Quelques vidéos fascinantes d’artistes à l’œuvre…

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Picasso et Clouzot sur le tournage du “Mystère Picasso” (1955-6)

Il y avait déjà le fascinant “Mystère Picasso” d’Henri-Georges CLOUZOT : “Au printemps 1955, Picasso appelle Clouzot pour lui parler de stylos feutres fabriqués aux États-Unis et qu’il vient de recevoir. Ces stylos ont la particularité d’avoir une encre capable de transpercer tout un bloc de pages, et a fortiori une toile. Le déclic s’opère, le procédé est trouvé : filmer la toile à l’envers et ainsi “assister à l’œuvre de création”. Ainsi Clouzot filme Picasso en train de peindre sans qu’on ne puisse le voir derrière la toile. Une sorte de Work in progress inédit.” [FRANCETVINFO.FR]

Le Mystère Picasso ne se borne pas à être un long métrage, là où l’on n’osait pas s’aventurer au-delà de 50 minutes, c’est l’unique développement de quelques-unes de ces minutes par élimination de tout élément biographique descriptif et didactique. Ainsi, Clouzot a rejeté l’atout que tout le monde aurait gardé : la variété. C’est qu’à ses yeux seule la création constituait l’élément spectaculaire authentique, c’est-à-dire cinématographique.

André BAZIN

Hypnotique Gerhard Richter

“Une image vaut 1 000 mots… Surtout lorsque l’image montre Gerhard RICHTER à l’œuvre dans son atelier ! L’artiste allemand, connu pour ses œuvres hyperréalistes, s’attèle ici à une imposante composition abstraite. Sur la toile, aidé d’un racloir, il étale la couleur et lisse la matière, inlassablement. Filmé simplement en plan fixe, le peintre semble même ne pas remarquer la présence de la caméra ! Une expérience hautement méditative et presque hypnotique, rythmée par les amples gestes de l’artiste concentré et imperturbable.

Paul McCarthy, un clown-artiste

Perruque blonde vissée sur la tête, faux nez, gants de Mickey et pinceau démesuré… Difficile de reconnaître ici le facétieux Paul McCARTHY qui singe, pendant près d’une heure, toute une galerie de personnages archétypaux du monde de l’art ! Une performance hilarante, dans laquelle il endosse tantôt le rôle de l’artiste fauché, qui réclame désespérément de l’argent à son galeriste, ou encore celui du peintre qui, transcendé par son œuvre, invoque l’esprit de Willem de Kooning et de Vincent Van Gogh. Il n’épargne rien ni personne, pas même ses contemporains, à l’image de Marina Abramović dont il parodie la célèbre performance Rhythm 10 (1973). Irrésistible et jubilatoire !

Louise Bourgeois confidentielle

Brooklyn, 1993. Louise BOURGEOIS représente les États-Unis à la biennale de Venise et ouvre les portes de son atelier à Bernard Marcadé, avant que ses œuvres  (des « cellules ») ne rejoignent la Sérénissime. « La vie m’a placée dans un rôle de professeur », lui explique-t-elle, et quelle professeure ! Pendant près d’une heure, on boit les paroles de l’artiste qui évoque tour à tour ses œuvres, sa vie, ses petits enfants… « Le changement n’existe pas. La chose est immuable », nous dit Bourgeois. Hautement inspirant !

Jackson Pollock repeint le ciel

Une large toile étalée au sol, des pinceaux (optionnels), et bien sûr des pots de peinture : la leçon peut commencer ! Dans le jardin de sa résidence à Long Island, Jackson POLLOCK, alors âgé de 39 ans, est filmé par la caméra du photographe allemand Hans Namuth. Clope au bec, l’inventeur du dripping jette la peinture sur la toile, expliquant en voix-off : « Je préfère exprimer mes sentiment que de les représenter ». Un autre plan, quelques minutes plus tard, le montre peignant une vitre transparente en contre-plongée. Et c’est comme si le ciel se parait de ses couleurs !

Arman fait les poubelles

La rue est un atelier à ciel ouvert pour ARMAN. Et pour cause, l’artiste roi de l’accumulation trouve la matière première de son art… dans les poubelles ! De la paille, de vieux journaux… Dans ces images de 1961, Arman glane dans le quartier des Halles à Paris toutes sortes de déchets. « Les moyens traditionnels sont sclérosés », affirme cet ancien étudiant des Beaux-Arts au parcours exemplaire, qui appréhende les objets comme des « faits sociologiques, des faits réels », témoins d’une société et de son époque.

Face-à-face avec César

Connu surtout pour ses fameuses compressions, CESAR a, à la fin de sa carrière, réalisé de troublants visages en PVC, comme figés dans une sorte de coulée de lave plastique, une matière que l’artiste brosse, ponce, gratte dans son atelier avec son assistant. Ce plastique, qui fascine tant le nouveau réaliste, lui permet de détruire, remettre en question le portrait – y compris le sien, qu’il réalise à l’aide… de pain ! « Il suffit que je me trouve en présence d’un matériau pour que je le palpe, que je le renifle » explique César, qui qualifie sa pratique de jeu. Le plastique, comme l’organique, c’est fantastique !”

Lire l’article original -avec pubs- d’Inès BOITTIAUX sur BEAUXARTS.COM (9 mai 2020)


Plus de beaux-arts…

CHiCC – Commission Historique et Culturelle de Cointe (Liège, BE)

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La CHiCC, de son nom complet Commission Historique et Culturelle de Cointe, Sclessin, Fragnée et du Bois d’Avroy, a été créée le 23 septembre 1986.

Sous l’impulsion de son premier président, Emile DEGEY, elle a publié plusieurs brochures (aujourd’hui malheureusement épuisées mais disponibles, pour la plupart, sur wallonica.org) consacrées à l’histoire du quartier. Parmi celles-ci, une “Petite histoire de Cointe”“Nos rues et lieux-dits”“La Houillerie à Cointe, Fragnée, Sclessin”… 

Les conférences de la CHiCC

© Philippe Vienne

A côté de cela, elle organise un cycle de conférences mensuelles qui sont régulièrement publiées dans nos pages. Et, depuis la saison 2020-2021, des tables de conversation (anglais, espagnol) et, occasionnellement, des ateliers d’écriture et des concerts. Les activités de la CHiCC se déroulent habituellement en la Chapelle Saint-Maur.

Le programme 2023-2024

      • Mercredi 30 août 2023 à 20 heures : Jean-Pierre DECHESNE, Osmose entre l’évêché de Liège et le Pays de Liège,
      • Mercredi 20 septembre à 20 heures : Henri DELEERSNIJDER, Vers un nouvel ordre mondial ?
      • Mercredi 18 octobre à 20 heures : Laetizia PUCCIO et Bernard WILKIN, Décembre 1944 : le bombardement de la ville de Liège et ses conséquences pour le dépôt des Archives de l’Etat,
      • Mercredi 15 novembre à 20 heures : Laurent BRÜCK, Urbanisme à Liège dans les années 60,
      • Mercredi 13 décembre à 20 heures : Période de fêtes – pas de conférence,
      • Mercredi 17 janvier 2024 à 20 heures : René POISMANS, Organisation mondiale du commerce (OMC) – Volet agricole : pourquoi, comment et pour qui ?
      • Mercredi 21 février à 20 heures : Jean KATTUS, Lire, le meilleur remède
      • Mercredi 20 mars à 20 heures : Alexandre DELRÉ, Réussir sa vie avec un handicap,
      • Mercredi 17 avril à 20.00 : Patrick THONART et Philippe VIENNE, 20 ans après, l’encyclopédie wallonica.org court toujours…
      • Mardi 14 MAI à 20.00 : Thierry MARTHUS, Les châteaux de la Renaissance française,
      • Mercredi 19 JUIN à 20.00 : Béatrice MASUY, Historique des espaces verts de Cointe.

La CHiCC, partenaire de wallonica.org

La CHiCC est partenaire de wallonica.org depuis 2020 et nous partageons en nos pages les différentes publications de l’asbl. L’édition dans la wallonica d’un ouvrage d’Emile DEGEY sur les rues de Cointe a été l’impulsion pour nous, qui a permis de développer notre topoguide… La CHiCC et wallonica.org mutualisent également leur visibilité sur les réseaux sociaux, comme le montre l’illustration ci-dessous : le texte d’une conférence de la CHiCC publié dans la wallonica puis relayé sur la page FaceBook de l’association a touché 1.485 personnes en plus !

Infos pratiques

Le bureau de la CHiCC se tient à votre disposition pour tout renseignement :


Plus de CHiCC dans nos pages ?

TEICHER, Yves (1962-2022)

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Yves TEICHER est né à Liège, le 21 mars 1962. Il débute ses études musicales à l’âge de 7 ans au Conservatoire Royal de Liège. En 1976, il obtient un premier prix de solfège. En 1978-79, un premier prix de violon. Il poursuit par le diplôme supérieur et obtient un premier prix de musique de chambre en 1981. De 1981 à 1983, il suit les cours privés d’Ivry Gitlis.

Après une période de remise en question, de retraite et de réflexion sur la pédagogie violonistique, de lecture des œuvres de Nietzsche, Rimbaud…, il rejoint le monde et la musique de la rue à Bruxelles, Paris et dans le sud de la France. Il rencontre Chorda Trio, retrouve à travers eux l’amour et l’ambiance du jazz de Django Reinhardt et Stéphane Grappelli et ses souvenirs d’enfance quand il jouait dès l’âge de 9 ans, un peu partout en Province de Liège, avec son frère, le guitariste Stéphane Martini

La folie douce de la musique tsigane, la virtuosité ébouriffante du soliste classique, l’imagination débordante du jazzman, l’expérience de la route et du voyage, une passion immodérée pour toutes les musiques et un cœur gros comme ça ! Yves Teicher, c’est tout cela à la fois et bien plus encore : une invitation à naviguer par-delà les étiquettes et à balayer, d’un coup d’archet, les frontières absurdes qui réduisent notre plaisir à une mosaïque schizoïde.

J.P. Schroeder (2002)


avec Ivry Gitlis…

[MEDIAPART.FR, 9 novembre 2012] Que dire d’autre que ce que raconte si bien Jean-Claude LEROY, dans son article (ici, sans pub) : Yves Teicher, violoniste mongol, ou l’art de rendre heureux” (avec extraits musicaux en ligne) ?

 

Si je devais définir le Style, je dirais que c’est une manière d’être insaisissable, et que c’en est aussi une d’être présent au monde. Le Style me déporte vers une sorte d’inhumanité qui peut m’irradier, en même temps qu’il m’installe dans une humanité dont il a besoin, ne serait-ce que parce qu’il ne se forge jamais mieux contre elle qu’en elle. Le Style est ce comportement humain qui transfigure l’horreur ensevelie en valeur de contemplation. Tout Style est Style d’alchimie.

Marcel Moreau, La Pensée mongole (1972)

“Un soir, selon son rêve de Mongolie et d’oubli de soi, Yves Teicher a composé une mélodie mongole. D’où mon idée facile de rendre mongol le temps d’un titre ce baladin sans frontières ayant grandi à Liège dans l’aura d’un père professeur de français d’origine roumaine, épris de musique romantique, de pataphysique et de révolution, près d’une mère d’origine italienne amie des peintres, poètes, musiciens, autant de bohèmes talentueux parmi lesquels Bobby Jaspar et René Thomas, deux grands noms de l’histoire du jazz européen. Élève violoniste docile évoluant sous le joug d’une diablerie fantasque retenue, il se réveille adolescent révolté, rencontre Ivry Gitlis dont il suit les cours, travaille solitairement, nourri d’une sauvage volonté de trouver la voie. Une voie d’essence poétique, Rimbaud étant son maître autant que Parker, qu’il trouvera peu à peu, au débouché d’une virtuosité délivrée par le sentiment.
En 1986, il rencontre des musiciens adeptes du swing et du répertoire manouche, le groupe Chorda-Trio, fait route avec eux et enflamme bientôt les salles de concert de l’ouest de la France et d’ailleurs. Sa fougue, son feeling inné font mouche. Le public est embarqué à chaque fois, notamment par les musiques de Django Reinhardt redevenues depuis à la mode et par les longues improvisations du soliste fou, lançant son violon dans des délires joyeusement acrobatique.

En 1993, Bruno Montsaingon l’entend et aussitôt l’engage, sous la direction du chef d’orchestre Gennady Rozhdestvensky, il sera soliste à l’occasion de la création mondiale de la première symphonie de Schnittke, à Rotterdam, événement retransmis à la TV nationale hollandaise.

Bientôt il fera équipe avec le contrebassiste américain Bob Drewly, un transfuge du hard rock californien passé par le free-jazz, qui a accompagné dans sa jeunesse le poète beat Bob Kaufman, a travaillé aussi bien avec Pierre Boulez qu’avec Mal Waldron ou Sony Murray. À eux deux ils inscriront quelques bien belles pages d’improvisations sans calcul et sans trop de traces, juste pour la magie de l’instant volé à la monotonie. Ayant assisté, médusé, à leur concert, lors du festival de Liège de 1994, un critique des plus blasés, Guy Thys, « surpris d’être tant surpris. Surpris, enfin surpris… » signera un éloge dithyrambique de ces énergumènes innocents dans le magazine Jazz in time. Quelques enregistrements, pour la plupart disparus, témoigneraient de ce duo miracle. Ce serait toujours ça ! Car pour ce qui est de gagner sa vie c’est une autre histoire. À un nomadisme formidable Yves Teicher oppose un réalisme par trop aléatoire. Tout avance cahin-caha au gré du pittoresque et du tempérament. Pas de stratégie, de relations intéressées, mais des rencontres intempestives, parfois étonnantes, souvent riches d’humanité, davantage en tout cas que d’espèces sonnantes et trébuchantes.

Yves Teicher, c’est aussi une voix, une gueule, un corps, et il interprète avec beaucoup d’expression des textes de Rimbaud dans des spectacles composites où se mêlent théâtre et musique. Le producteur de cinéma Alexandre Salkind assiste à un de ces spectacles, s’emballe pour les talents d’acteur du musicien, veut le faire tourner dans un rôle de violoniste et le reçoit à plusieurs reprises sur son yacht basé dans le port de Cannes. Cependant, suite au Christophe Colomb qu’il a produit, emberlificoté dans un procès avec Marlon Brando et Ridley Scott, il sombre dans une dépression où s’enfouissent tous ses projets. L’artiste liégeois en fera les frais.

L’épisode Schnittke et l’épisode Salkind marqueront la fin de possibles illusions. Il est sûr désormais que l’art et la carrière sont deux bêtes fort distinctes qui ne concourent pas toujours de front. Outre des rendez-vous prestigieux mais sans lendemain, Yves Teicher joue volontiers dans la rue, déroulant des sonates de Bach, des airs de Dutilleux ou de Sibelius et, ma foi, la caisse du violon posé à côté se remplit gentiment.

Le poète André Laude se prend d’amitié pour lui, Yves participe à des soirées parisiennes où Laude dit ses textes avec gravité. Quand le poète meurt, en 1995, Yves joue à son enterrement en compagnie de Steve Lacy. Steve Lacy, amateur de poésie, lui aussi, et avec qui Yves Teicher entretiendra de bons rapports, « le seul musicien de ce niveau avec qui cela a été possible. »

Alors qu’il fait à nouveau la manche place des Vosges, à Paris, le producteur Marc Krafchik tombe en arrêt devant lui. Il l’engage bientôt. Un disque grand public chez RCA-BMG est enregistré, comprenant des compositions et des reprises de standards de variété. La presse et les radios réagissent favorablement, toutefois un spectacle de lancement complètement loupé condamne le disque et la tournée en vue. Yves Teicher expérimente ainsi les fausses bonnes idées racoleuses d’un agent mal ajusté. Un gâchis.

En 1996, au Festival de Montreux, il joue en solo en première partie du concert Martial Solal-Didier Lockwood. Mille personnes dans la salle, enthousiastes. Solal et Lockwood n’ont pas un mot d’appréciation, sauf quand Solal voit de près l’instrument rudimentaire sur lequel Yves vient de jouer, et comment il est sonorisé, avec un simple micro-cravate. Interloqué, il demande : « C’est avec ça que vous obtenez un tel son ! » Lockwood, toujours équipé d’un attirail complexe, reste d’autant plus froid à l’égard de son collègue violoniste…

Du producteur Krafchik, notre facétieux violoniste avait obtenu en échange d’un disque commercial un autre enregistrement, plus personnel. C’est ainsi qu’avec le batteur Olivier Robin et le bassiste Sal la Roca, il enregistre un disque consacré à Charlie Parker, le maître de toujours. Douze plages aussi peu aguicheuses que possible, d’un son de cordes raclées à outrance, comme arraché à la gorge. Un manifeste musical à la fois austère et jubilatoire, où il semble revenir à une ère d’avant les studios high-tech et la pommade à oreille, à un temps de jazz spontané sorti du cru de l’âme. Ce joyau attendra de longues années avant d’être édité par Intégral Jazz France, mais il sortira enfin en 2005. Je gage que des mélomanes des temps futurs l’écouteront comme on écoute aujourd’hui les Suites pour violon de Jean-Sébastien Bach, avec le même sentiment de vie déclinée en ressource infinie.

Entre des enregistrements solo restés inédits où il donne sa musique la plus personnelle, et des concerts donnés avec son frère, le guitariste Stéphane Martini, spécialiste des musiques latines et afro-cubaines, Yves prépare un spectacle consacré à un autre de ses maîtres : Charles Trenet. Accompagné du pianiste Léon Humblet, il chante et joue avec force des airs peu connus du fou chantant, dispensant à nouveau joie et frissons. Il y a quelques mois il était l’invité surprise d’un festival Georges Brassens, à Vaison-la-Romaine, où il a quelque peu subjugué le public. Un des organisateurs publiera peu après un témoignage bouleversé de cette soirée unique.

J’en témoigne ici. J’ai vu maintes fois Yves Teicher sur scène, dans les cadres les plus divers, parfois fatigué ou malheureux mais toujours généreux à l’extrême et donnant à son public ce quelque chose qui s’appelle le bonheur.

Il n’y peut rien de tant pouvoir ainsi conférer à son art une telle violence émotionnelle, c’est son style, il se donne et aime donner, à se tordre de bonheur gagné sur les souffrances et le prix qu’il a fallu payer. Ce n’est pas un hasard si, en décembre 2011, alors qu’il jouait aux côtés de Biréli Lagrène, le public de Moscou lui a réservé un accueil si fraternel. Il a sûrement perçu en lui un cœur pur travaillé par de complexes interrogations, et la grande littérature russe, justement, nous a offert de tels personnages, mais Yves Teicher est parmi nous, fort de sa Mongolie intérieure, grande ouverte sur le monde profus et la solitude exaltée. Alors, rendons-lui l’hommage qu’on doit aux grands vivants, et disons-lui merci.”


[INFOS QUALITÉ] statut : validé | sources  : mediapart.fr | mode d’édition : partage et iconographie | commanditaire : wallonica.org | contributeur : Patrick Thonart | crédits illustrations : © DR.


More Jazz…

MARLY : Le Chant des partisans (1941)

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Maquisards bretons dans la région de Saint-Marcel © D.R.

Le mythe voulait que “le Chant des partisans” soit né dans les maquis. Mais la plus célèbre chanson française de la Seconde guerre a été composée à Londres par une Russe fière des exploits de partisans soviétiques […].

La guitare d’Anna MARLY, aristocrate née Anna Betoulinsky à Pétrograd (1917-2006) en pleine révolution d’Octobre et exilée en France peu après et le manuscrit original sont des pièces phares d’une exposition au Musée de l’Ordre de la Libération dédiée jusqu’au 5 janvier 2020 à la création de cet hymne de la Résistance.

Compositrice, guitariste, danseuse et chanteuse dans les cabarets parisiens, elle prend le nom de scène Marly. La guerre la contraint à un nouvel exil, en Angleterre, où elle tourne dans les cercles russophones résistants et s’engage comme cantinière dans les Forces françaises libres.

C’est en 1942 à Londres, après avoir lu le récit de la bataille de Smolensk qui a marqué l’arrêt de l’offensive allemande sur le front de l’Est en 1941, qu’elle écrit la musique et les paroles en russe de la “La Marche des partisans” qu’elle interprétera elle-même et qui deviendra “Le Chant des partisans“.

Marly, Kessel, Druon
© AFP

En 1943, Joseph Kessel (1898-1979), fils de Juifs de culture russe, aviateur et romancier et son neveu Maurice Druon (1918-2009) écrivent les paroles en français, poussés par le résistant Emmanuel d’Astier de la Vigerie (1900-1969). “Un peuple qui n’a pas de chanson est un peuple qui ne peut pas se battre“, disait Joseph Kessel qui a combattu pendant les deux guerres. Emmanuel d’Astier de la Vigerie qui avait pour sa part écrit les paroles pour une autre chanson d’Anna Marly, la “Complainte des partisans“, réinterprétée en 1969 en anglais par Leonard Cohen (1934-2016), voulait que les auteurs gardent l’anonymat. “Marly, Kessel, Druon qui ont écrit cela à Londres autour du thé et des sandwichs, cela n’apporterait pas beaucoup de crédibilité au chant des maquis. Il faut qu’on s’imagine qu’il surgit de la France occupée et appartient à tous les maquisards“, souligne Lionel Dardenne, commissaire de l’exposition. En 1945, les paroles sont imprimées avec leurs noms, mais cette ‘fausse image d’Épinal‘ persiste et les auteurs n’ont jamais été vraiment mis en avant, ajoute-t-il.

Adopté par les Viet Minh

Le Chant des partisans a rythmé les émissions de la France libre sur la BBC de Londres et le succès de ce chant de lutte et de résistance ne s’est jamais démenti. Depuis 1943, il a été repris, imité et réarrangé de nombreuses fois par Joséphine Baker, Yves Montand, les choeurs de l’Armée rouge, Johnny Hallyday, Claude Nougaro, Zebda, Camélia Jordana ou encore Noir Désir… Aujourd’hui le Chant des partisans est joué lors de cérémonies officielles “sans que les gens sachent d’où il vient“, souligne le commissaire. Accompagnant les cérémonies au Mont Valérien, haut lieu de la mémoire nationale ou en hommage des victimes du terrorisme, “il est chanté de façon presque funèbre alors qu’au contraire c’est un chant de marche et de mobilisation“, ajoute-t-il.

Ironiquement, le Chant des partisans a été adopté par le Viet Minh, l’armée pour l’indépendance du Viet Nam qui luttait contre la domination française.

Aujourd’hui, en France, ce sont les “gilets jaunes” qui se réapproprient le célèbre Chant avec des paroles transformées en “Macron entends-tu“. [lire l’article original -avec pubs- sur RTBF.BE (8 octobre 2019)]

Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ohé, partisans,
Ouvriers et paysans,
C’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes…

Montez de la mine,
Descendez des collines,
Camarades.

Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille,
Les grenades.

Ohé ! les tueurs,
A la balle et au couteau,
Tuez vite !

Ohé ! Saboteur
Attention à ton fardeau,
Dynamite…

C’est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères.

La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse,
La misère.

II y a des pays
Où les gens au creux des lits
Font des rêves.

Ici, nous, vois-tu,
Nous, on marche et nous, on tue,
Nous, on crève.

Ici, chacun sait
Ce qu’il veut, ce qu’il fait
Quand il passe.

Ami, si tu tombes,
Un ami sort de l’ombre
A ta place.

Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes.

Chantez, compagnons,
Dans la nuit la liberté
Nous écoute…

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ami, entends-tu
Le vol noir du corbeau
Sur nos plaines ?


S’engager encore (il est grand temps)…

Hedy Lamarr (1914-2000) : inventrice et star…

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Célèbre actrice hollywoodienne, Hedy LAMARR était reconnue pour sa beauté et ses talents de comédienne. Elle était surtout une scientifique de talent, inventrice d’un système secret de codage des transmissions, à l’origine du GPS et du WIFI.

N’importe quelle femme peut avoir l’air glamour. Il suffit de se tenir tranquille et d’avoir l’air idiote“, affirmait-elle, lassée de ce qu’elle appelait son masque, alors même qu’elle avait été élue “plus belle femme au monde“. Car Hedy LAMARR n’était pas qu’une star hollywoodienne louée pour sa beauté, elle a aussi était l’inventrice méconnue pendant la guerre, en 1941, d’un système de transmission secret pour guider les torpilles. Un système encore utilisé de nos jours pour le Wifi ou les GPS. Redécouvrez ce personnage à la vie romanesque […], alors que doit sortir prochainement un documentaire consacrée à sa vie, Bombshell : The Hedy Lamarr Story.

Le premier orgasme du cinéma

Depuis 2005, on célèbre les inventeurs en Autriche, Allemagne et Suisse le jour de son anniversaire : le 9 novembre. Née à Vienne en 1914, d’une mère roumaine et d’un père ukrainien, Hedwig Eva Maria Kiesler, qui deviendra Hedy Lamarr, se découvre une passion pour le cinéma en visionnant Metropolis de Fritz Lang. A 16 ans, elle se rend donc aux studios de Vienne, pour devenir actrice. Elle ne tarde pas à jouer pour le metteur en scène de théâtre Max Reinhardt, mais c’est en se rendant à Berlin, en 1931, que débute réellement sa carrière au cinéma. En 1933, alors âgée de 18 ans, la jeune femme joue dans Extase, de Gustav Machaty. Le film fait scandale, en raison de la nudité de l’actrice et de la première scène d’orgasme sur grand écran de l’histoire de cinéma.

