a cherché un peu de tout, un peu partout, résume sa petite-fille. Il a beaucoup voyagé, jusqu’au Grand Canyon. Et il a même trouvé de l’or du côté de Werbomont !“
Max Lohest se découvre très vite une passion pour les fossiles. Il se constitue d’ailleurs une magnifique collection de poissons. Mais, à l’époque, certains affirment qu’il est possible de trouver des restes humains à l’état fossile… L’idée circule depuis 1856 : un vieux squelette a en effet été mis au jour par des ouvriers puis sauvé par un instituteur. Cela se passait en Allemagne, dans la vallée du Neander, appelée Neandertal… Quelques chercheurs affirment que les ossements de Neandertal remontent à des temps extrêmement anciens. Bien plus ancien que tout ce qu’on a observé jusque-là. Mais la plupart des scientifiques n’y croient pas, préférant attendre qu’une deuxième découverte confirme la première… Et cette découverte capitale revient à Max Lohest. En posant le pied dans le petit village de Spy, il donne un fameux coup d’accélération à la connaissance de l’histoire de l’humanité.
“Mon grand-père est parti à Spy avec son ami Marcel De Puydt, raconte Suzanne Dallemagne. De Puydt étant archéologue, il espérait trouver des silex taillés. Mon grand-père, lui, cherchait des ossements. Il était tout jeune, il n’avait pas 30 ans. Pourquoi Spy ? Parce qu’il y avait une grotte, tout près d’un cours d’eau, au milieu d’un bois… Un peu comme à Neandertal. L’endroit lui semblait propice aux fouilles. Et le marquis propriétaire des lieux avait accepté que son terrain soit sondé. Enfin, disons plutôt… dynamité ! Car, à l’époque, c’est ainsi que les fouilles géologiques et archéologiques étaient menées : en creusant des tranchées !“
Max Lohest recrute alors un ancien porion pour l’aider dans ses travaux. Il dégage des débris de poterie, quelques silex… et, pendant l’été 1886, découvre le squelette de celui que l’on appellera bientôt l’homme de Spy. “Mon grand-père a tout de suite compris qu’il avait fait une découverte importante, affirme Suzanne Dallemagne. Il a emmené les ossements à l’université de Liège et en a confié l’étude à un collègue paléontologue, Julien Fraipont. Celui-ci a conclu que les ossements de Spy dataient de la même époque que ceux de Neandertal c’est-à-dire qu’ils ont entre 35 000 et 45 000 ans ! Le plus amusant, c’est que, finalement, je descends de ces deux hommes, note Suzanne Dallemagne.” Elle ne songe ni à celui de Neandertal ni à celui de Spy, mais au géologue et au paléontologue. “Max Lohest est mon grand-père maternel et Julien Fraipont, mon arrière-grand-père paternel.“
Quarante millénaires après avoir vécu dans nos régions, l’homme de Spy s’était trouvé une nouvelle famille ! Durant près d’un siècle, ses pérégrinations dans la tribu Lohest s’avéreront rocambolesques…
La femme de Spy
“Mon grand-père avait rangé les ossements de Spy dans un tiroir de son bureau, raconte Suzanne Dallemagne. Lors de l’invasion de la Belgique, en 1914, par les Allemands, ceux-ci ont cherché partout à l’université pour tenter de mettre la main dessus. Mon grand-père ne se trouvait pas à Liège à ce moment-là, il faisait des fouilles je ne sais où… Heureusement, un collègue a eu la bonne idée d’emmener l’homme de Spy dans un panier et de le déposer chez un notaire. C’est là que mon grand-père l’a récupéré. Il considérait que ces ossements étaient sa propriété. Comme il avait dû payer le porion de ses propres deniers, il estimait que la découverte lui appartenait. Dès la mort de mon grand-père, en 1926, l’Etat a intenté un procès à la famille pour tout récupérer. Ma grand-mère a tenu bon. Après avoir gagné son procès, elle a pu garder les ossements chez elle, au Mont-Saint-Martin, a Liège. Mais elle a toujours autorisé les chercheurs à y accéder. On a vu défiler des savants en nombre chez nous, il y avait tout un bazar autour de ce squelette…“
Lorsque la guerre éclate, Suzanne Dallemagne n’a pas encore 10 ans. La famille part en exode et l’homme de Spy l’accompagne. “Ma tante l’a enroulé dans une carpette pour descendre en France. Une fois arrivée à Limoges, elle s’est dit que sa place était au musée local. Mais lorsqu’elle a vu l’intérêt du conservateur pour son homme de Spy, elle s’est ravisée: “Oh là là ! Si je le laisse ici, je ne le reverrai jamais de la vie!” Alors, elle a remballé son homme, elle l’a emmené à l’hôtel et elle l’a gardé sous son lit !“
L’homme de Spy repose aujourd’hui au Musée des sciences naturelles. “On a pensé que c’était un peu ridicule de le garder dans la famille, explique Suzanne Dallemagne. Je suis maintenant l’aînée et, avec mes cousins et cousines, nous avons décidé d’en faire don au musée. Bien sûr, il vaut une fortune. Dans les années 1920, un Américain avait déjà proposé 3 millions à ma grand-mère. Mais elle les a refusés ! C’est un trésor belge et il doit le rester ! En plus, on continue à l’étudier. Je trouve ça épatant. Les analyses d’ADN ont permis de déterminer que les ossements appartiennent à trois ou quatre personnes, au moins. On dit toujours l’homme de Spy, mais on sait maintenant qu’il y a aussi une femme et un enfant. Mon grand-père n’en reviendrait pas !“
[CONNAITRELAWALLONIE.WALLONIE.BE] Max LOHEST (Liège 18/09/1857, Liège 07/12/1926). Très tôt intéressé par le problème de la filiation des êtres et, plus généralement, de l’origine des choses, Max Lohest fait partie de l’équipe pluridisciplinaire chargée de fouiller la grotte de Spy, en 1886. Il mettra au jour, avec ses collègues Julien Fraipont et Marcel De Puydt, les ossements fossiles d’au moins deux hommes neandertaliens. Maximin Marie Joseph dit Max Lohest a fait ses études moyennes au Collège des Jésuites. Après avoir fréquenté durant une année la faculté de Philosophie et Lettres, il aborde les études positives de l’École des Mines. En 1883, son diplôme d’ingénieur honoraire des mines lui est délivré par la Faculté technique de l’Université de Liège. L’année suivante, le professeur Gustave Dewalque, que Max Lohest remplacera en 1897, lui propose de l’attacher à son service en tant qu’assistant des cours de géologie, un poste qu’il accepte. Promoteur, en 1900, de la création du grade d’ingénieur géologue, président de l’Académie royale de Belgique en 1924, Max Lohest travaille sa vie durant dans tous les domaines des sciences minérales. Les résultats de ses recherches sont, pour la plupart, publiés dans Les Annales de la Société géologique de Belgique. [extrait de A. DELMER, dans Nouvelle Biographie nationale, t. 6, Bruxelles, 2001, p. 281-282]
On le sait depuis des siècles : la musique est une part indispensable de l’écrasante majorité des cultures qui peuplent le monde. À tel point qu’elle fait aujourd’hui partie intégrante de notre quotidien. En parallèle, chats et humains vivent aussi aujourd’hui en harmonie, si l’on oublie quelques coups de griffes. Les chats sont-ils réceptifs à la musique que nous pouvons écouter ? Sont-ils plus sensibles à certains genres ou instruments ?
Une question de perception
C’est bien connu : les chats ont une manière différente que les humains de percevoir le monde et l’environnement alentour. C’est notamment vrai pour ce qui est de leur vue, qui est beaucoup plus adaptée à l’obscurité que la nôtre. Les chats ont également une ouïe moins développée que leur vue, qui reste tout de même plus fine que celle de l’être humain ! Idéal pour chasser la nuit, n’est-ce pas ?
Mais si votre félin n’est pas sourd, il a donc une ouïe qui repère plus de sons que l’oreille humaine. Un chat en bonne santé peut en effet entendre les sonorités aiguës jusqu’à 1 000 000 hertz – contre 20 000 hertz pour son ou sa propriétaire. Cette différence de perception peut-elle affecter leurs goûts musicaux ?
La musique pour chats
Mais avec leur flegme habituel, difficile de repérer quelles mélodies trouvent grâce à leurs oreilles délicates. Pourtant, des scientifiques ont tenté d’en savoir plus l’année dernière, grâce à une étude qui a été publiée dans la revue Applied Animal Behaviour Science. Et pour faire simple, on peut dire que les chats n’ont rien contre la musique, mais il préfèrent tout de même nettement leur musique.
Autrement dit la musique qui se situe à portée de leur ouïe, que ce soit au niveau des vibrations, des fréquences ou des vocalisations. C’est en effet justement pour cela qu’un compositeur avait écrit il y a quelques années des morceaux spécialement à l’attention des chats. Cette musique reprenait donc des sons ressemblant aux ronronnements et miaulements des chats.
Les chats ont-ils des préférences musicales ?
Métal, classique, pop, R’n’B, variétés, gospel… Quel genre est le plus apprécié par nos amis à poils ? Si l’on en croit les résultats des études scientifiques réalisées les années passées, il semblerait que les sonorités classiques soient préférées, juste devant les musiques pop. En revanche, les sonorités rock et métal ont parfois augmenté les signaux de nervosité chez les chats (hausse du rythme cardiaque et dilatation des pupilles).
Si vous souhaitez laisser un fond musical pour votre chat lorsque vous n’êtes pas à la maison, vous pouvez choisir entre plusieurs options. Les musiques classiques sont donc parfaites – les plus calmes bien sûr, tous les morceaux de Mozart et Beethoven n’étant pas les plus adaptés à la relaxation. Le piano, la flûte et le violoncelle sont par exemple des instruments que vous pouvez privilégier.
Vous pouvez aussi mettre des pistes de sons de la nature, et bien sûr des morceaux spécialement composés pour les chats !
La musique a des vertus thérapeutiques indéniables pour les êtres humains. Tout le monde sait qu’elle permet de transmettre des émotions positives. Cette caractéristique est-elle aussi valable pour les animaux ?
“Music for cats”
Le psychologue Charles SNOWDON a étudié les effets de la musique sur le comportement de différentes espèces animales. Ils ont tenté de déterminer quel genre de son pouvait stimuler les chats. “Nous avons étudié les vocalisations naturelles des chats pour faire correspondre notre musique à la même hauteur de fréquence.Cela correspond à une octave ou plus au-dessus de la voix humaine” nous explique le scientifique américain qui enseigne à l’université du Wisconsin-Madison. L’étude montre que les chats utilisent des sons plus complexes que nous au niveau des vocalises grâce aux notes longues et glissantes.
Grâce à ces travaux, il a été possible de créer une musique adaptée aux goûts de nos compagnons à poil. Celle-ci est composée de sons proches des miaulements et des ronronnements du félin. Le résultat a été sans appel : “Nous avons vu là que les chats montraient une préférence et un comportement d’approche envers le haut-parleur diffusant la musique de chat, se frottant souvent contre le haut-parleur quand la musique était activée.“ À l’inverse, la diffusion de Bach et de Fauré n’a provoqué aucune réaction chez eux. La musique humaine pas assez bien pour nos amis les chats ? Non, simplement pas adaptée à la sensibilité auditive différente des félins mélomanes.
L’expérience scientifique est liée à un projet artistique intitulé Music for cats ayant pour but la création et la diffusion d’une musique adaptée aux chats. Un site français est aussi disponible, intitulé Catsonics. Essayez-les sur votre chat, le résultat pourrait être stupéfiant !
Les autres espèces aussi sont réceptives à la musique
D’autres recherches ont établi que les animaux étaient plus ou moins stimulés par les sons. Une expérience similaire à celle sur les chats a été menée sur les tamarins, un genre de singe aussi étudié par Snowdon. La même technique que pour les chats a été employée pour créer cette ‘musique pour singe’. Il s’agissait d’utiliser des sons qui leur étaient familiers. Des battements de cœur de tamarins ont d’abord été utilisés en fond sonore. Puis des cris que le groupe de primates produisait lorsqu’il était agité. Le premier morceau avait un effet apaisant sur l’animal, tandis que le second provoquait colère et excitation.
Au Japon, une étude avait pour sujet un type d’oiseaux originaire du sud-est de l’Asie : le padda de java. Lorsqu’on les confronte à de la musique humaine, ils réagissent généralement plus favorablement à la musique classique (Bach) qu’à la musique moderne (Stravinsky). Selon le professeur responsable de l’expérience Kazutaka Shinozuka de l’université de Keio : “En général, la musique contemporaine comporte beaucoup de dissonance.Ainsi, bien qu’il n’y est pas de preuve directe, les paddas de Java pourraient préférer la musique classique, car elle comporte moins de dissonances”. Les espèces non humaines seraient donc plus sensibles à une musique au rythme harmonieux ou naturel. Toutefois sans qu’il soit vraiment possible de prouver qu’ils éprouvent un réel plaisir à l’écoute. Raison de plus pour faire attention à ce qu’on écoute en présence de son animal de compagnie.
À noter que lorsque l’équipe de Snowdon a joué du Metallica aux tamarins, cela eut un effet apaisant sur eux. Comme quoi tous les goûts (musicaux) sont dans la nature !
Table des matières de l’édition de 1955 du “Guide de la Fagne à l’usage de l’excursionniste et du naturaliste sur le plateau de la Baraque Michel et dans la Région de Hattlich et Reinartzhof” d’Antoine FREYENS, Président des Amis de la Fagne asbl (Marabout à Verviers)
AVANT-PROPOS
AVERTISSEMENT
TERRITOIRE ENVISAGE ET SES LIMITES
PRÉHISTOIRE :
LES SILEX TERTIAIRES
LES VIVIERS DE LA FAGNE
HISTOIRE :
ÉTYMOLOGIE DU MOT “FAGNE”
ANCIENNES FRONTIÈRES
VOIES ANCIENNES
ROUTES MODERNES
CROIX EN FAGNE
BORNES ANCIENNES
MONUMENTS COMMÉMORATIFS RÉCENTS
ARBRES ET BOQUETEAUX REMARQUABLES
INCENDIES MARQUANTS
TROIS HAUTS-LIEUX FAGNARDS
LES QUATRE AUBERGES FAÎTIÈRES
RELIEF
GÉOLOGIE
HYDROLOGIE
CLIMAT
FLORE (étudiée du point de vue des associations végétales)
FAUNE
CONSEILS AUX EXCURSIONNISTES
ITINÉRAIRES COMMENTES
LE TOURISME AUTOMOBILE ET LA FAGNE
LA DÉFENSE DE LA FAGNE
LA FAGNE ET LES ARTS
ANTHOLOGIE
Extrait : Étymologie du mot fange ou fagne
Le mot Fagne, dont l’étymologie le plus généralement admise signifie marais, s’applique en ordre principal aux landes culminantes de la Baraque Michel et de Botrange. Ces fanges ou fagnes reposent communément sur un fond tourbeux qui varie entre 50 cm et 8 m (en Fagne Wallonne notamment).
E. BOISACQ, dans la Revue de l’Université de Bruxelles (mars 1910), assigne au mot Fagne une origine germanique. Fagne dériverait de Fanja que l’on retrouve dans le moyen bas-allemand venne, signifiant prairie marécageuse. En néerlandais, on traduit fagne par veen, et, en allemand moderne, par Venn (das hohe Venn) (id. Carnoy Dictionnaire toponymique des communes belges).
Le mot latin faniae se rencontre pour la première fois dans un document du 6 sept. 670 qui fixe les limites du territoire assigné à St-Remacle, dans les forêts d’Ardennes, par les rois francs Sigebert et Childéric. Elles y sont appelées Faniae ou ipsae Faniae, les fagnes proprement dites, et sont ainsi distinguées des fagnes plus petites et plus basses dont les Ardennes sont parsemées
J. BASTIN et C.-H. DUBOIS
SCHUERMANS, dans son livre sur Spa et les Hautes Fagnes, mentionne même un document émanant de Dagobert (634) et où les formes Fanias, Fangias et Fania figurent déjà.
Le wallon emploie couramment le composé s’èfagni, dans le sens de s’embourber et de fagneter, qui se dit des chevaux appuyant trop en avançant, comme s’ils marchaient dans un marais.
A. Freyens
Extrait : La croix des fiancés
C’est incontestablement la plus connue de toutes. L’odyssée qu’elle rappelle, a inspiré bon nombre de poètes et nourri l’imagination des conteurs. Plantée au bord de la Vèkée, à côté de la borne 151, marquée B (Belgique) et P (Prusse), elle commémore la fin lamentable de deux fiancés, décédés en 1871. Le dimanche 22 janvier de cette année-là, deux fiancés, François Reiff de Bastogne, terrassier travaillant au barrage de la Gileppe, et Marie Solheid de Xhoffraix, servante chez Niezette, à Halloux, quittèrent Jalhay dans l’après-midi, pour se rendre à Xhoffraix où on devait leur délivrer les pièces nécessaires à leur mariage. On les vit partir par le chemin JalhayXhoffraix, luttant contre la fagne enneigée et la tourmente. Puis, pendant deux mois, on fut sans nouvelles ; ce n’est que le 22 mars qu’un douanier allemand découvrit au pied de la borne 151 le corps intact de la jeune servante. Dans son corsage, Francois avait glissé un billet écrit au crayon :, “Marie vient de mourir, et moi, je vais le faire”. Le cadavre du fiancé fut retrouvé non pas à côté de celui de Marie, mais à près d’une demi-lieue de là, vers Solwaster (d’après J. Bastin et Ch. Dubois, H. Lejeune et N. Al. Fauchamps).
A. Freyens
Extrait : Arbres et boqueteaux remarquables
Dans la fagne désolée à l’aspect uniforme, brousse ou taillis vague, les grands arbres ou bouquets d’arbres constituaient avant tout des repères de direction pour le voyageur. On pourrait croire que ces arbres rares, hêtres ou chênes, résultent d’une sélection naturelle, due au hasard, et que ce seraient les chemins qui auraient conformé leur tracé à l’appel de leur silhouette. Mais on les trouve toujours si bien placés le long de tracés si judicieusement choisis, qu’il faut bien conclure à l’intervention humaine pour expliquer leur présence.
Mieux encore. On peut se demander si certains de ces arbres n’ont pas constitué très anciennement des marques de frontière, et si les “forestarii” des premiers dynastes établis sur le plateau n’étaient pas très versés en topographie et arpentage. On remarque, en effet, à l’examen de la carte, et à des distances considérables, certains alignements, par trois ou quatre, d’arbres et d’autres repères, qui ne laissent pas d’être passablement troublants. C’est N. Al. Fauchamps qui fut le premier à s’aviser de ces rapports, à reprendre l’oeuvre fondamentale de Schuermans, et, avec l’appui de ces nouveaux jalons, à proposer au problème ardu de la recherche des anciennes limites d’états, une solution originale et audacieuse, mais logique et attendant toujours réfutation. Les principaux arbres considérés dans ce système sont l’arbre de Rondfahay, le Chêne al bilance, le Rond-Buisson, la rangée de hêtres de la Croix Mockel, le Hêtre Vinbiette.
1. Hêtre Vinbiette
En wallon : Al Winbiètte ou Hêsse Winbiètte. Croissait dans la parcelle 307 des bois de Sart, près de la borne 150, sur le côté gauche de la Vèkée, en direction de la Baraque. Contemporain de la P’tite Hesse et des Treils Hesses, noté par la carte Ferraris, il est cité en 1816, avec la Croix le Prieur et la Fontaine Périgny, comme point de délimitation entre la Prusse et les Pays-Bas. Sous l’ancien régime, ainsi qu’il résulte d’un examen attentif de l’ancienne cartographie, la frontière Liège-Stavelot, partant de la Verdte fontaine (175 m au N. de la fontaine Périgny), divergeait quelque peu vers le Nord par rapport au tracé de 1816, jusqu’à ce qu’arrivée à la grosse Pierre (v. plus haut), elle se fût coudée Sud-Ouest, pour couper la Vèkée moderne, précisément au hêtre Vinbiette et gagner le gué de la Hoëgne (Pont du Centenaire) en divergeant légèrement Sud par rapport à cette vèkée. (N. Al Fauchamps, Chemins anciens, vieilles limites, passim).
Avant la plantation des conifères, les paysans de Hockai et de Baronheid récoltaient du foin (foûr du fagne) dans ses parages et faisaient la méridienne “sub tegmine fagi” comme disait Virgile. En 1936, à la demande des Amis de la Fagne, M. l’inspecteur des Eaux et Forêts de Spa, E. Balon, fit planter un jeune hêtre à l’endroit où se trouvait le vénérable fayard. Hélas ! l’arbre périt deux ans après sa plantation. La tentative est à renouveler. Dans sa lettre au Président des Amis de la Fagne, M. Balon s’exprime ainsi : “Il serait désirable que l’on me désignât tout un programme d’améliorations à apporter pour dégager, mettre en vue, etc., les arbres ou points remarquables dans les bois soumis à ma gestion. Je pourrais ainsi prendre les dispositions et les mesures nécessaires à la sauvegarde de ces points d’esthétique.”