Gustave Machaty avait trois ans plus tôt réalisé un film qui s’appelait Erotikon qui était à peu près de la même eau“, racontait le critique de cinéma Serge Bromberg en 2017, dans le documentaire Une Vie, une oeuvre consacré à Hedy Lamarr. “On ne peut pas imaginer qu’elle ait fait ce film par accident. Extase c’est L’Amant de Lady Chatterley. Quand on lui demande de tourner des séquences d’érotisme où elle mime l’orgasme etc., c’est quelqu’un qui est prêt à tout pour réussir dans la carrière.

Présenté à la Biennale de Venise, le film est condamné par le pape Pie XII, et Hedy Lamarr se voit affublée d’une sulfureuse réputation. Le film est projeté en février 1933 : en mars de la même année, Hedy Lamarr est devenue une vedette et obtient le rôle de Sissi sur scène.

Femme de marchand d’armes et superstar

Forte de ce succès, Hedy Lamarr épouse Friedrich Mandl, un des quatre plus grands marchands d’armes du monde, qui fournit notamment Mussolini. L’actrice devient, à en croire ses mémoires, une célébrité chez les mondains de Vienne, allant jusqu’à recevoir Hitler. Mais le rapprochement de Mandl avec les Nazis la pousse à prendre la fuite en 1937 : à l’en croire, son départ est rocambolesque, elle drogue une domestique et subtilise son uniforme pour s’enfuir, d’abord à Paris, Londres, et enfin la Californie.

L’actrice rejoint Hollywood, dont elle deviendra l’une des égéries : elle signe un contrat de 7 ans avec la M.G.M., durant lequel elle joue dans 15 longs-métrages. Elle donne la réplique à Clark Gable, Robert Young, Lana Turner ou encore Judy Garland. Au cours des années 40 et 50, Hedy Lamarr est l’incarnation de la star hollywoodienne venue d’Europe. Après un passage à vide, elle joue dans Samson et Dalila, de Cecil B. DeMille en 1949, son plus grand succès. L’actrice joue encore huit ans, avant de disparaître du grand écran en 1957 et de poursuivre quelques temps une vie mondaine.

En parallèle de sa vie d’actrice, Hedy Lamarr continue de donner corps à sa réputation sulfureuse, comme le précisait Xavier de La Porte dans La Vie numérique :

La liste des hommes avec lesquelles elle a eu des aventures est impressionnante. En sus de ses 6 mariages, je vous en donne une idée : Howard Hugues, John Kennedy, Robert Capa, Marlon Brando, Errol Flynn, Orson Welles, Charlie Chaplin, Billy Wilder, Otto Preminger, James Stewart, Spencer Tracy, peut-être Clark Gable (mais il nie) et…. Jean-Pierre Aumont. Elle avait d’ailleurs quelques théories sur la question amoureuse et on lui attribue cette phrase : “En dessous de 35 ans, un homme a trop à apprendre, et je n’ai pas le temps de lui faire la leçon“.

Des torpilles au WiFi

Dans Une Vie, une oeuvre, Vivianne Perret, écrivaine et historienne, expliquait comment une fois arrivée à New-York, Hedy Lamarr avait installé son propre atelier pour s’adonner à l’une de ses passions : l’invention.

Hedy Lamarr avait des occupations très diverses quand elle s’est retrouvée à Hollywood, elle jouait du piano, elle était très proche du dadaïsme, elle connaissait Man Ray… Dans tous les endroits où elle a vécu elle installait un atelier. Elle, sa détente c’était d’inventer. Elle inventait tout et n’importe quoi : un bouillon cube qui lorsqu’il se dissolvait devenait un soda, un collier fluorescent pour chien, un système pour aider les handicapés à sortir de leur bain… Elle était sans arrêt à l’affût d’informations, à les transformer en inventions.

A son arrivée aux Etats-Unis, elle rencontre le pianiste George Antheil. L’actrice a alors appris que les torpilles contrôlées par radio peuvent facilement être “piratées” et détournées par l’ennemi. Avec l’aide du musicien, et grâce aux connaissances sur l’armement qu’elle a acquises lors de son premier mariage, elle imagine une façon de créer un signal sûr, à l’aide d’un piano mécanique qu’elle synchronise avec les fréquences hertziennes. Les deux inventeurs déposent un brevet en août 1942, mais leur système n’est pas pris au sérieux par l’Etat Major. Il faut attendre la crise cubaine en 1962 pour qu’une version améliorée de leur technologie ne soit employée.

Le concept de ce principe de transmission, l’étalement de spectre par haute fréquence, est aujourd’hui encore utilisé pour le positionnement par satellite, la téléphonie mobile ou encore le WiFi. En parallèle de sa carrière d’actrice, Hedy Lamarr n’a jamais cessé d’inventer. Il faut pourtant attendre la levée du secret défense sur son invention la plus utile pour qu’elle bénéficie d’un peu de reconnaissance. En 1997, elle reçoit ainsi rétroactivement le prix de l’Electronic Frontier Foundation.

Entre-temps, l’ancienne actrice a sombré dans l’oubli, après avoir dilapidé sa fortune. Elle a été arrêtée à plusieurs reprises pour du vol à l’étalage. Elle meurt quasi-anonyme, le 19 janvier 2000, à l’âge de 85 ans. Depuis les années 60, elle avait son étoile sur le Walk of Fame d’Hollywood Boulevard, il faudra attendre 2014 pour qu’elle soit admise, à titre posthume, au National Inventors Hall of Fame.

Lire l’article original de Pierre Ropert (avec pubs) sur FRANCECULTURE.FR (article du 26 avril 2018)


Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par Alter-Egales (Fédération Wallonie Bruxelles) qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias. Un extrait de leurs publications sur RTBF.BE :

“Enfin lui rendre justice…

Il aura fallu attendre 2017 pour que toute l’histoire d’Hedy soit rendue publique. Heddy Lamarr from extase to wifi est un documentaire retraçant la vie de cette femme hors du commun. Ce documentaire d’Alexandra Dean rend hommage à la figure hollywoodienne et, mêlant extraits de ses films, images d’archives et témoignages (de ses enfants, d’amis et de proches, de journalistes etc.), met en lumière sa personnalité complexe et son esprit pionnier d’inventrice. Hedy aura même droit à un livre : Ectasy and me, sorti en avril 2018. La réalisatrice Susan Sarandon lui consacra aussi un film Bombshell, sorti l’an dernier, il est plutôt difficile à trouver.”


Plus de cinéma ?

FREUNDLICH, Otto : l’abstraction au service de la paix

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FREUNDLICH Otto, La Rosace II (1941) © Musée de Pontoise

Il a côtoyé toutes les avant-gardes, de l’expressionnisme à Abstraction-Création en passant par Dada. Otto Freundlich mérite sa place de pionnier de l’abstraction, aux côtés de František Kupka, Vassily Kandinsky et Piet Mondrian. À proximité du Bateau-Lavoir où il a séjourné, le musée de Montmartre organise une grande rétrospective sur ce peintre mésestimé, humaniste voguant entre la France et l’Allemagne, déporté et assassiné au camp de Sobibor en 1943.

Allemand à Paris entre deux guerres mondiales, Otto FREUNDLICH (1878–1943) porte décidément bien son nom, celui-ci signifiant “amical”. Son destin s’écrit dans la tragédie du siècle, s’ouvrant dans la Pologne annexée à l’Empire allemand en 1878 pour s’achever dans l’horreur de l’Holocauste, soixante-cinq ans plus tard. D’origine juive, Freundlich est protestant par son éducation. Ses parents voulant d’abord en faire un dentiste, il ne s’affirme que tardivement comme artiste, à Munich en 1904. Dans la cité bavaroise où la vie artistique bouillonne d’expositions et de styles nouveaux, Freundlich fait la connaissance de Paul Klee et de Vassily Kandinsky, futures têtes pensantes de l’expressionnisme. Comme eux, il s’intéresse à la théorie des correspondances entre peinture et musique.

L’ambition de Freundlich ? Peindre le rythme ! D’abord au moyen de la figuration. Il arrive à Paris en 1908 et loue un atelier à Montmartre, au Bateau-Lavoir, où il se lie avec son voisin, un certain Pablo Picasso. Désirant composer ses propres Demoiselles d’Avignon”, Freundlich va passer trois années à épurer ses figures pour les fondre dans la masse : “Composition” (1911) marque un saut dans l’abstraction, parallèle à ceux de Kupka, Kandinsky et Robert Delaunay au même moment.

Dans cette évolution, le passage par le vitrail s’avère déterminant : Freundlich l’expérimente dans les ateliers de restauration de la cathédrale de Chartres en 1914, juste avant la guerre. “La décomposition est plus mystérieuse que la composition”, professe-t-il alors. Cet assemblage de pièces de verre, cette découpe à même la lumière lui inspirent un style pictural qu’on pourrait qualifier de patchwork. Freundlich décompose, donc, par des croquis méticuleux ne laissant pas de place à l’imprévu.

Otto Freundlich, Composition, 1938–1941 (vitrail) © Musée de Pontoise

En 1914, l’homme s’engage côté Allemand, mais déchante vite. L’horreur de la guerre imprime en lui un pacifisme intransigeant. Marqué par la Révolution russe de 1917 puis par le mouvement spartakiste de 1918–1919, Freundlich revendique son socialisme. À Berlin, il fréquente Raoul Hausmann, Hannah Höch et Otto Dix, entre autres membres du club Dada. En 1919, il manque d’intégrer le Bauhaus, fondé par Walter Gropius à Weimar. Freundlich ne dénonce pas la guerre aussi radicalement que les Dadaïstes, mais veut la conjurer par l’abstraction à même, pour citer l’ouvrage manifeste de Kandinsky, de réinstaurer du Spirituel dans l’art. [lire la suite sur BEAUXARTS.COM]


Plus d’art visuel…

Les ultracrépidariens : ceux qui donnent leur avis sans connaître le sujet…

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“Les ultracrépidariens, loin d’être en voie d’extinction, sont de plus en plus nombreux chaque jour. Ce sont ces personnes qui donnent leur avis sur tout mais sans avoir de connaissances ou de compétences sur les sujets évoqués. Elles ne se taisent jamais, nous corrigent, nous suggèrent des tonnes de choses, veulent sauver le monde et sous-estiment les véritables experts dans un domaine.

Il est curieux de voir à quel point notre langage est riche. Nous disposons de termes vraiment spéciaux pour définir ces comportements que nous voyons si souvent autour de nous. L’ultracrépidarianisme est sans aucun doute l’un de ces mots aussi difficile à retenir qu’à prononcer. Il est cependant surprenant de savoir qu’il existe depuis très longtemps et qu’on l’utilise presque partout dans le monde.

En anglais, on utilise le mot ultracrepidarianism, en espagnol, ultracrepidarianismo, en bosniaque, ultrakrepidarianizam… Nous avons tous donné un nom à ce profil qui possède une tendance presque obsessionnelle à donner son avis sur des sujets qu’il ne contrôle même pas. Il est évident que nous avons tous le droit d’exprimer notre opinion sur n’importe quel point.

Cependant, le faire avec humilité et en comprenant que nous ne pouvons pas dominer tous les sujets de la vie peut en dire beaucoup sur nous. Il est donc intéressant de savoir que le comportement des ultracrépidariens est une matière de grand intérêt pour le domaine de la psychologie. Étudions ce point plus en détails. [lire la suite sur NOSPENSEES.FR…]

Les ultracrépidariens : qui sont-ils et pourquoi agissent-ils de cette façon ?

Si vous donnez votre avis sur les images de la face cachée de la Lune fournies par la sonde chinoise Chang’e-4, les ultracrépidariens essayeront de vous faire un commentaire digne de Carl Sagan. Si vous discutez de politique, ils feront tout pour vous offrir un discours digne de Winston Churchill. Et si vous parlez de football, d’économie ou de physique quantique, ils voudront toujours vous démontrer tout ce qu’ils savent.

Les ultracrépidariens ont réponse à tout. Ils ne se taisent jamais. Ils ne sont pas non plus conscients de leurs limites et, pire encore, ne respectent pas les autres. Pour eux, il est essentiel de se démarquer à tout prix : ils n’hésitent donc pas à discréditer les autres personnes.

© Tiziana Fabi – AFP

Pour retrouver l’origine de ce mot, nous devons remonter à l’époque d’Apelle de Cos, un peintre de l’an 352 av. J-C. On raconte que pendant que l’artiste préféré d’Alexandre le Grand travaillait sur l’une de ses œuvres, un cordonnier entra dans son atelier pour lui remettre une commande. Lorsqu’il vit les peintures et les gravures, il commença à critiquer beaucoup de détails. Face à ces commentaires, Apelle de Cos lui dit la chose suivante : « Ne supra crepidam sutor iudicaret » (“Que le cordonnier ne juge pas au-delà de la sandale“).

Les ultracrépidariens et l’effet Dunning-Kruger

Les ultracrépidariens se caractérisent généralement par un principe très élémentaire : moins ils en savent, plus ils croient en savoir. Cette relation répond à ce que l’on appelle l’effet Dunning-Kruger en psychologie.

L’effet Dunning-Kruger est un biais cognitif très commun qui fait que les personnes qui ont le moins de compétences cognitives et intellectuelles ont tendance (en moyenne, pas dans tous les cas) à surestimer leurs propres capacités. Du point de vue de la psychologie sociale et à travers des études comme celles réalisées par les psychologues Marian Krak et Andreas Ortman, de l’université de Berlin, on nous rapporte la chose suivante. Dans un premier temps, les ultracrépidariens peuvent même réussir à atteindre des postes de pouvoir. Certaines personnes, dans notre société, occupent des postes pour lesquels elles n’ont pas les compétences suffisantes. Cependant, cette auto-évaluation amplifiée, ajoutée à une attitude extravertie et résolue, peut leur permettre d’occuper des places que d’autres personnes plus aptes n’arrivent pas à obtenir.

Il ne faut pas sous-estimer les ultracrépidariens : leur effet peut être extrêmement nocif

Parfois, le comportement des ultracrépidariens peut être anecdotique. L’histoire de McArthur Wheeler, un homme qui a braqué une banque à Pittsburgh en 1990, est par exemple célèbre. Lorsque les policiers l’ont attrapé, il a été très surpris : il ne comprenait pas comment ils pouvaient le voir. Il disait avoir appliqué du jus de citron sur son visage et son corps pour être invisible. Il est évident que le jeune Wheeler souffrait d’un trouble psychologique, mais la fermeté avec laquelle il défendait la relation entre le jus de citron et l’invisibilité a attiré l’attention des experts.

Au-delà de ces cas ponctuels, il y a une chose que nous devons bien garder à l’esprit. Les ultracrépidariens sont capables de faire beaucoup de mal. Avoir un père, une mère, un chef ou un voisin qui cherche de façon obsessionnelle à boycotter nos habiletés, à discréditer chacun de nos commentaires, peut générer un grand épuisement psychologique.

L’idéal est de ne pas tomber dans leurs provocations, évidemment. Cependant, si nous sommes obligés de passer beaucoup de temps avec eux, nous devrions prendre des mesures plus drastiques pour freiner leur effet. Leur expliquer clairement que leurs comportements sont offensifs et nocifs est une stratégie. L’autre consisterait à être plus catégorique et à maintenir une distance adéquate avec ce type de profils. Pensons-y.”

Comme le demanderait Pascale SEYS : “Et vous, qu’en pensez-vous ?

L’article original est disponible (avec publicités) sur NOSPENSEES.FR (article du 27 mars 2019)


D’autres discours…

NORAC, Carl (né en 1960) : “Poète National” belge en 2020

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Els MOORS et Carl NORAC : poètes nationaux…

Pour ce quatrième mandat, le projet Poète National a choisi d’élire un francophone pour prendre la relève d’Els Moors. À partir du Gedichtendag 2020, le Montois Carl NORAC sera donc le nouvel ambassadeur de la poésie belge, au-delà des frontières linguistiques du pays. Il héritera ainsi du titre honorifique de Poète National, déjà porté par Charles Ducal, Laurence Vielle et Els Moors.

Dès janvier 2020, et pendant deux ans, la mission de Carl Norac sera d’écrire des poèmes inspirés par notre pays, son histoire et son actualité, de rencontrer le public et les écoles mais aussi et surtout de mieux faire connaitre la poésie belge à travers le pays et même au-delà de nos frontières. Il sera, dès le 23 avril, l’ambassadeur officiel d’Els Moors, jusqu’à la fin de son mandat, et sera associé à certains de ses projets. Els soutiendra, quant à elle, son successeur du côté néerlandophone du pays, en 2020-2021.

Né à Mons en 1960, Carl Norac est un poète belge qui vit de sa plume, depuis plus de vingt ans. Installé en France dans le Loiret en 1998, il revient vivre en Belgique en 2019, du côté d’Ostende.

Ce que Carl Norac en pense…

Je suis heureux d’apprendre que l’on m’a choisi pour être le prochain Poète National. C’est une annonce qui intervient avec une valeur symbolique et affective pour moi, le mois même où, après plus de vingt années de vie et d’écritures en France, je reviens habiter en Belgique, à Ostende. L’importance n’est pas le titre, mais ce qu’on peut espérer en faire avec conviction, humilité et je suis impressionné par l’action et les poèmes de Charles Ducal, Laurence Vielle, Els Moors, ainsi que par l’ensemble des partenaires qui font que ce projet est aujourd’hui une réalité en mouvement. Le fait d’arpenter depuis si longtemps théâtres, festivals, aussi écoles, prisons, bibliothèques et divers lieux de vie pour parler de poésie m’a toujours fait penser que cet art, plus que jamais, est là pour bousculer les consciences, pour faire parler l’ailleurs et l’ici d’une même voix. Depuis que j’écris, je n’ai jamais accepté cette frontière invisible qui fait que les artistes des différentes communautés linguistiques de mon pays se connaissent si peu. Beaucoup d’initiatives existent aujourd’hui. En particulier, l’action profonde et enthousiaste qu’a engagées l’ensemble des maisons littéraires pour Poète National / Dichter des Vaderlands est fondamentale et je donnerai toute mon énergie pour les aider sur leurs chemins. Au début des années 90, je me suis rendu compte que je ne connaissais pas « toute la Flandre » et j’ai commencé par visiter celle-ci ville par ville, paysage par paysage. Invité à des festivals par Poëziecentrum puis plusieurs années dans le cadre de Saint-Amour, j’ai pu lire mes poèmes un peu partout, connaître Herman de Coninck, Leonard Nolens, Stefan Hertmans et développer une correspondance puis de nombreuses rencontres, dont certaines à Mons, avec Hugo Claus qui est avec Henri Michaux le poète qui m’a le plus influencé. Je suis parti aussi à la rencontre d’artistes, Carll Cneut, Ingrid Godon, Gerda Dendooven, avec le bonheur par nos livres communs de mieux les faire connaître en Belgique francophone et en France. J’ai eu énormément de chance pour un poète « de l’autre côté » d’être traduit par Ernst Van Altena, Bart Moeyaert, Edward Van de Vendel, Michaël de Cock pour les Editions Poëziecentrum, Querido, Lannoo, De eenhoorn. Si je me permets de donner ces éléments, c’est seulement pour signifier à quel point cette idée maîtresse du projet Poète National d’aider à mieux se connaître entre poètes des trois langues nationales est primordiale à mes yeux. Un des premiers projets que je soumettrai à ce propos sera un tour de Belgique d’un mois par les canaux, en péniche, où monteront, de semaine en semaine, des poètes des différentes communautés, sachant qu’aller les un(e)s vers les autres demande du temps, avec cette volupté de la lenteur qu’offre la navigation sur les canaux ou les fleuves (un thème important dans la poésie belge toute entière, et qu’a révélé encore récemment et magnifiquement Els Moors dans un film-poème). Faire se croiser aussi la plus jeune génération de poètes, celle qui est en mouvement, qui veut changer nos codes, nos conforts d’écriture, nos habitudes. Etant un poète qui écrit aussi très souvent pour les enfants, j’espère pouvoir atteindre cette ambition de motiver un très nombre d’écoles des trois régions autour des mêmes projets. Je dis souvent aux enfants autant qu’aux adultes que nous vivons dans un monde qui nécessite une urgence poétique au même titre qu’une urgence écologique ou humaniste. Les enfants et les adolescents que je rencontre aiment la poésie et y voient souvent, plus que de belles images, une façon de changer le monde. Il ne faut pas uniquement sourire de ces propos si optimistes, mais les prendre au sérieux. Ce qui s’est passé récemment en Belgique pour le climat en est une preuve tangible. La poésie échappe toujours à ce qui veut la contraindre ou la définir par des normes établies. Un adolescent nommé Rimbaud écrivait qu’elle sera toujours « en avant ». Une anthologie originale destinée à la jeunesse verra le jour, où les collaborations seront croisées, afin que les poétesses et poètes de chaque communauté soient illustrés par l’imaginaire d’un(e) artiste de l’autre région. Dans le cadre de Mons 2015, j’avais pu écrire sur ce que les gens dans la rue vous confient de ce qu’ils sont sur le point d’oublier. J’irai demander aux passant(e)s un peu partout en Belgique quel est leur premier poème écrit, lu, appris, aimé, détesté, ou presque oublié. Comme une invitation à reprendre le chemin d’un livre, ou de quelques lignes qui puissent les accompagner, vers une poésie alors tout à fait contemporaine. La poésie est souvent brève : en sa collection d’instants, elle peut se glisser partout, dans les transports en commun ou être chuchotée à l’oreille dans les rues par des comédiens. Et bien sûr, ce qui est essentiel, publiée dans la presse, pour donner un autre regard sur l’actualité. Je suis émerveillé par le travail accompli et je veux aussi continuer ce qu’ont entrepris les trois autres poètes. Tant de pistes à suivre, à inventer, ainsi cette envie absolue qui me guide toujours de confronter la poésie aux autres arts, en particulier pour ma part à la musique et à la danse, ce poème visible. En ces temps troublés où la mémoire de l’histoire semble vaciller, la poésie demeure cette matière mouvante, parfois fuyante, mais persistante, une de celles qui tente d’empêcher que la nuit pénètre trop dans le cœur des hommes. Lorsque Laurence Vielle était Poétesse Nationale et qu’elle cherchait le centre poétique de la Belgique, je lui avais conseillé par exemple de prendre une chaise et d’aller s’asseoir sur la plage d’Ostende. C’est bien là que je vais de ce pas, et ce sera comme le début d’une nouvelle invitation au voyage

Carl Norac

Pour en savoir plus : POETENATIONAL.BE


Carl NORAC © BELGA

Né à Mons en 1960, le poète belge Carl Norac est le fils d’un écrivain et d’une comédienne, Pierre et Irène Coran. D’abord professeur de français, bibliothécaire vagabond, journaliste, professeur d’histoire littéraire au Conservatoire Royal de Mons, il vit de sa plume, depuis plus de vingt ans. Il vit en France dans le Loiret, à Olivet, près d’Orléans depuis 1998. Dès l’été 2019, il reviendra en Belgique et vivra à Ostende, au bord de la Mer du nord. Depuis décembre 2017, l’école de la ville de Neuville-aux-Bois dans le Loiret en France porte son nom.

Livres

Poète (aux Editions de la Différence et à l’Escampette), il a publié aussi une dizaine de recueils et de carnets de voyage. En 1993, Dimanche aux Hespérides donne au poète une première reconnaissance en France.

Sa seconde passion, le voyage, lui fait parcourir le monde. Le voyeur libre, Le carnet de Montréal évoquent ces lieux, ces rencontres. La candeur (La Différence, 1996), réhabilite le candide dans sa pureté, sa résistance face au monde. Éloge de la patience (1999) essaie de révéler la volupté de la lenteur.

Grâce à Hugo Claus, il arpente alors les scènes plusieurs années en Belgique et aux Pays-Bas pour lire ses textes en compagnie de ce grand poète. Une anthologie de ses poèmes paraît en Flandre (Handen in het vuur, traduction d’Ernst van Altena, Poëziecentrum, 1998), en Espagne, en Roumanie (et fin 2019 aux Etats-Unis, avec une traduction de Norman Shapiro chez Black Widow Press).

Il a publié ensuite d’autres recueils de poèmes en prose: Le carnet bleuMétropolitaines (L’escampette), des portraits de femmes dans le métro de Paris, Sonates pour un homme seul, un livre à résonance intime, qui reçut le Prix Charles Plisnier et, en 2013 Une valse pour Billie, un recueil inspiré par Billie Holiday et d’autres artistes.

En 2005, Carl Norac est choisi parmi les sept écrivains européens de l’opération Lire en fête à Paris, accompagné de Jean Echenoz, Claudio Magris, Enrique Vila-Matas, Antonio Lobo Antunes et Milan Kundera dans le projet Lire l’Europe. Pendant un mois, des extraits de ses textes sont exposés aussi dans toutes les rames des métros parisiens. En 2011, il représente son pays pour le projet européen Transpoésie : ses poèmes sont exposés alors dans les couloirs du métro de Bruxelles.

Ses recueils ont été primés trois fois en Belgique par l’Académie Royale de langue et de littérature françaises (dont le Grand Prix Albert Mockel 2019, qui récompense un poète tous les cinq ans ). En 2009, il a également reçu pour son œuvre poétique le Grand Prix de la Société des gens de Lettres à Paris. En 2015, il fut l’artiste complice pour la littérature de Mons 2015, sa ville natale capitale culturelle de l’Europe. En 2018, avec trois célèbres écrivains français, il est invité à lire sur la scène de la Comédie française à Paris.

Littérature jeunesse

Carl Norac est aussi l’auteur de plus de 80 livres de contes ou de poésies pour enfants, traduits à ce jour dans le monde en 47 langues,  édités essentiellement à l’Ecole des Loisirs (collection Pastel). Certains de ses livres, comme Les mots doux (I love you so much) ont eu du succès dans le monde entier (N°1 des ventes aux Etats-Unis à sa sortie en février 1996).  De nombreux livres sont traduits aussi en néerlandais aux Editions De Eenhorn, Lannoo ou Querido par Bart Moyaert, Michael de Cock ou Edward van de Vendel.  Son enfance au milieu de la forêt d’Erbisoeul, en Hainaut, sera une source inépuisable : le goût du voyage et « l’amitié des arbres ». Son écriture pour enfants aborde trois domaines : récits de voyage, écrits où l’affectivité et l’humour sont toujours présents et des poèmes où l’auteur développe son goût du nonsense, inspiré d’un de ses poètes préférés, Edward Lear.

Pour ses livres pour enfants, l’auteur aura la chance de travailler avec les plus grands illustrateurs : Kitty Crowther, Rébecca Dautremer, Louis Joos, Christian Voltz et plusieurs grands illustrateurs flamands comme Carll Cneut, Gerda Dendooven et Ingrid Godon. En 2011, il publie avec le québécois Stéphane Poulin, chez l’éditeur Sarbacane Au pays de la mémoire blanche, un roman graphique et poétique qui a demandé cinq ans de travail, traduit à ce jour en cinq langues.  Depuis 2004, il publie aussi à Londres des livres qu’il écrit en anglais (Editions Macmillan). En 2017 paraît chez Actes Sud un nouveau recueil : Poèmes pour mieux rêver ensemble, illustré par Géraldine Alibeu.

On peut trouver des livres de Carl Norac traduits dans les langues suivantes : anglais, américain, allemand, néerlandais, italien, espagnol, catalan, basque, gaëlique, portugais, grec, danois, suédois, finnois, croate, géorgien, roumain, slovène, estonien, bulgare, russe, albanais, chinois classique, chinois simplifié, japonais, coréen, thaïlandais, vietnamien, hindi, bengali, urdu, tamoul, penjâbi, urdu, tagalog, gujarati, arabe, farsi, turc, kurde, twi, yoruba, shona, somali, papiamentu.

Pour en savoir plus : POETENATIONAL.BE


Une des missions du Poète National est d’écrire, durant son mandat, douze poèmes liés à l’actualité ou l’histoire du pays. En cette période de crise sanitaire [mars 2020], il a pris à bras le corps ce sujet qui nous touche tous : le coronavirus. Traité avec douceur, caractère et une pointe d’humour, Carl Norac nous offre ainsi quelques mots de poésie qui apaisent les angoisses de ces jours difficiles…[POETENATIONAL.BE]

UN ESPOIR VIRULENT

J’ai attrapé la poésie.
Je crois que j’ai serré la main
à une phrase qui s’éloignait déjà
ou à une inconnue qui avait une étoile dans la poche.
J’ai dû embrasser les lèvres d’un hasard
qui ne s’était jamais retourné vers moi.
J’ai attrapé la poésie, cet espoir virulent.

Voilà un moment que ce clair symptôme de jeter
les instants devant soi était devenu une chanson.
Ne plus être confiné dans un langage étudié,
s’emparer du mot libre, exister, résister
et prendre garde à ceux qui parlent d’un pays mort
alors que ce pays aujourd’hui nous regarde.

À présent, on m’interroge, c’était écrit :
« Votre langue maternelle ? »  Le souffle.
« Votre permis de séjour ? »  La parole.
« Vous avez chopé ça où ? »  Derrière votre miroir.
« C’est quoi alors votre dessein, étranger ? »
Que les mots soient au monde,
même quand le monde se tait.

J’ai attrapé la poésie.
Avec, sous les doigts, une légère fièvre,
je crève d’envie de vous la refiler,
comme ça, du bout des lèvres.

Carl NORAC (2020)


En bonus, un poème de Carl Norac offert par la RATP française et dit par Sandrine Bonnaire, alors marraine de la 22ème édition du Printemps des Poètes…


Plus de littérature ?

Roger-Pol DROIT : “Le confinement est une expérience philosophique gigantesque”

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Roger-Pol DROIT © rpdroit.com

Le confinement qui nous est infligé nous donne une leçon d’humilité, nous incite à la remise en cause et nous rappelle notre fragilité. Mais ce repli sur soi ne doit pas nous couper des autres, de nos aînés, nous dit le philosophe Roger-Pol DROIT (né en 1949). Nous devons entretenir le lien fondamental qui nous unit.

Dans le huis-clos que nous impose ces journées d’isolement, nous sommes confrontés à nous-même. Notre vie habituellement débordante d’activités se fige. Saisissons ce moment, propose Roger-Pol Droit, pour réfléchir et repenser notre rapport à la vie quitte à plonger dans un ennui qui sera, au bout du compte, salutaire.

EAN13 9782226398956

Roger-Pol Droit est philosophe, écrivain et journaliste. Chroniqueur pour le journal Le Monde dans la rubrique “Livres”, il vient de publier Monsieur je ne vous aime point (Albin Michel). Ce roman retrace une histoire d’amitié manquée entre les deux grands penseurs que sont Voltaire et Rousseau.


Cette épidémie de Covid-19 nous amène à repenser notre mode de vie. En confinement, nous sommes placés dans une situation inédite de notre existence qui apparaît comme un grand saut dans l’inconnu. Qu’est-ce que cette nouvelle séquence dit de nous ?
Elle dit de nous que nous n’arrêtions pas de bouger d’abord dans nos têtes. Que nous n’arrêtions pas de nous divertir, de nous occuper à l’écran, avec des jeux vidéo, avec des séries. Mais je crois qu’avec ce bouleversement de la vie quotidienne, des déplacements, cela change aussi nos cartes mentales. Autrement dit, c’est une sorte d’expérience philosophique absolument gigantesque où notre vie quotidienne change. Mais cela nous oblige à réfléchir à des choses que, d’habitude, nous ne voulions pas voir : le hasard qui peut tout bouleverser, la vulnérabilité de nos vies et de nos corps, le rapport étrange que nous avons entre notre solitude dans le confinement et la solidarité. Tout ça aussi doit faire réfléchir. Il y a énormément de choses qui sont en train de bouger dans les têtes alors que nous ne bougeons plus dans la réalité.

Nos certitudes s’effondrent à mesure que progresse l’épidémie. Peut-on dire qu’hier, nous nous sentions invincibles et vivants tandis qu’aujourd’hui, nous sommes en sursis et nous en prenons conscience ?
S’il y a une première grande leçon qui se décline de “x” façons, c’est une leçon d‘humilité. Pas l’humilité au sens “Nous sommes humbles et nous devons vivre à ras de terre” mais l’humilité au sens où nous prenons une leçon de doute, de remise en cause. Il y a en ce moment beaucoup de gens qui nous expliquent ce qui se passe, qui savent exactement comment cela se passera demain. Il me semble que nous sommes plutôt dans un “au jour le jour” où nous voyons que nous ne savons pas. Ou que nous ne savons plus. Nous avons du coup à réfléchir et à mettre entre parenthèses nos anciennes certitudes. C’est Nietzsche qui a cette phrase très belle : “Ce n’est pas le doute qui rend fou, c’est la certitude.” Nous avions probablement beaucoup de folie à travers beaucoup trop de certitudes qui se révèlent fragiles. Et cette fragilité fait peur. Elle nous déstabilise. Mais elle est aussi une occasion de réflexion, de nouveau départ vers on ne sait pas encore exactement quoi.

Cette crise ne réveille-t-elle pas un sentiment que nous avions oublié : la peur ? Et une peur collective ?
Une peur qui est individuelle et collective. Je lisais l’autre jour Kierkegaard, Le concept d’angoisse, une lecture de circonstance. Il explique que l’angoisse, ce n’est pas la peur. L’hypocondriaque, dit-il, ne cesse de s’affoler tout le temps des moindres choses. Mais quand il y a un danger réel, quand une maladie effective est là, alors on arrête de fantasmer. On arrête de prendre l’imagination pour le réel. On a peur. Mais cette peur a des objets. L’angoisse n’a pas d’objet, elle est diffuse. Elle vient du dedans. La peur naît d’une menace dans la réalité avec laquelle il faut compter mais contre laquelle on peut lutter de façon aussi réelle et efficace que possible, comme le font aujourd’hui tous les soignants, tout le corps médical, et, finalement, une immense partie de la population.

Dans cette crise sanitaire que nous traversons, qu’est-ce qui nous unit (vous avez travaillé sur cette question dans un essai) ? L’empathie, la solidarité ?
Ce qui nous unit est quelque chose de fondamental qui porte plusieurs noms. Chez Rousseau, cela s’appelle la pitié. Ce n’est pas l’apitoiement, mais le fait que nous ressentons directement le malheur et la peur des autres. Nous sommes chez nous en bonne santé, très protégés pour la plupart. Nous voyons des gens qui souffrent, qui sont malades, qui meurent en masse de façon incompréhensible ou sans raison apparente à cause de ce virus. Nous en éprouvons évidemment de l’émotion. C’est cela le lien humain fondamental. C’est le fait que nous partageons des peurs, des émotions, des solidarités. Lorsque nous avons le sentiment que des semblables, même inconnus, sont en danger de mort, nous nous portons à leur secours sans réfléchir. Ce n’est pas une histoire d’argument, de démonstration. C’est un lien humain de solidarité, de sursaut, pour aider les autres.

Paradoxalement, cette crise qui nous rassemble ne peut-elle pas aussi nous éloigner en révélant nos égoïsmes, nos instincts primaires ?
Bien évidement. Mais c’est toujours à double face. Les êtres humains, comme la plupart des réalités ou des idées auxquelles nous sommes confrontés, ont une face claire et une face sombre. Les deux sont en tension et en lutte. Il y a effectivement, en ce moment, de façon manifeste et très importante, des signes d’empathie, de solidarité, de fraternité. Et puis il y a des gens qui veulent profiter de cette période pour mener des opérations lucratives sur internet, des opérations de “hacking” ou qui répandent des “fake-news”. Il y a ceux qui préfèrent tirer la couverture à eux. Mais on constate cela dans toutes les situations de crise aiguë, de tension. La réalité est toujours comme ça. Cela ne veut pas dire qu’il faut se résigner au côté sombre des comportements. Mais on n’est pas angélique. Il faut savoir qu’il y a toujours, en nous et entre nous, de la solidarité et du combat, de la guerre et de la paix, de l’amitié et de la lutte.

Nous sommes en guerre” répète Emmanuel Macron. Ce n’est pas une guerre contre une armée mais contre un ennemi invisible : la mort. N’y a-t-il pas un paradoxe entre l’emploi de ce terme et le fait que l’on ne va pas tomber les armes à la main, mais peut-être dans la solitude d’un Ehpad ou d’une chambre d’hôpital ?
C’est une chose terrible. J’ai signé, avec des médecins et des intellectuels, une tribune dans le journal Le Monde pour appeler à la mobilisation pour les Ehpad. Bien sûr, il y a une question de moyens qu’il faut tout de suite essayer de mettre en œuvre et, dans la mesure du possible, la multiplication des masques pour les soignants, des tests précoces pour les résidents, etc. Mais il faut aussi mettre en œuvre, autant que faire se peut, une multitude de liens, y compris numériques, qui peuvent permettre aux personnes âgées, vulnérables, exposées, peut-être déjà contaminées, de parler à leurs proches. Là, il y a une grande cruauté de cette épidémie qui accroît la souffrance par l’absence de présence, par la solitude, par le confinement et l’isolement. Il faut réfléchir plus intensément à ce lien entre nous qui est à la fois un lien de présence et un lien de parole. Ce qui est insupportable, plus encore que la solitude ou la souffrance, c’est l’indifférence d’un certain nombre de gens, heureusement minoritaires. On voit se développer chez certains, envers les Ehpad, une attitude qui est, permettez-moi de le dire ainsi, “tu peux crever parce que tu n’as plus l’âge de vivre” ! Et ça, même si c’est très minoritaire, c’est un signe de barbarie absolument insupportable.

En Inde, le Mahâbhârata nous rappelle ceci : “Chaque jour, la mort frappe autour de nous et nous vivons comme si nous étions des vivants immortels”. Cette épidémie nous oblige-t-elle à prendre conscience que nous sommes mortels ?
La singularité profonde de l’être humain est à la fois d’avoir une vie finie et de le savoir. Mais tout en le sachant, il pense à autre chose. Il pose cette idée sous le tapis. Montaigne et d’autres philosophes ne cessent de nous rappeler qu’il faut avoir cette idée de notre propre finitude en tête. Montaigne a cette formule : “Il faut avoir le goût de la mort en bouche” pour mieux apprécier le goût des choses, de la vie. Il ne s’agit pas de macérer dans une sorte de mortification désolée. Mais cette présence renouvelée du danger de notre mort peut nous permettre de saisir notre finitude, notre fragilité, et, du coup, non seulement de renforcer nos systèmes sanitaires, nos hôpitaux, mais aussi, philosophiquement, de nous replacer dans le présent vivant, tout en sachant que ce présent vivant est destiné à se terminer.

Dans votre essai Et si Platon revenait…, vous imaginez le philosophe grec contempler notre monde contemporain. Et vous expliquez, alors que nous bénéficions du savoir, de la communication, d’un accès aux biens traces aux écrans, que Platon dénoncerait notre asservissement aux écrans qui nous sont pourtant utiles aujourd’hui. Pourquoi ?
Les écrans nous sont très utiles car ils nous permettent de nous informer, de parler, de nous rencontrer. Ces écrans omniprésents sont absolument utiles mais, eux aussi, à double face. Ils ont, eux aussi, une face claire qui est le lien, la communication, l’entraide, l’information… et une face sombre en ce sens qu’ils nous infligent une sorte de captation permanente de l’attention. Il ne faut pas avoir peur de la rupture que nous imposent le confinement et la solitude. Il ne faut pas avoir peur de s’ennuyer, comme disait Paul Valéry. L’ennui, c’est la vie toute nue. L’existence, quand elle se regarde, est toujours un peu ennuyeuse. Et si on traverse ce temps d’ennui, il me semble qu’il y a plein de choses dont il est porteur. Il ne faut pas avoir peur de s’ennuyer avec cette idée que, dans cet ennui, il y a des choses fécondes qui fermentent et qui ressortent le lendemain, qu’on est train de trouver une idée nouvelle qui a cheminé dans l’ennui.

On nous dit que rien ne sera plus comme avant après cette crise. Or nous avons, depuis des siècles, traversé des épidémies, des révolutions, des guerres mondiales, plus récemment la chute du mur de Berlin, les attentats du 11 septembre, etc. Peut-on dire que tout change en permanence ?
Je me méfie des formules radicales ou excessives. Bien sûr, je crois qu’il y a une sorte de tsunami mental qui nous submerge en ce moment. On a le sentiment que tout change. Mais qu’est-ce qui change prioritairement et qui va changer radicalement dans ce tout ? Personne ne le sait. En tout cas, je me refuse à prophétiser quoi que ce soit. J’ai le sentiment que nous avons à vivre au jour le jour, et heure par heure, des choses difficiles. Et probablement de plus en plus difficiles pendant un certain temps. Tout cela aura un impact, sans doute profond. Mais sur quoi exactement ? Pendant combien de temps ? Durablement ou temporairement ? Il me semble que l’affirmer aujourd’hui serait téméraire et très probablement démenti par la suite des événements.

Lire l’entretien original de Pierre NEVEUX sur FRANCECULTURE.FR (article du 30 mars 2020)


Plus de presse…

NEWMAN, Barnett (1905-1970)

Temps de lecture : 2 minutes >
Barnett Newman: The Late Work, The Menil Collection, March 2015 © artbooks.yupnet.org

Né à Manhattan en janvier 1905, Barnett NEWMAN est le fils d’un couple d’immigrés polonais juifs qui lui inculquent une éducation religieuse. Après le lycée, il s’inscrit à l’Université de New York pour étudier la philosophie. Pendant ses études, il fréquente les galeries et les musées et peint des œuvres impressionnistes. Dès ses 25 ans, il devient, tout en continuant à peindre, critique d’art et commissaire d’expositions. Dans le contexte de crise mondiale des années 1930, Newman pense l’art par rapport aux événements politiques. « La peinture est finie, nous devrions tous l’abandonner » écrit-il dès le début de la Seconde Guerre Mondiale. Après Pearl Harbor, Hiroshima et la découverte des camps, l’impuissance de la peinture lui paraît plus évidente encore. 

Barnett Newman, The Stations of the Cross, Lema Sabachthani, Twelfth Station [detail], 1965 © art-critique.com

(…) Newman souhaitait que ses tableaux soient le lieu d’une communion du spectateur avec lui-même et avec les autres. « J’espère que ma peinture peut donner à chacun, comme elle l’a fait pour moi, la sensation de sa propre totalité, de sa propre existence séparée, de sa propre individualité, et en même temps de sa connexion avec les autres, qui existent aussi séparément » écrivait-il. Lui qui fut l’un des rares artistes de sa génération à refuser de participer au programme gouvernemental d’aide aux artistes (Work Progress Administration) estimant que cet argent était celui de l’isolationnisme donnait à l’abstraction un potentiel social, voire politique. Ainsi écrivait-il : « On m’a demandé ce que signifiait vraiment ma peinture par rapport à la société, par rapport au monde, par rapport à la conjoncture. J’ai répondu que si mon travail était correctement compris, ce serait la fin du capitalisme et du totalitarisme d’État. Mon travail, en termes d’impact social, signifie la possibilité d’une société ouverte, d’un monde ouvert et non d’un monde institutionnel fermé. » (lire l’article complet sur art-critique.com)


[INFOS QUALITE] statut : actualisé | mode d’édition : compilation par wallonica.org  | contributeur : Philippe Vienne | crédits illustrations : artbooks.yupnet.org ; art-critique.com


Plus d’arts visuels…

Coronavirus : 100 questions à Peter Piot, virologue

Temps de lecture : 23 minutes >
© R.Demoulin Bernard

En mars de cette année, le belge Peter PIOT, l’un des plus célèbres virologues au monde, répondait aux questions du directeur de la Fondation Tedmed, une organisation caritative qui se consacre aux “idées qui valent la peine d’être diffusées” dans les domaines de la santé et de la médecine. […] Ce Brabançon de 71 ans est notamment connu pour avoir découvert le virus Ebola en 1976, avoir été directeur du programme Onusida de 1995 à 2008 et pour diriger aujourd’hui l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres.

En plus d’un entretien filmé, Peter Piot a répondu par écrit à 100 questions. Il y explique ce qu’est précisément le nouveau coronavirus, la facilité avec laquelle il se propage, l’efficacité des masques, l’importance de ralentir la propagation de la maladie, les traitements actuellement étudiés…


1. Commençons par l’essentiel. Qu’est-ce qu’un virus ?
Un virus est une toute petite particule d’ARN ou d’ADN, protégée par une enveloppe protéique extérieure.

2. Quelle est la fréquence des virus ?
Les virus sont partout. Il est étonnant de réaliser que si on les additionne tous, tous les virus du monde pèsent plus lourd que toute la matière vivante du monde – y compris toutes les plantes, tous les animaux et toutes les bactéries. 10 % du génome humain est dérivé de l’ADN des virus. La Terre est vraiment une “planète à virus” !

3. Pourquoi est-il si difficile d’arrêter la propagation d’un virus ?
Parce que les particules virales sont incroyablement petites, des milliards peuvent flotter sur de minuscules gouttelettes dans l’air à partir d’une seule toux.

4. Quelle est la taille exacte d’un virus ?
Minuscule. Même avec un microscope ordinaire, on ne peut pas voir un virus. 100 millions de particules virales du nouveau coronavirus peuvent tenir sur une tête d’épingle. C’est dire à quel point elles sont minuscules.

5. Que font les particules virales ?
Les particules virales tentent de s’insérer dans les cellules vivantes afin de se multiplier, d’infecter d’autres cellules et d’autres hôtes.

6. Pourquoi les virus tentent-ils de pénétrer dans les cellules vivantes ?
C’est la façon dont les virus se “reproduisent”. Les virus agissent comme des parasites. Ils prennent le contrôle des cellules vivantes afin de forcer chaque cellule à fabriquer d’autres virus. Lorsqu’une cellule est ainsi prise en otage, le virus envoie des centaines ou des milliers de copies de lui-même. Il en résulte souvent la mort de la cellule qui a été infectée.

7. Que signifie être infecté par le nouveau coronavirus, que les scientifiques ont appelé “SRAS-CoV2” ?
Cela signifie que le SRAS-CoV2 a commencé à se reproduire dans votre corps.

8. Quelle est la différence entre le SRAS-CoV2 et le COVID-19 ?
Le SRAS-CoV2 est le virus ; COVID-19 est la maladie que ce virus propage.

9. Est-il facile pour un virus de pénétrer dans une cellule vivante ?
Cela dépend en premier lieu du fait que la cellule possède le bon récepteur pour le virus en question, tout comme une clé a besoin d’un trou de serrure spécifique pour fonctionner. La plupart des virus sont bloqués par notre système immunitaire ou parce que nous n’avons pas les bons récepteurs pour que le virus puisse entrer dans la cellule. Ainsi, 99% d’entre eux sont inoffensifs pour l’homme.

10. Combien de types de virus existent, et combien d’entre eux sont nocifs pour l’homme ?
Sur les millions de types de virus, seules quelques centaines sont connues pour être nocives pour l’homme. De nouveaux virus apparaissent sans cesse. La plupart sont inoffensifs.

11. En moyenne, combien de particules du virus faut-il pour vous infecter ?
Nous ne savons pas encore vraiment pour le SRAS-CoV2. Il en faut généralement très peu.

12. A quoi cela ressemble-t-il ?
Le SRAS-CoV2 ressemble à un minuscule brin de spaghetti, enroulé en boule et emballé dans une coquille faite de protéines. La coquille a des pointes qui dépassent et font ressembler la coquille à la couronne du soleil. Les virus de cette famille ont tous un aspect similaire ; ils ressemblent tous à une couronne.

© Reporters

13. Combien de coronavirus différents affectent l’homme ?
Il y a 7 coronavirus qui ont une transmission d’homme à homme. 4 génèrent un léger rhume. Mais 3 d’entre eux peuvent être mortels, y compris les virus qui causent le SRAS et le MERS, et maintenant le nouveau coronavirus, le SRAS-CoV2.

14. Pourquoi l’appelle-t-on le “nouveau” coronavirus ?
Nouveau signifie simplement qu’il est nouveau pour l’homme, ce qui signifie que ce virus spécifique est un de ceux que nous n’avons jamais vus auparavant. Notre système immunitaire évolue depuis deux millions d’années. Mais comme notre corps n’a jamais vu ce virus auparavant, l’homme n’a pas eu la possibilité de développer une immunité. Ce manque d’immunité, combiné à la capacité du virus à se propager facilement et à sa létalité relative, est la raison pour laquelle l’arrivée du SRAS-CoV2 est si inquiétante.

15. Quelle est la fréquence d’apparition d’un nouveau virus dont nous devons nous préoccuper ?
C’est rare… mais ça arrive. Citons par exemple les virus qui provoquent des maladies comme le VIH, le SRAS, le MERS et quelques autres. Cela se reproduira. L’émergence d’un nouveau virus est un très gros problème… s’il peut facilement se propager parmi les gens et s’il est nocif.

16. Avec quelle facilité le nouveau virus se propage-t-il ?
Le SRAS-CoV2 se propage assez facilement d’une personne à l’autre, par la toux et le toucher. C’est un virus “transmis par voie respiratoire”.

17. Le virus se propage-t-il d’une autre manière ?
Des rapports récents indiquent qu’il peut également se propager par contamination fécale et urinaire, mais cela doit être confirmé.

18. En quoi ce nouveau virus est-il différent des coronavirus connus précédemment qui propagent le SRAS ou le MERS ?
Le SRAS-CoV2 est différent à 4 égards essentiels :
Premièrement, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant des jours, de sorte qu’elles peuvent infecter d’autres personnes sans le savoir, et nous ne savons pas qui isoler. C’est très inquiétant car le SRAS-CoV2 est très infectieux.
Deuxièmement, dans 80 % des cas, le COVID-19 est une maladie bénigne qui ressemble à un petit rhume ou à une petite toux, de sorte que nous ne nous isolons pas et que nous infectons les autres.
Troisièmement, les symptômes sont facilement confondus avec ceux de la grippe, si bien que de nombreuses personnes pensent qu’elles ont la grippe et n’envisagent pas d’autres possibilités.
Quatrièmement, et c’est peut-être le plus important, le virus se transmet très facilement d’homme à homme car, dans les premiers stades, il se concentre dans la partie supérieure de la gorge. La gorge est pleine de particules virales, de sorte que lorsque nous toussons ou éternuons, des milliards de ces particules peuvent être expulsées et transmises à une autre personne.

19. Il se disait que le virus provoquait une pneumonie. Comment la gorge est-elle impliquée ?
La maladie commence souvent dans la gorge (c’est pourquoi les tests font souvent un prélèvement dans la gorge), puis, à mesure qu’elle progresse, elle descend vers les poumons et devient une infection des voies respiratoires inférieures.