2. Lu p’tite hesse (Le petit hêtRe)
Malheureusement disparu, c’était l’un des principaux repères du haut plateau, comme marquant le grand carrefour du Sicco Campo (directions Eupen, Sourbrodt, Malmedy, Jalhay). On peut situer son emplacement à 300 m NNO de la Pierre à Trois Coins, et environ 100 à l’E. (droite) de la route Botrange-Mont Rigi. (Cfr. J. de W. et N. Al. FAUCHAMPS.).
Il faut noter l’existence d’un hêtre antique appelé lui aussi p’tite Hêsse, près de Xhoffraix. Il abrite une croix en bois portant les lettres C. B. M. et le millésime 1900. C’est M. l’abbé Clément Beckman, ancien curé-doyen de Xhoffraix, qui la fit ériger.
3. Arbre de Rondfahay
Plus connu que le précédent, ce hêtre finit d’agoniser sous l’étreinte implacable des épicéas. Malgré les éclaircissements pratiqués, il a terminé sa carrière. Déjà en 1936, les forestiers ne lui donnaient plus que deux ans à vivre. De fait, il n’en reste déjà plus que des débris.
Il se trouve sur le terrain domanial au bord d’un étroit coupe-feu qui contourne la parcelle 181 du Bois de Rondfahay. Une rangée de jeunes fayards y conduit. L’histoire locale rapporte que l’on rendait la justice sous sa puissante ramure.
Aux abords de ce repère historique et topographique de première valeur se croisaient plusieurs voies anciennes en direction de Solwaster, Jalhay, Hockai (l’embranchement au Nord de la Vèkée), et peut-être Drossart, voire le N. du haut plateau.
4. Les trois hêtres (Les treus hesses)
Ces trois hêtres multiséculaires ont disparu à la fin du siècle dernier, abattus par les habitants de la région. Outré de ce vandalisme, le Rév. Curé Beckmann de Xhoffraix fit replanter trois hêtres dont un seul a survécu, perpétuant ainsi le souvenir de cet intéressant lieu-dit.
L’endroit dit Les Trois Hêtres se situe entre les sources des Trôs Marets et du Bayehon, à mi-distance à peu près entre la grand-route Mont-Mont Rigi et le village de Longfaye. Plantés sur une éminence naturelle, ils étaient visibles de loin et marquaient un carrefour important (ancien chemin de Hockai à Sourbrodt et Malmedy à la Via).
5. Les six Hêtres
Ils se dressent à l’Est de la grande fagne de Longlou, déjà sur le versant de la Hoëgne à 300 m de la crête terminale d’où l’on jouit d’une échappée superbe sur la fagne de Nampîre et la vallée naissante des Trôs Marets. (En wallon : Trô-vallée). En vérité, ces 6 hêtres sont 7. Par arrêté royal de février 1936, ils ont été classés par la Commission Royale des Monuments et des Sites en raison de “leur valeur archéologique, artistique et historique”.
6. Les hêtres de Cokaifagne
On les dénomme parfois les Douze Apôtres. Ce sont peut-être des arbres limites très anciens primitivement (915). Classés par la Commission des Monuments et des Sites, les arbres actuels semblent déjà avoir résisté 3 ou 4 siècles aux tourmentes que leur vaut leur exposition aux rafales d’Ouest. Ils sont situés à Cokaifagne, à droite montant de Sart entre la ferme Philippart et la propriété Cattier. (Cfr. M. JASPAR, Bul. Acad. R. B. juin 1934, N. AL. FAU CHAMPS, loc. cit. passim.)
7. L’arbre de Charlemagne
Ancêtre fameux, il fut abattu en 1909 par un particulier à qui ses branches largement étalées, portaient préjudice en dérobant un peu de lumière au pâturage ! Il croissait à l’endroit dit A Grand Tchamp entre les routes de Baronheid et de Ster (commune de Francorchamps) et fut remplacé, en 1910, par un jeune hêtre planté à 300 m. de là, en direction de Cokaifagne, au bord d’un large chemin. Dans son Glossaire Toponymique, A. Counson écrit qu’il convient de ne pas prendre cette appellation au pied de la lettre, les noms de Charlemagne et de Roland étant souvent appliqués à des localités ou à des monuments qui n’ont rien de commun avec ces illustres personnages !
8. Le rond buisson
Un des plus émouvants sanctuaires sylvestres de la fagne que les planteurs de pesses ont heureusement épargné. Il est situé rive droite de la Soor, 900 m au sud du baraquement de Porfays, à une intersection de coupe-feu. Rien n’est plus agréable que de se recueillir sous l’ombre verte et silencieuse de ces hêtres puissants, aux troncs gigantesques, groupés à une trentaine, en forme d’énorme rond buisson.
9. Le Trouche Baum
A 50 m en bordure N. de la route Sourbrodt-Elsenborn, à l’E. des bâtiments du camp, s’élève à la côte 612, un hêtre rabougri, protégé contre les assauts du vent par un petit massif d’épicéas. Ancien arbre repère, situé exactement sur la faîtière Warche-Roer. Au pied de cet ancêtre, Allemands et Wallons auraient échangé leurs marchandises, d’où lui viendrait son nom (arbre du troc). Suivant B. Willems, dialectologue et historien apprécié de cette région, le mot serait une corruption de “Rusch” (surface rocailleuse). (Ostbelgische Chronik 1.168).
10. Le chêne Fredericq
A l’initiative de l’abbé Bastin et de quatre de ses amis, admirateurs du “Great Old Man”, ce chêne fut planté en novembre 1935, deux mots après la
mort de L. Fredericq. Il remplaça lu P’tite Hêsse de la carte de Ferraris situé à la bifurcation des chemins d’Eupen et de Jalhay. L’arbre provenait de la combe du G’hanster, si souvent fréquentée par le Maître. Il n’a pas survécu.
11. Les trois chênes
Auguste Petit, Louis Pirard, Jean Wisimus : trinité de fagnards, connue de tous les coureurs de brousse. Le premier est mort en 1942. Les deux autres, le Gouverneur honoraire de la Province de Liège (†14.9.48) et l’écrivain wallon réputé († 1953), ont pensé que la meilleure façon de perpétuer le souvenir de leur compagnon de randonnée était de lui dédier un chêne.
La plantation du premier fut faite au printemps de 1943, à l’endroit où la nouvelle route des Rûs (à Solwaster) quitte l’ancien chemin conduisant à la Croix des Tapeux. L’Administration Communale de Sart a pris le Chêne Petit sous sa protection.
12. Le boqueteau Bastin
Au cours de ses recherches sur la Mansuerisca, feu l’Abbé Bastin (t1939), aimait méditer et se reposer au site sauvage de la Fontaine au Pas. Dans ses dernières années, il avait fait part à l’un de ses meilleurs amis de son désir de voir, un jour, son nom associé à celui d’un arbre ou d’un boqueteau. Par la suite, cet ami, M. Jarbinet, professeur d’Athénée à Malmedy, fit part de cette confidence aux Amis de la Fagne qui décidèrent de satisfaire à ce vœu et de choisir l’endroit que le grand disparu eut certes élu lui-même.
Déjà mûr en mai 1940, le projet ne put être mis à exécution qu’en octobre 1947. D’accord et grâce aux bons soins de l’Administration forestière, un boqueteau de hêtres fut planté par les AF eux-mêmes et solennellement inauguré au cours de la journée de la Fagne du 13 juin 1948. Las, cette plantation fut détruite par les intempéries et son remplacement doit s’effectuer !
13. Les sept frères de Gospinal
Quoique non situés en Fagne même, mais dans sa périphérie immédiate, ces arbres, des chênes soudés à la base, sont assez connus pour mériter une mention spéciale. Ils étalent leurs frondaisons majestueuses en face de la maison forestière de Gospinal. L’appellation de “frères” leur convient à merveille. Ils proviennent, en effet, d’une souche unique et ne sont que les rejetons développés d’une cépée. Le cas est fréquent. Observez, un an après la coupe d’un taillis, les jeunes pousses issues d’une souche de bouleau, par exemple. La famille de Gospinal parait âgée de plus d’un siècle.
14. Lu bouhon do leup
C’est un bouquet de hêtres en Fagne Wallonne, entre Botrange et Sourbrodt, sur la rive droite de la petite Roer. On les appelle également: Hêsses del Prandj’lâye (de Prandj’ler – prandjîre) ou Hêtres de la sieste (de la méridienne), parce qu’autrefois les bergers ramenaient les moutons à l’heure du dîner, sous ce frais ombrage. Ils forment trois groupes, autant qu’il y avait de herdes dans nos villages (moutons, vaches et bouvillons).
Sous l’un d’eux se dresse une pierre triangulaire posée par l’Etat-Major allemand et marquée T. P. (Trigonometrischer Punkt).
15. Le chêne Al Bilance
C’est un chêne multiséculaire, situé en Fagne de Richehomme, sur l’ancienne voie Limbourg-Stavelot. C’est à ses branches que s’exécutaient les sentences des Hautes Œuvres de la Cour de Justice de Sart. Son nom rappelle peut-être l’existence à cet endroit d’un ancien poste de tonlieu (douane). Espérons que le dangereux voisinage du champ d’aviation, en bordure duquel il se trouve, ne raccourcira pas les vieux jours de ce vénérable et robuste ancêtre.
16. Les genévrières
Nous serions incomplet si nous ne consacrions quelques lignes au Juniperus communis, cette jolie cupressinée qui tend à disparaître, étouffée par les plantations de résineux. Les plus belles colonies de genévriers se situent :
en Haute Hasse, dans la propriété de M. le Chevalier de Laminne de Bex. D’une superficie de cinquante ares, cette genévrière ne risque point d’être asphyxiée, les épicéas s’en écartant notablement. Les fagnards l’ont dénommée “Le Paradou”, tant elle donne l’impression de sauvagerie, d’abandon calme et paisible ;
à Bérinsenne, à quelque 250 m. de la Croix du Sr Collonel, en direction de Cour. Belle famille d’arbrisseaux, beaucoup moins imposante que celle de Hasse ;
à Banneux, à gauche et à droite de l’ancienne limite Liège-Stavelot. Grâce aux soins diligents de l’Administration des Eaux et Forêts et à l’invitation des A. F., ces genévriers prospèrent admirablement et constitueront bientôt un fort bel ensemble.
A cette liste déjà longue on pourrait ajouter les noms d’arbres, chênes et hêtres, sans intérêt historique peut-être, mais dont le port majestueux ou les formes souffreteuses arrêtent le regard et forcent l’admiration (Hêsse dol ronde djèbe, Hêsse do p’tit Oneux, etc.).
Les hêtres des Stokais, le Chêne as Wez caw (Plain Fays) et le fayard proche Bérinsenne sont dans ce cas. Il conviendrait de les entourer de sollicitude. Après les coupes à blanc des épicéas ou l’abattage des taillis, ils se dresseront toujours, repères stoïques et précieux.
Qu’on nous permette également une suggestion : l’Etat, les communes ou les particuliers ne pourraient-ils consentir à laisser quelques témoins, voire
un seul, lors de coupes effectuées. Le temps aidant, ces feuillus ou ces épicéas échappés à la cognée du bûcheron prendraient des proportions respectables et constitueraient autant d’indicateurs naturels des plus efficaces.
A. Freyens
Initiative : Les Amis de la Fagne a.s.b.l.
[AMISDELAFAGNE.BE] C’est en 1935 qu’un petit groupe de fagnards enthousiastes, Antoine Freyens – président fondateur-, Jean Leroy, René de Moreau de Gerbehaye et Fernand Heuze ont créé l’A.S.B.L. Les Amis de la Fagne. Cette nouvelle société venait concrétiser officiellement un vaste mouvement d’opinion amorcé quelques années auparavant par les précurseurs, des scientifiques, comme le Pr Léon Fredericq, ou simplement des poètes et amoureux de la nature, comme Albert Bonjean.
Le but premier des “Amis de la Fagne“, la création d’une Réserve naturelle, paraissait à portée de main en 1939 lorsque la deuxième guerre mondiale interrompit le processus. Cependant, dès la fin des combats armés, “Les Amis de la Fagne” reprenaient leur lutte pacifique mais résolue contre les dégradations du milieu fagnard, en particulier contre les enrésinements massifs, accompagnés de drainages qui saignaient, l’une après l’autre, les étendues tourbeuses.
Cette croisade en faveur des hauts marais, dont la valeur biologique et paysagère n’était pas encore unanimement reconnue, fut émaillée, au fil des années, de vives controverses et de campagnes animées concernant des sujets âprement débattus. Certes, “les Amis de la Fagne” n’ont pas remporté toutes leurs batailles, mais ils ont obtenu des succès souvent décisifs pour l’avenir et la pérennité du Haut Plateau.
Au début des années cinquante, leur action s’est concentrée non seulement contre les monocultures d’épicéas, mais aussi contre l’aberrant projet d’installation d’une vingtaine de fermes dans les fagnes jalhaitoises. La confiscation pour ce faire de quelque 220 hectares de landes – aujourd’hui rendues à la Réserve naturelle, mais néanmoins fortement altérées – a déchaîné un tel élan de protestation qu’enfin les autorités gouvernementales de l’époque décidèrent la création, en 1957, d’une première “Réserve Nationale”, avec son équivalent en Flandres, au Westhoek.
C’était un beau succès mais nettement insuffisant. “Les Amis de la Fagne” ont donc continué à revendiquer la mise sous statut de protection de beaucoup d’autres espaces tourbeux, et ont eux-mêmes montré l’exemple en “sauvant” par des contrats de “non faciendi” payés aux communes propriétaires, la Fagne de Cléfay, puis celles du Setay, du Neur Lowé, du Fraineu, du Stoel…
Progressivement, dans les années 70, la Réserve initiale s’est agrandie et la plupart des sites dont “les Amis de la Fagne” réclamaient la protection y ont été intégrés, notamment les “fagnes de l’Est”, c’est-à-dire essentiellement la Brackvennet le bassin des sources de la Getz et de la Vesdre, entre Eupen et la frontière allemande.
Simultanément, “Les Amis de la Fagne” ont été les pionniers dans les travaux de restauration des tourbières. Sous le regard condescendant des “experts” de l’époque, ils se sont attaqués, de leurs mains, avec la seule force de leur enthousiasme, à une tâche énorme : le colmatage des drains qui, dans la toute jeune réserve naturelle, continuaient d’assécher les zones tourbeuses. Des milliers de petits barrages ont ainsi été construits par les équipes de bénévoles, et ces opérations se poursuivent aujourd’hui encore sous d’autres formes, essentiellement par des travaux d’élimination des semis éoliens d’épicéas dans les zones protégées.
Enfin le vent commençait à tourner dans les sphères officielles. Un Parc Naturel (Hautes Fagnes – Eifel), englobant les nouvelles réserves, vint à l’ordre du jour dans les années 60. Et peu à peu, la politique forestière, dont les responsables prenaient enfin conscience de l’hérésie du “tout épicéa”, effectuait un virage progressif mais radical, qui a débouché aujourd’hui sur des pratiques nettement plus conformes aux exigences écologiques.
Dans un passé plus récent, “Les Amis de la Fagne“, continuant à veiller jalousement sur l’intégrité du Haut Plateau, se sont engagés dans d’autres batailles, s’opposant par exemple avec succès à une extension du champ de tir militaire d’Elsenborn qui, au début des années 90, menaçait de saccager tout le bassin de la Schwalm.
Avec d’autres sociétés de protection de la nature, ils ont par ailleurs obtenu le détournement du tracé du RAVEL dans la vallée de la Rur, pour sauvegarder les sites de nidifications d’un oiseau rare et en danger partout en Europe, le tarier des prés.
Aujourd’hui encore, “Les Amis de la Fagne” se mobilisent pour la défense de la biodiversité partout où des actions s’imposent ; aussi ont-ils constamment apporté leur appui et leur participation aux remarquables projets “LIFE“, initiatives européennes dans le cadre de la campagne “NATURA 2000” qui ont permis de restaurer des landes et des tourbières avec des moyens financiers et techniques sans précédent. En même temps, ils s’efforcent de maintenir un juste équilibre entre la protection des sites et les possibilités pour le public de les admirer, fut-ce au prix d’une réglementation plus stricte, comme dans les zones “C” de la réserve, particulièrement fragiles.
En complément de leur action aux côtés des gestionnaires forestiers, “Les Amis de la Fagne” pratiquent une politique d’acquisition de terrains tourbeux, achetés grâce aux dons de leurs membres et qu’ils gèrent en tant que “Réserves Naturelles Agréées“, notamment dans les vallées des Tros Marets et de l’Eau Rouge.
En ce début du XXIe siècle, “Les Amis de la Fagne“, tout en étant donc une des plus anciennes associations de protection de la nature de Belgique, restent activement sur la brèche : sentinelles vigilantes de l’évolution des Hautes Fagnes, confrontés, avec les gestionnaires, à de nouveaux défis, tels que l’envahissement d’un tourisme de masse, ou tout simplement les conséquences du réchauffement climatique sur la flore et la faune, ils demeurent les “experts es fagnes” sur tous les fronts où se joue l’avenir du plateau tourbeux, en particulier dans la perspective du suivi des sites Natura 2000.
Plusieurs exemplaires du Guide de la Fagne (souvent réédité) sont disponibles dans la bibliothèque des Amis de la Fagne à Petit-Rechain (Verviers, BE).
[NOTRENATURE.BE, 11 juin 2022] Nous en sommes sûrs depuis l’automne 2020 : un lynx rôde dans la vallée de la Semois, une immense zone de nature sauvage en Ardenne belge. Depuis lors, il a régulièrement été filmé par des pièges photographiques du DNF, même si ce grand félin a considérablement moins fait la une que nos meutes de loups. En plus d’être timide devant l’objectif, notre “fantôme des bois” semble aussi frileux envers les médias, mais comme les bébés lynx se font attendre, nous avions moins de choses à raconter sur cet animal mystérieux. À moins de poser la question à Corentin Rousseau, conservation manager au WWF et véritable connaisseur du lynx boréal.
Que savons-nous exactement sur le lynx wallon ?
Corentin Rousseau : “Nous pouvons dire avec certitude qu’il s’agit d’un individu mâle qui trouve la région suffisamment à son goût pour s’y installer durablement. Nous le savons via des analyses ADN. Les lynx sont très difficiles à observer, mais des leurres végétaux que le DNF a disposés sur des arbres situés à des endroits stratégiques ont permis de filmer le lynx en train de se frotter contre un arbre. Ils ont récolté de l’ADN à partir des poils qu’il a perdus et celui-ci contient une véritable mine d’informations sur l’animal.“
Ont-ils réussi à déterminer la provenance du lynx ?
Corentin : “Notre lynx wallon présente visiblement les gènes de la sous-espèce Lynx lynx carpathicus, une sous-espèce également présente dans les pays voisins. Durant les cinq années précédentes, l’Allemagne a mis en place un programme de réintroduction du lynx, et 20 lynx bagués de cette sous-espèce ont été relâchés. Nous savons que les animaux réintroduits ne restent pas nécessairement à l’endroit où ils ont été relâchés, mais le lynx belge ne porte pas d’émetteur GPS. Il doit donc s’agir d’un descendant des lynx allemands et nous sommes pratiquement certains qu’il est né dans la forêt palatine, dans le sud-ouest de l’Allemagne.“
Ce n’est pas très loin de chez nous. Les lynx préfèrent-ils rester près de leur lieu d’origine ?
Corentin : “Oui. Nous sommes tellement habitués aux histoires de jeunes loups qui peuvent facilement parcourir plus de 1000 kilomètres pour chercher leur propre territoire que nous oublions que d’autres prédateurs ont des habitudes différentes. Les lynx ne parcourent pas de longues distances au cours de leur vie. Les femelles cherchent un territoire situé entre 20 et 60 km de leur lieu de naissance, tandis que les mâles peuvent se déplacer de 100 à 200 km. Il n’est donc pas surprenant que le premier individu repéré dans notre pays soit un mâle. La forêt palatine est la région la plus proche où des lynx ont élu domicile à l’étranger, mais elle se trouve tout de même à 150 km de l’Ardenne.“
Y a-t-il des chances qu’une femelle arrive également dans la vallée de la Semois ?
Corentin : “Très peu. Il y a plus de chances qu’un second mâle arrive dans notre pays. Les lynx sont plutôt solitaires, ils ne forment pas de meutes comme les loups et ne se rapprochent que pour s’accoupler. Il faudrait donc que nous ayons assez de place pour que deux mâles puissent vivre côte à côte, car leurs territoires – qui mesurent facilement 300 kilomètres carrés – ne doivent pas se chevaucher. Les femelles défendent un territoire plus petit qui peut partiellement correspondre avec celui d’un mâle.“
Si le lynx ne trouve pas de femelle avec le temps, va-t-il repartir ?