20. Que signifie le mot “asymptomatique” ?
Cela signifie simplement qu’il n’y a pas de symptômes.

21. Vous voulez dire qu’une personne peut être infectée par le nouveau virus sans jamais présenter de symptômes ?
Malheureusement, oui. De nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme pendant les premiers jours, puis une légère toux ou une faible fièvre apparaît. C’est le contraire du SRAS, où vous avez eu des symptômes clairs pendant quelques jours mais n’étiez contagieux que lorsque vous étiez malade.

22. Si vous ne présentez aucun symptôme, pouvez-vous quand même infecter d’autres personnes ?
Malheureusement, oui. Et cela rend beaucoup plus difficile le ralentissement de la propagation.

23. Quelle est la probabilité que les scientifiques développent un vaccin pour empêcher les gens d’être infectés ?
C’est raisonnablement probable, mais il n’y a aucune garantie que nous aurons même un vaccin. L’échec est possible. Par exemple, nous cherchons un vaccin contre le VIH depuis 35 ans et nous n’en avons toujours pas. Je suis optimiste quant à la mise au point d’un vaccin contre le SRAS-CoV2, mais nous devrons procéder à des tests approfondis d’efficacité et de sécurité, ce qui demande beaucoup de temps et de personnel.

24. En supposant qu’un vaccin contre le coronavirus soit possible et qu’il soit découvert assez rapidement, combien de temps faudra-t-il avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons commencer à injecter à des millions de personnes ?
Nous aurons des “candidats” vaccins dans un mois ou deux. Mais en raison de la nécessité de procéder à des tests approfondis pour prouver qu’il protège et est sûr, il faudra au moins un an avant de disposer d’un vaccin que nous pourrons injecter à des personnes et qui sera approuvé par une grande agence de réglementation. En fait, 18 à 24 mois sont plus probables lorsque nous passerons à des millions de doses, ce qui est optimiste.

25. Pourquoi faut-il tant de temps pour mettre au point un vaccin s’il s’agit d’une urgence ?
Ce n’est pas nécessairement la découverte d’un vaccin qui prend autant de temps, mais les essais de vaccins. Une fois qu’un vaccin “candidat” existe en laboratoire, une série d’essais cliniques est nécessaire, d’abord sur des animaux, puis sur des groupes de personnes de plus en plus nombreux.

26. Avons-nous déjà fait des progrès ?
La bonne nouvelle est que quelques semaines seulement après la découverte et l’isolement du SRAS-CoV2, qui a eu lieu au début de janvier 2020, le développement du vaccin a commencé immédiatement. Des fonds ont été alloués par de nombreux gouvernements et de nombreuses entreprises et scientifiques du monde entier y travaillent avec une grande urgence.

27. Les scientifiques de ces pays coopèrent-ils ou sont-ils en concurrence les uns avec les autres ?
Un peu des deux, et ce n’est pas une mauvaise chose. Mais la coopération internationale a généralement été bonne. C’est encourageant.

28. Ne pouvons-nous pas développer un vaccin plus rapidement ?
Malheureusement, il n’y a pas de raccourcis. Le système immunitaire du corps humain est complexe et imprévisible. Des mutations virales peuvent se produire. Les enfants sont différents des adultes. Les femmes peuvent réagir différemment des hommes. Nous devons nous assurer que tout vaccin est sûr à 100 % pour tous ceux qui le reçoivent. Pour ce faire, nous devons tester les médicaments et les vaccins à différentes doses sur un large éventail de volontaires humains en bonne santé dans des conditions soigneusement mesurées.

29. Dans quelle mesure le nouveau virus est-il mortel ?
La plupart des scientifiques pensent qu’il tue 1 à 2 % de toutes les personnes infectées. L’OMS rapporte actuellement un chiffre plus élevé de plus de 3 %, mais cette estimation devrait baisser à mesure qu’ils trouveront comment compter les nombreux cas non déclarés ou bénins. La mortalité est nettement plus élevée chez les personnes âgées et celles qui souffrent de maladies sous-jacentes.

30. Le taux de mortalité moyen est-il le chiffre sur lequel il faut se concentrer ?
Pas vraiment. On peut se noyer dans une “moyenne” de 8 cm d’eau. Une meilleure façon de comprendre les risques consiste à reconnaître qu’elle peut être mortelle pour certains groupes de personnes et beaucoup moins pour d’autres – avec des conséquences très diverses.

31. Quels sont donc les chiffres et les points de contrôle sur lesquels il faut se concentrer ?
80% du temps, c’est une maladie bénigne, mais dans 20% des cas, elle devient plus grave, les pires cas faisant état d’une forte fièvre ou d’un essoufflement. Par conséquent, certaines personnes doivent être hospitalisées, et d’autres auront besoin de soins intensifs pour survivre pendant quelques jours critiques lorsque leurs poumons sont fortement infectés.

32. Quels sont les groupes de personnes les plus menacés ?
Tout d’abord, les personnes âgées comme moi : j’ai 71 ans. Plus on est âgé, plus le risque est élevé. Sont également plus à risque les personnes souffrant de maladies sous-jacentes telles que le diabète, les maladies pulmonaires obstructives chroniques et les maladies pulmonaires ou encore les maladies cardiovasculaires ou les déficiences immunitaires.

33. Quel est le degré de danger auquel ces groupes à haut risque sont confrontés ?
Leur taux de mortalité peut atteindre 10 %, voire 15 %. Et votre risque augmente lorsque vous avez plus de problèmes de santé. Les données scientifiques sur tout cela sont régulièrement mises à jour sur le web.

34. Votre risque augmente donc considérablement si vous souffrez d’autres maladies, comme le diabète. Pourquoi ?
Parce que votre système immunitaire réagit mal à tout virus infectieux, mais particulièrement à celui-ci.

35. Il semble que, de manière générale, les enfants et les jeunes ne soient que faiblement, voire pas du tout, touchés. Est-ce vrai ?
C’est ce qu’il semble, mais comme pour tant d’autres questions sur COVID-19, cela doit être confirmé.

36. Si c’est vrai, pourquoi le SRAS-CoV2 affecterait-il beaucoup plus les personnes âgées, mais pas les jeunes et les enfants ?
En fait, nous ne le savons pas. Il va falloir un certain temps avant de le découvrir .

37. Autre chose d’inhabituel ?
Vous pouvez infecter d’autres personnes même si vous êtes totalement asymptomatique et que vous vous sentez bien. C’est inhabituel, mais cela peut aussi arriver dans le cas d’une infection par le VIH.

38. On entend souvent parler de COVID-19 par rapport à la grippe saisonnière. Quelle est la bonne façon d’encadrer cette comparaison ? Par exemple, la grippe saisonnière et le coronavirus sont-ils aussi dangereux l’un que l’autre ?
La grippe saisonnière infecte généralement jusqu’à 30 millions de personnes par an aux États-Unis, et moins d’un dixième de 1 % du groupe infecté en mourra – mais c’est quand même un chiffre important. Dans le monde, au cours d’une année moyenne, 300 000 personnes au total meurent de la grippe saisonnière. Mais, en moyenne, le nouveau coronavirus est 10 à 20 fois plus mortel et, contrairement à la grippe, nous ne pouvons pas nous protéger par la vaccination.

39. Le nouveau virus se propage-t-il aussi facilement que la grippe ?
Le nouveau virus semble se propager aussi facilement que la grippe.

40. Pour poursuivre la comparaison entre la grippe et le COVID-19, qu’en est-il des causes ? La grippe est-elle également causée par un virus ?
Oui, la grippe est également causée par un virus. La grippe est causée par le virus de la grippe. Mais le virus de la grippe et le coronavirus sont très différents. Un vaccin antigrippal ne vous aide pas avec le nouveau coronavirus, mais il réduit considérablement votre risque de grippe. Le rhume, pour lequel il n’existe ni vaccin ni remède, est souvent causé par un autre type de virus minuscule appelé rhinovirus, et parfois par un autre coronavirus.

41. Comment l’infection progresse-t-elle lorsque le nouveau coronavirus s’installe dans votre corps ?
Cela commence généralement par une toux. Puis une faible fièvre. Puis la faible fièvre se transforme en forte fièvre et vous êtes essoufflé.

42. À quel moment de bons soins médicaux font-ils la différence entre la vie et la mort ?
C’est généralement lorsque la fièvre est très élevée et que vos poumons sont endommagés, de sorte que vous êtes essoufflé ou que vous avez besoin d’aide pour respirer.

43. En quoi le nouveau virus est-il différent d’une maladie telle que la rougeole, les oreillons ou la varicelle ?
Le SRAS-CoV2 est actuellement beaucoup moins infectieux et dangereux, mais il y a encore beaucoup de choses que nous ignorons. Les autres maladies sont bien connues.

44. Si le nouveau coronavirus est moins dangereux que les autres virus, pourquoi beaucoup de gens en ont-ils si peur ?
Parce que les nouvelles choses qui peuvent nous tuer ou nous rendre malades nous rendent très nerveux. Mais une connaissance précise est l’antidote à la peur, alors ici aux États-Unis, je vous invite à prêter attention au site CDC.gov. Dans d’autres pays, rendez-vous sur le site de votre ministère national de la santé ou sur celui de l’OMS.

45. À quelle fréquence faut-il consulter les sites web du CDC ou de l’OMS, ou le site web de son ministère national de la santé ?
Nous mettons continuellement à jour nos connaissances à mesure que nous en apprenons davantage sur le nouveau virus, c’est pourquoi ces sites devraient être consultés fréquemment.

46. L’humanité a-t-elle déjà complètement éliminé un virus ?
Oui, la variole, qui tuait des millions de personnes. Et nous y sommes presque pour la polio grâce à la Fondation Gates et à de nombreux gouvernements dans le monde comme celui des États-Unis.

47. Comment le nouveau virus se retrouve-t-il dans de nouveaux endroits du monde ?
Par la route, l’air et la mer. De nos jours, les virus voyagent en avion. Certains passagers peuvent être porteurs du SRAS-CoV2.

48. Ainsi, chaque aéroport international est un tapis de bienvenue pour le nouveau virus ?
La réalité est que le SRAS-CoV2 est déjà bien présent dans la plupart des pays, y compris aux États-Unis, et loin de tout grand aéroport international.

49. Depuis le début de l’épidémie en Chine, les visiteurs de ce pays représentent-ils le plus grand danger d’importation de coronavirus aux États-Unis ?
Depuis l’apparition du nouveau virus en Chine en 2019, 20 millions de personnes sont venues aux États-Unis en provenance de pays du monde entier. Les États-Unis ont arrêté la plupart des vols directs en provenance de Chine il y a quatre semaines, mais ils n’ont pas empêché l’entrée du virus. Aujourd’hui, les cas de COVID-19 en Chine sont souvent importés d’autres pays, car l’épidémie en Chine semble être en déclin pour le moment.

50. En d’autres termes, les grands aéroports sont tout ce dont vous avez besoin pour garantir que n’importe quel pays aura le virus partout en moins de 3 mois.
Oui. Je crois qu’en Amérique, on dit : “Le cheval a quitté l’écurie.” Ce n’est pas une raison pour arrêter complètement tout voyage.

51. Pourquoi un pays comme le Japon pourrait-il fermer ses écoles ?
D’autres pays comme l’Italie et la France font de même. C’est parce que les scientifiques ne savent pas dans quelle mesure la propagation est accélérée par les enfants qui sont porteurs. Le Japon fait de gros efforts pour ralentir la propagation. Les enfants transmettent généralement les virus rapidement, car ils ne se lavent pas les mains ou n’ont pas une bonne hygiène personnelle. Ils jouent un rôle important dans la propagation de la grippe, c’est pourquoi de nombreux pays ont fermé les écoles dans les zones touchées.

52. Si on est infecté, y a-t-il des médicaments qu’on peut prendre pour rendre le virus moins grave, ou pour le faire disparaître complètement ?
Aucun médicament n’a encore prouvé son efficacité en tant que traitement ou ce que les médecins appellent une “thérapie”. Un grand nombre de médicaments différents sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, et nous espérons que cela changera bientôt pour le mieux.

53. Quelle est la probabilité que nous trouvions de nouveaux médicaments thérapeutiques, et dans quel délai ?
Je suis convaincu que, dans quelques mois, il est très probable que nous trouverons des utilisations “non indiquées sur l’étiquette” des médicaments actuels qui aident à traiter une personne infectée. En d’autres termes, nous aurons une nouvelle utilisation pour les médicaments existants qui ont été utilisés à l’origine contre d’autres infections virales comme le VIH. Mais il faudra du temps et beaucoup de tests réels pour s’en assurer. De nouveaux médicaments thérapeutiques sont actuellement testés dans le cadre d’essais cliniques, notamment en Chine, mais aussi ailleurs. Cela semble prometteur.

54. Qu’en est-il des antibiotiques ? Tout le monde s’en sert toujours en cas de crise.
Il s’agit d’un nouveau virus, pas d’une bactérie. Les antibiotiques agissent contre les bactéries mais pas contre les virus. Ils peuvent être utiles à l’hôpital en cas d’infections secondaires d’origine bactérienne, mais les antibiotiques n’ont aucun effet sur le nouveau virus lui-même.

55. Qu’en est-il de toutes sortes de nouveaux remèdes, thérapies et traitements dont j’ai entendu parler sur Internet ?
Il va y avoir une infinité de fausses affirmations. Ce n’est qu’en lisant sur de nombreux sites web fiables que l’on peut être sûr qu’il s’agit d’une véritable science. Mais la plupart de ce que vous entendrez sera du vent, alors soyez très prudent et ne répandez pas de rumeurs non confirmées.

56. Et les masques ? Ces masques chirurgicaux bleus ou un masque N95 sont-ils utiles ?
Les masques ont une valeur très limitée, sauf dans certaines circonstances spécifiques. Par exemple, selon le type de masque N95, un peu moins de 50% des particules virales entrantes seront filtrées, mais elles peuvent réduire la propagation des gouttelettes en suspension dans l’air.

© AFP

57. Quels sont les avantages des masques lorsqu’ils sont utilisés correctement et qui devrait porter un masque ?
Les meilleurs masques, soigneusement ajustés et portés correctement, ralentissent la propagation des personnes malades qui toussent. Autrement dit, le masque ne sert pas à vous protéger des autres personnes, mais à protéger les autres personnes contre vous. C’est une courtoisie envers les autres de porter un masque lorsque vous avez ce que vous pensez être un rhume et que vous commencez à tousser. Les masques ont un avantage supplémentaire : ils réduisent la probabilité que vous touchiez votre bouche, et donc que le virus se propage dans votre corps si vous avez le virus sur les mains. Les masques présentent des avantages pour le personnel de santé. Si vous travaillez dans un établissement de santé ou dans le domaine des soins aux personnes âgées, le port du masque est obligatoire.

58. Y a-t-il quelque chose qu’on puisse faire pour éviter d’être infecté lors d’une pandémie mondiale ?
Se laver les mains fréquemment, ne pas se toucher le visage, tousser et éternuer dans le coude ou dans un mouchoir en papier, ne pas se serrer la main ou s’embrasser, tout cela réduit le risque. Si vous êtes malade, restez chez vous et consultez un médecin par téléphone pour savoir quoi faire ensuite, et portez un masque lorsque vous voyez d’autres personnes.

59. Que signifie “atténuation” ? On entend souvent les scientifiques utiliser ce mot.
L’atténuation signifie ralentir la propagation du virus et tenter de limiter ses effets sur les services de santé publique, la vie publique et l’économie. Tant qu’il n’y aura pas de vaccin, ce que nous pouvons faire, c’est le ralentir. C’est vraiment important.

60. Quels autres moyens pouvons-nous utiliser pour ralentir la propagation du virus ?
Une bonne hygiène et la simple courtoisie peuvent ralentir la propagation. En outre, des mesures de “distanciation sociale” – comme travailler à domicile, ne pas prendre l’avion, fermer les écoles et interdire les grands rassemblements – contribueront à ralentir la propagation du SRAS-CoV2.

61. Les différents virus se propagent-ils plus facilement que les autres ?
Oui. La rougeole est le pire. Vous pouvez attraper la rougeole en entrant dans une pièce vide qu’une personne infectée a quittée 2 heures plus tôt ! C’est pourquoi nous avons des épidémies de rougeole lorsque les taux de vaccination baissent. C’est une maladie très résistante. Le rhume se propage assez facilement. Le VIH est beaucoup plus difficile à répandre, et pourtant nous avons eu 32 millions de décès.

62. Que faudra-t-il pour arrêter ce virus ?
Personne ne le sait vraiment, mais la Chine a montré qu’il est possible d’arrêter la propagation de manière significative. Un vaccin pourrait être nécessaire pour éliminer complètement le SRAS-CoV2.

63. Combien de temps faudra-t-il pour que le nouveau virus se répande dans une population de la taille des États-Unis ?
Si on le laisse se propager avec des mesures normales de bonne hygiène, le SRAS-CoV2 semble doubler sa population infectée environ chaque semaine. Cela signifie qu’il passera de 50 personnes infectées à 1 million de personnes infectées en 14 semaines environ. C’est la simple arithmétique de la contagion. Bien sûr, nous pouvons faire des choses pour la ralentir.

64. Quelle est l’efficacité d’une bonne hygiène pour ralentir la propagation du coronavirus ? Le nombre de personnes infectées diminue-t-il sensiblement si les gens suivent les directives ?
Les chiffres changent en fonction de la prudence des gens, et même de petits changements sont importants pour éviter de stresser le système de santé plus qu’il n’est absolument nécessaire.

65. Quelques milliers de cas peuvent-ils être cachés parmi notre population ? Comment cela serait-il possible ?
Chaque année, il y a des millions de cas de grippe. Cette année, certains de ces cas sont en fait des COVID-19. En outre, de nombreuses personnes infectées ne présentent aucun symptôme ou des symptômes très légers, de sorte qu’elles se cachent à la vue de tous.

66. Que signifie exactement un test positif ?
Cela signifie qu’un test sensible a détecté que le virus est présent dans les fluides de cette personne.

67. Tout le monde doit-il être testé le plus rapidement possible ?
Le test COVID-19 devrait être beaucoup plus largement disponible car nous ne savons pas encore assez qui est infecté et comment le virus se propage dans la communauté. Nous avons besoin de beaucoup plus de tests pour connaître les données importantes.

68. Pourquoi la Corée du Sud a-t-elle mis en place un système de tests “drive-through” ?
La Corée du Sud a mis en place un système de dépistage au volant parce qu’elle fait tout son possible pour ralentir l’épidémie en trouvant chaque personne infectée aussi vite que possible.

69. Quel est le principal symptôme que les gens devraient rechercher ?
La toux est le premier symptôme.

70. La fièvre est-elle un bon moyen d’identifier les personnes infectées ?
Une forte fièvre peut être préoccupante et mérite d’être soignée. Mais le simple dépistage de la fièvre, dans un aéroport ou à un point de contrôle par exemple, laisse passer beaucoup de personnes infectées.

71. Quel est le pourcentage de personnes testées positives dans les hôpitaux chinois qui sont arrivées sans fièvre ?
Environ 30 % des patients chinois atteints de coronavirus n’avaient pas de fièvre à leur arrivée à l’hôpital.

72. Le nouveau virus est-il susceptible de revenir dans un pays une fois qu’il aura atteint un pic et que le nombre de nouveaux cas aura diminué ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 nous demandera le même effort qui a permis d’éliminer la variole et qui a presque éliminé la polio.

73. Cela signifie que le seul moyen de vaincre le nouveau coronavirus à long terme est la vaccination de toute la population mondiale ?
Nous ne le savons vraiment pas. Les mesures basées sur la population peuvent fonctionner, mais un vaccin peut être nécessaire et est probablement viable tant que le virus reste stable et ne subit pas trop de mutations.

74. Le nouveau virus pourrait-il “s’épuiser” comme d’autres virus semblent l’avoir fait ?
Nous ne le savons pas, mais c’est peu probable. Le SRAS-CoV2 est déjà trop bien établi dans le monde entier. Ce n’est plus seulement un problème chinois ; il y a probablement des centaines de milliers de personnes infectées mais pas encore testées – non seulement en Chine mais dans près de 100 autres pays. Le SRAS-CoV2, tout comme le virus de la grippe saisonnière, sera probablement présent parmi nous pendant très longtemps.

75. Le nouveau virus reviendra-t-il par vagues ou par cycles, et si oui, quand ?
Là encore, nous ne le savons pas, mais c’est une question très importante. Probablement, bien qu’à ce stade précoce, rien n’est sûr. La pandémie de grippe de 1918 a fait le tour du monde en trois vagues. Le nouveau virus pourrait avoir une deuxième vague en Chine avec la réouverture des écoles et des usines. Mais tant que nous ne verrons pas ce qui se passera réellement, nous ne savons pas comment SARS-CoV2 se comportera.

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76. Si nous avons une ou deux pauses “chanceuses” dans les mois à venir, à quoi ressemble la “chance” ?
Le temps chaud pourrait ralentir la propagation, bien que nous n’ayons pas encore de preuve que ce soit le cas. Singapour, qui compte déjà 120 cas et dispose de l’un des meilleurs programmes de contrôle COVID-19 au monde, se trouve à seulement 110 km de l’équateur – donc, au moins dans ce cas, un climat chaud n’a pas empêché le virus de se propager. Il est possible que le SRAS-CoV2 se transforme progressivement en une forme moins dangereuse, de sorte que moins de personnes en meurent, comme cela s’est déjà produit avec la grippe porcine en 2009. Mais je n’y compterais pas. Trouver rapidement une thérapie médicamenteuse ou un cocktail de médicaments efficaces serait une excellente nouvelle. C’est à peu près tout pour la chance.

77. Les personnes à haut risque pour la COVID-19 ont-elles les mêmes chances de mourir partout ?
Malheureusement, le risque de décès dépend beaucoup de l’endroit où l’on se trouve dans le monde. Si vous avez besoin d’un hôpital moderne bien équipé et que vous vous faites soigner dans un tel établissement, que nous espérons accessible à un grand nombre de personnes, le taux de mortalité sera bien plus faible grâce aux respirateurs de soins intensifs et à la diminution des infections secondaires.

78. Comment puis-je savoir si je vais faire partie du groupe des patients légers ou de celui qui a besoin d’être hospitalisé ?
Vous n’en êtes pas sûr, mais avoir plus de 70 ans ou souffrir d’une maladie chronique augmente le risque de maladie grave, voire de décès. Nous ne pouvons parler qu’en termes de probabilités, car nous n’en savons pas encore assez sur la COVID-19.

79. Doit-on s’inquiéter de la contagion du COVID-19 ? A quel point êtes-vous inquiet ?
Si vous n’êtes pas à haut risque, je ne m’inquiéterais pas trop, mais je ferais tout mon possible pour éviter d’être infecté car tu ne connais pas les résultats individuels. Tout le monde va finir par courir le risque de contracter cette infection dans les prochaines années, tout comme personne n’évite le rhume ou la grippe au fil du temps. Nous devrions donc tous être prêts à rester à la maison dès les premiers signes.

80. Que voulez-vous dire par “tout le monde va courir le risque de contracter le virus” ?
Je veux dire que tous les humains passent du temps avec d’autres humains, donc nous sommes tous connectés – et la biologie est implacable. Cependant, je prendrais des précautions raisonnables et, en même temps, je ne m’inquiéterais pas de façon obsessionnelle. Cela ne m’aide pas.

81. Si tout le monde va attraper le nouveau virus, pourquoi essayer d’éviter de l’attraper ? Si j’attrape le virus immédiatement, je peux en finir avec lui et passer à autre chose.
Nous voulons ralentir l’infection, ce qui signifie ralentir le nombre de nouveaux cas et le nombre total de cas, afin que nos hôpitaux puissent prendre en charge les patients les plus touchés sans être débordés ou refuser les patients atteints d’autres types de maladies qui nécessitent une attention immédiate.

82. Il semble qu’une fois que les gens se sont remis du nouveau virus, ils peuvent encore être contagieux. Est-ce vrai ?
Nous ne le savons pas, bien qu’il semble que cela puisse être le cas pendant un certain temps après la guérison. Nous n’en sommes pas totalement sûrs. D’autres recherches sont nécessaires.

83. Une fois que vous avez contracté le virus, êtes-vous alors immunisé en permanence contre une nouvelle infection, comme la rougeole ou les oreillons ?
Là encore, nous ne connaissons pas encore la réponse à cette importante question.

84. Il est évident qu’une immunité permanente contre la COVID-19 serait importante pour les personnes qui sont passées par un épisode de la maladie. Cette immunité est-elle également importante pour la société dans son ensemble ? Pourquoi ?
Cette question est extrêmement importante pour le développement de vaccins, car les vaccins reposent sur la capacité de notre corps à monter une réponse immunitaire protectrice et sur un virus stable. Et il est évident que le nombre de personnes susceptibles d’être infectées diminuerait progressivement au fil du temps.

85. Le nouveau virus est-il saisonnier, comme la grippe ?
Nous n’avons pas été assez loin pour voir s’il y a une mutation saisonnière vers le SRAS-CoV2, ou comment les milliards de nouvelles particules virales changent lorsqu’elles passent à travers des millions de personnes.

86. Ce virus peut donc muter de lui-même en de nouvelles formes avec de nouveaux symptômes ?
Nous ne savons pas du tout. Si c’est le cas, de nouveaux vaccins pourraient être nécessaires pour empêcher la version mutée du SRAS-CoV2 de se propager.

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87. Si le virus mute naturellement, cela signifie-t-il qu’il pourrait devenir plus mortel, et d’autre part, qu’il pourrait aussi devenir moins mortel ?
Oui, l’un ou l’autre est possible. C’est un nouveau virus, donc nous n’avons aucune idée de ce que les mutations feront.

88. Si le coronavirus devient une menace qui ne disparaît pas, qu’est-ce que cela signifie pour moi et ma famille ?
Cela signifie que nous allons tous apprendre à y faire face et nous assurer que nous adoptons tous des comportements sûrs. Nous devons être particulièrement attentifs aux besoins des membres plus âgés de la famille.

89. Il se dit que le virus peut vivre 9 jours sur un comptoir. Est-ce vrai ?
Il est probable que le SRAS-CoV2 puisse rester viable sur certaines surfaces pendant un certain temps, mais nous ne savons pas pour combien de temps.

90. La plus grande pandémie des temps modernes a été la pandémie de grippe de 1918, juste à la fin de la Première Guerre mondiale. Comment le SRAS-CoV2 se compare-t-il à cette mutation ?
Le CoV2 du SRAS est tout aussi contagieux que la pandémie de grippe de 1918 et semble presque aussi mortel, mais le temps nous le dira. Souvenez-vous qu’en 1918, il n’existait aucun système médical comparable à celui des pays développés et qu’il n’y avait pas d’antibiotiques pour traiter la pneumonie bactérienne, qui était une cause majeure de décès.

91. Y a-t-il une chance que ce soit une fausse alerte géante et que nous nous retournions cet été pour dire “wow, nous avons tous paniqué pour rien” ?
Non. COVID-19 est déjà présent dans de nombreux pays et il est très contagieux. Pratiquement chaque jour, il y a de plus en plus de cas, dans plus de pays. Ce n’est pas un exercice. C’est la réalité.

92. Il est difficile de croire que soudainement un virus vraiment nouveau que l’humanité n’a jamais vu puisse infecter des millions de personnes. Quand est-ce que cela s’est produit pour la dernière fois ?
Le SRAS et le MERS étaient nouveaux – mais ils n’ont pas atteint l’échelle. Le VIH était nouveau dans le monde et a infecté 70 millions de personnes – dont 32 millions sont mortes de la pandémie de VIH.

93. Le VIH touche les pays pauvres bien plus que les pays riches. Cela sera-t-il probablement vrai pour le nouveau virus ?
Oui, absolument. Les pays riches comme les États-Unis vont avoir des taux de mortalité beaucoup plus faibles grâce à une meilleure hydratation, à des équipements respiratoires supplémentaires, à une bonne prise en charge des infections, etc. Il s’agit d’un problème potentiellement énorme pour les pays à faibles ressources qui ont des systèmes de santé médiocres. De nombreux pays d’Afrique seront confrontés à des risques énormes. Lorsqu’il atteindra les pays les plus pauvres en ressources du monde, il est très probable que ce sera catastrophique.

94. On dirait que le fond du problème est que vous n’êtes pas terriblement optimiste.
En général, je suis définitivement optimiste, mais en même temps, il y a beaucoup de raisons d’être très mal à l’aise et nerveux. Je comprends que les gens aient des craintes, surtout s’ils appartiennent à un ou plusieurs des groupes à haut risque. Mais il y a aussi de bonnes nouvelles, car nous constatons déjà des progrès dans la coopération mondiale, notamment dans les domaines de la science et de la médecine. Nous constatons une plus grande transparence entre les gouvernements. Le nombre de cas en Chine est actuellement en rapide diminution, mais cela pourrait changer. Et nous assistons à un développement très rapide de la thérapeutique, par exemple.

95. Vous avez également dit qu’il y a beaucoup de raisons de s’inquiéter. Quels sont vos plus grands soucis concernant le nouveau virus ?
Mal gérée, la propagation du coronavirus peut rapidement surcharger le système de santé de n’importe quel pays et bloquer les personnes qui ont vraiment besoin de toutes sortes d’accès médicaux. Une autre inquiétude est que des réactions excessives et la peur peuvent paralyser l’économie d’un pays, ce qui provoque un autre type de souffrance. Il s’agit donc d’un compromis très difficile.

96. Et à quoi devrions-nous nous préparer psychologiquement ?
Nous devrions être psychologiquement prêts à entendre parler de nombreux “nouveaux” cas signalés dans chaque ville des États-Unis qui commence à faire des tests, ainsi que d’un nombre croissant de décès, en particulier chez les personnes âgées. En réalité, il ne s’agit souvent pas de “nouveaux” cas, mais de cas existants qui sont devenus visibles pour la première fois.

97. Quelles sont les choses qui vous encouragent ?

      1. La biologie moderne évolue à une vitesse fulgurante.
      2. Outre la communauté de la santé publique dans le monde entier, y compris l’Organisation Mondiale de la Santé, les dirigeants gouvernementaux au plus haut niveau se concentrent sur cette menace.
      3. Nous avons isolé le virus en quelques jours et l’avons séquencé rapidement.
      4. Je suis convaincu que nous disposerons bientôt d’un traitement.
      5. Nous allons, espérons-le, disposer d’un vaccin.
      6. Nous sommes vraiment à l’ère de la communication moderne. Cela peut nous aider, à condition que nous démystifions les fausses nouvelles et les nouvelles dangereuses.

98. Dans quelle mesure les États-Unis sont-ils prêts pour cela ?
Les États-Unis ont eu amplement le temps de se préparer à cette pandémie, tout comme d’autres pays à revenu élevé. Nous avons tous bénéficié des quarantaines de masse sans précédent imposées par la Chine, qui ont ralenti la propagation. Les États-Unis traiteront correctement les cas graves dès le début en étant mieux préparés.

99. Qui vous inquiète le plus ?
Ce sont les pays à faibles ressources qui m’inquiètent le plus. Chaque décès est une tragédie. Quand on dit qu’en moyenne, 1 à 2 % des personnes infectées mourront du coronavirus, c’est beaucoup. Après tout, 1 % d’un million, c’est 10 000 personnes, et ce sont les personnes âgées qui m’inquiètent le plus. Mais 98% à 99% des gens ne mourront pas de cela. La grippe saisonnière tue des dizaines de milliers d’Américains chaque année et on ne panique pas – même si nous devrions en fait prendre la grippe beaucoup plus au sérieux et nous assurer que nous sommes tous vaccinés contre elle chaque année. Tout comme nous avons appris à vivre avec la grippe saisonnière, je pense que nous devrons apprendre à mener notre vie normalement, malgré la présence de COVID-19, jusqu’à ce qu’un vaccin efficace soit disponible.

100. Y a-t-il d’autres pandémies dans notre avenir ?
Oui, absolument. Cela fait partie de notre condition humaine et de la vie sur une “planète à virus”. C’est une bataille sans fin. Nous devons améliorer notre préparation. Cela signifie que nous devons nous engager à investir sérieusement dans la préparation à la pandémie et à mettre sur pied une brigade mondiale de pompiers, bien avant que la maison ne prenne feu la prochaine fois.

[Cette interview est disponible en anglais sur le site de l’École d’hygiène et de médecine tropicale de Londres ; elle a été traduite par Jacques Marlot) : pour lire l’article original sur LALIBRE.BE (2 avril 2020)…]


Plus de nouvelles du monde…

FRENCK & SCHMIDT : La thérapie systémique remet la famille abîmée à l’équilibre

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© Le Temps

“Connue depuis les années 1960, cette approche permet de restaurer des liens abîmés. Deux psychologues lausannois en donnent un nouvel exemple dans un ouvrage éloquent.

L’image est très parlante. En thérapie systémique, pour évoquer la famille, on recourt à la figure du mobile, où parents et enfants sont suspendus à la même structure en bois. L’idée ? Montrer que ce qui est vécu par l’un a forcément des répercussions sur les autres et que, pour rééquilibrer le clan, il est nécessaire que la parole soit donnée à chacun. D’abord en même temps, au gré d’une première consultation commune, puis, souvent, lors d’entretiens particuliers qui varient selon la problématique rencontrée. Dans Défis de familles, 16 histoires de thérapie systémique (Lausanne : éditions Loisirs et Pédagogie, 2019), les psychologues Nahum Frenck et Jon Schmidt prouvent toute la puissance de cette approche permettant de débusquer des blocages enfouis et de retisser des liens endommagés.

Le concept le plus frappant présenté par ces thérapeutes qui reçoivent en tandem, à Lausanne, depuis près de dix ans ? Celui du patient désigné. Dans le livre, c’est le cas de Laurent, 12 ans, qui rend la vie de sa famille infernale par une opposition massive. Ses parents, mais aussi ses deux aînés, une sœur de 18 ans et un frère de 16 ans, souffrent des crises incessantes du jeune tyran. Au terme des consultations, d’abord au complet, puis à travers des entretiens où les parents sont chaque fois entendus en compagnie d’un des enfants, il s’avère que Laurent n’était qu’un paratonnerre. Le symptôme de maux portés par chacun, en sourdine.

Le rôle du «patient désigné»

Les parents de Laurent ont en effet été secoués quand l’aînée a quitté le foyer pour suivre des études universitaires dans une autre ville et, inquiétés par la perspective du nid vide, ont porté toute leur attention sur le petit dernier. L’aînée, justement, a enduré un premier échec académique et, craignant que ses parents ne la rejettent, a très peu évoqué la fragilité que ce revers a suscitée en elle. Quant à l’ado du milieu, il rencontre aussi des difficultés scolaires qu’il a mises de côté, préférant diriger son angoisse contre son petit frère. “La fonction de « patient désigné » tenue par Laurent permet ainsi aux autres membres de la famille de vivre leurs propres crises évolutives sans avoir à être remis en question et pointés du doigt”, notent les psychologues.

En invitant chaque enfant à se confier séparément à ses parents, les thérapeutes ont mis en évidence le besoin de différenciation du clan. Par la suite, les parents ont continué à voir, une fois par semaine, chaque enfant en solitaire «pour discuter des problèmes, mais aussi partager les aspects positifs», et le comportement de Laurent a lui aussi changé car “il a pu dire son soulagement d’être confronté à ses deux parents pour régler ses conflits et non aux quatre membres de la famille”.

L’étiquette immuable

Ce récit relève un point important de l’approche systémique, technique née dans les années 1960 en Californie. Une famille est toujours en mouvement, martèlent les spécialistes, et il est maladroit – mais tellement tentant! – de donner une étiquette immuable à chaque enfant. On a vite tendance à dire, on le fait tous, “mon aîné, c’est le boute-en-train de la famille ; mon deuxième, c’est le ténébreux ; ma benjamine, c’est la force tranquille, etc.” Certes, cette habitude pimente le récit familial, mais elle limite le (la) concerné.e, surtout quand le qualificatif est négatif.

ISBN 978-2-606-01787-3

Dans le même esprit de mobilité, Nahum Frenck et Jon Schmidt rappellent que toutes les relations, même les plus détériorées, peuvent évoluer. Une approche optimiste et bienveillante “qui laisse toujours à l’autre le bénéfice du doute” et se manifeste par des questions “ouvertes et non jugeantes”. “Nous procédons par formulation d’hypothèses que nous construisons avec les membres de la famille. Nous ne recherchons pas l’hypothèse la plus correcte, mais la plus utile”, précisent les auteurs qui, au-delà des mots, considèrent avec attention le langage non verbal des protagonistes.

Les cas évoqués dans le livre ? Un enfant roi qui fait la loi, un garçon à haut potentiel que le couple parental a peur de casser, un ado qui vit un coming out difficile face à des parents catholiques, un enfant hyperactif qui met tout le monde sous pression, une séparation compliquée à annoncer aux enfants, des familles recomposées qui se demandent quel rôle éducatif accorder au nouveau venu ou encore un enfant adultifié à la suite d’un divorce. Chaque fois, les psychologues suivent le même protocole. Avant le premier rendez-vous, ils demandent aux patients de répondre par mail à trois questions : “pouvez-vous nous décrire la situation actuelle de la famille ?”, “quel devrait être l’objectif de la thérapie ?” et “que doit vous apporter la thérapie, à titre personnel ?”

La manière de répondre autant que le contenu donnent déjà de précieuses indications, mais c’est en séance que tout se joue. Qui parle, quand, et comment ? Qui se tait, écoute plutôt ? Qui boude fermement ou sourit exagérément ? Là aussi, même si le contenu prime, la manière dit beaucoup des hiérarchies qui régissent la famille. Une constante : les mots libèrent (presque) chaque fois et le changement va du haut vers le bas. C’est-à-dire qu’il revient toujours aux parents de modifier leur comportement et/ou les interactions familiales pour que les enfants retrouvent leur juste place, recommencent à mieux dormir, mieux étudier, mieux agir, etc.

Le jeu et le corps, outils de thérapie

En séance, raconte l’ouvrage, les thérapeutes redoublent de créativité pour atteindre l’homéostasie (ou état d’équilibre) et sortir des moments de crise. Certaines approches sont très verbales : l’histoire des parents est parfois retracée sur plusieurs générations et quand les langues se délient, les corps se détendent. D’autres outils sont plutôt physiques. Comme cette jolie suggestion de pacing faite aux parents de Killian, 9 ans, diagnostiqué hyperactif.

Parce que la famille vit à un rythme très élevé et remplit l’agenda du fiston de peur qu’il ne s’ennuie, les psychologues proposent à Killian de se poser successivement sur les genoux de son papa et de sa maman et de coller sa tête sur leur cœur. “Le parent doit alors respirer profondément et se détendre. Le jeu consiste pour l’enfant à caler sa respiration sur celle de son parent pour s’apaiser à son tour.” Le duo de spécialistes utilise également “un métronome pour permettre à la famille de prendre conscience de la vitesse de ses paroles”. L’échange se poursuit en ralentissant le métronome et, souvent, un dialogue plus posé s’installe. Malin, non?

Le dessin ou les jeux (de rôle, de société, etc.) permettent encore aux plus jeunes de s’exprimer et, toujours, la courtoisie des échanges est exigée. Ce qui est important, c’est que “les membres de la famille retrouvent espoir et s’autorisent à se penser autrement”, soulignent les auteurs qui appellent souvent à une dédramatisation. “Nous souhaitons donner aux familles les moyens de se libérer de leurs entraves pour ne plus être simplement encordées, mais accordées.”

Lire l’article original de Marie-Pierre GENECAND sur LETEMPS.CH (article du 13 janvier 2020)


D’autres articles de presse sélectionnés par nos soins…

LESMISSIVES.FR : Des livres osés et féministes, “au sens large”

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© Les Missives

Camille, fondatrice et éditrice de la plateforme LESMISSIVES.FR, le décrit comme ceci : “Missives est un site collaboratif de critiques de livres. La multiplication des publications féministes est enthousiasmante. Pour y voir plus clair, nos chroniques présentent et donnent des avis sur les romans, bandes dessinées ou essais – anciens et récents – que nous avons aimés. Pour que se mêlent actions et réflexions, vive les livres et vive la sororité !

“Des études de lettre, un mémoire sur Simone de Beauvoir : pour Camille Abbey, lancer un site consacré à la littérature féministe relevait de l’évidence. La trentenaire, basée à Paris et éditrice pour Konbini, a lancé Missives, une plateforme collaborative qui a vu le jour au début de l’année. “Cette idée vient sans doute de mes études de lettres et particulièrement de l’écriture de mon mémoire, qui m’avait plongée dans les textes de Simone de Beauvoir. Ce qui m’avait interpellée d’abord était le décalage entre ses romans, souvent basés sur son histoire parfois un peu chaotique avec les hommes, et ses écrits théoriques pourtant très pertinents. Alors qu’elle souffrait d’une relation amoureuse déséquilibrée avec Sartre, cela ne l’avait pas empêché d’écrire Le Deuxième Sexe, essai féministe révolutionnaire à l’époque.”

La création de ce site de partage d’expériences vient surtout de discussions avec des amies sur nos lectures enrichissantes.

Accompagnée de trois autres femmes, la journaliste Marion Olité, la prof de méditation et art-thérapeute Charlotte Janon, et l’illustratrice Anne-Sophie Constancien, qui signe une BD mensuelle sur le site, Camille Abbey ambitionne avec Missives d’“informer de façon globale sur l’actualité des livres féministes”. Au programme, des critiques de livres, des annonces de parutions, mais aussi des interviews d’autrices, réalisées par des contributrices occasionnelles -pourquoi pas vous? Entretien express avec une jeune femme pour qui la littérature est une tentative de “trouver des réponses, des solutions et de l’apaisement”.” [lire l’entretien complet de Faustine Kopiejwski sur CHEEKMAGAZINE.FR, article daté du 11 septembre 2019]

Et le menu du site est assez clair pour savoir qu’on y trouvera son bonheur :

      • Girl Power Fiction
      • BD et comics
      • Jeunesse
      • Essais récents
      • Livre pratique
      • Les Classic
      • Contributrices·teurs
      • Agenda des parutions
      • Missives en BD
      • Événements
      • Réseaux sociaux

D’autres initiatives ?

Boverie à Liège : une expo hyper fascinante de sculptures hyperréalistes

Temps de lecture : 3 minutes >
MUECK Ron, A Girl (2006) © Tous droits réservés

“Une sculpture hyperréaliste d’un nouveau-né de 5 mètres de long… L’effet est saisissant ! C’est ce que vous pourrez découvrir dès vendredi au musée de la Boverie à Liège avec l’expo “ceci n’est pas un corps“, une exposition consacrée à l’hyperréalisme, ce courant artistique né aux Etats-Unis dans les années 60. L’exposition présente une quarantaine de sculptures de corps à l’apparence parfois plus vraie que nature. Parmi les œuvres, plusieurs artistes internationaux de renom sont représentés comme Duane Hanson, John De Andrea, George Segal, Ron Mueck, Paul McCarthy… Un voyage artistique fascinant coproduit par l’agence Tempora. Cette exposition remarquable fait le tour du monde : après Bilbao, le Mexique, l’Australie et Rotterdam, l’expo “hyperrealism sculpture” ouvre ses portes à Liège.

Résine, bronze, peintures à l’huile et… cheveux humains

Un regard, une ride, un bleu sur la peau… L’illusion du corps humain est souvent bluffante. François Henrard, directeur de projet chez Tempora : “il y a par-dessus le bronze, quelquefois des dizaines de couches de peintures, en général, de la peinture à l’huile avec parfois des ajouts de cheveux, souvent des cheveux humains. On les prend parfois au modèle même pour donner cet aspect hyperréaliste.

FEUERMAN Carole, General’s Twin (2009-11) © Tous droits réservés

L’artiste new-yorkaise Carole Feuerman a débuté fin des années 70. Elle est célèbre pour ses sculptures hyperréalistes de nageuses. Présente à Liège, elle commente sa technique : “le tissu du maillot est en résine, les gouttes d’eau sont en résine. Le corps, le langage corporel dit tellement de choses. L’hyperréel exprime plus que le réel“.

Ceci n’est pas un corps
CATTELAN Maurizio, Ave Maria (2007) © Tous droits réservés

Intitulé Ave Maria, le salut fasciste de 3 bras tendus hyperréalistes de l’italien Maurizio Cattelan interpelle le spectateur. Loin des cires des musées Tussaud’s, le corps questionne la société. Selon François Henrard, “l’hyperréalisme s’inscrit dans une longue tradition qui commence avec l’art grec. On a toujours représenté le corps humain mais les intentions des anciens grecs, même les intentions des hyperréalistes précurseurs et celles des artistes d’aujourd’hui changent. Et c’est intéressant de voir comment ce même corps — qui lui, a très peu changé – est représenté de manière très différente à chaque fois.” L’exposition est agrémentée de portrait vidéo de plusieurs artistes. Profonde, ludique et accessible, à Liège, l’exposition Hyperrrealism Sculpture. Ceci n’est pas un corps est une grande, très grande exposition qui nous rend un peu plus vivant.” [Lire l’article original d’Erik  Dagonnier sur RTBF.BE (20 novembre 2019)]

En savoir plus dans notre agenda en ligne…


A la une également…

Il se passe des choses sur les chaînes d’info en continu…

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Julie Graziani (dr.)

Novembre 2019. Julie Graziani, éditorialiste française proche de l’extrême-droite fait sensation en intervenant à propos d’une mère divorcée, vivant avec deux enfants et bénéficiant du SMIC [NDLR : Salaire Minimum Interprofessionnel de Croissance, en France] :

Qu’a-t-elle fait pour se retrouver au SMIC, a-t-elle bien travaillé à l’école ou suivi des études ? Et si on est au SMIC, faut peut être pas non plus divorcer dans ces cas là…

D’aucuns évoquent une stratégie de la droite extrême visant à élargir la ‘fenêtre d’Overton‘ (l’étendue des sujets jugés acceptables dans le débat public) afin de banaliser des propos tenus par e.a. le clan Le Pen en France. Pour mieux comprendre…


“[…] c’est le monde de l’information, ou ce qu’il en reste, qui s’est twitterisé, comme si Twitter devenait le mode normal de commentaire de l’actualité, non pas uniquement en raison de la forme brève, mais pour la dimension arbitraire et subjective qui permet l’énonciation de tous les avis.

Cette évolution marque l’avènement du troisième âge du commentaire d’actualité. Il y eut jadis à l’époque des fondateurs, un régime de certitude où l’on avait la sensation de dire des choses scientifiques sur la réalité sociale, une certitude qui est progressivement partie en lambeaux. Puis on est passé à un régime d’opinion, où les idéologies, les valeurs avaient droit de cité. Mais là aussi ce régime-là s’est fait la malle. Voilà l’avènement du régime de l’avis ! J’ai un avis, un avis lié à ma subjectivité, ce qui me traverse l’esprit au moment où je vous parle — “les smicards ne devraient pas divorcer”, “les policiers devraient tirer sur les jeunes violents”, “c’est ce que je pense et voilà tout” — le régime de l’avis emporte tout, ce que je pense du divorce, des violences urbaines, des voyages spatiaux. […]” [FRANCECULTURE.FR : écouter ici l’émission de Guillaume Erner, datée du 6 novembre 2019…]


Plus de presse…

Une encyclopédie vieille de 1000 ans sur l’usage des plantes médicinales est disponible en ligne… en vieil anglais

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© The British Library

“Un manuscrit vieux de 1000 ans relatant les bienfaits de la phytothérapie (médecine par les plantes) vient d’être mis en ligne par la Bibliothèque Nationale du Royaume-Uni.

La phytothérapie ou médecine par les plantes est utilisée depuis des siècles, pour preuve l’encyclopédie de la tribu matsé […]. Aujourd’hui c’est un manuscrit vieux de 1000 ans renfermant les secrets des plantes médicinales qui est mis en ligne par la Bibliothèque Nationale du Royaume-Uni.

Une mine d’or pour les adeptes de la phytothérapie, qui a soigné et soigne encore certains maux de la manière la plus naturelle qu’il soit et ce, depuis des siècles ! Contrairement à l’homéopathie qui a été déclarée inefficace par la Haute Autorité de la Santé (FR), la phytothérapie est bel et bien reconnue par tous, comme une alternative à la médecine classique. De nombreux médicaments issus de laboratoires sont d’ailleurs à base de plantes !

Le manuscrit est écrit en vieil anglais, et il faut être au moins anglophone voire historien pour en déchiffrer les secrets ! Il est en fait une traduction d’un guide du IVème siècle écrit par un herbier, Pseudo-Apulée. Ce livre indique l’utilisation des plantes dans un cadre médical pour les humains et pour les animaux. Des annotations ajoutées au fil des siècles (XIème au XVIème siècle) viennent également étoffer les connaissances acquises au cours du temps.

La médecine par les plantes a longtemps été la seule médecine utilisée pour soigner (et guérir) l’être humain. La médecine classique utilisant des procédés chimiques qui n’étaient pas connus il y a 1000 ans évidemment. Les remèdes naturels étaient donc concoctés par les « sages » des villages et administrés comme seul et unique médicament.

Toutes les parties des plantes peuvent être utilisées (feuilles, racines) et de plusieurs manières (tisanes, cataplasmes ou absorption), […], il faut cependant veiller à un dosage précis et connaître scrupuleusement les effets secondaires que certaines plantes pourraient provoquer. Certaines plantes sont même mortelles, il ne faut donc pas jouer au petit sorcier sans s’aider de livres sérieux ou consulter un phytothérapeute, spécialisé dans ce domaine.

Attention cependant, nous ne faisons pas ici, l’apologie de la phytothérapie prétextant qu’elle peut soigner tous les maux et toutes les maladies mais elle permet une alternative aux petits tracas quotidiens : romarin contre les maux de tête, radis noir pour les maux intestinaux, arnica contre les ecchymoses ou hamamélis pour soulager les brûlures par exemple. Certaines maladies ne seront jamais soignées par les plantes mais celles-ci peuvent soulager les maux adjacents et apporter un certain confort aux malades.