Corentin : “C’est peu probable, car il peut en soi parfaitement survivre en solitaire. À ma connaissance, il n’y a eu qu’un seul cas documenté de lynx mâle allemand qui est retourné vers son lieu d’origine après des années de solitude, et nous supposons qu’il s’agit d’un cas très rare. Tant que le lynx trouve un habitat de qualité ici – et la vallée de la Semois répond parfaitement à ses exigences avec ses forêts aux milieux ouverts, ses pentes rocheuses abruptes, ses nombreux chevreuils et ses zones calmes pour se retirer – il peut très bien vivre en célibataire heureux.“
Prévoyez-vous de réintroduire une femelle en Ardenne belge ?
Corentin : “Nous y avons pensé, mais avant d’agir, nous devons avoir des réponses à quelques questions cruciales concernant les chances de survie d’une population de lynx. Nous devons d’abord savoir si notre pays abrite effectivement assez de place pour une population viable. Cela n’aurait pas de sens de relâcher 5 lynx si notre nature n’a pas de place pour plus d’individus. Une population viable compte au moins 20 à 30 lynx et nous devons être capables de leur fournir un territoire totalement adapté. Ensuite, nous voulons étudier la connectivité de nos zones naturelles. Les loups ne rechignent pas à traverser les routes et ne se laissent pas intimider par les structures humaines. Les lynx se sentent moins à l’aise dans un paysage fragmenté et ont besoin de connexions naturelles qui relient les différentes zones naturelles. Ces structures profitent à de nombreux autres organismes, et l’augmentation de la connectivité est un plus pour la biodiversité à tout point de vue.“
Et la société ? Sommes-nous prêts à accueillir plus de lynx ?
Corentin : “C’est aussi une question à laquelle il faut une réponse. Toutes les parties sont-elles prêtes à cohabiter avec cette espèce si particulière ? Cependant, il est généralement plus facile de cohabiter avec le lynx qu’avec le loup. Il ne se laisse pas souvent observer ; la plupart du temps, les gens ne savent même pas qu’ils vivent à proximité de ce grand félin. Il serait faux de dire que les lynx n’attaquent jamais les moutons, mais c’est très rare. De plus, un lynx ne prélève qu’un (ou maximum deux) exemplaire(s), alors que les loups peuvent créer un champ de bataille dans la panique. Tous les efforts mis en place pour tenir les loups à distance des moutons fonctionnent aussi avec les lynx. Je ne pense pas que nous rencontrerons beaucoup de résistance à ce niveau-là.“
Quelles actions mettez-vous en place pour le lynx ?
Corentin : “Nous étudions les endroits adaptés pour devenir des habitats potentiels avec une équipe scientifique et nous les répartissons en trois catégories : parfaits, bons et moyens. Nous sommes attentifs aux améliorations potentielles que nous pourrions apporter à chaque endroit. Nous pouvons ainsi rendre ces habitats plus attrayants – par exemple en laissant de la place aux buissons dans les forêts – mais il est peut-être encore plus important de s’attaquer à la connectivité en priorité. Pouvons-nous donner un coup de boost au lynx en reliant la forêt palatine à l’Ardenne ? Les blaireaux, chevreuils, cerfs élaphes, chauves-souris et bien d’autres espèces bénéficieraient également de cette mesure. Le fait qu’un lynx mâle soit arrivé jusqu’ici et ait décidé de s’installer est déjà merveilleux, mais l’histoire du lynx belge est loin d’être terminée !“
Dormir en un bloc de 8 heures n’a pas toujours été la norme. Grâce à la découverte fortuite d’un historien, on sait qu’avant la révolution industrielle, le sommeil était entrecoupé d’une pause vers minuit.
Vous vous réveillez parfois la nuit ? Pas d’inquiétude : ce serait “normal” non pas d’un point de vue physiologique mais historique, selon l’historien américain Roger Ekirch. “Les gens allaient au lit vers 21h ou 22h, se réveillaient après minuit, pour une heure environ, et ensuite se recouchaient”, détaille le chercheur rattaché à l’Université Virginia Tech.
Que faisait-on durant cette pause ? “Quasi tout ce qu’on peut imaginer”, résume-t-il. Rester au lit, prier, s’occuper des tâches domestiques, entretenir le feu, prendre soin du bétail, s’occuper d’un enfant malade. “Plusieurs médecins étaient d’avis que c’était un moment de premier choix pour avoir des relations sexuelles”, observe l’historien. Pendant longtemps, on a pourtant dormi à plusieurs, jusqu’à toute une famille, dans le même lit. Autre temps, autres mœurs.
Découverte fortuite
On médite aussi sur le contenu des rêves encore frais, qui sont perçus comme un chemin d’accès à la connaissance de soi ; c’est d’ailleurs après la disparition du sommeil biphasique que se développera la psychanalyse.
Comme beaucoup de découvertes, celle-ci s’est faite par hasard, à Londres dans les années 1990. Roger Elkirch cherchait des actes juridiques dans les archives nationales à Londres. L’historien tombe alors sur des références à un “premier sommeil” et à un “deuxième sommeil”. “Ce qui m’a étonné, c’était la façon familière dont les gens faisaient référence à cette façon de dormir, comme si cela leur était tout à fait normal”, situe l’auteur de La grande transformation du sommeil.
Depuis la nuit des temps ?
En tout, il trouvera 2000 références similaires dans des écrits juridiques et de fiction, et pas des moindres : chez Érasme, chez le philosophe Plutarque, l’historien Tite-Live et dans l‘Odyssée d’Homère. Le tout dans différentes langues : “premier somme”, “primo sonno“, ou encore “morning sleep”.
Ces mentions, sous nos yeux depuis des siècles, avaient été selon lui ignorées ou mal interprétées : on prenait les termes de “premier somme” comme la phase initiale de l’endormissement, un synonyme de “sommeil léger“. Lorsque le bloc continu de huit heures est devenu la norme, on oublia aussi le souvenir du sommeil biphasique, qui fut pourtant la norme en Occident pendant une éternité, et jusqu’à il y a pas si longtemps.
Le rôle clé de l’éclairage artificiel
Au XIXe siècle, ce schéma en deux cycles évolue à cause de la révolution industrielle, période de fort progrès économique, qui a deux effets majeurs. L’apparition de l’éclairage artificiel augmente la durée de luminosité quotidienne, d’abord avec l’apparition des lampes à gaz puis de l’électricité. À Paris, les premiers réverbères sont installés en 1820 ; on en compte 56 000 en 1860. L’horloge biologique va donc s’adapter.
La deuxième conséquence de cette période, c’est que les mentalités vont changer. “La conséquence culturelle est que les valeurs associées à la révolution industrielle mettent en avant l’importance de l’efficacité, de la ponctualité, explique Roger Ekirch. La société devient beaucoup plus soucieuse du temps.”
Petit à petit, on s’affranchit des conseils des médecins, qui recommandaient jusque là un sommeil en deux segments. L’avènement des loisirs, du moins dans un cadre citadin et privilégié, retarde le coucher et allonge le premier somme. La nuit, période de criminalité, devient moins obscure alors que la police se professionnalise. Plus besoin de se réveiller pour parer à un risque d’intrusion de prédateurs, réflexe datant de la préhistoire selon des anthropologues. “Pardonnez-moi de rappeler que cette transformation ne s’est pas faite du jour au lendemain ! ironise l’historien. Ce fut lent, irrégulier, mais vers la fin du XIXe siècle, c’était devenu la nouvelle normalité.”
Biphasique ou continu : qu’est-ce qu’un sommeil “naturel” ?
Le sommeil biphasique persiste pourtant dans des cultures non occidentales moins exposées à la lumière artificielle, selon des enquêtes de la fin du XIXe siècle : chez des Marrons du Suriname ou dans une communauté de fermiers Tivs du Nigeria.
Dans les années 1990, une étude est menée aux États-Unis, sous l’égide du chercheur Thomas Wehr du National Institute of Mental Health : une quinzaine de sujets sont privés d’éclairage naturel pour observer l’évolution de leur sommeil. Celui-ci devient biphasique au bout de 3 semaines. “J’ai entendu parler de ça pour la première fois en lisant le New York Times, en décembre 1995, se souvient l’historien. Il se trouve que j’étais en train de surfer sur Internet à minuit ! Et j’étais époustouflé de lire ces recherches plusieurs années avant, qui semblaient recouper les miennes.”
Le même constat est obtenu en 2017 en étudiant le sommeil des habitants d’un village agraire sans électricité de Madagascar. D’autres études récentes observent en revanche un sommeil continu dans des cultures pré-industrielles, en Afrique et en Amérique du Sud.
Conclusion : difficile de dire s’il y a aujourd’hui un sommeil “normal”, ce qui pourrait rassurer les insomniaques, nombreux à contacter Roger Ekirch avec inquiétude, de son propre aveu : “D’un point de vue historique, ils ne vivent probablement pas un trouble du sommeil, mais plutôt une résurgence très forte de cette forme de sommeil ancestrale qui a longtemps dominé dans le monde occidental.”
[FRANCECULTURE.FR, 10 février 2022] Qu’est-ce que la violence ? Les Hommes ont-ils toujours fait la guerre ? Toutes les violences sont-elles comparables ? Quelles sont ses origines naturelles ? C’est un débat vieux comme le monde, vieux comme l’humanité pourrait-on dire : la violence est-elle consubstantielle de l’espèce humaine, ou l’espèce humaine est-elle devenue violente à force de vivre en société. Ou : l’être humain est-il naturellement pacifique ou violent ? Qui de Hobbes ou Rousseau a vu juste ? Sommes-nous la seule espèce animale à faire la guerre ? A appliquer de la violence létale contre nos congénères ? Ce débat philosophique avance aujourd’hui grâce à l’archéologie, et à la paléoanthropologie, à l’ethnologie, petit à petit, indice après indice, plusieurs chercheurs essayent de reconstituer, dans un ouvrage collectif, ce qui serait une “histoire naturelle de la violence”…
Le court-métrage suivant fait la promotion du manifeste publié par le Muséum d’histoire naturelle français : il donne la fessée à beaucoup de préjugés… en moins de huit minutes. Profitez-en :
[MNHN.FR] En écho aux débats actuels autour de la violence, le manifeste Histoire naturelle de la violence convoque des spécialistes de la biologie, du comportement animal et des sciences humaines pour interroger les expressions et les causes de la violence dans la nature et dans les sociétés humaines. Un regard scientifique distancé qui ne vise pas à imposer des jugements et des règles, mais à comprendre les mécanismes en jeu.
Agression, intimidation, contrainte ou mise à mort ont cours au sein de nombreuses espèces, entre congénères. Ces formes de violence présentent une fonction commune : conquête ou préservation de territoires et de ressources, lutte pour la procréation, protection de la progéniture ou du groupe.
Chez les animaux comme chez les humains, la violence peut participer à l’organisation sociale. Un individu ou des groupes dominants font baisser le niveau moyen d’agressions mutuelles par le maintien d’une hiérarchie. Ainsi, le Gorille dos argenté met fin aux querelles individuelles en menaçant les protagonistes.
La ritualisation de la violence permet de la mettre en scène (par exemple lors de parades d’intimidation sans échanges de coups) tout en participant à son contrôle. Chez les humains, elle contribue par ailleurs à certains rites d’intégration qui favorisent la cohésion interne.
Dans une société humaine, cette violence à usage social peut aussi être symbolique et institutionnalisée. Et quelle que soit sa forme, les membres concernés s’y soumettent généralement pour pérenniser l’organisation globale et parfois même l’intériorisent.
La guerre, observée y compris chez des chimpanzés, partage cette fonction unificatrice. Elle aide en outre à canaliser la violence hors de la société. En Europe, le désarmement des populations lors de la naissance des États, la pénalisation des violences et des homicides domestiques, ont drastiquement réduit les violences létales civiles tandis que celles-ci se déportaient sur des guerres externes contrôlées par les États.
Ainsi, si les humains comptent à la fois parmi les espèces qui se tuent le plus entre eux (avec les primates, les rongeurs et les carnivores), ils sont aussi ceux qui ont le plus diminué cette violence létale depuis leurs origines.
Autre fait commun aux primates dont nous faisons partie : la violence s’hérite. Elle est entretenue par l’imitation de modèles agressifs — famille ou pairs —, en particulier s’ils sont valorisés au sein du groupe. À plus grande échelle temporelle, la violence s’hérite au cours de la généalogie des mammifères : plus une espèce a des taux de violence létale ancestraux élevés, plus elle a de chances de pratiquer cette violence létale (marmottes, loups, chimpanzés, humains…).
Des contextes spécifiques favorisent par ailleurs la violence, par exemple une pression démographique ou environnementale entraînant une raréfaction de ressources alimentaires ou des territoires. Chez les humains, s’ajoutent les inégalités sociales et économiques, causes de pauvreté et de frustrations. Les pays où les inégalités économiques sont les plus fortes sont aussi ceux où les agressions mortelles sont les plus élevées.
L’appréciation de la violence dépend ainsi de nombreux facteurs, en particulier du point de vue selon lequel elle est observée et de son contexte. Du point de vue anthropologique, la violence se définit toutefois par des atteintes au corps, à la personne, à la dignité et aux valeurs.
Son degré d’acceptabilité est régulé par des codes. Les individus de chaque société en fixent ainsi les limites permettant de vivre ensemble. S’il revient à l’Histoire naturelle et à la science en général d’expliquer la violence, et non de la juger, il revient aux sociétés de la canaliser.
[RELIEFEDITIONS.COM] Le Muséum national d’histoire naturelle français et Reliefs Éditions publient le Manifeste du Muséum. Histoire naturelle de la violence, un ouvrage bilingue signé par un collectif d’auteurs qui convoque différentes disciplines scientifiques afin de disposer d’une grille d’analyse scientifique fondée et d’interroger l’essence même de la violence.
Paradoxalement, malgré un ressenti généralisé de vivre dans un monde violent, le niveau de violence civile en Europe de l’Ouest n’a jamais été aussi bas depuis bien des siècles. Toutes les violences sont-elles comparables ? Qu’est-ce que la violence ? Quelles sont ses origines naturelles ? Ce document est établi par un comité constitué en 2021 à l’initiative de Bruno David, président du Muséum d’histoire naturelle (MNHN), paléontologue et biologiste. Il collabore avec des organismes internationaux, est invité à de nombreux colloques scientifiques et est très impliqué dans la diffusion en direction du grand public.
Les auteurs de ce Manifeste sont : Laurent Begue-Shankland (professeur de psychologie sociale), Caroline Gilbert (éthologue), Caroline Guibet-Lafaye (sociologue), Guillaume Lecointre (zoologiste et systématicien), Shelly Masi (éco-anthropologue), Robert Muchembled (historien), Marylène Patou-Mathis (préhistorienne), Charles-Edouard de Suremain (ethnologue).
Réfractaires au train-train du quotidien, ils ont décidé de faire couple, mais pas toit, commun. Une formule qui séduit de plus en plus d’amoureux de tous âges, dans une société où l’on veut choisir sa formule du bonheur à la carte
En Grande-Bretagne, on les surnomme les LAT, pour Living Apart Together (ensemble mais vivant séparément) et ils sont 10% à opter pour le couple à temps partiel. En France, une étude récente de l’Institut national d’études démographiques (Ined) indique qu’ils sont 1,2 million d’amoureux non cohabitant. En Suisse, aucun recensement, mais Marie-Paule Thomas, sociologue-urbaniste et cheffe de projet chez iConsulting, affirme que le phénomène se développe aussi, “du fait du taux de natalité encore plus bas qu’en France, qui accentue le désir d’épanouissement personnel au détriment de la vie à deux. Les ménages familiaux représentaient 36% en 1990, et 32% en 2016.”
Et moins on a d’enfants qui contraignent à la vie commune, plus on peut choisir sa formule amoureuse à la carte… C’est le cas de Juliette, 43 ans, en couple avec André depuis bientôt dix ans, mais sans qu’aucun ait jamais voulu emménager chez l’autre. “Il a déjà eu une expérience familiale et ça lui suffit. Ce qui me convient car j’ai aussi vécu une relation asphyxiée par le quotidien, avec un homme qui ne voulait pas d’enfant. C’était douloureux, mais depuis que j’ai fait mon deuil de la maternité, j’invente un amour différent avec André. On voyage beaucoup, et ce sont les moments où l’on passe le plus de temps ensemble. Sinon, on se voit surtout le week-end, pour parler des heures et partager notre passion commune: la bouffe !”
S’engager autrement
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Helena Bonham Carter et Tim Burton étaient des couples LAT à l’avant-garde, quand la norme sociale imposait encore de quitter le foyer familial pour foncer en créer un autre, dans une répétition immuable. Au XXIe siècle, alors que les modèles sont devenus multiples, chacun gère l’amour selon sa propre définition de l’épanouissement personnel. On peut même être un couple passionnément amoureux, avec un jeune bébé, mais vivre dans des villas à 45 minutes de distance.
C’est le cas de la starlette américaine Kylie Jenner, 20 ans, et du rappeur Travis Scott, 25 ans. “Parce qu’elles savent qu’un mariage sur deux finit en divorce, les jeunes générations ont moins envie d’engagement que les précédentes, ou de s’engager autrement, constate Marie-Paule Thomas. D’autant plus que dans les modes de vie contemporains, l’individualisme prime. Chacun veut conserver les activités qui lui font du bien, et l’amour idéal s’envisage comme un partage des plaisirs, mais pas des tâches ingrates qui mettent la pression sur le couple. Résultat: on case sa relation dans un agenda déjà plein, entre le yoga du mardi, la soirée des amis le vendredi, le coucher tôt du dimanche pour être en forme au bureau le lendemain…”
Parce qu’elles savent qu’un mariage sur deux finit en divorce, les jeunes générations ont moins envie d’engagement que les précédentes, ou de s’engager autrement
Selon l’étude de l’Ined, les couples LAT se croisent essentiellement dans les grandes villes, et parmi les cadres, qui “ont moins de contraintes économiques, une plus grande aspiration à une certaine forme d’indépendance et investissent davantage dans leur carrière”. Deux tranches d’âge sont très friandes de cet amour sans contraintes: les vingtenaires et les seniors. “Un tiers des LAT a la vingtaine”, observe le sociologue Christophe Giraud, auteur de L’Amour réaliste. La nouvelle expérience amoureuse des jeunes femmes (Ed. Armand Colin). “Cette forme de relation à cette période de la vie est particulièrement attrayante car pour beaucoup, l’amour a perdu de son évidence et l’on préfère se tester longuement avant de signer un bail commun. C’est une période vécue très positivement, mais qui n’a pas vocation à durer car l’ambition reste pour la majorité de faire des enfants, et peu de personnes défendent encore l’idée de fonder une famille chacun chez soi. Le couple LAT est seulement une façon plus lente et progressive de se mettre en couple.”
Loin des yeux…
Chez les plus de 50 ans, par contre, où le nombre de divorces a été multiplié par deux en dix ans, le grand amour deux ou trois soirs par semaine devient un véritable idéal de vie, alors qu’on estime s’être déjà suffisamment disputés sur qui doit descendre la poubelle… “Là, c’est un choix de liberté sur le long terme, poursuit Christophe Giraud. Surtout auprès des femmes, car il y a une dimension féministe, avec la volonté d’affirmer son indépendance, en se protégeant des contraintes domestiques où l’on a déjà beaucoup donné… Et elles sont ravies de segmenter leur vie, en dissociant leurs relations: d’un côté, le fiancé avec qui partager seulement des loisirs, de l’autre, les amis, le travail, les passions personnelles, etc. On arrive à des existences où plus rien ne se mélange et ça, c’est très nouveau.”
Parfois plus compliqué, aussi… Car retrouver le grand amour alors qu’on a déjà une vie dense et épanouissante, et surtout des enfants pas encore autonomes, n’est pas exempt de contraintes si l’on choisit l’option LAT. Il y a un an, Valérie, 45 ans et mère d’une fille de 12 ans, est tombée amoureuse de Paul, père d’un fils de 16 ans. Chacun propriétaire d’un appartement dont il rembourse encore le crédit, ils ont décidé de garder leurs nids respectifs. “Ça a été le coup de foudre, mais on ne peut pas emménager ensemble car nos vies sont trop équilibrées pour tout chambouler, explique-t-elle. Au début, on s’est dit qu’on allait inventer autre chose. Mais au bout d’un an, je n’arrive pas à voir ce que c’est. Avec nos quotidiens déjà soutenus, on peut passer trois semaines sans se voir. C’est frustrant. Et chaque fois qu’il y a un malentendu, tout prend des proportions énormes. Parce qu’en vivant avec quelqu’un, on ne peut pas bouder des semaines: la promiscuité impose de faire des efforts et de discuter. Alors que là, on peut se dire: il me saoule, et l’ignorer un mois. Ça fragilise la relation.”
Modèle d’avenir
Selon l’Ined, d’ailleurs, les couples LAT sont plus précaires, et 46% des amoureux non cohabitant suivis durant l’enquête étaient séparés trois ans plus tard, alors que 94% des couples vivant sous le même toit étaient toujours ensemble. Le quart des couples LAT avaient également fini par craquer et emménagé ensemble.