Aujourd’hui, l’avènement du bio, le retour aux remèdes naturels, aux emballages zéro déchet ajoutés à la prise de conscience des populations face à une pollution grandissante pourrait faire revenir la phytothérapie sur le devant de la scène !” [NEOZONE.ORG, article du 18 juillet 2019]


Mandragore (Ms cod vind 93, XIIIe)

“L’Herbarius du pseudo-Apulée est un herbier illustré rédigé en latin probablement au IVe siècle et attribué très tôt à un auteur nommé Apulée. Il a connu une large diffusion au Moyen Âge puisque nous avons gardé une soixantaine de manuscrits qui comportent l’herbier en totalité ou en fragments. Autour de 1481 parut sa première édition, ce qui en fit le tout premier herbier totalement illustré imprimé. Pourtant, il reste assez méconnu et nous avons encore beaucoup d’incertitudes sur son auteur, son origine et sa composition.” Pour en savoir plus, consulter le doctorat de Mylène Pradel-Baquerre (Université Paul-Valéry – Montpellier, FR)…


Plus de presse ?

lacquemant

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© rtbf.be

“La foire d’octobre de Liège bat son plein. Sur le champ de foire, il y en a pour tous les goûts. Si vous n’êtes pas friands d’attractions vous vous rabattrez certainement sur la nourriture. Parmi les différents mets proposé peut-être que vous craquerez pour une spécialité liégeoise bien connue : le lacquemant.

Le lacquemant, une star de la Foire de Liège.

Certains les aiment mous, d’autres les préfèrent plus croquants ou encore avec beaucoup de sirop. Dans tous les cas le lacquemant est l’une des stars de la foire de Liège. Les forains les vendent comme des petits pains.

Le lacquemant, plus d’un siècle d’histoire.

Le lacquemant plaît aux Liégeois. Aujourd’hui présenté comme une spécialité culinaire de la région le lacquemant a pourtant été créé à Anvers… il y a plus d’un siècle. Le lacquemant a été créé en 1903 par Désiré Smidts, aussi connu sous le nom de Désiré de Lille. Il crée la recette de la gaufrette alors qu’il travaille pour Berthe Lacquemant à Anvers. Désiré Smidts donne à sa création le nom de son employeuse. Lorsqu’il revient à Liège, Désiré Smidts invente un sirop pour son Lacquemant. La gaufrette du lacquemant s’inspire de la gaufre fourrée lilloise. Celle-ci s’accompagne du sirop qui fait le goût si spécial du lacquemant. Une recette qui est toujours bien gardée aujourd’hui.

Le lacquemant, plusieurs déclinaisons

Avec le temps la recette a évolué et chaque forain propose des variations diverses. L’orthographe de la pâtisserie varie également avec plusieurs versions qui cohabitent entre les différents stands. Mais une seule orthographe a été retenue par le dictionnaire Larousse en 2009. Dans tous les cas -qu’il s’écrive avec un cq ou avec un k– ce n’est pas ça qui fait le goût du lacquemant. Un mets sucré qui peut s’apprécier chaud ou froid et qui a une saveur toute particulière en octobre…”

Lire la suite de l’article de Pierre DEVILLERS sur RTC.BE (article du 25 octobre 2019)


C’est un secret public mais la combinaison des ingrédients est la suivante :

      • sirop de candi ;
      • sucre semoule ;
      • beurre ;
      • eau ;
      • fleur d’oranger ;
      • cannelle.

C’est ce mélange entre la fleur d’oranger et la cannelle qui donne le bon goût au lacquemant. Certains ajoutent également un peu de miel…


Encore faim ?

Parcours d’Artistes de Sainte-Walburge (2019)

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WESEL Bénédicte : Celle qui est (2015) © Bénédicte Wesel

“Ce week-end du 25, 26 et 27 octobre 2019 se déroulera la seconde édition du Parcours d’Artistes de Sainte-Walburge. Le parcours débutera par le vernissage de l’exposition témoin le vendredi 25 octobre à 18h30 au Théâtre le Moderne et à la Galerie Photographique Ouvertures. L’exposition témoin permettra de découvrir une oeuvre de chacun des artistes participants et ainsi de programmer les visites chez ceux qui les touchent le plus. Lors de ce parcours, vous pourrez découvrir le talent de 46 artistes, peintres, photographes, sculpteurs, scénaristes, illustrateurs, plasticiens, céramistes, qui exposeront leurs œuvres dans 23 lieux répartis dans le périmètre du quartier. Les artistes présents : Sophie Bernard, Marc Bernard dit “Ptit Marc”, Héloïse Berns, Alexia Bertholet, Christiane Bours, Vincent Brichet, Laurence Brose, David Bruce On Rocks, Vanessa Cao, Françoise Ceyssens, Sophie Conradt, Cécile Cornerotte, Marcel Coulon, Pierre Daubit, Nathalie De Corte, Lloyd Dos Santos Dias, Michel Dusard, Anne Feller, Hélène Fontaine, Cathy Ganty, David Geron, Sophie Giet, Olivier Gonzato, Valérie Henrotay, Bénédicte Henry, Ludivine Herrmann, Eva Herrmann Brose, Halinka Jakubowska, Ania Janiga, Raoul Jasselette, Sarah Joveneau, Raphaël Kirkove, Raymond Klein, Mélody Lambert, Lilla Lazzari, Miryam Lebrun, Christine Lejeune, Nicole Meubus, Janine Moons, Nathalie Pieters, Thierry Salmon, José Sterkendries, Friede Voet, Pascale Werres, Bénédicte Wesel (illustrée ci-dessus), Arlette Wintgens, Go JeuneJean.

Informations pratiques : le parcours chez les artistes et l’exposition témoin au Théâtre le Moderne (rue Sainte-Walburge, 1 – 4000 Liège) seront accessibles les samedi et dimanche de 14h à 18h. Une carte reprenant les différents lieux d’exposition sera à votre disposition au Théâtre, chez les artistes et sur la page Facebook de l’événement.”

 

Lire l’article original sur CULTURELIEGE.BE (article du 19 septembre 2019)


Plus de presse…

IWEPS : La Wallonie reste l’une des régions les plus égalitaires d’Europe

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Dinant © Getty Images

Le coefficient de Gini y est particulièrement stable malgré une légère augmentation le faisant passer de 0,250 en 2016 à 0,256 l’année suivante. Mesure synthétique des inégalités au sein d’une population, ce coefficient varie de 0, si l’égalité est totale, à 1, si l’ensemble des revenus est perçu par un seul individu.

Avec un coefficient de 0,256, la Wallonie fait aussi bien que les pays scandinaves. Par contre, les conditions de vie y sont davantage marquées par la pauvreté. Ainsi, le taux wallon de privation matérielle sévère (8,6% et 21,4% de la population vivant dans un ménage monoparental) est supérieur à la médiane européenne et plus d’un habitant sur quatre (26,2%) vit dans un ménage en situation de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale.

En outre, plus d’un Wallon sur 5 vit dans une habitation présentant des problèmes d’humidité tandis que 44,7% des locataires au prix du marché ont un revenu net équivalent inférieur au seuil de pauvreté. Plus de 7% des clients résidentiels wallons en électricité étaient également en défaut de paiement en 2018.

Enfin, une part importante de la population (17,6% des moins de 60 ans) est exclue de l’emploi, relève l’IWEPS.

A l’autre bout de l’échelle, les 20.000 déclarations les plus élevées, soit 1% des déclarations, affichent, en moyenne, un revenu imposable de plus de 216.000 euros. “Autrement dit, le revenu cumulé des 1% des déclarations les plus élevées est supérieur au revenu cumulé d’environ 25 à 30% des déclarations les moins élevées“, conclut l’IWEPS.”

Lire l’article original de l’agence BELGA sur LEVIF.BE (8 octobre 2019)


L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) est un institut scientifique public d’aide à la prise de décision à destination des pouvoirs publics. Par sa mission scientifique transversale, il met à la disposition des décideurs wallons, des partenaires de la Wallonie et des citoyens des informations diverses qui vont de la présentation de statistiques et d’indicateurs à la réalisation d’études et d’analyses approfondies dans les champs couverts par les sciences économiques, sociales, politiques et de l’environnement. Par sa mission de conseil stratégique, il participe activement à la promotion et la mise en œuvre d’une culture de l’évaluation et de la prospective en Wallonie.

Depuis le 1er janvier 2016, l’Institut a été désigné par le Gouvernement wallon comme l’Autorité Statistique de la Région wallonne. […] Cette désignation au sein de l’Institut Interfédéral de Statistiques (IIS) implique, outre l’élaboration du programme de statistiques officielles de la Région wallonne,  l’accomplissement des missions de l’IIS  avec les autorités statistiques fédérale et des entités fédérées.  Il s’agit de l’élaboration du programme statistique intégré de l’IIS, le monitoring de la qualité des statistiques publiques, la formulation de recommandations méthodologiques et la préparation des positions belges en vue des forums statistiques internationaux….”

Tout cela, c’est l’IWEPS qui le dit sur son site officiel : IWEPS.BE…


Une baisse de l’indice de Gini observée entre deux dates indique une diminution globale des inégalités. A l’inverse, une élévation de l’indice reflète une augmentation globale des inégalités. [INSEE.FR]

“Le coefficient de Gini est une mesure synthétique des inégalités de revenu au sein d’une population. Il varie de 0, quand l’égalité est totale (c’est-à-dire que tous les revenus sont égaux), à 1 quand l’inégalité est maximale (quand la totalité des revenus est perçue par un seul individu). Il peut aussi s’interpréter comme l’écart moyen de revenu (exprimé en fonction du revenu moyen) entre deux individus tirés au hasard.

Cela veut dire qu’en Wallonie, si l’on prend deux personnes au hasard, en moyenne, leur différence de revenu équivaudra à environ un quart du revenu moyen wallon. Ici, le coefficient de Gini est calculé à partir du revenu équivalent mesuré avec SILC [une enquête annuelle (supervisée par Eurostat) largement utilisée pour quantifier la pauvreté, les inégalités de revenu et les conditions de vie en Europe]. Dans cette enquête, les revenus sont mesurés pour la totalité de l’année civile précédant l’enquête – par souci de fiabilité et pour neutraliser les variations temporaires. Ici, nous avons indiqué les années de revenu et non les années d’enquête.

Étant donné que ce coefficient est mesuré à l’aide d’une enquête, les intervalles de confiance sont nécessaires pour rendre compte des imprécisions statistiques découlant du processus d’échantillonnage. Dans 19 cas sur 20, la « vraie » valeur du coefficient de Gini se situe à l’intérieur des marges indiquées sur le graphique. Ainsi, on peut affirmer avec 95 % de certitude qu’en Wallonie sur base des revenus de 2017, le coefficient de Gini se situait entre 0,240 et 0,272. Ces chiffres montrent que l’ampleur des inégalités de revenus en Wallonie est très faible par rapport à la situation observée dans la plupart des autres pays européens. On peut expliquer cette situation favorable en raison de notre modèle social qui combine une sécurité sociale relativement bien développée et un marché du travail plutôt bien encadré, notamment par les partenaires sociaux…” [IWEPS.BE]


Plus d’infos également auprès du Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale qui “évalue l’effectivité des droits fondamentaux des personnes qui vivent dans des conditions socio-économiques défavorables : droit à un logement décent, droit à l’énergie, droit à la protection de la vie familiale, droit à la protection sociale, droit à la protection de la santé…

Il organise pour ce faire des concertations approfondies entre des associations dans lesquelles des personnes pauvres se reconnaissent, des CPAS, des interlocuteurs sociaux, des professionnels de divers secteurs, des administrations… Sur la base de ces travaux, il formule des recommandations destinées aux responsables politiques de notre pays, en vue de restaurer les conditions d’exercice des droits fondamentaux. Celles-ci font l’objet de discussions dans tous les Gouvernements et Parlements ainsi que dans des instances consultatives.

Cet outil de lutte contre la pauvreté, la précarité et l’exclusion sociale a été créé par l’Etat fédéral, les Communautés et les Régions, par un accord de coopération signé par tous les Gouvernements et approuvé par tous les Parlements.” [LUTTEPAUVRETE.BE]


Egalement dans la presse…

Artothèque Chiroux (Liège, BE)

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© Province de Liège

“Envie d’accrocher une oeuvre dans votre salon, mais pas les moyens d’en acquérir une ? Désormais, il sera possible de les emprunter. La nouvelle Artothèque de la bibliothèque des Chiroux à Liège, inaugurée mardi, met à disposition des amateurs une petite centaine d’œuvres, signées d’artistes bien établis (Jacques Charlier, Patrick Corillon, André Stas…) ou de talents émergents (Elodie Ledure, Sylvain Bureau, Benjamin Monti…). Ces gravures, impressions numériques, photos et planches de BD peuvent être empruntées gratuitement, à condition de posséder la carte de membre des Chiroux, qui coûte 6 euros par an. L’emprunt dure deux mois et n’est renouvelable qu’une fois, mais les œuvres peuvent par la suite être achetées auprès de l’artiste, leur prix se voulant accessible (généralement moins de 400 euros). Les emprunteurs devront signer un document les engageant en cas de dégradation ou de vol. La province de Liège a mobilisé un budget de 27.000 euros en 2014 et 2015 pour acquérir cette collection, “mais nous sommes prêts à augmenter le montant si la demande est forte”,  précise Paul-Emile Mottard, le député provincial qui a porté l’initiative L’objectif est de promouvoir les artistes (une soixantaine sont exposés) et l’art contemporain auprès d’un public qui n’y est peut-être pas d’emblée réceptif. Ce concept existait déjà en France et à Bruxelles (Wolubilis), mais l’Artothèque des Chiroux est la première en Wallonie. Elle sera ouverte tous les vendredis (13h à 18h) et les samedis (9h à 15h). La disponibilité des œuvres pourra être vérifiée dans le catalogue public de la bibliothèque…”

Lire l’article original (LESOIR.BE, mercredi 19 novembre 2014)

Pour en savoir plus, visitez le site officiel de l’Artothèque Chiroux ou cliquez ci-dessous : plusieurs des œuvres disponibles sont déjà dans nos pages. Quelques exemples…

CLIN D’OEIL : les Muses de la non-inspiration

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© M. La Mine (Juste Usage de l’Ecrit, FaceBook, 2018)

“Ah oui, les muses de la non-inspiration. Alors ? Quelle est la recette miracle pour empêcher qu’elles vous tourmentent ? Il s’agit de la pratique régulière de l’écriture. Tout simplement.

Évidemment, si l’on porte aux nues cette activité, elle devient inatteignable. Comment se comparer à Flaubert, Joyce & co ?

Mais si l’on considère l’écriture comme une pratique, un geste, tout devient possible. Comme toute pratique artistique, l’écriture nécessite un engagement intense et une régularité. C’est petit à petit que peut alors émerger son écriture.”

Travail d’étudiants du Master de Création Littéraire du Havre, FR


S’amuser intelligemment, c’est s’amuser…

SPA : son nom est connu dans le monde entier

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Le casino de Spa et son parc © Dominique Duchesnes

“On connaît peu de villes dont le nom est entré dans le langage commun. Spa est du nombre. Commandez un spa au restaurant et l’on vous servira une eau minérale. Ébénistes et antiquaires évoquent le bois de Spa lorsqu’ils manipulent ces objets de collection souvent richement décorés. La tradition remonte au XVIIe siècle. Il faut aussi parler de la barre de Spa : un obstacle réservé aux as du jumping et qui rappelle que le premier hippodrome de Belgique vit le jour ici en 1822.

Mais le substantif “spa” est d’abord connu dans le monde entier parce qu’il résume la mode du thermalisme et de l’hydrothérapie dont il est devenu le synonyme. La petite ville située aux portes de l’Ardenne et des Fagnes est tout entière vouée à son eau de source et à ses bienfaits. Inaugurés en 2004, les nouveaux thermes ont donné un coup de jeune et de modernité à la pratique des cures rendue célèbre par le passage du tsar Pierre le Grand en 1717.

En pleine nature, Spa s’est organisée autour de son eau : sources, parcs et jardins, bâtiments de prestige ou villas cossues, mais aussi restaurants et cafés, casino pour les plaisirs de la vie. Une ambiance partagée avec d’autres grandes villes d’eau européennes comme Vichy en France, Montecatini en Italie ou Baden-Baden en Allemagne. Une dizaine de ces cités sont candidates ensemble à un classement par l’Unesco au titre du patrimoine culturel de l’Humanité. Une visite à Spa, c’est aussi donner un coup de pouce à cette initiative.

Manger

Envie d’un petit verre ou d’un bon repas à l’ombre des arbres géants de la forêt ardennaise ? Les solutions ne manquent évidemment pas à Spa ou dans les environs noyés de verdure. On vous propose par exemple de quitter Spa par la route de la Géronstère et de grimper jusqu’à la source du même nom, en pleine forêt. Les lieux sont spectaculairement aménagés et mettent en valeur la source. Dans les bâtiments voisins, la Source de la Géronstère est une adresse agréable et sans chichis qui plaît aux promeneurs de passage. En hiver, il fait doux s’y réchauffer autour d’un bon feu. En été, la terrasse s’ouvre sur la forêt et ses chemins pour une balade apéritive ou digestive. Les grillades au feu de bois sont les spécialités de la maison qui accueille les grands groupes et qui offre aussi quatre chambres pour un séjour prolongé en pleine nature.

Visiter

Immanquable en plein cœur de la ville, le Pouhon Pierre le Grand a fait l’objet d’une rénovation récente. Il abrite aujourd’hui l’office du tourisme et des salles d’exposition. Impressionnant, le bâtiment a été construit en 1880 et témoigne des fastes liés aux heures de gloire du thermalisme.

Le terme “pouhon” désigne une source d’eau ferrugineuse et naturellement gazeuse. De quoi inciter à une petite expérience amusante : une dégustation d’eau de source dans ce cadre prestigieux. Ici, la source produit chaque jour 21.000 litres du fameux breuvage. L’eau est brute, le goût de fer reste longtemps dans la bouche. A tester une fois dans sa vie.

Autre curiosité du pouhon spadois : une toile géante de neuf mètres de long signée en 1894 du peintre Antoine Fontaine. On peut s’amuser à identifier sur ce livre d’or peint les 92 personnalités qui y sont représentées et qui ont séjourné à Spa : écrivains, artistes ou célébrités politiques.

Se balader

À la sortie de la ville en direction de Tiège et Sart, le lac artificiel de Warfaaz est un lieu agréable qui incite à la promenade : à la belle saison, les gens du cru, les curistes et les touristes de passage prennent plaisir à en faire le tour sur un chemin bien aménagé et sans difficultés. En pleine nature, l’endroit est aussi très apprécié des pêcheurs du dimanche et même des amateurs de pédalo qui viennent gentiment perturber la vie tranquille des canards.

Le lac fut créé en 1890, quelques années après d’importantes inondations provoquées par les eaux du Wayai, le petit cours d’eau qui l’alimente toujours aujourd’hui avant de traverser Spa en aval. L’aménagement de cette retenue d’eau s’est vite transformé en histoire à succès comme en témoignent les restaurants et les terrasses qui accueillent aujourd’hui les amateurs de grand air. La balade autour du lac de Warfaaz est aussi un avant-goût d’autres promenades à découvrir dans les bois environnants…”

Source : LESOIR.BE (article du 7 août 2019) – en collaboration avec WALLONIEBELGIQUETOURISME.BE qui propose un guide à télécharger gratuitement… et d’autres ressources pour découvrir Spa…


Voir le monde…

LE CLEZIO : Greta Thunberg, la gravité de la Terre

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Greta Thunberg en mars 2019 © LIBERATION.FR

La Suédoise de 16 ans, à l’initiative des grèves hebdomadaires des lycéens à travers le monde pour protester contre le réchauffement climatique, est le visage d’une génération qui n’entend ni renoncer ni payer pour les erreurs de ses aînés.

Son visage nous est devenu familier. Elle est sérieuse comme on l’est quand on n’a pas encore 17 ans, elle regarde l’objectif sans ciller, elle lit ses discours d’une voix posée, dans un anglais parfait, ses nattes sages encadrent ses joues rondes, ses yeux nous fixent sans une hésitation, elle se tient bien droit, les bras le long du corps, elle ressemble un peu à une gymnaste, ou à une déléguée d’un groupe de collégiennes. Elle est devenue la combattante la plus crédible du mouvement de défense de notre planète menacée par le gaspillage des ressources naturelles et la disparition des espèces animales. Elle est reçue par les plus grands, des présidents, des directeurs d’industrie, des éminences des banques. Elle parle à la COP 24, ce club très fermé qui reçoit dans la ville de Katowice en Pologne les politiques et les spécialistes de l’environnement, qui discutent beaucoup et ne font pas grand-chose. Son discours est facile à comprendre. Elle ne manie pas l’hyperbole, elle ne se cache pas derrière les statistiques inutiles et les promesses de Gascon. Elle ne flatte pas le public pour dénicher des électeurs. Elle dit que nous – les adultes, les responsables, les acteurs de notre monde égoïste et rapace -, nous n’avons rien fait, et que les enfants du futur nous demanderont des comptes. Elle dit même une chose plus terrible, que lorsque nous ne serons plus là, dans dix, vingt ou trente ans, elle y sera encore et que c’est à elle que les enfants demanderont des comptes. Elle nous accuse, de sa voix douce et calme, d’avoir oublié que la Terre nous est prêtée, pas donnée. Est-ce que nous pouvons l’entendre ? Nous avons si peu entendu les voix qui nous interpellaient, avant elle. Nous n’avons pas écouté la parole du chef des Indiens Lummi, le grand Seattle, lorsqu’il répondait au gouverneur qui lui proposait d’acheter les terres indiennes : “Comment pouvons-nous vendre ce qui ne nous appartient pas ?” Nous n’avons pas entendu les avertissements des hommes de science, d’Aldo Leopold, de Bertrand Russell. Nous n’avons même pas écouté Einstein quand il nous prévenait que si les abeilles venaient à disparaître, nous n’aurions que quelques mois à vivre.

Son action est simple, comme cela devrait toujours l’être quand il s’agit de choses normales. Chaque vendredi, elle appelle à la grève des enfants. Une grève des écoliers, il y a de quoi faire sourire les sceptiques. Avec un petit sourire, ils ne se privent pas de dire que c’est assez original, plutôt amusant. Et il lui faut du courage, à Greta, pour affronter le sourire ironique des adultes. Pourtant, quand elle apparaît, sur nos écrans, dans les pages de nos journaux, avec son visage grave et ses traits doux, et qu’elle dit de sa voix de colère contenue que nous devons paniquer, que nous devons réagir, nous indigner, commencer la lutte, changer notre façon d’être, notre rapport au monde et aux animaux qui l’habitent avec nous, que nous devons nous inquiéter de l’absence des saisons, de la disparition des insectes et des oiseaux, du dépeuplement des mers et du blanchissement des coraux, de cette sorte de silence assourdissant qui s’étend peu à peu sur la planète nature, au profit des vacarmes des villes, du mouvement fébrile des hommes, de l’exploitation à outrance des richesses du sol et des forêts, comment ne pas ressentir un coup au cœur, un tressaillement, comment ne pas être envahi par la nostalgie du futur, à l’idée de ce que nous n’avons pas fait, de ce que nous avons laissé se défaire, de notre regard qui s’est détourné, du grincement cynique de nos égoïsmes ? Comment ne pas l’entendre ? Comment avons-nous pu oublier à ce point nos responsabilités envers les générations à venir, comment avons-nous osé accepter que ceux qui vont pâtir le plus du changement climatique seront ceux qui n’ont pas participé à sa détérioration, ceux qui n’ont pas profité des bénéfices de la production, qu’ils mourront de faim parce que nous avons rempli nos garde-mangers à l’excès ?

Il n’est pas imaginable que tout cela ne soit qu’une crise passagère, que cela disparaisse dans le grenier encombré de nos luttes échouées, de nos approximations, de nos rêves fracassés.

Greta Thunberg, elle, n’a pas renoncé. Avec la gravité de son jeune âge, avec la science instinctive de l’enfance, elle monte à la tribune, elle dit ce que nous ne voulons pas entendre, elle brandit ses panneaux devant les Parlements, devant les politiques, les puissants de ce monde. Elle parle pour elle, pour sa génération, mais aussi pour ses enfants à naître, et au-delà des humains, pour notre Terre tout entière, dans sa précieuse et fragile beauté. Écoutons-la. Entendons-la. Il est peut-être encore temps.

J.M.G. Le Clezio

Lire l’article original sur LIBERATION.FR (13 mars 2019)…


Dans la presse également…

STASSEN : La mémoire des arbres – Arbres remarquables de Wallonie (2013)

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La Mémoire des arbres
EAN 9782873868505 (épuisé)

Se reconnecter à la Nature est indispensable et la Wallonie a le privilège de disposer de vastes espaces boisés à explorer. Ce livre de 2013, illustré de magnifiques photos, est une invitation à prendre le temps d’admirer des  arbres remarquables de nos contrées. Les histoires liées à ces derniers sont souvent étonnantes à découvrir.

Benjamin STASSEN, artiste photographe d’Ellemelle (BE) est né en 1959. Il commente la philosophie qui guide son travail depuis de nombreuses années [source : site de la Fête des Arbres à Esneux, BE, en 2005] :

« Les arbres constituent un patrimoine paysager, historique et écologique de toute première importance », affirme Benjamin Stassen. « On me dit souvent que je ne m’intéresse qu’aux arbres, mais à travers les arbres on peut toucher à tous les segments de l’histoire, de la vie contemporaine et même de l’avenir. J’ai une passion particulière pour les arbres parce que je suis un nomade, qu’il faut que je bouge et que je m’aventure… J’ai ce côté imaginatif, je suis un promeneur qui veut, non seulement préserver ce qui est, mais aussi ajouter de la vie… Je veux encourager la plantation d’arbres, de haies, même si c’est beaucoup de boulot dans nos parcs et dans nos jardins. »
Heureusement, cette perte de repères dont pâtit notre environnement naturel est relativement récente. Globalement, le Wallon s’est détourné de ce qui est proche de lui, de ce qui est immédiat, de ce qui est tangible.
« On vit, de plus en plus », regrette Benjamin Stassen, « dans une société qui privilégie le virtuel, le lointain, l’immatériel… Bref, l’imaginaire, mais dans ce qu’il a de plus creux, de plus impersonnel et de plus ‘marchandisé’. C’est une tendance qui me dérange profondément. Ce qui me touche, c’est de rencontrer quelqu’un, dans un village, qui peut, si je lui pose la question, me raconter une anecdote à propos de tel ou tel endroit que je recherche. Cela devient rarissime. Les villages se vident des populations anciennement établies ; elles sont remplacées par un essaimage urbain, à l’encontre duquel je n’ai d’ailleurs aucun grief particulier à formuler, si ce n’est qu’il accentue une désappropriation de ce qui est pourtant proche de nous et qui nous appartient, toutes choses que nous avons la responsabilité de protéger, de préserver et de transmettre. »

Pourquoi pas découvrir son livre à l’ombre d’un arbre ?


Une brève biographie accompagnée d’une bibliographie de Benjamin STASSEN est documentée par le Service du Livre Luxembourgeois (province du Luxembourg belge) : “Benjamin Stassen se consacre la connaissance et la protection des arbres exceptionnels de Wallonie depuis près de 20 ans. Fondateur de l’asbl Le Marronnier en 1989, il écrit et photographie en autodidacte, une passion pour les mots et l’image qui lui a valu l’appui de la Fondation belge de la Vocation et de la Fondation Spes.


Dernières nouvelles du Monde…

PIKETTY : Chaque société invente un récit idéologique pour justifier ses inégalités…

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Dans une société où 50 % de la population n’hérite de rien, ou presque, Piketty prône un héritage pour tous © Rémy Artiges

“Héritage pour tous, forte imposition des plus hauts revenus et du patrimoine, cogestion en entreprise : dans son nouvel opus, «Capital et idéologie», qui sort ce jeudi, l’économiste français le plus connu à l’international depuis son «Capital au XXIe siècle» s’attaque au dogme de la propriété pour inverser la courbe explosive des inégalités. Renversant.

Libération : Vous publiez un livre-enquête de 1 200 pages sur les inégalités sociales que vous résumez en une phrase (!) dans votre introduction : l’inégalité n’est pas économique ou technologique, elle est idéologique et politique. Qu’entendez-vous par là ?

Piketty : J’essaie de montrer dans le livre que l’inégalité est toujours une construction politique et idéologique, et que les constructions du présent sont aussi fragiles que celles du passé. Nous vivons aujourd’hui avec l’idée selon laquelle les inégalités d’autrefois étaient despotiques, arbitraires et que nous serions dans un monde beaucoup plus mobile et démocratique, où celles-ci sont devenues justes et justifiées. Mais cette vision ne tient pas la route, elle est le fait d’élites qui affirment que les inégalités sont naturelles et ne peuvent pas être changées, sinon au prix d’immenses catastrophes. En réalité, chaque société humaine doit inventer un récit idéologique pour justifier ses inégalités, qui ne sont jamais naturelles. Ce discours, aujourd’hui, est propriétariste, entrepreneurial et méritocratique. L’inégalité moderne serait juste car chacun aurait en théorie les mêmes chances d’accéder au marché et à la propriété. Problème, il apparaît de plus en plus fragile, avec la montée des inégalités socio-économiques dans presque toutes les régions du monde depuis les années 80-90.

Libération : Une des pierres angulaires de ce récit hyperinégalitaire est la sacralisation de la propriété, selon vous…

Piketty : On observe des formes de sacralisation de la propriété, qui rappellent parfois les inégalités très choquantes des siècles passés. Au XIXe par exemple, quand on abolit l’esclavage, on est persuadé, tel Tocqueville, qu’il faut indemniser les propriétaires, mais pas les esclaves qui ont travaillé pendant des siècles sans être payés ! L’argument est imparable : s’il n’y a pas de compensation, comment expliquer à une personne qu’elle doit rendre le patrimoine qu’elle avait acquis de manière légale à l’époque ? Que fait-on d’une personne qui a vendu ses esclaves il y a quelques années et qui possède maintenant des actifs immobiliers ou financiers ? Cette sacralisation quasi religieuse de la propriété, cette peur du vide dès lors qu’on commence à remettre en cause les principes de la propriété faisait qu’on était prêt à justifier n’importe quel droit de propriété issu du passé comme fondamentalement juste et impossible à remettre en cause. On la retrouve actuellement avec la question des supermilliardaires, quel que soit le nombre de zéros. Les fortunes individuelles pouvaient atteindre 10 milliards d’euros il y a quinze ans, désormais, c’est 100 milliards…

Libération : Nous sommes donc dans la sacralisation de la propriété…

Piketty : Cette peur peut nous empêcher de résoudre des problèmes extrêmement graves, comme le réchauffement climatique, et plus largement d’avoir un système économique qui soit acceptable pour le plus grand nombre. Cette espèce de fixation, de sacralisation de la propriété comme indépassable, est un danger pour les sociétés humaines. En France comme au Royaume-Uni, dans les années 80, on a basculé directement d’un système qui misait sur les nationalisations et la propriété étatique comme unique mode de dépassement du capitalisme, à… rien du tout ! Cette bascule soudaine dans la libéralisation totale des flux de capitaux, couplée à la chute du mur de Berlin et la fin du communisme a enterré les tentatives pour repenser la propriété.[…]”

Lire la suite de l’interview de Sonya FAURE sur LIBERATION.FR (11 septembre 2019)


Plus de presse…

ARNO : Trump et le Brexit, c’est la faute des coiffeurs  !

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Arno © Danny Willems

“Le Point : Ton album s’appelle Santeboutique, un mot qui signifie bordel. Le bordel est-il dans ta tête ou dans le monde ?

Arno : Les deux ! Santeboutique, c’est une vieille expression qu’on utilisait dans le nord de la France, sur la côte belge et à Bruxelles pour parler de bazar. C’est l’être humain d’où vient mon inspiration qui crée ce bazar. Et moi, je suis un être humain et fais des bêtises. La maison de disques voulait que je fasse un album en Amérique avec des musiciens américains. Mais j’habite en Europe et je me sens européen. J’ai même écrit Putain Putain, en 1983, en sortant du train à la gare du Nord, une chanson qui disait : “Putain, c’est vachement bien, nous sommes tous des Européens.” Ma musique est européenne et avec mes musiciens aussi, notamment John Parish (collaborateur notamment de PJ Harvey et de Eels, NDLR) qui est un anti-Brexit.

Le Brexit te rend-il triste ?

J’ai peur avec tout ce qui se passe dans le monde, que ce soit en Europe ou en Amérique, avec le Brexit et la montée de l’extrémisme. On vit une période très conservatrice et je ne sais pas dans quelle direction on va. Tout est en train de changer très vite. Est-ce que l’on revit les années 1930 ? En Belgique, récemment, à un festival de rock, il y avait des jeunes pour parler climat et des groupes d’extrême-droite venus avec des drapeaux qui ont attaqué ces jeunes.

J’ai ma petite idée sur d’où viennent les problèmes. Le Brexit et la montée des extrémistes, c’est la faute des coiffeurs ! Regarde la coiffure de Donald Trump et celle de Boris Johnson : ce sont les mêmes ! Aux Pays-Bas, il y a aussi le nationaliste Geert Wilders qui a une coiffure comme eux. Ce sont leurs coiffeurs qui font le bazar dans leurs têtes et foutent le bordel dans la géopolitique mondiale ! La coiffure de Trump, on dirait le cul d’un lapin rose.

Les coiffeurs nous mèneront-ils à l’extinction de l’humanité ?

Je suis un vieux spermatozoïde devenu pessimiste. Avant j’étais un gauchiste, un anarchiste. Pas un parachutiste ! (rires) Quand j’étais jeune, le rock était un truc contre le système, la façon dont on était habillé, dont on était coiffé… Il y avait des restaurants dans lesquels on ne pouvait pas entrer. En mai 1968, à Londres, j’avais rencontré une Française au pair qui m’a proposé d’aller à Paris. On se retrouve place de la République, il y avait plein de jeunes qui manifestaient, Cohn-Bendit, etc. et j’ai vu deux vieux sur la place. C’était Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Je n’oublierai jamais ce moment. Le soir, je visite les Champs-Élysées et je vois dans la brasserie Jean-Paul Sartre en train de boire du champagne. Je me suis dit : “Tiens, voilà un socialiste avec des trous dans ses poches !“.

Es-tu nostalgique de cette époque ?

Je n’aime pas être nostalgique, car cela me donne de la mélancolie. Mais je suis confronté à cela, j’ai des flash-back. J’ai vécu une vie formidable. Ma génération ne peut pas se plaindre : nous sommes les premiers à n’avoir vécu aucune guerre en Europe. Mon grand-père en a connu deux, mon père une. Mon père s’est réfugié en Angleterre et a fait son service militaire à la Royal Air Force. Ma grand-mère est née en 1901 et elle chantait dans les cinémas muets de Belgique. Moi, je suis né dans un taxi à Ostende, juste devant l’hôpital. Plus tard, à l’âge de 15 ans, je trouve un portefeuille et vais chez les flics pour le rendre. Le lendemain, on sonne à la porte. C’était le chauffeur de taxi qui m’a vu naître. Il a laissé 50 francs belges pour me remercier.

Est-il vrai que tu as cuisiné pour Marvin Gaye ?

Oui, j’ai cuisiné au début des années 1980 pour Marvin Gaye. J’étais cuisinier de formation, mais j’avais préféré faire de la musique. Marvin Gaye était venu habiter à Ostende, c’est là d’ailleurs qu’il a enregistré son dernier album. À l’époque, j’étais dans la merde, j’avais plus d’argent et un copain, Freddy Cousaert, m’a proposé de cuisiner pour Marvin. Aujourd’hui, je ne cuisine plus. De temps en temps, je fais une omelette…

Te sens-tu vieux ?

Je ne pense pas à l’âge. Hier est mort, je vis aujourd’hui et demain n’existe pas. Je vis le moment. Je ne pense pas en chiffres. Je ne sens pas mes 70 ans, j’ai encore toutes mes dents. Pour le moment… (rires)

Mais dans ta chanson « Ça chante », tu évoques quand même la « libido zéro ». Il semble loin le temps des « Filles du bord de mer »…

Oui. Mais tout le monde peut être confronté avec une libido zéro. Pour moi, cela marche encore. Le « zéro » est remplacé par « bio ». J’ai une libido bio ! Je sens encore la tour Eiffel en moi ! Mais bon, sinon, les érections cérébrales durent plus longtemps… Comme disait ma grand-mère à ses copines, les hommes quand ils jouissent, c’est comme des oiseaux : « tchip tchip, et c’est fini ». J’en ai fait une chanson.

Est-il plus dur d’être musicien qu’avant ?

Moi, j’ai vécu avec le cul dans le beurre. Dans les années 1970, l’argent n’était pas important pour nous, on partageait tout : les joints, les aliments du frigo… À l’époque, le magazine rock français Best avait organisé un concours au Golf-Drouot (temple du rock à Paris aujourd’hui fermé, NDLR). On a gagné le prix qui était un peu d’argent et un contrat avec une maison de disques. On a pris l’argent. Quand on est rentré en Belgique, on s’est rendu compte qu’on avait oublié le contrat en France… Dans le temps, on était content avec un sandwich et une bouteille de bière. Maintenant, les groupes demandent un bon traiteur et une bonne bouteille de vin. Mais bon, pour se cultiver, on doit se mouiller !

D’où vient ta passion pour le rock ?

J’ai découvert le rock avec Elvis Presley. J’avais 8 ans. J’étais chez un copain et ses deux sœurs teenagers, Dorothée et Raymonde, écoutaient One Night with You. J’étais en extase. J’ai été accro à partir de l’âge de 8 ans et pour le reste de ma vie. Et je suis encore accro au rock’n’roll : c’est une maîtresse qui ne m’a jamais trompé et grâce à laquelle je suis en vie.”

Pour lire l’interview d’Olivier UBERTALLI sur LEPOINT.FR (20 septembre 2019)…



Plus de scène…

De la nécessité d’attribuer à titre posthume le Prix Nobel à Simenon

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“Dans son dernier essai, Jean-Baptiste BARONIAN apporte la preuve définitive que tout n’a pas été écrit sur Georges SIMENON et que, trente ans exactement après la disparition du plus liégeois des écrivains universels (ou du plus universel des écrivains liégeois, le propos est réversible), son œuvre comme sa vie recèlent encore leur lot de trouvailles. Encore faut-il, pour les dénicher, oser s’aventurer dans les recoins inexplorés ou négligés de son univers, dans des œuvres peu citées – Strip-teaseUn banc au soleilIl pleut bergère…La prison – ou dans le massif, parfois rébarbatif, des Dictées.

Les dix-sept chapitres que compte l’ouvrage auraient pu donc en être vingt, cinquante, cent. C’eût été sacrifier à la passion de l’exhaustif, par définition inassouvissable en ce qui concerne un tel géant. Puis il y a dans la démarche ici adoptée un parti pris de plaisir, qu’une étude plus fouillée aurait compromis et alourdi.

Baronian a dès lors si parfaitement ajusté la focale qu’il happe d’emblée l’intérêt du lecteur, simenonien patenté ou profane. Bien sûr, il sera question de villes de province, de femmes, de cinéma, de crime, mais chacun de ces aspects est abordé par la bande, dans une dimension inattendue ou selon un angle d’attaque original.

Ainsi, « le personnage de Liège » est-il envisagé à travers Je me souviens…, un « livre-relais » qui montre que la cité natale du romancier est constamment au cœur de sa dramaturgie. Simenon lui-même minimisait l’importance de ce titre, qu’il qualifiait de « sorte de document » et auquel il déniait le statut d’œuvre littéraire. Baronian voit quant à lui dans cette sonate le socle du mouvement symphonique plus large de Pedigree. Maints autres lieux sont revisités, comme Marsilly, petite commune de Charente-Maritime, où Simenon écrivit pas moins de douze romans alors qu’il était locataire de La Richardière. En contrepoint de ce constatable effet du « génie du lieu » se pose la question de savoir pourquoi la Suisse, où Simenon a pourtant longuement vécu et beaucoup écrit, l’a si peu inspiré. Une absence criante, qui se manifeste dans le pseudo-toponyme forgé par Simenon pour requalifier Échandens : Noland (« aucun pays »). Là n’est pas le seul mystère que sonde l’essayiste. Il en est aussi qui règnent autour de personnages hantant son imaginaire comme sa biographie…”

Lire la suite de l’article de Frédéric SAENEN sur LE-CARNET-ET-LES-INSTANTS.NET (article du 15 juillet 2019)

ISBN 2-36371-298-1

Jean-Baptiste BARONIANSimenon, romancier absolu (Paris : Pierre-Guillaume de Roux, 2019)

 

Jean-Baptiste Baronian, membre de l’Académie royale de Belgique, est l’auteur de romans, nouvelles, essais, biographies, dictionnaires, anthologies. Il a publié en 2017, Baudelaire au pays des singes, un essai unanimement salué par la critique, puis un roman, en 2018, Le Petit Arménien.


 

En lire encore…

CHATER: Théorie de l’esprit plat. L’intelligence n’est qu’une illusion

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Couverture du Science & Vie n°1223 (août 2019)

Les sens sont nos propres juges et les premiers, et ils ne perçoivent les choses que par les événements externes [qui les affectent] ; alors il n’est pas étonnant si, dans tous les éléments qui servent à la bonne marche de notre société, il y a un si perpétuel et général mélange de cérémonies et de signes extérieurs superficiels, en sorte que la meilleure et la plus réelle part des règles sociales consiste en cela.

Montaigne (1580)

L’esprit n’est pas profond, il n’existe aucun moi intérieur.” Avec sa Théorie de l’esprit plat, Nick CHATER vient de jeter un énorme pavé dans la mare. Car ce professeur en sciences du comportement a découvert que notre esprit, loin d’être insondable, fonctionne de façon totalement… superficielle ! Ce que démontrent plusieurs expériences, qui prouvent l’incroyable platitude de notre intellect. Pire, elles remettent en cause ce que nous croyons être nos convictions, notre personnalité et même notre inconscient ! Nous l’ignorons, mais nous sommes tous bêtes ; et le savoir est un premier pas pour l’être moins.

On pensait que notre esprit était profond… alors qu’il est bêtement superficiel

Vu toutes les pensées qui vous viennent, vous êtes convaincu de la profondeur de votre esprit, au point qu’il vous paraît insondable? Désolé de vous le dire, mais votre esprit est vide, absolument superficiel, d’une platitude consternante. En un mot, vous êtes “bête”. Ne le prenez pas mal : ce jugement vaut pour tous les humains. Sans exception ! Telle est la conclusion de la théorie globale de l’esprit développée par le psychologue anglais Nick Chater : la “théorie de l’esprit plat”.

Présentée dans un livre paru fin 2018, cette théorie fait table rase de réflexions philosophiques millénaires, de travaux de psychiatrie séculaires et de dizaines d’années d’études scientifiques dédiées à notre psyché. Le tout en se fondant sur un constat tout simple: “L’esprit n’est pas profond, il n’existe pas de ‘moi intérieur’, ni de subconscient ou d’inconscient tels que nous les concevons; au contraire, l’esprit est plat, il élabore en temps réel chacune de nos pensées, mais il le fait avec une telle rapidité, une telle puissance que nous avons l’impression qu’elles ont toujours été là”, résume le professeur en sciences du comportement à l’université de Warwick.

Plat? L’esprit humain? Allons … En chacun de nous, à chaque décision, chaque sensation perçue, notre esprit semble puiser en ses tréfonds un caractère, des envies, des sentiments, des souvenirs pour les trier avant de les faire remonter à la surface, les mettre en balance et, in fine, produire notre pensée. Sans parler des parasitages de l’inconscient, du Moi, du Sur-Moi et du Ça chers à Freud.

Nick Chater balaie tout cela. Dans sa théorie, rien d’enfoui : l’esprit est exclusivement accaparé par les interprétations instantanées générées par ce sur quoi il porte son attention. Il improvise en permanence, sans s’appuyer sur des structures supposées être constitutives de notre identité. Mais il crée l’illusion de leur réalité par sa seule rapidité.

Personnalité, convictions, sentiments … Tout ce qui semble animer notre profondeur intellectuelle s’avère alors une illusion qui aurait émergé en même temps que l’esprit lui-même et grandi avec lui, comme un faux reflet. Une illusion si savamment orchestrée qu’elle nous aurait tous, et depuis toujours, floués, bêtes que nous sommes. “Pour moi, reprend le chercheur, le fait de ‘chercher en nous’, de ‘comprendre le moi profond’, est une bêtise. Notre pouvoir d’introspection est trop limité, nous ne voyons en nous-mêmes que les histoires que nous voulons bien nous raconter, c’est-à-dire des affabulations. Et nous ne leur donnons alors que trop d’importance en les entretenant.

APRÈS GALILÉE ET DARWIN

C’est à la suite d’un vaste travail de méta-analyse que Nick Chater en est venu à formuler la “platitude” de notre esprit. Et cette vision, pour le moins iconoclaste, a été bien accueillie par la communauté scientifique -son livre est lauréat 2019 du prix PROSE en psychologie clinique qui récompense les œuvres universitaires. “J’admire l’ambition de la théorie de Nick Chater. Nos recherches vont dans le même sens -même si elles sont moins catégoriques“, témoigne par exemple Petter Johansson, chercheur en psychologie expérimentale (université de Lund, Suède).

Depuis des décennies, de multiples observations psychologiques et neurologiques se sont en fait accumulées, détruisant petit bout par petit bout les idées que nous nous faisions sur notre esprit. Notre perception si riche? “Un mirage“, balaie Ronald Rensink, professeur en cognition visuelle (université de Colombie-Britannique, Canada). Notre pouvoir d’imagination illimité? “Une construction mensongère“, assure Stephen Kosslyn, professeur émérite en psychologie cognitive à Harvard. Nos connaissances, notre raison, notre libre arbitre? “Pour beaucoup des approximations, des interprétations et des histoires qu’on se raconte“, assène Albert Moukheiber, docteur en neurosciences cognitives (université Paris 13). La théorie de Nick Chater assemble pour la première fois toutes ces illusions mentales en un tout cohérent, qu’elles concernent l’introspection ou la perception.

La platitude de notre esprit expliquerait ainsi pourquoi nous sommes influençables, sensibles aux biais cognitifs, et même parfois insensés. D’où l’intérêt de s’en soucier. D’autant que le marketing et les sciences de l’information en jouent pour capter notre attention. Une humiliation anthropologique de plus -après que Galilée nous a éjectés du centre de l’Univers et Darwin fait tomber du sommet de l’évolution, nous voilà sans profondeur ?

Oui, mais dites-vous que si votre esprit n’est pas profond, il travaille à une vitesse si faramineuse qu’il réussit à en donner l’illusion. Qu’il est peut-être plat, mais qu’il est un improvisateur tout-puissant. Alors, embrassez votre vie intérieure à la platitude si exceptionnelle qu’elle a réussi à se tromper elle-même sur sa propre nature -des bravos sont de mise. Découvrez-la, votre bêtise, car elle est, aussi, votre véritable intelligence. On vous l’avait dit: il ne fallait pas le prendre mal […]

Lire la suite du dossier de Thomas CAILLE-FOL dans le SCIENCE-ET-VIE n°1223…


EAN 9782259265195

Nick Chater est professeur de sciences du comportement à la Warwick Business School. Il y a fondé le groupe d’étude des sciences du comportement, qui est le plus important du genre en Europe. Il est également conseiller auprès du Behavioral Insights Team, l’agence de mise en application des sciences du comportement rattachée au gouvernement britannique. Il est membre du Comité britannique sur le changement climatique et membre de la Cognitive Science Society et de la British Academy.

“Le subconscient et la « vie intérieure » ne seraient-ils qu’une illusion ? Dans cet essai novateur, le psychologue et comportementaliste Nick Chater propose une nouvelle approche révolutionnaire du fonctionnement de l’esprit humain. Nous aimons penser que nous avons une vie intérieure, que nos croyances et nos désirs proviennent des profondeurs obscures de notre esprit, et que si nous savions comment accéder à ce monde mystérieux, nous pourrions vraiment nous comprendre nous-mêmes. Pendant plus d’un siècle, les psychologues et les psychiatres se sont efforcés de découvrir les secrets de notre conscience. Nick Chater révèle que cette entreprise est vouée à l’échec. S’appuyant sur l’état de la recherche en neurosciences, en psychologie du comportement et de la perception, il démontre que notre esprit n’a pas de profondeurs cachées et que la pensée inconsciente est un mythe. Notre cerveau, tel un grand improvisateur, génère en fait nos idées, nos motivations et nos pensées dans le moment présent. À travers des exemples visuels et des expériences contre-intuitives, nous comprenons que notre esprit s’invente en permanence, improvisant constamment notre comportement à partir de nos expériences passées. Original et délicieusement provocateur, ce livre nous oblige à reconsidérer ce que nous pensions savoir sur le fonctionnement de notre esprit.” [source : LISEZ.COM]

A lire : CHATER Nick, Et si le cerveau était bête ? (Paris : Plon, 2018)


Plus de discours structurés sur nous et nos frères humains…

Selon une étude, 75% des Français

Temps de lecture : < 1 minute >
© Grae Dickason

“Paris – Une étude qui va faire du bruit. Contrairement aux idées reçues, on apprend ainsi que près de 75% des Français. Ce qui est très au-dessus de la moyenne européenne, qui elle est plutôt de l’ordre de 60%. Quelles sont les raisons d’une telle différence, quelles peuvent être les conséquences ? Notre spécialiste Constance Deplanque répond. Reportage.

C’est très rassurant‘ notent les instituts de sondages. ‘Auparavant, nous avions entre 45 et 55% des Français. Maintenant on approche des 75%‘. Cette étude vient rebattre les cartes et faire taire les mauvaises langues qui affirmaient que seulement 30% des Français. Mais désormais un nouveau seuil est atteint. Peut-être demain pourrait-on envisager 80% des Français ? Mais les pouvoirs publics sont-ils prêts pour ce changement radical ? ‘Ce qui reste cependant inquiétant, c’est que 25% des Français‘ regrette pour sa part Bruno Le Maire.

Pour comparaison il suffit de voir l’Angleterre avec seulement 51% des Anglais. En Russie, on atteint moins de 10% des Russes. L’Espagne tire son épingle du jeu avec près de 86% des Espagnols. Une telle disparité interroge. Pour certains scientifiques, c’est certain, d’ici 2025 il faudra vraisemblablement compter avec 85% des Français. Et vous ?”

Source : LEGORAFI.FR (26 juin 2019)


Plus d’humour encore…

DUFRESNE : Greta Thunberg, un engagement enraciné

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Greta Thunberg (15) devant le parlement suédois le 30 novembre 2018 : “L’école fait grève pour le climat” © Hanna FRANZEN / TT News Agency / AFP
“Vous n’êtes pas assez mûrs pour voir les choses comme elles sont.