Et pourtant, Marie-Paule Thomas voit ces couples sans boîte aux lettres commune se développer de plus en plus à l’avenir: “A une époque, on se mettait en couple à 25 ans, on avait déjà des enfants à 30, etc. Maintenant, l’âge ne définit plus le moment de sa vie. On peut faire son premier enfant à 45 ans, ou toujours faire la fête à cet âge-là. Car chacun veut choisir sa vie avec le moins de contraintes possibles. Et comme on a désormais plusieurs vies amoureuses, on expérimente un jour ou l’autre le couple LAT. On en voit même qui préfèrent vivre en coloc, et former un couple stable, mais à l’extérieur. Après tout, une coloc, c’est déjà comme une famille…” [d’après LETEMPS.CH]
[LIBERATION.FR, 26 septembre 2018] PMA pour les lesbiennes et les célibataires, levée de l’anonymat pour les donneurs, GPA, droit à mourir : l’anthropologue Maurice GODELIER, spécialiste de la parenté, rappelle que la nature de l’homme est de transformer son existence et de se faire toujours autre. Ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux lesbiennes et femmes célibataires, levée de l’anonymat des donneurs : dans son avis préalable à la révision de la loi bioéthique, rendu public mardi [en 2018], le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) pourrait initier une rupture, un tournant dans les histoires familiales à venir. Ces propositions ne sont, pour l’instant, qu’un avis. Le débat public et politique va durer plusieurs mois et in fine, le politique décidera (le projet de loi bioéthique doit être examiné au 1er trimestre 2019 à l’Assemblée nationale). Dans la longue histoire de la parenté et de la filiation, que penser de ce nouveau droit que l’on donnerait aux femmes de procréer sans père ? Pourquoi une telle nécessité à connaître ses origines quand on est né d’un donneur anonyme ? Anthropologue, spécialiste de la parenté, Maurice Godelier travaille sur les grands invariants qui structurent nos vies et nos imaginaires : famille, religion, Etat. Formé auprès de Lévi-Strauss, marqué par le marxisme et le structuralisme, il a, comme anthropologue, longuement vécu au sein de la société baruya, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Tout au long de ses travaux, il a montré que la sexualité n’était pas une question de nature, mais une production sociale. Que la famille n’était pas, contrairement aux idées reçues, au fondement de tout système social. Ou que la mort ne s’opposait pas à la vie, mais à la naissance.
De sa vie consacrée à l’anthropologie, Maurice Godelier a conservé la faculté de se décentrer, c’est-à-dire suspendre son jugement quand on observe ce que font les autres ou qu’on écoute ce qu’ils disent à propos de ce qu’ils font. Pour son livre référence Métamorphoses de la parenté publié en 2004, il a analysé 160 sociétés et a décrit comment une trentaine d’entre elles se représentait la fabrication d’un enfant. De cette étude au plus près de la procréation, il rappelle que l’humanité a toujours été confrontée à la question de l’infertilité et a sans cesse tenté d’y trouver des réponses. Contrairement au nouvel avis du Comité d’éthique rendu public mardi, il estime qu’il est possible de légiférer sur la GPA en l’encadrant juridiquement et philosophiquement. Convaincu que la “société produit de la société“, il fait confiance aux hommes et jamais il ne verse dans le conservatisme de principe. “Je pense que la vie en société s’organise au départ par les gens eux-mêmes, selon leurs besoins, indépendamment des politiciens ou des anthropologues.” Ainsi, pour lui, et contrairement là encore à l’avis du Comité d’éthique, revendiquer le droit à disposer de sa mort est une “attitude socialement logique“. Se définissant comme un chercheur engagé, il voit sa discipline, l’anthropologie, comme une “indiscipline.” (1)
Dans son avis rendu mardi, le Conseil national d’éthique propose de rendre possible la levée de l’anonymat des futurs donneurs de sperme, pour les enfants issus de ces dons. Qu’en pensez-vous ?
Quels que soient les cas, l’accès aux origines est fondamental pour les enfants. Je suis pour la connaissance des donneurs, que les enfants qui naissent connaissent leur histoire réelle : c’est un problème de vérité et de courage pour les parents. Pour l’enfant, c’est vivre plus sereinement son histoire de vie. Beaucoup de sociétés ont inventé des réponses à la stérilité des couples. Certaines ont même anticipé, d’une certaine façon, le principe des mères porteuses. Un exemple africain est célèbre. Dans cette tribu, si une femme devient veuve sans avoir eu d’enfant, elle peut épouser une autre femme et elle choisit un homme pour faire l’amour à son épouse. Quand les enfants naissent, ils appartiennent au mari défunt. C’est au fond une solution proche des mères porteuses. On le voit, ce n’est pas la première fois que l’humanité se trouve confrontée à ce problème et tente de trouver des solutions.
Mais la pratique des mères porteuses suscite beaucoup de réticences. Le Comité d’éthique vient à nouveau de se prononcer contre la GPA (gestation pour autrui).
C’est une réaction culturelle qui traverse les catégories sociales, la droite comme la gauche, signe qu’on touche une valeur partagée par beaucoup de groupes sociaux. Pourtant, d’un certain point de vue, à la fin d’une GPA, on aboutit à une famille normale. L’enfant qui naît est génétiquement et socialement associé à ses parents. On se met à trois pour finir par fabriquer un couple occidental classique ! Mais cette réticence s’explique sans doute par le fait que la GPA est l’image d’une maternité divisée en deux. Il faut deux femmes pour faire un enfant, et c’est ce qui fait obstacle culturel et éthique à cette pratique.
Je pense qu’on ne peut pas arrêter le processus vers la légalisation de la GPA. Il faut trouver une solution débattue politiquement, philosophiquement et encadrée juridiquement. Comme au Canada et dans certains Etats des Etats-Unis, qui ont instauré un contrat (une fois né, l’enfant ne peut appartenir à la mère porteuse, un plafond de rémunération est fixé pour éviter la mercantilisation du corps de la femme) et ont valorisé cette pratique : les mères porteuses donnent la vie, elles aident les autres à avoir un enfant, c’est un don de soi. C’est une vision très protestante. S’il n’y a pas en France de discussion collective et publique, qui valorise socialement le geste des mères de substitution, on sera toujours dans un marécage des pour et des contre et on n’avancera pas.
Le Comité d’éthique suggère également dans son avis d’ouvrir la PMA aux couples de femmes. Qu’en pensez-vous ?
Il faut repartir du fait que le désir d’enfant n’existe pas seulement chez les hétérosexuels mais aussi chez les homosexuels et que ni chez les uns ni chez les autres ce désir n’est universel. Bien entendu, les homosexuels pourraient recourir à l’adoption. Mais en France, un tiers seulement des demandes d’adoption sont satisfaites après de longues attentes et beaucoup d’obstacles. Depuis longtemps, dans les pays occidentaux, des lesbiennes élèvent des enfants qu’elles ont mis au monde. Elles rejoignent les milliers de femmes qui élèvent seules leurs enfants au sein de familles où le père existe peu ou pas. Il faut, certes, l’équivalent d’un père et d’une mère pour élever un enfant. Mais être père et mère, c’est assumer des fonctions sociales différentes qui peuvent être largement détachées du sexe de celui ou de celle qui les assume. Le soin à l’enfant, le care, peut se faire par deux personnes de sexes différents ou de même sexe.
PMA, accès aux origines : après le rapport du Comité d’éthique, une discussion va s’engager et le législateur tranchera. Pourquoi assiste-t-on en France à une résistance forte quand on touche à la famille et à la filiation ?
La France se positionne, en effet, en général de manière conservatrice au départ – on l’a vu avec le mariage pour tous. En même temps, une fois que le mariage pour tous est adopté, on n’en parle plus. C’est comme si une étape, une fois franchie, était absorbée dans le tissu social. Comme si une majorité consentante et silencieuse avait coexisté avec les opposants. Et puis, on continue à avancer. La première étape de ce cheminement a été la dépathologisation, par la médecine, de l’homosexualité. Puis elle a été dépervertisée, du côté des psychologues. Enfin l’éthologie a montré que l’homosexualité était dans la nature : les bonobos se masturbent entre eux. Les humains sont par nature bisexuels.
Nous en sommes aujourd’hui à une étape inédite : nos sociétés ont donné un statut matrimonial à l’homosexualité. Celle-ci avait depuis bien longtemps une place reconnue dans certaines sociétés : en Grèce antique, à Lesbos, les femmes de l’aristocratie avaient un cycle d’initiation dont l’homosexualité était une étape. Chez les Baruya, parmi lesquels j’ai vécu et travaillé, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, tous les jeunes hommes entretenaient des rapports homosexuels jusqu’à leur mariage : à l’intérieur de la maison des hommes, les aînés donnaient leur semence aux plus jeunes, pour les rendre forts. Ce qui était totalement interdit après leur mariage. Mais en même temps, les sociétés ont toujours valorisé l’hétérosexualité puisque c’était la manière de continuer la vie. L’hétérosexualité est et continuera d’être dominante. Aujourd’hui, la vraie rupture est la reconnaissance des couples matrimoniaux homosexuels. A ma connaissance, aucune société ne l’avait jamais fait. C’est là une singularité des sociétés occidentales modernes. C’est une rupture historique qui fabrique des nouvelles formes de familles.
Justement, certains s’inquiètent de cette rupture anthropologique qui mettrait en danger la famille, et conduirait la société à une forme de chaos anthropologique…
Jamais et nulle part les rapports de parenté et la famille n’ont été le fondement de la société humaine. C’est une illusion, que même des anthropologues partagent, et qui remonte à l’Antiquité : ainsi, pour Aristote, les tribus naissaient de l’union entre des familles. La famille est, certes, fondamentale pour l’individu car elle fabrique sa première identité. Qu’on soit adopté ou non, nous forgeons d’abord notre identité personnelle au sein de la famille pendant notre jeunesse. Mais plus tard, on devient ouvrier ou professeur, et c’est la grande société qui nous donne une place.
Ce qui fait société, ce ne sont jamais les rapports de parenté, même dans les sociétés tribales : ce sont les rapports politico-religieux. Ceux-ci englobent tous les groupes de parenté et leur octroient une identité et une unité communes. Ils instituent la souveraineté des groupes humains – clans, castes ou classes – sur un territoire, ses habitants et ses ressources. C’est le politico-religieux qui fait société et non la famille.
Comment expliquez-vous les crispations actuelles autour de la fin de vie ? Sur ce point, le Comité d’éthique s’oppose dans son avis rendu mardi à ce que la fin de vie relève d’une décision individuelle et ne souhaite pas modifier la loi Claeys-Leonetti de 2016 (droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès)…
C’est une tendance française : l’isolement des vieux. Un grand nombre des personnes âgées meurt désormais dans les hôpitaux. Elles se retrouvent seules. Nous vivons de plus en plus vieux et nous avons de plus en plus de maladies liées à la décrépitude du corps. Paradoxe : on demande aux médecins, qui doivent redonner la vie, d’accompagner la mort. Nous donnons aux infirmières une fonction de care familial : ce sont elles qui accompagnent les mourants et non plus la famille comme autrefois. Alors que les religions préparent à la mort, notre société, de plus en plus laïque, veut la nier. La laïcité ne produit pas beaucoup de rites autour de la mort. Celle-ci devient une affaire individuelle, microfamiliale. A partir du moment où on ne croit plus qu’il existe une vie après la mort, la mort n’est plus vécue comme le risque d’aller en enfer ou au paradis. La mort est un point final, qu’il faut oublier jusqu’au moment où on y arrive.
Accorder un droit individuel à mourir dans les situations de fin de vie est-il envisageable dans nos sociétés ?
Jusqu’à présent, dans le christianisme, la vie appartenait à Dieu qui nous avait donné une âme. Le suicide était interdit. Aujourd’hui, beaucoup pensent que c’est l’un des droits de l’individu de choisir sa mort. Dans nos sociétés individualistes, la revendication du droit à disposer de sa mort est une attitude socialement logique.
Vous avez une assurance tranquille par rapport à ces questions éthiques éminemment complexes, est-ce le fruit de votre vie à comprendre et à étudier les vies dans d’autres sociétés ?
Je pense que la vie en société s’organise au départ par les gens eux-mêmes, selon leurs besoins, indépendamment des politiciens ou des anthropologues. Mais la politique est là pour faire avancer les choses. Regardez l’IVG : avant sa légalisation, les femmes avaient recours à l’avortement clandestinement. Puis Simone Veil a eu le courage de faire voter une loi, et ces femmes ont cessé d’être indignes, elles ont retrouvé une place dans la société. Ce fut une rupture formidable. De la même manière, aujourd’hui, les couples et les femmes ont recours à la GPA et à la PMA en allant à l’étranger. Les sociétés vivent avec un stock de représentations, concernant le corps et la société, qui sont très anciennes. Ce qui s’est passé avec la légalisation du mariage homosexuel fut une rupture. Mais cette rupture avait été préparée par les acteurs eux-mêmes : des couples gays vivaient déjà ensemble et éduquaient, de fait, des enfants. Dans son livre posthume L’Autre face de la lune (2011), Lévi-Strauss ne disait pas autre chose (de son vivant cela aurait fait scandale) : l’humanité doit progresser pour résoudre des nouveaux problèmes.
Vous dites justement que les humains ne se contentent pas de vivre en société, mais qu’ils produisent de la société pour vivre.
Toujours. L’humanité est naturellement une espèce sociale. Nous n’existons qu’en société. C’est la nature qui nous a donné ce mode d’existence, et notre cerveau nous permet d’inventer de nouveaux rapports sociaux, de nous transformer. Nous sommes une espèce sociale qui a la capacité – par rapport aux chimpanzés ou aux bonobos – de transformer le point de départ de notre existence, de nous faire autres. L’essence de l’homme, c’est tout ce que l’humanité a inventé pour elle-même. Et ce n’est pas fini : il n’y a pas de principe de clôture.
Donc la référence à la nature n’aurait pas vraiment de sens ?
Au contraire, parce qu’on a un corps. Jusqu’à présent, c’est en s’accouplant qu’on fait des enfants. L’ancrage dans la nature, c’est notre besoin de nous nourrir, de dormir, nos désirs sexuels, trouver dans la nature les moyens matériels de continuer d’exister… Il ne faut pas se dématérialiser. C’est aussi respecter la nature. Mais ce qui m’a frappé, en tant qu’anthropologue, dans toutes les sociétés que j’ai fréquentées, c’est qu’une grande partie des rapports sociaux, c’est de l’imaginaire pétrifié. La mosquée, l’Eglise, l’art de Goya ou du Greco : une grande partie de ce que nous sommes, de notre vie, c’est de l’imaginaire transformé en réalités sociales, psychologiques et matérielles. Dans le Nouveau Testament, Jésus dit au disciple qui a voulu voir et toucher ses plaies pour croire à sa résurrection : “Tu m’as cru parce que tu as vu, heureux ceux qui croiront sans voir.” Philosophie fondamentale. La croyance à des choses qui n’existent pas constitue une grande part de notre vie, de notre univers mental. Ce n’est pas de l’irréel ordinaire, c’est du surréel, c’est, pour ceux qui croient, plus réel que la vie réelle.
Il en va ainsi de la mort ?
Toutes les sociétés, qu’elles soient monothéistes ou polythéistes, pensent que la mort n’est pas la fin de la vie : après la mort, la vie continue sous une autre forme. C’est un invariant de toute culture. La mort, dans toutes les sociétés, est une disjonction : quelque chose se sépare du cadavre. Si c’est une disjonction, alors, la mort ne s’oppose pas à la vie mais à la naissance, qui est, elle, une conjonction : pour les religions, l’âme est alors introduite par Dieu dans le fœtus. Or, c’est totalement contre-intuitif : personne n’a jamais vu une âme entrer ou sortir d’un corps ! C’est de l’imaginaire, la construction d’une pensée spéculative. Mais ces formidables créations spéculatives donnent de l’architecture, de l’art, les rapports sociaux, des cosmo-sociologies, les castes indiennes, les initiations des Baruya, le dalaï-lama. Reconnaître le caractère spéculatif et imaginaire d’une partie du réel, c’est devenir un philosophe critique.
Pourquoi dites-vous que cet imaginaire est pétrifié ?
Parce qu’il dure longtemps… 2000 ans si on est chrétien, plus si on est hindouiste ou bouddhiste. On ne peut pas éradiquer la religion. On peut s’en séparer individuellement par un processus de vie personnel. Moi je ne crois pas que les dieux existent et j’ai tellement de dieux dans la tête que je ne peux décider lequel est le seul vrai. Mais pour ceux qui y croient tous les dieux sont vrais.
La Pratique de l’anthropologie. Du décentrement à l’engagement, entretien présenté par Michel Lussault, PUL.
Non, le baiser n’a pas toujours été l’expression ni le partage spontané d’un amour ou d’une sympathie réciproque. Ce désir de sentimentalité et ce sens de l’abandon à l’autre n’était pas tout à fait le ressenti de nos ancêtres… Comment ce geste politique est-il progressivement devenu désir ?
Invités sur le même plateau tv, le directeur de Philosophie MagazineAlexandre Lacroix et le sociologue Jean-Claude Kauffmann retracent les origines du baiser, une pratique culturelle qui s’est essentiellement développée en Occident, depuis la Rome antique. Ils rappellent pourquoi le baiser a une très longue histoire politique.
Au départ une reconnaissance politique entre égaux
Dans la Rome antique, on embrasse son rang
Eh oui, le geste du baiser tel que nous le pratiquons, remonte à une tradition occidentale datant de l’Empire romain. Pour les mœurs romaines, en public, le baiser était restreint au seul sentiment d’appartenance à un même clan social. Réduit à une idée d’égalité sociopolitique essentiellement. Le mariage aura directement hérité de cette conception-là du baiser lorsque les mariés s’embrassent en public à la mairie, comme pour exprimer leur union au sein de la même famille. Alexandre Lacroix explique qu’il était à ce point si codifié politiquement que les Romains déclinaient le baiser sous trois formes :
Le basium qu’on se faisait au sein de la famille. C’était un baiser sur la bouche qui se comprenait comme un geste de respect, de piété filiale, de sorte à souder la famille. Une mère embrassait ses enfants sur la bouche et on s’embrassait sur la bouche entre frères et sœurs.
L’osculum entre les membres d’une même corporation, ancêtre de la bise amicale quand il s’agissait à l’époque de s’embrasser quand on faisait partie du même corps politique. Entre sénateurs par exemple, on s’embrassait sur la bouche. C’est une reconnaissance entre égaux.
Le suavium : le baiser des amants.
Il est impossible par exemple d’embrasser des esclaves ou des prostituées. D’ailleurs, aujourd’hui, l’interdit du baiser tel qu’il existe dans la tradition de la prostitution, c’est d’abord une opprobre qu’on a jetée sur les prostituées, parce qu’on ne les considérait pas comme des égales…
Chez les premiers chrétiens, entre égaux qui partagent la même foi
Les premiers chrétiens s’embrassaient en signe de reconnaissance entre fidèles d’une même religion. Là encore, le baiser chrétien, avant de traduire un aspect religieux, c’est un baiser de paix qui se partage entre tous chrétiens à la messe.
Alexandre Lacroix : “Paul de Tarse, qui s’est prétendu apôtre et a connu les tout débuts du christianisme, disait qu’il fallait saluer tous les frères par un saint baiser. De culture romaine, il terminait régulièrement ses épîtres en recommandant aux croyants et aux fidèles de la même foi d’échanger entre eux ce saint baiser, les hommes s’embrassent entre eux et les femmes entre elles. Une manière d’échanger entre eux le basium romain qui est réinvesti dans le cadre de la communauté religieuse et exprimer le partage de la même foi. Cette même foi existe toujours dans nos baisers actuels comme d’une empreinte culturelle. Simplement, à défaut d’être religieuse, cette nouvelle foi s’éprouve en amour car elle reste une transcendance qui nous traverse et dont on reconnaît la valeur. Mais ce baiser de la paix tombe en désuétude à partir du XIe siècle.“
Le baiser continue à structurer certaines relations d’hommes à hommes d’une manière horizontale dans le cadre de la Féodalité, quand un vassal jure fidélité à son seigneur, et quand son seigneur jure de protéger son vassal en s’embrassant ou bien quand les chevaliers s’embrassent sur la bouche en guise de reconnaissance et d’appartenance à la même communauté.
C’est au XVIe siècle que le baiser amoureux se désacralise et devient presque totalement réservé aux amants, dans un sens amoureux certes mais qui reste occulte, à l’abri de la sphère publique, cantonnée derrière les rideaux de la vie privée.
Le baiser presque invisible jusqu’au XIXe siècle
Jean-Claude Kaufmann explique pour finir que “dans la population en général, et dans les pratiques de séduction, le baiser est très rare jusqu’aux XIXe-XXe siècles. Pour exprimer sa relation, son union, on se tordait les poignets… on se jetait des cailloux… ou même, lorsqu’on passait un contrat de fiançailles, il était normal de se cracher mutuellement dans la bouche.“
Une majorité de gens entre dans la vie maritale et dans la vie sexuelle sans avoir reçu un seul baiser jusqu’au XXe siècle.
On comprend donc que le baiser amoureux ne se démocratise publiquement que très tard, grâce à la photographie, aux cartes postales et surtout le cinéma d’Hollywood. Comme la censure impose une séduction cinématographique dénuée de contacts, par des jeux de regards, le baiser finit par se démocratiser d’un seul coup avec une grande ampleur à partir des années 1970. Comme s’il répondait à un besoin enfoui au plus profond de nous, de puis longtemps, un besoin auquel on avait toujours songé mais sans jamais pouvoir le faire.
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“Arrivé au terme de cette étude synoptique, il convient de la résumer et d’en tirer la conclusion.
Le comportement humain est l’effet d’une cause, généralement appelée motif. Le tout est de savoir si les motifs d’action sont exclusivement les excitations qui proviennent du milieu ambiant. Dans ce cas, il suffirait d’étudier le milieu pour être à même d’expliquer sciemment tous les aspects du comportement.
Cette manière de voir oblige d’admettre que l’homme serait une sorte de mécanisme qui, sans intentions individuelles, répondrait automatiquement à l’influence du milieu. Certaines écoles de la psychologie moderne inclinent à soutenir cette hypothèse et même à en faire un dogme.
L’objectivité sur le plan des sciences humaines consisterait à nier l’authentique existence de l’esprit, moyen de la recherche, à réduire la vie à un épiphénomène de la matière…
Le fonctionnement de la psyché, sujet de la recherche, se trouve ainsi dégradé au niveau d’une illusion. À la vérité, une position aussi restrictive ferait croire aisément à une aberration imaginative, à une sorte de maladie de l’esprit qui se serait emparée des sciences humaines, s’il n’était évident que le mécanicisme est une réaction excessive contre un spiritualisme qui s’est trop complu à négliger l’influence indiscutable du milieu (climat, traditions culturelles, situation économique, etc.).
Il importe donc de souligner que le comportement humain dépend, en effet, du milieu, mais non point d’une manière mécanique. Le comportement est le résultat d’une double détermination motivante. L’une, extérieure, est formée par les mobiles, les agents moteurs provenant du milieu. L’autre, par les raisons internes d’agir, les motifs intimes, élaborés à partir des images par le raisonnement, par l’esprit valorisant.
L’étude du comportement se partage ainsi en deux domaines : la psychologie socialeet la psychologie intime.
La psychologie, pour devenir science de la vie, devrait se compléter d’une méthode introspective capable de saisir les motivations intimes. Ces motivations sont nécessairement ambiguës, car l’esprit valorisant est susceptible d’erreurs qui ne lui sont pas conscientes. L’erreur possible détermine une motivation faussée, dérobée au conscient, cause intime d’actions et d’interactions vitalement insatisfaisantes. Toutes les activités humaines étant sous-tendues par des motifs intimes, conscients ou inconscients, le domaine de la psychologie introspective se trouve être aussi vaste que la vie. La psychologie appliquée à l’étude des motifs intimes se propose donc comme but de présenter les résultats de sa recherche introspective en vue de leur utilisation, non seulement pour l’observation clinique, mais aussi-et même avant tout -pour l’explication de la vie quotidienne. Or, toutes les activités humaines et, partant, toutes leurs motivations secrètes, se laissent diviser en deux groupes: le sensé et l’insensé. Il est donc indispensable -par raison d’ économie -de choisir cette division fondamentale comme point de départ. Il en résulte l’obligation de parler-plus qu’il n’est usuel en psychologie -du sens de la vie, approfondissement qui pourrait faire croire qu’il s’agit de présenter une sorte de systématisation philosophique. Or, la psychologie introspective s’honore d’une certaine parenté de son thème avec celui de la philosophie. Elle doit pourtant insister sur une différence fondamentale de méthode qui la conduit vers une solution dont il importe de souligner la nouveauté et la portée : l’étude des motivations extra-conscientes démontre que l’insensé est le pathologique, conséquence néfaste de la désorientation à l’égard de la conduite sensée et, par là même, éthique.
Il en résulte une conclusion d’une importance éminemment pratique et qui éclaire d’une nouvelle lumière tout le problème de la vie et de son sens : il n’est pas sans danger d’abandonner la conduite éthique, car il s’ensuit la destruction de la santé psychique. De la formulation de cette loi fondamentale naît une technique curative. Il n’a pas été possible d’en faire ici l’exposé ; il convient du moins d’en indiquer le principe : rien ne sert, comme on a toujours voulu le faire, de changer les actions insensées en négligeant les motifs mensongers, les motivations d’évasion et de justification. L’imagination d’évasion exalte les désirs et s’oppose ainsi à leur maîtrise ; l’imagination de justification exalte vaniteusement l’ego et s’oppose ainsi à la connaissance de soi. Les deux aspects de l’imagination exaltative constituent la non-valeur ; ils se conjuguent et empêchent la réalisation de la valeur vitale, produisant ainsi leur propre sanction : la déformation pathologique.
Du rapport d’inversion existant entre l’éthique et le pathologique résulte l’immanence des valeurs. Les valeurs sont immanentes au fonctionnement psychique, qui peut être vitalement valable ou non valable, satisfaisant ou insatisfaisant. L’immanence, tant qu’elle n’est pas sciemment comprise, demeure extraconsciente. Ainsi la non-valeur -la tentation subconsciente avec ses fausses promesses de satisfaction -l’emporte-t-elle trop aisément sur la vision surconsciente des valeurs, ancestralement condensées en des rêves mythiques et en leurs images-guides.
Seule la compréhension de la loi d’immanence qui régit le fonctionnement psychique pourrait permettre aux sciences humaines de combler leur retard. Cette compréhension créerait de nouvelles déterminantes capables de guider l’activité et de maîtriser le progrès technique, car elle permettrait de hiérarchiser sainement les valeurs matérielles par rapport aux valeurs éthiques, et de recréer ainsi sciemment l’échelle des valeurs, fondement des cultures. Le pouvoir suggestif des ancestrales images surconscientes fut fondé sur leur beauté significative. Mais ce pouvoir suggestif ne serait-il pas retrouvé et décuplé s’il pouvait être possible de formuler clairement et sciemment la vérité que les images mythiques ont préfigurée et qui concernait de tout temps les conditions de l’équilibre ou du déséquilibre psychique ? Aucune force suggestive n’est égale à celle de la vérité comprise. L’ère scientifique n’exigerait-elle pas que la connaissance des lois physiques et des techniques d’application qui en sont issues fût complétée par la connaissance des lois qui régissent la vie psychique, et par l’élaboration des techniques capables d’endiguer les insidieux dangers subconscients ?
Il est, certes, nécessaire de lier le comportement à l’influence du milieu et de tâcher d’améliorer le conditionnement extérieur grâce à l’organisation du milieu. Mais comment pourrait-il être superflu de remonter également, à partir du comportement, vers le plan de l’imagination où s’élaborent les motifs des actions ? La falsification subconsciente des motifs ne risquerait-elle pas de rendre injuste même l’activité amélioratrice la mieux intentionnée? La loi d’ambivalence régit sans exception tous les motifs pseudo-sublimes. Elle divise les idéologies, et avec elles l’humanité, en camps adverses. Les meilleures intentions -d’où qu’elles viennent -relèvent par trop du domaine de l’imagination exaltative et subissent le renversement pathogène.
Seule la juste valorisation, fonction de l’esprit, crée les valeurs véridiques. Seule la compréhension du rapport d’inversion qui existe entre l’éthique et le pathologique, permet de définir sciemment la raison d’être des valeurs: leur règne immanent et la sanction qui frappe l’aberration. Seule cette compréhension rendra les valeurs enseignables, transmissibles par éducation. De la compréhension des lois psychiques pourrait résulter, dès lors, une technique prophylactique dont l’importance dépasse de loin la portée thérapeutique de la psychologie intime.
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“En psychologie introspective, il est fondamental de comprendre le rôle prédominant que joue l’imagination dans l’élaboration des motifs.
Les motifs déterminent l’action, et les motifs faussés déterminent l’activité malsaine. Il importe donc d’insister davantage sur les méfaits de l’imagination exaltative, afin de comprendre la déformation caractérielle et le comportement malsain qui en résulte.
Nous cultivons tous les jeux imaginatifs, car ils nous consolent et nous enchantent. Ils nous permettent de triompher de toutes les adversités de la vie. (Encore que l’imagination pathologique se délecte souvent d’imageries angoissantes.) L’imagination est considérée comme le domaine le plus privé de chacun, l’enclos où il peut se retirer pour se conforter, se réconforter ou pour se plaindre. Il est généralement admis que ces auto-consolations sont sans aucune importance pour la vie réelle. Mais la vérité est que la force suggestive des images que nous chérissons forme ou déforme le caractère de chacun. L’imagination détermine le comportement satisfaisant ou insatisfaisant, car c’est à partir d’elle que se forment les intentions sensées ou insensées.
Dans nos jeux imaginatifs, nous sommes les justiciers de nos semblables. Nous les condamnons et nous nous justifions nous-mêmes. Ces auto-justifications imaginatives nous paraissent d’autant plus objectivement véridiques que nos semblables, agissant à partir de leurs fausses motivations, émettent, en effet, des réactions injustes à notre égard. La vexation vaniteuse, la rancœur accusatrice, la plainte sentimentale, finissent par envahir toutes les interréactions humaines. Chacun constate avec indignation les fausses réactions d’autrui et oublie volontairement ses propres fausses motivations. Il les refoule. Il est juste de voir la faute d’autrui, car elle existe ; mais il est injuste de ne pas voir sa faute propre, car elle existe aussi.
Aussitôt que nous réfléchissons sur nous-mêmes -c’est-à-dire que nous faisons un acte introspectif -l’amour-propre tente de déformer tous nos jugements. La sagesse du langage le constate : le terme je pense est, en matière d’auto-contemplation, synonyme des termes je crois, j’estime, j’imagine, je songe. Notre réflexion à l’égard de nous-mêmes et d’autrui n’est pas, la plupart du temps, un jugement, mais un préjugé. Elle n’est que croyance inobjective, estimation vaniteuse, imagination vaine, songerie.
Mais cette songerie est auto-satisfaisante. Elle est la consolation pour les insatisfactions réelles. La vie psychique est un incessant calcul de satisfaction. Le tout est de comprendre pourquoi et comment ce calcul peut être vitalement valable ou non valable. Le psychisme est défini par sa tendance à transformer toute insatisfaction en satisfaction. S’il n’est pas en état d’obtenir ou de créer des satisfactions réelles, il se contentera de satisfactions imaginatives, fussent-elles nocives, voire auto-destructives. Tout comme, pour le sens optique, chaque excitation -même un choc mécanique qui lèse l’œil- se traduit en impression lumineuse, le psychisme, lui, traduira en auto-satisfaction imaginative chaque excitation, même choquante et blessante.
Cependant, le besoin biologique de satisfaction détermine également la genèse évolutive des fonctions dites supérieures. Ces fonctions sont le frein à l’excès des auto-satisfactions imaginatives. Elles tendent à introduire dans la délibération des déterminantes capables de créer des satisfactions réelles.
Mais l’amour-propre, lorsqu’il est vaniteusement exalté, s’oppose au freinage lucide des auto-satisfactions perverses. Le vaniteux, imaginativement satisfait de lui-même, se coupe ainsi des satisfactions réelles. L’excès d’amour de soi, trop facilement vexable, prédispose à la haine d’autrui. L’autre devient l’ennemi à redouter. Mais l’homme vaniteusement épris de lui-même, perversement déterminé, faussement motivant, préfère même encore son angoisse haineuse aux satisfactions réelles. Il se délecte de son angoisse d’indignation, car elle lui permet de soutenir son besoin de supériorité imaginative. Les autres étant pour lui les méchants qui le poursuivent injustement, il se croit le meilleur, le seul juste. Lui seul satisfait donc à l’impératif éthique. Le reproche accusateur et la plainte sentimentale deviennent le soutien du triomphe vaniteux, aboutissant au refoulement de toute faute et de toute culpabilité, ce qui, en cercle vicieux, renforce de nouveau la vanité. La délibération ainsi pervertie n’est plus que rumination. L’enchaînement imaginatif devient auto-encerclement pervers. Cependant, ces délices angoissées demeurent un tourment. La délectation morose est à double tranchant et confirme ainsi la loi d’ambivalence : la duplicité de la valorisation faussement motivée. Sans cesse, l’angoisse se transforme en délectation et la délectation en angoisse. La production d’angoisse n’infirme par la légalité du fonctionnement psychique gouverné par la recherche de satisfaction. Elle montre seulement que cette loi suprême gouverne la vie psychique jusque dans son pervertissement. La délectation angoissée est une perversion du besoin authentique de satisfaction.
Le jeu des motivations perverses est passible d’aggravation. Le sujet profondément atteint provoquera l’hostilité du monde par sa propre animosité fréquemment déguisée en pose d’amour: il aura tendance à s’évader de plus en plus de la réalité insatisfaisante dans le monde irréel de ses pseudo-satisfactions autistes. Il aboutira non plus seulement à transformer les agressions réelles en auto-délectation angoissée, mais, poussé par le besoin de se prouver sa supériorité à l’égard d’un monde injuste, il inventera imaginativement des agressions inexistantes. La rumination imaginative, en se dégradant davantage, se transforme en interprétation morbide. Dans ces états d’aggravation névrotique, toutes les réactions d’autrui, même les p lus inoffensives sont suspectées d’être sous-tendues d’une intentionnalité vexante et menaçante. Le sujet s’enkyste dans son angoisse afin d’en pouvoir tirer le profit de sa supériorité éthique et de son auto-admiration. L’ambivalence pathologique le rejette dans l’auto-condamnation coupable. Dans des cas plus rares, l’évasion de la réalité et l’égarement dans l’auto-justification peuvent atteindre des degrés psychotiques où l’interprétation morbide devient délirante et hallucinante.
Les comportements psychopathiques ne sont que l’état d’aggravation d’un calcul de satisfaction faussement motivé qui, utilisé à de moindres degrés d’intensité, forme le tissu de la vie quotidienne.
Tous les degrés du comportement malsain possèdent en commun le besoin de triomphe vaniteux sur autrui, la recherche de la supériorité morale. Mais la satisfaction supérieure n’est accessible qu’à l’authentique dépassement qui tend vers l’auto-domination. Les tentatives de dépasser et de dominer autrui n’en sont que le pervertissement. Déjà, sous sa forme prépathologique et quotidienne, la fausse rationalisation ruine l’immanent principe éthique, le frein de la raison. Le frein que la raison tente d’opposer aux exaltations imaginatives à seule fin d’établir l’équilibre satisfaisant de l’ego et de son rapport à autrui.
L’élan de dépassement éthique domine la vie jusque dans ses manifestations quotidiennes. Mais il ne s’y trouve habituellement que sous une forme pervertie, décomposée en deux pôles contradictoires : moralisme excessif, amoralisme banal.
Sous son aspect conventionnel, le moralisme cherche la supériorité par la condamnation calomnieuse d’autrui. Le frein de la raison s’exalte et condamne la sexualité et la matérialité jusque dans leurs exigences naturelles. La valorisation ambiguë produit de bonnes intentions d’élévation, suivies de chute, trait caractéristique de nervosité. Mais il arrive aussi que l’ambivalence se trouve condensée en un seul acte. Le sujet veut accomplir l’acte chargé de culpabilité et le sabote en même temps, pour se préserver de l’insatisfaction coupable. Inhibé sur tous les plans de la vie (sexuel et matériel), le nerveux se charge de sentiments d’infériorité qui s’opposent à sa supériorité vaniteuse. Il ne cesse de produire quotidiennement, par excès de fausse justification, l’accusation sentimentale d’autrui, du monde entier, de la vie qui se refuse à lui.
À l’opposé de la nervosité se trouve l’autre comportement prépathologique : la banalisation. Son projet pervers est de tirer la satisfaction, non plus de la pseudo-spiritualité, mais du dépassement et de la domination matérielle ou sexuelle d’autrui. La banalisation est l’amoralisme, parce qu’au lieu d’exalter morbidement le frein de la raison, elle tente de l’éliminer, détruisant ainsi la sphère surconsciente et éthique. Les désirs imaginativement exaltés se déchargent sans scrupule au détriment d’autrui. L’état prépathologique cherche sa fausse justification idéologique dans la contre-morale arriviste.
La maladie de l’esprit tire son origine d’un double enracinement dans la vie quotidienne : d’une part, convulsion nerveuse aboutissant à la décomposition de l’ego ; d’autre part, relâchement banal dont la conséquence est la décomposition de la vie sociale.
Nervosité et banalisation, avec leurs attitudes de haine agressive et de plainte sentimentale, se conjuguent pour semer la méfiance entre les hommes et pour entretenir l’intrigue des uns contre les autres.
Insuffisamment diagnostiqué comme conséquence de l’insanité de l’esprit, le comportement prépathologique est considéré comme norme même de la vie. Le malaise reste irrémédiable tant qu’il ne sera pas compris jusque dans le faux calcul de ses motivations intimes.”
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“Depuis la découverte de la pensée symbolisante de l’extra-conscient, la psychologie des profondeurs s’est développée par des doctrines qui semblent être contradictoires. L’histoire de la psychologie des profondeurs est liée aux noms prestigieux de Freud, d’Adler et de Jung. Freud découvre l’onirisme névropathique du subconscient : crises convulsives, paralysie des membres, dysfonction des organes, idées obsédantes, actions symboliques de purification, etc. Ces symptômes expriment symboliquement les désirs insatisfaits et refoulés.
En complétant la découverte freudienne de l’onirisme subconscient, Jung entrevoit l’existence du symbolisme surconscient. Les archétypes jungiens sont des images-guides apparentées aux symboles mythiques. Voici comment Jung définit les archétypes: “…ils forment, d’une part, le plus puissant préjugé instinctif et, d’autre part, ils sont les auxiliaires les plus efficaces qu’on puisse imaginer des adaptations instinctives.” Il en résulte que ces images ancestrales et collectives tentent de guider la vie de chacun en direction sensée.
Adler, de son côté, commença l’étude d’un phénomène psychique radicalement opposé à la conduite sensée : la fausse rationalisation, déjà passagèrement constatée par Freud. Ce phénomène, habituellement dérobé au conscient, forme le lien dynamique entre les deux instances extraconscientes découvertes par Freud et Jung. La fausse rationalisation tente d’embellir les intentions pathogéniques et inavouables du subconscient, en y greffant des motifs pseudo-sublimes conformes en apparence à l’impératif éthique archétypique du surconscient.
Adler dénommera politique de prestige ce phénomène de rationalisation erronée et de fausse auto-justification. Dans ce terme nouveau pointe déjà la compréhension qu’à la base du raisonnement morbide se trouve une fausse auto-estimation, une survalorisation mensongère de soi-même, destinée à procurer une illusoire satisfaction vaniteuse.
Adler découvre ainsi la fausse motivation. Mais l’étude demeure empirique. Le phénomène pourrait bien être d’une importance beaucoup plus étendue que ne le laisse soupçonner l’investigation adlérienne. La falsification du raisonnement serait-elle la cause primaire de la maladie de l’esprit sous toutes ses formes ?
Les œuvres respectives de Freud, d’Adler et de Jung contiennent d’importants éléments de vérité. L’apparence d’une contradiction provient des erreurs doctrinales (pansexualité chez Freud, instinct de domination chez Adler, spiritualisme trop exclusif chez Jung). Ces œuvres sont pourtant complémentaires. Leur trait d’union est la recherche de la connaissance de soi-même jusque dans les tréfonds de l’extraconscient. Leur commun but curatif se fonde sur le contrôle conscient, assurant une relative maîtrise des désirs.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, on est en droit de dire que l’effort commun qui traverse les doctrines, qui les unit en dépit de leur apparente contradiction, consiste dans l’élaboration d’une méthode introspective de prise de connaissance de soi, malgré l’existence du fonctionnement extraconscient. On trouvera aussi bien chez Freud que chez Adler et Jung de nombreux passages qui attestent la valeur de l’introspection et soulignent la nécessité d’y recourir.
L’esprit ne peut parvenir à diminuer la tension affective des désirs qu’en trouvant la valorisation juste, donc en éliminant la fausse motivation. La réussite curative ne peut résulter que de l’orientation sensée. Or, il n’existe qu’une seule direction sensée de la vie, et c’est uniquement l’impératif éthique du surconscient qui l’indique. Son exigence immanente consiste à chercher la satisfaction, non pas dans l’exaltation des désirs et dans la fausse justification de cette exaltation, pas plus d’ailleurs que dans la suppression des désirs naturels (d’ordre sexuel et matériel), mais dans leur satisfaction harmonieusement ordonnée.
Dans cette perspective, on constate un accord complet entre l’ancien problème de la philosophie et celui de la psychologie moderne.