Je suis encore sous le choc de ce reproche de la jeune suédoise, mondialement connue depuis la marche d’étudiants de 120 pays, le 15 mars 2019. Je dirai plus loin les raisons de ce choc. Je veux d’abord souligner le fait que l’engagement de Greta a des racines profondes. Les Thunberg sont en effet des descendants de Svante Arrhenius, […] raison pour laquelle le père de Greta porte aussi le prénom de Svante. Arrhenius (1859-1927), prix Nobel de chimie 1903, a été le premier à quantifier le lien entre le CO2 et le réchauffement climatique. Le père de Greta devait préciser que les découvertes de l’ancêtre avaient résisté au temps, à ceci près qu’il prédisait que le taux de réchauffement actuel n’adviendrait que dans 2000 ans.

À noter aussi que c’est à Stockholm que les Nations unies ont choisi de tenir, en 1972, la première grande conférence sur l’environnement. À ce moment, on savait déjà l’essentiel sur les changements climatiques. Voici ce qu’écrivaient René Dubos et Barbara Ward dans Nous n’avons qu’une terre (Paris : J’ai lu, Coll. Découvertes, 1972), le rapport publié juste avant la conférence. Ce rapport, Greta l’a sans doute découvert dans la bibliothèque familiale. Je cite : “En ce qui concerne le climat, les radiations solaires, les émissions de la terre, l’influence universelle des océans et celle des glaces sont incontestablement importantes et échappent à toute influence directe de l’homme. Mais, l’équilibre entre les radiations reçues et émises, l’interaction de forces qui maintient le niveau moyen global de température semblent être si unis, si précis, que le plus léger changement dans l’équilibre énergétique est capable de perturber l’ensemble du système. Le plus petit mouvement du fléau d’une balance suffit à l’écarter de l’horizontale. Il pourrait suffire d’un très petit pourcentage de changement dans l’équilibre énergétique de la planète pour modifier les températures moyennes de deux degrés centigrades. Si cette différence s’exerce vers le bas, c’est le retour à une période glaciaire; au cas contraire, un retour à une terre dépourvue de toute glace. Dans les deux cas, l’effet serait catastrophique. »

À cette époque, il suffisait de connaître le cycle du carbone, tel qu’on l’enseigne dans les écoles secondaires, pour vouloir mettre au plus vite un terme à l’économie d’extraction, expression que René Dubos, lui-même un scientifique de premier ordre, utilisait pour désigner une paresse de la science plutôt qu’un accomplissement…”

Lire l’article de Jacques DUFRESNE  sur AGORA.QC.CA (17 mars 2019)


D’autres explications du monde…

SERRES : L’espèce humaine est constituée de braves gens

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© Le Temps

“Le populaire philosophe et historien des sciences Michel SERRES est décédé le samedi 1er juin 2019, à l’âge de 88 ans. Nous [LETEMPS.CH] reproposons une ample interview de 2017, lorsqu’il publiait “C’était mieux avant”. Il nous lançait, en argumentant: “J’assume de passer pour un imbécile“.

Il avait 87 ans lors de notre rencontre, avait écrit 65 livres, reçu toutes les distinctions, et siégé à l’Académie française. Et pourtant, Michel Serres restait cet homme merveilleusement espiègle, qui a pu conclure un entretien d’un: “L’essentiel, c’est de s’amuser”. Il se désolait surtout de tous ces “grands-papas ronchons” qui “créent une atmosphère de mélancolie sur les temps d’aujourd’hui”, au point de nous offrir un nouveau voyage pour énumérer toutes les plaies cautérisées par le progrès. Et s’il se présentait dans cet essai comme un vieillard, il conservait l’enthousiasme de cette nouvelle jeunesse à qui il rêve que les grands-papas ronchons cèdent enfin la place.

Le Temps: Votre livre s’adresse aux «grands-papas ronchons», vous pensez qu’ils sont nombreux?

Michel Serres : Ce livre n’est pas une critique des vieux, dont je fais partie, mais j’entends une parole très négative sur les jeunes et le monde tel qu’il est devenu. J’ai voulu rappeler qu’il y a un peu plus d’un demi-siècle, nous avions Hitler, Staline, Franco, Mussolini, Mao Zedong, qui ont fait quarante-cinq millions de morts. Evidemment, je m’incline avec beaucoup d’empathie et de pitié devant les victimes des attentats et guerres civiles d’aujourd’hui, mais par rapport à ce que j’ai vu pendant la Seconde Guerre mondiale ou durant les crimes d’Etat tels que la Shoah ou le goulag, il n’y a pas de comparaison possible. Un chercheur américain l’a d’ailleurs confirmé, nous assistons à une baisse tendancielle de la violence. Et si beaucoup sont persuadés que notre monde est violent, nous n’avons jamais connu une telle paix.

Les anciens ne sont pas les seuls à ronchonner. On voit de plus en plus de jeunes contester le progrès, comme celui des vaccins, par exemple.

M.S. : La notion de paradis perdu est une constante de l’humanité. Durant ma jeunesse, certains de ma génération disaient déjà c’était mieux avant. Le monde a radicalement changé sous l’influence des sciences exactes: la biochimie et la pharmacie, qui ont fait progresser la santé, et les mathématiques, qui ont développé les nouvelles technologies. Or ceux qui ont la parole aujourd’hui, des administrateurs aux politiques, sont formés aux sciences humaines. Ce qui provoque un décalage entre la vérité des sciences humaines, qui est relative, et la vérité scientifique. Par conséquent, le problème n’est plus de savoir si l’aspirine est efficace, mais de savoir combien de gens pensent que l’aspirine est efficace. Et ce glissement est dangereux. C’est dramatique de ne plus croire aux vaccins. Par exemple si les gens peuvent se montrer presque nus sur la plage, c’est parce qu’en 1974 la petite vérole qui avait défiguré tant de corps a été éradiquée par les vaccins. Aujourd’hui, on ne meurt d’ailleurs plus que de maladies pour lesquelles on n’a toujours pas de vaccin.

Il semble pourtant y avoir eu un âge d’or: les Trente Glorieuses, période de paix, prospérité et plein emploi…

Durant les Trente Glorieuses, il y avait aussi Mao Zedong, Pol Pot, Ceausescu, le Rideau de fer… Et ces Trente Glorieuses étaient quand même très localisées, alors qu’aujourd’hui le confort est plus général. Ce que l’on peut effectivement interroger, c’est la croissance du chômage. Car le travail a beaucoup évolué avec les outils, qui nous ont dispensés de nombreux travaux pénibles. Mais plus il y a d’outils, moins il y a de travail. Nous dirigeons-nous vers une société sans travail ? Si cela arrive, il faudra repenser complètement la société qui reste entièrement organisée autour de celui-ci. Et personne ne peut dire si c’est une bonne ou mauvaise nouvelle.

Vous rappelez en tout cas qu’avant, ça puait, car l’hygiène était déplorable.

Vous n’imaginez pas à quel point ! Dans les années 50, le magazine Elle a même fait scandale en recommandant de changer de culotte chaque jour. A l’époque, évoquer l’hygiène intime était non seulement tabou, mais oser imaginer changer quotidiennement de sous-vêtement était folie. Avant, il y avait aussi beaucoup de maladies que la pénicilline a éradiquées. Et sur dix patients dans une salle d’attente médicale avant-guerre, on croisait trois tuberculeux et trois syphilitiques. C’est terminé. La médecine et l’hygiène ont même fait bondir l’espérance de vie. Aujourd’hui, une femme de 60 ans est plus loin de sa mort qu’un nouveau-né en 1700…

Alors d’où vient ce pessimisme ambiant?

Les riches savent rarement qu’ils sont riches, et plus on est dans le confort, plus on est sensible aux petits moments d’inconfort. D’ailleurs pendant les Trente Glorieuses, peu de gens avaient conscience de vivre une période de prospérité. On râlait déjà. C’est une affaire de tempérament, surtout français. En France, on ne dit jamais “c’est bien”, mais “c’est pas mal”. Cette culture fondée sur la critique date de Voltaire. L’optimiste est resté un candide, et donc un imbécile, alors que le pessimiste serait celui qui voit clair. J’assume de passer pour un imbécile…”

Lire la suite de l’interview menée par Julie RAMBAL sur LETEMPS.CH (article du 1 juin 2019)

Plus sur Michel SERRES dans l’encyclopédie de l’Agora (2012)


Plus de discours pour dénoter notre humanité…

WILLEMS : Réflexions à propos des Data Centers

Temps de lecture : 8 minutes >
2019, l’odyssée de l’espace ?
Data Center Kesako ?

Le Data Center est un centre d’hébergement et de traitement de données informatisées. C’est un site physique sur lequel se trouvent regroupés des équipements constituant le système d’information d’entreprises (ordinateurs centraux, serveurs, baies de stockage, équipements réseaux et de télécommunications, etc.). Il peut être interne (on-premise) et/ou externe à l’entreprise, il peut être dédié ou mutualisé, exploité ou non avec le soutien de prestataires. Il comprend un contrôle sur l’environnement (climatisation, système de prévention contre l’incendie, etc.), des alimentations secourues et redondantes, ainsi qu’une sécurité physique élevée (dans les meilleurs cas respectant la norme ISO27001). A ce titre, en fonction de leur niveau de protection et de sécurisation, les Data Centers sont classés dans des catégories de performance (cf. Uptime Institute).

Alors que se développent de plus en plus l’Internet, le Cloud Computing, le Big Data, l’Internet des objets…, il va être nécessaire de disposer de plus en plus de capacité de traitement et de stockage d’informations ; les Data Centers sont donc voués à se multiplier d’ici les prochaines années et pas seulement les méga-Data Centers.

Les données étant cruciales pour le bon fonctionnement des entreprises, il va donc de soi que ces dernières devront investir dans la protection de leurs données. C’est pour cette raison que les Data Centers maintiennent des niveaux de protection des données très élevés, dans le but d’assurer sécurité, intégrité et fonctionnement continu des appareils hébergés.

Parc actuel

Il existe aujourd’hui environ 4.000 Data  Centers (dits de collocation, c’est-à-dire hébergeant des infrastructures de multiples entreprises) dans le monde, dont une petite trentaine en Belgique. Il y en a neuf à Bruxelles et dix-neuf en Flandre. En Wallonie, il n’y a que sept centres (le centre de Google n’entrant pas dans la catégorie des Data Centers de collocation) :

  • quatre en province de Liège : Interoute Liege et Network Research Belgium (parc industriel des Hauts-Sarts), le WDC (Villers-le-Bouillet) et le Belgium Data Center (Villers-le-Bouillet, partenariat NRB/Etix Anywhere) ;
  • un cinquième au sein du parc scientifique Crealys (Gembloux), réalisé par COFELY INEO (Groupe GDF Suez) ;
  • un sixième à Saint-Ghislain (Mons), réalisé et opéré par Google ;
  • un septième à Vaux-sur-Sure réalisé par BNP Paribas.
Hébergement des données par les entreprises

Le traitement des données est devenu un élément clé du développement des entreprises et de leur place dans l’économie. Stocker, exploiter et analyser les données : des enjeux cruciaux que certaines entreprises décident de gérer en interne, le plus souvent à l’aide d’un prestataire (pour le conseil, l’aide à la maintenance, la gestion technique, etc.). Pourtant, une interruption de service, un incendie ou une faille quelle qu’elle soit, et ce sont les collaborateurs de l’entreprise et, dans certains cas, les clients, qui sont privés d’accès aux informations. De plus, face à l’augmentation des volumes et de la complexité des données, l’évolution technologique, les réglementations toujours plus strictes, les enjeux environnementaux ou encore la conjoncture économique instable, l’externalisation des infrastructures informatiques et télécoms s’avère être un choix judicieux. D’autant qu’externaliser l’hébergement des données, c’est également l’opportunité pour les entreprises de rationaliser leurs coûts et de se centrer sur leurs objectifs métiers, sans s’encombrer de la gestion des technologies qui devient de plus en plus complexe et qui requiert une expertise de plus en plus vaste et pointue.

Les grandes entreprises, les grandes institutions publiques, les hôpitaux, etc. possèdent en général leur(s) propre(s) Data Center(s).

Les TPE (Très Petites Entreprises) et PME (Petites et Moyennes Entreprises) hébergent leurs données/applications critiques sur des petits serveurs, parfois dans des conditions précaires, ou utilisent le cloud, avec un lieu de stockage bien souvent à l’autre bout du monde. En Cloud Computing, les entreprises ne se servent plus de leurs serveurs informatiques mais accèdent aux services en ligne proposés par un hébergeur (Azure, AWS, …) via un accès réseau public (internet).

Maintenant il faut attirer l’attention du lecteur sur les risques de ces hébergement “dans le nuage”, et sur la nécessité d’avoir à la fois une politique claire de classification de ses données, mais également une stratégie cloud clairement définie afin de ne pas mettre le business de l’entreprise en péril. En effet, trop souvent les entreprises voient en ces solutions la voie de la simplicité (plus de nécessité de recourir à une équipe IT interne ou encore de solliciter un intégrateur pour la gestion de l’infrastructure et la protection des données) et d’une réduction de coût qui, la plupart du temps, est purement factice. En effet, si l’on considère l’ensemble des coûts relatifs à la sécurisation des communications, à la protection des données (la plupart du temps les solutions cloud sont fournies sans backup des données, et donc sans possibilité de recouvrement en cas de sinistre pour l’entreprise), ou encore à la traçabilité pour respecter les obligations légales, dans la plupart des cas les coûts des solutions cloud sont bien plus onéreux que les solution on-premise, mais font également souvent courir un risque pour la pérennité de l’entreprise qui est largement sous-estimée par cette dernière.

Les enjeux sont géostratégiques (principe de territorialité des données )

Un Data Center étant soumis aux lois du pays dans lequel il est implanté. Il s’agit ici de relocaliser des données dans un cadre législatif local que les entreprises et les états maîtrisent, l’hébergement extraterritorial (a minima hors CE) présentant un risque en matière de sécurité, d’ingérence, de perte d’emplois.

Cela paraît d’autant plus important depuis l’US Patriot Act, la loi américaine votée en 2001 suite aux attentats contre les tours du World Trade Center, et plus récemment le US Cloud Act, adoptée en 2018, permettant aux forces de l’ordre (fédérales ou locales, y compris municipales) de contraindre les fournisseurs de services américains, par mandat ou assignation, à fournir les données demandées stockées sur des serveurs, qu’ils soient situés aux États-Unis ou dans des pays étrangers.

Maître Vincent Lamberts, du bureau Actéo, est intervenu à ce sujet lors d’un séminaire dédié au Cloud organisé par un intégrateur belge, et plus spécifiquement sur la genèse de ce texte, sur sa cohabitation avec le RGPD, ainsi que sur les risques encourus par les entreprises européennes et les protections dont elles disposent :

Notons l’exemple d’une entreprise française qui a vu ses données délivrées à la NSA, après une décision de la cour américaine.

Enfin, de plus en plus de grands groupes prennent l’initiative de la construction et de la gestion de ce type d’infrastructures, à l’instar de GDF Suez via sa filiale COFELY INEO. On peut se poser la question de laisser dans les mains de ces groupes des installations qui gèrent des données sensibles, et dont la perte, le vol…, pourraient être catastrophique pour nos entreprises (et donc pour le développement économique de notre région).

Les enjeux sont économiques

L’implantation de Data Centers permet potentiellement de stimuler la croissance de l’activité IT, l’infrastructure nécessitant une série de compétences disponibles à proximité, et donc de relocaliser certains emplois IT (utilisateurs des salles du Data Center, personnel des fournisseurs et sous-traitants qui assurent la maintenance 24/7).

Les Data Centers peuvent attirer des acteurs économiques complémentaires à son activité ; on peut citer l’exemple de la ville de Cork en Irlande qui a vu au fil des années son pôle technologique exploser. Tout d’abord avec l’arrivée du plus grand constructeur mondial de stockage centralisé, puis par l’arrivée de constructeurs de serveurs de calculs, qui ont été immédiatement entourés par des fabricants de composants permettant la construction de ces équipements…

On épinglera également les défis venant du marché émergeant des objets connectés. En effet, à l’horizon 2020 les analystes estiment qu’il y aura plus de 50 milliards d’objets connectés, quel que soit le domaine d’application (gestion de bâtiment, médical, contrôle de trafic routier, gestion des automobiles…). Ces objets vont nécessiter des réseaux qui vont canaliser les communications d’informations générées par ces objets.

L’enjeu principal se trouve ailleurs dans le besoin de traiter des gros volumes d’information localement :

  • (à un échelon local) pour des aides à la décision immédiate sur le territoire proche. Par exemple, lors d’une détection d’un accident, on condamne temporairement la route le temps d’évacuer l’accident et on dirige le trafic par une autre voie, puis on rétablit le court normal, une fois l’incident levé ;
  • (à un échelon plus provincial) par exemple, si l’accident cité ci-dessus est localisé sur une route principale et entraîne des effets sur l’ensemble du réseau routier de la Province, on adapte dynamiquement le plan de circulation et les informations des GPS pour éviter la congestion ;
  • (à un échelon régional) par exemple, effet de propagation potentiel de l’incident sur les routes nationales et les autoroutes ;
  • jusqu’à la consolidation en vue de mener des projections stratégiques.

Outre les réseaux informatiques nécessaires pour acheminer ces informations, on remarque d’emblée que ces informations devront également être traitées à différents niveaux avec des objectifs stratégiques différents et un besoin de réactivité qui est de plus en plus conséquent à force que l’on se rapproche du centre du cercle de décision. Cela implique que la donnée devra être localement traitée pour des prendre des mesures immédiates et donc que l’on devrait voir naître un besoin de petits centres de calculs disséminés sur le territoire, qui appuieront ces démarches d’objets connectés et, d’autre part, que les écosystèmes numériques qui devront eux même être connectés à des centres de calcul plus important qui gèreront des analyses globalisées. Cette tendance est en train de prendre forme avec l’arrivée de ce que l’on appelle des Edge Data Centers.

Les enjeux sont écologiques

Des enjeux environnementaux sont liés à la consommation d’électricité des Data Centers et à la production de chaleur associée, dissipée par les serveurs, les unités de stockage…

Les centres de traitement de données sont de gros consommateurs d’énergie. A eux seuls, ils représenteraient 18% de la consommation électrique mondiale.

En effet, les Data Centers reposent sur l’usage d’appareils électroniques en continu, 24/7. Leur consommation électrique est donc incessante et génère en outre beaucoup de chaleur. Pour compenser cette hausse des températures, les Data Centers ont recours à des systèmes de refroidissement, de même qu’ils utilisent des générateurs de secours fonctionnant la plupart du temps au mazout (des systèmes à gaz ont récemment fait leur apparition), en cas de panne, qui sont mis en service à intervalle régulier afin de garantir le bon fonctionnement de l’installation (souvent une fois par mois).

Les entreprises construisant des Data Centers étudient des solutions afin de réduire l’empreinte carbone de ces installations énergivore en s’appuyant sur les énergies renouvelables, sur des systèmes de refroidissement naturels (rivières, Free Cooling dans les régions froides, …), mais également à l’utilisation des surplus de production de chaleur pour alimenter des systèmes communs de chauffage. D’autres mesures visant à la réduction des consommations peuvent également être mise en œuvre telles que des systèmes de gestion intelligent de la puissance de calcul qui permet de réduire le nombre de nœuds de calculs en fonction des réels besoins.

A ce propos, notons que le Data Center du parc d’activité CREALYS dans la région de Namur se veut un modèle en termes de performances énergétiques : il a pour particularité que les systèmes de chauffage, ventilation et climatisation, les installations électriques et les systèmes informatiques de gestion sont conçus pour assurer une efficacité énergétique maximale.

Enfin, le projet GreenDataNet, lancé le 13 mars 2014 et soutenu par la Commission Européenne à 70%, a pour objectif est de mettre au point un réseau de Data Centers plus « verts ». Le projet GreenDataNet préconise ainsi deux solutions : la production locale d’une énergie solaire issue de panneaux solaires photovoltaïques, ainsi que la réutilisation des batteries Li-ion des véhicules électriques (pour le stockage de l’électricité renouvelable).

En conclusion

Un nouveau paradigme se profile avec les nouveaux enjeux technologiques induits par l’arrivée massive des objets connectés, le besoin de traitement local (i.e. analyses Big Data, intelligence artificielle…) pour la prise de décision dans les environnements que d’aucuns nomment les Smart Cities, mais également pour répondre aux enjeux des nouvelles législations telles que le GDPR ou encore la directive européenne NIS qui a été retranscrite dans la loi belge et publiée le 03/05/2019 :

Ces enjeux conduisent à de nouveaux besoins en matière d’hébergement d’infrastructures informatiques :

  • la territorialité des données ;
  • l’existence de multiples Data Centers de petite taille, distribués sur le territoire (Edges Data Centers) ;
  • la protection contre le « Cloud Act ».

Mais ils conduisent également à des opportunités de développement :

  • intégration dans leur environnement afin qu’ils soient en symbiose avec ce dernier (par exemple, récupérer les productions électriques des panneaux photovoltaïques pour alimenter les centres, récupérer la chaleur dégagée par les infrastructures pour alimenter des réseaux de chauffage urbain…) ;
  • développement économique par intérêts mutuels.

Mais d’autres enjeux restent cachés :

  • Qui va financer ces infrastructures ?
  • Qui sera propriétaire des données ?
  • Les données seront-elles accessibles à tous pour permettre le développement de nouvelles solutions dans l’intérêt de tous, dans le respect des législations en vigueur ?

Ceci conduit à une question essentielle : ces services doivent-ils devenir des services publics, vu les enjeux relatifs aux données, ou bien doivent-ils être privatisés et bénéficier de l’expertise des spécialistes de ces nouveaux métiers ?

Un mix des 2 ?

Claude WILLEMS (2019)


Disposez de plus de dispositifs…

CRUSADERS : Street Life (feat. Randy Crawford)

Temps de lecture : 3 minutes >
Crusaders feat. Randy Crawford, Street Life (MCA, 1979)

On est en 1979. Les Crusaders ne savent pas encore qu’ils viennent de créer l’album de leur carrière qui se vendra le plus. Ce succès est dû entre autre à une rencontre : celle de Joe Sample, pianiste et claviériste du groupe avec une certaine Randy Crawford, une chanteuse soul de l’Etat de Géorgie aux USA. En 1976 alors que cette dernière signe un contrat chez Warner pour son premier album Everything Change, elle demande à Joe de jouer les parties de piano sur son disque, dont elle aime le côté subtil à la fois jazz mais également ancré dans la musique populaire afro-américaine. De là naît une amitié autant personnelle qu’artistique !

Dans les prémices de l’écriture de l’opus Street Life, Joe Sample pense immédiatement à Randy pour interpréter vocalement le titre éponyme. De ses propres aveux même, il dit qu’il a composé la chanson pour elle. Après eu avoir l’accord des autres membres du groupe, la chanson apparaît sur leur LP de l’époque en lui donnant son nom ! Et quelle chanson ! Son introduction d’une minute et trente secondes laisse la part belle au saxophone de Wilton Felder dans un registre smooth jazz, avant que la voix de Randy Crawford presque a capella ne transporte l’auditeur dans un univers à vous donner des frissons (cette introduction vocale sera d’ailleurs maintes fois échantillonnée dans la house !). S’en suit alors un mid-tempo enivrant où alternent avec bonheur les parties chantées, les solos de saxophone de Wilton ou de claviers de Joe le tout ryhtmé par la batterie de Stix Hooper. Enfin Roland Bautista, guitariste d’Earth Wind & Fire, a participé également à l’enregistrement. Plus de onze minutes de pur bonheur ! Ce titre à l’époque était tellement fédérateur que l’on pouvait l’entendre aussi bien, dans un club glauque d’un quartier mal famé que dans une garden party de la haute société. Il attirera également l’oreille des réalisateurs puisqu’on le retrouve en 1981 sur la B.O du film Sharky’s Machine avec Burt Reynolds puis en 1997 sur Jackie Brown de Quentin Tarantino dans des versions alternatives.

Mais même si Street Life balaie tout sur son passage l’intérêt de ce disque ne dépend pas que de ce titre ! En effet le deuxième morceau My Lady a été samplé par NTM sur leur plus gros tube La Fièvre avec comme d’habitude la présence  du saxophone de Wilton Felder qui propose le thème instrumental principal de cette composition. Une vraie réussite également ! La troisième pépite de l’opus est surement à chercher du côté de Carnival Of The Night, un jazz-funk  qui met en avant le duel basse / saxophone avec un talent certain ! Les percussions de Paulinho Da Costa sont aussi particulièrement présentes sur ce titre avec un petit côté brésilien discret mais évident. Si certains titres comme Rodéo Drive ou Night Faces plus tranquilles laissent entrevoir l’esprit smooth jazz que le groupe continuera d’entretenir partiellement dans les 80’s, ils ont le mérite de laisser une place au talent de chaque musicien de cette entité !

Cet album permettra en tous cas au groupe de connaitre un succès international, en se classant dans les charts du monde entier (classé en 18ème position dans les charts pop américains) et de faire une tournée américaine et japonaise triomphale, où Randy Crawford d’ailleurs accompagnait le combo sur toutes les dates. Depuis cette époque Joe et Randy ont eu régulièrement l’occasion de collaborer sur scène dans les festivals du monde entier ou même sur disque où le talent du pianiste et de la vocaliste font toujours des merveilles ! C’est aussi ça la magie de Street Life !”

Lire l’article original sur le webzine FONKADELICA.COM (16.07.2012)…




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