Mais alors que la philosophie s’est intéressée en premier lieu à l’aspect éthique, la psychologie est issue de l’étude de l’aspect pathologique. Son interrogation première concerne le mal, la maladie psychique, l’exaltation imaginative cause de la rupture d’équilibre. L’exaltation malsaine est diamétralement opposée à l’harmonisation saine. L’homme crée lui-même le bien et le mal ; il est responsable de la valeur ou de la non-valeur, par sa valorisation juste ou fausse. La voie est libre pour aborder le problème essentiel, non plus par voie d’intuition, mais par l’analyse des fonctions psychiques.
Pour l’analyse psychologique, le problème le plus ancien se pose d’une manière entièrement renouvelée. Mais il se présente sous la forme d’un dilemme dont l’acuité exige une solution d’urgence. D’un côté se trouve mise en lumière la cause subconsciente de la déformation pathologique et de ses conséquences néfastes : l’élucidation des tréfonds devient une nécessité vitale. De l’autre côté, cette élucidation semble être plus impossible que jamais. Comment l’introspection pourrait-elle sonder les tréfonds qui se dérobent au conscient ?
Or, la fausse rationalisation est le mensonge à l’égard de ses propres intentions motivantes. Cesser de se mentir, c’est commencer à se connaître. Du fait que la fausse rationalisation, mi-aveuglément imaginative, mi-raisonnante, s’opère, par là même, à la frontière du conscient, elle devrait nécessairement être accessible à la prise de connaissance. L’analyse doit donc se concentrer sur la fonction imaginative susceptible de fausser le raisonnement.
Nous savons tous, par voie d’introspection immédiate, que, pour former un projet, nous enchaînons nos désirs en un jeu imaginatif. L’imagination tente de prospecter les conditions réelles de réussite. Sous cette forme, l’imagination est une fonction naturelle, indispensable à la délibération mi-affective, mi-réflexive. Le jeu imaginatif nous procure une présatisfaction, capable de stimuler la recherche de la satisfaction réelle et active.
Cependant, le jeu imaginatif, pour peu que l’affectivité l’emporte sur la réflexion, devient malsain. Au lieu de prospecter les conditions de réalisation satisfaisante, l’imagination se contente de présatisfaction. Elle n’est plus alors qu’un vain jeu, exaltant parce que libéré de toute entrave réelle, mais dangereuse précisément en raison de l’évasion dans l’irréel et de l’égarement dans l’irréalisable.
Le danger est d’autant plus grand qu’à l’imagination d’évasion correspond nécessairement l’imagination de justification. L’évasion imaginative est la faute vitale par excellence, dénoncée comme coupable par la vision surconsciente de la vérité. La fausse justification, en refoulant la faute, perd de vue non plus seulement la réalité ambiante, mais elle prépare la désorientation la plus décisive et la plus nocive qui soit : la perte de la vérité à l’égard de soi-même et de sa propre valeur.
L’exaltation imaginative sous ses deux formes complémentaires -évasion de la réalité ambiante et fausse justification de soi-même- est une faiblesse de la fonction valorisante de l’esprit. Or, l’erreur de la valorisation ne peut se manifester que de deux manières : survalorisation ou sous-valorisation. Ainsi s’introduit dans l’esprit la cause même de son insanité : l’ambiguïté de la fonction valorisante. La valorisation contradictoire prive l’esprit de sa lucidité et la volonté de sa force de décision. L’ambivalence n’est pas un phénomène qui se manifesterait de-ci de-là de manière sporadique : elle est la loi qui régit la progressive décomposition morbide du moi conscient. Elle crée la désorientation subconsciente. La valorisation faussement justificatrice est une erreur essentielle, nuisible pour toutes les interrelations humaines, car elle se manifeste sur le plan de la vie pratique sous la forme d’une fausse estimation de soi-même et d’autrui. À l’auto-surestime vaniteuse, moyen de refouler sa propre culpabilité, correspond infailliblement l’inculpation excessive d’autrui. Le sujet se considère comme exempt de toute faute, et la faute pour tout ce qui lui arrive de désagréable et d’angoissant se trouve projetée sur autrui. L’autre devient l’ennemi redoutable, injuste en principe : le sujet ne cessera plus de se plaindre sentimentalement pour tant d’injustice à subir.
Vanité, accusation, sentimentalité sont les moyens de refouler l’insatisfaction coupable. Tout le cortège des ressentiments humains se trouve inclus dans ce cadre catégoriel formé par l’imagination faussement justificatrice.
Les maladies de l’esprit sont la conséquence d’une aggravation de la fausse motivation justificatrice, laquelle se trouve à divers degrés d’intensité en tout homme. Chacun pourrait s’en rendre compte s’il voulait se donner la peine de scruter ses délibérations intimes. Ces ressentiments d’apparence normale sont jugés sans gravité. En raison de leur fréquence, ils sont pourtant bien plus dangereux pour la conduite sensée de la vie humaine que les manifestations spectaculaires de la psychopathie, qui n’en sont que des états d’aggravation.
Toutes les interactions humaines sont insidieusement perturbées par les ressentiments secrets. Il importe donc d’envisager l’étude du comportement à partir des motivations intimes.”
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“La psychologie de l’extraconscient date de la découverte d’un fonctionnement psychique dérobé à la pensée logique, opérant au-dessous du seuil du conscient. Freud a fait cette découverte des réactions subconscientes en cherchant une explication au comportement illogique, d’apparence absurde et dépourvue de tout sens, que présentaient certaines maladies mentales en état de crise aiguë. L’histoire de cette découverte est connue, tout comme le sont le système théorique et la méthode thérapeutique que Freud en a tirés. Il importe de démontrer que Freud, alors même que l’on conteste son système, a donné le signal de départ à un approfondissement radical de la pensée humaine.
Freud – on le sait – avait supposé que certaines crises convulsives servaient aux malades à exprimer des désirs sexuels, chargés de honte et refoulés. La crise ou plus généralement le symptôme psychopathique fut pour la première fois reconnu comme étant d’origine psychique. La crise était expliquée comme un moyen de satisfaire oniriquement le désir interdit en l’exprimant symboliquement. Le processus, du fait qu’il est inconnu du malade et indépendant de sa volonté, révélerait donc l’existence d’un fonctionnement psychique subconscient à tendance morbide.
Freud constata ainsi, dans le comportement humain, un facteur déterminant auparavant insoupçonné. Mais en même temps, s’efforçant d’éclaircir ce facteur déterminant, il introduisait dans le domaine de la pensée humaine un principe d’explication demeuré complètement inconnu : l’explication symbolique.
L’explication symbolique est radicalement différente de l’explication logique jusqu’alors exclusivement utilisée. Elle ne cherche pas, pour un effet extérieurement donné, une cause extérieurement constatable (principe d’explication commun aux autres sciences). L’explication symbolique cherchera, pour une réaction humaine manifeste et cliniquement observable, le désir latent. Elle suppose que la réaction manifeste exprime, d’une manière oniriquement déformée, la cause latente, la motivation, dont l’homme ne sait rien et ne veut rien savoir. Ce nouveau mode d’explication permettra de comprendre les productions du psychisme, productions illogiques par excellence : le rêve nocturne, la fabulation mythique et le symptôme psychopathique.
Mais la découverte du symbolisme eut des conséquences plus importantes encore. Elle contient en elle-même l’exigence de dépasser les conclusions théoriques que Freud a voulu en tirer. Une interrogation s’impose : comment se peut-il que la réflexion sur le symptôme manifeste parvienne à reconstituer son lien avec le désir latent ? L’extraconscient doit avoir auparavant établi ce lien. Si ce lien est symboliquement véridique, force est d’admettre qu’il existe une sorte de pensée extraconscient, laquelle, bien qu’elle s’exprime oniriquement, est néanmoins significative et sensée. Il est donc indispensable de diviser l’extraconscient en un subconscient oniriquement insensé et un surconscient oniriquement sensé (nommé, par Jung, le “soi“). Le terme “extraconscient” est précisément choisi pour désigner, d’un seul mot, les deux aspects complémentaires : surconscient-subconscient. (Afin de faciliter la compréhension de la terminologie, il n’est peut-être pas superflu de rappeler ici que l’extraconscient est préconscient, et qu’il englobe aussi l’inconscient primitif et purement instinctif). Le surconscient est le siège d’une sorte d’esprit préconscient, producteur des mythes ; le subconscient, en revanche, siège de l’aveuglant débordement affectif, produit le symptôme psychopathique. Il importe donc de comprendre que le conflit essentiel du psychisme humain – la lutte entre l’affect aveugle et l’esprit prévoyant – se poursuit sans relâche dans le tréfonds de l’extraconscient. Dans l’état de veille, il déborde vers le conscient qui délibère à la recherche d’un apaisement. Mais la délibération, dans la mesure où elle reste inachevée, se poursuit au sein du rêve nocturne où elle s’exprime par images symboliques.
Ainsi voit-on que le conflit essentiel, la lutte entre l’esprit et l’affect, la lutte entre le conscient et le subconscient, envahit la vie entière. Le conflit est la vie, et la vie exige la solution.
Il faut bien se rendre compte de l’immense portée révolutionnaire contenue en germe dans la découverte freudienne du symbolisme subconscient. La force explosive de cette découverte est telle qu’elle risque de démolir toutes les constructions explicatives élaborées jusqu’ici par la pensée humaine et admises pour vérité. L’erreur contenue dans ces constructions est imputable au fait qu’elles ignoraient l’existence d’une pensée extraconsciente.
Freud lui-même n’a pas implicitement prévu la pensée extraconsciente. Une part d’erreur doit donc se trouver également dans les conclusions qu’il a tirées de sa découverte du symbolisme subconscient. Freud ne s’interrogeait que sur le contenu refoulé du subconscient : le désir chargé de culpabilité. Il néglige de poser la question concernant l’instance véridiquement symbolisante, et il ne put découvrir le surconscient et sa pensée prélogique.
Toute la théorie freudienne est marquée par une erreur initiale. Freud explique la vie entière à partir de sa découverte du subconscient. Les manifestations culturelles apparaissent dans sa théorie comme le produit du refoulement des désirs, de préférence sexuels. Freud explique la vie normale à partir du subconscient pathogène, au lieu d’expliquer la déformation pathologique à partir de la vie normale.
La norme, dans la vie humaine, est indiscutablement la pensée logique et consciente. C’est à partir d’elle qu’il faudrait expliquer le fonctionnement subconscient, car on ne peut comprendre l’inconnu qu’en fonction du connu. Le fonctionnement nouvellement décelé ne peut-être radicalement séparé du conscient : entre la pensée illogique du subconscient et la pensée logique du conscient doit exister un rapport génétique. Il importe, en premier lieu, de ne pas prendre pour une réalité l’image linguistique qui présente la psyché sous la forme d’un réservoir spatial dans lequel on distinguerait les instances comme des tiroirs superposés. L’image ici n’est qu’une fiction indispensable, et les instances ne sont, à la vérité, que les diverses formes interdépendantes du fonctionnement psychique.
Afin d’entrevoir la nature du rapport génétique entre le conscient et le subconscient, qu’on se rappelle le rôle prédominant que joue, dans la thérapie freudienne, la mémoire. Toute cette thérapie est fondée sur l’évocation associative des souvenirs oubliés. Le matériel ainsi reproduit est symboliquement interprété, absolument de la même façon que l’est le symptôme psychopathique.
Freud, pour les besoins de sa thérapie, se voyait obligé d’admettre l’aspect onirique de la mémoire. Pourquoi n’a-t-il point fondé toute sa théorie sur la mémoire, phénomène naturel et pourtant mi-conscient, mi-extraconscient ? Quelle énorme chance de simplification. Pourquoi ne l’a-t-il pas saisie ? La raison en est sans doute que la mémoire est un dynamisme qui joue entre
oubli et évocation, tandis que, pour Freud, l’oubli refoulant est un phénomène statique qui ne concerne que les traumatismes passés, une fois pour toutes enfouis dans la boîte du subconscient. Mais le refoulement concernerait-il, au contraire, en premier lieu, le dynamisme des désirs actuels chargés de culpabilité ? Existe-t-il des motifs qui détournent constamment l’intérêt de certains désirs, les tenant ainsi dans l’oubli sans possibilité d’évocation? Dans l’affirmative, l’oubli touchant ces désirs ne sera plus exclusivement passif, comme il en va généralement des innombrables matériaux tenus à la disposition de l’intérêt évocateur. L’oubli sera actif, il possédera ainsi le trait caractéristique du contenu refoulé. Le motif refoulant sera nécessairement un sentiment actuel de pénibilité excessive, à l’endroit d’un désir surchargé de honte. Le dynamisme de l’ensemble des désirs, en tant qu’ils sont coupés de leur communication avec le conscient, exercera son influence morbide en créant le subconscient.
Ainsi compris, le subconscient, loin d’être préétabli, n’est que le fonctionnement perverti de l’ extraconscient. Mais le dynamisme pervers affectera également la capacité d’évocation. L’intense surcharge d’énergie affective obligera les désirs refoulés à chercher leur issue dans une décharge active. Dans l’impossibilité d’accéder au conscient qui les passerait au crible du contrôle délibérant, les désirs coupables se déchargeront directement au moyen du subconscient onirique. L’onirisme présentera les désirs coupables et refoulés sous une forme déguisée, mais symboliquement significative pour l’originaire intention honteuse.
Un désir d’ordre sexuel, ou matériel, chargé de honte, sera, par exemple, tiré de l’oubli forcé, symboliquement évoqué et satisfait par un acte de boulimie, de kleptomanie, mais aussi par une crise convulsive parétique ou agitée, passagère ou durable ; cependant, il se peut tout aussi bien que le symptôme symbolique exprime, à la place du désir, sa charge de culpabilité. Afin de contenir l’angoisse coupable, le sujet accomplira un acte symbolique de purification : il se lavera, par exemple, les mains ou une quelconque partie du corps; dans d’autres cas, il se trouvera empêché de toucher certains objets jugés impurs. N’importe quel objet peut se trouver chargé d’interdit, tout comme n’importe quelle action ou omission pourra être utilisée comme symbole de purification. Mais, quels que soient ces actes symboliques, tous auront en commun leur trait d’illogisme : le fait qu’ils sont accomplis et obsessivement répétés d’une manière insensée, sans aucune nécessité logique.
Toutes les conditions de la constitution du symptôme psychopathique se trouvent ainsi réunies. Le symptôme s’avère explicable à partir de la mémoire et de ses fonctions d’oubli et d’évocation, manifestations psychiques d’origine naturelle et saine.
Le problème crucial se pose ainsi clairement : d’où vient l’angoisse coupable qui rend la mémoire morbide et activement refoulante .
Le désir étant un phénomène trop naturel pour être en soi honteux et coupable, l’interdit ne peut venir que de l’esprit. Il importe donc de déceler la cause qui dresse l’esprit contre le désir. Normalement, l’esprit devrait s’employer à le satisfaire. L’exigence de satisfaction met, dès l’origine, toutes les fonctions psychiques au service du désir. La mémoire liant le passé au futur (que l’homme aime s’imaginer chargé de promesses), qu’est-elle en premier lieu, sinon l’attente prolongée, la tension insatisfaisante des désirs en quête de satisfaction ? Seulement, voilà : tous les désirs ne peuvent être sans cesse présents à l’esprit valorisant, d’où la fonction d’oubli, nécessairement complétée par la capacité d’évocation. Les
fonctions conscientes – pensée, volonté, sentiments – apportent à leur tour leur concours à la quête de satisfaction du désir évoqué. Bien plus, elles sont créées par cette quête.
Ainsi toute la gamme des sentiments, variant entre attirance et aversion, espoir et déception, se constitue à partir d’une mémoire affective qui n’est autre que la tension énergétique des désirs. La pensée, par contre, est une mémoire réflexive capable de tirer du passé une expérience utilisable pour la future satisfaction des désirs. La décision volontaire résulte de la délibération qui confronte la mémoire affective et la mémoire réflexive, à seule fin de préparer la décharge satisfaisante des désirs.
La compréhension des fonctions conscientes, selon leur origine et leur but, permettra-t-elle de résoudre l’énigme de l’extraconscient ?
La délibération, parce que co-déterminée par le subconscient, n’aboutit pas nécessairement à sa fin satisfaisante. L’affectivité aveuglante peut déborder la réflexion lucide. Cette perte de lucidité, vitalement dangereuse, serait-elle à l’origine du sentiment de culpabilité ? L’esprit indiquerait-il par l’angoisse coupable la faute vitale, l’exaltation des désirs ? Le tourment de la culpabilité serait alors un sentiment à portée positive. Il serait l’appel de l’esprit qui tentera d’obtenir l’aveu conscient de la faute, son contrôle et son
élimination. Sentiment vague, la culpabilité ne pourrait émaner que de la sphère surconsciente. Le conscient devrait transformer l’appel vague en un savoir précis et contrôlable, seul moyen de se libérer de l’insatisfaction coupable. Mais le conscient, au lieu d’écouter l’esprit, peut se laisser entraîner par l’affect. Il se rend ainsi complice de la faute, qui est précisément l’exaltation de l’affect. Le conscient affectivement aveuglé tentera de se libérer de la faute en la désavouant. La conséquence de ce désaveu est le refoulement. Sans désaveu, pas de refoulement ; sans refoulement, pas de symptôme. Le refoulement découvert par Freud n’est qu’un effet ; sa cause primaire réside dans le désaveu de l’appel de l’esprit. S’il en est ainsi, il est clair que le procédé thérapeutique, tel que Freud l’a prévu, serait passible d’une simplification décisive ; la thérapie, pour être pleinement efficace, devrait s’attaquer à la cause primaire de la morbidité. Elle devrait combattre la tendance humaine à nier en toutes circonstances toute faute.
Cette tendance, la fausse auto-justification, est toujours présente et actuelle en chacun. Elle est l’erreur de l’esprit, incarnée dès l’enfance : la fausse valorisation de soi-même et du monde ambiant. En s’attaquant à cette cause essentielle toujours actuelle, la thérapie évitera un détour considérable à travers la remémoration du passé et de son contenu refoulé. Le désaveu de toute faute, l’auto-justification, falsifie sans cesse les motifs actuels de l’activité. Elle les rationalise faussement et crée ainsi la fausse motivation. Freud lui-même a constaté ce processus de “fausse rationalisation“. Il a omis de l’étudier, car son étude exige le recours à la méthode introspective.
Le moindre acte d’introspection lucide enseignera que la transformation de l’auto-accusation coupable en auto-justification s’opère sans cesse sur le plan de l’imagination. L’imagination se contente de jouer avec les désirs et de se délecter de leurs promesses de satisfaction. Perdant ainsi de vue les exigences de la réalité, elle finit par rendre les désirs insensés en les exaltant démesurément, tout en continuant à justifier leurs exigences irréelles. L’exaltation imaginative est la faute vitale en principe. Elle crée les innombrables fautes accidentelles, car son insuffisante évaluation de la réalité pleine d’obstacles, tout comme son appréhension angoissée des obstacles réels, préparent les réactions d’échec. À travers toutes ces vaines promesses, l’imagination exaltée n’aboutit qu’à l’insatisfaction coupable. Le psychisme – selon sa loi qui est la recherche de la satisfaction – tentera de se débarrasser de l’angoisse d’insatisfaction en refoulant les désirs devenus coupables. Le refoulement, passagèrement libérateur, conduira finalement, par accumulation, à l’explosion des symptômes.
La maladie psychique ne débute pas – comme Freud l’avait pensé – avec les manifestations subconscientes du refoulement, producteur des symptômes névrotiques. Sa cause première se trouve dans l’exaltation imaginative, dans la rêverie les yeux ouverts, état psychique des plus fréquents, dont la nocivité est insuffisamment reconnue. L’imagination morbidement exaltée se trouve être à la frontière du conscient et du subconscient. Ses méfaits doivent donc être accessibles à la compréhension introspective. C’est elle, l’exaltation morbide de l’imagination, qui détermine l’état initial de l’insanité de l’esprit, et c’est elle qu’il importe d’étudier pour comprendre la maladie de l’esprit, sous toutes ses possibilités d’aggravation. Cet état initial – d’ailleurs souvent stationnaire – est la nervositéavec ses sautes d’humeur, ses caprices et ses irritations, ses délectations vaniteuses et ses tourments coupables. Pour l’homme atteint de nervosité, la vie risque de n’être qu’une continuelle déception.
Confrontée avec le sens de la vie, l’exaltation imaginative est le contraire de l’ethos harmonisant. Constante préoccupation égocentrique, l’imagination exaltée n’est rien d’autre que l’introspection sous sa forme subjective et morbide, qu’il faut combattre afin d’accéder à une observation méthodique et objectivante.
Mais aussi importe-t-il de ne pas confondre l’imagination morbide avec l’imagination sous sa forme créatrice, qui, elle, marque la frontière entre le conscient et le surconscient, d’où sa force inspiratrice.”
La communication s’attache à définir les pratiques culturelles dans laquelle l’arbre s’inscrit : pratiques coutumières du temps et des groupes, pratiques économiques, politiques, alimentaires, techniques, ludiques, expressives, scientifiques et éthiques. Elle tente de définir le statut de l’arbre au sein des sociétés traditionnelles et examine quelles valeurs identitaires, esthétiques, juridiques, symboliques ou pragmatiques sont aujourd’hui liées aux arbres patrimoniaux et comment les collectivités et/ou les institutions peuvent (ou doivent) prendre en charge la protection de ces valeurs et surtout leur transmission…
Introduction
“Depuis octobre 2003, date où la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, fut proposée par l’Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture (UNESCO), l’expression “patrimoine immatériel” –ou son équivalent anglais Intangible Heritage–, est de plus en plus utilisée. On remarquera toutefois que, dans la plupart des textes ou des discours, son acception se limite aux seuls rituels collectifs spectaculaires. Ainsi, il est significatif que les dix-sept chefs-d’œuvre du patrimoine oral et immatériel de la Communauté française Wallonie-Bruxelles soient tous liés à des fêtes publiques, qu’ils s’agissent des acteurs (les échasseurs de Namur, les géants d’Ath, les gildes d’arbalétriers et d’arquebusiers de Visé) ou des événements festifs eux-mêmes (Tour Sainte-Renelde de Saintes, carnavals de Binche et de Malmedy, marches d’Entre-Sambre-et-Meuse).
Le seul chef d’œuvre lié à l’arbre est la fête du Meyboom de Bruxelles, plantation éphémère d’un arbre, le 9 août de chaque année, dans un ancien quartier populaire de la ville. Je reviendrai plus tard sur la plantation de l’arbre de mai, coutume autrefois largement répandue dans nos régions, mais je profite de l’exemple bruxellois pour déplorer le manque de cohérence de nos institutions politiques qui ont arbitrairement séparé la tutelle du patrimoine immobilier, confiée aux Régions, et celle des patrimoines mobilier et immatériel, attribuée aux Communautés. J’ai montré à plusieurs reprises dans des articles consacrés à la sauvegarde du patrimoine immatériel comment cette fracture était inappropriée et même dommageable. Comment pourrait-on dissocier un rituel (patrimoine immatériel) du lieu où il se déroule (patrimoine immobilier ou naturel) et des objets, instruments, masques (patrimoine mobilier) qui sont indispensables à sa réalisation ? Que sont les savoir-faire sans outils, la médecine traditionnelle sans plantes et la plupart des croyances sans représentations de la divinité et sans objets pieux ?
Le rapport entre l’homme et l’arbre que nous essayons d’analyser aujourd’hui reflète lui aussi l’interdépendance du matériel et de l’immatériel, la superposition des représentations, usages, croyances ou expressions. Ainsi, l’arbre remarquable est certes un patrimoine naturel, mais, le plus souvent chez nous, l’homme l’a planté, taillé, soigné ou en a aménagé les abords.
De même, l’arbre est associé aux bâtiments construits par l’homme (patrimoine immobilier), de la simple maison particulière aux édifices les plus prestigieux, et il peut être le support d’un panneau, d’une potale [terme du wallon liégeois qui désigne une petite niche contenant une statue de saint ou de la Vierge. On l’utilise aujourd’hui pour toutes les petites chapelles extérieures], d’une croix…, qui relèvent du patrimoine mobilier. En fait, l’arbre est au centre d’un ensemble de pratiques culturelles très diversifiées, recouvrant pratiquement tout le spectre des pratiques du patrimoine culturel immatériel et en épousant les principaux caractères, à savoir la transmission intergénérationnelle, la perpétuelle évolution et la fragilité devant l’actuelle globalisation de la culture liée à la mondialisation économique.
Les pratiques culturelles relatives aux arbres
Les pratiques culturelles relatives aux arbres ne s’inscrivent pas nécessairement dans les catégories proposées jusqu’ici par les ethnologues car leur transmission est essentiellement orale et gestuelle, alors que les taxinomies ont été créées pour des réalités tangibles, quantifiables ou qualifiables. Même lorsque le patrimoine immatériel est associé à un objet, un bâtiment ou à un site particulier, les supports descriptifs classiques sont impuissants à traduire son intangibilité. Force nous est d’établir de nouvelles classifications qui associent les supports de la tradition et de la transmission, l’appartenance au groupe et le caractère dynamique de l’expression ou du geste émis par le porteur de tradition. Pour simplifier ici, je partirai de la Grille des pratiques culturelles du Québécois Jean Du Berger, qui les répartit en trois catégories : les pratiques culturelles du champ coutumier, celle du champ pragmatique et celles du champs symbolique et expressif.
Le champ coutumier comprend tout d’abord les pratiques liées au temps. Ce n’est pas un hasard si le principal ouvrage du grand spécialiste wallon des arbres qu’est Benjamin Stassen, s’intitule La mémoire des arbres et s’ouvre sur un chapitre consacré à l’Arbre et le temps. L’arbre survit en effet à l’homme et celui-ci lui a fréquemment confié une fonction mémorielle. Qu’on songe aux arbres commémorant une révolution, la naissance d’une institution ou même d’un enfant, l’érection d’une église, d’une école, etc. Qu’on songe aussi aux nombreuses essences vertes qui accompagnent notre calendrier, destinées, au départ, à célébrer le renouveau ou à assurer la fécondité : sapin de Noël (et les plantes qu’il a peu à peu remplacées, telles que lierre, houx, gui, laurier ou palmier sous d’autres cieux), buis de Pâques, et “mais” de printemps. Ceux-ci sont encore, ça et là, offerts aux jeunes filles (Cantons de l’Est), aux notables (Grez-Doiceau, par exemple) ou érigés pour une fête (le Meyboom des Compagnons de Saint-Laurent à Bruxelles) ou une procession.
Des pratiques régulatrices, de types économiques ou juridiques, se sont transmises au cours des siècles. Pierre Koemoth a évoqué ce matin les chênes de justice ou arbres aux plaids, nombreux dans nos régions sous l’Ancien Régime ; à la même époque, on connaissait l’arbre patibulaire et celui, moins tragique, destiné au bornage, à marquer la limite de plusieurs juridictions. Certains droits d’usage étaient également associés à l’exploitation forestière, comme la glandée, droit de faire paître les porcs sous les chênes jusqu’au 30 novembre, ou l’affouage, droit de ramasser le bois mort et d’abattre le mort bois (arbres qui ne portent pas de fruits comestibles par l’homme ou l’animal domestique), toujours d’actualité dans quelques villages wallons. En dehors de notre ère culturelle, est-il besoin de rappeler l’importance de l’arbre à palabres en Afrique de l’Ouest, par exemple ?
Le champ pragmatique comporte les pratiques culturelles liées au corps, à l’alimentation, au vêtement, et les techniques liées au bâti, à l’habitation, aux transports, à l’acquisition de matière premières, à la défense. Pour les illustrer, j’évoquerai rapidement l’utilisation de fruits, de feuilles, de racines et d’écorces mais aussi de sève (de bouleau, par exemple) pour l’alimentation directe, la confection de tisanes ou de cosmétiques, d’éléments de parure, etc. Du bâton, auxiliaire de la marche, aux charpentes, en passant par les traverses de chemin de fer, le charbon de bois nécessaire au premiers hauts-fourneaux et tant d’autres usages décrits ce matin par Robert Dumas, le bois, c’est-à-dire l’arbre, est le socle de notre civilisation. Je ne m’appesantirai pas sur le sujet mais rappellerai que même les pratiques les plus connotées techniquement peuvent avoir un but esthétique ou ludique, donc immatériel.
Le troisième champ, qualifié de symbolique et expressif, est bien évidemment celui qui nous intéressera le plus ici. Il concerne les pratiques expressives, ludiques et sportives, scientifiques et éthiques. Qu’elles soient langagières, narratives ou lyriques, les pratiques expressives sont très nombreuses mais pas toujours identifiées comme telles : qui, se rendant à Aulnois, à Chênée, à Fays ou à Frêne, pense encore au lieu planté d’aulnes, de chênes, de hêtres ou de frênes ? Ces toponymes sont aussi devenus anthroponymes : Delaunay ou Delaunois, Duchêne, Defays ou Dufresne… Dans la même catégorie de pratiques langagières qui n’évoluent plus, on trouve les dictons et proverbes : “C’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre” ou “L’ivêr n’èst rin qu’oute qui quand lès nwâres sèpines ont flori” [L’hiver n’est terminé que quand les prunelliers ont fleuri]. Par contre, les pratiques expressives narratives ou lyriques – contes et légendes, mythes, récits, poèmes, chansons – et celles que l’ont peut qualifier d’arts d’interprétation ou spectacles sont celles qui font preuve de la plus grande créativité. D’Ovide à Georges Brassens, du trouvère médiéval anonyme à l’écolier du XXIe siècle, l’arbre n’a cessé d’alimenter l’imaginaire…
Le spectacle, jeu de scène, s’apparente aux pratiques ludiques qui, avec l’arbre, se déclinent en jeux et sports divers. L’accrobranche est une version contemporaine des jeux qui, de tous temps, ont vu des nuées d’enfants grimper aux arbres, s’y balancer ou en sauter de branche en branche. Le tir à l’arc s’est longtemps pratiqué à l’aide d’un arbre ébranché, perche qui peut à l’occasion se muer en mât de cocagne… Quelques troncs de plus et voilà une activité typiquement scoute : le woodcraft, construction de meubles, d’estrades ou de portiques à l’aide de bois et de ficelle… La sculpture sur bois pratiquée comme passe-temps pourrait aussi être rangée dans cette catégorie des pratiques ludiques, même si elle nécessite un savoir-faire très pragmatique. Il peut paraître paradoxal de qualifier des pratiques traditionnelles de scientifiques. Comment pourtant traduire autrement les recettes, les remèdes, voire les divinations que certains, en ayant acquis oralement ou gestuellement le savoir et le savoir-faire, pratiquent dans le but de guérir, de soulager ou de répondre aux interrogations de leur entourage ?
Par contact, par ingestion, par inhalation, l’arbre ou l’une de ses parties se fait alors complice de l’homme. Parfois, il en est la victime : ainsi, une pratique qui tend heureusement à disparaître chez nous, veut que lorsqu’on souffre d’une dent, il faut frotter contre celle-ci un clou neuf, clou que l’on va ensuite ficher dans le tronc d’un arbre connu. Le même traitement vaut pour un furoncle, appelé clou en wallon et en français régional. Le mécanisme de guérison invoqué est le transfert : l’arbre prend le mal qu’on lui a cloué et en débarrasse ainsi le cloueur. Précisons qu’une étude réalisée en 2003 par une équipe de l’université de Liège a montré que sur la soixantaine d’arbres à clous recensés dans les provinces de Liège et de Luxembourg, seuls trois portent des clous récents et pourraient donc encore faire l’objet du rituel de clouage.
Pour l’historien Yves Bastin, “la proximité d’arbres cloués et de chapelles semble due à la superposition de croyances en un point donné plutôt qu’à la récupération par le clergé de coutumes religieuses païennes. Le clouage à des fins médicales n’est pas une pratique chrétienne qui aurait directement succédé à un culte païen.” Nous ne considèrerons donc pas l’arbre à clous comme un arbre sacré relevant des pratiques éthiques, même si, dans nos régions, l’arbre sacré est souvent associé à une chapelle ou à une fontaine guérisseuse. L’arbre sacré est celui qui a été sacralisé par une bénédiction et/ou un objet de dévotion – chez nous, un Christ, une statue de saint ou de Notre-Dame. L’arbre sacré n’est pas, loin s’en faut, une prérogative de la religion chrétienne. Il existe et a existé de tous temps et sur tous les continents. Ainsi, une peinture de la tombe du pharaon Thoutmôsis III, dans la Vallée des Rois, en Egypte, montre le pharaon allaité par un sein que lui tend la déesse de l’arbre sacré, Isis. Cette peinture est datée des environs de 1450 avant Jésus-Christ. De la même époque sans doute date l’épisode du buisson ardent, relaté dans l’Ancien Testament (Livre de l’Exode, III), buisson au pied duquel Moïse reçut la révélation du monothéisme. L’arbre, sacré dans les trois religions du Livre (le judaïsme, le christianisme et l’islam), est identifié comme un buisson pyracantha conservé au pied du Mont Sinaï, dans l’actuel monastère Sainte-Catherine. En Inde, c’est sous un arbre, aujourd’hui sacré, que Bouddha a accédé à la Bodhi, éveil ou connaissance suprême. On pourrait multiplier les exemples.
En Wallonie, mais aussi en France, en Grèce et dans d’autres régions du globe parfois très éloignées, il n’est pas rare de rencontrer des arbres couverts de linges ou de pièces de tissus, parfois de couleurs vives, comme en Mongolie. Dans nos régions, ce sont le plus souvent des ex-voto déposés par les pèlerins venus prier là pour la guérison d’un proche, le retour d’un être cher, la réussite aux examens, la fortune ou le bonheur… Etymologiquement, l’ex-voto est l’objet placé dans un lieu saint en accomplissement d’un vœu ou en remerciement d’une grâce obtenue. Sur l’arbre, il est souvent placé préventivement, au moment de la demande d’aide. Quelques exemples d’arbres couverts d’ex-voto illustreront mon propos. Ainsi, en Normandie, dans le Calvados, le village du Pré d’Auge est connu pour son chêne et sa fontaine Saint-Méen, censés soulager les affections dermatologiques. L’arbre est situé au milieu d’un pré, en contrebas de l’église. Il jouxte une source où les pèlerins viennent tremper un mouchoir. Ils s’en frottent la partie du corps malade puis le déposent sur l’arbre qui abrite, au creux de son tronc, une tête de saint Méen protégée par un grillage.
Un tel arbre support d’ex-voto peut se voir aussi à Stambruges, entité de Beloeil dans le Hainaut. La source qu’il ombrageait a disparu mais le nom même du site Arcompuch’ ou Erconpuch’ (littéralement Arconpuits) est explicite sur son existence ancienne. La chapelle et donc la dévotion locale ne sont pas antérieures au XVIIIe siècle ; pourtant, la renommée de l’arbre (un robinier) est telle qu’on parle aujourd’hui d’Arbre au puits et que les gardiens du lieu sont obligés de débarrasser régulièrement le tronc de ses ex-voto les plus douteux sur le plan de l’hygiène. Aux chapelets, scapulaires, ceintures et vêtements de toute sorte, on préfère de nos jours pansements, mouchoirs, plâtres, emballages de médicaments et même… vignettes de mutuelle.
Un autre arbre à ex-voto de nos régions est plus sobre : le frêne de la source Saint-Thibaut sur la colline de Montaigu, dominant le village de Marcourt (province de Luxembourg). Alors qu’au début du XXe siècle, l’arbre se dressait majestueusement, il n’en reste aujourd’hui qu’un morceau de tronc achevant de pourrir dans l’herbe humide. Comme autrefois cependant, les pèlerins y déposent de petites croix en brindilles nouées en leur centre.
Je terminerai ce rapide panorama des pratiques culturelles liées aux arbres en vous invitant à découvrir un arbre riche de sens, le ginkgo d’Hiroshima, au Japon : dans la ville rasée par la bombe, un arbre a reverdi au printemps 1946. Il a survécu aux hommes, aux animaux et même aux constructions humaines…”
“L’étude menée par des scientifiques des universités de Liège et de Copenhague, vient d’être publiée dans la revue Brain Communications [The evolutionary origin of near-death experiences: a systematic investigation, by Costanza Peinkhofer, Charlotte Martial, Helena Cassol, Steven Laureys, Daniel Kondziella]. Elle propose l’hypothèse que ces expériences de mort imminente chez l’humain seraient un mécanisme de défense, de survie, en cas de danger de mort. Ce mécanisme ressemblerait aux comportements de simulation de mort, de thanatose (expérience de mort imminente chez les animaux, ndlr), observés chez de nombreuses espèces animales quand elles sont confrontées à des prédateurs et en danger.
Mais qu’est-ce qu’une expérience de mort imminente ? “Pour moi, c’est une réalité physiologique. Elle se passe classiquement quand on est en danger de mort“, explique Steven Laureys, neurologue et responsable du Coma science group et Centre du cerveau de l’université de Liège. “Elle s’accompagne d’un sentiment de bien-être. On ne ressent plus son corps comme s’il y avait une ‘décorporation‘. Le phénomène est fascinant, il mériterait davantage de recherches scientifiques.“
Ces expériences se manifestent de façon différente chez les personnes qui en font l’expérience. Mais le mythe de la lumière blanche ne serait pas nécessairement un mythe. Nombreux sont ceux qui en font état.
Malgré tout ce phénomène reste un mystère. Pour certains, ce phénomène pourrait être dû à un manque d’oxygène dans telle ou telle partie du cerveau. D’autres comme Steven Laureys ne sont pas d’accord avec toutes ces hypothèses. D’autant que c’est encore un phénomène qui nous échappe.
Un phénomène qui reste à ce point fascinant que les scientifiques ne sont pas les seuls à s’y intéresser. D’ailleurs, d’autres personnes y voient des explications religieuses, y voient une preuve d’une vie après la mort ou de l’âme qui quitterait notre corps. Il manque clairement une théorie pour l’expliquer ajoute Steven Laureys et pour comprendre à quoi il sert.
Pourquoi ce fascinant phénomène serait-il limité à l’homme ?
Quand un animal fait face à un danger, par exemple un prédateur, en dernier recours, il peut se battre, fuir ou avoir une troisième réaction fascinante. Il va tomber et simuler sa mort. Ce qui se passe dans son cerveau est difficile à savoir. L’animal ne parle pas mais les scientifiques belges et danois pensent que les animaux ont une conscience comme nous. Ils ont donc épluché la littérature “animale” et ont exhumé 32 articles sur ce phénomène de simulation de la mort.
A chaque fois, il y avait cette sensation de bien-être, de ne plus sentir leur corps comme s’ils en étaient dissociés
Parallèlement, les chercheurs ont lancé un appel à témoins. 600 personnes des quatre coins de la planète qui avaient vécu cette expérience, leur ont raconté leur histoire. “Récits de confrontations avec des lions, des requins“, nous détaille le scientifique liégeois, “sept témoignages concernaient des agressions physiques ou sexuelles, mais il y avait aussi beaucoup d’accidents de voiture. A chaque fois, il y avait cette sensation de bien-être, de ne plus sentir leur corps comme s’ils en étaient dissociés.“
L’expérience de mort imminente remonte peut-être à la nuit des temps
Ce sont ces témoignages et les publications sur les animaux qui les ont conduits à formuler leur hypothèse. Peut-être que la mort imminente fait partie de notre évolution depuis des millions d’années. Elle est observée de la même manière chez les humains et chez les autres mammifères. Et pas seulement, chez les poissons, les reptiles et même les insectes, on retrouve aussi cette réaction paradoxale de rester immobile, de ne plus réagir aux sollicitations tout en gardant tout de même une conscience.
“D’un point de vue biologique, neurologique, tous les animaux ont eux aussi des pensées, des perceptions, des émotions, même si, je le concède, le sujet reste tabou. Il est complexe, il faut poursuivre les investigations.“
Notre neurologue est clair : “Pour moi, cela pourrait être un mécanisme de défense qui permet de nous protéger dans une situation d’extrême danger et qui serait encore là aujourd’hui. Pas seulement en cas de traumatisme ou d’accidents de voitures mais aussi après un arrêt cardiaque avec manque d’oxygène global dans le cerveau.“
Cherche de nouveaux témoins qui ont vécu cette expérience de mort imminente
La recherche est loin d’être finie. Aujourd’hui, l’équipe du Coma Science Group du CHU de Liège, est à la recherche de nouveaux témoins. Alors si, vous aussi, vous avez vécu cette expérience de mort imminente, vous pouvez la partager en envoyant un mail avec votre histoire. NDE@Uliege.be (Near Death Experience).
“Nous voulons écouter ceux qui l’ont vécu. Il faut l’avoir vécu, moi je ne sais pas de quoi je parle, je n’ai jamais vécu pareille expérience. Pas trop d’arrogance scientifique, juste de la curiosité et la méthodologie d’essayer de confronter ce que l’on pense comprendre avec ce que l’on pense mesurer“, conclut, avec humilité, Steven Laureys.” [RTBF.BE]
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“J’ai tâché de démontrer que le but de la délibération intime est la libération qui réside dans l’harmonie des désirs, dans la maîtrise de soi, dans l’objectivation du sujet à l’aide d’un effort introspectif de prise de connaissance de soi.
Or, depuis les temps les plus reculés, l’effort essentiel de l’esprit humain a été la lutte contre l’affectivité aveuglante. Le thème de la maîtrise des désirs et de la connaissance de soi traverse les siècles. Unissant les époques, il fonde l’effort évolutif et culturel de l’homme, l’histoire de l’humanité, sous son aspect essentiel. La psychologie retrouve actuellement ce thème, non point par hasard, mais par une immanente nécessité historique. Comment n’aurait-elle pas le souci de mettre en relief son lien avec les efforts précédents envers lesquels elle s’éprouve redevable, si pré-scientifiques soient-ils ?
La connaissance intime n’a jamais été cherchée dans un but purement théorique, mais au contraire, dans un dessein éminemment pratique, comme en témoigne l’idéal de sagesse des Anciens. La sagesse est l’harmonie des désirs. L’amour de la sagesse, la philosophie, a cherché les conditions de l’harmonisation non par idéalisme exalté, ni même par devoir extérieurement imposé, mais uniquement parce que les Anciens y reconnaissaient la condition ultime de satisfaction. La satisfaction ultime est la joie, et le désir essentiel de tout homme est de vivre dans la joie. Depuis que l’homme vit, et tant qu’il vivra, il cherchera la joie et les conditions de son accomplissement. Son effort essentiel consistera à valoriser les désirs selon leur promesse de satisfaction, à les hiérarchiser et à créer ainsi l’échelle des valeurs.
La psychologie moderne a passagèrement abandonné la recherche essentielle. La psychologie ne fut longtemps qu’une branche de la philosophie, mais qui nécessairement a gagné de plus en plus en importance, du fait que le thème essentiel de sa recherche -la maîtrise satisfaisante des désirs- était un problème psychique. Voulant se constituer en science indépendante, la psychologie a pris soin de rendre la séparation radicale. Elle a rejeté non seulement la forme de l’ancienne recherche jugée trop intuitive, mais aussi son contenu : le problème essentiel. Mais la psychologie pourrait-elle à jamais renoncer au contenu essentiel de toute recherche ?
Les conditions de satisfaction et d’insatisfaction sont inscrites dans le fonctionnement psychique. Parce qu’elles y sont inscrites, elles doivent être psychologiquement définissables. Ce n’est que de la définition claire des conditions immanentes de satisfaction vitale que pourra résulter une valorisation sensée (la compréhension du sens et de la valeur de la vie), savoir enseignable dont le pouvoir formateur sera amplifiable de génération en génération. Transmissibilité et amplification sont les traits caractéristiques de toute science. C’est dans ce trait, et non point dans l’abandon du problème essentiel, que la psychologie devrait chercher le renouveau.
Afin de mettre en évidence le lien essentiel unissant les époques, il importe de tracer la ligne évolutive conduisant des croyances primitives à la philosophie et à la psychologie comprises dans toute leur ampleur.
Le thème commun à la philosophie et à la psychologie –la maîtrise des désirs à l’aide de la connaissance de soi– est le problème éthique. La philosophie intuitive, ne pouvant formuler clairement l’origine immanente des valeurs, se perdait dans les spéculations métaphysiques. Ce penchant est fatal, car la réflexion philosophique a hérité de la figuration éthique de la mythologie, qui plaçait les valeurs sous une forme personnifiée dans une région transcendante. Ces personnages surhumains, les divinités, représentant les valeurs, ont été originairement imaginés comme vivant éternellement dans une sphère céleste, imposant à l’homme la conduite éthique -la maîtrise des désirs- comme condition de son salut.
Personnages mythologiques, les divinités des Anciens étaient les créations d’une imagination à force sublimante. Elles figuraient symboliquement les qualités psychiques de l’homme portées à la perfection. Elles imposaient (symboliquement parlant) la conduite sensée, parce qu’elles signifiaient (psychologiquement parlant) un appel à l’effort de perfectionnement que l’homme, créateur des mythes, s’adressait à lui-même par une sorte de prescience surconsciente des conditions psychiques de sa propre libération. Sur le plan de la délibération réelle et intime, les images des divinités étaient, de ce fait, des déterminantes immanentes de l’accomplissement sensé.
Personne ne croirait plus à l’heure actuelle que les divinités grecques, par exemple, Zeus, l’esprit, Héra, l’amour, Athéné, la sagesse, Apollon, l’harmonie, etc., aient réellement, c’est-à-dire physiquement, existé. Elles existaient cependant dans un sens psychologique : images-guides, elles étaient des centres suggestifs qui, parce qu’immanents à la psyché, aidaient l’homme à trouver la solution juste de ses conflits psychiques.
À cet égard, il est instructif de constater que toute la sagesse de la prescience mythologique des Grecs a été condensée dans l’inscription qui se trouvait au fronton du temple d’Apollon, dieu de l’harmonie : “Connais-toi toi-même“. Connaître soi-même, c’est connaître les motifs de ses actions. La prescience mythique indique donc par cette inscription que la connaissance des motifs intimes permet d’accéder à l’esprit harmonisateur. Cette sous-jacente vérité psychologique se trouve encore renforcée par le récit mythique qui souligne le pouvoir libérateur d’Apollon : l’homme qui, conformément à la prescription, cherchait la connaissance de soi, qui symboliquement parlant se réfugiait dans le sanctuaire de l’harmonie, qui soumettait ses désirs exaltés à l’exigence de l’esprit harmonisant, était – d’après l’ancienne prescience – sauvé de la poursuite par les Érinnyes (symboles de la culpabilité). Psychologiquement parlant : l’homme, ayant rempli les conditions saines de la délibération, se trouve libéré du désaccord avec lui-même et du tourment coupable qui en résulte.
Les symboles mythiques formaient une terminologie psychologique exprimée par image.
Mais, peu à peu, la foi en les images perdait sa force vivifiante. Le doute se réveillait à mesure que la divinité, immanente force suggestive existant dans l’intra-psychique, n’était plus prise que pour une réalité extra-psychique vivant réellement dans une région transcendante. La statue, représentation symbolique de la divinité, en vint à être prise pour une divinité réelle qu’on implorait dans l’espoir d’obtenir d’elle la satisfaction des désirs matériels.
L’erreur dans la valorisation décidait ainsi du déclin de la culture.
C’est alors que dans la culture grecque-exemple ici du destin de toutes les cultures- la réflexion philosophique prit le pas sur les croyances. Afin de sauvegarder les valeurs éthiques, la philosophie s’efforça d’expliquer leur raison d’être, qui ne se dégage des images mythiques qu’après en avoir rejeté l’enveloppe symbolisante.
Rien n’est plus instructif à cet égard que la philosophie de Platon. Dans ses Dialogues, le conflit d’origine intrapsychique ne se trouve plus représenté par le combat des héros contre les monstres et les démons, mais par la discussion entre Socrate et les Sophistes. Le héros de Platon, Socrate, défend les valeurs-guides sous leur forme réelle -la connaissance de soi et la maîtrise des désirs- contre l’assaut des Sophistes. Afin de dérober l’affect et ses promesses de jouissance au contrôle de la pensée consciente, les Sophistes se faisaient forts de démontrer que la pensée n’est qu’un moyen bon à prouver n’importe quoi par n’importe quel argument. (C’est là un procédé de fausse justification que tout homme emploie à son insu dans sa propre délibération intime, afin de soustraire au contrôle de l’esprit élucidant les promesses de l’imagination exaltée.) Socrate s’oppose à la rhétorique des Sophistes. Il démontre l’exigence immanente de l’esprit : la nécessité de définir clairement les termes qui désignent les qualités psychiques, seul moyen d’éviter la confusion entre le juste et le faux, confusion dangereuse parce que génératrice de l’activité faussée.
Les dialogues platoniciens sont une tentative d’établir une terminologie psychologique clairement définie, capable de remplacer la terminologie symbolique et imagée de la prescience mythique.
Les thèmes des dialogues seront les qualités psychiques que les divinités, figures symboliques, ont représentées: l’esprit, l’amour, la sagesse, l’harmonie, etc. Sans cesse le Socrate de Platon s’efforce de définir ces termes. Afin de démontrer leur immanente valeur, il les présente comme seuls garants de satisfaction vitale.
La maïeutique de Socrate est une analyse des motivations à base introspective, fondée sur une tentative de prise de connaissance de soi-même.
Mais si, par l’emploi de cette méthode, Platon défend l’origine immanente des idées-guides (vérité, beauté, bonté, sagesse, harmonie, amour), il les détache néanmoins d’une façon insuffisante de l’ancienne figuration mythique. Pareilles aux divinités olympiennes symboliquement immortelles, les idées-guides résident éternellement dans une sphère inaccessible à l’homme. Sans doute Platon a-t-il voulu donner à entendre par là que l’idéal éthique existe en dehors de l’usure du temps, qu’il demeure vrai et valable à travers tous les temps. Il n’empêche que, par la tentative d’assurer aux valeurs une portée absolue et transcendante, la philosophie fut condamnée à ne rester qu’une sorte de psychologie spéculative, vénérable par l’ampleur de ses problèmes, mais dont les tentatives de solution s’échelonnent en une succession de systèmes contradictoires.
Peut-on, de ce résumé succinct, conclure à la situation de l’époque actuelle ?
Ce qui est certain, c’est que la contradiction à l’égard des valeurs et de leur origine culmine à l’heure actuelle dans un degré de désorientation jamais atteint auparavant au cours de l’histoire.
Si l’on admet que toutes les cultures ont été fondées sur leur vision des valeurs, guide essentiel de la conduite humaine tant individuelle que sociale, on ne peut s’empêcher de penser que la cause la plus secrète du désarroi de l’époque présente est due à la scission intervenue entre la survivante métaphysique spiritualiste et le matérialisme mécaniciste, fondement idéologique des sciences. La psychologie elle-même est à la remorque d’une idéologie rationaliste pour laquelle, paradoxalement, la raison n’est qu’un épiphénomène et le raisonnement une illusion.
L’avènement de la psychologie des profondeurs est l’une des conséquences de cette situation conflictuelle.
Il importe dès lors de démontrer que l’étude de l’extra-conscient apporte, en effet, un élément nouveau à la recherche essentielle qui traverse l’histoire.
Mais la psychologie de l’extra-conscient risque de demeurer inefficace si elle ne s’avise pas que les maladies de l’esprit, qui à des degrés divers d’intensité assaillent tous les individus, résultent en premier lieu du malaise de l’esprit incapable de valorisation pondératrice, permettant de maîtriser l’exubérance des désirs matériels, sexuels et spirituels et d’établir ainsi une juste hiérarchie des valeurs.”
En 1958, Paul DIEL a prononcé une série de six conférences dans l’émission radiophonique L’Heure de culture française de la radiotélévision française de l’époque. L’ensemble visait à fournir une Introduction à la Psychologie de la Motivation. C’est Jane DIEL qui les propose dans la biographie qu’elle a consacrée à son époux en 2018 (éditions MA-ESKA). Nous avons regroupé les six textes dans wallonica.org, les voici :
“Depuis plusieurs années déjà, on constate en psychologie un mouvement qui tend à se déployer dans divers pays. Il s’efforce de réviser les assises mêmes de cette science afin de lui assurer une portée dépassant les limites qui lui furent assignées par les méthodes en usage.
Voici comment s’exprime à cet égard, pour ne citer qu’un seul auteur, le Dr A.H. Maslow, professeur à la Brandeis University, aux États-Unis, dans un récent article intitulé Toward a Humanistic Psychology : “Je crois que tous les problèmes de grande importance, guerre et paix, exploitation de l’homme et fraternité humaine, haine et amour, maladie et santé, mésentente et harmonie, bonheur et malheur de l’humanité, ne trouveront leur solution que dans une meilleure compréhension de la nature humaine…” Et, plus loin : “Elle (la psychologie) se préoccupe beaucoup trop de ce qui est objectif, manifeste, extérieur, en un mot de la conduite… Elle devrait étudier davantage ce qui est intérieur, subjectif, méditatif, secret. L’introspection, utilisée comme technique, devrait être réintroduite dans les recherches de la psychologie.“
Dans divers ouvrages et études, l’auteur du présent exposé a défendu une position qui, bien que conçue en pleine indépendance de pensée, s’apparente à celle qu’expriment ces citations, on n’aurait cependant pas osé l’exprimer avec cette franchise un rien naïve qui caractérise, souvent tout à son honneur, le savant américain.
Et de fait, il me serait impossible, aujourd’hui, d’exprimer ces idées en évitant toute polémique. Ma meilleure excuse est que je me sens uni -même avec les psychologues auxquels il m’advient de m’opposer- dans le souci d’une commune recherche de la vérité.
Longtemps avant que la psychologie ait pu se constituer en science, sa terminologie avait été préétablie par la sagesse du langage. Des termes comme sentiment, volonté, pensée étaient couramment employés ; le terme de psyché signifiait l’ensemble de toutes ces fonctions, et de bien d’autres depuis toujours plus ou moins clairement distinguées.
Cette constatation pourrait paraître bien simple, sinon simpliste. À y réfléchir, ne renfermerait-elle pas un problème grave, le problème crucial de la psychologie, celui de sa méthode ?
Bien sûr, toutes les sciences se sont constituées à partir d’une terminologie préétablie. La physique n’utilise-t-elle pas des termes comme vitesse, accélération, etc., qui se sont formés à partir d’une observation ancestrale ? Mais la physique n’est devenue science qu’en définissant clairement sa terminologie grâce à l’emploi de la formule mathématique.
La psychologie, obligée de se contenter des formulations, devrait avoir le souci de les préciser. Est-elle parvenue à formuler clairement ce que sont les fonctions, pour ne citer que les plus fondamentales, de pensée, de volonté, d’affect ?
Pour la psychologie du comportement, la psyché est inexistante. Ses fonctions ne seraient que des épiphénomènes illusoires. Il suffirait donc d’étudier les phénomènes manifestes, constatables par observation extérieure : les actions qui, par voie de conséquence, seraient exclusivement déterminées par l’influence du milieu. Bien entendu, l’étude du comportement ne peut s’abstenir d’utiliser l’ancienne terminologie. Elle continue à parler des pensées, des volitions, etc. Mais elle traite ces phénomènes intrapsychiques avec un souverain mépris. Pour les étudier, il faudrait les observer, et par quelle méthode pourrait-on le faire ?
Il ne s’agit point de contester la valeur des méthodes employées par l’étude du comportement, à savoir l’observation clinique et l’observation à l’aide de tests. Mais ces méthodes n’épuisent pas les instruments de la recherche.
N’est-il pas indéniable que la terminologie élaborée par la sagesse du langage n’a pu être établie qu’à partir de l’observation de la vie intime ? La vie humaine consiste essentiellement en une incessante délibération intime à laquelle toutes les fonctions psychiques apportent leur concours. Le comportement n’en est que le résultat final. Chacun sait intimement et pertinemment qu’il délibère avant de répondre activement aux excitations du milieu. Est-ce possible que ce travail intrapsychique ne soit qu’un leurre,
qu’une illusion dépourvue de toute importance pour la vie ?
La sagesse du langage, qui a su déceler les facteurs les plus élémentaires de la délibération intime, constituant ainsi sa terminologie à partir d’une introspection révélatrice, sans cesse renouvelée par tout être humain, n’aurait-elle pas une fois pour toutes prescrit à la psychologie sa voie d’investigation ? Pour être science, la psychologie ne devrait-elle pas parvenir à rendre de plus en plus lucide la méditation qui se poursuit inlassablement en nous à l’endroit de cette affection immédiate que sont nos désirs et leur exigence de satisfaction, laquelle, sensée ou insensée, décide de la valeur des hommes, du destin de l’humanité ?
Voici comment William James résumait la situation dans son Précis de Psychologie : “…nous ignorons jusqu’aux termes entre lesquels les lois fondamentales, que nous n’avons pas, devraient établir des relations. Est-ce là une science ? C’en est tout juste l’espoir. Nous n’avons que la matière dont il faudra extraire cette science.“
Cette matière que nous possédons, qu’est-elle sinon la terminologie anciennement et introspectivement préétablie par la sagesse du langage ? Si, après l’effort des siècles, nous ne sommes pas parvenus à extraire de cette matière des lois capables de constituer une science, ne serait-ce point parce que la voie d’investigation prescrite par la sagesse du langage a été abandonnée?
Une science se définit par sa méthode et elle s’expose par ses lois. Les lois du psychisme concerneraient-elles le désir et ses exigences de satisfaction sensée ou insensée déterminant la situation conflictuelle de l’homme et même de la société ? Le désir n’est-il pas à la base de tout effort humain, même de la science ? La science pure désire posséder la vérité, satisfaction de l’esprit. La société en fait un usage technique en vue de satisfaire les désirs matériels ; mais la loi essentielle de la vie stipule que la véritable satisfaction, le triomphe sur toutes les tentations insensées, ne peut être trouvée que dans la maîtrise des désirs. Comment réaliser les conditions de cette satisfaction essentielle, si la science s’obstine à exclure l’étude du désir du domaine de sa recherche? Bien qu’il soit utopique de penser à une solution à courte échéance, il n’en demeure pas moins vrai que l’esprit humain ne devrait reculer devant aucun problème que la vie et ses exigences inéluctables lui imposent. Ce sont précisément les merveilles de l’invention technique qui démontrent, ou qui pourraient du moins susciter l’espoir, qu’aucun problème n’est insoluble à condition qu’il soit sciemment posé.
Mais le problème essentiel ainsi posé, sa solution est-elle réalisable ? Le désir est une affection subjective. De par sa nature même, il semble s’opposer à la prise de connaissance, qui ne pourra s’opérer que par voie d’introspection objective. Se faire défenseur de l’introspection, n’est-ce point s’engouffrer dans une impasse ?
N’est-il pas connu et reconnu que l’introspection est dépourvue de toute objectivité et que son emploi n’est pas seulement inefficace, mais au plus haut degré nuisible ?
La vérité, c’est que tout le désarroi actuel de la psychologie est dû précisément au fait que seule l’introspection sous sa forme morbide est reconnue, sans toutefois être étudiée dans ses conditions et ses aboutissements. Elle consiste dans la rumination complaisante des moindres fluctuations de l’affectivité, sans aucun effort de valorisation lucide. Elle transforme les sentiments en ressentiments, et aboutit ainsi à l’interprétation morbide des intentions propres du sujet et des motifs d’autrui à son égard. Produisant l’hypostase vaniteuse et rancunière de l’ego trop auto-complaisant, elle conduit vers l’égocentrisme. Le cortège des déformations psychiques est la conséquence de cette rumination faussement introspective. C’est elle qui détruit la pensée logique et objective par suite d’un aveuglant débordement affectif, conséquence de l’exaltation égocentrique des désirs. L’introspection morbide est la maladie de l’esprit par excellence. Mais n’en résulterait-il pas que la santé psychique est précisément fonction d’un esprit lucidement valorisant, capable de s’opposer aux ressentiments égocentriques et aux désirs désordonnés ? Comment cette valorisation élucidante et objectivante pourrait-elle s’opposer aux méfaits de l’introspection morbide, si elle n’était pas elle-même de nature introspective ?
La psychologie intime n’invente rien en constatant que le conflit des motifs est l’objet d’une constante introspection. Mais elle rappelle à l’évidence. Elle souligne que rien n’est plus important que de comprendre sciemment les motivations secrètes du conflit intime. Seule une prise de connaissance scientifique permettra d’élaborer une méthode objective, capable de soutenir l’introspection saine dans sa lutte contre l’introspection nocive.
Sous le bénéfice de cette distinction se désigne clairement le thème de cette série d’exposés.
La maîtrise des désirs, c’est la maîtrise de soi. La condition indispensable en est la lucidité à l’endroit de ses propres motifs intimes, qui déterminent l’activité dans son ensemble et, par là même, le caractère. Se connaître jusque dans ses intentions secrètes, c’est comprendre la nature humaine en général, c’est connaître également autrui. L’introspection méthodique, loin de conduire à un égarement subjectif, est au contraire la condition de toute véritable objectivité. Le thème commun de ces exposés sera donc l’étude des motivations intimes, qui se dérobent souvent au conscient parce que inavouées et jugées inavouables. Ce sont les motifs inavoués qui s’opposent à la connaissance du fonctionnement psychique, but de la psychologie.
Mais avant d’aborder en détail l’étude des motivations, il est utile de souligner toute l’importance historique du problème.”
L’asbl Vie & Mouvement a été créée en vue de venir en aide aux personnes à la recherche d’un mieux-être physique, psychologique et moral, d’un développement personnel. Cet objet s’inscrit dans des buts humanitaires, philanthropiques, et altruistes, dans le respect d’une démarche personnelle de l’individu. Elle a centré son activité sur une technique corporelle qui unit le corps et l’esprit. Il s’agit de la pratique du Tai Chi Chuan. , tout simplement car cette technique constitue, dans sa profondeur, une approche holistique de l’être humain dans la recherche de sa santé au sens large du terme. Cette pratique relie le corps et l’esprit et se vit dans le moment présent, exactement dans la même essence traditionnelle et très ancienne que la pratique du yoga. Elle a donc d’immenses facultés de développer un bien-être réel et durable chez l’individu. L’école de Tai Chi Chuan Vie & Mouvement existe depuis 1996. Ses traits principaux sont : son indépendance, son enseignement spécifique et de qualité, respectant le rythme de chacun…
“L’auteur liégeois Marcel Conradt s’était déjà plongé dans l’histoire de sa ville en retraçant notamment celles de ses théâtres, de son Grand Bazar, de sa place Saint-Lambert, de ses hôtels ou de ses quais de la Meuse et de la Dérivation.
Son nouvel ouvrage – publié aux Editions de la Province de Liège – nous plonge cette fois dans les “Histoires des bains et bassins de natation de Liège, du 17e siècle à nos jours”. Logique, quand on sait que Marcel Conradt a notamment été un des premiers “bébés-nageurs” de Liège…”